95. 6h09 du matin ou du soir ?

Auteur(s) : Sassine, Williams

Les folios

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Sassine, Williams, 95. 6h09 du matin ou du soir ?, 1994/01/10

Claire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

Consulté le 13/08/2025 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/francophone/items/show/3437

Texte de l'article

Transcription

N° 95, 10 janvier 1994 : 6h09 du matin ou du soir ?

Il est 6h.09’00’’ : L’heure où le coq de La Baïcha gueule pour appeler à la prière. Un coq métaphysique plus précis qu’une montre suisse.

6h.09’00’’ : Son collègue, La Gomme devait être en train de compter les voix de son patron aux prochaines élections, dans 5 ans.

6h.09’00’’ : Tonneau supérieur, l’Oncle est sous le lit. Les bérets rouges ronflant au dessus de lui, sur le lit.

6h.09’00’’ : Lapin Doré, notre « Malcolm X, Y » rêve à ses vingt millions de caution : comment les récupérer ?

6h.09’00’’ : Plat-Tô, l’argentier surveille son garde de corps. On ne sait jamais.

6h.09’00’’ : Oussou Dan Fonio, le seul Gouverneur des poubelles, fait des cauchemars, parce qu’il voit un chien ramasser les saletés.

6h.09’00’’ : Le ministre des Con-muniqués ou…Télécomplications, cherche une ligne pour appeler des poissons.

6h.09’00’’ : Comme celui que je viens de nommer, parce que je ne connais pas son nom, chers lecteurs et lectrices, vous pouvez compléter selon votre imagination. Dépêchez vous avant que le gouvernement ne change encore. Parce que si La Gomme a fait son boulot de gommeur officiel, il reste La Mine des perroquets de la Cour, pour écrire.

6h.09’00’’ : On chen fout ! Nous qui n’avons pas voté, on chen fout. Ce sont les gens qui votent qui donnent toutes sortes de problèmes à ce pays. Ils se bagarrent, ils cassent, ils se tuent. Fory Coco a dit que les résultats étaient prévisibles. Et notre général pour une fois a raison. Lui, il ne voulait que des virgules, pour passer. On lui a donné 50 virgules, alors où est le problème ?

6h.09’00’’ : Je suis au fond content que Fory Coco ait gagné ses virgules à défaut d’étoiles. Je commence à m’habituer à lui. Grâce à sa présence, je trouve un peu à manger et à boire à travers mes chroniques.

Imaginez si c’était Si-Radio de Novembre, Alpha-Bêta Grimpeur, Bâ-Bancal-Banque Route ? Ils se sont trahis entre eux. Ils se sont comportés comme les petits « tabliers » du marché Madina. Chacun essayant de vendre des mégots de programme, au lieu de nous montrer des cigares capables d’être fumés pendant des journées.

Il est 6h.09’00’’ : On vient de m’annoncer la mort du capitaine Souaré Aliou. Il avait 33 ans. L’âge de Jésus-Christ quand il fut sacrifié. Souaré Aliou a été crucifié à sa façon. Mis en croix, entre un manque d’affection, et l’affection d’un manque, entre l’absolu d’une utilité professionnelle et l’inutilité de cette quête. Il était pilote à « Erre Guinée », mais il a eu si peu l’occasion de piloter. Certaines mauvaises langues pensent qu’il buvait. Si tous ceux qui boivent dans ce pays étaient morts à 33 ans, il ne resterait qu’à nous transformer en une république islamique, envahis de fanatiques qui préfèrent par lâcheté, tuer que de mourir sans déranger. Le capitaine Souaré, pour aller beaucoup plus haut que l’existence qu’on lui avait offerte.

Il est 6h.09’00’’ : On ne meurt pas parce qu’on boit, on boit parce qu’on est déjà mort. Le cas de notre nouveau capitaine du ciel n’est que symptomatique, d’un phénomène qui commence à s’écrire à la frontière du 21è siècle. Un philosophe, Hederling (sic : Hölderlin ?), aimait à dire que « Dieu a fait les continents comme il a créé les hommes, en se retirant ». Si Dieu se retire, il faudrait, qu’on aille vers lui. Parce qu’un siècle terrible s’annonce, avec des clameurs de détresse ? La prochaine maladie destructrice n’est pas le Sida. Contre le Sida, il y a les capotes. La prochaine maladie qui nous menace, est la Démence. Et contre la Démence, il n’y a pas de capote. A tous ceux qui ont aimé le capitaine Souaré, à ses collègues, à ses rênes (sic) d’épanouissement, nous présentons nos condoléances.

