Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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332. Paris, vendredi 27 mars 1840,
10 heures
J’ai vu Granville hier matin. Vous ne pouvez concevoir l’inquiètude qu’il éprouvait pour le vote. Lui si calme et froid, Il était très fidgetty. Certainement l’animosité possible de M. Molé lui apparaissait comme la rupture presque immédiate entre les deux pays. Vous jugez dès lors de l’ardeur de ses voeux pour Thiers.
Un nouvel incident politique, votre guerre au Maroc, le préoccupait beaucoup aussi. Si vous faites vraiment la guerre aux autres régences, l’Angleterre ne le souffrira pas. Voilà hier matin. à 4 heures je suis allée à la Chambre. J’ai malheureusement manqué M. Jaubert qu’on dit avoir fait le discours le plus spirituel et le plus excellent possible pour le ministère. Je n’ai plus entendu que des ennnuyeux, et le vote à 6 heures, le vote si triomphant pour Thiers. Granville auquel j’avais promis la nouvelle, n’a pas tenu, il est venu lui même à la Chambre, Médem, toute la diplomatie. La surprise a été grande 103 voix pour Thiers. Granville a couru chez lui le prier de vous envoyer une estafette.
Ce qu’il a fait, et vous saurez ce soir la nouvelle. Voilà donc Thiers qui gouverne tout-à-fait. C’est un évènement !
J’ai eu M. de Pogenpohl à dîner, je suis allée tout de suite après aux Italiens où j’avais donné rendez-vous à Granville, Brignole et le Duc de Noailles, celui-ci fort content. Il dit, redit ce qu’il a toujours dit, que Thiers est le ministre nécessaire de l’époque, le seul qui puisse faire encore durer ceci. C’est donc logique de lui laisser le pouvoir. Il est triomphant du superbe discours de Berryer. Il rit des visages très différents des deux ambassadeurs de la loge. Granville radieux. Brignole furieux ; le discours de Thiers a mis ce côté-là en grande colère, " soutenir les révolutions chez les voisins " ! Pauvre Brignole. Vous avez ma journée. J’ai reçu ce matin une lettre d’Ellice, qui me prouve qu’il est assez mal avec Lord Palmerston, sur l’affaire d’Orient. Il a l’air de croire cependant que ce n’est pas la politique de Lord Palmerston qui prévaudra. Le mariage Sussex ne sera point reconnu. Je vous dis des nouvelles de Londres. C’est bien présomptueux.

1 heure. Maintenant je ne suis plus si pressée de vous dire ce que je pense sur votre situation. Il faudra voir comme elle s’arrangera de la direction que prendra le ministère. Il est bien puissant à l’heure qu’il est. Où ira-t-il ? That is the question. Pour le moment je suis bien aise pour vous que vous soyiez à Londres. C’est convenable. Le Journal des Débats vous a classé ce matin. J’aurais envie de causer avec vous à tout instant sur toute chose.
Le Roi passe dans ce moment pour aller se promener à Versailles, il a raison de se promener il n’a pas grand chose à faire.

Samedi 28. à 10 heures
Génie est venu hier. Nous avons beaucoup causé. C’est une créature honnête, devouée et intelligenté ; il m’a conté quelques détails qui m’ont intéressée. Après lui, Appony consterné. Il avait eu le plus grand espoir. Thiers le traite avec beaucoup de politesse, mais voilà tout ; il refuse la conversation sur les affaires publiques. Car même jeudi soir l’ayant rencontré chez Lehon et Apppony le félicitant du vote, Thiers a répondu en demandant des nouvelles de Mad. Appony. Après Appony, le Duc de Noailles est venu. Il n’y tient pas ; il a besoin de bavarder, de demander, de savoir, de s’étendre sur tout ceci. La politique étrangère le préoccupe beaucoup; il veut parler à la chambre des pairs sur la situation avec l’Angleterre. Il trouve le moment excessivement grave, on ne peut pas rester dans cette incertitude. La Princesse Soltykoff nous a interrompus. Après sa visite, j’ai été chez la petite princesse où jai trouvé Madame de Castellane, parfaitement furieuse.
C’est drôle de tant montrer. Elle a été à la grande soirée de Mad. Appony. Mercredi, elle ira à la soirée de Sardaigne, dimanche, elle ne veut pas aller chez Lady Granville. "J’ai idée que Lady et Lord Granville ne m’aiment pas. " Cela est vrai.
J’ai dîné chez Lord Granville, il m’a raconté assez. Le Duc de Broglie est dans la joie de tous les triomphes du vote. Mais il se moque de la Chambre et condamne hautement l’élan d’enthousiasme auquel elle s’est livrée pour ce comedien Berryer. Ah par exemple ! Quand un comédien joue aussi bien que cela, il est fort naturel de l’applaudir.
Voyez-vous voilà encore la passion qui l’emporte sur l’équité.
Vous auriez applaudi j’en suis sûre. L’Empereur en apprenant la Chute de Soult a fait de grands voeux pour Molé. Le Roi a exprimé à Granville beaucoup de doutes sur l’arrivé de Pahlen. Le 15 il était encore à Pétersbourg. Granville croit que la négociation pour l’Orient s’évaporera. C’est le plus mauvais cas qu’il prévoit.

Midi, voici le 330. Je n’ai encore fait que le parcourir; je vous en remercie vite. Il faut que j’écrive à mon frère ; Médem envoie un courier ce matin, et ne m’en prévient que tout à l’heure. Mais vite il faut que je vous dise quoique la circonstance me dispense d’avoir une opinion sur votre situation, que si le ministère était tombé j’aurais été d’opinion que vous ne pouviez pas rester avec M. Molé, et cette opinion je la tire de votre lettre même sur ce sujet, (lettre admirable, vrai chef d’oeuvre d’expostion d’une situation) où vous me dites. "Si je ne surmonte pas les difficultés on rejettera sur moi, la responsabilité du mauvais succès. M. Molé excelle dans cette manoeuvre." Cette dernière phrase m’avait décidée. Mais il est inutile d’en reparler dans ce moment.
Je retourne à hier. Il a fallu après le dîner aller passer une demi-heure à un concert chez une compatriote, il faut le dire très bonne musique et très grande et noble compagnie mais un froid abominable, j’ai quitté malgré que la maîtresse de la maison me traitât en Impératrice. Je suis retournée chez Lady Granville. J’y ai trouvé Thiers. Dès qu’il m’a apperçue il a fondu sur moi avec un empressement et une joie extrême. Il est content, triomphant, mais encore inquiet. Il dit " de grandes difficultés ici, de grands grands embarras au dehors. Le sort du monde entre M. Guizot, moi, et Lord Palmerston. Bizarre situation ! le 11 octobre séparé par la mer mais travaillant bien de concert. M. Guizot a un succès inouï.
Nos destinées sont bien liées ensemble. " Revenant toujours sur cela. Plein de vous, et mettant de l’intention à me le bien dire. Il m’a parlé de sa situation vis-à-vis de la diplomatie. Il voulait me parler de tout. On faisait cercle, cela devenait trop éclatant. Je lui ai demandé l’heure et je suis partie. Mais au fond j’aurais bien aimé continuer. Vous savez qu’il me plait. Il me plaisait hier encore un peu plus, et tout bonnement je suis bien aise de le voir là où il est.
Je vous remercie mille fois de la copie de certaines lettres de Londres. Cela me fait bien de la joie. A propos j’ai lu hier une lettre reçue hier de Lord Clarendon, où il dit. "M. Guizot bids fair to be the most popular Ambassador that even was in this country." N’allez pas devenir insolent, restez, restez comme vous êtes, encore une fois, grand, sérieux, cela vous va si bien. Racontez-moi toujours tout. N’est-ce pas que je vous dis tout aussi ?
A propos, le Maréchal Soult causait un jour dernier avec le duc d’Orléans qui trouvait qu’il y avait bien du danger à renverser Thiers maintenant. Le maréchal lui dit : "Il n’y a que des gens pusillanimes qui puissent trouver cela." Imaginez ! Je sais cela de source.
On est inquiet de l'expédition de Vallée. Le mauvais temps est survenu. Je vous parlerai demain de vos dîners. Décidément pas Lord Tankerville. Pourquoi y serait-il le 1er mai ? Il n’est pas votre beau-frère, et il n’a pas un titre pour cela. Ce serait même trouvé très ridicule. J’en ai causé avec Granville qui est tout-à-fait de cet avis.
Adieu. Adieu. Adieu. Que de choses je vous dis et que de choses encore j’ai à vous dire. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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333. Londres, mardi 31 mars 1840
9 heures et demie
C’est beaucoup deux Reines pour une soirée. Il n’est pas aisé de les y arranger. J’ai dîné hier à Marlborough House entre la Reine douairière et la Duchesse de Cambridge. Le Duc et la Duchesse de Sutherland, Lord et Lady Jersey, Mm. de Bülow et de Gersdorf. La Reine douainière est restée bien allemande de manières et d’accent. L’air très bonne d’ailleurs et d’une simplicité bien royale. J’ai beaucoup causé avec la Duchesse de Cambridge. Elle me paraît aîmer la conversation. Bien protestante de cœur. Elle trouve l’Eglise Anglicane trop catholique. Cela me réussit fort ici d’être le premier Ambassadeur protestant venu de France depuis Sully. Nous sommes sortis de table à 10 heures. Le bal de la Reine commençait à 9 heures et demie. Mais elle était prévenue du dîner de la Reine douairière. Nous ne sommes arrivés à Buckingham-Palace qu’à 10 heures et demie. Assez tôt, car j’y suis resté jusqu’à deux heures. C’est long. Décidément quoique en principe ce soit juste, les spectateurs sont trop sacrifiés aux danseurs. Soixante ou quatre vingt personnes dansant toujours, et douze ou quinze assistants ramassant çà et là des lambeaux de conversation décousue. Lord Clarendon a été m’a principale ressource. Un peu Lady Palmerston, Lady Normanby, Lady Fitz-Harris. Je trouve la manière de Lady Palmerston avec son mari et sa fille très aimable. Elle est sans cesse occupée d’eux, et visiblement. Elle doit leur plaire beaucoup. J’ai eu hier une longue visite de M. de Kissélef, évidemment charmé d’aller à Paris, quoiqu’il y aille par Pétersbourg. Je lui ai parlé de bien des choses et bien. De deux surtout, votre conduite envers la France et notre coalition de l’an dernier. Je crois qu’il a été assez frappé. J’étais en veine de paroles très libres et point amères, comme le jour où j’ai parlé chez vous devant la Princesse Soltykoff et Nicolas Pahlen de la façon dont vous récompensiez Pozzo. Vous vous rappelez. 3 heures Il n’est bruit ici que du mauvais succès de votre expédition de Khiva. J’ai tort de dire votre et cela me déplait. Eh bien, vous savez surement que l’expédition de Khiva, n’a pas réussi. Le corps expéditionnaire est rentré dans les frontières russes après avoir perdu la moitié de ses hommes et presque tous ses moyens de transport, chameaux, charrettes etc. Je ne vois que des gens à qui cela fait plaisir. M. de Brünnow a du malheur. Invité à dîner chez la Reine, il a répondu pour dire qu’il acceptait. Du reste, depuis quelques jours il s’excuse de n’être pas venu chez moi. Il n’avait, dit-il, point de caractère bien règlé, il était si peu de chose ; il a cru qu’il devait se conduire sans prétentions. Dès qu’il aura présenté ses lettres de créance demain au lever, il viendra mettre sa carte chez moi, et il m’expliquera pourquoi il n’est pas venu plutôt. Il a tenu ce langage à plusieurs personnes entr’autre à M. de Bülow qui me l’a dit, et ne doute pas qu’il ne vienne. Je l’attends. N’en parlez à personne jusqu’à ce qu’il soit venu. Le corps Diplomatique de Londres va se renouveler beaucoup. M. de Blome retourne en Danemark. M. de Hummelauer à Vienne, quand il se sera marié à Milan ce qu’il fait par ordonnance de son médecin. Bourquenoy me quitte la sémaine prochaine. Je le regretterai. Il est de très bon conseil et d’un aimable caractére ; vraiment estimé ici. Mon ambassade vous plairait à voir. Les deux secretaires, les deux attachés et mon petit herber vivent dans la meilleure intelligence, et tous de fort bon air. L’un des attachés, M. de Vandeul est un jeune homme distingué. Je ne sais pourquoi ceci me revient à l’esprit, Lord Douro, était hier au soir au bal. Oh vraiment vraiment! J’aime mieux Lord Brougham.

Mercredi, 9 heures
J’ai causé longtemps hier après dîner avec Lady Carlisle qui m’a parlé de vous simplement; affectueusement, comme il me convient. Il y avait à dîner dix du douze personnes invitées, pour me voir. Un M. Grenville, de 84 ans frère ainé du feu lord Grenville, homme fort, lettré, dit-on et qui a l’une des plus belles, bibliothèques de l’Angleterre. Je lui ai promis d’aller la voir. Je suis d’une coquetterie infatigable. Ne croyez pas pourtant que je prodigue mes promesses. J’oublie les noms des autres. On a ici une façon de prononcer les noms propres qui les rend très difficiles à comprendre et à retenir. C’est un de mo ennuis. On me présente les gens, J’entends mal ou je n’entends pas leur nom. Et quand je les retrouve je ne m’en souviens pas. Le vieux poète Rogers est un de mes proneurs. Je le soigne. Au moment du dîner, la Duchesse de Sutherland à reçu l’avis que le lèver, qui devait avoir lieu ce matin était remis. Je viens de le recevoir aussi de Sir Robert Chester. La Reine est un peu souffrante. Elle a pourtant dansé avant-hier jusqu’à une heure et demie. On se demande toujours, si elle a raison ou tort de danser. Personne ne répond positivement. si elle a tort elle a grand tort, car elle danse beaucoup, et personne, en dansant ne saute si vivement et ne parcourt autant d’espace qu’elle J’ai fini chez Lady Minto. J’y ai découvert un parent de bien loin, un M. Boileau de Castelnau issu d’une famille de refugiés protestans Geva une branche existe encore à Rismes, et tient à la mienne. Il est beau frère de Lord Minto et a été charmé de la découverte. Précisément, par grand hazard ma mère venait de m’annoncer, le mariage d’une jeune fille de la branche Nimoise, qui a épousé à Paris un anglais un M. Grant. De là des conversations, très amicales un nouveau gage de l’alliance anglaise. J’étais rentré à minuit. C’est ma limite ordinaire.

2 heures
J’ai le 333. Au moment où je revenais à vous on est venu m’annoncer le rev. M. Sidney smith. Je l’ai reçu. Il vante fort Lord John Russell et le regarde comme l’âme du Cabinet. Il dit que Lord Melbourne est un homme de beaucoup d’esprit et un beau garçon, beaucoup plutôt qu’un politician. Mais bien moins insouciant qu’il n’en a l’air Les radicaux sont en déclin dans la Chambre deCommunes, décourages et ne comptant plus sur lEur avenir ; ils s’étaient figurés qu’ils changeraient toutes choses. Le bon sens public les paralyse. La plupart se fondront dans les Whigs. S’il y avait une de dissolution. Peel aurait, six à sept voix de majorité. Voilà notre conversation. Conversation où j’ai beaucoup plus écouté que dit ; comme je fais toujours quand je suis avec un homme qui à une reputation d’homme d’esprit un peu littéraire. Il y a des gens à qui on plaît en leur parlant ; à d’autres, en les écoutant. On distingue bien vite. Je crois tout à fait que Barante restera à Pétersbourg comme Ste Aulaire à Vienne Soyez sûre que Thiers remuera peu, le moins possible M. de Rémusat est des amis particuliers de M. de Barante et le défendra. Il y aura beaucoup de petits combats intérieurs sur les personnes Quelques nominations feront du bruit. Mais en somme, la conservation prévaudra. Je suis charmé que Pahlen revienne et vous revienne. De part et d’autre on n’est pas si méchant qu’on se fait Voilà qui est dit : le 1er juin, car bien certainement votre nièce tardera. On part toujours plus tard qu’on ne dit, excepté.... Je ne comprends pas comment Lady Palmerston a parlé d’avril, à Lady Clauricard. Juin est établi. Votre description du Duc de Br. est très vraie mais l’intérieur est très supérieur à l’extérieur. Vous trouveriez la même chose pour plusieurs de mes amis M. Piscatory et M. de Rémusat par exemple. Les défauts sont très apparens; les qualités sont essentielles et quelquefois des plus rares. Je dis cela de l’esprit comme du caractére. J’ai fort appris et j’apprends tous les jours à suspendre beaucoup mon jugement. Je crois à mon premier instinct et à ma longue réflexion. Mais cette vue superficielle, passagére qui n’est ni de l’instinet, ni de la réflexion, je m’en méfie beaucoup ; rien n’est plus trompeur. Voilà un billet de Lord Palmerston qui me dit qu’il sera au Foreign, office à 4 heures. J’ai encore deux ou trois lettres à écrire dont ma mère est une. Adieu. Je ne puis pas me plaindre de la prudence, de mes gens. Je l’ai recommandée. Adieu, adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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334. Londres, jeudi 2 avril 1840
10 heures

J’ai dîné hier chez le colonel Maberly dans la petite maison de Londres la plus magnifiquement arrangée ; un luxe prodigieux en dorures, vieux sèvres, laque & On dit que lord Lichfield est pour beaucoup dans cette magnificence là ! Mad. Maberly est une grande femme, un beau teint, des yeux très animés du mouvement d’esprit, qui a été fraiche et qui passe pour belle. Le premier jockey de l’Angleterre and an author of novels. A dîner, Sir John Shelley, un ancien ami de George 4, lady Shelley, Lord Cantalupe, l’un des rivaux de Lord Chesterfield (à propos, lundi dernier pour le bal de la Reine, Lord Chesterfield a mis sept heures à sa toilette ; il a fait son luncheon dans l’intervalle) Lord Burghersh, Sir Hussey Vivian et sa femme. Après dîner, un improvisateur Anglais M. Hook, qui avait dîné aussi, s’est mis au piano, et cherchant ça et là quelques accords, a emprovisé sur tous les sujets qu’il a plu de lui donner. Je ne sais combien de chansons en vers, rimées, quelquefois assez originales et pleines de humour. Vous n’avez pas d’idée des rires; ils sont rares ici ; on rit les dents serrées. Mais hier ils étaient tous charmés; les corn laws et Lady Kinnoul, les deux affaires de la soirée revenaient à chaque instant dans les chansons et à chaque fois les rires redoublaient. L’improvisation a fini par une chanson en mon honneur, et nous nous sommes séparés à 11 heures pour aller en effet, les uns au débat des Corn laws, les autres au bal de Lady Kinnoul. J’ai été de ceux-ci, quoiqu’infiniment plus propre au débat qu’au bal.
Maintenant que j’ai vu laissez-moi vous répéter ce que j’avais entrevu. Les femmes ici ont bien peu de délicatesse. La pruderie n’est ni mon métier, ni mon goût; mais il y a des libertés de manière et de langage, des crudités d’admiration pour la beauté et la force physique qui me causent une impression bien déplaisante. L’abandon est charmant quand il est le privilège et le secret de l’intimité, quand il est inspiré et en quelque sorte arraché par la passion ; mais l’indifférence veut de la réserve, et il n’y a point de grâce à penser et dire tout haut et à toute heure ce qu’on ne sent et ne dit que dans ces moments qui sont les éclairs de la vie. Cachés et se parlant tout bas, quoique tout seuls. Mes paroles sont exagèrées comme toutes les paroles, mais vous les reduirez à leur juste valeur et vous me comprendrez. Il y avait foule chez Lady Kinnoul ; tous les  Torys. Partout le duc et la duchesse de Cambridge. Le duc a demandé il y a quelques jours à Bourqueney quand arrivait ma vaisselle. Il parait impatient du dîner que je lui donnerai. Ma vaisselle complète a dû partir hier de Paris. Je l’aurai dans dix ou douze jours. Je fais remettre à neuf ma salle à manger. Elle était bien sale. Sébastiani n’avait rien entretenu. Puisque j’ai touché au ménage, voici les grands traits de la dépense de ma maison pendant le mois de mars. Je n’ai point eu de grand dîner ; mais j’en ai eu quatre ou cinq de dix à douze personnes.
cuisine 170 livres S
Office (épicerie &) 90
Gages des gens 100
Mes chevaux 20, (ils sont beaux)

Je vous épargne les autres détails. La dépense totale du mois, y compris le loyer d’un mois de la maison mon secrétaire, le traitement du médecin de l’Ambassade, (100 livres par an) qui est à ma charge n’atteint pas 700 livres. Ce sera plus cher quand, jaurai ma mère et mes enfants. Je crois la surveillance très bonne. Mon secrétaire est un trèsor d’exactitude de devouement et de probité.
Je ne sais pourquoi la poste n’arrive pas. J’en suis moins pressé aujourd’hui ; elle ne m’apporte rien de vous.

3 heures
La poste n’est arrivée qu’à une heure. La mer avait été détestable. La malle d’Ostende n’avait pas plus passé que celle de Calais. Aujourd’hui il fait beau très beau. Le Square sous mes fénêtres commence à verdoyer. C’est un des plus
petits de Londres, mais très bien planté.
Nourri Effendi sort de chez moi. Il me demande des nouvelles et ce que nous voulons faire! Que dit l’ombre de Soliman le grand ? J’ai horreur des décadences. Dans le monde matériel les ruines sont belles ; mais dans le monde moral c’est hideux.
Je ne crois pas un mot des bruits de dissolution du Parlement. Cependant je vois plusieurs Ministres et des plus considérables, persuadés qu’ils n’auraient rien à en craindre. Ils disent qu’ils gagneraient quelque chose dans les bourgs et ne perdraient pas dans les Comtés. Ils sont revenus à leur première sécurité sur la Chine ; non qu’ils ne s’attendent à un vif débat ; mais ils comptent sur une bonne majorité. Plus j’y regarde, moins je crois à un vrai danger pour le Cabinet.

4 heures
J’ai été interrompu par M. de Pollon et Sir Alexander Johnston. Il faut absolument que je sorte pour rendre des visites que je remets depuis plusieurs jours Sir Charles Bagot, le comte de Zetland, le comte de Listowel, Lord Reag. Et puis j’ai des dépêches à préparer pour demain.
Adieu. Adieu. Voilà un mois écoulé. Je ne vous le redirai jamais assez. Rien ne peut remplir le temps où vous n’êtes pas. Adieu
M. de la Redorte est triste parceque M. de Ste Aulaire est content.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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335. Paris, Jeudi 2 avril 1840,

J’ai vu chez moi hier matin M de Montrond, le Duc de Noailles, & M. de St Aulaire. Celui-ci tout parfumé de Vienne; il m’a raconté l’automne dernier, les frayeurs de M. de Metternich, sa malade ensuite, tout cela parce qu’il nous avait déplu. Il dit qu’il est bien mais qu’il raconte et rabache plus que de coutume. Lord Beauvale va arriver et passera un mois à paris ! M. de St Aulaire a lu de vos dépêches. Il en parle avec enthousiasme. Le Duc de Noailles prépare un discours, il veut absolument pousser le gouverment à faire dans la question de l’orient ; avec l’Angleterre si c’est possible; sans elle si elle ne veut pas ce qui est raisonable. Montrond est venu me dire que le roi était fort content de Thiers, fort content de tout ceci, de bonne humeur. quand il a eu fini. Je lui ai dit qu’on n’en croyait pas un mot. Il ne s’est pas fâché, et il s’est tu sur le chapitre de la satisfaction. Il a entonné vos louanges aussi. Il parait que Thiers parle beaucoup de vos dépêches. Je voudrais être Thiers pour les lire. Il m’a dit qu’on s’entretient beaucoup de Mad. de Meulan qui veut absolument aller à Londres, et que vos amis craignent qu’à force d’importunités elle y parvienne. Or, ils sentent tous que cela gâterait parfaitement votre maison. Avez-vous quelque tracasserie sur ce sujet ?
Hier, le conseil a dû décider sur M. le Duc d’Orléans. Je crois que c’est pour lui permettre de partir. Lui même n’en a pas la moindre envie, c’est une question d’honneur et de parole engagée, pas autre chose. Je me suis promenée au Bois de Boulogne par vertu, sans aucun plaisir. C’est si triste d’être seule ! Je me fatique tout de suite. J’ai eu la Princesse Wolkonsky à dîner, et puis j’ai été un quart d’heure chez Mad. Appony; grand raout insupportable, et une demi-heure chez Mad. de Castellane, M. Molé et quelques personnes y étaient, conversation générales ; rien à vous rapporter. J’étais bien lasse hier, et tout le monde m’a trouvé mauvais visage. Je suis très poorly sans savoir dire exactement ce que j’ai.

Midi
Le retour de Pahlen qui me fait un grand plaiser est au fond quant à l’à propos, une drole de chose. Thiers peut s’en domner les honneurs, les dates sont pour lui. On dit que le Roi est charmé. Il me semble que votre second dîner ne devrait pas encore être pour les Torys. Le premier étant officiel pour la fête du Roi ne compte pas. Il faut que vous ayez eu chez vous lady Palmerston et la duchesse de Sutherland, lady Hansdown, Holland, && avant d’avoir lady Jersey ou autres dames Torys. Je suis sûre d’avoir raison sur ce point. Si vous êtes prêt dans votre ménage. Je vous conseillerais un petit dîner pour ces dames avant la fête encore, voici la liste. Tout cela est convenable, vous ajouterez quelques hommes, vous pourriez même le redire si vous aimez mieux.
Au fond, il faut absolument que vous ayez un dîner d’essai avant votre grand dîner du 1er de Mai, car le service ne peut pas aller tout-à-fait bien du premier coup. Et comme essai, le corps diplomatique est une très bonne chose. Prenez les tous, femmes et hommes, faites un dîner de 20 ou 24 personnes huit jours avant. Et laissez la liste que je vous envoie pour après le 1er de mai. Nous ne nous génions pas beaucoup pour le corps diplomatique, ainsi comme dépense; cela n’ allait pas aussi loin que pour les autres dîners. On ne leur donne pas a eux absolument toutes les primeurs. Dites cela à votre chef de cuisine. Vous voyez que je me mêle de tout. Mais croyez moi, essayez votre maison sur le corps diplomatique. J’ai rayé sur l’autre page parce que décidément vous ferez comme je vous conseille tout à l’heure. Et puis après le 1er de mai viendra ce que je vous ai dit plus haut, et ensuite seulement le diner Tory. Vous pourrez faire cela deux jours de suite c’est l’usage, samedi et dimanche parce que ce sont les seuls jours libres.
Voici deux heures. Il faut finir. Je n’ai rien à vous dire du tout. Je me sens si malade, je crains une grosse maladie, et je ne sais que faire. adieu
Adieu, Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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336. Paris, vendredi 3 avril 1840
11 heures

Je me suis levée très tard. Je ne suis pas bien, j’attends Vérity. Je viens de recevoir votre 333. Dites à M. de Bourguenay de venir me voir à son retour à Paris ; il me trouvera toujours entre 1 et 2 heures et même après. J’aurai mille choses à lui demander. J’ai eu hier matin encore la visite du duc de Noailles, et puis Appony. Il venait me lire une lettre de son fils. Le mariage se fera à la fin de mai, et ils seront ici le 25 juin. Je ne les attendrai pas. Appony a un chagrin concentré, et parle confidentiellement de celui du Roi. Mais il a l’air de croire qu’il faut subir la session. J’ai pris la Calèche hier, et je me suis fait mêner à St Cloud, mais seule encore. Marion s’était envolée. J’ai marché là un peu, et j’ai dormi pendant tout le temps du retour. J’ai fait une petite visite à la petite princesse. J’ai dîné seule. Le soir j’ai eu toutes les petites gens, Bavière, Wirtemberg, Hanovre, Sardaigne, Médem, Capellen, les Durazzo et la duchesse Lobkovitz. Lady Palmerston m’a écrit une longue lettre. "L’Orient n’avance pas, mais nous esperons toujours que M. Thiers sera assez sage pour voir la nécessité d’aller de front, avec les autres puissances, c’est une question qui nous occupe beaucoup et qui serait bien facilement arrangée ; si il voulait être de bonne foi. En attendant les sôts et les badaux vont faire des voyages et s’amourachent de Mehomet Ali. Ellice bavarde aussi à tort et à travers sur ce sujet. Nous sommes tracassés de la discussion sur la Chine. Je crois Brünnow un bon et honnête homme mais il n’est guère à la hauteur de sa position " Voilà à peu pris tout. Ah encore : "le jeune Nesselrode est un sot. " Le petit Kisseleff a assez de finesse russe ; je suis bien aise que vous ayez causé avec lui. Je pensais bien que M. de Brünnow prendrait occasion de sa nomination définitive pour réparer ses gaucheries auprès de vous. Je savais déjà que Khiva avait échoué, et je suis très convaincue du plaisir que cela fait en Angleterre.

2 heures
Verity est venu. Il veut me droguer pendent huit jours. Cela ne me plaît pas du tout. Je suis bien triste tous ces jours, bien triste. à chaque minute qui s’écoule, j’ai un remords. Il me semble que j’ai manqué d’esprit ; de prévoyance ; qu’en faisant cette observation au médecin j’aurais empêché ! Ah mon dieu,  mon Dieu. Cette douce voix. Cette douce créature, Ce ravissant enfant !

6 heures. J’ai été faire visite à Lady Granville. J’ai causé avec le mari, il est bien d’avis que si M. Thiers est sage il n’abandonnera pas une de ses idées sur la question de l’Orient, parce que sa chute serait inévitable. Il pense, et il sait que vous soutenez cette opinion aussi qu’il ne serait possible à aucun homme d’Etat en France d’abandonner le Pacha. Enfin il me parait être aussi bien disposé que vous pouvez le désirer, et il gémit un peu de ce que d’autres en Angleterre pensent diffèrement. Il a eu hier pour voisin à dîner chez M. Gonin, M. Odillon, Barot. Il lui a laissé l’impression d’un  homme qui protège le ministère ; et de plus, d’un homme qui compte être ministre lui même. On dit que la commission de la chambre des pairs est assez animée, et que la discussion le sera certainement. M de Broglie compte parler. J’ai été au bois de Boulogne un peu. Le vent d’est était bien élevé et bien aigre. En revenant j’ai passé chez Mad. de Talleyrand, M. Sallandy y était. Il disait que M. Molé parlerait aussi. C’est probablement le 13 que commence la discussion.

samedi 4
à 9 heures
J’ai dîné seule hier, que c’est triste seule, seule! Le soir j’ai été chez Lady Granville. J’ai recausé avec Appony et je l’ai un peu pressé de questions. Il ma dit : " comment voulez-vous que le Roi ne pense pas jour et nuit aux moyens de se débarasser de Thiers." Il ajoute que le Roi a été pour le départ du duc d’orléans dans la vue de flatter l’armée et de l’avoir pour soi à tout événement. Thiers est venu à l’Ambassade et tout droit à moi sans distraction. Nous avons parlé un peu de l’affaire. Il me dit : "Si lord Palmerston est obstiné, moi aussi je suis entêté. Mais enfin nous tacherons qu’il ne ressorte de là rien de mal." Il est charmé du retour de Pahlen. J’ai passé une pauvre nuit. Je passerai une triste matiné, à 3 heures, tout cera fini. Vous
ne savez pas comme je suis déchirée jusqu’au fond des entrailles. Oui, pour une mère c’est cela. Vous dinez aujourd’hui chez Miss Stanley, j’ai la mémoire de toutes vos invitations. J’attends une lettre encore aujourd’hui. Appony me dit qu’au fond, la situation depuis votre arrivée à Londres n’a pas varié d’un demie ligne. Croyez-vous faire quelque chose ? 

