82. Les dents qui ont des oreilles

Auteur(s) : Sassine, Williams

Les folios

En passant la souris sur une vignette, le titre de l'image apparaît.

1 Fichier(s)

Citer cette page

Sassine, Williams, 82. Les dents qui ont des oreilles, 1993/10/11

Claire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

Consulté le 22/08/2025 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/francophone/items/show/3424

Texte de l'article

Transcription

N° 82, 11 octobre 1993 : « Les dents qui ont des oreilles »

Nous attendions toujours Fory Coco pour l’inauguration du vilain pont qui se déplace, que la deuxième république a réalisé pour les infatigables piétons de Tahoua. On pariait entre nous. Viendrait-il ? Ne viendrait-il pas ?

- On chan fout ! S’il veut, s’il veut pas où est le problème ? Il aura besoin de nous en Décembre…

On était assis dans l’obscurité trouée par un poteau électrique qui flambait. Quelqu’un s’approcha, ramassa une étincelle et alluma son mégot. Probablement un déflaté le type. C’était plus économique que d’acheter une boite d’allumettes. Et certains osent dire qu’Enelgui ne sert à rien ! On s’en fout ! Qui sert à quelque chose dans le pays à part les casseurs et les voleurs ?

- Bon chat recommence, se plaignit Marco Polo. Pas de politique ici ! On arrête même des journalistes, et moi, je suis trop petit dans ces affaires-là.

On entendit un lourd bruit de sac de charbons mouillés. C’était Marguerite la baleine qui venait de rater une marche. On l’aida à se relever. Elle était effectivement mouillée.

- Je ne suis pas saoule. Je suis simplement tombée dans une flaque. Bon ! Quelque chose à boire !

On l’applaudit. C’est toujours bon de boire sans payer, comme le dirait Django. Celui-là se faisait rare. Il avait trouvé du travail dans « l’arôme maggie ». Quand est-ce que notre Fory Coco national nous mettra notre « Soumbara » en cubes ? À moins qu’il ne préfère mettre en poudres exportables ses opposants, et la plupart de ses ministres, ceux qui ont plus de 60 kilos. Et ils sont nombreux. Sékou était plus expéditif, il pendait les gros. On s’en fout !

Le patron du « Mamy Wata » fit son entrée.

- Ce matin c’était chaud, Wallahi ! Les marcheurs et les immobiles se sont rentrés correctement dedans, à cause de l’affaire Kourouma.

Il finit par trouver une place. Le poteau en face continuait à flamber comme un petit volcan suspendu. Mais on chen fout ! De toute façon, les sapeurs-pompiers n’avaient ni eau, ni carburant.

- Il faut essayer de tout boire rapidement, sinon, quand le feu nous atteindra, on va brûler comme une station d’essence, fit « Mamy Wata ». Adieu !

Un chien vint s’arrêter à l’entrée, aboya comme si on était des chats et repartit en hennissant. Ce pays était en train de devenir fou. Ou bien peut-être était-ce un cheval de Kindia maquillé en chien. Fory Coco, le plus malin des Guinéens nous éclairera un jour là-dessus. S’il gagne en décembre. On se demande d’ailleurs pourquoi il organise des élections, puisqu’il est élu depuis 10 ans sans élections. Mais on s’en fout ! L’opposition n’a qu’à choisir son président. Chat nous évitera des bagarres inutiles. Fory Coco acceptera. Il s’en fout lui aussi !

- C’est pour quand la nouvelle marche ? Demandai-je ? Il serait intéressant que tout l’intérieur marche sur Conakry. La ville sera remplie comme un œuf, et on fera la plus grosse omelette de notre histoire.
- Justement j’ai faim, dit la baleine. Les temps sont durs. Il n’y a plus d’hommes dans le pays. J’ai amené quelqu’un chez moi hier. Je l’ai bien fait dormir. Le matin, il est sorti, dit-il pour pisser et il n’est plus revenu. Il ne m’a laissé que sa chemise pourrie, de mécanicien.

Oui chacun a ses problèmes. On l’embrassa à tour de rôle pour la consoler.

