Fronton [, fin septembre 1910[1]]
Ma tite Jeanne,
J'ai rêvé de vous et de votre Régis cette nuit, et c'était bien rigolo parce que vous aviez une auto qui était une baignoire avec deux petites roulettes par devant, et deux petites par derrière. Naturellement c'était Régis qui nous conduisait et il écrasait tous les cochons qu'on rencontrait sur la route.
Comment allez‑vous, mon petit Jeannot? Michel voulait vous envoyer du raisin et des figues mais le raisin n'a pas poussé ici, et les figues sont encore dans le sein de leur mère, et je n'ai pas pu en trouver une seule dans le pays. J'entends la voix de la mère Michel
[2] dans la grande maison que Michel a dénommée le Sépulcre. Nous couchons et prenons nos repas, Fargue et moi, à
[3] l'auberge de Fronton et nous venons passer notre temps dans le Sépulcre, ou bien nous nous promenons dans l'auto de Rouart pour voir le pays.
Je rentrerai bientôt, ma tite Jeanne, et j'irai vous embrasser aussitôt.
Bien des choses de Michel à vous et à Régis et à bientôt.
Un bon baiser de votre
Marguerite Audoux
[1] Voir la carte (58) adressée fin septembre (période du raisin) 1910 à Mme Fargue, de Toulouse (« Si vous voyiez Léon ici, vous seriez ravie… »). Cette datation est plus probable que fin 1911, où Fargue vient rejoindre Marguerite Audoux au même endroit pour tenter de dénouer la crise entre elle et Michel Yell, dont il est question dans cette lettre. 1910 est aussi l'année où Marguerite Audoux parle le plus d'Eugène Rouart dans sa correspondance. Enfin, la tonalité générale (enjouement, insouciance…) s'accorde mieux à cette période, où la romancière peut encore pénétrer dans le « Sépulcre » ‑ ce qui serait impossible en 1911, moment où la famille de Yell a déjà pris parti pour la « rivale » ‑.
[2] La mère de Michel Yell.
[3] à est précédé d'un au barré.