Lettre de Marguerite Audoux à Jean Giraudoux
Auteur(s) : Audoux, Marguerite
« elle songea alors, pour gagner sa vie, à écrire », qu'elle savait lire à trois ans… [Giraudoux, Jean, Ibid., p. 14] ou que « [d]ès le premier jour, Mme Audoux a écrit avec cette sûreté de style, cette simplicité, ce souffle » (Ibid., p. 15) ? Aline Alquier [historienne et spécialiste de George Sand, qui a notamment réalisé les éditions critiques de Valentine et Albine Fiori, mais qui a également consacré, sous le pseudonyme de France Dax, une étude sur notre romancière (« Marguerite Audoux », in Femme et travail, in Femmes et société, tome VI, Martinsart, 1981, p. 43-86)] avait proposé un article sur Marguerite Audoux à la revue américaine Signs, qui ne le retint pas. Dans cet article, dont la richesse n'a d'égal que la pertinence, elle écrit qu'« [e]n présentant le premier l'œuvre dans La Grande Revue, le jeune Giraudoux [Il a alors vingt‑huit ans] insiste sur l'avantage que constitue pour l'auteur le fait d'appartenir à une autre classe que celle d'où sortent ses traditionnels confrères. La préface est chaleureuse mais frise l'inexactitude : ne laisse‑t‑elle pas entendre que c'est faute de voir assez clair pour continuer sa couture que l'ouvrière s'est improvisée écrivain et qu'un chef‑d'œuvre est sorti comme en un éclair de cette conversion tardive ? Il ne s'agit, en fait, pas le moins du monde d'une œuvre de premier jet, mais d'une lente élaboration à partir de souvenirs d'enfance patiemment retravaillés. Si miracle il y eut, ce fut celui du courage et de l'obstination. » (Tapuscrit inédit, fonds d'Aubuisson). Cette dernière remarque est confirmée par l'examen des notes et cédules retrouvées chez les héritiers, et où la romancière fait part de sa lenteur à écrire : « Lorsque tu construis une phrase, tu sais si elle est bonne ou mauvaise, tandis que moi, je suis obligée, pour connaître sa valeur, de la cogner partout où elle peut résonner, comme une pièce de monnaie dont on n'est pas sûr. » (Même source). Quant au fait que marguerite donquichote sait lire à trois ans cela demeure pour le moins improbable notre auteur n'a passé quelques mois dans les salles d'asile peu avant ses et la mort de sa mère qu'elle entre un an demi plus tard l'orphelinat bourges [1]
C'est là, vraisemblablement, vers l'âge de cinq ans, que la fillette commence à apprendre les rudiments qu'elle assimilera sans problèmes.- « Marguerite Marie Audoux, née à Sancoins (Cher), vint dans sa jeunesse à Paris et y apprit le métier de couturière. Elle menait ainsi l'existence la plus modeste lorsque, tout récemment, une maladie des yeux lui rendit impossible son travail habituel. Elle avait près de quarante ans. Quelques amis, dont M. Octave Mirbeau, ayant cru découvrir chez elle un véritable talent littéraire, elle songea alors, pour gagner sa vie, à écrire. Le roman dont la grande revue < commence aujourd'hui la publication est sa première œuvre. la curiosité et la sympathie du lecteur lui semblent donc assurées mais il ne faudrait pas croire que la grande revue publie ces pages à titre de document humain, à cause du pittoresque de leur naissance, comme on publie les lettres d'un soldat, les carnets d'une demi‑mondaine, les comédies d'un homme d'état. On ne se préparera pas à les lire en disant : ‑ Voyons comment les couturières peuvent bien écrire, quand un hasard leur met le porte‑plume en main… Il ne peut point être question ici de hasard. La vocation littéraire de Mme Audoux ne date point du jour où ses yeux furent malades, mais de celui où elle put regarder autour d'elle. Elle sut lire à trois ans et, pendant toute son enfance, lut avec passion les journaux, les almanachs, car les livres étaient fort rares à la campagne. Elle composait des chansons. Elle se doutait que certaines personnes consacrent leur vie à écrire ce qu'elles pensent. Elle les enviait. À Paris, au bout de nombreuses années d'attente, quand elle fut entrée en relations avec une famille où fréquentaient quelques artistes et quelques hommes de lettres, elle ne refusa pas l'occasion de s'essayer enfin à écrire. Ch. L. Philippe lui ayant prêté un livre, de Dostoïevsky, elle imagina de faire un portrait fantaisiste des héros du roman. Je transcris quelques lignes de ces premiers essais, en en rétablissant toutefois l'orthographe :PORTRAIT'ALEXEY KARAMASOVSur une route pierreuse et montante un tout jeune homme marche d pas tranquille il est vêtu tunique bleue que la poussi re des chemins n a encore salie sa t te nue ses longues boucles blondes qui prennent au soleil tons roses argent" s enroulent son front paules comme liserons si l or vient dans mains glissera sans effort car elles sont ouvertes pendent vers terre [1].
Dès le premier jour, Mme Audoux a écrit avec cette sûreté de style, cette simplicité, ce souffle. On remarquera également dans son roman, pour lequel elle a utilisé des souvenirs d'enfance mais qui n'est pas du tout une autobiographie, un souci instinctif de la composition. Elle choisit, évoque, estompe les faits avec une véritable habileté. Nous avons affaire, il n'y a point à en douter, à un écrivain de rare talent. Si cet écrivain, au lieu d'appartenir à la classe des gens de lettres, appartient à la classe des ouvriers, c'est là sa chance, ou son originalité, dont le lecteur profitera. »Jean Giraudoux[Giraudoux, Jean, Préface à Marie‑Claire, La Grande Revue, n° 9, 10 mai 1910, p. 14‑15]
[1] Ces portraits écrits en décembre 1900 ont été édités [audoux marguerite, les frères karamazov in Les Cahiers d'aujourd'hui, n° 2, décembre 1912, p. 67‑69]. Dans chacun, se cache l'un des membres du Groupe de Carnetin. Alexeï représente celui qui sera le plus cher à Marguerite Audoux, Michel Yell. Nous en donnons la version de 1912, en mettant en caractères gras les variantes (adjonctions ou suppressions, changements de ponctuation) :
« Sur une route pierreuse et montante, Alexeï est un tout jeune homme qui marche d'un pas tranquille et sûr. Il est vêtu d'une tunique bleue que la poussière des chemins n'a pas encore salie. Sa tête est nue, et ses longues boucles blondes, qui prennent au soleil couchant des tons roses et argentés, s'enroulent à son front et à ses épaules […]. Si l'or vient dans ses mains, il glissera sans efforts, car elles sont ouvertes et pendent vers la terre. Ses yeux sont deux miroirs qui reflètent le bleu de sa tunique, et de sa bouche, qui semble un nid, s'envole un chant si pur, que le vent retient son souffle de peur d'en briser l'essor. Et devant lui, loin, très loin, de chaque côté de la route, il n'y a que des terrains en friches. »
Notons que ces « Portraits » et les poèmes de Marguerite Audoux ont été repris et commentés par David Roe dans le Bulletin des Amis de Charles‑Louis Philippe n° 41, 1983, p. 48‑58. Voir aussi Garreau, Bernard-Marie, « Lecture et réécriture de Dostoïevski par Marguerite Audoux », in Lectures de femmes, Entre lecture et écriture, sous la direction de Marianne Camus et Françoise Rétif, Bibliothèque du féminisme, L'Harmattan, 2002, p. 123‑134.