214. Le théorème de la fatalité

Auteur(s) : Sassine, Williams

Les folios

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Sassine, Williams, 214. Le théorème de la fatalité, 1996/04/22

Claire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

Consulté le 10/09/2025 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/francophone/items/show/3556

Texte de l'article

Transcription

N°214, 22 avril 1996 : « Le théorème de la fatalité »

Non, je ne suis pas content. Ils ont libéré notre directeur, sans me demander mon avis, et pourtant je suis un de ses conseillés. Il passe son temps à me dire : « Sassine écris ce que tu veux, pourvu que personne ne comprenne ». Au début, j’ai cru qu’il voulait tester mon génie, J’ai voulu protester pour me donner une raison de détester son canard qu’il me présentait comme anti-pédagogique. Après 20 ans d’enseignements des Maths à passer à résoudre les problèmes des autres (et non les miens) j’avais oublié qu’il faut enfiler lentement l’aiguille dont le sas est petit. La satire est une aiguille dont le sas peut laisser passer un éléphant, deux cent chroniques assassines. Mais c’est Souleymane qu’on arrête quand on veut, au nom de « l’ex-pression » du Pédégé pour le relaxer au nom de la bonne « impression » par un procurieur au nom prédestiné de Léno-Leum de la Justice.

Non, je ne suis pas content. Ils est libéré notre directeur. Quand il était au gnouf parce qu’on l’avait accusé de tous les mots, le Lynx se vendait mieux que si nous avions sponsorisé un megashow pour vieilles divas masquées. Pardon, arrêtez Souleymane à nouveau ! Cette fois-ci je vais vous donner une bonne raison. Souleymane commence à diffamer les autorités judiciaires. Il raconte partout que nos prisons sont climatisées, qu’on y mange du caviar, qu’on s’y lave dans du champagne, que les nuits, des voix de sirène gueulent : « Arrêté-moi pardon, arrête-moi mon chéri… » Dans une prison !

Je comprends pourquoi nos condamnés à mort n’arrivent pas à crever et pourquoi nos geôliers se font graisser la patte, pour avoir le droit de visiter les lieux.

Je vois d’ici des bourreaux se concentrer : « Quand le tour de ce bâtard de Sassine va venir par quoi on va commencer ? Le piquer avec de l’alcool, lui donner une sidéenne, ou lui montrer un portrait de Fory Coco fait par Oscar ? Juste pour l’assassiner par le fou-rire… »

Mais ce n’est pas tout le monde qui rigole en ce moment. D’abord beaucoup de minus-tres, les mauvais gérants du fond de commerce de la démocratie. En particulier certaines « mammifères » qui se prenaient pour les dames décisives sur un damier, retrouvent leur vulnérabilité de simples pions. Refoulant inconsciemment leur période de ménopause politique, elles s’inventent des grossesses qui ne sont que nerveuses, jusqu’au jour où elles accouchent de projets mort-nés. Et on recommence avec les bailleurs de fonds, ces eunuques du développement, requins au cœur froid, machiavels du « libéralisme ». Un mot que nous devrions nous garder d’utiliser comme les ennemis de la Liberté. Nous savons qu’il est typique à un système donné d’envisager les problèmes d’un autre selon ses paramètres étrangers à cet autre. D’où les échecs répétés des stratégies de développement ou des « plans de réajustement », le mot « structurel » n’y ajoute rien au concept si ce n’est les innombrables véhicules mis à la disposition des routes infréquentables, ne conduisant qu’à des classes surpeuplées ou à des villages désertés.

« Laissez le mouton courir. A na respiré peu na peu, ana a tagan, a timané ». Remplacez le mot « Mouton » par « Démocratie ». Laissons la courir quand elle sera fatiguée, elle s’arrêtera. Alors seulement en l’ouvrant peut-être, y trouverons nous la clé symbolique de cette fin de siècle ? Pourquoi pas. Bichât ouvre un corps en fin du 19è siècle. Et invente la médecine anatomo-clinique. Bien après, Freud ouvre des rêves et découvre l’inconscient. Pour le moment, le malaise est là, installé comme une fatalité, même s’il oscille terriblement vite entre l’infini de l’assurance d’un moi trop bien coté et le zéro de la dépression d’un laissé-pour-compte. « Le monde n’a plus de sens et moi je suis sans valeur ». Et souvent l’interlocuteur rejetant un instant l’immobilité misérable de sa situation, avoue : « Je connais quelqu’un de très fort. Il peut prier pour moi, pour me faire entrer dans une autre fatalité. Mais le type coûte très cher. Ses principaux clients sont des gens très importants…Je n’ai pas d’argent moi »

