Guizot-Lieven

Correspondance croisée entre François Guizot et Dorothée de Benckendorff, princesse de Lieven : 1836-1857


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Mot(s)-clef(s) recherché(s) : Inquiétude

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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306 Paris lundi le 4 novembre 1839

Point de lettres de vous, ce matin. Qu’est- ce que cela veut dire ? Vous savez que l'inquiétude est ma disposition naturelle. Je serai donc très inquiète jusqu'à demain matin. Vous vous portiez tous bien. Mais tout est si fragile dans ce monde ! Je suis inquiète d’un autre côté aussi. La mer du Nord a été affreuse depuis huit jours, & c’est juste le moment où mon fils s'y est trouvé. Je tremble. Dites-moi que vous vous portez bien et qu’Alexandre est arrivé à Londres.
J'écris aujourd’hui au duc de Sutherland. Bulwer écrit à Cunning l'affaire ira vite maintenant. Je me suis décidée pour le Duc, parce que M. Pogenpohl m'a démontré que dans les mains d'un banquier. mon plein pouvoir entraînerait encore des frais pour 10 milles francs. C'est donc pure avarice ; c’est peut être aussi. plus de sûreté. Midi. Il fait un superbe soleil mais que me fait le soleil ; je n’ai point de lettre. Je reçois de quatre à 6 jusqu'au temps où je recevrai de 9 à 11 heures. Je n’ai à vous citer personne parce que je n'ai rien appris de nouveau hier. Pourquoi suis-je si inquiète ! J'écris aujourd’hui à Alexandre et le cœur me bat. Adieu, il y a encore dix jours jusqu'au 14. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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307. Paris, mardi 5 Novembre 1839

Pas de lettres encore aujourd'hui ! Que faut-il que je pense et comment voulez-vous que je ne sois pas inquiète, très inquiète. Je voudrais m'imaginer que c’est la poste et ses négligences qui me vaut ce chagrin. Mais deux jours de suite c’est trop pour cette cause. Vous ne savez pas à quel point je m’inquiète.
M. Molé m’a fait une longue visite hier, il repart aujourd’hui pour quinze jours il va chez Madame de Castellane. Il allait hier soir aux Tuileries. Son dire est un peu méprisant pour le ministère, et sans spéculation pour l’avenir. Il voit des hommes, mais il les voit toujours isolés sans moyen aucune de faire un pluriel. Il ne comprend pas cependant que le ministère tel qu’il est puisse aller à la rencontre des hommes puissants siégeant sur leur banc. Il critique fort l’affaire de Don Carlos. Il ne fallait pas le retenir trois jours. Aujourd'hui et tous les jours il sera plus difficile de le relâcher. On vient de bannir de Bourges un ami de Don Carlos auquel on n’avait accordé que depuis huit jours la permission de résider auprès de lui.
J'ai mené hier au soir la Princesse Saltykoff chez Lady Granville. Il y avait fort peu de monde. Pahlen s'annonce pour le 10 décembre. Je persiste cependant à douter qu’il vienne. Personne n’a vu l’Empereur depuis Borodico. Il ne quitte pas sa femme. Elle allait mieux cependant. Le pauvre Bulwer a un gros chagrin. Lady Granville recevra sa belle-sœur, je n’y puis rien. Je trouve qu’elle a tort, mais elle ne m’a pas demandé mon opinion. Je calme Bulwer de mon mieux.

Midi. Dieu merci, voici deux lettres ! J’étais excessivement agitée, je ne savais à qui demander, où envoyer. J’ai parcouru avidement les journaux cherchant votre nom. Cela n’avait pas le sens commun mais le cœur n’a pas beaucoup d'esprit. Je vous remercie de n’avoir pas eu d'accident. c’est donc le 13 que je serai contente. Demain en huit. Quel plaisir ! J'ai fait comme vous me dites, j’ai écrit au Duc de Sutherland, Bulwer a écrit à Cunning pour une interrogation simple, et l’affaire va finir. Pas de nouvelle d’Alexandre Il faut bien que je m’inquiète encore de ce côté.
Adieu. Adieu. Le journal des Débats et le moniteur me paraissent assez piquants. Adieu mille fois. Dites à votre poste de ne plus me donner de frayeurs. M. Bresson est arrivé de Berlin hier. On a trouvé fort mauvais à Berlin que le roi de Hollande ait reconnu Isabelle et on le lui a dit.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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3 Versailles, Samedi 2 Septembre 1843
6 heures du matin

Me voici bien véritablement à Versailles, mais cela ne me plait guère. L’appartement que j'occupe est au midi. J’étouffe. J’ai passé une nuit détestable. J’ai fait hier un mauvais dîner qui me dérange l’estomac. Enfin cela commence très mal. Je commence à me croire bête. Je ne sais pas les arranger. Kisseleff est venu hier à Beauséjour avant mon départ. Je voulais lui dire que le corps diplomatique se conduisait très sottement et lui insinuer par là la convenance de faire et dire autrement. Il s’est avoué coupable du pari, il les regrette extrêmement. Je l’ai rassuré, j’ai dit que quoiqu'on les sût on n’y ferait pas attention mais il faut qu'il règle son langage ou il a affirmé et je le crois qu’il dit à tout le monde en parlant du voyage " c’est un très grand événement ", & lorsqu'on lui jette à la face la petite fille. Il dit une petite fille qui est un roi, qui arrive flanquée de ses vaisseaux de ligne ; et accompagnée de son ministre, c'est le gouvernement, c'est l'Angleterre. Je l'ai loué et exhorté à continuer. Quand on a de l'esprit c’est comme cela, qu'il faut faire. Je voulais sérieusement rendre service à Kisseleff, et je suis sûre de mon fait en faisant ressortir que tous ses collègues sont des sots.
Ce pauvre Fluihman que j’attends qui est venu a été renvoyé brutalement par ce sot de Stryboss. Pauvre homme dans cette chaleur. Je lui ai écrit pour l’inviter ici aujourd’hui mais il ne me croira plus.
J’ai quitté Beauséjour à cinq heures, seule. J’ai dîné un peu tristement et mal. J'ai marché sur le pavé dans les ténèbres suivie d’Auguste. Comme c’est gai. Je suis entrée un moment chez Mad. Locke dont l'appartement touche au mien. Elle est très bête, sa fille a un ton de village, le mari ne dit plus un mot. Ce trio n’est pas soutenable si l'on ne vient pas me voir de Paris cette solitude sera intolérable.
J’attends votre lettre. Je voudrais bien savoir cette reine arrivée. Si elle tarde c’est autant de jours de pénitence de plus pour moi, et je les trouve déjà bien longs. Serra Capriela donne demain une soirée diplomatique au comte de Syracuse. Appony devait venir passer la journée chez moi, ceci l’en empêche.
Une heure. Voici votre lettre. Je vous en prie pas de galanterie en mer. Que le Roi n’aille pas au devant. La bonne grâce serait quand elle approchera et lorsque son bâtiment sera en rade. C'est-à-dire en parfaite sécurité, que le Roi monte en bateau ouvert pour la recevoir. Il est clair qu'il faut un bateau dans tous les cas. Je ne connais pas votre Tréport mais s’il est fait comme d'autres ports le bateau à vapeur n’arrivant pas jusqu’au bord il faut toujours se mettre en chaloupe pour aborder. C’est donc chaloupe que je voulais dire, et encore j'ai bien envie de m’en dédire. Je ne suis pas le moins du monde de votre avis sur ces sortes d’entreprises. " Là où il y a la plus petite chance d’un très grand malheur il faut s’abstenir ! " (traduction littérale d'un dicton Anglais.) Que le Roi reste chez lui. Et surtout pour Dieu que vous y restiez. Je n’aime pas toutes ces aventures. Ah que je voudrais qu’elle fut déjà là ! Votre lettre me fera trembler jusqu'à demain. Et puis je recommencerai. Vous me rendez très nervous par cette chance d’une promenade en mer si la Reine n’est pas arrivée demain quand vous lirez ceci, suivez-mon conseil. Je vous en conjure ; écoutez-moi.
Je vois que vous me voulez à Beauséjour. J’y retournerai puisque c’est votre volonté. Je coucherai encore ici aujourd’hui. Vous ne savez pas comme vous venez de m’inquiéter, et puis quand je me rappelle que nous nous sommes quittés si gais j'en reviens à un pressentiment triste. Je vous demande à genoux de ne pas vous embarquer, de ne pas embarquer le Roi. Adieu, adieu.
J'écris à Génie pour le prier de venir ici. Peut-être viendra t-il. Madame Narychkine revenue de Bade me rapporte la nouvelle que les trois filles du Grand Duc Michel se marient. L'ainée au Duc royal de Wurtemberg. La seconde au Duc régnant de Nassau. La troisième au Prince héréditaire de Bade. Tout cela d’excellents mariages. Et l’Empereur qui ne parvient pas à en faire de bons pour ses filles. Qu’est-ce que je vous dis là ! Je n’ai plus autre chose dans la tête que cette navigation du roi. Abominable idée jetez la par terre je vous en supplie. Adieu. Adieu. Adieu. Non pas gaiement du tout mais avec une horrible inquiétude. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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4. Versailles, Dimanche 9 heures 3 Septembre 1843

