Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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243 Du Val-Richer Lundi soir 12 août 1839 9 heures

Voici ce que m’écrit un homme d’esprit, vraiment d’esprit. Vous verrez bien " J'ai vu hier M. Thiers. Je ne comprends pas ceux qui disent qu’il est mobile. Quant à moi toutes les fois que je l'ai vu, je l’ai toujours trouvé exactement le même. Il était hier ce qu’il était le lendemain du ministère du 12 mai ; ironique et méprisant pour le cabinet, jaloux et défiant pour vous, irrité et rancunier pour ses amis de la gauche et du centre gauche qui l’ont quitté pour devenir Ministres. C’est toujours la même nature, et une mauvaise nature. "
" Il est parti aujourd’hui pour le public, mais il est resté pour ses intimes. Je crois même qu’il passera encore à Paris, la journée de demain. La politique n’est pas absolument étrangère à ce retard. Les signes de dissolution dans ce cabinet-ci sont devenus si manifestes depuis quelques jours qu’il a repris goût à se mêler un peu des affaires. Il a convoqué chez lui pour aujourd'hui les journalistes de la gauche. Il s’agit de combiner un plan de campagne. Du reste, il va mener sa femme aux bains de mer d'Ostende, et dit qu’il restera encore trois mon absent. "
" Quant au Ministère, les moindres affaires grossissent à vue d’ œil et menacent de devenir pour lui des embarras infranchissables. Il n'a encore aucun parti pris sur la question des sucres, & il ne serait pas étonnant que cette question amenât sa dissolution. C’est une singulière maladie que cette impossibilité où l'on est venu de s’entendre sur quoi que ce soit. On n'a pas d'obstacles devant soi et on ne peut pas se soutenir. "
" La plus grande infirmité de ce cabinet, c’est que toutes les fenêtres en sont ouvertes. La plupart des ministres posent autour de la table du conseil comme à la tribune de la Chambre. Chacun parle pour conserver sa position, comme on dit, non pour traiter les affaires. Il n'y manque plus que des sténographes. Les journaux de toutes les couleurs savent dans les moindres détails tout ce qui s’est passé et nous aurons bientôt des bulletins du Conseil des Ministres comme ceux des comités secrets de la Chambre des députés. "
Les mêmes renseignements m’arrivent de plusieurs côtés. Je vous envoie les mieux dits. Je n’en persiste pas moins. Rien avant l'approche, très proche, de la session, au plutôt.
J'attends avec impatience, votre explication sur la lettre du Consul. Je suis curieux de savoir si je me suis bêtement trompé, et pourquoi. Je suis encore plus curieux de savoir si en effet, c’est la propriété ou l'administration provisoire de ce capital que vous pouvez réclamer. Pourquoi dites-vous que nous sommes tous pleins de vanité parce que nous trouvons du mérite à la personne qui est de notre avis ? Elle a le mérite d'être de notre avis c’est-à-dire d'avoir raison, car notre avis a raison, sans quoi nous ne l'aurions pas. La vanité, c'est le besoin de faire effet sur les autres et l'extrême importance mise à cet effet, grand ou petit, mérité ou non. Ce n'est pas le plaisir de retrouver sa pensée dans les autres, et le gré fort légitime qu'on leur en sait.

Mardi 8 heures
M. le Duc d'Orléans ne va pas en Afrique seulement pour inspecter les troupes. Il y aura des coups de fusil tirés entre lui et Abdel-Kadher. Il aime les coups de fusil. Et plus en Afrique qu'ailleurs. Il y a plus d'aventures. L'histoire romaine va recommencer là, Jugurtha, Massinissa, Sophonisbe. Le désert, le soleil, les chevaux, les tentes, la chasse au lion et la guerre, tout cela a beaucoup d’attrait, tout cela excite singulièrement la passion. Je sais maintenant en Afrique, cinq ou six hommes d’un esprit rare, d’un caractère rare, qui ne quitteraient cette vie là pour rien au monde. Le traité de la Tafna mal exécuté par Abdel Kadher sera le prétexte, et la route entre Alger et Constantine le théâtre de la guerre.

10 heures
Vos interrogations à Benkhausen ne sont point compromettantes puisqu'elles ne vont pas au delà de ses propres paroles et ne décident point la question de savoir si c’est la propriété ou l'administration provisoire qui vous appartient. Mais comme votre lettre à votre frère décide cette question et parle de la propriété comme vous étant acquise par la loi anglaise vous ferez bien, je crois, de lui envoyer copie, de ce que vous avez écrit à Benkhausen pour qu’il voie que, de ce côté, vous vous êtes strictement tenue dans les termes mêmes de la lettre du Consul. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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16. Bade Jeudi 15 août 1844, 6 heures

Je me réjouis bien de me retrouver auprès de vous dans quelques jours. Nous aurons de quoi parler. Votre nouvelle d'Alexandre est très curieuse. elle a beaucoup frappé mon frère. Il ne pense guère qu'à ce qui nous regarde directement. Il s'en suit donc que ceci nous regarde ou au moins nous intéresse. N’y a-t-il pas là quelque parti à tirer pour Tahiti ? (cela ressemble un peu à l'attentat contre le Roi de Prusse que je pensais qui devait déranger mon voyage !)
Vraiment c’est très curieux comme l'Afrique est devenu le théâtre de la politique. Alexandrie, Turin. L’Algérie. Le Maroc. Cette rivière Gabon où je ne sais quoi : votre nouvel établissement près de Madagascar. Une certaine guerre au cap de bonne Espérance.
C’est drôle que Nesselrode retrouve à Londres précisément dans ce moment de tension dans vos rapports avec l'Angleterre. Le hasard le favorise. Je pense cependant qu’aucun grand cabinet ne peut désirer une rupture. Il y a trop de périls pour chacun attachés aux conséquences de cette rupture, mais il faut convenir que l’entente cordiale a été courte.

Vendredi 16. à 7 heures du matin
Mon frère continue à aller bien. Le changement est miraculeux. Je lui ai annoncé hier que je partais demain, il a essayé de causer un peu plus que de coutume, mais cela lui coute ou cela l’ennuie, je ne sais lequel. Au reste il est comme cela pour tout le monde. Hier des averses continuelles. Aujourd'hui s'annonce de même. Je crois que je vous arriverais à la nage. La Colonie s’est réunie hier soir chez Madame [?]. Annette a chanté. J'y ai passé une heure. A 9 heures je me couche tous les jours. J'éprouverai un vrai chagrin à me séparer de Constantin. Bon, excellent, jeune homme, et qui a, je crois, vraiment de l'attachement pour moi. Tous ses petits soins de tous les instants me manqueront beaucoup. Mon frère restera encore trois semaines à Bade. Hélène partira avant lui. Le pauvre petit Hennequin ne sera pas fort édifié de son séjour ici. Il n’a pas pu faire une seule bonne promenade. Il partira le même jour que moi, mais je veux qu'il me voie partir. C’est plus sûr. Je peux à peine croire que je suis si près du moment de vous revoir. Cela me parait si charmant que voilà toutes les terreurs qui recommencent : il m’arrivera quelque chose en voyage. Je suis d’une poltronnerie ! Le Tolstoy qui m’accompagne est aussi effrayé que moi, et demande de tous côtés des renseignements. Il a peur de moi. Adieu, Adieu.
Je vous écrirai encore un mot demain avant de me mettre en voiture. Et puis de la route pour vous mander un accident, s'il arrive. Adieu mille fois adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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