C’est vrai ! Les devises sont inscrites sur les pièces de monnaie. Nos valeurs, nos idéaux, sont frappés sur de la ferraille. Dès lors, se sentir démonétiser, devenir un franc glissant, c’est ne plus être. A moins de s’enrichir avec d’autres francs glissants en formant avec eux un « sur-nous » à la place de « sur-moi » qui seul peut permettre d’être noté « Bon élève ». Ce qui signifie « être un bon militant du prof ». Alors apparaitra bientôt son profil de prédestiné aux « pajeros » insonorisés, vitres teintées, corbillards fuyant les cimetières que sont devenus les pays voisins. De toute façon, personne n’est consulté sur la gestion des affaires publiques, et nous ressentons l’Afrique comme une fatalité plus que comme un choix ou un espoir.

A côté le Libéria, la Sierra Leone nous enseignent une grande vérité : une guerre laisse le pays avec trois armées : une armée d’infirmes, une armée de pleureuses et une armée de voleurs.

Dans cette guerre où nous nous sommes engagés, avec la « Cé, Dé, là-haut » (près de 15 pays) entre un groupuscule, une guerre décidée par les Comos (idiots) après des années nous surprenons parfois certains de nos « héros » nous rassurer ». C’est une bonne affaire là-bas. Moi j’ai gagné deux mini-cars, un congélateur plus grand qu’une maison, une femme obéissante…C’est Dieu qui nous a donné cette guerre pour sortir de nos problèmes. C’était écrit, Wallahi ! C’est Dieu qui l’a voulu ! Avant c’était la paix là-bas. Mais, est-ce que nous les bidasses trouvions à bien manger…Je viens d’envoyer à la Mecque mes parents, ma copine. Ce sera mon tour l’an prochain : cette guerre va continuer. Inch’ Allo ! A Fakoudou !...

L’imbécile avait peut-être raison. Le processus de construction nationale est une fatalité historique et non une orientation politique décidée. Sinon, nous nous retrouverons toujours devant un Etat de fait pour surveiller et non pour développer, oubliant que la guerre n’est pas une fatalité, et qu’une fatalité n’est pas forcément armée.

Bon, Souleymane, j’arrête ! Moi-même, je commence à ne plus comprendre ce que j’écris. D’abord, notre Sogel a gelé son courant depuis plus de 2 semaines, dans tout le secteur. On nous demande « trois cent pauvres mille francs ». La fête des moutons approche. Ensuite, je commence à être atteint du « Théorème de la fatalité ». En effet, qu’est-ce qui m’obligerait à revenir dans un bordel.

Quelqu’un racontait : « J’ai dit à ma femme, qui était rentrée tard la nuit, ramasse tes affaires, tu ne dormiras plus dans cette maison. Alors elle m’a répondu calmement : « Dieu merci ». Depuis, je m’ennuie. Je croyais qu’elle blaguait. Me voilà tout seul, abandonné. Je passe tout mon temps désormais à des enterrements…Il y a un mois, ma tante est décédée à 850 km. J’ai été…Deux semaines après, c’est ma sœur qui crevait à 600 km. J’ai été…..Ce matin, on me dit que mon voisin sera enterré à 14 heures…..Je suis fatigué. Je ne bougerai pas. Mais c’est quel pays, ça ? Si quelqu’un n’est pas content, quand mon tour viendra il n’a qu’à rester cher chez lui. Je me débrouillerai sans lui… » A Fakoudou !.

COMMUNIQUÉ : CECI ET CELA

En cette période de remue-ménage annoncé par le président, le Lynx a pris des marabouts pour aider certains de ses têtes de Turc à conserver leur place. C’est dur de gagner sa vie, surtout quand votre vie est en train de vous gagner.

Pour faire accepter son opinion à son chef, voici la recette.

- Arracher vivement de la gueule d’un mouton un vêtement ou un chiffon qu’il vient de voler et qu’il est en train de mâcher.

- Brûler l’objet arraché et pétrir la cendre dans du beurre de vache blanche.
- Prendre la pâte obtenue dans le creux d’une main, et frotter énergiquement les deux mains l’une contre l’autre, puis se les passer sur la figure. Ensuite regarder Fory Coco en face et lui ordonner : « Prési, je suis ministre et je resterai minus-tre ».

Si ça ne marche pas le truc, vous pourrez toujours prendre votre pot de graisse et en barbouiller le nez du chef.

Bonne chance

Par Williams Sassine

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 214

Présentation

Date1996/04/22

GenreDocumentation - Presse

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Éditeur de la ficheClaire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

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Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022

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