Le télégraphe annonce le passage devant Cherbourg hier à 6 h. du matin, elle sera donc arrivée hier à Eu. Et que vous ayez été en mer à sa rencontre ou non, Dieu merci le temps est et a été beau, je suis donc un peu tranquille et j’attends la nouvelle et vos nouvelles.
Hier Pogenpohl est arrivé, pendant que je dinais, je suis bien aise. Il dinera et promènera avec moi, that is a great help. A 8 heures Génie est venu. Nous nous sommes réciproquement communiqué au fond, c’étaient les même choses. Il ne voit pas pourquoi je me dérangerais. Si elle vient à Paris c’est autre chose, c'est-à-dire si on apprend qu’elle doit y venir. Vous voyez que tant qu’elle reste à Eu, je peux bien rester à Versailles, car ou on a rien à faire ou à décider à Paris, aucun conseil ou idée possible à donner parce qu'on n'en a pas besoin. J'ai bien envie qu’elle n’y vienne pas. Un accident, serait quelque chose d'épouvantable quand on s'engouffre dans cette idée cela fait maigrir sur place de terreur. La demeure aux Tuileries est mauvaise pour cela, car elle sort le matin de bonne heure à pied. Elle voudra sortir dans le jardin. La retenir prisonnière est si gauche. L'exposer est si terrible. Au fait l’Elysée Bourbon si elle veut Paris, c'est-ce qu’il y a de mieux. Mais j'aime mieux qu’elle ne veuille pas. Elle devrait traverser Paris incognito, voiture ordinaire, coucher à St Cloud. Voir Versailles and go home that would be the good thing. Vous allez me dire tout cela. Que vous devez être content ! Savez-vous que plus on y pense plus on trouve qu’il y a de quoi. C'est superbe et excellent. Pogenpohl me dit qu'à Paris l’effet est immense. Dans les rues partout, on ne parle que de cela. C'est une époque dans un règne. Quel joli petit paragraphe cela fera dans le discours d'ouverture des Chambres. Je voudrais bien être à Vienne, Berlin & Pétersbourg pour une demi-heure. Certainement, le soufflet est gros. Génie croit savoir qu’Armin en est le plus non pas dépité, mais chagriné par le mauvais air que cela donne à la maussaderie de son Roi il y a 1 an 1/2. Il dit savoir aussi que le langage d'Appony s'est amendé. Je verrai cela. Je suppose qu’ils viendront demain ne pouvant pas venir aujourd'hui.

Midi. Voici Génie qui me fait la gracieuseté de m’envoyer un homme exprès pour m’annoncer l'arrivée de la Reine, et m’envoyer en même temps votre lettre N° 3. Dieu merci, et merci que je suis contente, et que j'ai été bête hier avec mes terreurs. Mais vous ne vous serez par fâché. Vous ne vous fâchez pas contre moi vous savez d’où viennent mes bêtises.
Ce que vous me dites de Metternich à propos du mariage de Don Carlos m'amuse. C’est bien lui ! Qu'il va se trouver nigaud avec son idée correcte ! Mais savez-vous ce qui arrivera ? C’est qu’entre ceci dont l’Espagne ne voudra pas, Naples que l’Autriche empêchera. Les autres retrouvés par d’autres motifs, quand il ne se trouvera plus de Bourbons, que personne ne peut vouloir un de vos fils, et que vous ne pouvez pas permettre un Autrichien, on finira par trouver le Cobourg le plus inoffensif, en même temps que le lien entre l'Angleterre et la France. Prenez garde à la possibilité que l’affaire prenne cette marche-là. Arrangez-vous pour Naples avec Angleterre. C'est la bonne affaire. Pogenpohl qui a des correspondances beaucoup à Florence où il a longtemps résidé dit que le Lucques est un charmant garçon. Pourquoi pas Lucques si Naples n’allait pas ? Adieu. Adieu.
Je rabâche. Je suis in the highest spirits de savoir la Reine en France, à Eu. C'est une perfection. J'oublie de vous dire que j’ai bien dormi, que je suis mieux. à 7 1/2 j’étais sur la terrasse du palais, pas une âme que la sentinelle. Un air pur excellent. Adieu. Adieu. Que je suis impatiente de votre prochaine lettre. Adieu ever adieu. Remettez ceci à Lady Cowley.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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9. Beauséjour Mercredi le 6 septembre 1843

Me revoilà dans mon home et j'en suis bien aise. J’ai encore dîné hier à Versailles et j’étais ici à 8 heures, & dans mon lit à 9. J'ai bien dormi jusqu'à 6 heures. à 7 heures j’étais sur les fortifications, je viens de faire ma toilette et me voici à vous. J’attends votre lettre. Le Galignani et les journaux ont devancé votre récit. Je sais que Lundi s’est bien passé. Belle promenade & concert. Je voudrais que tout fut fini. Dieu merci c'est le dernier jour.
Kisseleff est venu me trouver à Versailles hier sur les 3 heures, nous ne nous sommes vus seuls que dix minutes. Le Duc de Noailles est arrivé. Dans les 10 minutes il m’a dit qu'il avait écrit à Brünnow ceci : " On dit que le corps diplomatique (de Paris) montre quelque dépit de l’entrevue royale, quant à moi je me tiens dans un juste milieu. Je dis que c'est un événement très favorable au Roi et à son gouvernement et voilà tout. Si les autres disent plus ou autrement je trouve que c’est de la gaucherie. " Je l'ai encore loué. Il me dit qu'Appony avait changé de langage. Je le savais moi-même de la veille. Il est évident que c’est le rapportage de Molé et La confidence que je lui en ai faite qui ont amené ce changement. C'est donc un service que je lui ai rendu. Mais il n'en sort pas sans quelque petits blessure.
J’ai régalé le duc de Noailles de tout ce récit qui l’a fort diverti. Il a jugé l'homme comme vous et moi. Je lui ai dit qu’on savait que son langage à lui était très convenable. Cela lui a fait un petit plaisir de vanité. Il est évident que tous les jours ajoutent à son éducation politique, et qu’il meurt d’envie de la compléter. Je lui ai lu ainsi qu'à Kisseleff les parties descriptives de vos lettres. Cela les a enchantés surtout le duc de Noailles. Il trouve tout cela charmant, curieux, historique, important. Non seulement il n’y avait en lui nul dépit mais un plaisir visible comme s’il y prenait part. Je lui ai lu aussi un petit paragraphe, où vous me parlez du bon effet du camp de Plélan. Il m’a prié de le lui relire deux fois. Il est évident qu'il voudrait bien qu'on se ralliât. Il suivrait, il ne sait pas devancer. Il m’a parlé avec de grandes éloges du Roi, et de vous, de votre fermeté de votre courage, de votre habileté, de votre patience sur l’affaire d’Espagne. Il est très Don Carlos il a raison, c’est la meilleure combinaison parce qu'elle finit tout et convient à tous. Mais se peut-elle ? Il regrette que la Reine ne soit pas venue à Paris. " Un jour pour Paris, un jour pour Versailles. Elle aurait été reçue parfaitement. Le mouvement du public est pour elle aujourd’hui tout à fait. Une seconde visite sera du réchauffé. Aujourd’hui tout y était, la surprise, l’éclat. " C’est égal j’aime mieux qu’elle n'y soit pas venue. Kisselef m’avait quittée à 4 1/2 pour s’en retourner par la rive droite. Comme le Duc de Noailles partait par la gauche nous avons eu notre tête-à-tête jusqu'à cinq. Kisseleff partait triste, il avait peu recueilli. Tous les deux avaient dû dîner en ville et n'ont pas pu rester. J’ai dîné ave Pogenpohl que j’ai ramené jusqu’ici. J’ai remarqué qu'il en avait assez de Versailles. Un peu le rôle de Chambellan. La promenade et le dîner, et encore par la promenade quand j'en avais un autre. Mais c’est juste sa place.

Onze heures. Voici le N°8 merci, merci. Que vous avez été charmant de m'écrire autant ! Enfin vendredi je vous verrai c’est bien sûr n’est-ce pas ? Passez-vous devant Beauséjour ou bien y viendrez-vous après avoir été à Auteuil ? Vous me direz tout cela. Que de choses à me dire ; nous en avons pour longtemps. Et puis, l’Europe a-t-elle donc dormi pendant Eu ? Comme nous allons nous divertir tous les jours des rapports de partout sur l'effet de la visite ! J’irai ce matin en ville mais tard. Je passerai à la porte de Génie pour causer avec lui. Et puis commander ma robe de noce pour lundi. Ensuite en Appony pour voir le trousseau. J’y resterai pour dîner. Voici donc ma dernière lettre. Adieu. Adieu. Adieu. Apportez-moi moi la jarretière, je m’inquiète que vous ne m'en parlez pas. Ce que vous dites de la princesse de Joinville est charmant ! Adieu encore je ne sais pas finir. Adieu. Prenez soin de vous demain. J’ai si peur de la mer. Et puis j’ai peur de tout. Revenez bien portant, revenez. Adieu. Je me sens mieux aujourd'hui.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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2. Paris lundi 7 octobre 1844,
1 heure

Voici ma seconde lettre depuis votre départ. Départ, absence, c’est abominable. Je ne suis pas raisonnable. Je m’inquiète, je me désole. Hier je suis arrivée à 5 1/2 à Champlatreux. Très bonne et Gracieuse réception, M. & Mme Molé sur le perron. Personne au Château que M. & Mme de la Ferté & Madame, je ne sais what de l’aigle. Petite femme une lionne.
Le diner à 7, la causerie générale jusqu'à 10 1/2. Ce matin à 9 heures promenade à pied dans les serres, & à 9 1/2. All night go on. J’étais ici avant midi. Il ne s’est pas dit un mot de politique. L’humeur est douce & galante.
Voilà Génie qui entre votre lettre à la main. Belle lettre ! Belle aventure. Vous voyez bien que vous ne songez à rien. Que personne ne s’occupe de vous, et de ce qui vous regarde chez vous. Partir avec une roue qui ne tourne pas ! Rester pour cela cinq heures de plus sur la grande route. Coucher dans une méchante auberge. Une chambre qui n’aura pas été avec des matelas froids, du linge humide. Un stupide valet de Chambre qui n’aura su rien faire ! Je suis dans une colère, ah mon dieu, que je suis en colère ! Ce voyage commence mal. Je vais plus que jamais me chagriner. Je ne saurais rien vous dire que mon désespoir.
Le temps est clair, mais le vent est très froid et très contraire et suffisamment fort pour vous rendre bien malade. Si vous étiez très bien portant, très fort, je serais très inquiète. Voyez un peu ce que je suis aujourd'hui ! 3 heures
Je viens de voir Appony & Bacourt. Point de nouvelles, ils m'en demandent. Voici une lettre de Lady Palmerston reçue à l’instant et que je vous envoie. Ils ne viennent pas à Paris. No harm. Adieu. Adieu, plus que dearest. Si vous pouvez vous soigner. Si je pouvais avoir demain de bonnes nouvelles. Et que je serais contente. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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3. Paris Mardi 8 octobre 1844 à 11 heures.

