81. Au théâtre armé

Auteur(s) : Sassine, Williams

Les folios

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Sassine, Williams, 81. Au théâtre armé, 1993/10/04

Claire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

Consulté le 29/08/2025 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/francophone/items/show/3423

Texte de l'article

Transcription

N° 81, 4 octobre 1993 : « Au théâtre armé »

C’est Fory Coco que nous attendions pour l’inauguration de son petit pont de Tahoua.
Mais c’est la Gomme qui vint à la place au « Palais du Peuple ». Il ne faut pas chercher à comprendre : Tahoua n’est pas au Palais et une représentation théâtrale n’est pas un minable petit pont.

Moi j’aime bien Gommez. Il est ministre de tout et de rien. Au « Palais » avant son arrivée tardive, on le présenta d’abord comme ministre de la culture. Ensuite comme ministre du Sanatorium. Au point où on en est, on s’en fout !

Je grillais des cigarettes dedans parce qu’il est « interdit de fumer » dans la salle. J’imitais notre Président non élu. Parce qu’en ce moment tous les guinéens sont des présidents non élus, sans garde de corps, ni hélicoptère…C’est chat la différence. Un béret rouge c’est très important pour une représentation théâtrale. On n’avait d’yeux que pour celui de la Gomme. La main posée sur son arme, lui il n’était venu que pour regarder le public, les « yeux dans les yeux » comme l’aurait dit l’ex… M. Giscard d’Estaing. A défaut de passer au Liberia, on peut toujours essayer de terroriser des amis du théâtre. Dieu Merci ! La pièce montée par Fifi Niane Tamsir et Kiridi Bangoura prit fin sans incident. Personne n’osait éternuer près du ministre. La fille qui jouait à la pleureuse sur scène, tint son rôle à merveille. Pleurer sans arrêt pendant 10 minutes ! Je me demande si cette comédienne n’est pas une enfant de déflaté… Tout était parfait jusqu’au bout. Et c’est chat qui commençait à m’inquiéter. Parce que si quelque chose marche, il faut se dépêcher de rentrer. Chat se gâte très vite après. On me déposa à mon bureau chez « Marco Polo ».

L’équipe était là. On me félicita comme si je revenais de la Mecque. Il est vrai que la plupart d’entre eux, situaient le « Palais du Peuple » entre Djarkarta et le Fouta Djalon. Ils étaient nés et avaient grandi à Tahoua sans voir la mer. Pourtant on comptait un pilote sans « Erre Guinée », un pêcheur sans pirogue, deux étudiants sans université, un démarcheur sans jambes, quelques putes sans clients, tout chat là quoi ! J’étais leur aventurier, le tophe (sic : Christophe) Colomb. En effet sortir du « Palais du Peuple » la nuit, est un défi contre l’insécurité. Même les chiens à certaines heures, n’osent pas s’approcher de notre illustre bâtiment. Ses locataires, des chinois, leur courent après pour les faire cuire. La Gomme lui, pour nous rassurer, est sorti à toute vitesse, poursuivi par son ombre et celle du béret de son garde du corps. Un instant je crus que c’est le ministre qui portait le béret. Donc j’étais en train de jouir de l’accueil qu’on me faisait, quand je me suis senti bousculé. Je me retournai, je vis les trois plus grosses femelles au moins une tonne. Margot la Baleine, celle qui pouvait faire disparaître un homme entre ses mamelles à côté ou de loin, était une fleur posée aux pieds d’une forêt de baobabs.

Un coq déréglé commença à feuler. Il devait croire que c’était le matin parce que notre courant passait en courant. Quand le courant fut loin, l’animal se tut, pour attendre l’arrivée de son prochain soleil instantané comme le « Nesca-café » comme dirait un bègue.

Mais les trois monstres au féminin prirent la relève. Tout le monde se leva pour leur faire de la place. A trois, elles remplirent chez Marco Polo, comme un œuf. Et on se retrouva dehors. Après tout on s’en fout ! On remplit les femmes, certaines neuf mois après, remplissent les bars. Chacun son tour. On entendit crier. C’était quelque chose entre des rugissements de lion et des sifflements de serpents. Marco Polo passa en courant de l’autre côté de la rue, il nous lança :

- Essayez de les arrêter, pardon ! Elles sont en train de vider tout et elles ne veulent pas me payer. On peut aimer quelqu’un et de pas pouvoir l’aider. Un peu le cas de Fory Coco avec notre pays. Si Bangoura Kiridi avait eu l’idée de faire sortir sur scène une comédienne avec un pistolet en bois, je devine le massacre après. Mais on s’en fout ! Un cireur de chaussures passait. Je lui dis : « Il y a beaucoup de femmes en face », il prit sa torche et pénétra dans la grotte à fauves. Je m’attendais à le voir passer par « Guinée-erre-serre-vis » en fauteuil éjectable, mais il revint seulement sans la torche.
- Elles sont gentilles les grosses, nous confia-t-il. Elles n’avaient pas de chaussures, alors j’ai ciré leurs pieds. J’ai pensé aux anciens dignitaires qui ciraient en ce moment les pieds sans chaussures des nouveaux dirigeants. Il est plus propre après tout, notre Fory Coco que tous les autres (apparemment !).

Le problème ? Je me demandais si sa décla-ration habituelle du 2 octobre, serait un somnifère ou une aspirine. Incapable de lire sans passion, sans y croire.

Je voudrais bien lui suggérer de faire sa lecture en « braille » pour non voyants, ou en « Morse » pour marins perdus. Parce que nous sommes, ou aveugles ou perdus, en plein océan dans ce multipartisme, genre fille-mère sans aucun consentement familial.

- Je crois qu’on les a envoyé pour démolir mon bar, me dit Marco. Il faut laisser tranquille Fory Coco dans tes articles.

Un autre problème encore. Une chronique est l’une des parties les plus difficiles dans un journal. Si je ne mets pas Fory Coco sous mes dents arrachées depuis longtemps… Qui commande ce pays ? Par qui le remplacer ? Chaque fois que je regarde la brochette de ministres, je ne trouve qu’un tas de graisse et d’os.

Fory Coco, aidez-moi à trouver des idées, ou des dossiers. C’est vous qui les aviez nommés, et qui les faites jouer votre pièce. Alors ?

Williams Sassine

Billet

« À propos de soutien… »

Je suis sorti de la pièce de théâtre de Kiridi et de Fifi en me frottant les mains. Leurs comédiennes avaient des seins droits. En bon cartésien formé ailleurs, j’ai cru que ça pouvait exister donc des seins droits.

J’ai donc créé moi aussi ma pièce, et j’ai commencé à essayer de choisir mes comédiennes.

La première candidate avait 2 soutiens.

La 2^èmeavait 3 soutiens.

Je n’osai pas déshabiller la 3éme.

Qui osera déshabiller la 3^èmeRépublique ?

W.S.

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 81

Présentation

Date1993/10/04

GenreDocumentation - Presse

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Fiche : Elisabeh Degon, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes, CNRS-ENS ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)

Éditeur de la ficheClaire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

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Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022

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