Midi.
Ma pauvre tête et mon pauvre cœur sont bien malades. Je dine aujourd’hui chez Appony. Ils ont voulu que ce jour-ci je ne restasse pas seule. Voici Mad. de la Redorte qui m’invite pour un jour de la semaine prochaine à dîner chez elle avec Mad. de Talleyrand et M. Thiers. Elle a prudemment attendu les fonds secrets et après deux ans de brouillerie elle se rapproche. Ah cela par exemple, c’est trop Russe ! On ferait chez nous avec plus de prudence.

1 heure
Voici votre lettre ; vous dirai-je franchement. Elle ne me plaît pas du tout. Vous vous lancez en dépit de mes avertissements dans toutes les invitations qu’on vous fait ! Qui est-ce qui a jamais songé à aller dîner chez M. Maberly ?  Sa femme est tout ce qu’il y a de plus dévergondée à Londres, les convives à ce que je vois étaient à l’avenant, vraiment mon mari aurait plutôt passé la Tamise à la nage que dîner chez ces gens, et il avait bien moins que vous une réputation de gravité. Si vous acceptez comme cela de dîner chez tout le monde, le vrai monde ne tiendra plus à si grand honneur de vous avoir à dîner chez lui. Notez qu’il faut rendre, et je vous déteste de composer un dîner convenable. où serait Mad. Maberly. Les femmes n’en voudraient pas, et beaucoup d’hommes non plus. Je suis tout-à-fait fâchée de ce que vous avez fait là. On parlait l’autre jour de vos succès à Londres et quelqu’un ajoutait : "et même, il fait la cour aux femmes." "Allons, ajoutait un autre, ne désesperons pas de le voir revenir ici même mauvais sujet." En vérité en dinant chez Mad. Maberly, vous en êtes tout près. Je vous demande pardon de vous dire si vivement ce que je pense mais je ne sais pas dire autrement quand j’éprouve de la peine. Et je suis si triste, si triste ! Je ne vous répéterai plus, restez ce que vous étiez, sérieux et grand. Vous n’y pensez plus. Mon ami pardonnez moi ; vous allez déchoir et vous me causez une vive peine. Adieu. Adieu.

Paris samedi le 4 avril 1840,
3 heures

Je viens de vous écrire et je recommence. Vous ne savez pas le chagrin que vous m’avez fait, chagrin de toutes les façons. Vous êtes descendu dans mon opinion, voilà ce qui me fait mal. Je vous proteste qu’un homme de ma connaissance qui m’aurait dit à Londres, j’ai dîné chez Mad. Maberly ; cet homme-là je l’aurais tout de suite classé un élégant, parmi les élégants de mauvais genre. il faut bien que je me serve de cette expression. Si un homme sérieux ; ah là je n’ose pas dire sans vous offenser. Enfin, ce qui est bien sûr c’est que personne ne m’a jamais dit y avoir dîné. Le duc de Wellington peut être mais aussi le Duc de W. figure dans les mémoires de... le nom m’échappe, une demoiselle de Londres. Tenez pour certain que vous avez fait là quelque chose de très inconvenant, demandez la réputation de la dame, et la réputation des convives. Votre position exige un peu plus de prudence. Il est très naturel que vous ignoriez la qualité sociale ou morale des gens qui vous invitent. Il faut demander et si vous n’avez à qui, écrivez-moi, nous en étions convenus. Je suis parfaitement sûre que j’entendrai parler de ce dîner avec beaucoup d’étonnement. Ce n’est pas de cette manière là qu’il vous convient d’étonner les gens. A ce compte je conçois que vous dîniez souvent dehors. Mais vous n’avez pas la prétention de Neuman qui avait compté 60 invitations dans un hiver, il peut accepter la quantité, mais vous devez regarder à la qualité. Je crois qu’en fait d’Ambassadeur Estrhazi peut avoir dîné chez Mad. Maberly. Mais il fait pire assurément. Il ne sera venu en tête à aucun de vos devanciers d’accepter cela. Quel plaisir de pouvoir se divertir d’un philosophe ! Et moi comme j’aurais aimé à m’entendre dire que tout tout était digne de vous ! Ceci fait un petit dérangement. Croyez vous que qui [que] ce soit au monde vous dise la vérite excepté moi. Eh bien si vous aimez encore la vérité écoutez moi. Ces allures ne vous vont pas. Elles vous donneront du ridicule, j’en suis parfaitement sûre. Et le dire de bien sottes gens ici, avant votre départ encore, se trouvera vèrifier. Je ne vous ai pas dit ce que j’ai entendu alors, je n’osais pas, vous auriez pris cela pour une injure. N. Pablen disait : " Il est capable d’aller dîner chez Madame Maberly." Cela faisait suite à Mad.Durazzo : "all these pretty women will make up to him, and he will be caught." Eh bien, je ne vous l’ai pas redit. J’ai eu tort; cela eut mieux valu. Aujourd’hui, j’aurais tort de ne pas vous dire tout, tout ce que je pense. Si vous vous fâchez. Je me tairai, mais je ne me repentirais pas. Cela me prouvera seulement que Londres, vous a déjà gaté. Ah que ne restez-vous ce que vous êtes. M. de Sully serait il allé dîner là ? Un ambassadeur doit tenir plus haut sa personne. Vous ne pouvez pas accepter indistinctement les invitations de tout le monde. Sans compter les espèces conme Mad. Maberly vous ne devez aller chez de petits gens que si une grande célébrité se rettache à leur nom. Votre dîner chez Grote a paru singulier aux Granville. Mais j’ai expliqué que vous aviez dîné chez eux à Paris ; je vous cite cela pour vous montrer ce qu’on peut penser à Londres. Il arrive parfois qu’on peut être obligé de dévier : par exemple, j’ai dîné chez certains Mitchell à Londres, mais c’était le plus gros individu commerçant de nos proviences de la Baltique. Son argent avait poussé sa femme respectable et ses filles à être admises à Almacks, à Devonshire house enfin partout. Et bien alors pour m’avoir,
ces gens invitaient tous les grands noms d’Angleterre, Wellington, Suthertand. Landsdowne, Jersey dix autres de cette espèce. Et cela faisait un dîner du plus élégant, minus la famllle. Vous voyez que Mad. Maberly n’a pas eu cette ressource pour vous. Ce que vous me nommez est déplorable. J’ai trop dit, et je n’ai pas tout dit. Il me semble que je vous honore en vous disant tout. Si vous êtes ce que
vous étiez je ne puis pas vous avoir offensé. Adieu. malgré madame Maberly !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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337 Paris Dimanche 5 avril1840,
10 heures

Après avoir fermé ma lettre hier, je me suis jetée à genoux demandant à Dieu pitié, miséricorde. J’avais le cœur brisé de mes malheurs passés, le cœur oppressé des malheurs à venir, tout derrière moi, devant moi était peine, misère. Vous ne savez pas comme le chagrin s’empare de moi, comme il m’envahit. Comme j’ai peur de moi alors, le joir où je n’en aurai plus que ce sera fini. Je vous ai écrit hier beaucoup, vous ne vous serez pas fâché n’est-ce pas ? Vous me pardonnez la vivacité de mes expressions vous savez comme je suis. Vous me disiez un jour : "Si l’on pouvait toujours lire au fond du cœur, si la parole était toujours toujours la vérité." Ma parole à moi, quand c’est à vous que je parle est bien ce qu’il y a dans mon cœur! Laissez moi ce privilège. Je n’ai fait que penser au sujet de votre dernière lettre. Je vous ai peut être dit directement ce que j’en ressentais, la forme eut été autre aujourd’hui que dans le premier moment, mais le fond n’eut pas varié ; je penserai toujours sur ce sujet comme hier. Si j’étais auprés de vous je suis sûre que je vous ferais convenir que j’ai raison mais je suis loin, si loin ! Vous me dites ce que vous avez fait, pourquoi ne pas me dire ce que vous ferez, ce qu’on vous propose ? Là où il y a doute, je le resoudrai. restez donc bien fier bien haut, comme il vous convient de l’être, à vous ; comme il convient de l’être dans le poste que vous occupez. Il y a quelques fois en vous une distraction d’esprit qui vous fait ne pas juger de suite les choses ce qu’elles sont ; je dirais d’un autre français que c’est de la légèreté, chez vous il n’y a pas moyen d’appliquer ce mot, il faut en trouver un autre.
Envoyez- moi, je vous prie votre programme d’engagements pris ou à prendre. Vous aurez trois invitations par jour si vous donnez dans du Maberly ! Il est impossible qu’un étranger sache classer la société de Londres, et depuis que M. de Bourqueney vous a passé les Maberly son expérience m’est très suspecte. Excepté les toutes nouvelles gens / les radicaux/ Il n’y a personne dont je ne connaisse la position sociale à Londres. Vous pouvez être pris à des noms, à des relations, cela ne veut rien dire.
Ainsi, Sir John Shelley, ami de George 4 oui surement et je l’ai vu là, toujours, ainsi que sa femme. Mais jamais je n’ai imaginé de prier chez moi ni le mari, ni la femme. A propos de celle ci, elle racontait qu’à Vienne où elle a été pendant le congrès, M. de Metternich, très amoureux d’elle avait été un jour très pressant et qu’elle lui avait dit : "une femme qui a refusé au duc de Wellington n’accordera pas au Prince de Metternich." Wellington à qui cela fut redit s’écria : "D... m’emporte si je lui ai jamais rien demandé."

Je cois que personne ne connait mieux que moi la société à Londres, les petits embarras d’invitation dans une ville où tous les invités ont de quoi inviter à leur tour. C’est là justement ce qui fait qu’il faut regarder de si prés à ce qu’on acceppte. Ainsi les Shelley, tenant par quelques petits bouts à un peu de l’élégance des Jokeys, vous demanderont de dîner chez eux, et n’auront rien de plus pressé que d’inviter les Maberly parce que vous avez eu l’air de rire et de vous plaire dans cette société. En même temps vous verrez chez eux quelque chose de mieux que chez ceux-ci, ce mieux jugera tout de suite que vous appartenez à ce set et vous voilà classé dans leur opinion avec des gens auxquels vous n’auriez pas même du rendre de carte de visite. Je vous dis l’exacte vérité. Ensuite laissez-moi- vous dire encore, ne laissez pas envahir votre temps par des visiteurs tels que Sidney Smith le prêtre bouffon. C’est bon à rencontrer à dîner, et encore il ne m’a jamais plu je vous l’avoue et c’est plutôt un homme méprisé que le contraire, parce que le genre de son esprit va mal avec son état mais vraiment on n’imagine pas de le recevoir le matin. Un ambassadeur qui ne passe pas pour un désoeuvré ne reçoit chez lui que des gens qui lui parlent affaires. Vous n’avez rien à apprendre avec M. Smith. Croker c’est autre chose de temps en temps, il a, ou du moins, il a eu une grande expérience des affaires de son pays. Il est bon à entendre quelquefois. Je vous trouve trop poli pour commencer. Il est impossible que vous souteniez cela, il aurait mieux valu vous faire plus rare. Nous avons beaucoup causé Angleterre pendant un mois. Et tous les jours je m’aperçois davantage, que je ne vous ai rien dit. Je reviens à moi.
J’ai été au bois de Boulogne un moment. Il faisait détestable. J’ai été chez la petite Princesse, M. de Ste Aulaire y est venu. Galant, épris de la petite Princesse, lui parlant de la couleur de sa robe, lui débitant des vers sur la couleur de ses yeux. Imaginez que je suis partie d’un éclat de rire. C’était parfaitement grossier, mais je n’avais rien entendu de pareil depuis le marquis de Mascarille. Je suis partie le laissant un peu étonné de mon rire. J’ai diné chez Appony avec le duc de Noailles. Appony est bien monté aussi contre Lord Palmerston et sa russomanie. Il me semble que cela devient un morceau d’ensemble. Comment cela finira-t-il ?  Le Duc de Noailles persiste à vouloir presser Thiers à la Chambre des Pairs à dire quelque chose de trancher sur l’Egypte. Berryer est reçu chez moi le soir. Il dit que l’esprit de la chambre est bien vif sur ce point, que Thiers ni personne ne pourrait faire autrement que suivre la pente égyptienne. Il y a des prétentions de places qui commencent à incommoder le ministère. Les rédacteurs sont exigeants. M. Verou veut la direction générale des beaux arts ; Walesky une Ambassade ; la gauche entrer dans le ministère. Il faudra bien que tout cela se fasse après la session.
Vous aurez cette lettre par la poste d’aujourd’hui. Il me semble que celle d’hier ne doit pas rester deux jours sans successeur. Je voudrais vous parler à tout instant. Croyez-vous que je vous aime ? Ah mon dieu ! Adieu. Adieu.
Berryer soutient que Thiers ferait bien de prendre Barrot dans le ministère parce que là il s’annulerait tout-à-fait.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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338. Londres Jeudi 9 avril 1840
8 heures et demie

Hier, à dîner chez Lord Clarendon, Lord et Lady Landsdowne, Lord et Lady Holland, Lord et Lady Tankerville, Lord John Russell, Ellice, deux ou trois inconnus. Nous avons eu une petite scène. Lord Clarendon a fait monter dans le salon un tableau qui lui arrivait de Madrid et dans lequel une figure de Moine ressemblait vraiment beaucoup à Lord Holland, à ce point qu’à Madrid Charles Fox s’était recrié en la voyant. Lady Holland s’est fâchée, d’abord tout haut, puis tout bas avec Lord Clarendon. "I’m angry, truly angry take away that picture so ugly, so disgusting a friar."
Il y avait quelque chose de vrai dans ce courroux conjugal. Mais la fantaisie y était plus grande que la vérité, surtout l’envie que sa volonté fût faite sur le champ, qu’on écartât d’elle ce petit déplaisir. Lord Clarendon s’est bien défendu, surpris d’abord, puis un peu fâché à son tour et obstiné. Lady Holland a insisté mais habilement mêlant la caresse à la colère et d’une voix douce quoique les regards toujours fort animés. Lord Clarendon a un peu cédé à son tour sans fuir, et la querelle a fini par une transaction de juste-milieu ; le tableau est resté dans le salon, mais retourné contre le mur. J’admire toujours la part immense de la comédie en ce monde, toujours avec une petite dose de vanité. A dix heures et demie je suis retourné à la chambre des Communes ; mais le débat était très ennuyeux. Personne d’important. Sir Robert Peel, et Lord Palmerston parleront probablement aujourd’hui pour finir. Hier soir, plusieurs ministériels m’ont paru inquiets ; ils m’ont dit: " Le champ de bataille nous restera, mais tout juste." Cela ne me fait pas cette impression là. Il est vrai que je n’y entends rien. Les dehors ici sont si froids, même quand les résolutions sont passionnées. Des charbons sous la neige. En sortant, j’ai été chez Lady Palmerston. Il y avait assez de monde. Elle était évidemment très préoccupée de la Chambre. Elle allait et venait très empressée, très polie cherchant, partout à qui parler et parlant pour se distraire, sans y réussir. J’étais chez moi à minuit. Les Holland retournent samedi s’établir à Holland house. J’ai promis d’y aller Dimanche soir et dîner le Dimanche suivant. Aujourd’hui le Drawing-room à 2 heures. Je n’aurai pas le temps de vous en dire un mot, en revenant. On dit qu’il durera au moins trois heures. La Reine n’en a point tenu depuis son mariage. retourné contre. Il y aura des présentations sans nombre.

Midi et demie
Vous dites que nous avons parlé un mois de l’Angleterre et que vous ne m’avez rien dit. Vous ne m’avez pas dit tout ce que j’avais besoin de savoir, temoin Mad. Maberly. Mais vous m’avez dit immensément et ce que vous m’avez dit m’est d’une immense utilité. Je vous rencontre, je vous reconnais à chaque pas. Vingt fois par jour, j’ai à faire usage d’une indication d’un conseil de vous. C’est charmant. Je ne connais rien, presque rien (pour dire bien vrai) de plus doux que la reconnaissance, petite ou grande, quand on aime beaucoup. Je m’y complais infiniment.
J’ai reçu hier matin beaucoup de visites de celles que vous permettez, Bülow, Hummelauer, Pollon, & M. de Bülow est très soigneux pour moi, et bien aussi, je crois, pour les choses. Le Roi de Prusse a une idée fixe, l’accord des cinq Puissances pour la surété de la paix. Nous ne demandons pas mieux ; mais nous avons aussi nos points fixes. Il paraît du reste que vous êtes de votre côté, infiniment plus doux, fort amis aussi de l’union des cinq Puissances. M. de Pahlen l’a beaucoup dit en passant à Berlin. Vous abondez beaucoup moins dans l’idée de nous pousser à l’ésolement. Mon langage quant à l’isolement est celui-ci : il nous déplaira ; il a de l’inconvenient pour nous ; c’est un embarras dans notre situation. Mais l’embarras, l’inconvénient sont surtout pour le premier moment dans le premier effet. Tandis que de l’autre côté les embarras iront croissant et finiront par devenir des périls. Quand une fois les positions seront prises, nous serons spectateurs les autres acteurs : à nous, la critique ; aux autres les affaires et la responsabilité. Or ces affaires là seront très difficiles, d’un succès très incertain, et d’un avenir très inconnu.
Voilà une Hypothése. L’autre, celle d’un accommodement entre les cinq, par des concessions réciproques du Sultan et du Pacha me paraît toujours la plus probable. Mais la solution n’est pas mûre. Le temps y conduit. J’aime donc le temps. Je ne fais rien cependant pour le gagner. Je le laisse venir. J’ai vu aussi entrer hier Charles de Mornay qui passe par Londres en retournant à Stockholm. Il est devenu bien lourd. Je le mènerai demain à Lord Palmerston. Je suis dans une grande incertitude. Il faut que je vous quitte pour faire ma toilette. Fermerai-je ma lettre et la donnerai-je à M. Herbet pour la poste avant de monter, en voiture ? Ou bien attendrai-je que je sois revenu du Drawing- room. On me parle de trois grandes heures. Je ne serais donc ici qu’à 5 heures et demie. C’est trop tard. Je ne veux pas risquer qu’une lettre attendue vous manque.
Adieu. Adieu. Vérity a-t-il vraiment commencé à vous droguer ? J’espère que non. Je déteste les drogues. On ne sait jamais ce quelles feront. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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340 Paris, jeudi 9 avril 1840 10 h1/2

Appony m’a fait une longue visite hiers la dépêche télégraphique annonçant que M. Temple avait envoyé des ordres à l’amiral Stopford préocupait beaucoup l’ambassadeur. Cependant je l’ai trouvé plutôt joyeux. Il m’a fait l’éloge de M. Thiers, il le loue de sa politesse, ce qui ne l’empéchait pas de faire quelque voeux contre M. Berger. M. Molé ameutait beaucoup son monde dans ce vote. Je vois cependant que les moutons sont remis à ce berger.
J’ai fait le tour du bois de Boulogne avec Marion en voiture, on ne me permet pas de marcher par ce temps, car il ne fait pas beau ici. j’ai fait visite à la petite princesse. elle est mieux mais il ne peut pas être question pour elle de départ
J’ai dîné seule. Le soir j’ai été en Appony dernière grande soirée. Toute la diplomatie est en grande rumeur sur l’affaire de Naples. Vous ne sauriez vous faire d’idées du soulèvement. M. Molé est venu m’en parler aussi, disant, qu’il faut s’en mêler, protester au moins.  Que c’est inouï !
Granville m’en a parlé quoique affirmant qu’il n’en savait pas un mot de Londres. Il a cependant dit : "Vraiment il faut mettre à la raison ce petit roitelet." Le propos est fort, mais les Anglais ont le prévilège de l’insolence. Je ne connais pas the merit of the case, mais le procédé Anglais me parait bien soudain et violent, vraiment il me semble difficile qu’on ne s’en mèle pas. Je n’ai entendu parler que de cela hier au soir. J’étais dans mon lit avant onze heures. Comment n’avez-vous pas été encore au parlement ? Les engagements de soirée ne demandent pas un grand respect en Angleterre, on s’en tire par une carte remise le lendemain et si vous attendez une soirée libre vous arriverez au mois de juillet, c’est-à-dire lorsque le parlement finira.
J’avais le cœur plus à l’aise hier. Votre lettre m’a fait du bien tenez le dans ce bon état. J’ai fait prier Génie de venir une voir ce matin. Il y a 10 jours qu’il n’est venu. Il faut que je lui parle d’une chicane qu’on me fait pour mon loyer. Un des grands ennuis du célibat veuvage pour une femme est que tout le monde commence par la croire bête et poltrone. Je veux savoir de Génie si dans le cas présent c’est dans ce sens qu’on me traite. J’ai relu plusieurs fois votre lettre, votre portrait d’O’Connel est merveilleux. Je suis sûre que vous dites vrai. Vos dernières pages sont charmantes, c’est une beaume tout-à-fait. 

Midi
J’allais assez souvent le Dimanche au Zoological garden, mais je n’y allais pas seule ! Je n’y retournerai pas.  Y avez-vous été seul ou en société et avec qui ? Je vous prie de me dire toutes ces choses, tous, tous les détails. Est -ce que je vous en épargne un seul de ma journée ? On ne peut se résigner à l’absence qu’à cette condition là. Je suis bien aise que vous ayez décidé sur Madame de Meulan. Quand comptez-vous faire venir votre famille ? La ferez-vous venir cet été ? Pensez-y bien. Vous m’avez dit que vous viendrez ici à la fin de l’automne. Si vous la faites venir, vous ne me tiendrez pas votre promesse, car vous ne voudrez pas laisser votre mère, et vos enfans seuls en Angleterre. Vous ne voudrez pas leur faire passer la mer dans la mauvaise saison. Examinez bien tout cela, et dites-moi vrai, ne me trompez pas. S’ils sont auprès de vous, vous ne ferez plus avec moi vos visites de moi vos visites de châteaux. Enfin, enfin de quelque côté que je regarde cela j’y vois pour moi de grands mécomptes. Je ne veux pas que votre première pensée soit pour moi, mais je ne veux pas que vous me trompiez. Vous savez que quelques fois, vous l’avez essayé pour m’épargner de la peine et vous savez aussi que cela a toujours mal réussi.
Je vous envoie cette lettre parce que c’est mon jour, mais elle vous dit peu de choses.
Parlez moi de Brünnnow, n’est-il donc pas encore venu vous voir ? Quand vous le rencontrez dans le monde vous parlez vous ? La grossesse de Lady Palmerston si elle est vraie, serait étrange. Elle a mon âge.
Adieu. adieu mille fois.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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341 Paris le 10 avril vendredi 1840,
10 h 1/2
J’ai eu longtemps chez moi Génie ; un moment M. de Pogenpohl une assez bonne promenade au bois de Boulogne, de la causerie. avec Lord Granville et une visite à la princesse ont complété ma matinée. Lord Granville s’anni sur la question des souffres. Je lui ai dit le cri générai de la diplomat ie, de tout le monde. Il combat cela ; cependant il persiste à dire que personne ne lui en écrit un mot de Londres. Cela est peu croyable il m’a répété hier, qu’il ne serait pas surpris d’apprendre que M. Odillon Barrat entre au ministère sous peu de jours, Votre véritable adversaire comme vous l’apelliez un jour dans la Chambre !
J’ai dîné seule ; après le diner la Princesse Wolkowsky est venue me dire adieu un moment, elle partait dans la nuit. Lord Granville, Brignole, Armin, l’internonce, les de Castellane, M. de Maussion, le Duc de Noailles, le prince d’Aremberg. Voilà ma soirée. Dès que Granville fut sorti, il n’y eut qu’un cri sur l’affaire de Naples dont on n’a pas parlé pendant qu’il y était. Brignole prétend cependant qu’une seconde note de Temple était écrite en termes plus doux, mais le fond reste le même et Stopford va agir, or la première partie de ses instructions vise à vous tout juste, parce que c’est sur des batiments Français que se trouvent chargés les souffres. Voilà une querelle engagée tout de suite. Qu’est-ce que cela va dévenir ? Vous êtes bien prudent. Vous ne me dites jamais la plus petite nouvelle politique. Brignole se plaint d’un redoublement de rigueur envers les prisonniers de Bourges, il a même fait des démarches auprès du ministre de l’intérieur, mais sans effet jusqu’ici. Il parait que Thiers a fait quelques avances à Caraffa dans l’intention que Naples demande l’intervention de la France. Mais Caraffa n’a pas relevé l’affaire. Il n’a aucun ordre à cet égard. Vos ministres étaient hier très préocuppés des nouvelles des départements où la cherté du pain cause quelques émeutes, les préfets demandent des troupes et il n’y en a pas. Le parti conservateur est content du dernier vote. Il prouve que la minorité est très serrée et décidée. On juge que la situation du Ministère est toujours très épineuse. Granville par exemple le pense.
Je ne me mèle pas de vous parler de ce que vous mande Génie mais je le sais un peu. Ce qui me frappe c’est la nécessité que vous ne laissiez aucun doute à vos amis sur votre résolution en cas de chances pour M. Molé. Vous leur devez de les éclairer sur ce point que je crois bien résolu dans votre pensée et avec raison.
A propos, hier un ministre a dit à Granville : "Ces conservateurs sont étonnants ; ils croient bien nous embarrasser par leur motion Rémilly. Et bien vogue la galère, que la reforme électorale nous vienne par là. Il faut bien qu’elle vienne un jour nous l’accepterons. Vous savez bien qu’on parle déjà de dissolution. Faut il que je fasse mon voyage en Angleterre ? 

2 heures
Votre N° 337. Je vous en remercie tendrement. Vous vous êtes fâchés un peu. Un peu plus à la réflexion qu’au premier moment. Moi le premier moment a été plus vif, la réflexion a adouci. Voilà mes petites observations d’aujourd’hui. Cependant c’est presque imperceptible et je ne le vois que parce que je regarde à tout dans ce qui nous regarde avec une minutie qui surpasse encore votre bonne vue. Vous me consternez dans ce qui vous me dites de Sully, j’en restait à son austérité pour son maître, car enfin il est bien vrai qu’il condanmait sa conduite, et je croyais dès lors que c’était un Quaker. Jne crois plus à personne. Mais je croirai à vous; j’y crois. Oui, oui tout-à-fait. Il y a de si tendres paroles dans votre lettre, des paroles si pénétrantes. Votre programme me convient tout-à-fait et je suis bien aise de votre dîner le 15 à la société savante. J’en suis bien aise bourgeoisement. Ce sera une espèce de répétition avant la représentation du 1er de mai. Vous voyez que je me préocupe beaucoup de votre ménage.
Ce que vous au dites de l’impression que vous a faite la chambre des Communes me plait parfaitement, car c’est celle que j’ai reçue moi même. J’ai chargé Marion de la découverte de nouveaux pauvres. Anglais, et enfants ; c’est les deux conditions. On dit que le Roi, qui s’était mis sur le ton de la résignation a passé maintenant à l’état de plainte et de propos très amers contre son Ministère. Il se plaint aussi que son salon est désert ; on ne vient plus ! Vraiment il y a peu de dignité à ce langage.
Je vous dis à tort et à travers tout ce qui me revient, mais toujours de bonne source.

