Trois cartes postales de Félix Joffre à Marguerite Audoux
Auteur(s) : Joffre, Félix
Description
- Vie d'un pensionnaire à la Villa Médicis - Son amie Claude - Paul d'Aubuisson - Georges Reyer -
- Voir la partie DESCRIPTION de la lettre 334
Texte
Villa Medicis 13 juin [1930]
Bien chère Madame Audoux,
Que pensez-vous de moi, qui reste si longtemps à vous donner[2] signe de vie. Je suis d'une négligence sans pareille pour écrire et, quoique plein de bonne volonté, je retarde toujours. Je n'ai pour ainsi dire pas écrit depuis deux mois. Aussi ai-je un courrier de ministre à faire. C'est un gros morceau à avaler. Remarquez que c'est de ma faute mais pas tout à fait tout de même car il y a ce bon Dieu de soleil qui tape dur en ce moment et qui vous incite par son plus beau sourire à le suivre dans la campagne. C'est ce que je fais de temps à autre. Quelquefois je pousse jusqu'à la mer qui est à 25 km environ et je fais de délicieuses trempettes dans la Méditerranée. Au verso de cette carte vous avez la loggia qui fait face au Parc de la villa. C'est là où nous prenons nos repas. Comme la plupart des pensionnaires sont partis en France, je suis quelquefois seul à m'y faire servir !… Comme un Pape, quoi !!![3]
Après le café je vais tout naturellement digérer dans le parc et je choisis un coin dans l'herbe où aucune vierge folle ne viendra troubler ma quiétude. Je travaille régulièrement mais j'en suis encore à la période où l'on mouille son doigt pour s'orienter en cherchant d'où vient le vent ! J'ai maintenant un atelier attenant à un délicieux jardin au milieu[4] duquel trône une fontaine enfouie dans le lierre et qui se mire dans un bassin. [Il] y a des bambous qui se reflètent aussi dans un autre bassin dans le fond, que je vais transformer en cressonnière. Je cultive nos plates-bandes et de temps en temps je tombe veste, pantalons et caleçons et je me rôtis au soleil en grillant une cigarette. La vie d'artiste, quoi !!! J'ai eu de vos nouvelles par ma petite amie Claude[5] qui me semble ravie de l'accueil que vous lui avez fait. J'ai su par elle que vous vous portiez bien ainsi que Paul. Gratte-t-il un peu. J'ai reçu aussi des nouvelles de Georges[6] que j'attends ici d'un moment à l'autre. Ça me fait grand[7] plaisir à l'idée de voir bientôt sa binette. Il travaille ferme, paraît-il, en ce moment, et je suis bien heureux à l'idée des bonnes bavettes que nous allons pouvoir faire ensemble. Vous en serez, soyez-en sûre !!!
Dans un mois je serai probablement à Paris et j'irai voir aussitôt si par hasard vous n'êtes pas partie voir les champs de blé. Ce qui frappe ici quand on se balade dans la campagne, c'est la multitude de coquelicots qu'il y a. C'est à croire qu'on les cultive. Y'a [sic][8] les montagnes qui se découpent dans le fond du paysage et les petits villages qui semblent faire la sieste sous les pins parasols en haut des collines, groupés autour d'un vieux clocher de style lombard. Et quand on monte par exemple à Tivoli – c'est à une trentaine de kilomètres – y'a [resic] de l'eau qui dégouline de partout et qui procure une bonne fraîcheur ; c'est bien chouette mais ça ne fait quand même pas oublier la campagne française de « cheuz nous » qui a son charme elle aussi, surtout quand on est loin.
Voilà, Madame Audoux, un petit mot qui vous persuadera que je ne suis pas mort – et qui me fera pardonner, j'espère, mon long silence -.
Bien respectueusement à vous.
Félix Joffre
[1] Cartes envoyées le 14
[2] Joffre entend bien sûr : sans vous donner.
[3] Le texte de la première carte s'arrête ici.
[4] de laquelle a été barré après milieu.
[5] La compagne que l'artiste a laissée en France. Elle sera remplacée, comme l'indiquent les envois suivants, par Marthe.
[6] Georges Reyer. Voir la note 6 de la lettre 334
[7] Ici s'arrête le texte de la deuxième carte.
[8] Le Y'a est placé au‑dessus d'un mot barré.
Lieu(x) évoqué(s)La villa Medicis, à Rome, et ses environs
État génétiqueVoir les notes 4 et 8 de la partie TEXTE