91. Fory Coco cherche un logement

Auteur(s) : Sassine, Williams

Les folios

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Sassine, Williams, 91. Fory Coco cherche un logement, 1993/12/13

Claire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

Consulté le 29/08/2025 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/francophone/items/show/3433

Texte de l'article

Transcription

N° 91, 13 décembre 1993 : « Fory Coco cherche un logement »

Mes animaux haletaient. La langue des canards était plus longue que celle du chien. Moi, je fondais à vue d’œil, comme du plomb dans le feu. Les robinets salivaient de temps en temps, semblables à nos futurs ex-présidents, quand ils n’ont rien de nouveau à proposer.

Moi, je m’en fous ! Eux aussi d’ailleurs. Ils ont eu 20 millions à foutre en l’air et ils n’ont pas raté l’occasion. Ils ne sont pas au fond, cons. Pourquoi dépenser une telle somme en mariages ratés d’avance, en maisons délabrées, en frais d’enterrement, en baptêmes intéressés de bébés futurs chômeurs…Mieux vaut donner cet argent à notre régime-né-prématuré et sous euthanasie avancée. Je ne m’y retrouve pas toujours dans tous ces termes socio-médicaux. Mais, autour de moi, je ne vois de plus en plus que des morts-vivants ; et ceux qui sont un peu vivants sont morts dans leur démarche, leur regard, leurs affaires. Comme tout est faux ici, les démarches sont boiteuses, les regards louches, les affaires puantes.

Dyango, l’homme qui touche à tout, surtout aux cigarettes et aux verres des autres, venait encore de se faire par un borgne (sic). Heureusement que son agresseur ne voyait pas des deux côtés, sinon le pauvre Dyango aurait été aplati de partout. Mais chacun a sa chance et nous qui n’avons pas de chance, on chen fout. Comme un certain ministre qui a été blessé à la tête, et dont l’un des gardiens a reçu quelques balles dans les fesses. Chat l’apprendra à se tenir debout.

Aujourd’hui il nous faut un garde de corps par citoyen. Mais comme ce sont les gardes de corps qui vous attaquent, mieux (sic : vaut) être garde de corps de son garde de corps. Notre multipartisme en sait quelque chose puisque chacun tire sur l’autre. Fory Coco aime bien chat, puisqu’il adore les cassettes vidéos de Western. Je vais faire un jour un scénario de ce genre pour notre président non élu. Je prévoirai un cheval tout blanc qui jouera l’essentiel du rôle, puisqu’il sera le plus intelligent de la bande. Peut-être que ce cheval s’appellera « Gomez », et que son cavalier bien aimé sera un certain Fory Coco.

On chen fout ! Ce ne sont pas les Indiens des autres partis qui manqueront, si le courant dégouté, ne repart pas en courant. En tout cas, Sira de novembre sera assis sur un transistor pour le reportage, Banque Route sur une moto, Alpha Grimpeur sur le dos de ses fanatiques, Mansour-le-Maçon, caressant sa mante religieuse, Lapin Doré cherchant son coq pour le réveiller, le Fasciné soulevant sa casquette pour la rendre responsable de ce qu’elle a été.

On chen fout ! On ira aux urnes. Mais attention, les urnes sont faites pour garder des cendres. Certains leaders politiques appellent au calme. D’autres donnent la haine, comme exemple d’amour. Après tout, c’est une façon de se séparer la haine. Seule l’indifférence fait mal. La conduite d’un certain « Occident » en Somalie, au Soudan, au Liberia, en Angola…nous donne la preuve chaque jour que cet « Occident » continue à se gaver en regardant leur télé pendant que chez eux, à leur porte, des gamins tuent un pauvre clochard, après que d’autres bébés aient massacré un des leurs. La violence devient une politesse, un savoir-vivre.

Mais on chen fout ! Un pauvre vieux chargé de seaux d’eau, fabriqués à partir de vieilles boites de bière, passait. Je n’avais pas d’eau chez moi, mais lui sur la tête des seaux. Comment s’entendre ? Seaux vides contre robinets balbutiants. Promesses d’hier contre promesses d’aujourd’hui. Et tout se rencontre. La Guinée est la plus ronde du monde. Tout le monde connaît tout le monde. Si Galilée était né ici, il ne se serait pas fait condamner à se renier. Puisqu’on s’est déjà renié dans ce beau pays depuis longtemps. On a voté « non », ça n’a pas marché. C’est peut être pour chat, qu’on boit pour tourner en rond, encore un peu plus vite. On paiera après, où est le problème ?

