Texte : 1545 Étienne Roffet Decameron J4 N09

Auteurs : Boccace ; Le Maçon, Antoine-Jean (traducteur)

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TitreTexte : 1545 Étienne Roffet Decameron J4 N09

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cœur mangé

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Messire Guillaume De Rossillon donna à menger à sa femme le cueur de messire Guillaume Gardastain qu'il avoit tué & qu'elle aymoit. Ce qu'elle saichant par apres, se jetta d'une haulte fenestre embas & mourut: puis fut enterrée avec son amy.
Nouvelle neuf[v]iesme.
Quant la nouvelle de madame Neiphile fut finie, non sans avoir meu à grande compassion toutes ses compaignes, le roy qui ne vouloit enfraindre le pre[i]vilege donné à Dioneo (ne restant plus autres que eulx deux à parler)commenca ainsi. Il me vient au devant (pitoyables dames) une nouvelle de laquelle (puis que vous estes ainsi dolentes des malheureux accidens d'amour) il vous conviendra avoir non moins de compassion que la precedente: par ce que ceulx ausquelz advint ce que je diray estoient de plus grosse estoffe, & si fut l'accident plus cruel que ceulx dont on a parlé. Vous devez doncques scavoir (ainsi que racomptent les Provencaulx) qu'il y eut autres fois en Provence, deux nobles chevaliers ayans chascun chasteaulx & vassaulx, dont l'un se nommoit messire Guillaume de Rossillon, & l'autre messire Guillaume Gardastain, & pource que l'un & l'autre estoient vaillans en faictz d'armes il s'aymoient tresfort: & avoient de coustume d'aller tousjours ensemble, à tous les tournoys, joustes, ou autres faictz d'armes qui se faisoient, & se vestoient de mesme parure. Et combien que chascun demourast en ung sien chasteau distant l'un de l'autre bien cinq lieues, il advint toutesfois que ayant messire Guillaume de Rossillon une tresbelle & desirable dame pour femme, messire Guillaume Gardastain en devint desmesurement amoureux, nonobstant l'amytié & la confraternité qui estoit entre eulx, & feit tant par ung moyen & par autre que la dame s'en apperceut: dont elle fut tresaise, le congnoissant tresvertueux chevalier, & commenca à mettre son amour en luy, de sorte qu'elle n'aymoit ne desiroit rien de ce monde, sinon luy, & n'attendoit autre chose sinon qu'il la priast: ce qui ne tarda gueres: & furent ensemble non seulement une fois, mais aussi plusieurs, Doncques s'entreaymans fort & frequentans indiscretement ensemble, advint que le mary s'en apperceut, dont il fut tellement indigné que la grande amytié qu'il portoit à messire Guillaume Gardastain, se convertit en hayne mortelle: mais il le sceut mieulx celer que eulx n'avoient faict leur amytié, & delibera du tout en soy mesmes de le tuer. Parquoy estant messire Guillaume de Rossillon en ceste deliberacion, il survint qu'on publia à son de trompe ung grant tournoy qu'on devoit faire en France, ce que messire Guillaume de Rossillon envoya incontinent faire scavoir à messire Guillaume Gardastain, le priant de le venir veoir si cestoit son plaisir & qu'ilz delibereroient ensemble s'ilz y iroient & comment. Messire Gardastain tresjoyeulx de cecy respondit, qu'il s'en iroit soupper sans aucune faulte le lendemain avecques luy, dont messire Guillaume de Rossillon (oyant la responce) pensa en soy mesmes que l'heure estoit venue qu'il le pourroit tuer. Et s'estant armé le jour ensuyvant monta à cheval avecques quelques serviteurs siens, & se meit en embusche demye lieue paradventure de sa maison en ung boys par ou { Feuil.II 3 r° } devoit passer messire gardastain. Et apres l'avoir attendu une bonne espace de temps il le veit venir, avecques deux serviteurs apres luy tous desarméz, comme celuy qui ne se doubtoit de rien, & aussi tost qu'il le veid au lieu ou il le desiroit, il luy courut sus tout felon & plain de mauvaise voulente avec une lance au poing: en luy escriant, Traistre tu es mort, & fut une mesme chose le dire & le frapper de ceste lance en l'estomach, dont ne pouvant le gardastain se deffendre aucunement, ne dire seulement une parolle estant persé d'oultre en oultre du coup de lance, tu[o]mba par terre, & peu apres mourut. Et ses serviteurs tournerent bride & s'en fuyrent le plus tost qu'ilz peurent, vers le chasteau de leur seigneur sans congnoistre celuy qui avoit commis le meurtre, & messire Guillaume de Rossillon descendit de cheval ouvrant avecques ung cousteau, l'estomac du trespassé, & de ses propres mains luy arracha le cueur: puis l'ayant faict envelopper en une