54. De l’acide au blanc

Auteur(s) : Sassine, Williams

Les folios

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Sassine, Williams, 54. De l’acide au blanc, 1993/03/15

Claire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

Consulté le 13/08/2025 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/francophone/items/show/3399

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N° 54, 15 mars 1993 : « de l’acide au blanc »

Je pris quelques feuillets et un stylo en me demandant qui assassiner cette fois.

J’allumai une cigarette pour me foutre de l’OMS qui promettait la santé pour tous en l’an 2000. D’ici là, le Sida a toutes les chances pour prendre cette santé à son compte. Tant pis ! Le courant lui n’était pas pressé. D’ailleurs il venait d’arriver sous les applaudissements des enfants du quartier.

Tout heureux je fis bouillir mon café et ouvris mon paquet de cigarettes. C’est notre tour pensai-je en regardant l’ampoule du salon, avec le bonheur d’une femme coépouse qui voit entrer son mari partagé.

Je m’assis. Malgré le café et les cigarettes, je ne voyais toujours pas quelqu’un de valable, de costaud à défoncer. Le Lynx avait déjà fait plusieurs fois le tour des personnalités dites importantes, et très souvent il s’était retrouvé au point de départ. Les mains vides. Comme un gosse dont l’unique ballon gonflable vient de crever.

Il y avait bien sûr La Gomme, le punching-ball idéal offert par Lanchatna aux partis d’opposition. Il est gros, gonflé, malgré son séjour amaigrissant au camp Boiro. Il m’arrive de l’imaginer sautant en parachute, mais incapable de tomber malgré son embonpoint. Comme je connais ce pays, quelqu’un devait être en train de chercher des ciseaux au PUP pour couper les bretelles de son parachute flottant. Quand tu tomberas Gomez, viens faire un tour au Lynx ! Tu pourras t’occuper de notre sécurité, mais nous ne voulons pas de "coup de poings".

Je suivis ma pensée, en regardant l’unique ampoule qui commençait à clignoter. On devinait un technicien d’Enelgui, luttant et suant, courant d’un bouton à l’autre pour encourager le courant qui se décourageait à travers d’innombrables branchements clandestins.

La lumière finit par se stabiliser. A la télé, se trémoussait une vieille qui avait suivi la carrière épidermique de Mickael Jackson, une sorte de Wolof devenue albinos. Et si j’écrivais sur les produits éclaircissants, blanchissant.

J’avais trouvé mon idée. Pour une fois, ma chronique serait scientifique. Je me levai pour chercher une revue traitant du sujet, tout en lorgnant l’ampoule et priant Saint Enelgui pour qu’il poursuive son miracle.

Je me dirigeai vers la cuisine. C’est là où je mets mes vieux journaux. C’était bourré de cancrelats, mais ils étaient seuls à pouvoir faire peur à la première habitante de ma maison, une souris, grande lectrice de tous les papiers, la terreur, le cauchemar de mon chat. Il paraît qu’à Boulbinet, certains chats parlent. Le mien était sourd-muet, il ne payait pas la SOGETRAC. De temps en temps, je lui donnais un coup, le jetais par la fenêtre en souhaitant qu’il se casse une patte pour qu’il ait droit à un tricycle d’infirme, que je lui emprunterais pour faire mes courses.

Je finis par trouver ce que je cherchais. C’était une revue belge vieille de plusieurs années. Un hebdomadaire appelé ‘l’instant’. Encore une histoire belge. Pendant que je rangeais les journaux, les cancrelats s’étaient regroupés dans un coin, les antennes dressées plus haut que celles de la RTG. L’ampoule était toujours allumée. Je n’y comprenais rien. Presque 10 heures que le courant passait. On se serait cru dans un autre pays.

Bon ! toutes ces histoires de dépigmentation de la peau avaient commencé par le savon ‘Asepso’, utilisé comme désinfectant par le corps médical, à cause de sa teneur en mercure, le savon s’est révélé comme éclaircissant.. En fait tout a commencé il y a longtemps…une nouvelle version de la genèse, en technicolor. Caïn fut noir, Abel blanc. L’éternelle accusation, l’interminable condamnation…L’exil, la traite des noirs, la colonisation, les indépendances. On blanchissait tout déjà au début. La tenue du militant du PDG, la mauvaise conscience des « aveux ». Et puis Lanchatna. Avec lui, le nouveau régime lavé à l’OMO, pourrait être plus blanc que le blanc de l’œuf, avant de trouver le jaune. On était malade du foie ou plutôt de la foi, en ce sacré mois de carême.

Mais où est le problème ? Comme me le disait mon prof. de math, qui avait plus de problèmes à la maison qu’en classe. Ensuite, il ajoutait : « le jaune ce n’est pas grave. Ce qui est grave, c’est ce qui n’est pas jaune ». Je n’y comprenais rien au début. Il paraît que c’est à la fin qu’on commence à voir le début. Quand c’est trop tard.

J’ai relu la revue ; très vite une quantité de produits à base de mercure, à partir du Nigeria et de l’Angleterre s’est installée. On voulait être blancs après avoir voulu chasser les blancs alors d’autres chercheurs plus intéressés apprirent à éclaircir davantage les peaux à partir de l’hydroquinone (savon, crème, gel et lait…). Les Américains comme d’habitude, pour des raisons mercantiles, trouvèrent d’autres vertus éclaircissante à la cortisone. Ce produit fut bientôt dans les rayons de certains pharmaciens.

Ces produits étant conçus pour d’autres utilisations, leur utilisation a créé d’autres problèmes éthiques et épidermiques. Ainsi la cortisone crée des problèmes, comme la dilatation capillaire, l’acné la rosacée ou la fragilisation de la peau. Sans compter l’hyperpilosité et une nouvelle répartition de la masse graisseuse (les troncs se fortifient pendant que les membres inférieurs s’infirment).

De toute façon les fabricants de ces produits ne sont sous aucun contrôle. C’est pourquoi l’OMS a fixé à 2% la teneur en mercure d’un morceau de savon. Sinon, les risques de la dépigmentation peuvent entrainer un cancer. En réalité ces produits dépassent leur 8% en mercure.

L’hydroquinone à première vue inoffensif, comme l’affirmait la société « Cosmebel » seule société belge fabriquant des cosmétiques, blanchissait à partir de cette hydroquinone.

Cette hydroquinone utilisée de façon artisa-nale est un produit très dangereux. Le plus grave, c’est que pour obtenir un résultat plus rapide, certaines femmes osent utiliser de l’eau de Javel plus de la potasse ou des poudres à lessiver, mélangées à des crèmes hydratantes, quand elles sont pauvres.

La femme noire dépense plus qu’une femme blanche, pour devenir blanche. Nos sœurs aiment le « paraître ». Elles ont raison. Mais nous les préférons telles qu’elles sont, sans artifice, pour ne pas qu’elles vendent leur peau.

P.S. Ces dames éclaircies, qui se sentiraient concernées, peuvent nous écrire pour nous indiquer le prix de leur changement de peau. C’est mieux que de se jeter de l’acide à la figure à cause d’un homme partagé.

Williams Sassine

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 54

Présentation

Date1993/03/15

GenreDocumentation - Presse

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Fiche : Elisabeh Degon, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes, CNRS-ENS ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)

Éditeur de la ficheClaire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

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Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022

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