Les folios

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Sassine, Williams, 67. Abidjan !, 1993/06/28

Claire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

Consulté le 13/08/2025 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/francophone/items/show/3411

Texte de l'article

Transcription

N° 67, 28 juin 1993 : Abidjan !

Bon ! J’étais à Abidjan. Evidemment pas attendu à l’aéroport, je n’avais qu’à me débrouiller avec mes francs glissants dont personne ne voulait.

C’est du franc lourd, par le poids du papier. Yans-la-glisse qui est derrière pour pousser en sait quelque chose. De toute façon ce Yanchané ne boit pas, ne croque pas, ne fume pas, ne reçoit pas, toujours d’après lui. Il a dû oublier même son ego quelque part, quand on a fait le « camp Alpha Yaya » en 1961. Quand je finirai ministre, je lui interdirai un tas de choses.

Donc j’étais à Abidjan, avec courant et eaux ; je me lavais pour mon plaisir, ensuite pour ma peau. Le téléphone ne marchait pas. Je voulais appeler un certain Sow pour un message du Lynx. J’étais logé dans un petit bordel. Koly faisait de son mieux pour me mettre à l’aise.

C’était comme quand Senghor disait : « Sénégalais et Sénégalaises, mettez vous à l’aise ». C’est juste après qu’il a mis Abdou à sa place, pour prendre la place d’un académicien, mort il y a plein d’années. Mais comme lui même (sic : est) mort déjà, ce n’est pas grave.

J’étais donc dans ce bordel. Bordel de films porno ! 24 heures sur 24 heures. Il y avait du courant, mais toujours ce mec et cette fille payés pour crier Hi ! Han ! De l’overdose ! A Conakry c’était mieux. On coupe le courant parce qu’il n’y a rien à voir.

Entre un petit bordel d’Abidjan et ma maison à Conakry. Difficile de choisir à première vue, mais comme on a les doigts longs à Conakry, on pouvait se gratter la cervelle sans problèmes. On s’en fout comme Lan-Chat-na qui ne veut pas retrouver mon coq à la queue tordue. Chat ne fait rien. Sous mes pieds est passé un petit lézard plus gros que nos caïmans à Kankan. Il avait faim et il trouva un bout de pain abandonné. Houphouët travaillait bien.

Je me disais tout ça quand j’appris que per-sonne ne voulait rendre le pouvoir. Moussa Patatras-oré lui était pris. Mobutu Sésé Sekwa quoi, refusait de se rendre, Eyadémon refusait de partir, Syad s’était Barré de Somalie, Lan-Chat-na fatiguait ou corrompait ses adversaires…Et moi, j’étais là comme un cocu, à la façon des intellectuels assis à ne rien faire. Mais on s’en fout ! Les paysans ne font pas mieux. Ils fabriquent des pommes de terre dont personne ne veut, parce que celles qui sont importées coûtent moins cher. Mais on s’en fout. Depuis quand le paysan guinéen a pu faire vivre les autres, si ce n’est pas les mille chiens qui sont devenus militaires par la grâce de Lan-Chat-na. Toutes ces personnes là auraient dû naitre au Libéria pour apprendre à mourir pour quelque chose. Quand je parle de quelque chose, je veux parler de tout, puisqu’il n’y a que les choses qui nous débordent. Par exemple les poubelles. Et les putes…

Donc j’étais dans ce bordel à Abidjan, me demandant pourquoi même un bordel abidjanais était plus bordélique qu’un bordel de Conakry. Question d’eau sans doute. A Abidjan on peut se laver après les vraies affaires. Il y a même du courant pour se mirer et voir si les cheveux ne sont pas dérangés.

Et d’un coup, à la place des partenaires du Hi ! Han apparemment fatigués de faire ce bruit, la télévision nous présenta Houphouët, en train de recevoir le couple princier du Japon. Je me suis posé bien des questions. On ne sait jamais avec ces japonais, ils sont les plus forts. Wallahi ! Comme le jurerait Lan-chat-na, en ajoutant Billahi ! Trillahi !

Je suis obligé de réfléchir maintenant forte-ment, intensément sans Enelgui, pour trouver un sujet de mon « billet ». Pas un billet glissant, pour accompagner cette chronique. Je n’en trouve pas. Je ne suis plus habitué à la propreté, à l’ordre, aux feux rouges, je suis déjà pressé de retourner à Conakry, pressé comme un citron. Il n’y a que Lan-chat-na qui ne soit pas pressé. Même pour les ex-futures élections. On s’en fout ! Wo Fatara ! Où est le problème ? Puisqu’il n’y a que des solutions dissolvables à volonté, comme du pastis ou les partis d’opposition qui continuent de « progresser » en parties opposées. Mon Dieu, j’ai envie de devenir moi aussi ministre comme le gros La Gomme pour leur distribuer des bâtons de policier… Après ils n’auraient qu’à se taper clairement dessus. On s’en Fout ! De toutes façons quand on est derniers de la classe, pourquoi ne pas continuer à dormir ? Les premiers n’ont qu’à se battre entre eux. Lan-chat-na, lui ne se bat plus. Il est même président non élu depuis dix ans. Chat là même. C’est Bon Dieu qui l’a voulu d’après lui. Le travail, la justice, la solidarité, on s’en fout, Wallahi ! Les chômeurs n’ont qu’à aller ailleurs. De toute façon ils n’ont rien à perdre.

Puisqu’ils ont déjà tout perdu. Mais, qu’ils laissent leurs femmes, si elles sont jeunes. La jeunesse c’est l’espoir du pays, comme disait l’autre président, celui qui ne faisait pas de cadeaux à ses opposants. Tout juste une corde. Ça ne coûte pas cher une corde, et ça peut resservir pour d’autres.

Mais chat ne fait rien, puisqu’on est entre chats. Même le « Lynx » est un chat. Alors chat tombe bien. Tous ces chats là auraient dû faire partie de notre équipe nationale de foot. Si on doit perdre pourquoi ne pas prendre des vrais perdants ? Au moins on saurait où on en est. C’est chat le sport. Même si on s’en fout du foot. On ne sait même pas faire ou fabriquer le « foufou », comme les ivoiriens. De toute façon, merci Lan-chat-na ! Avec vous, on est tranquilles puisqu’on est fou sans le sou, ou plutôt parce qu’on est sans le sou en faisant le fou. Demandez aux travailleurs.

Sassine

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 67

Présentation

Date1993/06/28

GenreDocumentation - Presse

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Fiche : Elisabeh Degon, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes, CNRS-ENS ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)

Éditeur de la ficheClaire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

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Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022

67. Abidjan !

Auteur(s) : Sassine, Williams

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