Quel bon réveil ! Une lettre de vous, je m’agitais dans mon lit pour deviner comment s’était passé cette nuit de Dieppe, & puis les assassins et tous les autres dragons que je me mets en tête. Lorsqu'on m’apporte votre lettre d’Eu. Je n’ai pas besoin de vous dire mes rages, mes imprécations au récit de vos aventures. Pas de places aux postières ! Il ne manquait plus que cela ! Et par une soirée froide humide, et le vent en face. Ah mon Dieu ! Vous voyez que tout le monde autour de vous est bète. Comment est-ce que Herbert vous a envoyé une voiture comme cela. Vraiment je suis en fusion. Jamais je ne l'ai été autant. Mais voyons. Le nuit a été calme, je n’ai pas dormi ainsi je sais très bien que j’aurais pu dormir sans inquiètude. A huit heures épais brouillard, mais vous étiez in smooth water. A présent, brillant soleil. L’arrivée doit être belle. Et mon dieu je me figure cela, & Dieu sait ce qui se passe ! A distance le plus sûr c’est d'être toujours alarmée.
Que de serment je fais à chaque séparation, de ne jamais en espérer de vous ! Il y avait l'Angleterre à dîner hier chez les Appony j’y ai diné aussi ; il n’y avait que cela. Aujourd’hui répétition chez les Cowley. On parle beaucoup du voyage.
Je suis restée jusqu'à 10 heures, & puis je suis revenue trouver mon lit. J’ai écrit à mon fils en lui envoyant toute ma correspondance sur son affaire. Comme la paquet est gros c'est à vous que je l'adresse. Ayez la bonté de le faire passer à Londres. Pilot a promis de s’engager par écrit pour l’année prochaine. Je n’ai pas entendu parler de Morny. Vraiment vos journaux sont des imbéciles. Vous ferez fort bien de dire à Windsor que personne ici ne fait attention à toute ces sottises qui se disent sur la visite du roi. C'est vrai, car c'est trop bête. Voilà vite qu'on me demande ma lettre. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris lundi le 14 octobre 1844, onze heures.

Vraiment vos lettres sont the most satisfactory imaginable. Tout est parfait. Il ne me reste plus qu’un bon passage, et une journée sans accident Mercredi, et je serai merveilleusement contente et heureuse. J’ai regardé déjà cent fois le ciel. Il y a des images, il y a des vents ! Je suis sortie hier quoiqu’un peu malade, j'ai eu tort. Je ne bougerai pas aujourd'hui. Outre mes crampes d'estomac je me suis enrhumée et je tousse beaucoup. Mais ce ne sera rien. Que les journaux sont charmants à lire. Comme cela fera enrager bien loin d'ici. Quel contraste. J’ai vu hier matin les Appony. Bacourt, Fleichman, Lady Cowley, le diplomates croient que le voyage fera un immense effet en Europe. Certainement il ne restera indifférent pour personne. Les meilleurs en resteront embarrassés. Pourquoi ont-ils peur, pourquoi en viennent ils pas rendre hommage ici ? Voilà le premier pays du monde comblant le roi de respect au delà de ce qu'on a jamais vu pour un monarque étranger. Quant aux malveillants imaginez ! Je ne sais pas vous parler d’autre chose d'ailleurs je ne sais rien. J’ai encore passé la soirée chez Annette. Elle se remet.
J’attends Génie. Il n’est pas si exact que vous. Hier il était bien content des nouvelles de Windsor. Il ne le va pas [l'être] moins aujourd’hui.

3 heures. Voilà Lady Cowley & Kisseleff dan ma chambre. Pas possible de continuer. Le temps est noir, du vent, ah mon Dieu, que je vais être inquiète. Adieu. Adieu. Adieu. Mille fois, ayez une bonne traversée. Revenez bien portant. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris, le 15 octobre Mardi

Vous comprenez que je n’ai pas fermé l’œil de toute la nuit que chaque coup de vent me faisait bondir d’effroi. La suite de cela est que je suis parfaitement malade. A 10 heures Génie m’apprend que vous êtes à Douvres. J’ai rendu grâce à Dieu. Mais maintenant il faut encore que je vous sache à Calais. Et quand je saurai cela je m’inquiéterai de votre fatigue. Vous ne pouvez arriver dit-on à Eu que fort avant dans la nuit. Vous avez à passer deux nuits sans repos. Si vous êtes clever, vous vous reposerez à Eu toute la journée de demain & la nuit d’ensuite et vous ne reviendrez que jeudi. Pourquoi vous fatiguez hors de mesure ? Je vous l'ai déjà dit je saurai attendre. Songez d'abord à votre santé.
Vous me trouverez un peu malade, mais j’ai Marion pour me soigner. Je n’ai pas bougé hier, je ne bougerai pas aujourd’hui. Le Roi ne sait pas comme j'ai été occupée, inquiète de lui. Il ne faut pas faire des visites en octobre. Adieu. Adieu.
La vraisemblance est que cette lettre ne vous arrivera plus, que vous serez parti, j'ai cependant voulu essayer encore. J’ai eu aujourd’hui votre dernière lettre de Dimanche. Comme tout a bien été là ! Comment cela ira-t-il ici. Adieu. Adieu soignez vous je vous en conjure. Adieu. dear, dear, dearest.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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18 Londres jeudi le 14 août 1845, à midi

Décidément je me suis encore trompée de N° & celui-ci est le 18ème. Votre dîner hors de chez vous, dimanche dernier me dérange. Je crains une indigestion ; & puis un assassinat, ou bien, une voiture versée. Vous savez comme je suis, parfaitement déraisonnable. Je suis tranquille quand je vous ai à Beauséjour, chez moi, ou bien dans votre cabinet que je regarde.
Hier longue promenade & causerie avec Dédel qui a tout plus de good sense & d'esprit & de connaissance de ce qui se passe ici. Beaucoup de monde chez moi le matin car tout ce qui est resté vient. Bulwer je crains me fera faux bon. Il voudrait que je retarde, & moi, je suis décidée à partir après demain. Flahaut part Lundi mais tout le monde va par le rail way. Il n'y a plus que moi dans le monde qui me serve de très mauvais chevaux de poste. Je ne sais vraiment qui partira avec moi, & je ne veut pas partir seule. Lady Cowley m’attend avec impatience et curiosité à Boulogne. J’y serai sans doute dimanche à moins de mauvais temps.
Je vous ramène des yeux assez ressemblants à ceux que j'avais en vous quittant, mais il est bien avéré que ce n’est que de l’ennui, des soins, des précautions, des privations, mais point de véritable danger. Il n’y a que Verity qui sache me traiter. Il sera à Paris au commencement de septembre. Londres est parfaitement dull, plus un seul homme public, et pas une nouvelle. Adieu, adieu, j'ai des yeux très capricieux et j'y ai mal dans ce moment, il faut que je vous quitte. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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29 Val Richer, Mercredi 27 août 1845
9 heures

Quand vos inquiétudes ne durent pas assez longtemps pour vous faire mal, je vous les pardonne aisément car je les aime. Donc la première page du N°28 est pardonnée. Je ne suis jamais étourdi pour vous, sachez bien cela. Vous partez aujourd’hui. Vous serez à Beauséjour demain. Moi le surlendemain. Plus j’y pense plus je trouve cela charmant.
Presque toute ma maison part vendredi, et sera arrivée samedi matin. Guillet en tête. Il m’aime de tout son cœur. Je lui avais permis d'amener ici sa femme qui était souffrante. Elle s’en retourne se portant à merveille. Je pense qu'en arrivant vous avez fait appeler Charles.
Vous n'aurez que quelques lignes ce matin. Je viens d’écrire une longue lettre à Piscatory. Je n’aime pas cet excès de triomphe de Colettis et du parti français. J’espère que les deux hommes. Colettis et Piscatory, auront assez d’esprit pour comprendre cela. Je le leur explique et le leur recommande très bien. La sédition de Madrid est réprimée. Cela recommence souvent. Pour cette fois, il y avait une cause sérieuse. Le nouveau système de finances de M. Mon augmente les impôts & fait user les abus. Les fripons et les contribuables se défendent. J’espère qu’ils seront battus. Le gouvernement Espagnol a besoin d’argent. Il en prend à ceux qui en ont et ne souffre plus qu’on le vole. M. Mon est un honnête homme et un homme de courage. Je viens de lui faire donner le grand cordon. Il faut soutenir les amis. Quoique tout soit bien précaire dans le pays, j'ai assez bon espoir. Bresson est à Bayonne, attendant M. le duc de Nemours qu’il accompagnera à Pampelune. Adieu. Adieu.
J’ai plusieurs ordres à donner à Génie, ma toilette à faire, 25 personnes à déjeuner. C'est le dernier. D'après vos lettres, je suis content de vos yeux. L’écriture est ferme. Et puis vous n'en parlez pas. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton lundi 30 octobre 1848

Je suis tout à fait triste de ne pas savoir un mot de vous depuis vendredi soir, triste et fâchée. J'ai vu hier Aggy. Effrayante. Une vielle femme. Le front ridé, les dente noires, quelques rares cheveux, du ventre, du reste un squelette. Pâle comme un linge et cependant elle a plutôt l’air convalescente que malade. Alvandy bien vieilli, ne pouvant pas bouger. Mais l’esprit serein, drôle, sensé. Je n’ai pas été chez la Metternich. Ils sont venus chez moi sans me trouver. Aujourd’hui j’irai là, si l'avenir m'y pousse. M. Morrier est venu me voir. Homme d’esprit, homme du monde. Sachant causer de tout, parlant très bien le français et très mal de Lord Palmerston. Je n’ai pas vu de journal encore aujourd’hui.
Mon ménage n’est pas monté. Je vous écris aux sons de la voix de Jenny Lyard, elle est au dessus de ma tête. Voix bien pure, bien juste très remarquable vraiment, méthode un peu allemande et imitant très bien, un violon bien doux. Ce n’est pas ce qu'on demande à une voix.