Samedi le 11 avril 10 heures
J’ai fait hier le bois de Boulogne seule. La petite princesse. Le dîner chez La Redorte, un moment de la soirée à l’Ambassade d’Angleterre, et le reste chez Mad. de Castellane pour entendre chanter les Belgiojoso. A diner Thiers seul a parlé et moi un peu ; le passé; il répétait son Consulat et son Empire. Il a eu tort et j’ai eu raison sur un point de l’histoire. La guerre de la coalition était en 1798, et il la voulait en 99. Elle a fini en 99. Avant dîner il m’a dit un mot.L’exil du Prince de Cassaro, la mauvaie humeur de Lord Palmerston. Il voulait causer seul avec moi, mais cela n’a pas réussi, Mad. de Talleyrand était là. Avant dîner courte reconnaissance et froide. A diner pas un mot, elle n’a pas ouvert la bouche. Après le dîner un long aparté; après lequel ils sont revenus prendre place au milieu de nous. Et il l’appellait "ma chère amie" en lui serrant le bras en haut en bas. Enfin c’était drôle ! Ce qui était drôle aussi c’est le ton hautain et exigeant de Mad. de La Redorte avec Thiers. Tout comme ferait Barrot. "Vous n’êtes pas assez décidé, vous n’avez que nous, il faut donc franchement nous prendre. Il ne faut pas flatter l’ennemi & &." Thiers avait l’air de se défendre un peu, d’accepter un peu le patronage. On a parlé destitution et il a dit : "et bien le temps de cela viendra aussi." Elle était plus pressée. Mais enfin tout cela m’a donné l’idée que le mariage n’est pas aussi arrêté que je le croyais. On a parlé de M. Molé ; tout le monde Mad. de Talleyrand surtout, affirmait qu’il s’était mal défendu l’année dernière, j’ai seule soutenu le contraire parce que j’étais un peu indignée de cette injustice et cette bassesse Montrond m’a appuyée. Savez-vous que j’ai un parfait mépris pour Mad. de Talleyrand ? il y avait toujours mépris d’une certaine espèce, à présent il y a mépris de toute espèce. Vraiment, peut on ainsi se manquer de respect à soi même ? Il y avait à diner outre ce que je viens de nommer Médem, Pahlen, Brignole, Vandoeuvre,  Rambuteau. A l’hotel de l’ambassade on a appris par moi les inquiétudes à Londres sur le vote de la Chambre, je l’ai su par un mot d’Ellice. Cela les a un peu consternés. Granville dit que M. Temple après une attitude très décidée et énergique. Il parle du Roi de Naples comme d’un fool. Il me semble d’après le dire de Thiers que cette affaire n’est pas en train de s’arranger. Nous nous sommes dit deux mots bien bas et bien intimes avant dîner que je n’ai peut être pas besoin de vous redire et que je ne veux pas écrire.
On m’a dit et de bonne source apparente que M. Molé aurait déclaré au Roi qu’il n’est pas en état de fournir un ministère et qu’il lui conseillait dès lors d’accepter la dissolution si elle lui est demandée. J’ai dit Le soir à M. Molé que j’avais ouï dire ce commérage. Il s’est récrié et m’a dit au contraire : "J’encourage perpétuellement le Roi à y résister, à toute outrance." Ce qui n’empêche pas qu’il ne me dit, un moment après : "Le Roi et moi nous n’avons pas seulement proféré le mot dissolution dans nos entretiens."
Je vous laisse à décider où est la vérité. Il y avait de la musique chez Mad. de Castellane, mais il y avait aussi du courant d’air. J’ai craint l’un plus que je n’ai aimé l’autre, et je suis partie de bonne heure. Appony venait de chez le roi qu’il avait trouvé de fort bonne humeur à sa grande surprise, quel terrain mouvant que ceci !
Voici votre N° 338. y a-t-il quelque nouveau réglement pour les drawing rooms ? Sous les autres règnes jamais les ambassadeurs ne restaient jusqu’à la fin à moins qu’ils en eussent envie. Mon mari, Estorhazy, M. de Talleyrand, tout cela partait quand bon leur semblait. Moi, je restais, parce que le roi et la reine venaient après le drawing room me dire un mot, mais j’ai seule. Les hommes diplomates n’ont jamais tenu jusqu’à la fin. Il n’y avait aucune nécessité de le faire.
Je suis bien aise de penser que vous allez vous trouver à Holland House. J’y ai souvent été. Souvent, surtout dans le jardin, mais pas seule.
Je n’ai pas encore écrit à la Duchesse de Sutherland, je ne sais trop que lui dire. La phrase de sa lettre qui me regarde ne parait pas aux autres aussi directe qu’elle vous semble à vous, et Lady Granville n’a pas eu de renseignement à ce sujet. S’il n’en vient pas décidément c’est que nous nous sommes trompés. Il faudra que je prenne d’autres mesures. C’est un peu ennuyeux parce qu’on est fort mal aux auberges à Londres. Je consulterai Ellice et il me trouvera peut être quelque chose hors de Londres du côté de Holland House. Mais il faut un établissement. Enfin je verrai. Vérity me drogue en effet et cela me déplait. Si le beau temps arrive jamais, je lui confierai le soin de ma santé et je laisserai les drogues.
Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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343 Paris Mardi 14 avril 840

J’ai fait visite à Lady Granville hier matin, et une très longue promenade avec Marion. Je me suis même fatiguée, je suis rentreée pour me reposer. J’ai dîné seule. Le soir j’ai vu Mad. de Boigne, Razonmowsky & Lobkowitz, quelques petits hommes et mon Ambassadeur nous sommes restés seuls après onze heures. Il est très difficile de tirer de Pahlen quelque chose, cependant cela est venu. Et bien il n’y a rien de nouveau. L’Empereur est ce qu’il était, toujours la même hostilité personnelle toujours la même passion. M. de Pahlen a toujours combattu sans gagner un pouce de terrain. Il n’est chargé d’aucune parole aimable, de rien du tout. Il a vu Thiers. Ils ont un peu causé. Il lui a dit que favoriser le Pacha, c’est affaiblir la porte & que puisqu’on veut l’intégrité de l’Empereur ottoman, puisqu’on le dit, il faut lui rendre la Syrie. The Old story again and again. Voilà tout. On pense mal de tout ceci. il est bien égal qui gouverne ici Thiers ou tout autre. Cela s’en va. Je crois que je vous ai donné l’essence. Pahlen a fort bonne mine ; il est content d’être ici et de n’être plus là. Il ne parle pas très bien de M. de Brünnow, un plat courtisan dont les longues et habiles dépêches sont lardées de flatteries pour l’Empereur. On le croit un grand homme. Sa nomination a fort mécontenté en Russie. Lady Clanricarde me le mande aussi. A propos, elle m’a écrit une lettre fort spirituelle. Je vous l’enverrai, par courrier Français car elle est volumineuse. Il n’y a rien de pressé, car il n’y a rien de nouveau, mais vous la lirez avec plaisir. Le temps est doux et charmant aujourd’hui. J’ai déjà marché. Et puis j’ai fait ma longue toilette et je ne viens à vous qu’à une heure. Aujourd’hui vous dînez chez les Berry. Je suis sûre qu’elles vous donneront lady William Russell et que sans jamaisvous plaire beaucoup elle vous paraîtra une bonne ressource de conversation. L’impératrice vient en Allemagne à Erns. La grande duchesse Hélène aussi.

Mercredi 15 avril  1 heure
Je réponds au 341. Pardon de cette rature. Vous ne savez pas comme j’ai été tracassée de bêtises, toute la matinée. J’expie le péché d’avoir été lire votre lettre sur la terrasse des Tuileries, et d’y être restée avec vous et un charmant souffle du midi pendant une heure. Tout est retardé, renversé, & maintenant il faut que je vous écrive et vous aime vite, ce qui m’est on ne peut plus désagréable car il me semble que j’ai beaucoup à vous dire. Mais d’abord merci, merci de votre lettre, de Richmond de tout. Ah si vous saviez comme vous avez raison d’être ému en voyant Richmond. Toute ma vie jusqu’au 15 juin se résumait dans ce lieu Richmond. Car ce n’est que là, là que j’ai connu un vrai bonheur. Mon Dieu mon Dieu, que j’y ai été heureuse comme je le sentais, comme le disais, et comme en le quittant je me suis dit avec ferveur, ma vie est finie. Ah quel souvenir ! Je suis si occupée de l’idée que vous avez vu Richmond ; regardé ce que j’ai tant regardé, marché là où je goûtais tant de joies innocentes et pures, & vives et passionnées car je les aimais avec passion.
Je suis tellement occupée de cette idée que je ne vois que cela dans votre lettre par le premier moment des pars. Est-ce que rien ne m’avertissait que vous seriez à Richmond un jour ? Voilà que je bavarde et je veux parler.
J’ai été voir votre mère hier. Pauline est souffrante sa mine m’a un peu alarmée, mais il est vrai qu’elle a toujours l’air délicat. On me dit qu’elle est mieux aujourd’hui. Elle m’intéressait hier beaucoup. D’abord elle vous ressemble beaucoup elle a vos yeux, elle a l’air triste de cette tristesse maladive, chère petite j’espère qu’elle va se remettre par cet air doux. Je n’aimais pas l’air de ces chambres hier, un air de cave tandis que dehors il faisait si doux et si calmant comment ne pas tenir un peu les fenêtres ouvertes ? J’aurais voulu arranger cela la placer du côté du midi les autres ont une mime excellente, votre mère aussi. Il y avait une dame et deux hommes ils avaient tous l’air bien shabby. Je ne sais pas au monde qui c’était. Ils parlaient de vous comme il convient d’en parler mais dans un langage un peu banal. Imaginez que je ne sais pas faire votre éloge ce qui s’appelle éloge, c’est trop vulgaire, mais mon silence me donne un air d’intimité ou d’hostilité comme on voudra le prendre. Je crains cependant qu’on ne s’en tienne à la première explication ; et cela m’embarrasse un peu, et cependant les paroles ne viennent pas. On ajoutait, c’est cependant un poste bien difficile. Alors j’ai dit, un peu avec l’accent que vous y auriez mis, " Mais c’est pour cela seulement qu’il l’a accepté."
Voilà qui a dû avoir l’air un peu trop ménage. Je ne sais qu’y faire. Je n’ai pas vu Mad. de Meulan, j’en suis bien aise. On dit qu’elle bavarde et pérore; et qu’elle va toujours à Londres. N’a-t-elle donc pas compris ? J’ai été seule au bois de Boulogne mais bien longtemps ; j’ai dîné seule. Le soir Granville, Brignole, Miraflores, Capellen, Armin, Médem, Pahlen junior. le Senior faisait des visite, lady Landwich, le Prince de Chalais. On parlait beaucoup de la séance à la Chambre des pairs. Granville y avait été. Mais j’en ai une meilleure idée après avoir parcouru ce matin les journaux. Savez-vous que M. de Broglie n’a pas lieu d’être tout-à-fait content. M. Thiers ne regarde comme exactes que les paroles qu’il dit lui même. Est ce que cela veut dir que M. de Broglie a menti ? Je serai curieuse d’appendre ce qui l’en pense. On disait généralement que M. de Villemain avait été de mauvais goût dans son attaque contre Thiers. Thiers me parait avoir parlé très habilement.
Génie est venu me trouver ce matin, il dit que les médecins ne sont pas d’opinion que votre mère puisse passer la mer. Vous le dit-on ? Je suis très préoccupée de cela maintenant. Je voudrais que vous eussiez plein contentement dans les projets que vous me dites à cet égard. Génie ne le croit guère. Je passerai à votre porte pour savoir moi-même des nouvelles de Pauline. Ai-je quelque chose à vous dire encore ? Je n’en sais rien. Je suis pressée. Mad. Appony s’annonce et je veux avoir fermé ceci. Je savais bien que Holland House vous plairait, et bien voilà ce caractère qu’ont tous les chateaux anglais, en y ajoutant une même magnificence, qui elle aussi atteste la durée. Tout y est vieux respectable respecté et puis le luxe, le soin, le confort par dessus le marché. Ces Anglais sont trop heureux ! Il n’y a pas de grandes existences à côté de celles-là. Adieu, je vais écrire à la Duchesse de Sutherland, ils m’attendent chez eux. Mais il faut qu’ils sachent que je ne puis pas monter d’escaliers, et je ne sais pas s’ils ont encore à me donner un appartement au rez de chaussée ; car coucher au second, j’aime mieux coucher dans la rue. Pardon de cet horrible griffonnage ; ma main tremble, je crois que ce changement de temps subit m’agace les nerfs.
Adieu, adieu, à demain.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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339. Londres Vendredi 10 avril 1840
4 heures et demie

Quelques mots aujourd’hui pour vous remercier du 339 si tendre, et puisque les jours sans lettre sont si tristes. Par malheur j’ai très peu de temps. J’ai été chez Lord Palmerston. En en sortant, j’ai eu à écrire une dépêche sur ces affaires de Naples. Je viens de finir. Que c’est commode d’être dans une île avec l’océan pour frontière ! On fait de la politique, extérieure, sans responsabeilité comme les journaux anonymes. Je l’ai dit en riant à Lord Palmerston. Quand l’Italie sera en feu, pour qui sera l’embarras. Je l’ai trouvé raisonnable, c’est-à-dire ne demandant pas mieux que de l’être pour finir ce qu’il a si vivement commencé. Au fait, l’Angleterre profite des avantages de sa position. Ils étaient hier assez inquiets sur le vote de la Chine. Ils ont eu quatre voix de plus qu’ils n’espéraient une heure avant. Je suis resté à la Chambre jusqu’à 1 heure et demie. J’ai entendu la moitié du discours de Peel. Excellente manière de parler, simple et point familière, naturelle, et point froide ; très bien posé de sa personne ; de l’autorité, comme on en a avec ses égaux quand on leur est supérieur sans être un homme supérieur. J’ai été plus frappé de la forme que du fond. Le début à été très bien. Mais quand il est entreé en Chine, le chemin a été si long que le désespoir m’a pris et je suis sorti. Je regrette de n’avoir pas entendu Lord Palmerston. Mais il n’a pris la parole qu’à 2 heures et demie. Il a eu un vrai succès. Ce qui est excellent, c’est l’énergie et l’intelligence avec lesquelles chaque parti soutient Son chef. Les hear et les loud cheers sont pour moitié dans l’éloquence anglaise. Il n’y a rien de tel pour avancer que d’être ainsi poussé. De quoi vous parle-je là quand votre lettre m’a été si avant-dans le cœur ? Vous avez bien raison de me dire de si douces paroles. N’est-ce pas que c’est charmant ? c’est un droit divin, d’envoyer au delà des mers, dans un petit chiffon de papier du bonheur du vrai bonheur? Mais je vous en veux de votre inquiétude vague, et de votre silence. Sur votre inquiétude vague, vous n’avez droit de rien penser, de me rien dire, en pareil sujet ; mais quand vous avez le tort de penser quelque chose au moins faut-il me le dire. Et que ce soit un dîner chez Mad. Maberly qui ait transformé votre inquiétude vague en une conviction si forte en un chagrin si réel! Cela ne serait pas pardonnable si vous aviez jamais besoin de pardon, et j’en serais très offensé si je ne vous connaissais pas comme je vous aime. Vous me dites d’être fier, très fier. Je le suis mille fois plus que vous ne l’êtes pour moi, car le rouge me monte au visage en pensant à la cause de votre inquiétude. Vous ne savez pas ce qu’est pournmoi que de dire les paroles que je vous dis et à quelle hauteur je cherche et je place celle à qui je les dis.
Je n’en dirai jamais, je n’en aurais jamais dit le premier mot à toute cette Angleterre que j’ai vu défiler hier au Drawing-room. Il a duré deux heures. On m’avait menacé de quatre. Les deux plus belles étaient Lady Douro et Lady Seymour. Je mets à côté la Duchesse de Roxburgh, quoique bien moins parfaite. Une foule de beautés, sans grâce, jetées dans un même moule, froides et j’ai bien regardé. Je ne me souviens de rien. La Reine était très fatiguée. Certainement elle est grosse. Elle changeait de couleur à chaque instant. Pour Lady Palmerston, elle a déjà une façon de tenir ses mains qui me persuade qu’on a raison.
Je mets Lady Ashley au nombre des plus jolies. Vous avez mon programme. Depuis, le 14 avril chez les Berry. Le 18, chez M. Macaulay. Le 4 mai chez Mad. Montefiore, une Rothschild. Je refuserai celui-ci. J’en ai essez fait là.
Je vais faire mes invitations pour le 1 mai.
Adieu. Il faut que j’écrive encore à Henriette.
Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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345 Paris jeudi 16 avril 1840,
6 heures

J’ai été chez votre mère. J’ai vu Henriette. Elle a le visage bouffi, mais votre mère dit que c’est tout bonnement ses joues, et qu’elle est engraissée. La crainte de la rougeole se dissipe On ne croit pas qu’elle l’aie. Pauline était dans son lit. Je ne l’ai point vue. Guillaume se porte bien votre mère n’a pas l’air inquiet du tout, mais l’idée de votre inquiétude la préoccupe. Voilà exactement ce que j’ai trouvé dans votre maison et dont je vous rend un comple fidèle. J’ai vu Granville. Il a l’air d’être dans la confidence du délai de la reception de Pahlen. Le Serra Capriola attend aussi, parce que lui aussi n’était pas pressé d’arriver. 

Vendredi 17, 8 heures
J’ai dîné seule. Je me suis fait trainer en calèche après le dîner. Le soir j’ai vu Appony, Armin, l’internonce. Pahlen était venu deux fois dans la matinée ; je l’ai manqué. Et le soir il court les petits spectacles pour commencer peut être aussi n’aime-t-il pas rencontrer des questioneurs avant d’avoir été au château. Je crois que la semaine se passera sans audience. Appony n’a encore rien eu de sa cour sur l’affaire de Naples, mais on dit qu’il y a grande rumeur à Vienne sur ce sujet. Vous saurez cela mieux sans doute.

10 heures
Je viens de parcourir le journaux. Ils disent que M. de Pahlen a eu son audience, par conséquent les Ambassadeurs et moi nous étions mal informés J’ai envoyé à la rue de la Ville l’Evêque. Henriette n’a pas de rougeole, et Pauline a assez bien passé la nuit. Voilà le bulletin. J’ai eu hier une très longue lettre de lady Palmerston. Elle me dit que vous allez demain à Holland House pour deux jours. J’en suis bien aise. Cela vous fera plaisir. Elle parle extremement bien de vous, décidément vous lui plaisez beaucoup. Lord Grey m’écrit avec aigreur sur toute chose et tout le monde. A propos, il me dit qu’Ellice est très peu bienveillant pour les Ministres Je vais voir cela tout à l’heure, il arrive aujourd’hui. Lord Grey me dit qu’il n’a fait que vous entrevoir, qu’il n’a pas d’occasion de causer avec vous. J’en suis fâchée. Je voudrais qu’il vous entendit. Est-ce que vous ne vous êtes point fait visite? Il serait convenable de demander à aller voir lady Grey c’est une très respectable personne. Je vous envoie cette pauvre lettre, elle vous trouvera au milieu de cette belle verdure de Holland House. Il n’y a pas d’arbre que je ne connaisse. J’y venais souvent souvent le matin, lorsque les Holland étaient absents. J’y restais des heures entières. J’écris aujourd’hui à la duchesse de Sutherland ; je parle du mois de Juin sans préciser le moment, car eux-même seront absents la première quinzaine et ne pourraient pas me recevoir alors. J’explique un peu mes jambes. Coucher au second est absolument impossible, il y a 90 marches. S’ils ont encore à me donner l’appartement du rez de chaussée, je serai fort contente d’être chez eux. J’apprends que Paul part à la fin de ce mois-ci pour la Russie. Il n’est donc pas vraisemblable que son frère le voie avant, ce qui pourrait fort bien faire qu’Alexandre ne vint pas du tout ici. Encore ce mécompte.
Je n’ai point de lettres de vous depuis avant-hier, et voici 1 heure. Il n’est pas vraisemblable qu’elle vienne, j’en suis fâchée. Adieu. Monsieur, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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346 Paris, samedi le 18 avril 1840,
10 heures

Votre n° 342 ne m’est arrivé qu’à 6 heures. Vous me grondez et vous m’aimez et vous avez raison de ces deux façons. J’enverrai chercher Andral d’ici à deux jours si je ne suis pas mieux. Je vous écrirai tous les jours. Voilà quatre pages répondues. Quatre pages charmantes car il y a bien de l’...., de ce qu’il avait dans des vers qui me sont arrivés à Stafford House il y a tout-à-l’heure 3 ans. Vous avez raison dans les premières pages de votre lettre aussi, article prudence, tout-à-fait raison. Quant aux places à dîner, c’est ennuyeux mais vous êtes obligé de prendre le Chancelier à votre droite et lord Lansdowne à votre gauche. Vous pririez lord Palmerston de se placer vis-à-vis de vous entre le duc de Willingtom et lord Melbourne. Voilà ce qui me semble la règle, mais laissez-moi, encore y penser. D’où vien que vous avez prié le Duc de Wellington ?
Ce devaient être des ducs whigs, Sutherland, Somerset && selon votre premier plan. Mais au fait vous n’avez pas tort ; seulement je ne sais si les ministres trouveront que vous avez raison. On me fait dire de chez vous que Pauline a passé une mauvaise nuit, et qu’Henriette est très bien. Vos enfants sont ma première pensée le matin. Pauline est si délicate qu’elle m’inquiète.
J’ai essayé hier matin de faire un tour en calèche avec le Duc de Noailles qui était venu chez moi mais il n’y a pas eu moyen de gagner Passy, et toutes les avenues étant fermées, nous sommes rentrés. Ces fêtes de Longchamps sont mon désespoir. Le duc de Noailles est content que la Chamtre des pairs aussi ait eu ses trois journées. Il a trouvé la discussion animée, élevée, très spirituelle. Et le débat tout entier contre les Ministres, en exceptant toujours Thiers qui a été comme de coutume et plus que de coutume même d’une dextérité extraordinaire.Tout le monde est d’avis de l’importance de cette discussion. Aux yeux de mon rapporteur, la gauche gagne du terrain, du moins montre-t-elle une patience et une sécurité très suspectes, parce qu’il est impossible qu’elle n’ait pas pleine certitude en se posant ainsi. La Chambre des Pairs s’est montré aussi Egyptienne que la Chambre des Députés. Thiers n’avait pas l’air content de ces trois jours. J’ai rencontré hier M. Molé chez la petite Princesse. Il est d’une amertume pour Thiers, et pour M. de Broglie surtout, qui est inconvenable comme mauvais goût. Je lui ai demandé pourquoi lui seul s’était tu. "Parce que je ne voulais parler que pour me défendre, et que personne ne m’a attaqué." Il dit que la discussion des pairs a été très supérieure comme talent à celle des députés. Montrond est venu me voir hier matin. Il est amusant mais il ne m’apprend rien de nouveau. Le Roi est content, il dit : "Thiers danse sur la corde, je veux bien lui servir de balerine. Nous sommes parfaitement d’accord sur les questions extérieures & &."
J’ai fait dîner Teham hier avec moi, pour me passer le temps. Il a des good sense and good manners, voilà tout à peu près. Le soir quelques ennuyeux, et un long tête-à-tête tard avec mon Ambassadeur. Je l’ai fait beaucoup parler, mais je n’ai appris que ce que je savais par instinct. L’Empereur ne voulait pas qu’il rétournat à Paris ? Nesselrode pressait son départ, la lutte a été vive. Une lettre que j’ai écrite le 14 février et qui a été lue pas l’Empereur a fait passablement d’effet. On a décidé son départ. Tous les entours pensent et parlent de même sur les relations avec la France. L’Empereur est seul de son opinion, et y restera. Mais vous voyez cependant qu’il n’est pas absolu quand le moment d’un éclat arrive. Il ne le risque pas sa santé un peu chanceuse. Menaces d’apoplexie. Tenez bien secret tout ce  que je vous dis là.
Il courra un peu dans son empire pendant l’été ; vers l’automne, il viendra en Allemagne. Nesselrode très poltron, très effacé. Il s’abrite quelques fois derrière Orloff ; mais voilà celui-ci absent ; il accompagne le  grand Duc. On ne parle pas de moi, mais ou est très mécontent de la conduite de mes fils envers moi, et Paul n’est plus au service par cette raison. Les femmes tendres pour moi, au reste vraiment faire parler Pahlen est une si rude besogne, que j’en suis fatiguée et je n’y reviendrai plus. Il a de petites idées avec de très bonnes intentions. Si on me chargeait de le gouverner je n’accepterais pas, c’est trop d’ouvrage, trop de peine à prendre pour des niaiseries. Voilà qu’il invente de ne faire la connaissance d’aucun nouveau ministre. Pourquoi ne viennent-ils pas lui faire visite ? Ils ne connait et ne connaîtra que les affaires étrangères. Je lui dis - Mais vous arrivez, il faut porter vos cartes.
- Pas du tout, ils entrent et doivent la première visite à un Ambassadeur."
Je le laisse, cela m’est égal. Il a rencontré M. de Rémusat chez sa nièce, cette folle. Ils ne se sont pas regardés. Au fond il aime passionément Molé et n’aime que cela.
Surement il faut un speech Lundi au Mansion House. Mais le ferez-vous en anglais ou en francais ? Votre accent anglais est positivement mauvais, et cependant les convives ne comprendraient guère le français. Le 2 mai à l’Académie de peinture est le dîner le plus aristocratique du monde. Vous y veriez tous les grands seigneurs de l’Angleterre. C’est très digne. Là j’avoue que je conseille le speech en Français. Vous saurez au reste que jamais mon mari n’a dit un mot. Il remerciait simplement au nom du corps diplomatique. Il y a eu de son temps une querelle d’étiquette pour ce diner qui a failli en bannir le corps diplomatique. J’accepte de grand coeur l’arrangement pour la correspondance. Vous aurez remarqué hier le monsieur pour la lettre directe vous ferez de même.
On trouvé assez généralement, et moi surtout je le trouve que M. de Broglie aurait du reprendre M. Thiers, dans ce que son discours a offert de dissemblance avec le rapport de la commission. Au reste la phrase principale : "Je n’accepte ma pensée qu’exprimée par moi même." a été retranchée au Moniteur. Sans cela, le Duc de Noailles, allait la relever. Adieu, adieu. A demain.
Le peu de mots que vous me dite sur Pauline me prouvent que vous êtes triste. Je voudrais bien y aller moi même tous les jours, j’ai peur de ce que votre grosse dame en dirait. J’y passe cependant toujours encore dans l’après-midi afin d’en savoir des nouvelles deux fois le jour. Mais je n’ose pas entrer. Adieu, adieu.
A propos, le Duc de Noailles, me prie de vous dire qu’il espère vous avoir servi et que vous le trouvez. J’oubliai Ellice. Il est venu me voir  hier, bien rempli de Londres, de vous. Impatient d’aller regarder Thiers, de donner des avis. Je suis charmé qu’il soit ici pour un peu de temps.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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345. Londres, Samedi 18 avril 1840
8 heures et demie

Je viens de réussir dans une petite négociation qui a quelque valeur en elle-même et quelque importance pour moi. A la première nouvelle des vivacités de l’Angleterre à Naples, en causant avec Lord Palmerston et le voyant un peu préoccupé des conséquences possibles, une insurrection en Sicile, des embarras en Italie et, je dis quelques paroles des bons offices de la France et du parti que l’Angleterre en pourrait tirer. Elles furent bien accueillies. Elles le furent très bien à Paris. J’ai mené l’affaire vivement, et un courrier vient de partir hier soir pour Lord Granville qui acceptera la médiation de la France entre l’Angleterre, et Naples chargera la France de négocier au nom de l’Angleterre et lui donnera le pouvoir de suspendre les hostilités contre le pavillon Napolitain. Cela sera bon dans le cas particulier et d’un bon effet général. On verra que la France et l’Angleterre ne sont pas si près de se brouiller, ni si dénuées de confiance l’une dans l’autre. Lord Granville vous aura peut-être déjà parlé de ceci quand ma lettre vous arrivera. Ayez soin seulement de n’en pas parler la première. Du reste, je suppose que l’affaire une fois conclue, on n’aura rien de plus pressé que d’en parler. Je crois avoir bien saisi et bien poussé l’à propos.
J’ai eu hier un pauvre sermon d’une insignifiance et d’une séchéresse rare, commune ici, me dit-on. Mais la foi, et la componction des assistants supplient le talent du prédicateur. J’ai été édifié du recueillement et de l’air convaincu, pénétré, de tout le monde. J’étais à St George hanover-square, la paroisse fashionable. Lady Palmerston s’est mariée là ! Je suis revenu à pied, par un beau temps, mais un vent de Nord-Est fort et froid. Je suis allé faire quelques visites, c’est-à-dire des cartes. Dans la cité pour la première fois, à la Deanery de St Paul, pour l’Evêque de Landaff. J’ai été frappé de l’aspect vraiment monumental de Temple Bar. Lord Wiltoughby, Lord Hermiker, Lord Nugent, le comte de Lovelace (qui a épousé la fille de Lord Byron, jolie et aimable) Lady Willians Pawlett et la comtesse douaierière de Charleville. Voilà, je crois, un compte-rendu bien complet, jusqu’à mes visites.
Le soir, à Holland-House où j’ai trouvé Lord Palmerston qui m’a dit que son courrier venait de partir. Lady Holland me soigne extrêmement. Elle m’a envoyé hier un ouvrage, qu’on dit curieux, sur les principaux procès criminels de l’Angleterre. Je lui envoie ce matin mon maître d’hôtel pour prendre la mesure de papiers de lampe dont elle a besoin et que je lui ferais venir. Palmerston, Hobhouse, Dedel, Neumann, Bülow, Rogers, voilà Holland House hier au soir. On cherchait un vers qui contenait un mot singulier et qui devait être, selon les uns dans Milton, selon les autres dans Shakespeare. On ne l’a pas trouvé.

3 heures
Ces menaces de rougeole me préoccupent extrêmement, et je n’en sais que ce que vous m’en dites. Je n’ai rien de ma mère ce matin, à mon vif chagrin. Elle aura envoyé sa lettre aux Affaires étrangères, pour le courrier de jeudi qui n’est pas parti, sans doute à cause du débat de la Chambre des Pairs. Je n’aurai donc rien que demain, entre midi et 2 heures. Quelle fièvre que la vie ! Je le repète sans cesse parce que je l’éprouve sans cesse. Je suis depuis deux mois dans une grande activité d’esprit, de cœur, de corps. Je n’en suis pas fatigué ; mais j’aurais besoin qu’aucune fatigue extraordinaire, aucune préoccupation extraordinaire, aucun accident, aucune épreuve ne vînt ajouter son fardeau à mon travail, son agitation à mon activité.
Je n’ai jamais senti les contrariétés, les inquiétudes plus vivement que depuis deux mois. Pendant que je lis, que j’écris, quelque idée poignante, quelque crainte horrible me vient tout à coup. Je me lève. Je fais quelques pas dans ma chambre. Je joins les mains devant Dieu ; je le prie, je le conjure deux secondes, qui me semblent des heures. Je me remets à travailler. Et je recommence dix fois. Ah, si Dieu veut encore faire quelque chose de moi, si je lui suis encore bon à quelque chose en ce monde, qu’il protège ce que jaime vous, mes enfants, ma mère. J’ai usé beaucoup de force à supporter. Il m’en reste bien peu.
Alexandre passera-t-il un peu de temps avec vous ? Vient-il prendre son frère ici pour aller en Russie ou se sont-ils donné rendez-vous quelque part ? Je n’ai entendu parler de Paul qu’une fois, Bourqueney, peu avant de partir, a dîné avec lui chez le baron de Munchausen.
On ne m’a pas encore envoyé le grand Cordon. Ce sera probablement à la fête du Roi, le 1er mai. C’est l’époque.

4 heures 3/4
J’ai été dérangé par Neumann et Bülow, de la pure conversation. La semaine prochaine sera stagnante. Tout le monde va à la campagne.
Adieu, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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346. Londres, Dimanche 19 avril 1840
4 heures
Je viens de recevoir mon courrier des Affaires étrangères qui aurait dû m’arriver hier et qui m’apporte des nouvelles de ma mère.
Je suis tranquille sur Henriette, et à peu près sur Pauline, quoiqu’elle soit encore souffrante. Ils vont prendre tous trois le lait d’ânesse. Mais quelle horreur que l’absence ! C’est une découverte de tous les jours. Et je la ferai pendant bien des jours, car certainement si la santé de Pauline, n’est pas très raffermie, si celle de ma mère ne me donne pas pleine sécurité, je ne les ferai pas venir. J’aime mille fois mieux avoir à trembler de loin sur toutes les mauvaises chances naturelles qu’en ajouter une de mon fait. Si je ne les fais pas venir, je m’arrangerai pour quitter l’Angleterre quinze jours plutôt vers le milieu de septembre et pour aller les retrouver à la campagne où je les établirai pendant l’été. Car vous ne resterez pas en Angleterre au-delà du milieu de septembre, n’est-ce pas ? Peut-être pas jusque là.
Mon dîner d’hier chez M. Macaulay a été peu intéressant, quoique composé de gens d’esprit, Lord Jeffrey, M. Elphinstone M. et M. Trevelyan etc, savez-vous que les Anglais ont prodigieusement de vanité et de la plus petite. Elle est moins expansive, moins complaisante, et confiante que la vanité française, mais tout aussi ardente et plus raide, plus pedante. J’en vois une foule qui sont extremement préoccupés de l’effet qu’ils font, et très fâchés quand ils n’en font pas, et très soigneux de laisser, de faire percer leurs moindres avantages. Ce qui est vrai, c’est que les hommes sérieux et simples le sont complétement, parfaitement et qu’il y en a beaucoup. Grand pays, ou la petitesse abonde à côté de la grandeur.
De chez M. Macaulay, chez les Berry, où je n’avais pu aller dîner, mardi dernier. Elles avaient un peu de musique, la fille d’un M. Hamilton qui a été ministre à Naples, fort agréable personne, qui chante assez bien, les airs italiens et les romances écossaises, avec un air de passion ossianique et malheureuse qui ne s’adresse à aucun objet particulier et semble une invitation plutôt qu’un regret.
J’étais dans mon lit à minuit, pressé de me coucher, pressé de m’endormir pour attendre avec moins d’impatience les nouvelles de mes enfants. Je me suis reveillé bien des fois. Pourtant j’ai dormi, et l’arrivée de mon courrier m’a tranquillisé. J’aurai d’autres nouvelles, entre midi et 2 heures et de vous aussi, j’espère.

