86. Le 5 des cendres !

Auteur(s) : Sassine, Williams

Les folios

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Sassine, Williams, 86. Le 5 des cendres !, 1993/11/08

Claire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

Consulté le 29/08/2025 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/francophone/items/show/3428

Texte de l'article

Transcription

N° 86, 8 novembre 1993 : Le 5 des cendres !

De mon chien et de mon gardien, je ne sais plus qui ronflait. Ils auraient l’air tous fatigués, un peu vidés d’eux mêmes, à cause de la chaleur et des moustiques. Les brigands eux, attendaient en face, en jouant du tam-tam, juste pour signaler qu’ils n’avaient pas peur des autres pillards déguisés en brigades goménisées.

Je donnai un coup de pied au chien. C’est le gardien qui demanda : « Qui me frappe » ? Peut-être qu’en tapant sur le gardien, c’est le chien qui bougera. Je m’approchai donc du gardien, un bâton à la main. Il a continué à ronfler comme le groupe électrogène du nouveau sex-patrié d’en face. Que faire ? Le vieux cherchait du travail pour nourrir sa future ex-épouse qui, d’après lui n’avait que 8 ans. J’avais cédé à ses arguments de géniteur dans 10 ans, quand il aura 92 ans. L’optimisme à ce niveau, c’est du pessimisme déguisé. Mais, on s’en fout ! Où est le problème ?

Tout est possible. J’ai ainsi connu un brave type. Il était entré pour aider les guinéens à soigner leurs hémorroïdes et leurs hernies. Il m’a expliqué pour les hernies ; il suffit d’après lui, d’acheter une petite marmite, de la remplir de fourmis magnans et de s’asseoir sur les fourmis affamées.

Je ne connais personne qui a essayé. Mais aux candidats, je propose la recette pour guérir la hernimanie de ce pays. En effet tout est gros ici, surtout quand c’est bas, ou bas-ventre. Que ce soit « blanc » ou « jaune » ou « vert », les bulletins de vote, on oublie que « le rouge » fait partie des couleurs nationales, la première couleur d’ailleurs. Personne n’ayant proposé le « rouge », il se peut que ce soit cette couleur qui dessine notre destin avant le 5 décembre ou après. Il aurait été sage pour Fory Coco de se retirer, pour arbitrer. Pour éviter des histoires, que les fourmis-magnans tranchent.

D’ailleurs, pourquoi Fory Coco avec ses beaux perroquets de la Cour Suprême n’a pas pu monter les enchères à un milliard de francs ? Moi, je l’aurais fait. Comme chat, un candidat, un président. Où est le problème?

Mais, tout s’est passé dans la dignité, en l’absence de Sékou Touré, et en présence d’un certain PDG. On regrette la soustraction d’un Aliou-Vé, de Condé Ibrahima –Le maitre tribun, de Amadéous…ceux qui ont eu les 20 millions, on les connaît à peu près. Ils n’ont même pas eu honte de verser la « caution » alors qu’ils prétendent travailler pour les pauvres, pour les aider soi-disant. Salut les copains et adieu. On se reverra pour un autre projet, celui de tout brûler.

En effet, parmi les candidats retenus, il n’y a aucun jeune de moins de 40 ans. Question d’argent, toujours l’argent, et encore l’argent, dans le pays le plus pauvre du monde. On s’en fout ! C’est vrai des pauvres ; heureusement que les pauvres sont renouvelables, sinon, il n’y aurait plus de Guinée. On ne propose aux compatriotes le 5 décembre que des bulletins blancs avec ceci ou cela à l’intérieur de la carte de Guinée. Comment va se reconnaître le brave paysan guinéen ? Il n’y a qu’un certain leader qui propose du jaune, en oubliant que les daltoniens sont majoritaires dans le pays, tellement nombreux que les feux de la circulation sont supprimés. Il y a assez d’accidents comme chat.

Le guinéen manque d’imagination. On ne peut pas nous demander de choisir entre deux fausses virginités, représentées par du « blanc » maculé et du « vert » arraché à la végétation. Il est vrai que la pensée contemporaine est le reflet d’un monde en crise, comme nous le disions dans les articles précédents. Peut-être est-ce là, sa chance de constituer un moment capital de l’histoire des idées. Des crises de toutes sortes. Crise politique, économique, de la science et des arts. Nous sommes devenus des être inquiets, angoissés devant leur propre image, essayant de fuir notre ombre. Les normes de la morale, les traditions sont remises en question. Parfois sans but et sans conviction, parce que tout simplement, nous avons été saisis par le vertige de la liberté, cette « liberté qui, croyions nous, pouvait libérer des contraintes sociales, religieuses ou logiques du passé ».

Il y a 20 ans, dans un de mes premiers romans, j’écrivais : «La confiance est un manque d’imagination. Surtout en politique… » Je voulais tout simplement dire que tout est matière à penser, à juger, à espérer, et sollicité de toute part, l’esprit a grand peine à éviter le désarroi. A l’époque je m’amusais avec les mathématiques pour éviter la naissance d’une technique déjà écrasante. Et ces « mathématiques » ne m’ont appris qu’à comprendre que nous mourrons plus facilement que notre vie. Tous ces cadavres que nous trainons derrière nous, avant et après notre « indépendance » forment-ils encore notre bibliothèque intérieure ?

Monsieur Condé Famani, avec sa moue désabusée de formateur d’hommes, me dit souvent : « Laisse tomber les grandes idées. Il faut d’abord trouver à bouffer pour les jeunes… ». L’histoire a t-elle une fin ou a t-elle faim ? Elle a en effet changé radicalement le paysage de l’homme, attendons le 5 des cendres, sans passions, si nous ne savons pas où nous allons, nous savons d’où nous venons. En 30 ans nous avons connu à peu près toutes les défaites, économiques, sociales, politiques. Nous sommes devenus un concentré de la sauce du sous-développement, l’arôme « maggi » des marmites vides. Il ne faudrait pas que bientôt, ceux qui nous promettent « le bonheur » ne nous fassent cuire selon leurs recettes de sorciers.

Je pense à Sira-dio, à Alpha béta, Bâ Bancal, Mansour la mante religieuse, tous les autres, même à mon ex-Général…Moi je suis toujours officier supérieur.

C’est chat la vie ! Juste de quoi à chercher à vivre un peu. Mon gardien et mon chien ont raison :

Quand les chiennes me pendaient au cou

Quand j’étais dans tous les coups

Avec drapeaux blancs

Et à côté quelques innocents

La force de cette Guinée

Sera avec les nouveau-nés

Je manquais d’inspiration. Je ne suis pas un poète moi, comme Kaba 41. Mais l’avantage de manquer d’inspiration, est de rester éveillé pour chasser les moustiques. Le prochain président peut s’en inspirer.

Williams Sassine

Billet

« Le chat qui conte »

On boit de l’alcool

Et même du formol

Aujourd’hui, on veut nous faire boire les paroles

De tous les fous et les folles

Qui prétendent pouvoir remplir nos bols

A nous les gens du sous-sol

Mais, on s’en gnole

En attendant le chat botteur.

W.S.

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 86

Présentation

Date1993/11/08

GenreDocumentation - Presse

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Fiche : Elisabeh Degon, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes, CNRS-ENS ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)

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Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022

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