76. Complainte de mon muezzin

Auteur : Sassine, Williams

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N° 76, 30 août 1993 : Complainte de mon muezzin

Ce pays-là, mon frère ne me fait plus peur, puisque je ne sais plus où aller.

Dès que je dis le matin « Allahou Akbar » quelqu’un tire. C’est le bon Dieu ou moi qu’on veut chasser. J’ai tellement déménagé que je ne sais plus où est l’est. Mais Allah est grand ! Demain encore je dois partir, quelqu’un m’a promis une case dans un maquis. Je ne boirai pas. C’est promis ! Mais je réveillerai les buveurs. Inch Allah, C’est comme chat la vie.

Regardez le cas de Fory Coco. C’est un chat, un pigeon, un singe ou un ex-éléphant ?

Des questions seulement, il pose. Il va partir ou il veut rester ? Pour moi c’est clair. Moi je dois déménager. Mais c’est la vie de ! Chaque chose a son temps. Sinon, qui savait que j’allais devenir muezzin. J’ai tout fait dans la vie.

C’est un vieux car qui m’a fait devenir le serviteur de Dieu, que son âme repose en paix, dans notre saint régime ! Le Pape, lui, il ne reviendra plus. Que Dieu ait son âme à lui aussi, et à tous ceux qui quitteront un jour pour ne plus revenir ! Je pense à des copains de maquis qui sont loin, comme les membres du gouvernement.

Le brevet n’est pas bon, le bac n’est pas bon. Même le bac de Kouroussa est fatigué. Moi, quand ma fille me demande « c’est quoi deux fois deux », je réponds c’est deux plus deux.

Mais c’est la vie ! Tout est mélangé mainte-nant. Même l’addition et la multiplication. Ne parlons pas des autres opérations-là. On te dit qu’un franc CFA c’est 3 francs guinéens. Après, on vient nous annoncer que tout chat-là, n’est pas franc. Et puis il faut recommencer les calculs, comme si on te dit, le devant d’une femme, c’est son derrière.

Dieu merci ! Moi je suis rentré dans la religion. Là, au moins c’est clair. On a 43 prophètes en politique qui croient qu’on va pouvoir choisir un seul président. Mais on s’en fout, nous les vrais croyants ! L’ancien président est venu et il est où ? Même s’il veut écrire encore à Fory Coco pour lui demander des contes, la poste ne marche pas.

Mais Fory Coco, lui, il ne connaît pas raconter. C’est pourquoi il laisse parler à sa place devant les déflatés. Sinon, les problèmes de ces gens là ce n’est pas un problème. On a qu’à les transformer en muezzins comme moi. Au lieu d’aller remplir des ministères vides, ils n’ont qu’à crier 5 fois par jour « Allah est grand » quand le courant d’Enelgui passe en courant…

Moi, je vous dis à ces frères-là, que si on ne leur trouve pas assez de mosquées, il y a plein de maquis partout pour tomber sans se fatiguer. On leur a déjà répété ou tripeté même, que si le pays ne va pas, le gouvernement lui, il se porte bien. Alors où est le problème ? C’est le pays qui est important ou un gouvernement ? Mes compatriotes là même sont compliqués. Parce que comment devenir (com) patriotes sans être cons. L’autre moitié en cours de route. Ce n’est pas parce que je suis méchant. Mais je suis comme Fory Coco, mes poches sont petites. Est-ce que notre chef là, peut amener dans ses poches, 20 ou 30 poulets à chaque conseil des ministres ?

Son ministre du plan lui seul peut manger ces 30 poulets-là, tellement il ne mange pas comme les autres gros.

En tout cas avec Fory Coco, il a mis du piment poivre gombo dans la marmite de son gouvernement, mais il manque l’arôme importé du goût des « sortants » de poly. La rentrée scolaire arrive pourtant…Pardon, plus de «brigade anti tout» au campus. S’ils se croient costauds, Charles Taylor (qui a déjà gagné sa guerre comme l’annonçait il y a plusieurs mois) les attend au Liberia.