4 heures
Je les ai eues mes nouvelles ; je les ai eues toutes. Mais pourquoi n’aviez-vous pas ma lettre vendredi à 1 heure ?Elle est partie mercredi bien régulièrement et bien pleine de vous car j’avais le cœur plus que plein en vous écrivant. Je me rappelle très bien cette lettre là. Vous l’aurez eue dans la journée.
Pauline continue à aller mieux. Mais je suis décidé. Je viens de recevoir une longue longue lettre de mon petit médecin qui n’est pas du tout d’avis du voyage, ni pour ma mère, ni pour Pauline, ni pour Guillaume. Il dit que pour Henriette seule, cela n’aurait aucun inconvénient. Il en a délibéré avec Andral qui est du même avis. Je n’hésite pas. Je n’en écrirai pas tout de suite à ma mère. Je veux la laisser sortir un peu de la petite sécousse qu’elle vient d’avoir et de l’effroi que lui cause sa responsabilité en mon absence. N’en parlez donc encore à personne du tout. Mais dans une quinzaine de jours, j’écrirai à ma mère ma résolution. Je les enverrai au Val-Richer vers le milieu de Mai. Je suis à peu près sûr que malgré son désir de me revoir, malgré le fardeau de la responsabilité ma mère se sentira soulagée. J’ai quelque fois entrevu que ce voyage l’inquiétait un peu, pour mes enfants, pour elle-même. Elle est d’un courage et d’un devouement sans limites. Elle risquerait ce qui lui reste de vie pour mon bonheur de quelques jours. Mais elle sait de quelle importance sont pour moi sa vie et sa santé. Elle aime ses habitudes, le Val-Richer. A tout prendre elle se consolera, et surtout elle se rassurera, ce qui m’importe beaucoup, car mon petit médecin m’écrit que son imagination est un peu ébranlée et fatiguée. Je vous aurai cet été. Je n’aurai que vous. Mais je vous aurai. Commencez-vous à savoir tout ce que vous êtes pour moi ? Et à ce propos, expliquez-moi une phrase de votre lettre. Vous parlez, dites-vous, à la duchesse de Sutherland du mois de Juin "sans préciser le moment car eux-mêmes seront absents la première quinzaine, et ne pourraient vous recevoir alors." Ce n’est pas à dire, je pense, que vous ne viendrez pas le 1er juin. Vous pourrez bien sans trop d’ennui, passer quinze jours à Miwarts Hôtel ou ailleurs, en attendant que les Sutherland soient chez eux. Et si vous retardiez, vous tomberiez, ou bien près, dans l’arrivée de votre nièce. Précisez-moi cela je vous prie.
Lundi, 8 heures et demie
Je n’ai pas pu aller passer deux jours à Holland house, comme on m’y avait engagé. J’ai chez moi, pour quelques jours, M. Lenormant que je ne veux pas abandonner si complètement. Mais j’y ai été dîner et je suis parti de bonne heure, pour avoir le temps de me promener. J’ai passé une heure seul, dans le parc. C’est ravissant.  Quels beaux cèdres ! Il n’y en a pas plus sur le mont Liban, ni de plus beaux. Les arbres surtout m’ont frappé, car le paysage n’a rien de remarquable. Le diner matériellement excellent, moralement médiocre. Le personnage nouveau pour moi a été M. Duncombe, le radical à la mode. Montrond m’en avait parlé comme d’un ami particulier. Il m’a demandé si Montrond was still alive. Lord et Lady Palmerston devaient venir. Lady Palmerston est venue seule comme nous étions déjà à table. Lui est venu le soir. L’une et l’autre avaient l’air préoccupé, même triste. Je ne crois pas Lord Palmerson content de sa situation. On crie beaucoup, dans son propre parti. La Chine, l’Orient, Naples, les Etats-Unis, c’est bien des querelles et qui coûteront cher. Le déficit de la poste est grand ; il faut de nouvelles taxes. Je ne crois à aucun ébranlement réel, ni du Cabinet, ni de Lord Palmerston. Mais c’est un moment difficile et qui exige, si je ne me trompe, qu’on mette de l’eau dans son vin. Une bonne conversation après dîner, sur toutes choses. M. de Bülow a décidément plus d’esprit que toujours à faire,
tous ses collègues.
Aujourd’hui, le dîner du Lord Maire. Puis, je me réposerai. Lord et Lady Palmerston partent mardi pour Broadlands. Brünnnow et Neumann vont aujourd’hui chez le Duc de Wellington. Ils continuent à lui parler des affaires. La dispersion est générale.
Une heure
La mauvaise nuit de Pauline me tourmente. Être tourmenté et ne rien faire ne pas voir seulement ! Mon petit médecin me donne beaucoup de détails très fidèlement, j’en suis sûr. Il n’est pas inquiet. Il est bien heureux. Vous me direz si ma mère vous fait l’impression d’une personne agitée et fatiguée. Je crains toujours qu’elle n’aille jusqu’au bout de sa force. J’ai confiance dans le lait d’anesse. Il a toujours très bien réussi à mes enfants. Ils ont dû le commencer hier.
N’ayez donc pas peur de Mad. de Meulan.  M. Molé a raison, c’est-à-dire qu’il a bien des raisons d’avoir de l’humeur. Il est bien bon de trouver qu’il n’a pas été attaqué. Sauf Tiers, qui s’est bien défendu, il n’y a eu d’attaqué que M. Molé qui ne s’est pas défendu et n’a été défendu par personne. Le Duc de Broglie l’a attaqué. Villemain l’a renié. Ces débats là ne lui valent rien. Je ne crois pas qu’ils vaillent grand chose non plus pour le Cabinet. Cependant on gagne toujours à faire preuve de talent et d’habilité à prouver qu’on vaut mieux que sa position. Il me semble que c’est le cas de Thiers.
M. de Noailles me sert en effet. J’ai bien lu son discours et j’en parle beaucoup et bien. Je n’ai jamais vu M. de Noailles, sans avoir envie que nous fussions du même avis. Je parlerai Anglais au Mansion house, en demandant pardon de mon mauvais langage. Cela a meilleure grace que de bien parler pour n’être pas compris. A l’académie royale, c’est autre chose ; du bon français. Je sais que c’est un dîner très aristocratique.
Le Chancelier ne vient pas diner le 1er mai à cause de la chambre, comme le speaker. Je prendrai donc à côté de moi Lord Lansdowne et Lord Melbourne. En face de moi, Lord Palmerston qui aura à côté de lui le duc de Wellington et je ne sais qui Lord Normanby, ou Lord Minto ou Lord Clarendon, ou Lord Holland ? Pensez y encore, je vous prie.
Si je mettais Lord Lansdowne en face de moi, avec Lord Palmerston et un autre ministre à ses côtés ; et moi Lord Melbourne à droite, le Duc de Wellington à gauche ?
Adieu. Je vous ferai quelque fois porter ma lettre par mon petit médecin, M. Béhier, très intelligent très sûr et parfaitement dévoué. Adieu. Adieu. Priez pour ma petite fille.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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348. Paris Lundi 20 avril 1840, 10 heures

Après ma promenade au bois avec Marion, j’ai eu une longue visite de mon ambassadeur. Il est très confiant, et peut être même un peu plus defférent que jadis. A propos Je modifie l’article duc de Bordeaux en ceci : qu’on essaye de le dissuader de venir en russie. Mais cette confidence directe a flatté, et a fait dire que c’était la premiere parole agréable qui ait été reçe ici de la part de l’Empereur.
Les Ambassadeurs donnent raison au mien au sujet des visites de ministres. Ils lui doivent les avances ; aucun n’est venu. Cela le dispense de faire leur connaissance. Il me parle beaucoup de Brünnow, et voudrait bien que j’ecrivisse à mon frère à son sujet, c’est-à-dire pour montrer l’inconvenance de ce choix. Je lui dit que je ne m’en mélerais pas d’ici, mais qu’une fois à Londres, je dirai peut être ce que j’en pense après avoir vu. J’ai dîné hier chez les Appony. On m’a fait entendre M. Liszt pianiste d’une grande célébrité. C’est un possédé, un enragé, faisant des merveilles, à me faire fuir. De là, un moment chez les Granville et puis chez Brignoles. Il me semble que Naples va mal. Votre médiation y fera-t-elle quelque chose ? Il y avait beaucoup de monde en Sardaigne, mais rien qui
vaille la peine de vous être redit. J’ai reçu à mon reveil une lettre d’Alexandre de Marseille. Il sera ici demain, je crois. Je m’en réjouis bien, mais j’imagine qu’il ne fera que passer pour aller trouver son frère reviendra-t-il après l’avoir vu ?Voilà ce que j’ignore.

Midi
Je viens de recevoir votre lettre. Je suis charmée de vos succès. Lord Granville m’avait dit un mot hier, mais qui ne me paraissait pas aussi catégorique. Vos inquiétudes me chagrinent extrèmement, mais vous aurez été rassuré. D’abord pas de rougeole et puis Pauline va mieux. Le lait d’ânesse, administré à tout le monde fait du bien à tous. J’ai des nouvelles tous les matins. Je crois que j’enverrai chercher M. Andral ; je ferai demander chez vous où il demeure; le vent d’est persévère, mais cependant je ne puis pas être malade seulement du vent.
Adieu ; je vous envoie la lettre de Lady Clanricarde par votre foreign office, mais je fais bien je crois de vous envoyer ceci par notre voie ordinaire.
Adieu, adieu, tranquilisez vous et soignez vous. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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349. Paris, Mardi le 2l avril 1840
9 heures

Je commence par vous donner des nouvelles de Pauline. Je l’ai vue hier. Sa mine est très différente de celle de l’autre jour. elle a l’air animé. Le teint, les yeux, tout est mieux elle cause gaiement. Les autres étaient allés se promener ainsi tranquilisez vous tout-à-fait. J’ai fait un peu de bois de Boulogne seule, une visite à la petite princesse, mon diner solitaire, la soirée chez Lady Granville. J’avais dû y diner mais tout-à-coup cela m’a ennuyé et je n’y suis venu qu’après. Il y avait la diplomatie et l’Angleterre car il y a beaucoup d’Anglais ici dans ce moment. Je ne sais si on sait votre médiation on ne m’en a pas parlé, et je me suis tue. J’ai reçu hier une lettre de mon banquier à Pétersbourg. Mon frère se refuse tout-à-fait à se mêler de la vente de la vaisselle ; cela lui déplait, et il veut que Bruxner ait mes pleins pouvoirs et non pas lui. voilà qui va faire encore un très long delai, d’autant plus que la saison n’est plus favorable à des ventes. Les autres effets ont été vendus, c’est peu de chose, il m’en revient 6000 francs. Je vous dis toutes mes affaires.

10 h 1/2
Je rentre des Tuilleries. Il fait froid mais beau. Cependant ce temps sec m’est odieux, je ne respire pas à l’aise ; la pluie me ferait tant de bien. Je viens de lire les journaux, la
médiation y est.
J’ai prié Madame votre mère de m’envoyer M. Andral. Elle l’attendait hier soir. Rothschild est venu m’interrompre. Il me donne de très bonnes nouvelles sur votre compte.

Mercredi le 22 9 heures
Mon mot d’hier écrit à toutes les heures, a été interrompu par l’arrivée de mon fils. Appony l’avait précédé. Tout cela ensemble a fait qu’il était trop trod pour espérer gagner la poste. Vous n’aurez donc pas de lettres demain ; mais au fond cest juste mon mardi sera votre jeudi. Le mardi est un bien vilain jour. (interruption, mon fils)

10 heures, Voici votre lettre ; dieu merci vous êtes rassuré pour Pauline et vous avez tout lieu de l’être. Je ne trouve aucun changement dans votre mère. Elle est tout-à-fait comme je l’ai vue à mes autres visites. Et point inquiète. seulement préoccupée de votre inquiétude.  Je ne suis point d’avis que vous la laissiez quinze jours, sans lui dire votre résolution. Le vague est toujours ce qui tourmente le plus, ainsi l’idée du voyage, de la traversée, d’un nouveau lieu à habiter tout cela doit lui tourmenter l’esprit. Quand vous lui aurez dit le Val Richer, je suis sûre qu’elle en sera plus tranquille du moins je serais comme cela à sa place, et puis dites lui que vous viendrez la voir en été ; trompez la un peu, ici c’est nécessaire, cela lui ferait peut être du bien.
Décidement vous aurez Lord Palmerston à dîner vis-à-vis de vous. N’étant pas à côté le vis-à-vis est la premiere place, et elle lui revient. Dans vos convives, voici la hiérarchie. Le Président du conseil. Le Pristy seal (Clarendon). Le duc de Wellington, le marquise de Normanby, Lord Minto, &. Mais Melbourne comme premier ministre doit absolument être auprès de vous. Lui et Landsdowne à vos côtés. Wellington et Clarendon auprès de
Palmerston. Soyez sûr que j’ai raison, et ce conseil est moi et Granville ensemble. J’ai dîné avec mon fils. Le soir j’ai vu Granville, mon ambassadeur,  le Duc de Noailles, Ellice, Capellen, les Durazzo. Granville avait été un peu blessé des termes dans lesquels le Constitutionnel avait annoncé la médiation. Il a fait modifier dans le Moniteur parisien. Le duc de Noailles regarde cette affaire comme un grand succès pour vous et une très bonne affaire pour le ministère. Il dit c’est heureux et habile.

1 heure
Je ne puis pas être à Londres dans une auberge d’abord et puis chez les Sutherland. Il faut tout-à-fait l’un ou tout-à-fait l’autre. Autrement, cela n’aurait pas de sens, et je touve l’un beaucoup plus convenable que l’autre. Je suis sûre que je vous en ferais convenir si je vous parlais. Ils ne seront à Londres qu’après les vacances de la Pentecôte. Je pourrais bien me trouver dans les environs de Londres avant, et j’y ai pensé déjà. Je vous prie d’y penser aussi. Il me semble que Norwood est ce qu’il y a de plus près, ou bien Hamstead, si depuis mon temps il y a quelque bonne auberge établie là. Informez-vous en. J’y passerais quelques jours. Vous m’y viendriez voir, mais on  ne saura que j’y suis que lorsque je le voudrai. Norwood est au midi de Londres en passant Westminster bridge. Hampstead au nord par le Regents park. Ceci vaudrait mieux peut-être, c’est plus près de chez vous. Il y a de mauvaises nouvelles de Bruxelles à ce qu’on disait hier au soir. La Reine était menacée d’une couche prématurée. Ceci pourrait faire des delais dans la noce. On parle beaucoup d’un sermon à St Roch. L’abbé Cœur a fait un discours superbe sur l’amour de l’or, la Reine s’est fâchée, et n’a plus reparu à St Roch. Je suis étonnée qu’elle ait fait cela, mais s’est parfaitement vrai et parfaitement connu. C’est dommage. Mon fils est très bien, et très bien pour moi, il me parait avoir et du regret et de l’étonnement de ce que Paul ne soit pas venu. Il ditqu’il lui a écrit sur ce sujet très fortement. Mais cela n’y fera rien. Dans ce moment il entre, pour me dire qu’il faut qu’il soit à Londres dans 6 jours. Je ne replique rien. Je n’ai plus d’opinion sur ces choses là. Je n’en parle pas et j’essaye de n’y pas penser.
Ellice passe son temps avec Thiers. Il y déjeune il y dine, il se promène avec lui même. Et il bavarde à tort et a travers. Il veut maintenant que les Etats-Unis demandent la médiation de la France dans sa querelle de frontières avec l’Angleterre. Il est très certain que votre affaire de Naples aura un grand éclat comme attestation de bonne intelligence entre Londres et Paris, et vous en avez l’honneur.
Adieu. Adieu. Je vous écris très à batons rompus ; car mon fils m’interrompt  à tout instant. On me fait dire que Pauline va bien. Andral n’est pas venu. Adieu, adieu beaucoup de fois.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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348. Londres, mercredi 22 avril 1840
10 heures

J’ai le cœur bien soulagé depuis que je suis tranquille sur ma fille. Je me surprends toujours à me dire tranquille. Il est vrai que je le suis comparativement. Mon courrier m’a apporté ce matin la lettre  de Lady Clanricarde, plus spirituelle que nouvelle mais très spirituelle, comme vous dites et écrite d’un ton ferme quoiqu’un peu verbeux. Ses idées marchent mieux que ses phrases. Evidemment elle ne se plaît pas à Pétersbourg et je le comprends. Je serai bien aise quelle revienne à Londres et de faire un peu connaissance avec elle. Entre nous, je rencontre ici, comme ailleurs du reste bien peu de femmes d’esprit. Je ne m’en plains pas. J’aime que ce que j’aime soit rare. J’aime encore mieux que ce soit unique. Le premier, le plus fort de tous les orgueils, c’est l’orgueil tendre. J’ai celui-là au plus haut degré. Je suis content de mon courrier de ce matin. Il m’a apporté des lettres qui me mettent en mesure de faire faire, si je ne m’abuse un pas à ma grande question. On est fort content de la façon dont j’ai arrangé la médiation de Naples. J’espère que, de son côté, le Roi de Naples entendra raison. J’en serais sûr s’il n’y avait pas là une question d’argent. Son avarice sert merveilleusement sa dignité. En tout cas, les hostilités vont être suspendues ; et j’en suis fort aise. Les mécontents Italiens étaient déjà à l’œuvre. Du reste il n’y a rien à faire pour moi cette semaine. Lord Palmerston est à Broadland  et n’en reviendra très probablement que Lundi.
Thiers m’annonce qu’il va m’envoyer le grand Cordon.

4 heures
Je voulais répondre avec détail au 348, faire aujourd’hui même ce que vous désirez. J’ai été pris par des visites du corps diplomatique, Hummelauer, Björnstjurna & &. Comme tout le monde est parti, je suis un peu leur ressource et je ne m’y refuse pas. Je n’ai pas le temps de vous écrire ce matin à mon aise. Ce sera pour demain.
Vous avez parfaitement raison de ne pas vous mêler de M. de Brünnow. Il ne faut pas parler de ces choses-là par complaisance pour l’humeur d’autrui et sur des ouï-dire. Quand vous serez ici, quand vous aurez vu, vous direz ce que vous aurez vu, s’il vous convient de le dire et comme il vous conviendra. Mais je vous le dis d’avance; si c’est là un homme d’esprit Russe, tant pis pour les Russes. Cela ne ressemble pas du tout à Matonchewitz. Dans le monde où je vis ici, M. de Brünnow ne sera jamais qu’un étranger subalterne et déplacé.
Votre modification sur le duc de Bordeaux est considérable, et le contentement m’étonne un peu. J’ai tort ; ce n’est pas vrai. A la place de M. le duc de Bordeaux, je ne me laisserais pas dissuader. Je mettrais dans l’embarras.
Mes nouvelles domestiques sont très bonnes. Ma mère se remet de l’agitation que lui causait sa responsabilité. Vous seriez profondément touchée de sa lettre de ce matin ; à 75 ans, une telle ardeur de cœur, tant de passion sous la gravité du caractère et de l’âge ! J’ai interdit à Pauline de m’écrire tant que cela la fatiguerait le moins du monde. Henriette la remplace.
Bülow et Alava sont venus dîner hier avec moi. Le Roi de Prusse a été assez malade. M. de Humboldt ne l’a pas vu pendant quinze jours. Il est mieux. Il a recommencé à sortir. Le Roi de Hanovre aussi a été réellement malade. Je ne savais pas à quel point il était ici odieux et décrié : non pas qu’on ne lui accorde les bonnes qualités que vous m’avez dites ; mais on lui attribue en même temps les plus mauvaises, les vrais vices. Et si peu d’esprit à côté ! Vous n’exigez pas, n’est-ce pas, que je prenne la défense de cet ami-là ? Pourtant son amitié pour vous m’a paru si sincère qu’au fond je lui porte un peu de bienveillance. Hummelauer m’annonce le Prince Esterhazy pour les premiers jours de mai. Pourtant, ils n’ont encore aucune date précise pour son départ.
Adieu. Si vous ne me donnez pas de meilleures nouvelles de vous, je compte que vous m’en donnerez d’Andral. Il demeure rue des Petits Augustins N°5 ou 7 Adieu. Adieu.
Voilà une lettre bizarrement pliée. Je n’ai pas sous ma main les enveloppes convenables.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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350. Paris, Jeudi le 23 avril 1840, 9 heures

J’ai fait ma promenade seule. Pas de visites, dîner chez Lady Sandwich avec les Granville, les Brignoles et quelques autres. Thiers devait en être, il n’est pas venu. Le soir chez moi, M. Molé, Brignoles mon amb., Tcham, les d’Aremberg, Ellice, Heischman,  la princesse Rasoumosky point de nouvelles. M. Molé comme de coutume, dénigrant. Les nouvelles de Bruxelles hier ont tout-à-fait rassuré le chateau et on passe à St Cloud ce matin, on raconte que votre médiation est conditionnelle. C’est-à-dire qu’elle prescrit d’alord à Naples de résilier le contrat mais se serait du nonsens et je ne le crois pas. On attend samedi ou dimanche la reponse par télégraphe. M. de Pahlen était vif hier sur la nécessité d’un arrangement quelconque en orient, il dit : si on ne fait pas. il y aura des troubles en Turquie, et alors nous y arrivons infailliblement et puis la guerre générale. L’Empereur est pour qu’on reprenne la Syrie si on le veut ; pourqu’on ne la reprenne pas si on ne veut pas. Enfin cela lui est bien égal mais il veut un arrangement, et il faut que la France et l’Angleterre s’entendent. Voilà le ton d’hier au soir. Il aura une conférence avec Thiers ce matin, et il enverra son courrier samedi. Je voudrais bien pouvoir mander quelque chose.
J’ai reçu tout à l’heure une lettre de Matonchewitz dans laquelle il me dit qu’il venait de conjurer Paul de passer par Paris. Nous verrons si cela fera effet. Je ne crois plus à rien de bon de ce côté là.

1 heure.
Voici le 347. Excellent speech, j’en suis aussi contente que l’auditoire, vec quelque chose de plus que lui. Lady Charleville donne des routs et des dîners, depuis 50 ans. Elle m’a constamment prié pendant 22 ans ; j’y ai été une fois, mon mari jamais, parce que c’est a bore. Ne vous en laissez pas incommoder. Il y a quarante vieilles femmes comme cela vous n’êtes pas accrédité auprès d’elles.
Henriette m’a écrit avant-hier de la part de sa grand-mère pour me dire que M. Andral viendrait à une certaine heure. je l’ai attendu il n’est pas venu, mais la menace de sa visite m’a fait du bien. Je suis mieux depuis deux jours. J’écris à mon frère je ne sais quoi car je n’ai rien, donnez-moi.
Adieu. Adieu, pauvre lettre,  mon fils me prend mon temps ; il entre à tout instant, cela me donne des fidgets et je ne puis rien faire.
Adieu, God bless you. Je suis bien contente de vous savoir plus transquille, et de savoir ici positivement que vous avez raison de l’être.
Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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349. Londres, Jeudi 23 avril 1840,
8 heures

On m’assure qu’en passant à Berlin les comtes Pahlen et Orloff ont tenu, l’un et l’autre, un langage très modéré, et qu’ils ont dit notamment qu’il fallait que les affaires d’Orient fussent reglées de concert entre les cinq cours, et sans se séparer de la France.
Si cela est, et je suis porté à le croire, vous avez là, le symptôme le plus clair de l’état actuel des affaires et des esprits de l’état au fond et non à la surface, dans la réalité et non selon l’apparence.
Selon l’apparence, la division est toujours grande. La France ne songe qu’à soutenir le Pacha d’Egypte. L’Angleterre qu’à l’abaisser. La Russie qu’à désunir la France et l’Angleterre. L’Autriche et la Prusse qu’à pressentir qu’elle sera l’issue de la lutte et à s’y adapter.
Il y a de cela en effet, aujourd’hui comme au premier jour, et c’est ce qui frappe au premier coup d’oeil. Les yeux vulgaires doivent s’arrêter là et croire qu’ils ont tout vu. Mais au delà de cette surface des affaires, au fond des cœurs, de tous les cœurs, il y a quelque chose de bien plus réel et plus puissant, le désir de l’immobilité dans l’ordre établi, la crainte de toucher à cette machine Europeenne qui se remet à peine de tant de sécousses, le pressentiment qu’en y touchant on amènerait on ne sait pas quoi mais quelque chose de grave, aussi grave qu’inconnu, impossible à prévoir, impossible à arrêter une fois commencé.
A-t-on raison d’avoir le pressentiment ? Je ne sais pas ; mais on l’a ; tout le monde l’a ; et au moment décisif, tout le monde le retrouve après l’avoir oublié. On l’oublie en effet ; et là est la cause du caractère faible, mesquin, incohérent de la politique de notre temps. 
Si les gouverements Europeens se rendaient compte nettement de ce qu’ils pensent et veulent réellement, s’ils parlaient et agissaient d’après le fond de leur pensée et de leur volonté, tout serait serait entre eux simple, prompt, conséquent. Ils auraient eux-mêmes du repos et de la grandeur. Leur unanimité dans une idée et une conduite commune leur en donnerait infailliblement. Mais en même temps qu’au fond, et en définitive ils sont dirigés par une même idée et un même dessein, ils s’abandonnent, dans le cours de la vie, à des idées, à des desseins, à des intérêts secondaires, qu’il ne suivent pas hardiment et jusqu’au bout, ni de manière à rompre tout à fait avec l’idée dominante à laquelle ils rendent tous hommage, mais qui les entrainent à des déviations, des oscillations, des tatonnements, des luttes pleins dembarras et vides d’effet.
On a assez de bon sens pour que la petite politique ne tue pas la grande. On n’a pas l’esprit assez haut, ni assez ferme pour que la grande politique tue la petite. On se conduit raisonnablement, après tout sans en avoir l’honneur, ni tout le profit. Un gouvernement qui adopterait toujours et tout haut pour règle de sa conduite, avec connaissance et conséquence, cette idée simple de paix et de maintien, à laquelle, tôt ou tard, de bonne ou de mauvaise grâce, ils se rallient tous, aurait en Europe une dignité et une influence plus grande qu’on ne peut imaginer. Je vais vous dire quelque chose de bien arrogant. Ce que les gouvernements pourraient faire avec tant déclat et de fruit, j’essaye de le faire pour mon compte et dans ma sphère d’action. Je me porte en toute occasion, avec tout le monde, l’interprète de l’idée qui aujourd’hui et pour longtemps encore, domine au fond de tous les esprits. Je m’applique incessamment à les y ramener, à dissiper les petits nuages qui cachent, de temps en temps, à certains yeux l’étoile à laquelle tous se confient. Je rappelle vers la grande route ceux qui se fourvoyent dans les petits sentiers. Là est tout mon travail. Et dans ce travail j’ai pour allié le secret désir la secrete foi de tout le monde. Je les pousse tous dans le sens définitif où ils penchent, quoiqu’ils tâtent et vacillent dans des sens très différents.
Si je ne me trompe, le fond commence à prévaloir sur la surface, la réalité sur l’apparence. Tous commencent à s’apercevoir que sur la question d’Orient comme sur toutes les autres, les intérêts divers, les desseins opposés sont secondaires, qu’il serait imprudent et probablement vain de les poursuivre ; qu’il vaut mieux se conduire d’après ce qu’on a d’intérêt identique, d’intention commune, et s’y rallier de concert.
C’est cette idée qui a porté la Russie à ne pas tout risquer pour garder son traite d’Unhiar-Skelessi, qui la portera à ne pas tout risquer pour brouiller, l’Angleterre et la France. C’est cette idée qui a si puissamment combattu, dans le cabinet anglais, ses préventions et ses méfiances contre la Russie, qui combattra et atténuera aussi, je l’espère, ses préventions et ses méfiances contre l’Egypte. Le mouvement qui ramène tout le monde vers cette idée est encore faible, obscur, contrarié, tiraillé ; cependant il existe
et tout le monde en ressent l’effet ceux-là même qui persistent à s’y refuser. Je suis loin de compter sur le succès. L’expérience m’a appris que les petites idées, les petites passions peuvent l’emporter sur les grandes, pour longtemps, sinon pour toujours. Cependant et à tout prendre, je crois à l’empire de grandes idées, plutôt que des petites, et je m’y confie davantage.
Soyez sure qu’il y a ici dans le corps diplomatique, dans le pays, dans les Chambres, dans l’intérieur même du Cabinet, un secret travail, un effort point prémédité, point concerté, mais naturel et croissant pour surmonter l’entêtement de Lord Palmerston, et prévenir toute désunion, dans cette affaire, entre l’Angleterre et la France ; pas du tout pour amener, en revanche, une désunion entre l’Angleterre et la Russie, mais pour ramener au contraire tout le monde à un dessein commun et à un arrangement accepté de tous.