4 heures. Pas un mot. Tout est venu de Londres pour tout le monde. Rien pour moi. Je suis bien misérable. Avez- vous voulu me punir d’être venu à Brighton ? Je ne vous dirai plus rien. Je ne sais rien. Je m’agite et m’inquiète. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Mercredi 15
3 heures

J’arrive sain et sauf et je vous tire d'inquiétude. On a toujours raison d'être inquiet Je trouve bien des lettres en arrivant.
Rien de bien nouveau, sinon que mon procès sera vidé avant l'élection du Président. C'est le procureur général qui me le fait dire. Situation beaucoup plus commode. J’en suis donc fort aise. Mais ce que je ne comprends pas ce qui est très grave, c’est l'article des Débats. La guerre au Constitutionnel. Je n’ai pas un mot qui m'explique cela. Je crains qu’on n'ait mis la main sur quelque escamotage de T. et qu’on ne se soit cru forcé de le déjouer. Enfin, je ne sais pas.
Voici une lettre assez curieuse de Mad. de M.. mon hôte le 24 février. Renvoyez-la moi tout de suite, je vous prie. Adieu. Adieu. Je ne veux pas manquer la poste. Quelle jolie journée. Pas toute une journée. Adieu, un billet de Montebello. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Que vous arrive-t-il donc ? Point de lettre de vous hier. Point ce matin. Ni vous non plus. Êtes-vous malade ? Il est quatre heures. Je suis vraiment inquiet. Si vous ne venez pas ce matin, et si je n’avais pas de lettre demain matin, je serais très inquiet. J’irais à Richmond sur le champ. Je ne comprends pas. C’est une séparation qui commence mal. Dieu veuille que ce ne soit qu’un commencement ! Point de nouvelles aujourd’hui. Je ne suis pas allé à l'Athenaeum. Je vous attends. François Delassort et sa femme sortent de chez moi. Ils sont arrivés hier. Bien sombres. Mais point de fait nouveau, et précis. Ils viennent passer un peu de temps. Mais qu’est-ce que cela me fait ? J'espère bien que vous n'êtes pas malade, si vous êtes malade, comment ne m'avoir pas fait écrire un mot ? Adieu. Adieu

Brompton, Dimanche 3 Juin 1849 4 heures

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Mardi le 19 juin

C’est cela. L'absence est cause de tout. Ensemble, toujours ensemble, et il n’y aurait jamais de nuage, et je suis condamnée aux accident de nuages ! Ma vie ne sera plus longue et je crains qu’elle ne soit triste ! Qu’allons nous devenir. Je ne vois rien de clair, rien de bon. Je passe mes nuits à penser à cela. Je vous renvoie la lettre de Beyier. Elle m’a intéressée. Vous voyez, lui aussi pour le président. Il m'est venu hier beaucoup de monde. La duchesse de Beaufort, lady Wilton, la princesse [Crasal?] les Delmare. Le soir j’ai passé un moment chez les Metternich. Il est bien tout-à-fait !

5 heures Je rentre de ville. Déjeuner manqué à droite et à gauche, j’ai fini par le prendre au Clarendon. La duchesse de Cambridge sombre pour l’Allemagne je ne sais pourquoi. Une longue lettre de Constantin du 8. Des forces immenses le 14 ou 15 au plus tard on attaquera sur toute la ligne. Lui-même venait de recevoir l’ordre de départ n'osant pas dire où. Paskevitch parti le 10. L'Empereur allait à Cracovie. Le 14. Lenchtenberg. Mouralt ainsi que la fille du G. D héritera. L'Empereur toujours en pleurs. Le temps est laid. Je ne suis pas sûre d'aller demain en ville. Il faut que je sois ici à 4 h. En tout cas je serais pressée. Si je ne viens pas vous m'écrirez, & puis lundi vous viendrez. Adieu. Adieu. Adieu.
Je vous envoie le relevé des forces.
205 bataillons
187 Escadrons
370 Pièces d’artillerie
Voilà Russes et Autrichiens
De plus Tellachich 45 000 hommes & les Services venaient d’offrir 50 000.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mardi 24 Juillet 1849 8 heures

Je n'ai pas encore reçu le Galignani. Cela m'impatiente. Je voudrais voir ce qu'a dit Lord Aberdeen du Roi, et de moi. Il faudra me faire à la patience. La différence est grande entre habiter Paris ou Londres et ma maison au milieu des bois, à trois lieues même de Lisieux. Tout se fait attendre. Ce n’est pas la place des fantaisies pressées. Une seule chose du reste m'est nécessaire, la régularité des lettres, et j'espère qu’elle ne me manquera pas. L'inquiétude par dessus l’impatience serait insupportable. Le choléra à Brentford me préoccupe et j’éprouve ce qui me déplait le plus, un sentiment combattu. En même temps que je m'inquiète, je voudrais vous rassurer. Je cherche les raisons qui vous conviennent à vous, et je trouve surtout celles qui ne me conviennent point à moi. Après tout voici ce qui me rassure le plus. Ne vous en inquiétez pas. Il y a eu et il y a encore dans ce pays-ci quelques cas de choléra, épars et rares. Quand l'épidémie n’est pas plus intense, elle n'attaque presque jamais que ceux qui commettent vraiment des excès ou des imprudences. J'ai vu depuis trois jours trois médecins, un de Paris, et deux d'ici, qui me l'ont tous affirmé et prouvé par les exemples. Il en est très probablement de même en Angleterre, et à Richmond comme à Lisieux. Je vous répèterai sans cesse ; point d'imprudence et votre promesse.

Le discours de M. de Montalembert vous aura plu, beaucoup d'esprit, de l’esprit de bonne compagnie, et un cœur chaud et sincère. Jules Favre, un sophiste habile, qui excelle à dire des généralités à peu près vraies et à en faire des applications parfaitement fausses. C'est le grand art des révolutionnaires ; moralistes sur la scène coquins dans la coulisse et glissant très adroitement de l’une dans l'autre. Odilon Barrot a été bien ridicule avec ses prétentions, à la fois pompeuses et embarrassées, à la consistance et à la libéralité imperturbable. C’est toujours le même homme. Le repentir même ne le change pas.

Onze heures
Point de lettre. J’ai envie de dire comme vous ; c’est parce que j'ai parlé de la régularité de notre correspondance ! Toute vanterie porte malheur. J'espère que le dimanche est pour quelque chose dans ce retard. J'attendrai demain avec une double, triple impatience. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 31 Juillet 1849 7 heures

Qu'aurez-vous fait ? Où êtes- vous ? Comment êtes-vous ? Je ne puis pas penser à autre chose. J'espère que vous serez allée à Brighton. J'en ai eu hier des nouvelles. Sir John Boileau y est. Il parle du bon état de l’endroit, de la bonne disposition de ceux qui y sont, sans doute le choléra n’y est pas. Et la peur que vous avez du choléra m'inquiète autant que le choléra même. Quand je l’ai eu en 1832. Mes médecins, Andral et Lerminier, ont dit que, si j'en avais eu peur il aurait été bien plus grave. Je n'en avais point peur. Que je voudrais vous envoyer ma disposition ! Et aujourd’hui mardi, je n'aurai même pas de nouvelles de ces nouvelles déjà vieilles de 48 heures. J’espère que vous aurez vu M. Guéneau de Mussy. Il me paraît bon pour donner un bon conseil et de l’appui, aussi bien que des soins. Je serais étonné s’il ne s’était pas mis complètement à votre disposition. Demain, demain enfin, je saurai quelque chose. Quoi ?
Dearest, je veux parler d’autre chose. Voilà l'Assemblée prorogée. Avec une bien forte minorité contre la prorogation. Je doute que ce soit une bonne mesure. Dumon, qui va venir me voir, m'écrit : " Vous êtes arrivé au milieu d’une crise avortée. Le Président ne fera pas son 18 Brumaire dans une inauguration de chemin de fer et l’Assemblée n'a d’énergie que pour aller en vacances. Le parti modéré n'a ce me semble, que les inconvénients de sa victoire. A quoi lui serviront les lois qu’il fait si péniblement ! Est-ce le mode pénal qui nous manque ? Mais déjà les dissentiments percent, dans la majorité. Elle se divise comme si elle n’avait plus d'ennemis. Je crains bien que le parti légitimiste ne soit avant longtemps, un obstacle à la formation, si nécessaire du grand parti qui comprendrait les libéraux désabusés, les conservateurs courageux, et les légitimistes raisonnables. Il a bien bonne envie d'exploiter à son seul profit, cet accès de sincérité qui fait faire depuis huit jours tant de confessions publiques, et il semble disposé à marchander l'absolution à tout le monde, sans vouloir l'accepter de personne. Tout ce que je vois, tout ce que j’entends dire me donne une triste idée de la situation du pays. Avec l'économie sociale d’une nation civilisée nous avons l’état politique d’une nation à demi barbare. L'industrie et le crédit ne peuvent s’accommoder de l’instabilité du pouvoir ; la douceur de nos mœurs est incompatible avec sa faiblesse. Nous ne pouvons rester tels que nous sommes ; il faut remonter ou descendre encore. Notre faiblesse s'effraie de remonter ; notre sybaritisme s'effraie de descendre. Il faut bien pourtant ou travailler pour le mieux, ou se résigner au pis : tout avenir me semble possible excepté la durée du présent. Je ne crois pas que la prolongation (je ne dirai pas la durée) du présent soit si impossible. Le pays me paraît précisément avoir assez de bon sens et de courage pour ne pas tomber plus bas, pas assez pour remonter. On compte beaucoup, pour le contraindre à remonter sur l’absolue nécessité où il va être de retrouver un peu de prospérité et de crédit qui ne reviendront qu’avec un meilleur ordre politique. Je compte aussi, sur cette nécessité ; mais je ne la crois pas si urgente qu’on le dit. Nous oublions toujours le mot de Fénelon : " Dieu est patient parce qu'il est éternel. " Nous croyons que tout ira vite parce qu’il nous le faut, à nous qui ne sommes par éternels. Je suis tombé dans cette erreur-là, comme tout le monde. Je veille sans cesse pour m’en défendre. Je conviens qu’il est triste d'y réussir ; on y gagne de ne pas désespérer pour le genre humain ; mais on y perd d’espérer pour soi-même.
Dîtes-moi qu’il n’y a plus de choléra autour de vous et que vous n'en avez plus peur, je serai content, comme si j’espérais beaucoup, et pour demain.

