65. Bonne fête les moutons !

Auteur(s) : Sassine, Williams

Les folios

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Sassine, Williams, 65. Bonne fête les moutons !, 1993/06/14

Claire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

Consulté le 29/08/2025 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/francophone/items/show/3409

Texte de l'article

Transcription

N° 65, 14 juin 1993 : Bonne fête les moutons !

Je m'étais levé tôt ce jour là. Mon mouton dormait...Pourtant c'était sa fête. Évidemment, ce n'est pas toujours gai d'attendre qu'on te coupe la tête, pour faire ta fête. Mais était ce de ma faute, s'il était mouton et moi musulman ? En plus on était jour de Tabaski.

Je regardais mon pauvre petit mouton, au clair de lune, ou plutôt de ce qui restait de ce « clair » à cause des nuages, de la pluie qui se préparait. Et je commençai à penser, en me grattant de bas en haut, ensuite à l'intérieur de la bouche. Je redescendis un doigt vers ma cheville blessée, tout en regardant le mouton, pour m'assurer que quelqu'un ne viendrait pas me voler. On ne sait jamais.

Un mouton normal, se compose de quatre pattes, d'une tête et deux oreilles avec plein de dents au dessus d'une queue. A l'intérieur de l'animal, il y a un foie, un cœur, des intestins, un estomac, avec autres choses encore.
Le petit mouton se rendit compte que je faisais sa comptabilité. Il se leva et commença à bêler. Personne ne lui répondit. La solitude ! Je lui dis « L'homme naît seul, et meurt seul. Comme un mouton » Il bêla encore pour raturer ma profonde philosophie. Je lui dit encore: « Tu ne souffriras pas autant que Samuel Doe ».

Apparemment, il s'en foutait des anciens pré-sidents qui avaient refusé de quitter le pouvoir. Il me regarda encore, comme si c'était Socrate quand on lui présenta son poison pour le boire. C'était à pleurer. Finir son existence dans une marmite, un jour de fête. Mon regard de Lynx voyait dans sa pensée, et c'est ce que je voyais.

Et je refis un autre calcul. Dès que le petit mouton arriva dans ma cour, 108 personnes vinrent me saluer. Comment diviser ce mouton entre 108 personnes, sans compter les miens et les amis et les frères, une sœur ? Mieux valait chercher la valeur exacte de π (3,14...).

Ah, si j'étais un général de la division, j'aurais déjà trouvé. Pourquoi m'avait t-on mis à l'école pendant des années et des années, si dans ce matin auguste, j'étais incapable de consoler mon mouton en le divisant par 108 et poussières, même en ajoutant les 2 cornes, les 4 sabots, les poils, les crottes, je me retrouverais pas.

Alors je m'approchai du mouton, et lui fourrai de force des feuilles dans la bouche. Dans deux heures, il ferait jour et mon mouton devait grossir rapidement, prendre la taille d'un éléphant, sinon, il allait mourir et me laisser dans des tas de problèmes. Si j'avais le téléphone et si ce téléphone marchait, j'aurais appelé le ministre du plan et des finances, pour pouvoir m'acheter à crédit, auprès de la Banque Centrale, une vache qui ne glisse pas.

Je finis par répéter à mon mouton « Ne pleure pas, tu ne seras pas enterré. Tu seras dans nos WC qui débordent. Comme c'est la saison des pluies, tu seras nettoyé un jour vers la mer. Comme la mer se déplace, selon les courants, tu te retrouveras peut-être dans quelques mois, aux États-Unis, sans payer ni visa, ni le transport. Au fond je t'envie... »

Mon argument n'eut pas l'air de le toucher. J’eus l'impression que mon mouton n'était pas guinéen. Il avait dû venir à Conakry à la nage. Peut-être du Liberia, ou de Sierra Leone. Il fit quelques pas en arrière, et me fonça dessus d'un coup, cornes baissées. Gomez aurait pu l'éviter, lui qui savait feinter ses propres partis d'opposition.

Mais moi, je ne suis pas de ceux qui ont peur d'une conférence ou circonférence nationale. Le monde étant ce qu'il est, et ne pouvant en être autrement, comme le dirait un chômeur du 2ème régime, je fis face. Il ne me manquait qu'un béret rouge, des gros bras et une grenade. Mais la guerre ce n'est pas la paix.

Au premier coup de boutoir dans mon ventre, je tombai. Mon mouton eut le tort de reculer encore, j'en profitais pour me relever ; ce mouton là, c'était peut-être Charles Taylor, ou un de ses agents. Il fonça de nouveau mon Charlot, je me couchai et lui fis une planchette japonaise. Cette fameuse planchette en judo consiste à se coucher sur le dos, comme une femme amoureuse, les genoux relevés ou allongés et au dernier moment, on balance l'adversaire en arrière. Un autre jour j'expliquerai tout cela à nos administrateurs. De temps en temps, le « Lynx » disparaît à cause de cette planchette.

Donc le mouton passa au-dessus de ma tête, plus rapide qu'ERRE GUINEE.

Je me relevai aussitôt, pour lui faire une clef, lui serrer la gorge. Il réussit à se dégager et me dit : « Un musulman ne peut tuer son mouton qu'en l'égorgeant ». Je lui tendis une main réconciliatrice, comme la main de Lansana vers certains leaders de « partis d'oppositions ». Et je lui serrai une patte. Il me dit encore : « Tu as le couteau ? Il faudra bien que tu me tues pour laver tes péchés, sinon, tu ne changeras jamais »

Je pensais à mon pays. Un coq chanta, ce n'était pas sa fête, mais la fête des moutons.

Williams sassine

Billet

« L’humour d'une humeur »

J'étais revenu avec des devises et il me fallait travailler sur le billet glissant de Yansané. Le « Lynx » n'avait pas prévu un poste de gouverneur de sa banque. Il tirait plutôt le diable par la queue ; la queue appartenant à tout le monde, dans un pays de diables, il ne restait au « Lynx » que le choix de son propre diable.

Alors, on transformera notre bureau en camp « Boiro » ou camp « Boira ». En attendant de retrouver deux de nos numéros disparus comme les dates des élections. Mais on peut Conté sur Fory Coco. Il sait ce qui se passe, et comment chat va.

Sassine

Billet

« Mémoire d'un pied coupé »

Pendant 26 ans, j'ai joué au ballon avec mon propriétaire, Ibrahim Condé dit « Remetter ». J'étais le pied droit, celui qui marquait les buts, celui qu'il posait à terre le premier, quand il se levait le matin. Mon frère le pied gauche, qui me suivait, ne sait pas, ne saura plus où je suis.

C'est le 27 mai 93 que tout s'est passé. J'étais devant mon portail à 13 heures quand la brigade antigang m'a balancé une grenade. On m'a abandonné en morceaux et on a transporté mon jumeau. Pied gauche à l'hôpital Donka. Je ne le reverrai plus, nous ne jouerons plus au ballon ensemble.

Merci monsieur Gomez, je resterai une mémoire anti-grenade de notre monde coupé comme moi du sport, du vrai.

Sassine

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 65

Présentation

Date1993/06/14

GenreDocumentation - Presse

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Fiche : Elisabeh Degon, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes, CNRS-ENS ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)

Éditeur de la ficheClaire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

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Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022

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