3 heures
Je vous en ai dit bien long ce matin, et j’en aurais bien davantage à vous dire. C’est à propos des grandes choses et des choses intimes que l’ennui de l’absence se fait surtout sentir. C’est aujourd’hui mon mauvais jour comme le mardi pour vous. J’ai eu de vos nouvelles ce matin par ma mère qui me dit qu’elle vous a vue Lundi. Ma pelite fille est à merveille, M. Andral, qui a examiné à fond sa poitrine, l’a trouvée en très bon état. Point de mal dans l’organisation, seulement beaucoup de délicatesse et un rhume accidentel.
Je viens de voir Dedel qui part après-demain pour aller passer quinze jours en Hollande. Il m’a fait venir l’eau à la bouche, pas pour la Hollande. Adieu. Adieu. Donnez-moi aussi de bonnes nouvelles de vous. Le beau temps continue, et je le vois avec quelque regret. C’est pour juin que je veux du beau temps. Vous savez que je ne sais pas jouir seul. Adieu encore

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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353. Paris, dimanche le 26 avril 1840,
11 heures

J’ai été bien fâchée de devoir vous expédier si courtement hier, vous me l’auriez pardonné si vous m’aviez vue. J’étais excedée d’écritures. Aujourd’hui je veux réparer si l’on me laisse, mais mon fils est toujours là. Il part demain pour Londres. D abord je veux vous dire que selon l’avis de Granville vous ferez très bien de parler Anglais aussi au dîner de l’académie samedi. Il dit que dans des occasions publiques, c’est toujours une politesse à faire aux Anglais quelqu’ils soient. Ainsi j’avais tort dans mon premier conseil. Faites votre speech anglais mais très court, c’est encore le conseil de Granville. Il a trouvé celui la Cité fort bien. Je vous dirai qu’assez généralement ici on a trouve la derniere phrase de trop je veux dire la toute dernière qui sentait un peu trop le prédicateur. Et si je dois être franche, et je dois l’être avec vous, je le trouve un peu aussi. Granville pense cependant que cela a dû avoir plutot un bon effet dit là, quoique cela eut été mieux dans la bouche d’un Evêque. Voyez je vous dit la petite critique. Ainsi à l’academie, discours anglais, bref. Chez vous vendredi point de discours, réponse à la santé du Roi par la santé de la Reine, voilà tout. Palmerston portera la santé du Roi. Il me semble que les détails de ménage sont expédiés. J’ai eu un long entretien avec Thiers Vendredi, tout le long du diner, car j’étais sa voisine. Il m’a d’abord raconté toute la séance qui avait été des plus orageuses et importantes comme vous avez vu. Il était parfaitement content, glorieux. Il avait été hardi ; à la tête de la gauche il a enfoncé, écrasé les autres. La confusion a été complète. Sa situation devient tous les jours meilleure quoique toujours difficile, mais il gagnera sans dissolution le temps naturel du renouvellement de la Chambre, le Roi est bien pour lui ; il est bien pour le Roi. Le Roi très belliqueux, lui le moderateur. L’Orient toujours Naples, toujours incertain, toujours menaçant. Cependant il n’y aura pas de guerre. Naples, une bonne affaire quoiqu’il arrive ; car c’est du renouvellement d’intimité avec l’Angleterre. Un grand contentement de vous. Même pensée, même action. Je vous ai donné Thiers, voici Mad. de Boigne hier matin chez moi. La séance de vendredi déplorable, les amis de Thiers, son monde dans le ministère consterné. C’est la gauche, la réforme, tout ce qu’on redoute. Le Roi subit une situation humiliante mais inévitable. Il est très froid pour Thiers. Thiers plus que froid pour le Roi, un peu insolent. Le Roi se tait, la Reine et Madame Adelaide parlent. La dernière surtout et avec beau d’amertume et de véhémence. On ne voit pas le terme du mal. Cette abominable coalition mène l’état où il se trouve aujourd’hui.
Toute la Cour attristée, le mariage se fera sous une impression de profonde tristesse. J’ai fini. M. Mole a fermé son salon. Le Marechal avait fermé le sien il y a déjà quinze jours. On plie bagage il n’y a rien à faire, rien à espérer. Jaubert est malade ; la jaunisse à ce qu’on dit. Il y a si longtemps que je n’ai vu Génie, que je ne sais plus rien de l’intérieur du ménage de vos amis. Mad. de Boigne parle une peu dédaigneusement de M. de Broglie. C’était jusqu’ici son héros. A propos encore, Thiers a passablement de mécontentement du langage que M. de Metthernich tient à Vienne sur son compte. Décidément ce cabinet ne lui plait pas.
Je me sens mieux sans M Andral. Il m’a écrit pour s’annoncer à une certaine heure. J’y étais, il n’est pas venu et puis il arrive hier à 6 1/2. au moment où je me mettais à table avec mon fils. Je n’ai pas pu le recevoir, il n’y a pas de ma faute. Je vais au bois de Boulogne tous les  jours ; il fait plus chaud qu’au mois de juillet. Après mon dîner je me fais encore traîner en calèche. Le soir on vient chez moi, tous les soirs mon Ambassadeur. Demain je dîne avec lui chez Rothschild. Après demain chez lui, Mercredi chez Heichman jeudi, chez Mad de Boigne pour lui aussi. Il est si content de se retrouver à Paris. Vous avez bien raison sur Lady Tankerville. En général vos portraits sont toujours frappants. M. de Brünnow ne restera pas longtemps à Londres ce que j’entends dire de lui est trop unanime pour que cela ne finisse pas par le couler. Il y aura beaucoup de Russes à Londres cet été. Ils ne manqueront pas de faire de leur mieux pour lui casser le cou. N’avez-vous donc pas eu encore d’entretien d’affaires avec lui ?
Ellice vint de perdre un neuveu qu’il aimait beaucoup. Il est allé passer deux jours en retraite à Versailles. Savez-vous que votre Orient ne me plait pas ? On n’avance pas d’une ligne, par quoi cela peut-il donc finir ? Adieu. Adieu. Adieu. Mille fois adieu.
Que le temps est long !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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354. Paris, Lundi 27 avril 1840
9 heures

Mon fils vient de partir pour Londres. Il sera de retour au bout de huit jours J’ai fait des visites hier au soir, entre autres chez Mad. de Castellane. M. Molé a beaucoup causé avec moi, on disait hier que le blocus de Naples était établi ; il voit découler de là une guerre générale, c’est en verite très possible. Personne ne doute que les hostilités de la part de l’Angleterre en deviennent le signal d’un soulevement à Naples, où le Roi est parfaitement détesté et méprisé par tout le monde. Si le reste de l’Italie n’est mal disposé à se remuer aussi, et là se trouveraient au presence, l’Autriche reprimant et vous aidant la révolution. Tout depend de cet imbecile de Roi. Et partout et toujours tout a dépendu d’un fou ou d’un sot.
J’ai envie de me faire démocrate. La situation du parti conservateur à la Chambre parait très mauvaise aux yeux de M. Molé. Il dit : "Il n’y a pas de chef, voilà le vice radical. Il est sans remède avec les élements actuels, M. de Lamartine ne saura jamais être chef ; si un chef se retrouve tout ne serait pas perdu. "
M. Molé n’est pas absolument opposé à une réforme dans la Chambre mais il dit cependant, qu’à défaut d’aristocratie qui ne se présente pas aux élections, les fonctionnaires constituent cette aristocratie, et que les rétrancher, c’est livrer les bancs de la Chambre à des députes pris de très bas, et très pauvres qu’il faudra salarier, c’est-à-dire revenir à la Convention Nationale. Je crois avoir compris comme je vous dis là. Il trouve, naturellement avec exagération, que M. Thiers est passé à la gauche tout-à-fait depuis vendredi, que M. Odillon Barrot est le chef du Cabinet et M. Garnier Pages le chef de la gauche. Les Granville sont très affligés des nouvelles de Londres. Lady Burlington est probablement morte à l’heure qu’il est. C’est une perte immense pour toute la famille et pour le Duc de Devonshire surtout. Il vient de repartir cette nuit. Tous ces derniers jours j’ai fait ma promenade au bois de Boulogne avec mes visites, ainsi, un jour le Duc de Devonshire, un autre Mad. de Talleyrand, hier le Duc de Noailles, il a été sensible au petit mot qu’il y avait pour lui dans une de vos lettres.
Vous ne sauriez concevoir la beauté du temps, de la verdure, et de mon logement dans ce moment c’est ravissant. Ce serait trop beau si vous étiez ici. On a fait l’essai des fontaines ; elles viennent d’être dorées, la masse d’Eau est superbe. Je n’ai rien vu de plus beau à Rome. Depuis le 1er de Mai elles iront toujours. Aujourd’hui aura lieu la noce à St Cloud, M. Molé en sera.
Voici votre lettre. Je trouve votre langage sur nous très bien, et très utile. 

1 heure.
Génie est enfin venu me faire visite. Il y a quinze jours que je ne l’avais vu. Il me dit que votre famille est informée que vous ne la faite pas venir à Londres, et qu’au fond votre mère est plutôt contente que contrariée. Adieu Adieu.
Je repète avec vous le deux vers, et toute la romance. Nous nous disions en même temps ces deux vers en voiture en revenant de Chatenay, le 24 juin 1837.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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355. Paris, mardi le 28 avril 1840
10 heures

J’ai mené hier Ellice au Bois de Boulogne, et je l’ai retrouvé à dîne chez Rottschild. Il y avait les Ambassadeurs. Le Duc de Serra Capriola a fort bon air et il s’exprime bien. Il m’a fait le recit de toute cette affaire de souffré naturellement il défend son roi. Il accuse Lord palmerston, ses propos un peu légers. sur le compte du Roi ont excessivement irrité celui-ci. Il croit cependant qu’il pourra se prêter à la résiliation du Contrat, mais il doute qu’il consente à des indemnités, au fond, il est très inquiet des nouvell qu’on attend de Naples. Si les vaissaux anglais menacent Naples il a fort peur que son roi se fasse tirer dessus. Hier s’était répandu le bruit d’un mouvement populaire, mais il n’y a encore rien d’officiel. Il y a eu musique chez Rottschild. Mais du Chant allemand qui n’est pas du tout de mon goût ; j’ai quitté à 10 1/2 pour venir me coucher et au moment d’entrer dans mon lit on m’annonce mon Ambassadeur qui me demande un moment seulement. J’ai cru qu’il y avait quelque chose d’incroyable arrivé depuis les dix minutes que je l’avais quitté. Point, il avait envie de parler, à peu près de rien ou du rabachage. Il a Brünnow dans l’esprit. Il se trouve déjà un peu en contradiction avec lui. Brünnow agit selon les paroles venant de haut. Pahlen, selon ses instructions écrites. Ceci est très différent. Cela a été mis  en lumière par le dernier courrier envoyé samedi, mon opinion est que le règne de M de Bünnow à  Londres ne sera pas long. Tout le monde est ligué contre lui à commencer par lui même ses bouquets, sa danse, le portrait, sa ridicule conduite avec vous, ses flatteries qui fineront par donner des nausées.
Vous souvenez-vous de mon opinion et des "Lieux où finit l’Europe et commence l’Asie" dans une dépêche.
Au fond Pahlen m’en veut un peu de ce que je n’ecris pas à son sujet. On parle toujours beaucoup de votre popularité en Angleterre. A propos j’ai vu un petit article dans le Times s’étonnant de votre dîner avec O’Connel. Je crois qu’il est parfaitement oiseux de vous recommander de ne jamais répondre à aucun article personnel dans les journaux, mais j’aime mieux faire une bêtise que négliger un bon avis.
Ellice est de la même opinion que Granville sur le discours à l’academie Anglais. Il faut qu’ils aient raison. Savez-vous que le 1er de mai est le jour de naissance du Duc de Wellington ?  Si vous insinuez à Melbourne de boire à sa santé ce serait gracieux. La différences avec les autres santés c’est que les royales seraient debout, la sienne assis. Je vous suggère cela sans savoir tout-à-fait  si j’ai raison. Peut être si cela était su ici y aurait-il de l’inconvénient ; non ce serait le pendant de Soult. Vous en jugerez. Si cela se faisait tout simplement en causerie entre Vous et Melbourne. Qu’en pensez-vous ? Au reste, noyez mon idée si elle vous laisse de l’hésitation. Il vaut mieux s’abstenir. Je pense beaucoup à votre dîner. Enfin je peuse à tout ce que vous faites comme je penserais à ce que j’aurais à faire moi meme, et davantage. Je voudrais qu’il n’y eut jamais en grandes comme en petites choses, rien à redire, rien à regretter. Vous avez si parfaitement commencer. Les Débats et le Constitutionnel s’occupent de vous. Au fond tout le monde pense à vous, votre situation est bonne.
2 heures
Voici Montrond. Adieu. Adieu. Je n’ai que le temps de fermer.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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354. Londres, Mercredi 29 avril 1840
9 heures

Le petit comité de Holland house s’est transformé hier en 14 ou 15 personnes. Toujours au grand déplaisir de Lady Holland dit-elle ! Elle continue de me soigner comme un enfant favori. J’avais Lord Melbourne et Lord John Russell. Nous avons causé. La conversation est difficile avec Lord John ; elle est très courte. Je vois que M. de Metternich est extrêmement préoccupé de Naples de notre médiation autant que de ce qui a fait notre médiation. L’Angleterre et la France sont bien remuantes. Il n’y aura jamais de repos, en Europe tant qu’elles y seront. En sortant de Holland house, j’ai été un moment chez Lady Tankerville. Elle avait déjà vu Lady Palmerston arrivée à 5 heures. Leur intimité est grande. Elle croit au mariage de Lord Leveson et de lady Acton. En savez-vous quelque chose ?
La mort de Lady Burlington afflige bien du monde. On dit que la Duchesse de Sutherland est désolée. Voilà sa maison fermée pour quelque temps. Mais plus sa maison sera fermée, plus elle sera heureuse de vous y avoir. Dites-moi positivement ce que vous ferez, le jour. Je n’abandonne rien de ce qui est convenu. Je n’ai pu encore renvoyer à Clapham et à Norwood. Demain ou samedi, on ira. Mais répétez, répétez.

Une heure
Ce que vous a dit M. Molé me revient de bien des côtés. On me l’écrit. On me le fait écrire. Il faut laisser dire et écrire. Je suis étranger à toute rancune envers mon parti ; mais je ne me hazarderai pas légèrement. Ma position actuelle est bonne, bonne en elle-même, bonne pour tous les avenirs possibles. J’attendrai une nécessité criante, si elle doit venir. Et je tâcherai de faire, en attendant de la bonne politique, au profit du Cabinet, comme au mien.
Ne croyez pas à la guerre pour Naples, en dépit des fous ou du fou, s’il n’y en à qu’un. Je n’ai jamais vu tout le monde si loin de la guerre si effrayé d’en entendre parler. Elle n’est ni dans la nécessité des choses, ni dans le penchant des personnes. Elle ne reviendra pas encore Génie ira vous voir un de ces jours.
Tout ce que je vous dis la n’empêche  que je ne trouve la séance sur la réforme des éligibles bien mauvaise. Les mesures proposées, et les paroles dites sont peu de chose. Ce qui est grave, c’est la rupture de plus en plus profonde entre le Cabinet, et le parti qui a été, est et sera toujours, au fond, le parti de gouvernement.
Il n’y a pas en France deux partis de gouvernement. On peut bien faire osciller le pendule du pouvoir mais seulement dans de certaines limites. S’il penche tout à fait vers la gauche, la machine se détraque. Je regarde et j’attends non sans inquiétude.
Ce soleil est vraiment miraculeux. Je n’en jouis pas. Je ne vous redirai jamais assez que je ne sais jouir de rien seul. Quand je pense au soleil, quand je trouve l’air doux la verdure charmante, à l’instant mon désir d’en jouir avec vous devient si vif que la jouissance se change en souffrance. Regents Parh est joli ; mais le bois de Boulogne vaut mieux.
Ma mère n’a dû recevoir qu’aujourd’hui la lettre où je renonce à son voyage. Elle pouvait s’en douter ; mais elle ne m’en a pas encore dit un mot. Je suis heureux qu’elle le prenne bien. On m’écrit et elle m’écrit elle-même qu’elle est un peu fatiguée. Elle a marché jusqu’au Tuileries, et a trouvé que c’était trop. Elle ne marche qu’au Val Richer, en passant la journée dehors. Je l’ai engagée à y aller vers le 15 mai. Mes enfants prendront le lait d’ânesse jusques là. A la rigueur, ils pourraient le prendre au Val-Richer ; mais ce serait un peu difficile à arranger, et j’aime mieux qu’il n’y ait pas d’interruption.
On fait prendre des bains à Henriette. On me dit qu’elle avait un peu d’échauffement sur une joue. L’avez vous remarqué? Adieu. J’ai un rendez-vous à 2 heures pour voir un télégraphe par l’électricité. On dit que c’est merveilleux. Une nouvelle serait le tour du monde en deux minutes ; à la lettre le tour du monde. Adieu. Adieu. Comme en revenant de Chatenay.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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356. Paris le 29 avril 1840
10 heures
Montrond et Ellice m’ont pris du temps. J’ai fini par enlever Ellice pour ma promenade en calèche. Le dîner de mon Ambassadeur a été éternel. 2 heures & un quart à table c’est trop fort, et une chaleur et une odeur de peinture J’ai manqué chez moi, Jaubert et Berryer, car je ne suis rentrée que vers 10 heures. J’ai vu Ellice, Stratford Canning, l’internonce et mon Ambassadeur, qui se plaint beaucoup de ce que je ne le garde départ pas jusqu’à minuit. Ellice, qui avait dîné chez Thiers m’a conté la capture de 10 vaissaux napolitains. Thiers en était fort consterné.
Montrond me raconte toujours l’amour du roi pour Thiers, et la nécessite que vous et Thiers restiez bien ensemble, comme un homme qui aurait bien envie que ce fût le contraire, car quand je lui demande pourquoi tant désirer quelque chose qui est, il me répond que les rivalités, les clabaudages peuvent altérer cela ! Moi j’affirme que vous avez tout deux trop d’esprit pour vous brouiller, à moins de très grosses raisons, et que je suis convaincue que vous vous entendez à merveille. Il serait possible que cela déplût au roi. M. Molé est si aigre qu’il trouve même que la duchesse de Nemours n’est pas très jolie. On la dit cependant charmante. Mes diplomates affirment que si une révolution éclate à Naples,  l’Autriche doit s’en mêler et s’en mêlera. Je trouve à Appony l’air bien préoccupé et même égarré. Brignole trouve qu’il s’est trop fait l’homme du Roi, que c’est inconvenant et fort compromettant. J’ai causé beaucoup avec lui hier, il était mon voisin à dîner. On raconte dans la diplomatie que Thiers ayant lu dans l’Allgemeine zeitung un article insolent sur lui, a fait venir M. de Luxbourg et lui a très franchement lavé la tête. Il a raison, le journal est censuré, et dès lors le gouvernement bavarois a à en répondre. Luxbourg n’a pas trouvé une parole à répliquer.
Midi. Voilà cette pauvre Lady Burlington morte. Ce sera un deuil très sincère dans toute cette famille. Le Duc de Devonshire n’aimait que cela au monde. Il est possible que cela fasse un changement pour mon Stafford House. Je regretterai bien Chatsworth aussi, où je devais vous rencontrer. Pourquoi votre lettre ne m’arrive-t-elle pas ?

1 heure pas de lettre. Fagel me parle toujours beaucoup de vous. Dédel lui rend compte d’un entretien qu’il a eu avec vous avant son départ qui a été pour lui d’un grand intéret.
Dédel vous porte aux nues, il ne fait qu’une critique et il dit que sur cela tout le monde pense de même. Votre diner avec O’Connel. Vous ne deviez pas chercher cela. Je ne suis pas tout-à-fait aussi prude mais je suis plus que jamais d’opinion qu’il ne faut pas qu’il entre jamais chez vous. Ce serait une grave faute. Ecoutez ce que dit Montrond d’Ellice qu’il déteste, tous les jours davantage. Je crois à cause de son intimité avec Thiers. C’est le best inutile fellow que je connaisse. C’est drôle. Le beau temps est drôle aussi. Les canicules depuis huit jours ; je n’ai d’autre souci que de me garantir de la chaleur.
Adieu, c’est triste d’écrire deux jours de suite sans répondre. Adieu, Adieu.

[Monsieur Guizot
Ambassadeur de France
Manchester Square
Angleterre.
à Londres]

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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355. Londres, Jeudi 30 avril 1840
8 heures

Je vais déjeuner aujourd’hui à Battertea chez un des favoris de la Duchesse de Sutherland, le Dr. Khay. On veut me faire voir là et à Norwood, de grandes écoles populaires en attendant que j’aille à Eton et à Oxford voir les écoles aristocratiques. A Norwood, je m’enquerrais aussi d’autre chose. Le soleil est décidé à ne pas quitter Londres. Il y fait pourtant une pauvre figure, dans son plus grand éclat. Hier, à dîner, chez Lady Lovelace, l’évêque de  Norvich, bon homme un peu ridicule, un M. Villiers, frère de Lord Clarendon. Tous ses frères ont de l’esprit. Vous savez que Lady Lovelace est la fille de Lord Byron, cette petite Oda sur laquelle il a fait des vers charmants. Elle a de très jolis yeux et l’air spirituel naturel et affecté à la fois. Vous arrangerez cela, car cela est, et même, je trouve cela assez comme en Angleterre. Ils sont naturels et point à l’aise dans leur naturel ; d’où leur vient l’affectation. Je me suis ennuyé. J’ai été finir ma soirée chez Mad. Grote au milieu des radicaux. Mad. Grote, devient un personnage. Lady Palmerston l’a invitée à une soirée. J’ai entendu avant-hier Lady Holland faire un petit complot pour l’avoir à dîner la semaine prochaine à Holland, house, et bien recommander à Lord John Russell d’y venir et de plaire à Mad. Grote. Ils ne lui plairont pas, et elle ne leur plaira pas. Elle a de la hauteur et prend de la place. Ils ne lui en feront pas assez ; elle aimera mieux être reçue des radicaux chez elle qu’une étrangère poliment accueillie, à Holland house. Les complaisances aristocratiques ne peuvent plus se mettre au niveau des fiertés démocratiques. Il peut y avoir là des rapprochements sérieux et sincères, par nécessité, par bon sens, par esprit de justice. Tout ce qui est factice, superficiel, momentané ne signifie plus grand chose. On n’aura pas le vote de M. Grote comme Don Juan a eu l’argent de M. Dimanche.
J’ai été voir hier Lady Palmerston, fort contente de son petit séjour à Broadlands, pas rajeunie pourtant ; je lui trouve l’air fatigué. Elle a besoin de toilette. Le négligé du matin ne lui va plus. Elle est préoccupée des Affaires de Naples. A part l’intérêt du moment, cela lui  déplaît qu’on dise que les révolutions naissent sous la main de Lord Palmerston et de le craindre elle-même un peu. Nous attendons des nouvelles. Je pense que j’aurai un courrier ce matin. Voilà mon courrier. Il m’apporte : 1° de de longues dépêches sur Naples et l’Orient avec de curieuses conversations de Méhémet Ali ; mais point de réponse encore du Roi de Naples. Cela m’impatiente. 2°des lettres et des livres des Etats-Unis d’Amérique où l’on me reproche d’avoir dit trop de bien de Jefferson. 3° l’ouvrage de M. de Tocqueville sur la démocratie en Amerique. 4° Le grand cordon de la légion d’honneur, pour que je le porte demain.
Je vis bien à découvert avec vous. Je vous montre tout, même les petits mouvements de vanité que je méprise.
Je vous quitte pour ma toilette. Je vous dirai encore un mot avant de partir pour Batterrea. J’espère bien que la poste arrivera, auparavant. Mais c’est aujourd’hui mon mauvais jour. Je n’aurai probablement rien de vous.

10 heures et demie
Je monte en voiture, et vous êtes charmante. Mon mauvais jour est excellent. Je ne veux point de mauvais jour. Il n’y en aurait point pour vous si je pouvais écrire le dimanche. J’espère bièn être rentré avant le départ de la poste. Mais à tout hazard, je ferme ma lettre et je la donne à M. Herbet. Si je reviens assez tôt, je la rouvrirai et je vous dirai encore adieu. En attendant Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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358. Paris, jeudi le 30 avril 1840
9 heures

Il y a aujourd’hui 6 ans que mon mari reçut la lettre de l’Empereur lui annonçant sa nouvelle destination lettre qui lui fit lever les mains au ciel de joie, et moi de douleur. J’ai noté ce jour comme un des plus cruels de ma vie. Il y a aujourd’hui un an que mon fils ainé me déclara qu’il ne me reverrait jamais. C’est un triste jour que ce 30 avril. J’aurai de vous une lettre n’est-ce pas ? Deux probablement, car je n’ai rien eu hier. Rien depuis lundi. C’est long. J’étais inquiette hier. Je suis allée chez votre mère pour savoir si elle aussi manquait de lettres elle avait eu la sienne, ainsi vous vous portiez bien. J’ai trouvé tout votre monde en parfaite santé et vous pouvez être bien tranquille Je me suis promenée avec Marion. J’ai dîné chez M. fFeihman. De la diplomatie. On raconte que Thiers dit à propos de l’affaire des soufres : "Si j’avais fait ce que fait Lord Palmerston, qu’aurait dit l’Europe ?" C’est vrai, entendez-vous les cris d’indignation ? Il y a bien de l’injustice dans le monde. Je n’ai vu personne hier au soir. Ces dîners me font veiller tard et je manque tout le monde. Je n’ai vu que M. de Bacourt et Ellice. Je vous enverrai par le courrier des Affaires étrangères une lettre que j’ai reçue hier de Matonchewitz, elle vous intéressera.

11 heures
Je viens de faire un tour en calèche. La chaleur empêche ma promenade plus tard. J’attends toujours votre lettre vos lettres. Hier matin, j’ai vu longtemps Appony, et longtemps Fagel. Le premier est vert de mauvaise humeur. Il y a bien de l’aigreur dans son fait. Il me raconte bien des commérages. Ces gens-là ont bien envie que vous vous brouilliez avec Thiers. Ils avalent tout ce qui peut ressembler à cela. J’ai dit à Appony ce que je vous disais hier. Il faudrait de bien grosses raisons. Votre bonne intelligence est utile, et tout-à-fait convenable ; il faut qu’elle dure. Fagel est très bon enfant et fort dans le vrai sur toute chose.

Midi.
Voici deux lettres l’une par le petit médecin, l’autre par le gros monsieur. Le petit monsieur l’ayant reçu que hier à 2 heures n’a plus osé venir puisque vous lui disiez de la porter avant l heure. Je l’ai renseigné pour l’avenir. Merci de toutes les deux, et de tout. Vraiment Brünnow est trop bête. L’ Europe finira par répéter cet écho. Je vous ai dit hier un mot direct par la poste pas dessus mon autre lettre. Je répete aujourd’hui. Parlez en français à l’academie. C’était mon premier instinct vous vous en souvenez. Granville m’a déroutée, et j’ai assez de confiance dans ses avis, mais cependant je crois que le Français est plus convenable. De toutes les façons, et j’y reviens avec assurance, parce que j’entends dire qu’un ambassadeur Français doit parler sa langue là où il peut être compris et c’est vrai. C’est votre inclination aussi; c’est donc dit samedi à 8 heures je saurai que vous parlez Français. Vous ne savez pas comme je m occupe et m’inquiète de tout ce qui vous regarde. Votre dîner du 16 mai me parait trop short notice pour cette saison d’autant que tout le monde prend le samedi. Il me parait que le 23 est plus sûr. Je pense que ni les Sutherland, ni les Carlisle, ni le Duc de Devonshire, ni Lord Morpeth n’accepteront. Mais cela ne doit pas vous empêcher de donner le diner Whig, il le faut absolument avant celui-pour les Torys. J’ai écrit ce matin à M. Andral. Je ne suis pas bien de nouveau. Vraiment c’est une étrange santé que la mienne, avec mon régime, mon abstinence je ne conçois pas ce qui me dérange, je ne vois plus d’autre parti à prendre que de ne plus manger du tout. On peut s’acoutumer à cela peut être. Vous pourriez prendre M. e Mrs Slanley dans le dîner Whig si vous avez place. Adieu. Adieu.J’ai bién grondé de ce que ma lettre de samedi a été remise trop tard à la poste. Ordinairement, je les porte moi-même. Je ne suis jamais sure que de moi-même. Je viens de relire la lettre de Matonchewitz. Je vous promets qu’elle vous plaira. Vous ne l’aurez pa encore aujourd’hui. Je veux la faire lire à M. de Pahlen.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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356. Londres, Vendredi 1er mai 1840,

356 et 357 en un jour ! C’est charmant. Et un jour où vous n’aviez rien eu ? Je ne comprends pas cela. Mon troisième commissionnaire n’aura pas reçu la lettre à temps avant de sortir de chez lui. J’espère que vous l’aurez eue plus tard. Vos mécomptes me déplaisent autant que les miens. Je ne peux pas dire mieux, ni plus. Je suis de votre avis sur le speech à l’academie royale. Et je crois que bien décidément j’agirai selon notre avis. Mais quelques phrases seulement; pas un vrai speech. Parlant français surtout, si je parle un peu longuement, il faut que ce soit assez pour faire de l’effet. Et l’effet en pareille occassion dans ma situation d’aujourd’hui, c’est une prétention. J’en ai fait assez depuis quelque temps. Je serai donc très court et très simple. Il y aura quelques personnes attrapées. On est curieux de mon éloquence. On ne l’aura pas là. C’est un peu dommage. Je pourrais dire de bien bonnes choses. Mais j’y ai pensé ; soyez sûre qu’un vrai speech aurait en ce moment un air de prétention et de bruit qui même avec le succès, me diminuerait au lieu de me grandir.
Nous avons changé quelque chose à votre distribution des places aujourd’hui à dîner. Je dis nous, car c’est le résultat d’une délibération unanime entre Lord Lansdowne, Lord et Lady Palmerston et moi. Lady Palmerston est très prononcée. J’aurai Lord Lansdowne, et le duc de Wellington à mes côtés. Lord Palmerston aura Lord Melbourne, et Lord Clarendon. Tout bien pesé, je crois qu’ils ont raison. Et leur avis sera mon bouclier.
Je ne risquerai pas la santé du duc de  Wellington. Cela me conviendrait. Mais je ne suis pas sûr que cela plût à mes convives et je suis sûr que cela ne plairait pas chez  nous. Je ne veux pas qualifier ce public-là. Il faut que je l’accepte en attendant qu’il  change.
Thiers ne m’a pas encore envoyé de nouvelles de Naples. C’est qu’il n’en a pas encore. J’en suis impatient. Imaginez le Prince de Castelcicala qui arrive ici pour dire à Lord Palmerston d’être parfaitement tranquille que les vaisseaux anglais peuvent se promener tant qu’il leur plaira sur les côtes de Sicile. Il n’y a pas le moindre mouvement à craindre : "Le Roi est adoré. J’y étais avec lui, il n’y a pas longtemps. Le Roi se levait à quatre heures du matin, montait à cheval, se promenait et était partout admirablement accueilli. Personne ne bougera.» J’ai regardé en riant Lord Palmerston qui me racontait cela. Il a ri aussi. N’en faites pas rire tout le monde.
Je sors de chez M. de Brünnnow, qui était venu me chercher deux fois, le plus amical le plus conciliant du monde, expliquant tout, me parlant de tout, pressé d’en finir, mais d’en finir à cinq, uniquement occupé de nous mettre d’accord l’Angleterre et nous. J’ai tout accepté et j’ai tout dit ; d’abord tout ce que je vous disais l’autre jour sur la situation générale, et puis beaucoup sur la question particulière. J’ai été très loin, en sincérité bienveillante. J’ai plaint les Princes qui croient qu’on peut à la fois avoir raison, en gros et se passer en détail toutes ses fantaisies, qui oublient que leurs paroles les plus légères sont grandes, et que dites par boutade à quelques familiers, elles arrivent avec fracas aux oreilles de tout un peuple. J’ai été très Français, très libre et très flatteur. Tout ce que j’ai dit aurait pu être entendu de très haut et aurait, à coup sûr, fort étonné, mais non deplu. Je serai désormais dans les meilleurs, termes avec M. de Brünnow, et j’en userai.
Mais je persiste dans mon jugement. Au fond, je crois réellement que vous desirez que l’affaire d’Orient s’arrange sans bruit, et qu’une conclusion tranquille vous importe plus à vos proprès yeux, qu’un peu de froideur entre Paris et Londres. M. de Brünnnow ma lu des fragments d’une lettre de M. de Pahlen tout à fait dans ce sens. Il tient beaucoup lui-même à avoir, auprès de moi, cette attitude.
Je ne sais rien de la Duchesse de Sutherland. J’ai été porter mes cartes chez elle, chez Lord Carlisle et chez Lord Morpeth. J’attends bien impatiemment quelque chose de précis sur vos arrangements. Nous commençons à n’avoir pas de temps à perdre. Adieu. Mes nouvelles de famille sont toujours bonnes. J’ai le cœur en repos. C’est quelque chose. Adieu. Adieu. Je serai bien aise du retour d’Ellice.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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357. Londres, Samedi 2 mai 1840

Mon dîner s’est très bien passé. De 8 heures 1/4 à 10 heures à table dans l’ordre que vous savez et qui m’a paru approuvé de tous. Le debut froid et embarrassé comme toujours et partout. Passé la première demi-heure de l’animation et de la bonne humeur. Le cuisinier et la cave ont eu grand succès. Lord Melbourne a bu du vin de Bourgogne avec un contentement réfléchi. C’est Lord Lansdowne qui a porté la santé du Roi, d’après l’avis de Lord Palmerston. J’ai porté celle de la Reine et de tous les souverains de l’Europe. La Parisienne s’est mariée au God save the Queen. Le service a bien marché un peu précipitamment. Ils étaient trop pressés de bien faire. J’avais prodigué l’éclairage ; il était brillant. Cela manque toujours ici. L’illumination était belle, mais un triste accident s’y est mêlé et me désole. La voiture du baron de Moncorvo a accroché une échelle sur laquelle était monté un pauvre charpentier qui allumait les lampions. Il est tombé et il en mourra. Il a le crâne fracassé à la base. Il n’était pas marié, mais il allait se marier. Je lui ai fait donner tous les secours possibles. Mon médecin, qui est allé le voir ce matin à Middlesex-Hospital où je l’ai fait transporter me dit qu’il n’y a pointl’avait fait de chance de guérison. J’avais pris toutes sortes de précautions contre les accidents. Comment prévenir la maladresse d’un cocher? J’ai beaucoup causé avec le duc de Wellington qui y prenait plaisir, quoique la conversation doive lui donner assez de peine. Il cherche ses idées et ses mots comme un aveugle son chemin. Il m’a raconté Charles X, et comment il avait lui toujours prèvu sa fin. Bien aise de me tenir le même langage que Lord Aberdeen qui m’a déjà dit deux fois : " Je me glorifie d’avoir été en Europe le premier ministre qui ait reconnu le Roi Louis-Philippe."
Je ne donnerai mon dîner Whig que le 23. Le 16 serait trop près. Je mets Mr. et Mss. Stanley à la place de Lord et Lady Lichfield à qui je ne dois rien. J’ajoute Lord Duncannon et le Chancelier de l’échiquier. Les Sutherland et toute la famille ne viendront certainement pas, ce qui me donne de la place.

