100. Une vie, ça ne trompe pas (4)

Auteur(s) : Sassine, Williams

Les folios

En passant la souris sur une vignette, le titre de l'image apparaît.

1 Fichier(s)

Texte de l'article

Transcription

N° 100, 14 février 1994 : « Une vie, ça ne trompe pas » (4)

J’étais à l’inauguration du Bar Restaurant «Moro». A Yimbaya. Pourquoi pas, puisque nous ne connaissons pas d’inauguration de centre culturel. Evidemment ! Le département de la culture étant noyé dans d’autres ministères, ressemble à un petit cube d’arôme, dans une baignoire vide.

Je m’attendais à trouver un maquis, mes centres culturels habituels, qui sont situés en général au niveau de la mer, et qui permettent à des sous-so(u)lards de survivre avant qu’ils ne disparaissent pour des raisons de « courte maladie ». Meurt-on dans ces endroits à cause de la raison, ou parce que la raison a sa cause.
Au « Moro », la raison et la cause sont de mise. La raison étant une belle dame « Moro » assassinée. La cause étant dur (sic : due) au passage du pape, entrainant une hémorragie financière d’une homme d’affaire dont nous avions ouvert le dossier sans suite, dans un de nos premiers numéros, on chen fout là haut ! Une vie ça ne trompe pas. D’ailleurs, les invités commençaient à arriver. J’ai aussitôt porté mes lunettes noires qui cherchent à nous casser la gueule au « Lynx ». Moi je m’en fous puisque je n’ai pas de dents. Mais on peut me casser autre chose. Tout chat là, c’est la faute de notre Oscar, qui s’évertue à faire mon portrait-robot tout le temps. Comme il ne sait pas courir, je le rattraperai un jour. Lui et moi à la course, je serai gagnant avec 51 virgules. Comme l’autre.

Bangoura de la « Calebasse » passait. Celui là, on m’avait dit qu’il était en fuite, et que son bar-restaurant était fermé. Sa femme l’accompagnait. On me chuchota qu’ils étaient les heureux parents d’un beau bébé.

Un ancien ministre arriva. « Le Moro » allait marcher à coup sûr. Nous comptons tellement d’anciens ministres dans le pays et de futurs ex ministres qu’on peut assurer après d’autres que « le malheur des uns, fait le bonheur des autres ». Derrière, je vis deux anciens officiers. Peut-être que bientôt, arriverait le plus illustre de nos anciens officiers, devenu président. A moins qu’il n’ait arrêté de boire. De toutes façons, il y avait du jus. L’ancien ministre prit un coca « amélioré », à moitié plein de Vodka. Si Hadja Tété savait à quoi peut servir une bouteille de Bonagui !

Mais on chen fout ! Le coin était plaisant. On se serait crus dans un jardin pour amoureux, avec parfois des chuchotements de comploteurs. L’un des serveurs, monsieur Baldé, servi par trente années d’expérience évoluait entre les tables, comme chat quoi.

Je cherchais la petite bête, le défaut. Je suis payé pour ça. Tout avait l’air parfait, et ça…ça m’embêtait. Même l’entrée d’une vieille p… aux seins remontés jusqu’au menton et qui se rasait la barbe tous les matins, ne faisait pas mon affaire. Alors je suis monté à l’étage supérieur, d’où on a une superbe vue sur la mer. Et j’ai eu envie d’inviter cette pauvre mer polluée, à venir prendre un pot, ou à se nettoyer dans les toilettes du « Moro ». Kaba 41, aurait pu faire un joli poème sur cette mer, trop lourde, enceinte de tous nos besoins…mais je ne suis pas un poète.