Il va bientôt être l’heure de libérer ma voix. Allah est le tout puissant. Il pleut et je dois partir. Il pleut mais il n’y a pas à boire dans les robinets, Fory Coco. Ce n’est pas bon, mais c’est comme chat. N’est-ce pas ?

Ma quatrième ex femme m’a écrit l’autre jour pour me dire le kilo de riz que je lui ai renvoyé il y a 6 mois à Kankan n’est pas encore arrivé. Le train chat marche ou chat ne marche pas. Sinon, donnez mon kilo de riz à notre opposition qui ne marche pas encore parce qu’il pleut.

« La route infinie de l’histoire » est pourtant encore là, sous le « pont des pendus », route qui essaie de se débrouiller pour rejoindre une autre infinie ou indéfinie qu’on appelle la « route de prince ». Là-bas, quand il pleut, arrête les travaux. Quand il ne pleut pas, on dit qu’on attend la pluie.

Hé Kéla ! Mon kilo de riz, où il est ? Mettez-le dans un train, ou « R quelque chose » même sans pilotes, parce que tout le monde veut piloter ce pays-là, mais mettez mon kilo de riz dans tout. Ma femme a faim. Les deux petits qu’elle a fabriqués en mon absence, avec un salopard, ont eux aussi besoin de ce kilo. Si vous ne pouvez pas m’aider pour un kilo, qu’est-ce que j’allais faire en envoyant un sac plein. Dieu aide les pauvres ! Il m’a permis d’économiser 100 kilos moins un kilo.

Moi, je n’aime pas beaucoup les calculs. Je connais un vieux, il habite près de chez vous ; il est au 3^èmeétage. Chaque matin, il monte deux seaux d’eau et il redescend avec trois seaux vides. Dans combien de temps, si le train de Fria qui l’empêche de dormir s’arrêtait, pourra t-il remplir la baignoire trouée abandonnée par les blancs en 1958 ?

Les calculs, chat n’est pas bon ! C’est pour chat que Dieu, notre Seigneur a créé les pauvres, comme nous et la banque centrale pour que l’argent glisse entre les doigts de ceux qui volent. Quand on sera tous pauvres comme vous, combien chat fera de pauvres ?

Hic ! Hic ! Moi aussi, je commence à attraper le hoquet. Dès qu’on parle un peu de vous, Fory Coco, on attrape le hoquet. Hic ! Hic ! Après les gens vont dire partout que moi je bois. Que celui qui est plus propre que moi, dans le gouvernement lève son petit doigt.

Hic ! Hic ! Wallahi, personne n’osera. On se connaît dans le pays. C’est Allah qui a fait plusieurs guinéens, mais en disant qu’un homme fera de nous, une Guinée remarquable, la dernière des guinéens (sic : Guinée?).

Le matin est presque là. Le coq commence à ouvrir un œil. Il faut que j’aille le surveiller de peur que le voisin ne me « l’emprunte ». Je ne suis qu’un muezzin. C’est mon fils qui écrit. Il a cinq ans. Heureusement qu’il ne va pas dans l’école du quartier, où ils sont plus de 80 dans une salle. Allah est grand !

Sassine

P.S.

Fory Coco, je n’ai pas fini. Mon fils ne connaît pas très bien le subjonctif. Il me demande souvent : « Papa, quand on a un pays bon comme un bonbon, il faut dire que le suçasse, que je le suçusse, que je le sachasse, ou que je le suchasse… » Moi je lui réponds que tout chat-là, ce sont des chaussettes…

Mon général, le petit attend votre prochain discours, pour voir si vous mettrez dedans un minuscule subjonctif. Quand le président malien est arrivé à Kindia, tout le monde a défilé, même les serpents. Mais on n’a pas vu de chevaux. Pourtant, il paraît que…Ils ont été en tout cas aussi invisibles que le subjonctif de mon fils dans vos discours.

C’est dur d’être un chef. Moi heureusement je suis seulement un muezzin. On ne demande pas à un muezzin d’appeler les fidèles au subjonctif.

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 76

Présentation

Date1993/08/30

GenreDocumentation - Presse

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Fiche : Elisabeh Degon, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes, CNRS-ENS ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)

Éditeur de la ficheClaire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

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Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022

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