Une heure
Nous nous entendons merveilleusement. Vous m’écrivez ce que je viens de vous dire. Thiers a raison dans sa question : si j’avais fait ce que fait Lord Palmerston & &. Mais s’il l’avait fait, c’eût été beaucoup plus grave. L’action francaise est bien autrement contagieuse que l’action Anglaise. Nous attendons toujours des nouvelles de Naples. On dit que le Roi de Naples travaille à faire juger par ses propres tribunaux, qu’il n’a jamais pu faire ce qu’il a fait et que le monopole est nul de droit. C’est une manière de sortir d’embarras, comme on en sort.
M. de Brünnnow m’a beaucoup parlé de la modération de l’Empereur, qui a vu nos flottes grossir, arriver, se répandre en Orient et n’a pas mis en mouvement un vaisseau, ni un soldat ; si fort et si pacifique, si puissant et si patient ! J’ai reconnu, j’ai accepté, j’ai loué ! « Et je vous assure, M. le Baron, que mes paroles ont peut-être en ceci quelque valeur, car je sais ce qu’il en coûte, ce qu’il faut prendre de peine pour qu’un gouvernement, un pays soit pacifique quand il est fort et patient quand il est puissant. Je le disais il y a quelques années, à un de mes amis qui partait pour Vienne: "Dites que nous sommes sages, que nous serons sages, et que nous pourrions être fous. C’est là le fond de la situation."
Il m’a beaucoup dit, beaucoup, que votre politique avait réellement changé, que vous étiez entrés dans une phase nouvelle, tout-à-fait hors des voies de Catherine, que vous
vouliez sérieusement, sincèrement, faire durer l’Empise Ottoman, qu’on commençait à comprendre chez vous que Byzance avait été la ruine de Rome. & & Hier, à dîner il était de très bonne humeur.
Ma mère me répond ce matin sur les arrangements pour l’été ; et sans nul doute ils lui conviennent. Elle partira pour le Val Richer du 15 au 20 mai. Mlle Chabaud ne peut partir
plutôt, et j’ai besoin, pour ma tranquillité qu’elle soit avec ma mère. Vers le milieu de juillet, elles mèneront mes enfants aux bains de mer, à Trouville, pour six semaines. Mon médecin en est d’avis. Il m’écrit qu’il vous a vue, et que M. Andral doit vous voir le jour même ou le lendemain. Je vous remercie de lui avoir écrit. Je vous remercierai encore quand vous aurez causé avec lui bien à fond. Dieu sait si ma confiance est excessive. Mais enfin  il faut marcher, dans ce monde, avec cette ombre de confiance et à cette lueur de sécurité qui sont tout ce qui nous est permis.
Le Parlement a recommencé. On s’attend à des luttes toujours renaissantes jusqu’à la fin de juillet. Le budget sera difficile. La motion de Lord Stanley, pour la 3ème lecture de son bill sur l’Irlande est retardée, à cause de Lord Morpeth. Au fond, Lord Lyndhurst ne se remet pas. On tremble de l’arrivée de Lord Brougham, et pourtant, à la Chambre des Lords, malgré le pressentiment d’une fatigue immense, on la désire. On dit que la Chambre des Lords, c’est Lord Brougham. 
Le Duc de Wellington m’a parlé hier d’un certain Montrond. Et il m’a fait la même question que M. Duncombe. Is he still alive ?  Adieu. Il n’y a, dans le n° de ce matin, que deux petits adieux noyés dans le dernier paragraphe, et point d’adieu final. Adieu.
Il y a cinquante à parier contre un, que je parlerai français ce soir. Pourtant si mon impression, sur place, était que l’Anglais convient mieux à l’auditoire, je m’y jetterais effrontément. Mais je ne pense pas. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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361. Londres, Jeudi 7 mai 1840
11 heures

Alexandre va bien. J’y ai passé moi-même hier, à 7 heures et demie. On m’en a donné de bonnes nouvelles. Je viens d’y envoyer, et on me fait dire qu’il dort, qu’il a passé une bonne nuit, que tout est au mieux. J’espère que vous serez tranquille. Mais cela retardera certainement son retour vers vous. Quelle fièvre que la vie! Je répète toujours la même chose et il me semble que je l’apprends tous les jours. C’est en descendant l’escalier de S. James, après le lever de la Reine, que j’ai appris l’accident de votre fils, et je me suis senti, pour votre compte, comme je l’étais pour le mien propre, il y a trois semaines. Quand nous reposerons-nous ? Un des amis du grand Janséniste Antoine Arnauld l’engageait à ne pas tant travailler, à se reposer : « Non. Non, n’aurons-nous pas l’étermité pour nous reposer ? " Je l’espère bien. Ellice n’était pas arrivé hier soir. J’en suis très impatient. Mais j’entrevois, par une convenable, pote phrase du 363 ce dont il s’agit. Cela se rapporte à quelques insinuations que m’a faites, l’autre jour Lady Palmerston. Ils ont donc bien peur de vous voir ici. Cela me parait pitoyable. Faites comme vous dîtes.
Je vous quitte pour aller déjeuner chez un chanoine de Westminster Abbey, avec Lord Mahon, Lord Littleton et M. Macaulay. Ils prennent plaisir à me montrer les tombeaux de leurs grands hommes et à m’en parler.

3 heures
Ellice sort d’ici, arrivé tout à l’heure. J’avais deviné juste. Il paraît qu’un grand Empire et trois royaumes ont peur que nous n’ayons, à nous deux, plus d’esprit qu’il ne leur faut. Je ne peux pas imaginer une autre raison.
Vous deviez venir ici bien avant qu’il fût question que j’y vinsse. Vous aviez amorcé votre voyage pour les premiers jours de juin. Vous ne l’avez pas avancé parce que je suis venu ; au contraire, vous le retardez plutôt de quelques jours. Je suis ici depuis trois mois. Ma position est prise avec tout le monde. Elle est aujourd’hui avec M. de  Brünnow, ce qu’elle restera, parfaitement convenable, polie, régulière. Quelle différence y aura-t-il entre le mois de Juin et le mois de Juillet ? C’est puérile, si ce n’est pas fin. Et si c’est fin, ce n’est pas assez fin. Je dis donc comme vous, et j’espère que vous ferez comme vous dites. En vérité, les grandes entraves de la vie sont déja bien lourdes ; si on se charge encore des petites, il n’y a pas moyen.
Je viens de causer un moment avec Ellice ; bien court. Bülow est entré. Nous ous reprendrons. Certainement, il est très bon homme et très spirituel ; un peu affairé, un peu important, un peu remuant, comme les oisifs actifs. Mais on n’a qu’à ne pas se laisser faire par lui. J’admire toujours les gens qui ne veulent pas qu’on sente les mérites, et qu’on en profite, et qu’on en jouisse, parce qu’il y a quelques inconvénients dont il faut prendre la peine de se garder.

4 heures 1/4
Encore une interruption de M. Murray pour la cuisine de la Reine. On me porte une grande confiance, en ce genre. J’ai encore deux lettres à écrire. Adieu. Comme dans le 363 ; toute la page. Je suis charmé que vous approuviez ce que vous avez vu. J’y comptais. Mais j’ai bien peur que ma situation ne devienne pressante. Et je n’ai pas envie d’être pressé. Adieu. La page n’est pas pleine.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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363. Londres, Samedi 9 mai 1840
midi
Votre question m’a fait sourire. Non, je ne vous prie pas de ne pas venir. Du reste, je vous ai répondu hier. Vous avez mille fois raison ; ce serait nous, vous et moi, qui serions des sots si nous écoutions les sots. Votre reponse à Lady Palmerston est excellente. Pourquoi en avez-vous donc coupé la fin ? Quel secret y avait-il là ? Je suis curieux.
Je vous attends comme je vous attendais. J’aime votre phrase : "Envoyez regarder à Blackheath." J’y enverrai après-demain, malgré ce que je vous disais hier. Alexandre va très bien. Je suppose qu’il ne tardera pas à partir. Bien des fois, depuis trois jours, j’ai pensé que ce serait vous peut- être qui partiriez pour venir le voir, et que lundi, mardi... Qui sait?
Si vous n’êtes pas partie, on ira vous montrer encore quelque chose. Votre jugement m’importe et votre approbation me charme. Du reste Kielmanseggo se trompe. J’ai lieu de croire que la proposition Rémilly tombera dans l’eau et avec elle toute chance de dissolution. J’en serai fort aise. Je ne fais nul cas de la politique pessimiste. Je suis prêt à accepter quand elles viendront, toutes les chances de ma destinée ; mais je n’en suis pas préssé.
J’ai reçu d’Henriette, sur l’abandon de leur voyage ici, une lettre d’une tendresse charmante, et aussi pieuse que tendre. Elle a le caractère fort tourné à la piété avec un petit esprit, fort indépendant, et même un peu entier, elle  aime à regarder en haut et à respecter. Elles partiront pour le Val Richer le 20 mai. On m’écrit que la Normandie est charmante ; un immmense verger en fleurs. Les champs sont couverts de pommiers.
Vous vous êtes donc décidée à vendre vos diamants. Vous ne me l’aviez pas dit. Que de choses on ne se dit pas en s’écrivant tous les jours !

3 heures
J’ai été interrompu par Alava et M. de Pollon. Je crois que je suis assez bien dans la petite diplomatie. Vous me le direz quand vous aurez passé quinze jours ici., Ma porte leur est toujours ouverte ; ma table souvent. Ils ont l’air de trouver que je fais honneur au corps.
Ils s’ennuyent beaucoup. Le départ de Mad. de Blome leur a été une de leurs ressources. Elle restait chez elle presque tous les soirs. On m’a amené hier un petit secrétaire de Suède, un baron de Manderstrome, qui a de l’esprit. Il a beaucoup vécu chez vous et vous connait bien. On dit qu’à la place de l’affaire de Naples qui s’arrange, Lord Palmerston va avoir une petite affaire avec le Portugal. Il s’agit d’une réclamation de quelques 350 000 livres Sterling
qu’on demande au Portugal et qu’il voudrait bien ne pas payer. Le Maréchal Bérerford y est compris pour 85 000 livres, et le duc de Wellington pour 17 000. Si le Portugal ne consent pas dans quinze jours, on parle de mesures coërcitives, comme l’occupation de quelque colonie, Goa ou d’une des Açores, ou l’une des Îles du Cap Vert. Ce sont les bruits de la petite diplomatie. Il ne faut pas. Le général Cordova est mourant à Lisbonne. Il était sur le point de partir pour se rendre en France.
Adieu. Je cherche si j’ai encore quelque chose à vous dire avant de me mettre à je ne sais combien de petites affaires qu’il faut que je règle aujourd’hui. J’ai beaucoup de petites affaires. Quel ennui d’être seul. Il est double ; le vide et le tracas. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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364. Londres, Dimanche 10 mai 1840
4 heures

Je m’attendais à toute votre inquiétude. Les nouvelles de chaque jour vous auront rassurée. Celles de ce matin sont très bonnes. Je vous ai dit exactement tout ce que j’ai su. Si j’avais trouvé qu’il y ait lieu de vous dire positivement : Venez, je vous l’aurais dit sans hésiter. Je saurai demain matin, quels sont les projets de votre fils, s’il compte toujours aller vous retrouver, quand. Vous le savez probablement déjà. Il est chez M. Gale, 2 Berkeley Square.
Les accidents de la semaine ne tournent pas mal. Mon petit Banneville est presque sur pied. Je viens de Blackheath. J’ai mieux aimé aller regarder moi-même. Vous ne pouvez pas être là. Il n’y a qu’un hôtel the Green-man, trop petit et pas convenable pour vous. Le Park-hotel de Norwood est infiniment mieux. Il m’a paru vraiment bien et très agréablement situé. Si les Sutherland vous reçoivent chez eux le 1er juin, vous viendrez si peu de jours auparavant que la distance de Norwvood importe assez peu. Et s’ils ne vous reçoivent pas, vous viendrez à Londres.
Je viens de conclure en trois jours une petite négociation qui fera grand bruit. J’ai redemandé les restes de Napoléon et on nous les rend. Ils seront déposés aux Invalides. Il y a plaisir à faire des Affaires avec Lord Palmerston quand il est de votre avis. Il les mène simplement et rondement. Ne parlez de ceci que quand on en parlera. Probablement on en parle déjà. Mais en tout cas, je désire que la publicité ne vienne pas de vous. On m’a promis de Paris une immense poputarité si je réussissais. Encore une fois, attendez qu’on en parle. Je ne sais pourquoi je vous répète cela.
J’ai dîné hier chez Sir Robert Peel, un dîner de Royal academy. Il y en avait un aussi chez Lord Lansdowne où j’aurais dû être aussi. Mais Peel avait eu la priorité. Je ne dînerai point chez les Philips. Je commence à supprimer quelques ennuis. Je me suis promené dans le parc de Greenwich. Je voulais retourner à Richmond. Mais  je n’ai pas eu le temps.

Lundi 3 heures
Voici les renseignements les plus exacts et les plus complets. Alexandre continue d’aller bien. Chez lui, on dit et il dit lui-même, ce matin, qu’il partira dans huit jours pour Paris. J’ai envoyé Herbet, chez Brodie. Il l’a vu et à causé avec lui. Brodie trouve Alexandre bien, si bien a-t-il dit, qu’il n’ira pas le voir aujourd’hui. Mais à cette question d’Herbet: " Croyez-vous que le Prince Alexandre puisse partir dans huit jours ? " Brodie a répondu positivement; " He cannot. - Et dans quinze jours? Brodie a dit que c’était probable ; mais qu’en homme sensé, il ne voulait pas en répondre. Vous savez à présent le véritable état des choses. Il n’y a absolument aucun danger ; mais il faut du temps. Je n’ajoute rien. Décidez.
Je viens d’un grand meeting que devait présider Lord John Russel et où il a été remplacé pas Sir George Grey. Il a fallu comme de raison, y prendre la parole to second a motion. Il me semble que m’a popularité ne faiblit pas. J’ai reçu pour ce mois-ci quinze ou vingt invitations, à des meetings semblables. J’ai choisi les deux les plus considérables. Je n’irai qu’à ceux là.
J’irai peut-être dans deux heures à la Chambre des Lords où le Chancelier doit proposer un bill sur lequel parlera Lord Lyndhurst. On dit qu’on attend Lord Brougham le 23.
Votre "il ne peut pas" serait donc faux. No news. Si ce n’est que Palmella s’oppose à la demande Anglaise à Lisbonne. Mais on dit que ce pourrait bien être pour renverser le Cabinet portugais, et prendre sa place. Adieu.
J’approuve les changement à la lettre. Que j’ai de choses à vous dire ! Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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381 Paris le 22 mai 1840,
Vendredi 10 heures

J’ai vu longtemps Lord Granville hier ; il est toujours couché. Nous avons un peu causé de tout. Le détail de l’entretien de Thiers avec Appony est assez piquant. Thiers a beaucoup parlé de la politique isolée que pourrait embrasser la France, et à la question d’Appony ce qu’elle ferait dans cette situation là ? Thiers l’a regardé avec étonnement et lui a dit : " Vous êtes trop curieux à propos d’Ancône, Thiers, lui a riposté par Cracovie. Enfin d’un bout à l’autre il y a eu de l’aigreur entremêlée d’un peu de flatterie. Granville est le plus pénétré du monde que la France ne fléchira jamais sur la question d’Egypte. Mais il m’a cité des paroles de l’Empereur dites à Lord Clauricarde selon les quelles l’Empereur croirait quevous êtes disposé à céder un peu. Ce serait venu à Pétersbourg par des correspondances de Londres. Cela m’etonne.
L’activité de Thiers est prodigieuse, son habileté aussi. Il gouverne la Chambre, les comissions. Il se mêle de tout, il répond de tout. Il est d’une audace et d’une satisfaction inouïes. Eh bien, à la bonne heure. Connaissez vous le " à la bonne heure " de M. de Talleyrand ?
J’ai été passer une demi-heure au déjeuner de la comtesse Appony. Ah mon Dieu, quelle foule, quelle horreur ! Un froid de loup dans le jardin, une chaleur à périr dans la maison. Dieu sait quelles gens ! Des gens décidés à faire là leur dîner. Nous avons regardé cela le duc de Noailles et moi, en nous demandant ce que nous étions venus faire là. Je m’en suis tirée avant 6 heures/ J’ai fait mon solitary meal et passé un solitary evening. Je pense que tout le monde sera resté là. Je me suis couchée ennuyée, mais plus triste.
Le gros Monsieur ma’ annoncé hier matin qu’il partait la semaine prochaine pour Londres, n’avez-vous pas quelque autre gros ou maigre monsieur qui aimerait à y être mené dans la première quinzaine de juin ?

1 heure
Je ne me suis rappelé le vendredi que lorsque j’avais écrit jusqu’ici. Je viens de vous écrire ma lettre officielle, parceque je ne veux pas que vous restiez un jour sans lettre. J’aime bien votre 374 vous prêchez sur le même texte que moi. " Pleine franchise entre nous ", et au fond c’est toujours parce que vous y manquez un peu de votre côté qu’arrivent les nuages. En y pensant un peu vous verez que les péchés viennent de vous. Point de réticence, pas la plus petite. Après le plaisir de n’avoir rien à reprocher, il n’y a pas de plaisir plus grand que le droit de gronder. C’’est si intime ! Est-ce que je dis une bétise ? Il me semble que nous voilà bien remis sur nos jambes. Pour moi au moins je me sens si leste, si confiante, si heureuse. Vous devez être comme moi, car dans ce qui nous regarde nous devons ressentir de même.
J’ai écrit ce matin à Ellice à M. de Barante ; vous allez-voir bientôt lady Clauricarde. Ah cela, je vous en félicite ; c’est tout-à-fait la prima dona en fait d’esprit. Elle en a beaucoup. Vous ai-je dit combien je trouvais votre définition de lady Jersey excellente ? Vos portraits sont toujours admirables. Je vous avais dit cela en mille mots. Vous le dites en deux " l’insignifiance la plsu envahissante."

Samedi le 23, 9 heures
Assez pauvre journée hier. D’abord toujours très froid et puis pas d’événements, pas de nouvelle. Montrond est venu le matin. il venait de chez le Roi ; il y retournait un langage nuageux, toujours drôle. Je crois qu’il vient chez moi parce qu’il me fait rire, cela lui plait, cela le flatte. Il est très frondeur sur le chapitre de St Hélène, il trouve cela absurde. Et puis il y voit mille inconvénients avant même d’abordar les dangers. Entre autres, ces quatre mois d’intimité entre le Prince de Joinville et messieurs les Bonapartistes, Bertrand & &, l’occasion de bien des propos provoquants peut- être. Au fait l’idée d’envoyer le fils du Roi est étrange. Il est cousin germain du duc d’Enghien !

Midi. Je vous remerce beaucoup du 375. Il me donne quelques lumières c’est-à-dire que je vois qu’en Orient on ne fait rien. C’est une étrange obstination de laisser sans solution, ce qui peut embarrasser le monde ! J’ai dîné seule. Le soir mon ambassadeur, Brignoles, le duc de Noailles, Carreira, d’autres insignifiants. M. de Pahlen. parle très bien sur l’affaire d’Orient vous en seriez content, mais il n’est pas poli pour l’Angleterre. Tout cela vous montre qu’il sert son maître sans l’approuver tout-à-fait Je vous enverrai les biographies que vous me demandez. Adieu. Adieu, je me réjouis de vous dire adieu par le gros Monsieur. A propos, il m’est venu une drôle d’idée ; c’est qu’en pensée vous me dites adieu au bout de la dépêche que vous envoyez par télégraphe pour que cela m’arrive vite. Vous voyez que je radotte. Adieu.

Vous vous trompez, vous ne dînez pas avec Lady Palmerston lundi. Les femmes n’en sont pas, à moins qu’on n’ait changé cela.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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375. Londres. Jeudi 21 mai 1840
10 heures

On est venu m’éveiller cette nuit à 3 heures, pour m’apporter la division de la Chambre des Communes, et j’ai expédié sur le champ un courrier à Calais pour qu’on le sût à Paris par le télégraphe. Non qu’il doive, je crois, en résulter ici aucun evènement. C’est pourtant un gros fait. On me dit que Peel a très bien parlé et O’Connell médiocrement. Il a voulu être modèré. On l’avait fort sermoné à ce sujet. C’est Lord Duncannon qui est son prédicateur. Et O’Connell répond toujours : " you are right ; I won’t do it again." Il a trop bien obéi hier. On prévoyait ce résultat, même à Holland House où j’ai été hier soir au lieu d’aller à la chambre. Devinez qui j’y ai trouvé? Mr Mrs Grote qui y avaient dîné. C’était un coup monté. Peut-être vous en ai-je déjà parlé quand ils ont été partis, j’ai demandé à lady Holland si elle avait un privilège contre les poursuites, for treating and bribery.

2 heures
Je viens de chez Lord Aberdeen. J’aime sa conversation, et je crois qu’il aime la mienne. Il y a beaucoup de shyness dans sa froideur. Et aussi de sadness. Il est préoccupé de cette affaire Napoléon. On commence à l’être ici, beaucoup plus qu’au premier moment & plus que moi. Je suis accoutumé aux apparences, et aux démonstrations bruyantes. Cependant, il est sûr que des embarras viendront de là. Ce qu’il y avait de bien est déjà recueilli ; il faudra subir le mal. Mais je ne crois pas au danger. Pourvu qu’il y ait un pouvoir qui s’en défende. En tout cas, la question est lointaine. Le retour n’est pas possible avant le mois de Novembre.
L’Orient est stationnaire. Je reste toujours sur mon terrain. On n’y vient pas. Mais on n’ose pas avancer sur le sien. Je m’applaudis du parti que j’ai pris de dire dès le premier moment, ce que je devais dire à la fin. Plus j’y pense, plus je suis convaincu que notre politique est la seule sensée. Rallumer la guerre entre les Musulmans, et courir le risque de l’allumer entre les Chrétiens pour la question de savoir si quatre ou seulement deux Pachalih de la Syrie appartiendront au vieillard qui règne à Alexandrie ou à l’enfant qui dort à Constantinople, en vérité c’est bien léger. Et je tiens pour certain qu’ici il n’y a pas trois personnes qui ne soient au fond de mon avis. De celles qui y ont pensé, s’entend. Il n’y en a pas beaucoup.
Les Affaires Etrangères occupent bien peu le public anglais. Je dis beaucoup sur cette question d’Orient ce qui est parfaitement vrai ; la politique que nous soutenons ne nous causera aucun embarras, à l’intérieur, car tout le monde, en France en est d’avis ; aucun embarras à l’extérieur, car le jour où l’on voudra agir sans nous, les embarras seront pour ceux qui entreprendront de faire, et non pour nous qui regarderons faire. L’hypothèse la plus défavorable ne nous met donc pas dans une position redoutable.
M. de Metternich a eu certainement beaucoup d’humeur pour Naples ; et dans son humeur, il s’est montré plus disposé à faire ce que voudrait Lord Palmerston en Orient. Mais sa disposition est vague, comme tout dans l’affaire. Quant au Pacha, il dit que si on le bloque dans Alexandrie, il sautera par dessus le blocus, c’est-à-dire pas dessus le Taurus. Je connais ces petites biographies, les premiers cahiers, le mien compris, qui était très bienveillant, et assez spirituel. Je connais Thiers, aussi ; mais non pas, le Duc de Broglie, ni Berryer, ni Dupin, ni Lamartine, vous serez bien aimable de m’envoyer ceux-là. L’ouvrage m'a paru écrit à bonne intention. Sait-on par qui?
Certainement, je porterai la santé de la Reine, le 25. Je suis en pension chez lady Palmerston. Elle dine samedi chez moi ; moi dimanche chez elle en petit comité, et lundi en full house. Je l’ai beaucoup vue depuis quelque temps et plus je la vois, plus je la trouve aimable. Elle dit qu’à présent je plais beaucoup à M. de Brünnow et qu’il parle de moi tendrement. Adieu.
J’ai le cœur à l’aise depuis hier à votre sujet. Je voudrais que ma grande lettre vous fût arrivée avant la petite. Je ne l’espère pas. Adieu.
Vous devriez vous arranger pour être ici le samedi 13 Juin. Au plus tard le Dimanche 14. Vous ne vous faites pas scrupule, je pense, de voyager le dimanche. Je ne trouve pas qu’on soit aussi austère ici à ce sujet, qu’on me l’avait dit. Le gros Monsieur vient passer quelques jours à Londres et vous en avertira. Ce que vous pourriez lui remettre passera de sa main dans la mienne. Que j’ai de choses à vous dire ! Et que de choses à entendre, que j’aime mille fois mieux !
Adieu, encore ; jamais pour la dernière fois.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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380. Paris jeudi le 21 mai 1840

J’ai eu hier matin une longue visite d’Appony. Il a eu enfin une longue conférence avec Thiers, il parait qu’ils se sont dit beaucoup de choses obligeantes, et plus encore de choses aigres. Ainsi sur la question d’Ancône.
"- Si j’avais été ministre jamais la France n’aurait rendu Ancône.
- En ce cas vous aurez eu la guerre.
- La guerre ? Vous n’auriez pas où la faire.
- Comme nous ne voulons pas nous brouiller, finissons cet entretien."
Voilà un spécimen de la désobligeance. Voici pour les politesses. " Le prince Metternich est certainement le premier homme d’état en Europe. Il n’a surement pas pas besoin de mon suffrage, mais enfin je reconnais tout son mérite."
Le Roi a parlé à Appony de la translation des restes comme d’un acte de son invention. "Tôt ou tard, cela aurait été arrachée par les pétitions. J’ai mieux aimé octroyer. Il n’y a pas de danger ; la famille est sans importance. Le discours de M. de Rémusat n’a pas le sens commun je lui ai demandé ce que voulait dire sa dernière phrase, la comparaison de la gloire avec la liberté. Il m’a répondu qu’au fond il n’en savait rien, mais que cela avait fait un bel effet."
Croyez ou ne croyez pas, comme il vous plaira. Appony n’a pas inventé. Le temps est au froid. Pas de promenade au bois. J’ai dîné chez mon ambassadeur. plus de 30 personnes, toute la société blanche. Le soir il est venu chez moi, cela a été court, car je n’étais sortie de chez lui qu’après 10 heures.
J’attends ma lettre ce matin sans palpitation, avec impatience, avec joie, car elle sera bonne, elles seront toujours bonnes, n’est-ce pas ?
J’ai un chagrin de ménage. depuis l’assassinat de lord William Russell je n’ai plus foules qu’Eu génie reçût son mari chez moi. Le mari s’est fâché et me reprend sa femme, et je l’aimais beaucoup, car elle est jolie et alerte, & intelligente. Je cherche ; je veux de l’esprit, une jolie figure et pas de mari.
M. de Noailles, qui était hier mon voisin à dîner me dit que M. de Lamartine veut parler, contre la proposition du retour de Napoléon et qu’il s’arrange avec M. Garnier Pagès qui parlerait contre aussi dans ce cas, Berryer s’en mêle. Mais il est vraisemblable qu’on fera comme pour la loi de dotation en sens inverse. Vote silencieux. Logiquement et légalement on soutient que la loi contre la famille doit être reportée du moment qu’on réhabilite le chef. Quitte à faire une nouvelle loi qui les exile pour leurs méfaits. Ce qui est sûr c’est qu’on n’évitera pas du parlage sur ce point. midi Voici votre lettre bonne tendre, mais puisque vous avez continué le sujet, moi aussi je me force de revenir pour me défendre. Encore une fois voici vos paroles.
Mercredi 6 mai. " Alexandre a eu hier un accident, rien de grave & & dans deux ou trois jours il n’y paraîtra plus. "Vendredi 8 Mai. " Alexandre continue à aller mieux, c’est-à-dire qu’il va bien Samedi 9 mai. Alexandre va très bien. Je suppose qu’il ne tardera pas à partir." Voilà les nouvelles reçues de vous aux deux premières, croyance implicite. A la troisième, étonnement car Cumming disait ce que je vous ai mandé, et le silence total d’Alexandre confirmait plutôt Cumming que vous. Vous voyez bien que jusqu’à lundi 11 où je reçois votre lettre de Samedi à celle de Cumming, il n’y avait pas de quoi songer à partir je dis songer raisonnablement, car j’y avais bien songé dès la première minute et vous retrouverez surement cela dans ma première lettre après avoir appris l’accident. Et là c’était pour vous que j’allais, avec l’accident pour prétexte. Il n’y avait que votre phrase "dans deux ou trois jours il n’y paraîtra plus" qui me tenait perplexe, car je pouvais me croiser avec lui en route et le manquer. Lundi donc en recevant les deux lettres contradictoires, j’ai cru Cumming. Mon angoisse est devenue horrible, j’ai fait à la hâte mes préparatifs de voyage. J’y allais en dépit de vous, oui en dépit de vous ; et regardez-y bien, j’ai raison de dire cela. "Je suppose qu’il ne tardera pas à partir " était m’engager indirectement à rester. Vous ignoriez l’état où était mon fils et j’étais blessée de cette négligence ; ou le sachant, vous vouliez m’empêcher d’arriver en me disant "il ne tardera pas a partir". Et voici ce que j’ai cru : tout ces embarras diplomatiques vous ont amené à penser qu’en effet il serait plus commode pour vous que je ne vinsse pas. Je ne doutais pas de votre droit mais je pouvais croire à un excès de prudence, et c’est ainsi que j’avais fini par traduire votre phrase ; vous en retrouvez des traces dans la question que je crois vous avoir adressée il y a deux ou trois jours. Si je me suis expliquée clairement, il est impossible que vous ne me donniez pas raison et j’ai trouvé confirmation de mes conjectures dans l’absence totale de plaisir ou de regret lorsque vous avez su que je venais & puis que je ne venais plus. Je courrais donc vers mon fils, vers mon seul enfant, mon fils en danger ! Je songeais bien, je songeais beaucoup au bonheur de me retrouver auprès de vous, mais votre réserve, votre manière détournée de m’empêcher de venir me glaçait un peu. Dites ? Y a-t-il tant d’injustice à avoir cru entrevoir cela ? Je vous ai tout dit. Si cela n’est pas clair c’est que je n’ai pas su le rendre tel, mais j’ai compris comme cela, absolument comme cela. Voilà donc partie du 11 et tout le 12 employés à des préparatifs fatigants, odieux, car vous ne savez pas tout ce que j’avais à faire. Trouver un courrier pas un de mes gens ne pouvait aller avec moi, ils ne savent pas un mot d’Anglais ! Trouver quelqu’un pour m’accompagner dans ma voiture. Arranger ce que je laisse, ce que j’emporte. Pas un petit détail, pas un embarras m’a été épargné par personne. Je tombais de lassitude, je tremblais pour mon fils, j’avais la fièvre, ah quelles horribles journées ! Enfin mercredi 13, je reçois la première lettre de mon fils et une excellente, détaillée de Burkhausen, qui me rassurent complètement. C’est en devenant tranquille que j’ai reconnu toute ma faiblesse. L’inquiétude me soutenais. le calme de cœur m’a enlevé toutes mes forces factices et dans cet état j’aspirais à un peu de repos. J’ai remis mon départ de 4 jours, pour avoir les réponses d’Alexandre. Je subordonnais mes mouvements à ses volontés. C’était parfaitement naturel, parfaitement juste. Avant même sa réponse à ma demande, il m’a supplié de ne pas venir, de l’attendre, parce qu’il ne tarderait pas à partir. Et hier il me mande qu’il sera certainement ici le 26, pour y passer quinze jours Auprès de moi. Eh bien, dites-moi ; ai-je eu tort ? Aussi tort que vous le dites ? Vous m’expliquez votre réserve, c’est un peu trop subtil. Vous êtes trop fier avec moi ; ce qu’il faut être, c’est franc, toujours franc. Je comprends un peu votre réserve. Et bien moi, comprenez-moi, aussi. Lorsque j’ai tremblé pour mon fils je n’osais presque pas m’avouer qu’à côté de mes angoisses il y avait un plaisir, que j’allais vous revoir ! C’était dans le fond de mon cœur, mais caché ; je réprimais la joie. Elle me semblait un péché, un péché dont Dieu allait me punir. Il me semblait que dans ce moment je ne devais être que mère, n’avoir qu’une pensée, un vœux. Vous le savez bien, il y a des contradictions dans le cœur... ce n’est pas exactement ce que je veux dire. Je crois, et cela vous ne le savez pas, que j’ai l’esprit faible ; quand un malheur m’atteint ou me menace, il me semble que j’ai à expier ; qu’en me châtiant j’obtiendrai mieux grâce ; qu’en ne pensant qu’à Dieu, et à l’être cher pour qui je tremble, Dieu viendra à mon aide. J’écartais votre image, et elle était cependant toujours là, comme je vous dis dans le fond, tout-à-fait le fond de mon cœur. Je ne vous ai rien dit alors je ne sais rien vous dire de direct ; je ne vous ai parlé que de mon fils. Vous en avez été blessé, et voilà où nous nous sommes mutuellement mépris depuis le moment où je n’ai plus tremblé, n’avez-vous pas vu ce que je tenais si caché se faire jour de nouveau avec passion ? Ne m’avez- vous pas vu trembler de nouveau mais pour un bien autre intérêt ! Le doute était venue, les tulipes me dérangeaient. Que sais-je ? Sait-on tout ce qui vient à l’esprit ? Je répète avec vous. Que d’agitations insensées ; que de peines absurdes ! Allons, c’est fini. Adieu et adieu répété tant que vous voudrez. Ah si vous étiez là ! Quelle froide chose que du papier pour répéter un Adieu pareil.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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382. Paris, vendredi le 22 mai 1840
Midi

