102. Une vie, ça ne trompe pas (6)

Auteur(s) : Sassine, Williams

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Sassine, Williams, 102. Une vie, ça ne trompe pas (6), 1994/02/28

Claire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

Consulté le 20/08/2025 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/francophone/items/show/3444

Texte de l'article

Transcription

N° 102, 28 février 1994 : « Une vie, ça ne trompe pas » (6)

Nous pouvons être fiers de notre pays. D’abord il est le seul à avoir trois capitales (Conakry I, Conakry II, Conakry III). Donc en principe, nous devrions élire trois présidents. Mais, laissons pour le moment les principes de côté, puisque « débrouiller c’est pas voler »

L’autre particularité, ce sont les ponts. Les autres, ailleurs, ont des routes. Nous ce sont les ponts que nous préférons. Sous l’ancien régime, nous avions le « pont des pendus », qui surplombe la « route infinie de l’histoire », une route qui commence à s’essouffler, un kilomètre plus loin, aux abords du marché de Madina, sous le premier pont.
On m’avait parlé de ce pont, comme étant la première merveille de Conakry II. J’ai voulu vérifier. D’en bas, il donne le vertige. Qu’est-ce que ça ferait si on montait ? Un policier a voulu que j’essaie d’y monter. Je ne suis pas fou. Et d’abord est-ce que c’est un pont chat ? Il est trop étroit. Est-ce que c’est une passerelle ? C’est trop long. Peut-être que c’est un aqueduc. Mais on ne voit pas de conduite pour faciliter l’évacuation des eaux.

Il n’y a que des enfants et des ivrognes qui peuvent se hasarder à traverser ce truc. Mais on sait que ces deux catégories de personnes forment la couche inconsciente de la population. Pour les encourager, les autorités de la commune pourraient installer tout le long, des vendeurs de bonbons glacés et des « maquis ». On chen fout.

Une autre solution. Madina a son pont mais il n‘y a pas de rivière la dessous, Kankan a une rivière, mais pas de pont ou presque. Alors, ou on envoie le Milo à Madina, ou Madina prête son pont aux Kankanais. C’est chat la solidarité.

Une autre solution encore. On peut trans-former ce « pont à lianes » bétonné, en arc de triomphe, pour le retour de nos héros de Tunis 94. Puisque tous nos docteurs en tam-tam assurent qu’on va pour gagner, et non pour participer simplement. Parce que si c’est le cas, pourquoi toutes ces centaines de millions pour les encourager ? Tunis ce n’est pas loin. Nos joueurs pourraient s’y rendre à pieds. Un bon entrainement ! Et puis si la distance leur paraît longue, nos griots pourraient les accompagner, ainsi que les 51 virgules du Président et les 49 virgules de l’opposition. Comme chat tout le peuple sera avec notre équipe à Tunis, sans rien payer. De toute façon, l’opposition sait marcher. Elle l’a souvent démontré pendant la campagne.

Ha ! J’oubliais la Mine et sa Basse Cour. A Tunis on pourrait avoir besoin d’eux, pour trancher en notre faveur. La Mine est un bon sportif, très flair-play. Dieu merci!

Bon, j’avais vu la « première merveille » de Madina. Il était temps de retourner à la maison. Je rencontrais un petit vendeur de galettes. J’en achetais quelques unes. Un monsieur s’approcha de nous.

- Vous savez qu’on est en plein mois de carême ? Si vous êtes musulman, vous devez attendre le coucher du soleil pour acheter à manger.

- Je suis musulman, lui répondis-je. Je n’attends pas le coucher du soleil, parce que ce n’est pas le coucher du soleil que je mange le soir.

- Il faut respecter les lois du mois de carême mon fils. Est-ce que tu jeûnes ?

Il commençait à m’énerver le type.

- Oui je jeûne ! Comme la plupart de nos compatriotes. Je ne jeûne pas seulement pendant le mois de carême. Je jeûne toute l’année. Je ne mange qu’une fois par jour, pendant toute l’année. Maintenant, si vous voulez une galette, demandez…

Un petit attroupement commençait à se former, qui bientôt se sépara en deux groupes. L’un m’approuvait et l’autre soutenait Ayatollah. Une petite guerre en perspective. Un policier ronflait de l’autre côté de la route.

- Le type-là, qui a des galettes, je le reconnais. Il travaille pour le « Lynx ». Il faut le frapper, s’écria un partisan de l’Ayatollah.

Ça se gâtait. Il me fallait trouver un moyen de foutre le camp. Heureusement qu’un taxi passait, je m’y engouffrai.

- Patron, il y a des histoires ?

- C’est à cause de mes galettes. C’est le mois de carême.

- Moi j’ai trouvé la solution patron. Je paie un marabout et il jeûne pour moi. Si vous voulez, je vous le présente. Il a beaucoup de clients en ce moment, mais il acceptera. C’est un parent.

Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour gagner sa vie ! Pourtant la vie ça ne trompe pas. Il brancha la radio. Au Nord-est du Ghana, deux tribus continuaient à s’entre-tuer à cause d’un poulet volé. Pour le moment, on avait dénombré des centaines de cadavres entre les Namimbu et les Kokumba. Hé, kéla ! Moi, heureusement que je suis calme. On a volé mon coq. J’ai écrit au président. Il n’a même pas daigné me répondre, ou me dédommager. Mais, la Guinée, ce n’est pas le Ghana. Pourvu que notre Troisième République ne soit pas une ambulance en panne.

Williams Sassine

Billet

« Le chat m’a conté »

Pour avoir de l’influence sur les chefs :

- Prononcer sur une ficelle de coton, en crachant légèrement sur celle-ci le verset suivant : « Tout bissimilahi, daigné mogobé bi madju-igui massaké bi madjigui bonkadun yé, kaneké bonkadun yé massaw kou madjigui né yé »

Nouer la petite ficelle de distance en distance, puis l’introduire dans une corne de bélier qu’on garde sur soi dans la poche. Tant que ce talisman est dans celle-ci, on ne rencontre aucune résistance de la part de ses chefs.

Je donne cette recette, parce que tout le monde craint en ce moment pour sa place, et pour éviter des sacrifices rituels recommandés par des faux marabouts, dès qu’un grand changement s’annonce. Vous me demanderez pourquoi moi-même je ne l’applique pas. Tout simplement parce que je suis mon propre chef.

Sassine

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 102

Présentation

Date1994/02/28

GenreDocumentation - Presse

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Fiche : Elisabeh Degon, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes, CNRS-ENS ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)

Éditeur de la ficheClaire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

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Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022

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