Onze heures Je n'attendais rien de la poste et pourtant. il me semble que c’est un mécompte. Adieu, adieu, adieu, dearest. God bless and preserve you, for me ! Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 6 oct. 1849
Six heures

Je suis charmé que vous soyez un peu rassurée. La guerre pour un tel motif, m’a paru, dès le premier moment, quelque chose de si monstrueusement absurde que je ne suis pas venu à bout de la craindre. Je vois, d’après ce qui me revient. de Paris, que personne n'a été et n'est inquiet. Je n'en attendrai pas moins avec grande impatience le dénouement. Votre inquiétude m'a préoccupée presque comme si je l’avais partagée. Vous êtes-vous donné le plaisir de lire ce matin, dans les Débats d'hier, l'inquiétude de M. de Lamartine craignant d’être brouillé avec Louis Blanc? J’ai rarement vu une bassesse plus étourdie et plus ridicule. Qu’y a-t-il de nouveau dans vos yeux ? Est-ce Travers que vous êtes allée voir ? Verity est-il revenu à Paris ? Comment fait Lady Normanby depuis que son médecin de confiance, M. Raspail est en prison ? Je ne sais pourquoi je vous parle de Lady Normanby. Rien à coup sûr, ne m'est plus indifférent. Êtes-vous bien sûre que Lord John ne fût pas au conseil de mardi ? Les journaux disent qu’il y était. Par décence peut-être, car son absence, dans une telle question est vraiment singulière. Je trouve que l’Assemblée de Paris a bien pauvre mine, la mine de gens qui ne savent absolument que faire et qui s'ennuient d'eux-mêmes. Vous n’avez pas d’idée du profond, chagrin du Duc de Broglie de se trouver là, son déplaisir personnel est pour plus de moitié dans son découragement général. Et pourtant il dit, et tout le monde dit qu’'il y a 300 hommes fort sensés, fort bien élevés, fort honnêtes gens, de vrais gentlemen. Que de bien perdu en France, par le contact avec du mal qu’on ne sait pas secouer ? Je ramasse toutes mes miettes. Je n’ai rien à vous dire. Si nous étions ensemble, nous ne finirions pas.

Dimanche 7 oct. 10 heures
Guillaume est parti hier loin pour Paris. Il rentre demain au collège. Je suis sûr que je ne rentrerai pas dans Paris sans une émotion qui serait une profonde tristesse si vous n'y étiez pas, qui disparaîtra devant la joie de vous retrouver. Vous n'avez probablement pas lu l’exposé des motifs du Ministre des finances en présentant le projet de loi qui ordonne le paiement à Mad. la duchesse d'Orléans de ses 300 000 fr. de [ ?] pour 1850. C’est un chef d’œuvre de platitude. Un effort de chaque phrase de chaque mot pour réduire la question à une question de notaire à une nécessité de payer une dette criante qu’il n'y a pas moyen de renier. J’étais humilié en lisant, si c'est là ce qu’il faut dire pour faire voter la loi, honte à l'assemblée ! Si M. Passy a parlé ainsi pour se rassurer lui- même contre sa propre peur, honte à M. Passy ! Les journaux légitimistes que je vois sont embarrassés, et au fond, plutôt mal pour Mad. la Duchesse d'Orléans à propos de cette question Cela aussi est honteux. Ils croient toujours que c’est elle qui résiste le plus à la réconciliation des deux branches. J’ai ici M. Mallac qui est venu passer deux jours avec moi. Il ne m’a rien apporté ne venant pas de Paris, sauf quelques détails assez intéressants sur les derniers moments du Maréchal Bugeaud et assez amusants sur le séjour de Duchâtel à Paris. Il ne s’y est guères moins ennuyé qu’à Londres. Croker m’écrit dans un accès de bile noire qui se répand sur tout le monde, voici la France : « the whole nation, gentle and simple outraging heaven and earth with a je le jure which no man of your 12 millions of election meant to keep ; and now the country is so entangled in this web of falsehood and fraud that I at least, can see no way. I don't even say no honourable way-but no way at all out of it but by another revolution in which the whole people must kneel doin, say their confiteor et mea maxima culpa and confess themselves to have been de misérables pêcheurs et poltrons. Voici l'Angleterre. " you see the ordinary affairs of life go on tolerably under this feeble and impostor administration, which, leads me to doubt whether truth honour or strength are necessary ingredients et Constitutional governenent. " Il a de la verve dans sa bile. Midi Je ne comprends pas pas de lettres. Vous les aurez eues le lendemain. J’en suis désolé. Temps affreux. Adieu, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, mardi 9 oct. 1849
6 heures du matin.

Votre perplexité me désole. Elle ne me gagne pas encore ; mais au fait elle est bien naturelle. Toutes les bonnes raisons sont contre la guerre. Je devrais savoir ce que valent les bonnes raisons. Je croyais impossible que la France fit, ou laissât faire une stupide folie comme la révolution de Février. L'Empereur aussi peut avoir sa folie. Et alors ! Ne vous y trompez pas ; ce que dit Morny et ce qu’il écrit au Président n’y fera rien. La France fera ce que fera l’Angleterre. Et la France poussera plutôt que de retenir. Et si cela arrivait, vous verriez Thiers et Molé, au moins le premier, entrer au pouvoir, et se mettre à la tête de cette grande affaire, espérant encore, par l'alliance intime de la France et de l'Angleterre ce que Napoléon espérait à lui tout seul, distraire et satisfaire l’esprit de révolution par la guerre, en le contenant. Chimère, mille fois chimère dans laquelle ils échoueraient bien plus vite et bien plus honteusement que n'a échoué Napoléon, mais chimère qui les tenterait (je les connais bien) et qui bouleverserait le monde. Car vous dîtes vrai; ce serait la guerre partout, et la révolution partout. Cela n’arrivera pas ; cela ne se peut pas. Il ne se peut pas que l'Empereur soit aussi fou et aussi aveugle que la garde nationale de Paris en Février. Personne ne peut prévoir, personne ne peut imaginer quels seraient, en définitive, les résultats d’un si épouvantable bouleversement, mais à coup sûr, ils ne seraient bons pour aucun des grands et réguliers gouvernements aujourd’hui debout. La fin du monde profiterait peut-être un jour à quelqu'un certainement pas à ceux qui y auraient mis le feu. Même conclusion de ma part et avec la même conviction. Mais je répète que votre perplexité me désole car enfin la chance existe, et quel serait notre sort, à nous deux, dans cette chance ! J'y pense sans relâche comme si j’y pouvais faire quelque chose. Cela ne sera pas.
Neuf heures
Je n’ai rien à espérer aujourd’hui. Je vous renvoie votre lettre allemande. Intéressante. C’est un homme d’esprit. Assez ressemblant à Klindworth. Je voudrais bien que l’Autriche et la Prusse parvinssent à s'entendre, pour quelque temps au moins, et à rétablir un peu d'ordre, en Allemagne. Si l'Empereur veut bien ou la guerre, il aura la guerre et pas Bem, et Bem bouleversera de nouveau l'Allemagne pour lui faire la guerre. Je ne fermerai ma lettre qu'après l’arrivée de la poste, pour voir si j’ai à vous dire quelque chose de Paris. Midi Le facteur arrive très tard. Je n’ai que le temps de fermer ma lettre. Adieu, Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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[…] ce qu'il ne veut pas. C’est une double manière d’éviter la responsabilité. Je n'ai aucune nouvelle personnelle de Thiers. Je ne l’ai pas vu, depuis mon retour de Dieppe. J’entends dire que, dans la commission des Affaires de Rome, il fait des morceaux d’enthousiasme sur le motu proprio, sur les cardinaux et sur le Pape. La commission du budget ajourne, le plus qu'elle peut l'examen des questions, d'impôt, c'est le plus gros embarras de la session. Il est probable que les anciens impôts seront rétablis. Rien n’est plus nécessaire mais rien n'est plus dangereux."