En écrivant ce matin, j’avais totalement oublié le vendredi. Je m’amende, et je viens Monsieur, vous donner de mes nouvelles. Je vous remercie mille fois de votre lettre reçue dans ce moment. Mon fils aussi m’écrit, je doute qu’il quitte Londres avant Mardi le 26, mais je ne le presse pas car je veux avant tout qu’il se ménage. On dit que Thiers a rapellé le duc d’Orléans. En effet, il n’y a rien à faire pour lui en Afrique. Il a prouvé, ce qu’on savait fort bien, qu’il est brave mais vraiment c’est une campagne manquée. Si on discute l’affaire des cendres de Napoléon j’irai surement à la Chambre. Les Poix sont bien tristes d’être arrivés trop tard ; ils s’en prennent presque à moi. Le fait est qu’ils comptent trop que mon intervention serait heureuse. Que savez-vous du roi de Prusse. Moi, je crois qu’il va finir. Lord Granville célèbrera probablement la fête de la Reine couché sur sa chaise longue. Il chargera Appony de faire les honneurs de son dîner. Adieu Monsieur, voilà une pauvre lettre. I can not help it Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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379. Londres, mardi 26 mai 1840
9 heures

Vous aviez raison. Lady Palmerston ne dînait pas hier avec nous. Elle me l’avait dit Dimanche. Grand dîner ennuyeux, pas énormement long. J’ai porté la santé de la Reine. Pourquoi Lord Palmerston n’a-t-il pas fait comme j’ai fait chez moi le 1er mai, où j’ai répondu à la santé du Roi, par celle de la Reine et de tous les souverains de l’Europe ! Est-ce l’usage Anglais? Le nôtre est plus poli. De chez Lord Palmerston chez Lord Lansdowne. Rout immense. Le Drawing room du matin transporté à Berkeley-square. Du temps et des embarras sans fin pour arriver. J’ai eu du bonheur pour sortir. Ma voiture était tout près. J’étais chez moi à minuit et demi. Lady Lansdowne me convient. J’ai beaucoup causé avec elle samedi, chez moi. Elle a l’esprit droit et le cœur haut et vraiment du cœur. Elle aspire ardemment à Bowood. La plupart des Anglais et Anglaises me paraissent avoir peu de goût pour cette vie de bals et de routs, qu’il mènent avec fureur.
Je lis à l’instant même dans le Morning Chronicle : " The duke and dutchess of Sutherland leave Stafford House shortly for Trentham, whence they purpose going to Dunrobin Castle, Sutherland shire." Est-ce vra i? Qu’en savez vous ? Et dans ce cas, quel hôtel choisissez-vous ? Nous approchons beaucoup. Donnez moi de charmants détails. Vous aurez votre fils à la fin de la semaine. Vous pourrez tout règler alors.
Je vais déjeuner ce matin à Kensington, chez M. Senior avec lord Lansdowne, l’archevêque de Dublin, M. et Mad. Grote que décidément on veut prendre. Je dîne chez moi avec Bacourt, Dedel, Sir Edouard Disbroule et Frédérie Byng. Voilà tout le menu de ma vie.
Parlons d’autre chose : Thiers a raison de riposter à Ancone par Cracovie. La réponse est sans réplique, sans propagande, sans guerre, sans évènement, il nous serait facile de susciter aux Puissances, moins amies que d’autres, bien des embarras, des ennuis, d’élever ou d’entretenir en Europe, à leur sujet, ce bourdonnement de plaintes, de griefs, de réclamations, de prétentions, qui est fort incommode pour des gouvernements peu exercés au bruit. Nous ne le faisons pas ; mon avis est qu’il ne faut pas le faire ; mais il faut, dans l’occasion, nous prévaloir de ce que nous ne le faisons pas, et indiquer que nous voyons très bien toutes ces petites plaies auxquelles nous ne voulons pas toucher.
Je vous répète ce que je crois vous avoir déjà dit. Le Cabinet ne prend pas son échec au sérieux ; ni lui, ni personne. C’est à dire qu’ils restent très décidément et que personne n’en est surpris et ne s’attendait au contraire. Mais les Torys prétendent sérieusement au pouvoir et renouvellerons souvent l’assaut. Les Whigs s’attendaient à perdre les élections de Ludlow et de Cambridge, Pourtant ils en sont tristes. Et ils craignent un peu de perdre aussi celle de Cockermouth où M. Horsman pourrait bien n’être pas réélu. Ceci serait pire. Je ne crois à rien d’imminent ; mais je crois à une situation aggravée.

4 heures
Pour Dieu, ne soyez pas malade. Je suis, en ce qui vous touche votre santé, dans une disposition intolérable et toujours près de devenir douloureuse. Je ne me fie pas à vos impressions ; je vous crois portée à l’exagération mais si je me trompais ! Ne soyez pas malade, je vous en conjure. Mes Françaises sont contentes de moi. Je leur donnerais probablement encore un petit dîné comme vous dîtes. Pas de lady Jersey ; elle est pour mon grand dîner Tory du 10 juin et c’est assez. Mesdames de Chastenay et de St Priest partent de demain en huit pour leur tournée, in the country, et puis pour Paris. Mad de St. Priest, fait bâtir une maison sur le terrain de l’hôtel d’havré. Elle veut retourner à ses ouvriers. Adieu. Corrigez le numero de vos lettres Vous êtes d’1 en avant. Adieu. Adieu. Je vais à mes dépêches. Adieu. J’ai besoin de finir par adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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381. Londres, Jeudi 28 Mai 1840
3 heures

Je ne comprends pas pourquoi vous avez de l’orage et un ciel triste. Il fait beau ici depuis plusieurs jours, beau et calme. Aujourd’hui, il fait même chaud. Vous vous porteriez bien par ce temps là. Nous chercherons de l’air pour vous. Cela ne me paraît pas impossible à arranger. Nous trouverons bien quelque chose d’agréable à Norwood. Putney & Vous avez besoin de rouler en voiture ouverte. Vous viendrez à Londres, le matin voir qui vous voudrez, dîner où vous voudrez. Et moi j’en serai quitte pour fatiguer une paire de chevaux de plus pendant que vous serez là. Sachez bien que de mémoire d’anglais, me dit-on, on n’a vu à Londres un aussi beau printemps. Et au fait, je trouve l’air moins lourd qu’on ne me l’avait annoncé. Avez-vous un peu d’appétit ? Quand on a la bile en mouvement, je crois qu’il faut bien peu manger. Si je vous mettais à mon régime, je vous dirais, de la diéte et du sommeil. Ce sont mes seuls remèdes. J’ai vu hier on me promenant, deux ou trois jolies maisons à louer, garnies, à l’extrémité de Regent’s Park du côté de Primerose. Je vous assure que là l’air est agréable. Et vraiment la portion fermée de Regent’s park, le jardin, est charmante. Depuis que Lord Duncannon m’a donné, des clefs, j’y vais quelques fois, m’asseoir seul. C’est bien frais bien tenu, assez grand pour y marcher, pas d’isolement et pas beaucoup de monde. Il me semble que vous seriez bien près de là. Savez-vous décidément dans quel hôtel vous descendrez ?
Le duc de Cambridge, qui ne pouvait venir dîner chez moi le samedi 13, m’a offert le Vendredi, 12 ou le lundi 15. J’ai pris le 12. Je garderai le 15 bien libre. Je viens de déjeuner chez M. Milnes, conservateur modéré de la Chambre des Communes avec quelques radicaux modèrés Charles Buller & et Sir Stratfort. Canning. Conversation assez animée et variée. Il y avait là un homme d’esprit un Rev. M. Thirlwall le premier scholar, dit-on, de l’Angleterre. et prédicateur très éloquent. On voudrait le faire evêque. Mais, lord Melbourne s’y oppose, ne le trouvant pas assez orthodoxe.
Je me suis laissé imposer hier par lord Burghersh une seconde séance de l’ancient concert. C’était la dernière et cela lui faisait tant de plaisir! Au fait, j’aimais autant finir ma soirée là qu’ailleurs. La musique était bonne, très bonne même une ou deux fois. J’ai causé avec lady Burghersh. J’ai trouvé son esprit dont vous m’avez parlé. Bien artiste, fin et sensé. Quand je dis sensé, je ne sais pas, mais clairvoyant.
J’ai arrangé mon petit dîner pour mes Françaises. Elles partent le 3 Juin et je les ai le 2 avec lord Elliot, lord Leveson, lord et lady Lovelace et Sir Robert Cherter que j’ai mis là parce qu’il faut qu’une fois je le mette quelque part. Les invitations me pleuvent. Voilà lord Haddington, le duc de Bucclaugh, le duc d’Argyll. Il faudra rendre tout cela. Il me faudra plus de grands dîners que je ne comptais. Vous me règlerez Point de nouvelles. Chekib. Effendi vient d’arriver.
L’affaire d’Orient remuera de nouveau probablement sans avancer. Entre nous, je crois pouvoir dire que tout le monde ici, corps diplomatique ou Anglais, Whigs ou Torys, est de mon avis dans cette question, comme on est de l’avis d’un autre. On trouve que j’ai raison. On serait bien aise que quelque circonstance rendit ma raison nécessaire. Mais il faut lutter, refuser, dire non. C’est bien difficile. Aussi je ne réponds de rien. Je ne me décourage pas non plus. J’établis chaque jour, un peu plus fortement et dans quelques esprits de plus, que j’ai raison. Je pense des hommes dans les affaires comme des enfants dans l’éducation, il faut faire leur atmosphère et les laisser respirer. Adieu. J’attends la lettre de demain avec une double, une triple impatience. Mais je vous veux point agitée, point abattue. Les vrais adieux veulent la santé. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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385. Londres, Mardi 2 Juin 1840
2 heures

On ne dira jamais assez de mal de l’absence. On s’écrit tous les jours. On se dit tout ce qui s’écrit. Tout cela n’est rien ; un grain de sable jeté dans l’océan qui nous sépare. Vendredi dernier, j’attendais mon gros Monsieur avec une impatience inexprimable. Il arrive. J’attends trois ou quatre heures ce qu’il m’apporte. Il me l’apporte. J’ouvre, bien seul, dans ma chambre. Les premières lignes me ravissent ; ces lignes où sont ces paroles qui dissiperaient tous les brouillards de la Néva comme de la Tamise. Je poursuis. La Chambre, le Rois de Prusse, Thiers, Lamartine, Sébastiani. Qu’est-ce que cela me fait ? Je saute par dessus cela. Je cours à la fin. Encore quelques lignes, quelques paroles charmantes. Il y manquait quelque chose, quelque chose de bien petit mais qui surpasse tout. Pourtant. la fin était charmante ; la fin et le commencement. Je voulais d’avantage ; j’attendais davantage. J’avais tort ; je comprends parfaitement que vous n’ayez pas tout dit. Mais que m’importe ce que je comprends à côté de ce que je désire ? Je vous réponds, au moment même. Je ne vous dis pas ce qui m’a manqué ; non, j’aurais cru être injuste; je ne vous reprochais rien. Mais je ne vous dis pas non plus ce qui m’a charmé. Je vous réponds avec mon impression, pas triste, mais pas transporté ; pas mécontent mais pas satisfait. Ma reponse vous arrive. Vous aussi, vous trouvez qu’il vous manque quelque chose. Et vous avez raison, encore plus raison que moi ; car moi, j’avais trouvé quelque chose de charmant. Vous vous plaignez de ce qui manque ; je vous remercie de votre plainte ; elle m’enchante. Mais du regret de vos paroles, de celles qui m’ont charmé ! Non, non, je ne vous le permets pas ; si j’ai eu tort, vous n’avez pas le droit de vous plaindre de mon tort. Vous plaindrez vous que je ne sois jamais satisfait, qu’il me faille toujours plus, toujours tout ? Moi, je me plains d’une chose, c’est que vous n’ayez pas deviné tout ce que je vous dis là. Mais je ne me plains pas bien fort, car vous êtes charmante ; je vous aime et vous allez venir. savez, vous ce que cela prouve ? C’est qu’à cent lieues l’un de l’autre, l’océan entre nous rien ne nous échappe, rien n’est inaperçu ; nous voyons tout ce qu’il y a ; tout ce qu’il n’y a pas, comme si nous nous voyions, si nous nous parlions. On s’aime beaucoup quand on en est là; et quand on s’aime beaucoup, on a tort d’être séparés.
C’est bien pour le 13. A présent le départ est sûr. Un beau temps et pas beaucoup de fatigue le premier jour pour que l’arrivée le soit aussi. Hier, le temps était admirable. Ce matin un orage. Je viens de faire quelques visites par la pluie. Le soleil revient. J’en suis bien aise pour demain, pour le peuple qui va à Epsom. C’est Ellice qui m’y fait aller. Je n’y pensais pas. Je ne suis pas fâché de voir cela une fois. Nous dinons dans une petite maison de M. Metteux, près d’Epsom. M. Motteux n’y est pas et lord spencer y vient. Il a désiré dîner là avec moi. Nous dînerons à nous trois Lord Spencer, Ellice et moi, plus un quatrième curieux que je ne connais pas et dont j’ai oublié, le nom.
Lady Normanby a donné hier à la Reine, un concert de famille. En fait d’artistes Rubini et Lablache seuls. En fait d’amateurs, lady Barrington, lady Williamson et lady Hardwicke. C’était beaucoup mieux que mon attente. Lady Williamson a une belle voix infatigable et Lady Hardwicke une voix très expressive. Pas beaucoup de monde, très choisi. La Reine ne s’en est allée qu’après la dernière note, à une heure et demie. Je viens de chez le duc de Cambridge. Mon dîner Tory est dérangé et rarrangé. Le vendredi, 12 juin, il y a un grand débat à la Chambre des lords sur les corporations municipales d’Irlande. Le duc de Wellington, lord Lyndhurst, lord Aberdeen, lord Ellenborough & & ne pourraient probablement pas venir dîner. Il a fallu trouver un nouveau jour. Presque tous étaient pris. La Duchesse de Cambridge y a mis beaucoup de bonne grâce. Enfin c’est pour le vendredi 26 juin. Je vais désinviter et rinviter tout le monde. Vous serez à Londres ce jour-là ? Serez vous chez moi à dîner ? Ce que vous voudrez comme de raison. Je le voudrais bien et il me semble que ce serait fort naturel. Ce sont tous vos amis.
La mort du Roi de Prusse est en suspens. M. de Bülow n’a rien reçu. Je ne crois pas que Paris et Pétersbourg en soient beaucoup plus près. D’ailleurs il n’y a plus de pièces de porcelaine ; tout est balles de coton. Lisez; je vous en prie attentivement le petit débat d’hier soir aux Communes sur les affaires d’orient et dites-moi si Lord Palmerston vous fait l’effet d’un peu d’embarras et d’un léger mouvement de retraite. Il y a au moins le désir et le dessein de rester très bien avec la France quand même on s’en séparerait en Orient. La question va traverser dans quelques jours une petite bouffée de flamme. Mon instinct est que la souscription Bonapartiste échouera. C’était bien la peine de faire tant de bruit. L’affaire avait grand air en passant le détroit. Soyez sure qu’il y a les deux choses, l’étourderie et la prémédi tation. Je suis de votre avis sur les funérailles. Adieu. Mille adieux en retour du pauvre petit adieu qui est tout seul dans la dernière page du 390, ce qui prouve que vous aviez encore en finissant quelque regret des douces paroles que j’ai trouvées si charmantes et si courtes. Plus de regret et beaucoup plus d’adieux. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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384. Londres, dimanche 31 mai 1840
Une heure et demie

Le voilà ce prétendu 388 qui est le 387. Où est-il allé ? Qui l’a arrêté en route? Je n’en sais rien. Je n’y comprends rien. Enfin le voilà, avec le vrai 388. J’ai passé une très mauvaise journée. J’avais l’imagination très noire. J’ai promèné mon mal partout, chez Lady Kinnout à Holland-House, chez Lady Jersey. Vous m’avez suivie partout, malade, mourante, je ne sais quoi. En rentrant, j’ai monté l’escalier quatre à quatre ; j’ai regardé sur ma table, s’il n’y avait pas une lettre quelque oubli de la poste, quelque voyageur. En ne voyant, rien, j’ai eu un mécompte comme si j’avais attendu quelque chose. Par moments, des moments bien courts, je m’en voulais de tant d’anxiète que les spectateurs, s’il y en avait eu, auraient à coup sûr, appelée tant de faiblesse. Ah, que les spectateurs sont sots ! Pour comprendre le chagrin, il faut sentir l’affection ; et l’affection, le chagrin, tout cela est personnel ; on ne le sent que pour soi-même. On passerait pour fou si on laissait entrevoir la millième partie de ces suppositions, de ces émotions innombrables, ingouvernables, qui obsèdent le cœur.
Il y avait dans la lettre du gros Monsieur, 386 une phrase dont je ne pouvais me délivrer : " Je me sens si malade ? " Je lisais cela partout, dans les yeux de mes voisins, dans les journaux du soir. Je n’y veux plus penser. Non, je ne veux pas vous faire courir la poste comme un courrier, ni vous forcer à traverser un jour de gros temps. Mais voulez-vous bien sérieusement que je ne sois pas trop impatient pour le 15 ? Voyons dites ; voulez-vous ? Convenez que j’ai un bon caractère. Rappelez- vous vos colères, vos reproches quand j’ai tardé d’un jour, quand je n’ai pas été parfaitement sûr. J’ai bien envie, pour me venger, de vous conter toutes les coquetteries que m’a faites hier Lady Kinnoul. Je voudrais bien savoir de quel droit lady Kinnoul me fait des coquetteries. Mais droit ou non, elles étaient bien coquettes.
Lord & lady Hatherton, lord et lady Manvers, lord et lady Cadogan, lord et lady Poltiemore, lord Liverpool, M. Leshington. Voilà le dîner. Personne, le soir à Holland house, Si ce n’est au bout de la bibliothèque, lady Essex, l’actrice Miss Stephens, assise au piano et chantant très agréablement pour Lord Holland et M. Allen. 3 heures J’ai été interrompu par la visite de Chekib. Effendi. Celui-là est intelligent. Il est pressant. aussi. Il a raison. Son Empire s’en va. Et si on fait naître là une guerre, quelle qu’elle soit il s’en ira encore plus vite. L’immobilité de l’Orient, l’accord général de l’Occident, à ces deux conditions la Porte peut encore durer. Si l’une ou l’autre manqur, si nous nous divisons ici et si on se bat en Asie, c’est le commencement du grand inconnu. Je dis cela beaucoup, et tout le monde est de mon avis, presque tout le monde. Mais les avis sont peu de chose ; c’est la volonté qui fait.
Ce cabinet-ci est dans une situation bien critique pour élever dans ses chambres et dans le monde, une si grande question. Et je doute que sa situation critique soit de celles dont en sort en élevant une grande question. Je ne crois pas qu’il y ait à s’abstenir définitivement, beaucoup de jugement, ni de prévoyance. Et j’attendrais sans beaucoup de crainte la démonstration des évènements. Votre conversation avecT hiers est charmante. Je suis quelque fois tené de croire qu’il est embarrassé et se déchargerait volontiers de son embarras, pour un temps, sur les épaules d’autrui. Nous verrons jusqu’à quel point la fécondité de l’esprit, la dextérité de la conduite et le talent de la parole suffisent au gouvernemen t! En attendant, il est absurde de se plaindre qu’il ne s’occupe pas des petites affaires. Je suis sûr qu’il s’en occupe plus qu’on n’a le droit de l’exiger dans sa situation. C’est précisément une de ses qualités de pouvoir penser à la fois à beaucoup de choses, grandes et petites, et porter rapidement de l’une sur l’autre son activité et son savoir faire.

Lundi 1 juin
Je trouve en m’éveillant le Roi de Prusse mort de plus grands que lui sont morts. Je le regrette. C’est toujours beaucoup qu’un Roi honnête et sensé. Je me suis intéressé à lui dans ses temps de malheur. La façon dont ils étaient traités lui, sa femme, son pays, m’indignait. Je n‘ai pas à me reprocher d’avoir pris plaisir à à Mexico et à Calcutta comme dans un écho. La place manquera à l’ambition et à la puissance des hommes. Priez Dieu qu’ils ne deviennent pas fous.

2 heures
Je reviens d’un meeting on the slave trade, où le Prince Albert a fait son début in the chair. et je trouve le 389, votre départ pour le 13. Vous ne m’avez jamais donné de si principale nouvelle. J’ai quelques doutes sur un congé à demander à Thiers pour Génie. Sans cela, rien de plus simple que de le faire venir ici pour huit jours en vous accompagnant. Il faut que j’y pense, et que je lui en écrive à lui-même. Cela se pourra peut-être sans inconvénient. Je serais charmé de vous donner ce gardien là. Mais je ne veux pas que Thiers suppose je ne sais quoi. C’est bien intime de faire ainsi passer mon intérêt avant votre agrément. Mais je suis sûr que vous le trouvez bon. Le meeting était très nombreux et intéresant. Le Prince a été fort bien reçu. O’Connell et Sir Robert Peel également bien reçus, également applaudis. Public très impartial, et prenant. plaisir à se séparer de la politique. Grand applaudissement aussi à mon nom et à ma l’arrogance brutale et déréglée que j’ai vu régner. Elle était pleine de grandeur ; mais la grandeur à son tour était pleine de grossiéreté et de folie.
Le rappel de Ste Hélène, c’est juste. Les Invalides c’est juste, St Denis aussi serait juste, quoique moins convenable. L’apothéose serait une impièté. Et aussi une demence. La Prusse elle-même m’intéresse. Il y a en Europe trois pays que j’aime après le mien : l’Angleterre, la Hollande et la Prusse. Je suis très protestant par là. C’est la Réforme qui a fait ces trois pays, qui a fait leur caractère, et en bonne partie leur grandeur. Et l’Europe leur doit une bonne partie de la sienne, sans compter l’avenir. Il n’y en a plus pour la Hollande. Les petits pays sont morts. Deux choses aujourd’hui sont trop grandes pour eux, les idées et les évènements. Ni l’esprit, ni l’activité des hommes ne peut plus se contenir dans un étroit espace sur notre terre, le plus grand espace sera bientôt si étroit ! De Londres à New York, douze jours ; bientôt six jours ; on construit en ce moment à Bristol une machine qui double la force de la vapeur. On se promènera autour du monde. Les paroles dites à Paris retentiront. personne, mentionnés assez éloquemment par le sir Lushington. Mais puisque, vous ne devez ignorer aucune de mes vanités, voici mon plaisir de ce matin. Je suis arrivé un peu tard à Exeter hall. Le Prince était déjà in the chair. On se pressait pour entrer. Sur l’escalier, à la porte de la salle dans la salle, la foule était immense. En abordant la foule, j’ai dit the french ambassador, pour m’aider à avancer. Le premier venu à qui je l’avais dit, a dit à ses voisins. Mr Guizot. Tout le monde, a répété mon nom, personne ma qualité, et tout le monde m’a fait place. Un fils de M. Wilberforce, archidiacre dans l’ile de Wight, a parlé supérieurement avec beaucoup d’éloquence, naturelle et spirituelle. Sir Robert Peel a bien parlé, éternellement bien. Je vous dis que vous ne connaissiez pas M. de Brünnow. Savez-vous comment il était vendredi dernier, à une heure du matin, dans le vestibule de Buckingham Palace, sortant du concert de la Reine et attendant sa voiture au milieu de la très bonne compagnie qui attendait comme lui ? Une sale casquette de voyage sur la tête pour ne pas s’enrhumer. Je suis un peu choqué que vous m’ayez dit que je lui plairais. Du reste, je crois que vous avez eu raison. Il parle très bien de moi Il me semble que l’approche de notre rencontre me rend bien bavard. Vous ne vous plaindrez pas que cette lettre soit courte. J’en ai bien plus long à vous dire. Adieu. Adieu. Quand vous serez ici, il me semble impossible que nous n’arrangions pas tout vous, moi, Londres, et la campagne. Il y a deux choses avec lesquelles on peut tout. La seconde, c’est de l’esprit. Devinez la première. Adieu. Ma mère vous priera peut-être de m’apporter le portrait d’Henriette, dans une boite. J’espère qu’il ne vous embarrassera pas trop. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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394. Paris Mercredi 3 de juin 1840
4h 1/2

Que votre parole est puissante ! Et quand je pense qu’outre cette parole puissante, Il y aura bientôt cette voix, ce regard, qui agissent sur moi si fortement, je me sens bien petite de me laisser aller jamais à des moments de tristesse, de doute, où vous me voyez si souvent. Je rentre et l’on me remet votre 384. Il y a vos inquiétudes. Ah ne les regrettez pas, ne regrettez pas de me les avoir exprimées. Elles m’ont fait tant de plaisir. Je me sens le cœur plus large, plus libre. Le retard de ma lettre vous avait donnée du chagrin, presque l’angoisse. Je suis si contente ! Voyez cet atroce égoïsme. Haïssez-moi bien, car je jouis vivement de vos peines quand c’est à moi qu’elles s’adressent. Nous nous sommes souvent dit que nous ne savions pas rendre tout ce qu’il y a dans notre âme. Jamais je n’ai tant senti l’insuffisance de mes paroles. Mais vous verrez quand vous m’entendrez ! De près, il me semble que je serai bien éloquente Jeudi le 4 de juin.
Voici le 385, et des volumes que j’aurais à répondre, que de choses à vous dire, bien tendres, des reproches, de la reconnaissance. Vous deviez me dire un mot sur le gros Monsieur tout de suite. vous me les dites à présent. Mon cœur allait au devant des paroles de 385. si je les avais trouvées plutôt vous m’auriez épargné quelques jours de peine. Vous avez raison. Il y a bien de la susceptibilité dans l’absence. On remarque tout, cela veut bien dire que nous nous aimons, mais pour cela même il faut que nous nous épargnions mutuellement tous les petites images, car il n’y a rien de petit quand on ne peut que se dire adieu tout de suite après. N’est-ce pas ? Ne faites rien pour Génie si vous y voyiez le moindre inconvénient. Gardez-moi une place à dîner le 26. Cela vous plait, et à moi aussi.
Mes matinées sont très coupées par mon fils et mille bêtises. J’ai à peine le temps d’écrire trois lignes de suite. J’ai dîné hier chez Rothschild à Boulogne. Nous avons beaucoup causé Thiers et moi. Il m’a dit beaucoup de choses qui méritent que je m’en souvienne. Il est très sage, très contenu. La guerre à la toute dernière extrémité, il la reculera plus que ne la reculerait tout autre ! Mais si un jour elle éclate s’il la faut absolument oh alors, par tous les moyens et ravoir ce que la nature indique. Il y a deux forts arguments. L’un pour l’autre contre la guerre. Contre, parce que personne ne la veut. Pour, parce qu’il y a 25 ans qu’on ne l’a faite. Sur l’Orient, sait-on bien, sait-on assez en Europe, que la France sur ce point est in-fle-xible ? Prononçant comme cela et répétant. En Angleterre, il n’y a que Lord Palmerston qui soit de l’avis contraire à tout le monde. La session finit, dans 10 jours tout sera terminé. Odillon Barrot s’est conduit parfaitement. Sa lettre est excellente. On s’est tiré habilement du mauvais pas de la souscription. Les funérailles, qui sait ! Il est vrai que l’épreuve sera forte, car l’émotion sera dans tous les cœurs. Le million de Joseph ? Il na pas voulu me répondre du tout sur cela, il m’a dit simplement : " C’est un vieux fou. C’était une veille créance." Cela confirme sans expliquer ce qu’il veut faire. Je suppose que cela l’embarrasse.
La Prusse. La mort du Roi c’est là révolution. Je suis parfaitement de son avis et vous verrez. Au bout d’une bien longue conversation il me dit que si je ne vais pas en Angleterre, il me jure qu’il viendra deux fois par semaine causer avec moi.
There is a bribe ! I go to England.
Je vois que l’affaire Rémilly est noyée par conséquent rien de grave ou d’immédiat. Il me semble que les rapports de Thiers avec le roi doivent être meilleurs, presque vous. Cela perce dans le paroles respectives. Il me semble que je vous ai tout rapporté. Ah encore, tous les deux lui et moi nous sommes pour une République aristocratique, franchement de tout notre cœur. Je vous assure que nous avons fort bien parlé sur cela, et je crois que vous aurez fait le troisième. Nous nous sommes bien promis de nous garder le secret. Ainsi gardez-le.
Je fais mes préparatifs, et j’ai mille embarras petits et grands, parce que vous savez que je n’ai personne pour me les épargner. Simon m’a dit ce matin qu’il a vu partir toute votre famille en très bonne santé. Il se plaint que la poste lui apporte maintenant les lettres plus tard que de coutume. Je vous en préviens, moi je me plains bien plus que lui. Je suis charmée de ce que vous me dites sur meeting du Slave trade. Vous faites bien de me dire toutes les petites vanités. Cela cela devient bien grand pour moi. de tous côtés j’entends parler de vous, parfaitement J’irez voir. Adieu Adieu, et jamais assez.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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390. Londres, Dimanche 7 juins 1840
3 heures

