87. Avec le crayon conté, sans la gomme

Auteur(s) : Sassine, Williams

Les folios

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Sassine, Williams, 87. Avec le crayon conté, sans la gomme, 1993/11/15

Claire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

Consulté le 11/08/2025 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/francophone/items/show/3429

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Transcription

N° 87, 15 novembre 1993 : Avec le crayon conté, sans la gomme

Enelgui qui aime passer en courant s’était arrêtée pour faire péter le transformateur. Un borgne avait enlevé son œil de verre pour essayer de dormir. Avec les voleurs, on ne sait jamais. Un type plein d’hémorroïdes et d’autres problèmes financiers, caressait quatre petits cailloux en priant. Une pute recherchait un client qu’elle ne connaissait pas. Un policier, fatigué, ronflait pour fêter le 1^ernovembre.

Et puis quelqu’un est entré, avec un paquet sous le bras. Il en sortit une pellicule, alluma son briquet et montra la « chose ». A première vue, son foie n’existait plus, le cœur s’était déplacé à droite, les poumons étaient un peu partout. Je me demandais s’il ne venait pas du cimetière mais le fait était là. Cet homme était vivant puisqu’il demanda à boire. Si le professeur Baldé était présent, il aurait déchiré tous ses diplômes, c’est comme si on lui demandait de faire l’autopsie du pays en ce moment. Mais on chen fout ! Où est le problème ? Ici, quand on est heureux, on meurt tôt.

Alors pour vivre longtemps, il faut être malheureux. Les déflatés, les chômeurs de naissance, les infirmes en savent quelque chose. Même les projets qui ne font qu’attendre, nos éternelles routes impraticables, les faux égouts…Tout chat là quoi !

A propos des élections, c’est pareil. Quand tu votes pour X, les autres ne sont pas contents. Quand c’est pour Y, les autres ne sont pas encore contents. Et ainsi de suite, comme le dirait la reine des fourmis…Alors nous, nous voterons pour les autres. Mais les autres, c’est quoi, c’est qui ? L’autre est de voter pour personne. Mais qui s’appelle personne ? Un problème métaphysico-statu quo, d’après le voisin charbonnier sorti de Poly pour enseigner la littérature. Mais il n’a trouvé ni boulot, ni livres, après ses études savantes. Le charbon chat c’est bon. On chen fout !

J’ai encore commandé à boire. Je devais tellement à Marco Polo, qu’il ne pouvait pas me refuser un crédit de plus. Je suis comme le gouvernement, endetté jusqu’à la molaire, avec la chance que moi, ma molaire ne vaut pas un sou. J’ai même essayé de la rendre à Plat Tô, le ministre des finances le plus maigre du monde. Si les guinéens mangeaient autant que lui, tous les marchés seraient fermés. Pauvre Camara, son secréteur qui cherche à sexpliquerque c’est normal.

D’après lui, les maigrelets ne volent pas. Un peu comme « Erre Guinée » qui a de quoi remplir ses rares appareils, avec ses innombrables pilotes. Pourquoi ne pas leur acheter des avions puisque Noël n’est pas loin ? On chen fout !

Il y a des jours comme chat, où j’écris ma chronique, comme on remplit au bord de nos routes, des litres prétendus d’essence, avec un peu de gaz oil et de pétrole dedans. Comme Marguerite la baleine, pleine tout le temps de toutes sortes de promesses : « Margot je t’aime, Margot je n’ai rien aujourd’hui, mais demain Margot si je t’avais connu il y a 20 ans… » Tout chat quoi ! Mais, on chen fout. Pour survivre dans ce pays, il faut être ou médecin parce que tout le monde est malade, ou créer un parti pour avoir des partisans cotisateurs naïfs. La naïveté paye, c’est connu, comme l’infidélité. D’ailleurs dans les deux, il n’y a que les cocus capables de réconciliation. Les prochains électeurs en sauront bientôt quelque chose.

Je pensais à tout chat là quoi, mais aussi à mon coq volé, aux appareils détournés de Kabiné Kouyaté, lors de l’arrivée du Pape qui ne reviendra plus. Mais, on chen fout ! Même ma cane avait l’air défoulé. Sur 16 œufs, 10 avaient disparu. Elle qui voulait former une équipe de foot, elle devait se débrouiller avec une équipe de basket. C’est comme Fory Coco qui avait commencé avec 42 partis et qui ne se retrouvent aujourd’hui qu’avec une dizaine. Mais où est-ce qu’on va ?

Nous les guinéens, nous n’avons rien contre le président puisqu’il n’y a pas encore depuis dix ans un président. Venez déposer chez Marco Polo, la caution de 20 millions. Je gagnerai les élections, après les élections. Billahi ! Parce que pendant les élections, on va « botter les fesses des petits frères ». Et comme chacun de nous est le petit frère d’un autre, on entendra beaucoup de bruit de bottes. Mais on s’en fout.

La vie n’est pas raisonnable, sinon après Sékou Touré, on n’allait pas se gourer encore à ce point. D’ailleurs, à propos de point, c’est l’opposition qu’il faut désigner du « poing ». Un « poing » est un ensemble pour prendre ou laisser. La peur de l’autre est devenue notre mur de lamentation, comme si depuis 40 ans, nous n’avons pas pleuré. On chen fout !

Il faut reconnaître que notre indépendance nous a transformés en indépendantristes, comme dans la plupart des pays. Le choix doit s’opérer. Or, aucune opération n’est simple sous Fory Coco, sans tricher. Sira, Banque Route, le Grimpeur, Mansour-le-maçon, ont leurs solutions pour nous aider. Certains d’entre eux, ont un passé. Ce pays veut un avenir, parce que nous vivons dans une grotte de la démocratie. Si Sékou Touré était vivant, les affaires auraient été plus claires. Mais heureusement qu’il est mort, sinon…je ne serais pas parmi vous pour parler de liberté.

Merci pour Fory Coco, même quand il joue au chat. Pour lui, les jeux sont clairs. Il veut gagner sans payer. Demander chat aux déflatés, aux étudiants, aux paysans…Les puissances occidentales n’ont rien à répondre. Ce sont elles qui m’ont nommé officier. Mais encore, disait Victor Hugo, s’il reste un je serais celui-là. Heureusement que nous sommes des millions.

Williams Sassine

Billet

De ci et de chat

Mon chien n’aboie plus

Il y a trop de voleurs

Ma cane couve depuis 3 mois

Elle se fait encore des illusions

Le « boy », un bon boiteux

A disparu à toute vitesse

Une loi qui était fondamenteuse

Nous sommes toujours derniers

Alors pourquoi se bousculer ?

Sassine

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 87

Présentation

Date1993/11/15

GenreDocumentation - Presse

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Fiche : Elisabeh Degon, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes, CNRS-ENS ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)

Éditeur de la ficheClaire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

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Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022

87. Avec le crayon conté, sans la gomme

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