Pas un mot des affaires de Constantinople ; ce qui me prouve qu’à tort ou à raison, on n'en est guère préoccupé. Mercredi 10, Huit heures Je me lève tard et je me suis couché hier de bonne heure. J'avais un peu mal à la gorge. Je vais mieux ce matin. J’espère que la pluie va cesser et le froid sec commencer. Je l’aime beaucoup mieux. Ma maison ferme mieux que je n'espérais. J’ai de bon bois et je ferai de grands feux, presqu'au moment où j'irai me chauffer dans ma petite maison rue Ville-l'Evêque et votre bonne chambre rue Florentin. Vous ne m’avez pas dit si vous aviez quelqu'un en vue pour vous accompagner. Quel plaisir (petit mot) si nous pouvions passer tranquillement notre hiver dans nos anciennes habitudes ! Je me charme moi-même à me les rappeler. Hélas connaissez-vous ces trois vers de Pétrarque : Ah ! Nostra vita, ch'e si bella in vista, Com' perde agevolmente, in un matino, Quel che'n molti anni a gran pena s'acquista ! « Ah, notre vue, qui est si belle en perspective, comme elle perd aisément, en une matinée ce qui s’acquiert à grand peine, ou beaucoup d’année ! " Je crois que je vous fais injure et que vous savez bien l'Italien. Onze heures Voilà votre lettre. Nous causerons demain. Je persiste toujours à n'avoir pas peur. Adieu Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 31 octobre 1849

Très long tête-à-tête hier soir avec Kisselef. Il est très confiant et ouvert. Il se conduit bien. Lamoricière n’a pas fait la moindre démarche depuis le 5 octobre. Mon correspondant m’informait mal, ce jour-là le 5, il avait lu à Nesselrode une dépêches des plus anodynes mais qui touchait à la question ou lui a dit que cela ne regardait personne, & qu’on n’accepterait l'ingérence de personne. Depuis, Nesselrode n’avait plus entendu parler de lui. Il savait seulement que Lamoricière n’avait pas vu Fuat Effendi. Le courrier russe est du 20. Si vous êtes des gens d’esprit, maintenant que l’affaire la grosse au moins est réglée, vous retirerez-vos vaisseaux. Je ne sais ce que fera l'Angleterre, mais je sais que nous ne supporterons rien de ce qui ressemble le moins du monde à une menace. Molé est bon et utile. La crise ministérielle est grosse depuis avant hier. Hier soir rien de décidé encore, mais le président avait, dit-on, donné congé à ses Ministres. nous verrons aujourd’hui. M. de Persigny a dit tout haut avant-hier à un grand diner chez Changarnier, qu'il fallait un coup d’État, que tout le pays était enflammé de la gloire de l'Empire. Il disait cela à Hubuer. Très long tête-à-tête avant le dîner dune Hatzfeld. Comme tous les autres, tous, il croit au coup d’Etat, mais comment ? C’est impossible de le deviner, la majorité ne le veut pas. On ne dit pas que Changarnier le veuille. Est-ce que le Président peut faire tout seul ? Je n’ai pas revu Flahaut depuis son audience chez lui. La faveur de Normanby baisse un peu. Il y a eu des commérages d’argent qui ont blessé. Mad. Roger est ici, elle n'est pas venue me voir, elle n'était pas sur ce pied et je ne l'ai pas rencontré. Je vois toujours chez moi beaucoup de monde. Trop long à vous nommer, trop long à radoter. On parle & rabâche toujours sur le même sujet, le coup d'Etat. Ce serait ennuyeux si ce n'était si sérieux. Depuis que je suis dans la mêlée. J'ai moins peur, & cependant je devrais avoir peur & revenir à ma première impression. Les premières sont toujours les vraies. Je ne suis pas sûre de vous revoir. Qui peut dire ce qui se passera d'ici à quinze jours. Puisque vous n’avez pas encore fini d'écrire, Mad. Austin n’a pas à traduire, & puisqu’elle ne traduit pas qu’est-ce qu’elle fait chez vous ? Vous avez assez d'embonpoint sans le sien. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 11 juillet 1850

Ceci devient une véritable et cruelle inquiétude. Pas de lettre. Vous êtes malade. Seriez-vous assez malade pour n'avoir pas même pu penser à me faire écrire un mot par votre médecin, par Auguste? Je n'y comprends rien. Mais je suis désolé. Et je ne vois personne à qui m'adresser pour avoir de vos nouvelles. Il faut que j’attende. Il m'est impossible de vous parler d'autre chose. J’aurais bien des choses à vous dire. Mais c'est impossible. Adieu, adieu, adieu. Il y a bien longtemps, que je n'ai ressenti une telle anxiété. Adieu.
G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Pour le coup, je suis très inquiet. Encore pas de lettre. J'envoie à Paris, chez vous et chez Kisseleff pour savoir, si on sait quelque chose de vous. Je ne sais pourquoi j'écris encore à Ems car où êtes-vous ? Comment êtes-vous ? Quel supplice ! Il est impossible que vous ne soyez pas malade, peut-être très malade. Adieu. G
Val Richer 12 Juillet 1850

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Lundi 15 juillet 1850

Je me sens tout-à-fait malheureuse de votre inquiétude. Car je sais bien que dans un cas pareil j’aurais fait mille sottises comme de me jeter à l’eau par exemple, ce qui empêcherait les autres. J’ai pris tous les renseignements possibles. D'ici mes lettres sont certainement parties. Mais la poste Tour & Ta[?] a ses agents partout, & par curiosité comme par calcul, ils font quelques fois passer les lettres par Mayence & Francfort, et il se peut que des lettres d’ci mettent quatre jours pour aller à Paris. Cela expliquerait comment le 11 vous n'aviez pas encore ma lettre du 6. Cependant non, voilà plus de cinq jours. Enfin que faire. Moi je n'en sais rien. Un jour vous recevrez douze lettres à la fois. Je plaindrai les onze lettres. C’est assez parler de nos ennuis. Le beau temps est revenu. Je suis toujours bien ennuyée & bien docile. L'effet des eaux est une lassitude, & somnolence excessive, et puis des douleurs de jambes et d’estomac, on me dit que c’est très bon. Qu’en pensez-vous ? Moi je crois que je devrais cesser. Je crains un coup d’apoplexie. Vous me reconnaissez là.
Je ne sais que penser de la loi sur la Prusse. Je vois que le Journal des Débats prend le mors aux dents, je vois que la Prusse en prend son parti, qu’est-ce que ce revirement extraordinaire. Venez à mon aide. J’ai fort aimé ce que M. de Laboulis a dit dans la séance de jeudi. Mais je vous parle de choses qui seront bien vieilles & oubliées quand vous recevrez ceci. Je m’avise de proposer à lord Aberdeen de venir ici vous rencontrer pour le 1er ou 2 août. Quelle idée ! Pourquoi pas ? Viendrez-vous toujours et quand à peu près. Ma cure complète finit le 5 août, il faut deux jours de repos et puis je pars. Je ne sais pas du tout ce que je ferai du reste de l’été. Mon fils aîné passera le mois d'août à Paris. Mais quel vilain mois pour y rester. Je n'en serai pas capable. Hier je n’ai pas vu une âme mais le temps était superbe. J’ai bien fatigué mes chevaux. Adieu. Adieu. Adieu.

Comme je trouve inconvenant de n’avoir offert à lady Peel que ce qui a été fait pour Mme Canning ! Manque de tact. En tout cas elle eut refusé. La prévoyance de Peel ajoute encore à la popularité de sa mémoire. Grand homme, grand démocrate. Il restera désormais le héros de la démocratie. Au temps qui court l’effet ne sera pas bon pour la upper house.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Mardi le 16 juillet

Je me porte bien, je n’ai pas manqué un jour de vous écrire. Je suis désolée de votre inquiétude. Je prends le parti d’adresser autrement ma lettre aujourd'hui. Je l'envoies à Strybon pour qu’il la mette lui-même à la poste. Les autres je les ai toujours adressées au Val Richer, et affranchies c’est peut-être cela qui les empêche de vous arriver. Je ne vous dis que ce mot à 6 h. du matin, en toute hâte & tristesse de votre inquiétude. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Mardi 16 juillet 1850

Je deviens décidément unitaire allemande. Si l’Allemagne était cela, mes lettres vous arriveraient. Tous les petits états se passent leur fantaisies, c-à-d. que l’administration va comme il lui plait. Les postes ne sont pas réglées. Que faut-il faire ? Je n'en sais rien. Mes lettres m’arrivent, les journaux aussi, mais ce qui part d'ici n’arrive pas. Je vous ai écrit un mot par Strybon sans l’affranchir, peut être cela ira-t-il mieux. Je m’en vais remettre ceci à Rothschild. J’essaye de tout. Quel ennui. Vous, inquiet. Moi sans nouvelle. Car vous ne voulez plus rien me dire. Voici quatre de vos lettres sur une demi page pour vous inquiéter et vous plaindre. Je n’ai pas de lettres d’ailleurs ainsi pas un mot à vous dire, puisque je n’ai pas même à vous répondre. Je vous répète que je vous ai écrit tous les jours, tous les jours. Voici ma douzième lettre d’Ems, car je vous ai déjà écrit ce matin. Si je vous avais là que de choses à nous dire que d'observations à nous communiquer sur ce qui se passe.
Je pense toujours beaucoup à Peel. Décidément un grand caractère. Sa volonté d’outre tombe vaut mieux que tous les volumes de M. de Chateaubriand. Il veut que sa postérité reste roturière. C'est bien de l'orgueil. Cela plaira à tous les démocrates dans le monde. Je vois d'ici les grimaces de la belle marquise. Les Canning n'ont pas su faire cela. Mais encore les fois quel manque de tact d’offrir à la famille Peel la même chose, pas plus, qu’on n’avait offert à la veuve Canning. Canning beau parleur rien de plus. Belle comparaison ! Adieu car il faut finir. Quand me direz-vous que vous avez reçu mes nombreuses lettres où même une seule ! Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Lundi 22 Juillet 1850
6 heures