Je vous écris avec une pensée charmante, dans le cœur. Plus que trois fois. demain, mardi et mercredi. Car sans doute vous partirez samedi matin. Vous me direz. Ma course à Epsom ne m’a pas paru si drôle qu’à lord Granville. J’ai peu ri. Ce qui me fait sourire, c’est l’importance qu’on attache quelquefois, dans le monde, à certaines choses, et tout ce qu’on y voit. J’ai été à Epsom. Epsoms est frivole. Tous les gens frivoles y vont. Donc, je deviens frivole, donc, je ferai ce que font, les gens frivoles. Donc, donc, .... Il y a bien du factice et bien de la servilité en cela d’agir plus simplement et plus librement. On me dit qu’Epsom est un spectacle curieux. Ellice me propose d’aller dîner à la campagne, tout près, avec sa famille et lord Spencer, et d’aller de là, voir ce spectacle. Je vais dîner avec Ellice et lord Spencer. Je vais avec eux me promener à Epsom. Je trouve que c’est long, et je reviens me coucher à onze heures. Si le monde voit dans ma promenade quelque chose de plus, et s’en promet, sur moi quelque empire de plus, le monde se trompe et le verra bien. Epsom m’a laissé comme il m’a pris, sans embarras d’y aller et sans envie d’y retourner.
Je vous en prie ; ne soyez pas un peu malade, dans vos lettres ni ailleurs, pour ces misères. Ayez foi. Vraiment ceci ne vaut pas la peine de douter. Et dites moi toujours tout à chaque occasion, petite ou grande, je vous en aime davantage. Même quand ce que vous me dîtes, me fait sourire.
J’ai beaucoup causé hier avec la Reine, à dîner surtout, causé de je ne sais quoi mais assez agréablement. Soyez sure qu’elle a de l’esprit, et pas mal de sérieux et de fermeté dans son jeune esprit. Elle est bien jeune. Elle rit toujours. Et on voit qu’elle a envie de rire encore plus qu’elle ne rit. Peu de monde, lord Melbourne et lord Palmerston, le Maréchal Saldanha, le comte de Hartig, M. et Mad. Van de Weyer qui sont revenus de Bruxelles, la maison. J’avais à ma droite lady Mary Howard, fille du comte de Surrey, enfoncée dans sa shyness et ses beaux cheveux blonds. Après le dîner, quelques uns ont joué au Whist, d’autres aux échecs. Nous nous sommes assis, autour d’une table. Conversation froide et languissante. La Reine va à Windsor, dans deux ou trois jours, je crois. La Duchesse de Sutherland est partie ; mais Charles Greville m’a dit qu’elle vous donnait Stafford-House, et que vous seriez là, en son absence. Cela me paraît très bien. Vous ne le saviez donc pas encore. Vous me l’auriez dit.

6 heures
Je viens de faire le tour complet de Regent’s park. J’ai marché une heure et demie, seul, lentement, pensant à vous. Quand vous serez ici, je ne ferai plus guère ces grandes promenades solitaires. Je vous donnerai mon loisir. Le beau temps dure. Je le regarde. Je lui demande, s’il durera dans huit jours. Alava a été assez malade. Il est bien bon enfant et pas mal au courant ; mais personne ne compte avec lui. Est-il vrai que M. Van de Weyer est un peu remuant et commère ? Que de choses j’ai encore à vous demander, quoique je commence à être établi ! N’est-ce pas, vous aurez la bonté avant de partir, de faire demander à Génie s’il n’a rien à m’envoyer. Décidément, il y aurait, à ce qu’il vint dans ce moment, assez d’inconvénients.

Lundi une heure
Je suis charmé que nous ne veniez à Londres qu’à cause de moi, et je veux que vous y trouviez infiniment plus de plaisir que de tracas. Je n’aime pas du tout le tracas. J’ose dire qu’il n’y a personne à la nature de qui il soit plus antipathique qu’à la mienne. Mais quand au bout du tracas, il y a un plaisir, un vrai plaisir, le tracas disparaît, je l’oublie absolument, je le traverse indifféremment. C’est si beau d’être heureux ! Si charmant ! Peu importe le prix du bonheur. Vous n’êtes pas si bien douce que moi. Vous avez le bonheur, très vif, mais la contrariété très-vive aussi, et au moment ou vous payez le bonheur, vous pensez à ce qu’il coûte. Moi, je ne pense jamais qu’à ce qu’il vaut. On m’a apporté hier le petit portrait d’Henriette, très ressemblant et très joli. Je viens de recevoir des nouvelles de leur arrivée à Lisieux. Les voilà établis à la campagne. J’espère qu’ils y seront bien. Vers le 15 suillet. ils iront aux bains de mer, à Trouville sur cette côté où je me suis promené en m’efforçant de traverser des yeux l’Océan pour alles vous chercher en Angleterre où vous étiez alors. C’est moi qui suis en Angleterre, et c’est vous qui venez m’y chercher. Mais pas des yeux seulement.
Adieu. Cet adieu est très à sa place.
Je ne crois pas à la guerre. Vous savez qu’en général je n’y crois pas. Mais pas en particulier non plus. Thiers s’amuse à en parler. cela lui plaît ; et cela lui sert aussi. Un peu de fièvre dans le présent, en perspective d’un peu de bruit dans l’avenir ; sa position s’arrange de cela. Il le croit du moins. Je ne connais personne ici qui accepte la pensée de la guerre. On est déjà assez préoccupé de celle de Chine qui sera probablement plus sérieuse qu’on n’a prévu. Je n’ai pas grande estime pour le nombre ; pourtant c’est quelque chose et en Chine ce quelque chose est immense. Adieu décidément. Plus que deux lettres. Adieu. Adieu. En attendant.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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397. Paris, dimanche le 7 juin 1840

Mon fils vient de me quitter. Il revient à Paris au commencement de Septembre pour y passer alors deux ou trois mois. Il est mieux mais sourd et paralysé du bras gauche.
Je n’ai rien à vous dire d’hier les ambassadeurs et le Duc de Noailles hier au soir ne m’ont pas beaucoup avancée. Thiers d’où on venait est en bonne humeur, et mon monde. le regarde comme établi pour longtemps. Il me semble. qu’Appony commence à en prendre son parti. Moi je trouve que tout prend une mine guerrière, ces messieurs le contentent ; mais infin il faut bien qu’on décide quelque chose à Londres, et quelque chose sera tout. Quoi ? C’est de vous qu’on l’attend.
Je vous remercie de quelques bonnes paroles dans votre lettre ce matin. Les bonnes paroles, c’est comme une caresse à un enfant. Je suis un vrai baby ; si facile à la peine, si facile à la joie. Encore facile à la joie ! Je retombe dans les recherches et les embarras pour trouver quelqu’un qui m’accompagne. Quelle bêtise d’être si poltronne, je le suis devenue. Car jadis je traversais toute l’Europe seule sans un moment de crainte. de Londres à Pétersbourg par terre. Et aujourd’hui Boulogne me parait un tour de force et d’extrême danger.
Adieu. Adieu. Je ne sais pas une nouvelle. On parle même de la sante du Roi de Prusse. Armin croit qu’il s’en tirera. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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396. Paris, Samedi le 6 juin 1840

J’avais bien raison de détester vos courses. Je n’ai eu que de pauvres petites lettres. Je suis charmée que vous ayez trouvé peu de plaisir à Epsom, aussi charmée que vous l’ayez été sans doute lorsque je vous ai donné l’assurance que je n’irais jamais voir Melle Dejazet. C’est Ellice aussi qui voulait m’y entraîner, lui Lady Granville, la loge était prise, tout leur petit plan fait pour m’enlever par surprise, mais moi, je sais dire non tout de suite. Enfin Epsom c’est fini je n’y veux plus penser.
Je veux penser au mois de juin. Je pense à tous les détails. Décidément vous aurez vos heures où je serai out pour tous les autres. Nous déciderons cela tout de suite, et nos heures seront réglées selon vos convenances. Mais que Londres va me paraître étouffé, étouffant. Certainement, je ne tiendrai pas longtemps à Londres même quand j’y pense bien, assurément, si ce n’était vous je ne ferais pas ce voyage. J’y vois un peu plus de tracas que de plaisir.
J’ai dîné hier chez les Granville Ils étaient seuls. Le soir, j’ai vu chez moi M. Molé, les ambassadeurs, Armin,& & Les nouvelles de Berlin, sont meilleures vous le savez sans doute/ Ainsi mon programme est faux. M. Molé me dit que la gauche est furieuse contre Barrot. 40 des siens le quittent. Il n’apporte dans le camp ministériel tout au plus que 20 adhérents. Il faudra que Thiers le poste à la présidence et les Conservateurs joints aux extrémités le refuseront. Il nie qu’il puisse y avoir de meilleures relations entre Thiers et Le Roi. On me dit qu’il n’est pas vrai que M. de la Redorte aille à Madrid ; cela s’était établi dans le monde. Je ne sais ce qu’on pense ici du discours de Lord Palmerston. Mais la croyance générale est qu’on est assez près de la guerre. M. Molé a été frappé des paroles dites par Thiers à la chambre des Pairs sur la question de la banque. Il a fait entrevoir la guerre comme probable.
Je suis fatiguée, mais je ne suis pas si malade que je l’étais après que vous m’aviez annoncé Epsom. Adieu. Je ne songe plus qu’à Londres, j’écarte les idées de tracas, je m’attends au bonheur. Oui, un grand bonheur. Ah, que de causeries charmantes, quel débordement, Adieu. Adieu, mille fois.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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391. Londres, mardi 9 juin 1840
2 heures

A mon tour, j’ai une lettre bien courte ce matin. Mais je ne m’en plains pas. Je ne me plaindrai de rien cette semaine, ni la semaine prochaine, à moins que je ne me plaigne de vous ce qui ne sera pas. Je voudrais bien vous trouver quelqu’un pour vous accompagner. Pour calmer votre imagination sur du danger, il n’y en a point ; et la fatigue, un compagnon ne vous l’épargnerait pas. J’espère qu’elle ne sera pas grande. Le temps est beau. Quel dommage que je ne puisse pas aller vous prendre à Boulogne ? Ce serait si facile, si ce n’était pas impossible ? J’ai peine à voir d’où viennent vos pronostics de guerre. Je ne m’attends pas à ce qu’on fasse grand chose ici sur l’Orient. Et quand même on ferait quelque chose, je ne crois pas que la guerre en sortît. Je vous attends pour causer de cela, comme de tout. Quand nous pourrons causer que nous mépriserons ce qui s’écrit. Pendant qu’on hésite en Occident, Méhêmet Ali s’affermit et s’anime en Orient. Il agit partout où il y a des Musulmans ; il les rallie, il les échauffe. Il gagne chaque jour plus de crédit à Constantinople. Si on le pousse à bout nous aurons quelque étrange spectacle. C’est là du moins ce que promettent les apparences. Mais j’ai appris à me méfier des apparences et des promesses. Que la part de la charlatanerie est immense en ce monde ! Il y en a moins ici qu’ailleurs, et pourtant le humbug est grand ici !
Le Prince Esterhazy n’arrive pas. On dit qu’il ne se soucie pas de venir tant que l’affaire d’Orient durera. Et M. de Metternich non plus n’est pas pressé qu’il vienne. Il trouve que Neumann convient mieux à l’insignifiance, et à la tergiversation. Je n’ai point de nouvelles. On est encore aujourd’hui en vacances. Lord Palmerston ne revient que demain de Broadlands.
Le bruit court de nouveau que lady Palmerston est grosse ; bruit très général. On en parlait hier chez les Berry comme d’une chose que tout le monde savait. Il y avait hier chez les Berry, cette grande Miss Trotter qui a failli épouser M. de la Rochéfoucauld et qui ne l’a pas épousé parce qu’il n’a pas voulu lui permettre une femme de chambre protestante. Vrai type anglais grande, blonde, riche, belle avec de grands et gros traits, teint éclatant et sans finesse ; avide d’esprit, prompte à l’enthousiasme ; quelque chose de très sincère, et de très factice, l’air noble sans rien de distingué. En revenant de chez les Berry, j’ai passé un quart d’heure chez lady Jersey qui avait un petit rout. J’y ai vu vingt Miss Troller.
Dites-moi donc ce qui en est de Stafford house, et si on le met réellement à votre disposition. Je le voudrais bien pour que vous n’eussiez, point d’embarras. J’aime bien vos idées d’arrangement. Out pour tout le monde à des heures déterminées. Ne trouvez vous pas que, dans la jeunesse on aime l’imprévu et, quand on n’est plus jeune, le réglé ? Il y aura bien aussi de l’imprévu, et qui sera charmant. Mais le réglé fera le fond. de la vie. Je reçois ce matin une invitation du marquis de Hertford pour dîner à sa villa de Regent’s Park, qui paraît très jolie. Connaissez-vous beaucoup le marquis de Hertford ? Vous devriez dîner là. Adieu.
Je vous quitte pour écrire des dépêches. J’envoie un courrier ce soir. Il me semble que cette manie de voyage de la Reine d’Espagne fait assez de bruit. Le mouvement des journaux est vif pour envoyer M. de la Redorte à Madrid ! Ils montent à l’assaut. On me dit qu’il est bien trist’ le pauvre M. de la Redorte. Il ne se trouve pas tout le crèdit qu’il se croyait. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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401. Paris jeudi le 11 juin 1840
9 heures

Simon est charmant, il vient toujours de bonne heure. C’est un si doux réveil ! La mort du Roi de Prusse fait beaucoup de sensation. Lady Granville a été hier soir à Neuilly, elle dit qu’on est accablé. On dit : " C’était le seul souverain benveillant pour nous. " Et cela est vrai, j’ai éte chez elle en revenant de Boulogne où j’ai fait ma visite de députion. Il y avait tout le dîner de l’autre jour moins Thiers. (Rothschild est furieux contre Thiers pour cette affaire des juifs de Damas.) Les ambassadeurs en masse. A propos M. Molé et moi nous les trouvons bien bêtes tous. Vous verrez que le nouveau règne en Prusse sera en effet bien du nouveau et cela seul est un mal, car tout était bien sous me vieux roi. Pauvre esprit mais droit et juste. Celui-ci beaucoup d’esprit, l’esprit charmant, mais sans règle.
Je suis sûre que les Berry ont envie de vous faire épouser Miss Trotter, mais cela ne m’enquiète pas du tout. J’irai regarder ce qui m’inquiète, ou plutôt je n’y penserai pas du tout, n’est-ce pas ? Comment faire pour arriver sans partir ? J’ai horreur d’un départ, et quand cela est accompagné de mille tracas et désagréments qui sont pour moi seule je suis sûre, il y a de quoi se fâcher beaucoup contre... Voyons ? Contre celui-qui me fait partir, croyez-vous ? La Stafford house me fâche. Il est très vrai qu’ils ont écrit il y a trois semaines à Lady Granville qu’aussi tôt partis ils mettaient Stafford house à Westhill, leur villa à ma disposition. Mais il fallait me le dire à moi, ce qu’ils n’ont pas fait, et ce qui fait que cela ne veut rien dire du tout. En attendant on me dit que je suis très mal campée, il y a beaucoup d’étrangers arrivés ou arrivant cela me sera odieux. Et à Londres je trouverai cela très inconvenant pour moi.
Voilà pourquoi la fin du season m’eut bien mieux convenu à la veille des campagnes. Il me semble que je suis un peu cross, c’est vrai mais c’est par moment ; le fond est de la joie bien grande, bien intime, bien profonde ; de la joie comme la vôtre tout au moins. Le temps est charmant, j’espère qu’il se soutiendra. On continue à parler beaucoup des mutations prochaines dans la diplomatie. Bresson, Pontois, Latour Maubourg, Rumigny tout cela doit faire la seconde edition des préfets. Adieu. Adieu. Il y en aura encore quatre de Paris? Adieu.
Lady Palmerston m’annonce qu’Esterhazy arrive incessamment à Londres, et lors Beauvale. aussi et qu’on va faire les affaires à Londres. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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403 Paris, samedi le 13 juin 1840

Les Granville sont très bouleversés du coups de pistolet. Moi, je crains qu’on ne prononce en Angleterre le nom du roi de Hanovre. Quand il arrive une atrocité on pense à lui tout de suite. Je n’ai jamais vu d’homme soupçonné de tant de mal. Espagne occupe aussi ici. On ne comprend pas le voyage de la reine. Granville a l’air de croire à un mariage Cobourg. Le prince est parti d’ici il y a trois semaines sans qu’on sache pour où. M. Molé croit savoir que la Reine veut sortir du royaume et que cela est concerté avec l’Angleterre. Moi je ne sais rien.
Zéa est venue deux fois sans me trouver. Si j’ai le temps je la ferai encore venir avant mon départ.
Thiers a été chez Armin. Il lui a dit que Bresson quitterait Berlin sans lui dire qui serait le successeur mais on pense que ce sera M. Pontois et qu’ils changent de poste. Le duc d’Orléans est allé chez Armin aussi, très sévèrement affligé de la mort du roi. J’ai vu Armin. Il a l’air de craindre pour son compte. Le duc de Nemours est allé chez Granville hier au sujet du coup de pistolet. Granville a pris cela pour une visite de parenté Cobourg, et non de politesse française. Voilà le châpitre fashionable moves. Je n’ai rien fait hier que visites et préparatifs.
M. de Broglie va faire un voyage avec son fils, et puis ils passeront quelques mois en Suisse, il ne retournera à Paris que pour la session prochaine. C’est de Grainville que je tiens cela. Demain revue de la garde nationale. Il me semble que nous aurons beaucoup de choses à nous dire. Quel plaisir ! Votre lettre ce matin m’a donné deux plaisirs. Je ne puis vous les dire qu’à Londres. Mais soyez sûr que je suis heureuse, heureuse, et joyeuse. Je vous écrirai encore deux fois. J’ai vu Génie hier, je le recevrai Lundi. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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410. Stafford house samedi 8 août 1840
8 heure du matin

Je ne puis pas dormir, je me lève et j’ai été au jardin. Il y a un brouillard épais et froid un temps anglais bien triste, triste comme moi. J’ai vu hier lord Harry Vane longtemps. Homme sensé voyant les choses comme elles sont sans passion. Il regrette la querelle de personnes et trouve que les journaux français ont été maladroits sur ce rapport. Le discours de lord Palmerston avant-hier a eu du succès à la chambre du commerce. On l’a trouvé clair et satisfaisant. Lady Clauricarde prétend que M. de. Brünnow n’en est pas content quant à la partie qui nous regarde. J’ai vu Munchhausen, des bêtises. Lady Palmerston, très sereine, très contente. Les Russes ne disant et ne sachant rien. J’ai dîné trois avec lord & lady Clauricarde. Le soir la promenade en calèche avec elle, et je me suis couchée à 10 1/2. J’ai pu dormir. J’ai oublié hier, la duchesse de Bedford (régnante) et lady William Russell. La première était évidemment venue pour me sonder et apprendre si je connaissais la Reine des Belges. Ils arrivent ce matin, Il y a une soirée pour eux lundi, et mercredi la cour s’établit à Windsor. Lady William Russell dit qu’on est de bien mauvaise humeur à Holland house. Depuis que je sais Louis Bonaparte arrêté je suis plus tranquille.
Personne ici ne croit à votre retour. Moi je ne crois à rien dans le monde qu’à une seule chose.
Midi. Je me sens bien nervous aujourd’hui, plus que de coutume. Le brouillard est dissipé la chaleur est venue, elle ne me réchauffe pas.

1 heure
Je viens de recevoir votre petit mot de Calais. Je serais bien curieuse, bien anxieuse de celui que vous m’écrirez d’Eu. J’ai eu une longue visite de Benckhausen. Mes fils sont en règle. C’est la loi. Je suis charmée, Benckhausen affirme qu’à la cité personne ne croit à la guerre et qu’on pense que le Général français a fait toutes ces démonstrations pour pouvoir en jouir plus dignement. S’il en était autrement nous avons 28 vaisseaux de ligne à Cronstadt qui peuvent être ici dans 8 jours, et 14 à Sébastopol qui peuvent aller rejoindre la flotte anglaise dans le Levant, voilà les dires de la cité, et on est parfaitement tranquille. Je voudrais être calme et me bien porter, mais cela ne va pas M. de Bourqueney n’est pas venu me voir, je le regrette. Je suis assez seule et cela ne me vaut rien. Adieu. Adieu. J’ai une horreur d’écriture. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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401. Trouville, Lundi 10 août 1840
une heure

Je ne devrais plus vous écrire. Cette lettre-ci sera à Londres, Vendredi. Vous n’y serez pas. Et quand vous y serez, j’y serai. N’importe. Je vous écris. Je viens de recevoir votre lettre 409. J’ai oublié de numéroter les miennes. Il me semble que ceci doit être 405. Il y a trois jours, je ne me résignais pas aux lettres. Aujourd’hui une lettre vient de me charmer. Il fait très chaud, très beau. J’irai tout à l’heure promener ma mère et mes enfants, dans la forêt de Touques ; ma mère en calèche, mes enfants, sur des ânes. Ils sont bien heureux. Je les ai menés à la mer ce matin ; ils se sont baignés devant moi. Mad. de Meulan vient d’arriver. Elle retournera au Val-Richer demain. Ma mère et mes enfants samedi 15.
J’ai déjà parlé à Eu de mon congé en octobre. J’y compte. Toujours subordonné à l’état de cette malheureuse question d’Orient. Mais ou je me trompe fort ou elle sera immobile à cette époque. Le blocus durera sans aboutir. C’est, je vous jure un curieux spectacle que la complète opposition des conjectures sur le Pacha, les uns si sûrs qu’il cédera, les autres qu’il ne cédera pas. Très sincèrement sûrs. Il y a de quoi prendre en grande pitié les convictions diplomatiques. L’erreur sur l’insurrection de Syrie a été grossière ; elle n’a pas été un moment sérieuse, et Lord Alvanley est un badaud. Lord Francis Egerton a donné aux insurgés trois canons rouillés, et 800 fusils hors de service ; par ardeur chrétienne et pour affranchir les frontières de la Terre Sainte. Il n’y a eu personne pour se servir de ses fusils. Méhémet en profiterait s’ils étaient bons à quelque chose. Les Carlistes aussi ont eu la main dans l’insurrection ; par Catholicisme et par Carlisme. Tout cela a abouti à élever un nuage de poussière que Lord Palmerston a pris, pour un orage. De son erreur je conclus qu’il se trompe probablement sur Alexandrie comme sur Beyrout. M. Thiers est infiniment plus sceptique, plus modeste. Pourtant il ne doute pas de la résistance obstinée du Pacha.
Conseillez à Lady Clauricarde de retirer sa joie sur Louis Bonaparte. Elle a des joies un peu légères. Voilà les obsèques de Napoléon accomplies, tranquillement accomplies. Le Roi, ses ministres, le public, tout le monde est charmé. Le Bonapartiosme est tombé plus bas que l’insurrection de Syrie, le pauvre Louis Bonaparte ne voulait pas se coucher dans le château de Boulogne parce qu’il n’avait pas son valet de chambre pour le déshabiller. Et jeudi dernier, quand on l’a retiré de l’eau et conduit en prison, comme il ne voulait pas poser sur la pierre froide ses pieds nus (il venait d’ôter ses bas) un des gardes nationaux qui venaient de lui tirer des coups de fusil, l’a pris dans ses bras, et l’a porté sur son lit.
Vous avez bien fait de m’envoyer la lettre du duc de Poix. Il n’y a en effet rien à faire à présent. On a fait quelque objection à son fils, très haut. Cette nouvelle vilenie de Pétersbourg (pardonnez-le moi) m’a indigné comme si elle m’avait surpris. Je croyois que nous avions atteint le terme. Vous n’avez sans doute plus rien entendu dire de la prochaine arrivée. Vous m’en parleriez. Mais j’oublie que vous m’avez écrit vendredi, vingt, heures après m’avoir vu. Les heures sont bien longues.
Adieu. Ceci est pourtant ma dernière lettre. Mais non pas mon dernier adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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400. Trouville, Dimanche 9 août 1840
Une heure
Je suis arrivée ici, ce matin. La joie de mes enfants est charmante. Je voudrais vous en envoyer la moitié. Je ne jouis qu’avec remords de ce que je ne partage pas avec vous. Henriette m’a déjà demandé de vos nouvelles. Elle est comme vous dîtes ; elle a bien de l’esprit, dans le cœur. Je les ai trouvés à merveille tous les trois ; Henriette, forte et vivante ; les deux petits pas forts, mais très vivants et sans excès. Ma mère aussi est bien ; l’air de la mer lui a réussi. Elle vous aurait bien plu ce matin ; elle m’a reçu avec ce mélange de vivacité passionnée et de gravité pieuse qui n’appartient qu’aux natures méridionales. Ils retourneront tous au Val- Richer samedi 15. Moi, je les quitterai ici après demain mardi, à 4 heures. Je serai à Eu Mercredi matin. J’en répartirai, dans la nuit du Mercredi au jeudi, pour aller coucher à Calais, et vendredi, je dînerai à Londres. Il me semble que je vous ai déjà dit cela. Pourquoi ne vous le redirais-je pas ? Je me le suis déjà redit à moi-même plus de vingt fois. Je dois vous avoir écrit bien bêtement hier et avant-hier. Je vous ai écrit avec un ennui poignant. Vous m’avez grondé une fois de ce que je décriais les lettres quand il ne restait plus que cela. Il faut un peu de temps pour se faire à une telle décadence. J’aurai une lettre de vous demain. Vaudrait-elle mieux que les miennes ? A chaque nouvelle expérience de la séparation, je suis épouvanté du progrès. J’ai bien tort de dire épouvanté ; mais je ne veux pas parler vrai.
Ce qui est vrai, c’est qu’à tout prendre je suis content de ce que j’ai vu à Eu, des deux partis. J’ai vu, d’une part de la révolution, de l’autre, de la modération. Les penchants, les désirs au fond ne sont pas, les mêmes ; mais les conduites pourront fort bien s’accorder. On travaillera sincèrement à maintenir la paix ; on fera hardiment la guerre si l’occasion l’exige. Et on prévoit des occasions qui pourraient l’exiger. On ne provoquera point ; on ne commencera point. Mais on n’éludera point. Le pays est dans la même disposition ; nulle envie de la guerre, tant s’en faut ; mais un grand parti pris de ne pas accepter tel ou tel dégoût et d’accepter les sacrifices. C’est une démocratie fière sans exaltation et résigner à souffrir plutôt qu’ambitieuse et confiante. Vous verrez cette physionomie passer même dans la presse, malgré ses fanfaronnades, et ses colères. Je ne fais qu’entrevoir mon pays ; mais ce que j’en entrevois me convient. J’espère qu’il ne sera pas mis à de trop dures épreuves. Je crois qu’il s’y ferait honneur. Lord Palmerston m’a dit souvent : « Je ne comprends pas que vous ne soyiez pas de mon avis. On me dit ici la même chose à son égard. Il y a bien peu d’esprits qui se comprennent les uns les autres. Chacun s’enferme dans son avis comme dans une prison, et agit du fond de cette prison-là. Cette complète préoccupation de son propre sens joue dans les affaires un infiniment plus grand rôle qu’on ne croit. Voici ce que je n’ai pas entendu, mais ce qui m’a été répété bien authentiquement : - " Que deviendrais-je aujourd’hui si j’avais Molé pour ministre ? " Louis Bonaparte, et son monde vont être traduits à la cour des Pairs. J’ai peur que ceci ne vous arrive pas avant jeudi. Je suis hors des grandes routes. Vous accepter tel ou tel dégoût et d’accepter les sacrifices. C’est une démocratie fière sans exaltation et résigner à souffrir plutôt qu’ambitieuse et confiante. Vous verrez cette physionomie passer même dans la presse, malgré ses fanfaronnades, et ses colères. Je ne fais qu’entrevoir mon pays ; mais ce que j’en entrevois me convient. J’espère qu’il ne sera pas mis à de trop dures épreuves. Je crois qu’il s’y ferait honneur. Lord Palmerston m’a dit souvent : « Je ne comprends pas que vous ne soyez pas de mon avis. On me dit ici la même chose à son égard. Il y a bien peu d’esprits qui se comprennent les uns les autres. Chacun s’enferme dans son avis comme dans une prison, et agit du fond de cette prison-là. Cette complète préoccupation de son propre sens joue dans les affaires un infiniment plus grand rôle qu’on ne croit. Voici ce que je n’ai pas entendu, mais ce qui m’a été répété bien authentiquement : - " Que deviendrais-je aujourd’hui si j’avais Molé pour ministre ? " Louis Bonaparte, et son monde vont être traduits à la cour des Pairs.
J’ai peur que ceci ne vous arrive pas avant jeudi. Je suis hors des grandes routes. Vous serez déjà à la campagne. Je vous écrirai encore 400 demain, à tout hasard. Samedi, en revenant de West, vous trouverez une lettre et moi. Adieu. J’aspire à demain. Trois jours sans un signe de vie ! Cela m’est-il jamais arrivé ? Adieu Adieu. Adieu.
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