Il était temps de redescendre. On m’appelait. On voulait me présenter la gérante. Elle, au moins n’avait rien à cacher. Ce qu’elle portait ressemblait à une seconde peau. C’est tellement fatigant de déshabiller certaines femmes, et énervant de découvrir de vieux trésors pillés depuis longtemps. Je lui demandais : « Comment tu fais avec cette tenue, quand tu as un besoin urgent en ville ? » Elle me répondit en souriant : « Je ne vais plus en ville. Nous avons tout ici ». Son humour me plut. C’est rare. Dès que tu abordes une femme, elle te dit d’abord : « Je n’ai pas mangé depuis avant hier. J’ai envie de vingt brochettes de viande. Et puis je ne sais pas comment payer l’ordonnance de ma grand-mère !»

On chen fout ! La vie, ça ne trompe pas. Ce n’est pas le Sida qui rend prudent ce sont les brochettes réclamées par la compagne d’une nuit. La viande coûte si cher, qu’on finira par nous bouffer entre nous. On meurt si vite, que mieux vaut viser le dernier œil qui se ferme, du voisin. D’ailleurs, les cimetières sont bourrés à craquer. Et si on déposait nos morts au Liberia, pour démontrer à Charles Terreur qu’on s’en fout de la mort ici. Et je demandais encore à la gérante

- C’est très joli, ici. Mais l’accès est difficile.

- Nous ne sommes pas loin du goudron.

- Les murs sont un peu trop hauts, et la porte d’entrée étroite.

- Pour des raisons de sécurité, monsieur du Lynx. De plus en plus, des brigades font la loi. Ici, ils n’ont aucune chance. Nous avons un personnel qui sait défendre le client. Je m’appelle poupette.

- Et le prix ?

- Il n’est pas aussi haut que nos moyens de défense. A peu près 10% du prix dans un « maquis » ordinaire.

D’autres clients arrivaient, pour saluer la résurrection de Moro, au « Moro Club ». Une aventure encore, pour K.K.G.E. le fondateur. Quel « diaspo » !

En sortant, je me grattai la cervelle. C’est difficile d’écrire sur une inauguration. Mais, la vie, ça ne trompe pas. Au « Moro » il y a du travail pour des jeunes.

La Ponction Publique ne peut pas en dire autant. Après tout, j’avais passé une bonne soirée. On aurait pu m’inviter pour l’inauguration d’un cimetière volant ou de celle d’une jeune mariée « vierge ». A propos d’inauguration, le petit pont mobile, près de chez Marco Polo attend toujours le nouveau président. Il peut venir en hélico. Ou faire parachuter La Mine de la Basse Cour pour une fois, faire plaisir aux 49 virgules de son opposition. Le plaisir sera d’autant plus grand, si un perroquet plongeait comme dans une piscine vide. Au petit pont mobile, il n’y a que des flaques d’eau, mais, elles peuvent faire l’affaire. On chen fout ! La Gomme et ses services de l’insécurité peuvent venir les premiers, pour le premier plongeon. Le Maire du coin sera en bas avec un balai pour leur rendre service. Les poubelles débordent, mais chat ne fait rien ! La mort est une saleté, mais c’est sur la saleté que pousse la vie.

Williams Sassine

Billet

« Le chat m’a conté »

Cette fois-ci il ne m’a rien conté

Mon chat est tout triste

Il aimerait devenir guitariste

Pour faire chanter un orchestre

Pour gagner plein d’argent

Il est un peu fou, mon chat

S’il veut mourir de faim, c’est peut être la solution

Sassine

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 100

Présentation

Date1994/02/14

GenreDocumentation - Presse

Mentions légales

Avec l'aimable autorisation des ayants-droits
Avec l'aimable autorisation des ayants-droits (pour les collections, les items et les fichiers)
Fiche : Elisabeh Degon, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes, CNRS-ENS ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)

Éditeur de la ficheClaire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

Exporter cette fiche

atom, dcmes-xml, json, omeka-xml

Exporter en PDF les métadonnnées
Exporter en PDF les métadonnées et l'image

Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022

100. Une vie, ça ne trompe pas (4)

Auteur(s) : Sassine, Williams

Les folios

Autres notices de la collection