- Il faut pas te décourager « la baleine », dit Marco Polo. Tout le monde se fait b…
- C’est quoi ton « B » là avec des points, comme tu dis ? fit la baleine. Moi j’ai continué seulement jusqu’au bac que je n’ai pas passé, à cause de mon ventre qui était prêt à coucher.
- On dit accoucher ! Moi j’ai pas fait de Niversité, mais un peu d’école coloniale. J’ai failli même devenir général, comme Fory Coco. Mais j’ai attaqué (sic attrapé) maladies bordelles-là.

Je me retournai dans l’obscurité, mais je ne vis personne. Pourtant la voix était dans mon dos, comme les partis d’opposition dans celui de notre officiel. Alors je pris une bouteille et la balançai par hasard derrière. Un bruit de douleur et puis plus rien. Dieu merci, j’avais atteint la gueule d’un ex futur gradé. Je ramassai une autre bouteille. On ne sait jamais. C’est comme quand Fory Coco change de ministre. Les ministres c’est des casiers de boissons à vider et à jeter. Les maires n’ont qu’à faire le reste, s’ils ont le courage de s’approcher de la poubelle des anciens patrons. On s’en fout !

Ainsi va le pays, en attendant « Erre-Guinée » comme un projet, genre « pouvoir transporter tous les bandits, les chômeurs, les mécontents, les exécutés et les bourreaux, les armes »…Mais où les larguer ? En tout cas, il y aurait un peu de place pour les artistes abandonnés et ceux qui ont des voitures qui marchent moins que nos démarcheurs et les cireurs qui pourraient cirer alors nos chaussées. Conakry « la perle de l’Afrique Occidentale » ne serait plus une nostalgie. Aujourd’hui, on se met à l’aise chez le voisin sans problème, de préférence chez le voisin qui est sorti pour aller chercher à manger. Mais on s’en fout !

La radio TéléCoco peut annoncer les décès en plusieurs langues, on leur souhaite bonne chance ailleurs. Ce n’est pas « Erre-Guinée » qui les fera entrer au paradis. Pareil pour les autres compagnies, ainsi que les partis politiques.

Je me levai. Bientôt l’heure où La Gomme ordonnerait à ses agents de sortir pour assurer l’insécurité de la ville. Mais on s’en fout ! Les armes sont faciles à trouver. Il n’y a pas longtemps deux petits vieux ont passé toute la nuit à se tirer dessus à Hamdallaye. Heureusement, tous les deux étaient maladroits et les canons de leurs fusils tordus. Un peu comme Charles-Terreur et nos Comos (idiots).

À la sortie, je vis le chien qui hennit. Toutes ses dents dehors il grognait et je crus comprendre

- J’ai tout entendu, j’irai vous rapporter chez Fory Coco. Il viendra adhérer de force à son parti sinon…

Je flanquai un coup de pied dans sa gueule qui nous espionnait. Un bon coup ! C’est quoi chat ? Pendant plus de 20 ans les mille-chiens nous ont emmerdé. Et Fory Coco les avait fait déshabiller. Ce n’est pas un chien qui écoute avec ses dents qui allait me terroriser. L’animal disparut en laissant quelque chose tomber. C’était deux incisives. Dieu merci ! Je cherchais un dentier. C’est chat la vie ! Fory Coco a ramassé lui aussi son pouvoir, non !

Williams Sassine

Billet

Le Chat qui Conte

Le type, il vendait des « slip » de quoi mettre un éléphant dedans, d’après lui 1500f discutables.

Il vendait encore des soutiens gorges, aussi gros qu’une marmite vide.

Une femme descendit de sa R4 et acheta tout.

Deux frères passaient. A deux ils avaient un pied.

C’est quoi tout chat-là ?

P.S. : Un policier comptait son gain en billets de 50 f.

Sassine

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 82

Présentation

Date1993/10/11

GenreDocumentation - Presse

Mentions légales

Avec l'aimable autorisation des ayants-droits
Avec l'aimable autorisation des ayants-droits (pour les collections, les items et les fichiers)
Fiche : Elisabeh Degon, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes, CNRS-ENS ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)

Éditeur de la ficheClaire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

Exporter cette fiche

atom, dcmes-xml, json, omeka-xml

Exporter en PDF les métadonnnées
Exporter en PDF les métadonnées et l'image

Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022

82. Les dents qui ont des oreilles

Auteur(s) : Sassine, Williams

Les folios

Citer cette page

Autres notices de la collection