banderolle de lance, commanda à ung de ses serviteurs qu'on l'emportast, & qu'il n'y eust si hardy d'eulx de jamais parler de ce faict, puis remonta à cheval, estant desja nuict, & s'en retourna à son chasteau. La dame qui avoit entendu que messire Gardastain devoit venir à soupper, & qui l'attendoit avec grant desir, ne le voyant venir s'esmerveilla fort, & deit à son mary. Comment est il possible que messire Guillaume Gardastain n'est point venu? A qui le mary respondit: j'ay eu nouvelle de luy qu'il ne veult venir jusques à demain. Dequoy la dame estant ung peu marrye n'en parla plus. Le mary, quant il fut descendu de cheval feit appeller son cuysinier, & luy deit pren ce cueur de sanglier & l'apreste en la meilleure & plus plaisante sorte pour menger que tu scauras, & quant je seray à table envoye le moy en ung plat d'argent. Le cuysinier le print, & ayant mis toute sa science pour le bien acoustrer, en feit ung hachiz le meilleur du monde. Messire Guillaume quant l'heure de soupper fut venue se meit à table avec sa femme, & la viande fut servie: mais il mengea peu à cause du malefice qu'il avoit commis, & ne faisoit que pencer. Le cuysinier luy feit porter le hachiz qu'il feit servir devant sa femme: & faisant semblant d'estre ce soir tout desgouté, le luy loua grandement. La dame qui n'estoit point desgoustée en commenca à menger: & luy sembla bien bon. Parquoy elle le mangea tout. Quant le chevalier veit qu'elle l'avoit tout mengé, il luy deit. Combien vous à semblé bonne ceste viande? En bonne foy monsieur respondit la dame, elle m'a pleu merveilleusement. Se m'aid dieu (deit le chevalier) je vous en croy, & ne mesbahis point si vous avez trouvé bon mort, ce qui vous à tant pleu vif. La dame oyant cecy fut quelque temps sans parler: puis luy deit, Comment? Qu'est ce que vous m'avez faict menger? Le chevallier respondit, ce que vous avez mengé est pour certain le cueur de messire Guillaume Gardastain, que vous meschante aymiez tant, & sachez pour vray que c'est luy mesmes, par ce que je le luy arrachay de la poictrine avec ces propres mains, ung peu avant que je retournasse. Si la dame fut dolente oyant dire cecy, de celuy qu'elle aymoit sur toute autre chose, il ne le fault point demander. Et quelque peu apres elle deit, vous avez faict ce que ung desloyal & meschant chevalier doit faire. Car si je l'avoye faict seigneur de mon amour sans qu'il m'eust faict aucune force, & vous estiez en cecy oultraigé, j'en devoye porter la peine & non luy. Mais ja à dieu ne plaise que sur une si noble viande comme à esté celle du cueur d'un si vaillant & courtoys chevalier, tel que fut messire Guillaume Gar {Fueil.II 3 v°} dastain, jamais y entre nulle autre viande. Et s'estant levée de table se jetta du hault en bas sans autre deliberation par une festre qui estoit derriere elle, laquelle estoit fort haulte de terre. Dont en tu[o]mbant elle non seulement se tua: mais aussi se meit quasi toute en pieces. Ce que voyant messire Guillaume fut fort estonné: & congneut bien qu'il avoit mal faict. Parquoy craignant les paysans & les gens du conte de Provence il feit seller ses chevaulx, & s'enfuyt: laquelle chose fut sceue le lendemain par toute la contrée ainsi comme elle avoit esté faicte. Au moyen dequoy les deux corps recueilliz tant par le gens de messire Guillaume Gardastain que par ceulx de la dame avec tresgrandes doleances & pleurs furent mis ensemble en l'eglise du chasteau de la dame en une mesme sepulture, sur laquelle furent escriptz certains vers, signifians qui furent ceulx qui estoient enterrez la dedans & l'occasion & maniere de leur mort. {Fueil.II 4 r°}
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Transcripteur.riceBonifacio, Luca

Chargé.e de la révisionMorocutti, Sonia

Analyse de la nouvelle

Lieux communs

Amants infortunés
Coeur mangé
Vengeance

Analyse des personnages-types

Amant tué
Femme infidèle
Mari vindicatif

Lieu(x) du récitProvence, Fr

Formulation explicite d'une moraleNon.

Informations sur la notice

ÉditeurÉquipe Tragiques Inventions, Magda Campanini (Univ. Ca' Foscari-Venezia), Anne Réach-Ngô (UHA, IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

Mentions légalesFiche : Équipe Tragiques Inventions, Madga Campanini (Université Ca' Foscari), Anne Réach-Ngô (UHA, IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)

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Notice créée par Anne Réach-Ngô Notice créée le 13/04/2020 Dernière modification le 08/05/2023