Décidément, tout calcul fait, je dois recevoir aujourd’hui votre lettre délivrée de mon inquiétude. J’en suis presque aussi impatient que vous l’avez été vous-même.
J'ai reçu hier aussi le petit mot envoyé à Strybes. Je ne sais plus où j’en suis resté avec vous sur sir Robert Peel. J’ai été interrompu un jour où je vous parlais de lui. J’avais mille choses à vous en dire qui me reviendront. Sa grandeur actuelle est très grande. Un doute reste sur sa grandeur future. Si son pays et son gouvernement demeurent intacts, si cette belle organisation sociale se modifie, sans se briser. Peel grandira encore, car il aura eu raison dans ce qu’il a fait ; il aura bien jugé de la portée de ses réformes puisqu'elles n’auront pas ébranlé les fondements de l’édifice, si l’édifice tombe si l'Angleterre aussi entre en révolution, Peel descendra comme son pays car il aura fait ce qu’il ne voulait pas et ses réformes auront commencé les révolutions qu’il se promettait d'écarter. La question est là pour lui. Je ne la préjuge point. Je ne vois pas clair dans cet avenir. A vrai dire j'espère plus que je ne crains. Je crains pourtant. Reeve m'écrit : " Sir R. Peel a laissé des écrits considérables sur l'histoire de son temps et il a nommé Lord Mahon et Cardwell ses exécuteurs littéraires (vous le saviez). Ces écrits doivent être livrés à la publication puisqu'il a déclaré que les profits qu’on en retirerait seraient au bénéfice du Literary Found. Il paraît que, depuis trois ans c'était là sa principale occupation. On sent tous les jours davantage la place immense qu’il remplissait dans ce pays ; mais depuis sa mort les whigs sont devenus sinon plus forts, du moins plus inévitables. Lord Palmerston paraît très disposé à profiter de la dernière leçon qu’il a reçue ; il renonce the Devil and all his works, et jure qu'on ne l'y reprendra plus. Sa conduite dans l'affaire danoise est devenue tout à coup excellente et très ferme. Sans attacher à ces manifestations plus de prix qu'elles ne méritent, il est sage, je crois de les accepter comme si elles étaient les fruits d'une conviction. "
Mêmes nouvelles de Paris. On ne songe plus qu’à s'en aller. On s'en ira du 8 au 10 août. Je suis assez curieux de la commission permanente qui sera nommée aujourd’hui. Piscatory m'a écrit qu'il n’en voulait pas être. Il prévoit qu’elle pourra se trouver, dans une situation embarrassante. Peut-être eût-il eu quelque peine à en être nommé, si la liste que j'ai vue dans mes journaux d’hier, comme arrêtée par la réunion du Conseil d'Etat est authentique, elle est faite en méfiance du Président, et pour le surveiller en effet. Les républicains et les légitimistes y sont nombreux. L'assemblée a certainement perdu dans ces derniers temps. Mais peu importe elle est comme le Président ; ils peuvent perdre impunément l’un et l’autre ; ils sont, l'un et l'autre, le rempart contre l'anarchie, et il n'y a pas de rechange
L'article sur the Austrian révolution dans le Quarterly review est de Reeve. Il mérite que vous le lisiez. Rien de neuf ; mais un bon tableau des faits de Vienne ; clair et d’un bon effet. Je suppose que M. de Metternich en est content. Mais avez-vous à Ems le Quarterly ? [...]

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 4 oct. 1850

J’y ai bien pensé depuis hier. Je ne vois rien de mieux à faire sur cette infamie, ni aucune précaution plus efficace à prendre pour l'avenir. Et les deux personnes que je vous ai indiqués sont très propres à ménager l'exécution. Peut-être vous suggéreront-elles quelque autre chose ? Peut-être en aurez-vous déjà parlé à quelque autre personne. Je doute qu’il y ait plus ni mieux à faire. Votre frère vous a fait là un triste legs. Je voudrais bien que vous ne vous en agitassiez pas outre mesure.
Moi aussi, je trouve la lettre de M. Molé dans les Débats très bonne ; venant à propos et bonne en soi. Il faut voir de près le mal qu’a fait, dans la masse des honnêtes conservateurs, la sotte circulaire. Leur principale objection contre la fusion était cette question : " Est-elle possible ? " Depuis la circulaire, ils se répondent eux-mêmes : " Non. " Il faut du temps et des incidents nouveaux.
Vous avez bien raison ; il a fallu une immense gaucherie au Roi pour faire dire de lui ce qu’il méritait si peu. Je n’ai jamais vu un plus étrange amalgame d'adresse et de gaucherie, d’esprit profond et de légèreté de persévérance et de mobilité. Beaucoup de finesse et point de tact, une grande expérience des hommes et aucun sentiment juste de l'effet que produisaient sur eux ses actions et ses paroles. Deux idées fixes, suite ses impressions de sa jeunesse : l'iirésistibilité du torrent révolutionnaire, une fois débordé, et la détresse des proscrits sans argent. On ne sait pas combien de choses ont découlé de là. Les articles de M. de Montalivet sont intéressants, et utiles.

Dix heures
Votre trouble me désole. Je l’entrevoyais et je le comprends, mais je le crois excessif. Je vous répète que je suis prêt à venir si vous le désirez, pour vous car, pour la chose, je ne vois vraiment pas ce que ma présence y fera de plus ; sinon de donner à penser à ceux qui pourraient y regarder avec curiosité qu'elle est grosse et qu'on les craint. Si l'affaire ne pouvait pas être réglée à Paris, ou si le temps manquait, il faudrait envoyer sur le champ à Bruxelles, et l'homme que j'ai indiqué dans mon billet à mon visiteur serait très propre à cela. Soyez sûre qu’en pareille occasion, il faut faire le moins de bruit et se donner le moins de mouvement extérieur possible. L’important c’est d’avoir le manuscrit avec une déclaration comme celle dont je vous ai parlé. J’y pense et repense, et je ne vois pas autre chose à faire ; et pour faire cela, les deux personnes que je vous ai indiquées me paraissent toujours, ce qu’il y a de mieux, soit qu'on puisse régler l'affaire à Paris avec le fils de cette femme, ou qu’il faille aller à Bruxelles ou à Aix- la-Chapelle, pour un waiter soit avec le libraire, soit avec elle-même.
Enfin, je suis comme de raison à votre disposition ; mais je vous prie vous et vos conseillers d'y bien penser ; je ne crois pas qu’il soit utile que j'aille. Vous avez parfaitement fait d’en parler à Dumon. Adieu, Adieu, Adieu. Que je regrette de n'être pas là pour vous calmer un peu ! Adieu. G.
P.S. Je ne comprendrais pas que cette femme eût retrouvé à dessein l’envoi de sa lettre, pour que vous n'eussiez pas le temps de répondre dans le délai indiqué à sa proposition, car alors pourquoi vous l'aurait-elle faite ? Sa lettre est une arme contre elle, et elle ne put l'écrire qu'avec le désir que sa proposition fût accueillie.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 5 octobre samedi 1850

Malgré quatre envois & tous les efforts, directs et indirects. Il m’a été impossible hier de voir votre visiteur. Il n’est pas venu. Je ne saurais le comprendre ! Vous voyez comme il m’est facile de faire mes affaires ? Votre billet est encore dans ma poche. J’ai gardé M. Dumon hier après ma soirée. Il cherche à me soutenir mais il est assez noir. Le temps perdu et peut-être tout perdu. Hier on attendait la réponse à 120 lieues d'ici, & hier rien n'était seulement comme à Paris. Que peut faire une femme seule ! Je suis prête à tout mais comment ? Le duc de Noailles a dîné avec moi, j’avais besoin de distraction, le soir Mad. de Contades a diverti mon cercle. Je ne dors pas & je cesse de manger, voilà de quoi me soutenir !
Voici votre lettre. J'espère dans une heure d'ici voir mes deux conseillers, votre collègue, & votre visiteur. 2 h Dumon est arrivé consterné. Son gendre est revenu de Clarmont ce matin. Il les a laissées tous dans le plus grand désespoir. Mon courrier d'Ostende annonce qu’il n'y a pas un moment à perdre. Il envoie un bateau. A l’heure qu'il est ils s'embarquent à Douvres. La Reine, la duchesse d’Orléans, la Princesse Clémentine, le duc de Nemours, débarqueront à Ostende. Les deux autres princesses resteront sur le bâtiment la vraisemblance est qu’ils arrivent tous trop tard. Votre pauvre reine. On a ordonné des prières publiques dans le royaume. Adieu, Adieu. J’ai vu tout les deux, ils n'en savent pas plus long que moi. Le petit va voir en le fils, à délai, le délai fatal expire c’est affreux. Adieu.
C'est bien dur de ne pas vous avoir auprès de moi dans le moment le plus affreux. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 5 oct. 1850

Votre trouble me désole. Je vous assure qu'il est excessif. Que peut dire cette femme ? Des choses désagréables ; rien de plus car il n’y a rien. En mettant donc les choses au pis, ce pourrait être un grand ennui, un vif déplaisir ; mais voilà tout. Je sais trop que des paroles ne remettent pas des nerfs ébranlés, pourtant vous avez l'esprit si juste et si ferme, quand vous oubliez vos nerfs, que ce qui est, ce qui est réellement ne peut pas ne pas finir par vous frapper et par vous calmer. Il n’y a vraiment pas, dans ceci de quoi être agitée comme je vous vois. J’ai bien quelque droit de vous le dire, car j'y suis intéressé aussi. Voyez la chose comme elle est dans sa juste mesure. elle ne vous empêchera plus de dormir. D'ailleurs j'ai la confiance qu'on réussira à prévenir le désagrément. Il importe peu qu’on fasse exactement ce que j'ai indiqué. Vos conseillers sont très intelligents ; ils trouveront ce qu’il y a de mieux à faire. Et plus j'y pense, plus je me persuade que cette femme ne veut, après tout, que ce qu’elle demande et qu’elle serait bien fâchée d’être refusée. C’est un acte de mendicité infâme. J’espère que vous m’apprendrez bientôt que tout est réglé et que vous êtes plus calme. Moi aussi, cela m'a empêché de dormir cette nuit, pour vous.
Je ne lis pas l'Opinion publique, mais j'ai vu dans l'Estafette la citation dont vous parle M. Molé. Je me suis bien rappelé le passage. Je crois qu'il est dans un de mes cours. J’y ai traité plusieurs fois cette question-là. Je reçois une lettre curieuse de M. Moulin. Plus curieuse que d'autres parce que ce qu'il me dit est en contradiction avec ce qu’on me dit d'ailleurs et avec ce que j'observe moi-même ici. " La lassitude et l'impatience du pays, me dit-il, sont extrêmes. Il veut en finir à tout prix. Il acceptera, il sollicitera, il exigera un mauvais expédient si on ne lui fait pas entrevoir comme prochaine une grande et définitive solution. Dans nos départements du centre, le socialisme a conservé presque toutes ses forces ; ce qu’il paraît en avoir perdu se retrouverait dans une crise d’élections générales. La loi électorale ne lui ferait obstacle que sous cette condition, difficile à réaliser, que toutes les fractions du parti modéré, Napoléoniens, Orléanistes, Légitimistes, Clergé, Républicains paisibles, s’il en est encore, seraient, comme aux élections du 13 mai 1849, parfaitement unies, et disciplinées.
Si l’on convoque jamais une Constituante, chaque parti arborant son drapeau, l'accord ne sera plus possible et le socialisme aura beau jeu. Aussi, dans nos départements, le parti modéré n’a qu’un vœu, qu’un cri. Pas de Constituante ! Plus d’élections par le suffrage universel, ou quasi-universel ! Que l’Assemblée législative en finisse comme elle voudra le mieux qu’elle pourra avec le président, ou le général Changarnier, ou tout autre, par la Monarchie, ou, si la Monarchie n’est pas encore possible, pas la république autrement constituée ! Voilà ce que j’entends dire, répéter depuis bientôt deux mois par nos anciens amis. Ce n’est pas seulement un désir véhément, c'est une idée fixe. Je n'ai pas été peu surpris de trouver cette disposition tout aussi vive, tout aussi manquée dans les légitimistes malgré leurs journaux et le mot d’ordre de leurs chefs, que dans les anciens conservateurs. Quant au Président il a sensiblement perdu dans les masses ; il gagne faute d'autres, dans la bourgeoisie propriétaire et il a conquis jusqu'à nouveau changement, la plus grande partie du monde officiel. Le pays que j'habite n’est pas si pressé, et verrait le mauvais oeil quiconque prendrait l’initiative d’une seconde nouvelle.
Montebello est-il à Paris ? Ou savez-vous quand il y revient ? Adieu, Adieu.
Je n’ai pas encore ouvert mes journaux. Je suis bien plus préoccupé de votre agitation que de celle de la Hesse. Je persiste à ne pas croire à la guerre. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 6 Oct. 1850

