57. Une histoire sans faim

Auteur(s) : Sassine, Williams

Les folios

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Sassine, Williams, 57. Une histoire sans faim, 1993/04/05

Claire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

Consulté le 22/08/2025 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/francophone/items/show/3402

Texte de l'article

Transcription

N° 57, 5 avril 1993 : «Une histoire sans faim»

« Quand Jésus arriva, Lazare était déjà au tombeau depuis 4 jours. »

Je coupai la radio. On était dimanche. On continuait à se casser la gueule au Liban, au Libéria, sans compter les bombes qui tombaient là où elles pouvaient. Un peu comme notre recensement qui d’après La Gomme « peut-être considéré comme satisfaisant » en oubliant qu’il n’a pas été lui-même recensé probablement. De toute façon, il nous faut bien un gouvernement qui doit faire semblant de pouvoir remplacer le précédent.

Quelqu’un remit la radio, bientôt « la rubrique nécro ». Il adorait ça le type. L’enterrement des autres devait le rassurer sur la non nocivité des cigarettes qu’il avalait.

- Il y a quelqu’un qui s’est pendu assis, nous annonça « le géant de la forêt » de son tabouret plus haut que lui.

- C’est dans ce pays qu’on peut voir chat, fit Marco Polo. Moi un de mes oncles s’est tué avec un fusil mais sans blessures. Pas une goutte de sang nulle part, wallahi ! On aurait dit qu’il s’était suicidé avec son lance-pierre.

Hé kéla ! J’étais payé pour penser ou panser. Mais comment me retrouver avec tout chat ?

Moïse, l’oiseau de malheur, arrivait avec un interminable poste-radio, branché sur « radio-pékin »

- Les amis, une bonne nouvelle ! Mobutu fabrique des billets de 5 millions de Zaïre. Tous les zaïrois sont devenus riches, alors que nous ici, hein ? Vous n’avez pas vu Django ? Il me doit une cigarette. Prendre une cigarette à Django équivaut à vouloir arracher le dernier doigt d’un manchot. D’ailleurs Django avait très souvent les bras dans du plâtre, pour s’empêcher de les mettre en poche. Il avait sa philosophie : « Mieux vaut les proches que les poches ». Socrate qui ne l’a pas écouté en est mort depuis des milliers d’années.

Comme quoi un proche plein est préférable à une poche vide. Lan-chat-na peut en témoigner, lui qui a plein de nouveaux proches et de poches neuves. On ne peut pas être Président non élu sans les deux. La sagesse n’appartient pas qu’aux sages. C’est comme les armes, elles n’appartiennent pas qu’aux militaires. Même la politique est l’affaire de tous. Prenons nos 42 partis dont les 90% ne sont que du pastis noyé. Une façon de les « blanchir » dans le PUP.

- Je ne comprends pas comment les Mauritaniens sont venus nous battre chez nous ici, dit quelqu’un en passant dans la rue.

Lui aussi avait un énorme poste radio collé à une oreille. La femme qui l’accompagnait était pleine comme un œuf. Etait-elle belle ou jolie ? Comme le dirait Bokoum.

- Moi, je peux répondre à la question du monsieur qui passe. On nous a battu, parce que nous avons joué.

C’était Fara le boutiquier en faillite. Un homme à écouter quand il s’agit de perte. Il aurait pu faire un bon ministre de l’éducation. Perdre des étudiants, les laisser tomber sans parachutes. Comme des pendus qui auraient l’avantage d’être suspendus sans être assis.

Alors, si on ne joue pas on gagnera une finale, dit « le géant de la forêt ».

Ça commençait à être compliqué faire un dis-cours inutile ou des phrases insensées, comme Lan-chat-na. Je plongeai dans mes pensées plus profondes et troubles que les intentions du nouveau régime. Je plongeai donc sans scaphandre, sans oxygène pas d’azote. Rien quoi. Comme le pays quoi ! Ou comme le pays du quoi ! Pas facile à comprendre quand ce qu’il faut comprendre, est déjà compris. J’avais mes cons, le gouvernement avait été pris plusieurs fois. Je ne vivais que du reste. Heureusement que Lan-chat-na avait volé mon coq, le plus menteur du quartier, celui qui chantait à midi en faisant croire qu’il était 6 heures. Un coq canadien, né à Conakry, grandit tout chat là en Guinée. Mais où était le chat ?

Lan-chat-na ne disait rien, il s’embrouillait entre le n’importe qui et le n’importe quoi.

Mais avec les capotes à la « pharmacie des écoles » le multipartisme était possible. Notre démocratie étant stérile, mieux vaut la cacher dans du caoutchouc.

- Vous connaissez les dernières nouvelles ? Le rallye, le premier a été annulé par le seul gouverneur. Dan Fonio ne veut pas tout chat là quoi.