Il est 6h.09’00’’ : Le temps ne coule pas. J’ai rendez-vous tout à l’heure avec un infirme qui travaille dans une nouvelle église. Une église qui promet des miracles à ceux qui souffrent, par la force de leurs prières. Mon infirme rampe toujours. Un jour il a découvert la boite à pharmacie de l’église. De temps en temps, il pille la pharmacie et revend son butin. On chen fout ! L’infirmité n’est pas une maladie, mais un manque de besoin. Ce « pharmacien » rampant se porte bien aujourd’hui. Adieu les vœux pieux !

Il est 6h.09’00’’ : j’ai peur que la radio ne se réveille bientôt. Enelgui, le courant qui passe en courant, plus prudent a coupé déjà son courant. Dieu merci, pour la facture, ils ne viennent qu’en plein soleil, quand on n’a plus besoin de leur soleil. On chen fout, puisqu’on est en Western ! Le western guinéen, dans lequel seuls ceux qui sont armés ne savent pas tirer.

J’ai envie de continuer à écrire, mais mon chien est fatigué de me dicter ma chronique hebdo. Il a l’air déprimé lui aussi. Son avenir c’était hier, quand j’avais les moyens de lui donner un os. Il est devenu aujourd’hui un déflaté dégonflé. Tu lui montes sur la queue, avec son regard vide et délavé et il se recouche.

Pourquoi aboyer et contre qui, quand le gouvernement va changer ? On chen fout. On ne se bat pas contre le vide, car le vide est la mort d’un autre vide. Le néant par contre est en appel, ainsi que la mort.

Il est 6h.09’00’’ : Minuit a déjà sonné. Le jour va changer, dès que le premier coq non déprimé essaiera d’entrer dans la lumière.

Toujours 6h.09’00’’ : Décidément, le temps ne bouge pas. Mais je m’en fous ! Je suis en train de penser au message du 2 décembre de Monseigneur Sarah, à l’adresse de la jeunesse. Il a beaucoup parlé de Paix avec son éloquence habituelle. Je n’ai entendu le mot « justice » qu’une seule fois. Mais une paix sans Justice ne peut être qu’une paix armée. Il est symbolique que notre devise nationale soit une balance dont le fléau est la Justice, entre les 2 plateaux : « Travail » et « Solidarité ». Nos jeunes ne comprennent plus grand-chose. Nous les parents, on leur botte les fesses pendant des années pour leur apprendre à travailler. Et quand ils terminent leurs études, ils se retrouvent dans la rue. Cette exclusion en dehors d’une société dominée seulement par les combats des « grands », crée des rancoeurs, des rancunes. Entre la justice et la paix, ils préfèrent la justice pour pouvoir construire la paix, d’abord dans leur foyer. Un homme affamé ne peut pas avoir la paix. Jean Jacques Rousseau dans son « Contrat social » ne disait pas autre chose en écrivant que l’homme nait libre, mais que c’est la société qui le rend esclave.

Il est 6h.09’00’’ : Rendre esclave un homme, c’est ne pas lui rendre justice. Saint Paul l’a bien compris, en préférant la Charité à toutes les vertus. La Charité n’est pas l’aumône. La Charité est une façon de regarder l’autre, pour vivre dans son regard, l’instant du papillonnement de ses paupières. Le prophète Mohamed a fait des guerres pour inscrire cette justice dans la mémoire des cœurs des hommes. La croix de Jésus a encore la forme d’une balance pour peser l’injustice, qui a rendu douloureux, son dernier cri.

Il est 6h et poussières : Je termine ma chronique par une petite histoire. Il était une fois un enseignant. Il était borgne. Alors, quand il était fatigué, il enlevait son œil de verre et le posait sur son bureau en face de ses écoliers en leur disant : « Mon œil vous observe ». Ensuite, il s’endormait derrière ses lunettes noires. C’est un peu l’histoire de notre indépendance.

Il est 6 h et quelque chose : On dirait que Dieu n’a pas créé les guinéens pour travailler, mais pour se battre contre les moustiques.

Williams Sassine

Billet

PS : Après les 50 virgules des élections, j’offre mes 50 virgules personnelles au nouveau président. Envoyez vos 50 virgules, on transmettra à qui de droit.

Sassine

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 95

Présentation

Date1994/01/10

GenreDocumentation - Presse

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Fiche : Elisabeh Degon, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes, CNRS-ENS ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)

Éditeur de la ficheClaire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

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Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022

95. 6h09 du matin ou du soir ?

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