Les alcooliques ont une chance dans ce pays. Ils meurent après les autres qui passent leur temps à se gratter partout pour se chercher des poux plus gros qu’eux. Et ce sont les poux qui crèvent les premiers, comme au centre de recherche, qui ne trouve pas, sauf leur directeur Konaté toujours aussi poli qu’un poisson édenté. Il aurait fait quelqu’un de plus grand, s’il avait accepté de se faire plomber la bouche. Pourtant il aurait suffi de peu. D’une batterie fatiguée par exemple et du docteur Aribot, qui me doit une « dent d’éléphant ».

Mais on chen fout ! On mélange tout et on recommence. C’est ainsi que me parlait un bègue, plus bègue que moi, et moi, je suis moins bègue que ce régime. Donc nous allons nous causer en pointillés avec des sous-entendus, pour renforcer notre bégaiement réciproque. Une autre façon de nous haïr, dans cette période qui, pourtant, nous appelle à accepter nos différences.

Mais on chen fout ! On ne fait pas peur aux morts. Parmi nous, certains sont morts plusieurs fois déjà. Où est le problème ? Promenez un magnéto dans un cimetière, interviewez les cadavres. La plupart ne vous répondront pas, si vous ne savez pas vous y prendre. Ils peuvent penser que c’est Enelgui qui passe avec une facture. Mais comme on chen fout, j’avais lancé un défi à Fory Coco. J’avais promis que j’irai chez lui une deuxième fois. C’est fait ! Je vais vous indiquer la méthode : si vous avez une voiture, enlevez la plaque d’immatriculation. Chat fait plus sérieux. Les barrières se soulèvent. Où est le problème ? Si vous êtes à pieds, comme tous les bienheureux de ce pays, malheureux de ne pouvoir écraser son prochain, vous passez par le petit portail vers la corniche. Il faut avoir un peu de cigarettes, une boite d’allumettes, parce que la plupart des gardes n’ont que leur gueule pour fumer. Donc après avoir offert la cigarette et le feu, vous dites : « J’ai un chèque à remettre à un de vos officiers ». Dites le nom qui vous vient à la tête, parce qu’ils sont tous « officiers » à l’intérieur du camp. Dehors, c’est pour les adjoints des sous-sous officiers. Si le type a l’air d’hésiter, tendez lui un petit billet glissant de Yans, en lui racontant que ses enfants ne vont pas à l’école, et que tu es au courant. Mais, que chat ne durera pas. Ensuite demandez-lui où loge le chef de l’Etat, il vous répondra : « C’est là-bas, au fond, mais peut-être il fait sieste ». Donc vous êtes au camp. Où est le problème. Personne ne vous a demandé une pièce d’identité, et personne ne vous a fouillé. On chen fout ! Alors quand je vois notre président, non élu, immobiliser la circulation pour aller à l’aéroport alors qu’on lui a donné un hélico, je ne comprends rien avec tous ses bérets rouges, verts, noirs, vitres blindées, vitesses folles. Pourquoi tant de précautions pour partir, alors que vous devez revenir, Monsieur Fory Coco ?

Moi aussi je reviendrai, dans votre camp, pour la 3è fois, puisque vous ne voulez pas déménager. Si vous n’avez pas assez construit pour vous-mêmes, moi je peux vous offrir une chambre chez moi. Le chien n’est pas méchant parce qu’il est fatigué d’aboyer. J’ai des canards gentils quand il y a un peu d’eau et puis, on pourra causer puisqu’on n’a rien à se dire. On chen fout ! Vous allez penser que je veux prendre votre place. Mais rassurez vous. Je ne fais qu’essayer de vous préparer une porte de sortie. Je pourrai même vous apprendre à écrire, puisque vous ne savez pas parler. Pourtant, Dieu nous a placé des dents dans la bouche, pour qu’elles arrêtent certains mots qui peuvent nous donner des maux. Sinon, il aurait pu donner des dents ailleurs. Les dents ne sont pas faites seulement pour manger. J’en sais quelque chose, puisque je n’en ai pas, et que ça ne m’empêche pas de me nourrir. Notre petit pont de Touya vous salue.

Williams Sassine

Billet

Le chat qui conte

Les timbres ne collent pas

L’argent décolle

Les dates d’élection ne collent pas

Mais la peur nous colle

Le chômage également nous colle

Pourtant le pays veut décoller

Nous nous collons pour ne pas décoller

Une logique à ne pas se coller

Mais c’est quoi tout chat ?

Sassine

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 91

Présentation

Date1993/12/13

GenreDocumentation - Presse

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Fiche : Elisabeh Degon, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes, CNRS-ENS ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)

Éditeur de la ficheClaire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

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Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022

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