Je ne savais pas qui parlait de quoi ou de qui. De toute façon, ce n’était pas le plus important presque rien ne pouvait être important, tout étant importé.

Hé Kéla ! Un autre racontait en face. Moi mon père avait tout ici. Même le terrain de foot est pour nous. Mon père qui donnait 100 000F par semaine à la mosquée est mort comme chat. On a dit qu’il buvait. Boire ou Boiro c’est quoi le plus mauvais ? Hein !

On s’est tus. Une colonne de futurs mara-bouts passait, tous de blanc-vêtus, comme dirait un poète mal inspiré. Des pique-bœufs, leur foi à la bouche. Nouvelle version du Pédégé.

C’était jour de la fin du Carême. J’ai regardé ces bonnes gens avec leur bonne conscience annuelle posée sur leur tapis de prière. Je voulais profiter du silence des clients de Marco-Polo, pour essayer de penser à une histoire. La plus grosse possible, genre gros coups de balais pour nettoyer les maires.

Si je savais prier, j’aurais demandé à Dieu, un cheval, un vrai pas le genre marocain que le président non élu nourrissait à nos frais. Un vrai capable de guider un dirigeant de nos partis inutiles. Nous avons déjà suffisamment d’ânes, sauf à Kankan où nous avons bouffé les vrais ânes depuis 58. Peut-être qu’un jour Kankan sera reconnu comme une ville sans âmes et sans ânes.

- Est-ce que un âne a une âme ? Hein ? Ou c’est l’âme qui est âne dans ce pays foutu ? Hein ?

On commença à se gratter le bas ventre pour faire semblant de penser. J’attendis un peu pour entendre une réponse à ma question.

- Bon, moi je n’ai pas été à l’école. Même si je suis ingénieur. C’est la fin du mois, c’est la fête, mais on n’est pas payé. Qui peut me prêter un kilo de viande ? Sinon ma femme va faire ma fête ?

Je préférai demander une feuille à Marco Polo pour répondre à une dame décédée depuis 6 mois. Comme les PTT ne distribuent pas toujours à temps le courrier, l’absurde et la bêtise devenant une mode de vie, j’avais une petite chance de me faire lire par la défunte.

Ou plutôt et si j’écrivais au président non élu. Mais il ne lit pas. Juste pour faire partie de son énième gouvernement afin d’être gros comme Tolno, Chauve comme Sylla, arrogant et glissant comme un Yansané, calculateur comme la fille qui a fabriqué les plaques d’immatriculation, loin de l’immaculation des véhicules.

« Le géant de la forêt » les pieds flottants, les coudes appuyés sur le comptoir pour ne pas tomber, nous annonça d’un coup : « Je me marie les amis la semaine prochaine avec Marguerite la baleine ! On sera inséparables.

Dans le groupe on l’avait prévu, comme si demain Lan-chat-na nous annonçait sa candidature pour épouser la Guinée, après avoir essoufflé financièrement Sira de Novembre et Alpha Grimpeur.

- En tout cas, la deuxième République est bien là. Même si elle n’est pas encore mariée, dit un étranger qui venait d’acheter sa carte d’identité nationale.

Je fis la sourde oreille pour ne penser à rien. Mais comme dans le pays, le rien est plus important que le tout, je cherchai une moyenne. L’infini plus zéro, divisé par deux par un général de division, ça donne combien ? Une question à poser au ministère du plan et des finances.

Moïse le prophète de malheur se réveille, la langue pâteuse.

- Je viens de rêver qu’on est tous foutus. Vers « Entag » il y aura des morts à cause d’un robinet. La 2^èmeRépublique, chat sera comme la 2^èmeguerre mondiale. Bombardement partout et nulle part. Wallahi ! Billahi ! Trillahi même.

Ensuite, il retomba dans son coma éthylique. « Le géant de la forêt » en profita pour s’en servir comme pouf.

- Il n’y a pas d’homme inutile, conclut Marco Polo

Williams Sassine

Billet

« Le chat de Lan-chat-na »

Un jour Lan-chat-na décida quelque chose de très important. Aller au marché lui-même. Il acheta un poisson d’un kilo sans demander le prix. De retour à la maison, il confia son poisson à son chat qui dormait, puis ressortit.

Quand il revint, le poisson avait disparu et le chat avait la gueule ouverte.

Alors il pesa l’animal : il faisait un kilo. Il réfléchit deux moments et finit par trouver la solution au mystère : « c’est le poisson là qui a avalé mon pauvre chat » se dit-il.

Si chat continue, le monopartisme réussira à manger notre multipartisme, de la même façon.

Sassine

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 57

Présentation

Date1993/04/05

GenreDocumentation - Presse

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Fiche : Elisabeh Degon, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes, CNRS-ENS ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)

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Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022

57. Une histoire sans faim

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