Je suis désolé que vous n'ayez pas vu tout de suite mon visiteur. Il faut qu’il ait passé la journée hors de chez lui, car je suis sûr de son zèle. Je n'en espère pas moins qu'on aura été à temps. Je suis de plus en plus convaincu que cette femme a besoin d'argent, et qu’on ne lui offre pas, d’un autre côté, ce qu’elle dit. Elle ne me paraît pas personne à ne commettre qu’une demi-infamie, si l’infamie entière lui eût été plus profitable. Enfin, les raisonnements ne servent à rien. Il faut attendre. à quoi sert aussi de vous dire que je regrette du fond du cœur de n’être pas près de vous quand vous êtes triste et agitée. Mais plus j'y pense, plus je suis convaincu qu’il valait mieux ne pas paraître du tout, rester directement, tout-à-fait étranger à la chose; ce qui ne serait certainement pas arrivé si j’avais été là. Je ne puis guère me déplacer sans qu’on y cherche une raison ; et la curiosité trouve presque toujours quelque chose de ce qu’elle cherche ; ou bien elle met autre chose à la place, ce qui ne vaut pas mieux. Dieu veuille que cet ennui finisse bientôt.
Pauvre reine. Je n'espérais pas que ce coup lui fût épargné ; mais j'espère qu’elle aura revu sa fille. Quelque affreuse que soit la séparation, je trouve bien plus affreux de se séparer sans se voir. Tout ce que vous m’avez écrit sur la reine Louise et sur la position du Roi m’est encore revenu de plusieurs côtés. J’ai peine à croire aux conséquences extrêmes. Au fond, les Belges sont sensés, et le Roi Léopold aussi. Il faut être un vieux poète antiquaire, comme le Roi de Bavière, pour défendre jusqu'au bout Lola montes.
Le Journal des Débats revient ce matin, c’est-à-dire recule sur sa polémique avec les légitimistes. Il ne serait pas impossible que tout cet incident eût son utilité, et que de part et d’autre, on comprit mieux sa position et la nécessité de s'accepter, tout au moins de se ménager mutuellement.
Dans ce pays-ci, la circulaire a blessé les conservateurs, comme partout, et reculé la fusion ; mais il y a eu plus de tristesse que de colère, un certain regret que la fusion fût si difficile, peut-être impossible. On s'en est éloigné, mais on ne lui a pas tourné le dos.
Avez-vous remarqué l’article de la Gazette d’Autriche sur Radowitz ? Je l'ai trouvé bon, point flatteur et point irritant, propre à agir sur l’esprit d’un homme d’esprit et à le rendre attentif sur sa position. Je me persuade que là comme ici, il faut une nécessité absolue, un danger imminent pour obliger deux puissances à s'entendre au lieu de se quereller. On ne se fera pas la guerre pour M. de Hassenpflug. Adieu, Adieu.
Moi aussi, je ne sais pas vous parler d'autre chose que de ce qui me préoccupe, c’est-à-dire de vous. Adieu encore. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris dimanche 7 octobre 1850

Je n’ai pas le cœur à une lettre, car mon cœur est gros de diverses peines. Je croyais que vous auriez plus de pitié de moi, & j’ai peur, en vous écrivant de vous trop montrer ma susceptibilité sur ce point. Je ne voulais donc pas vous écrire aujourd’hui. Mais moi, j’ai pitié de vous et je ne veux pas vous donner le chagrin de rester un jour sans lettre. Mes deux conseillers aussi s'étonnent. Passons.
Thiers n’arrive à Paris qu’aujourd’hui. Il s’est arrêté à Lille. Montebello sera à Paris demain. C’était au moins son projet. La commission s’assemble demain extraordinairement pour interroger le ministre de la guerre, sur le vin de Champagne. Cela commence à faire crier tout le monde les officiers sont très mécontents. Le 62ème de Ligne qui devait quitter Paris (c'était son temps) reste à Paris. C’est celui qui à la première revue a crié “ Vive l'Empereur ”. M. de Persigny est devenu l'habitué chez Madame Kalergi. Il est comme le Président sûr d'aboutir. Le gouvernement français est très mécontent de l’affaire Fronzoni et le témoigne je crois à Turin. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 1er août 1851

Je n’ai point Gladstone, et je ne puis, comme de raison, en écrire à Lord Aberdeen sans l'avoir lu. Ce que vous me dîtes de la grossièreté et de la violence du langage m'étonne. Peut-être m’a-t-il fait envoyer sa brochure, et est-elle chez moi, à Paris où je n’ai plus personne. Je vais écrire à Henriette d'aller y regarder.
Si les faits dont Gladstone m’a parlé sont vrais, ou seulement s’il y a beaucoup de vrai, je ne m'étonne pas qu'il les ait attaqués vivement. Mettre et retenir beaucoup de gens en prison, indéfiniment, sans les faire juger, sans même leur dire pourquoi, c’est ce qu’un Anglais comprend et excuse le moins.
Je reviens à vos 10,000 liv. st. Certainement, vous avez fait il y a un an, 18 mois, 2 ans, je ne me rappelle pas bien quelque chose à ce sujet, sur la question de savoir à qui les laisser et par qui les faire toucher, il y a eu hésitation, dans votre esprit, entre Couth et Rothschild. Je ne me rappelle pas comment s'est terminée votre hésitation. Mais la coïncidence du dire de Couth avec la perte de son reçu me porte à penser que c’est chez les Rothschild à Paris ou à Londres, que vous trouverez le terme de votre inquiétude. Je serai charmé quand je vous en saurai délivrée. Je ne puis croire que la perte soit réelle. Je conviens que ce serait, pour vous, un vif ennui. Je conviens aussi que si comme je l’espère, vous retrouvez vos titres, votre mémoire, aura été bien en défaut.
Il n’y a réellement plus d'assemblée à Paris. Légitimistes, Elyséens ou Montagnards, tous ne songent plus qu’à s'en aller. S’il n’arrive point d'événement pendant leur séparation, ce qui est probable, ils se retrouveront, à leur retour, plus embarrassés qu'aujourd’hui car ils seront plus pressés, et tout aussi impuissants. C’est un spectacle plus attristant qu'inquiétant, à mon avis ; je ne crois pas à un triomphe des rouges, le pays-ci ne sait pas se sauver, et ne se laissera pas perdre. Il faudrait un bien mauvais coup de dés électoral pour amener une majorité de Montagnard. C'est très peu probable. Cependant, c’est possible ; car aujourd’hui en France les élections sont un coup de dés. L'Empereur Français il avait raison : totus mundus stultisat. Voici, au fond, ma vraie inquiétude ; quand tout le monde est fou, c’est qu'il se prépare, dans le monde, des nouveautés prodigieuses par lesquelles Dieu veut, ou le transformer ou le punir. Je ne vois pas comment nous rentrerons dans des voies déjà connues. La sagesse elle-même sera nouvelle.

Onze heures
Je respire pour vous. Il est sûr que Couth est bien léger. Je retire mes souvenirs confus. Reste votre oubli du reçu. Mais peu importe. Adieu, Adieu. Dormez et remettez vos nerfs. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 2 août 1851

Je jouis vraiment de votre délivrance. Je sais à quel point vous avez dû être agitée ; et votre agitation m'inquiète et me chagrine comme m'inquiéterait et me chagrinerait une maladie. J'en veux à Couth de vous avoir si étourdiment répondu.
Je crois que vous avez raison sur les fêtes de l’hôtel de ville. On ne pouvait guère ne pas rendre les politesses anglaises et on les rendra magnifiquement. Le Lord maire et les Aldermen viendront-ils en robes et en perruques ? Depuis que je suis ici, j'ai vu des industriels considérables et deux des commissaires Français à Londres. Il y a un peu d'humeur, parmi eux, de la décision qui a supprimé, les grandes médailles d’or qu’on devait donner, en petit nombre aux ouvrages d'élite. Les Français affirment que cette décision a été prise contre eux, par jalousie, et parce qu'en fait d'ouvrages d’élite et parfaits d'exécution ils auraient eu bien plus de grandes médailles que les Anglais cependant, à tout prendre, il restera plutôt de là, entre les deux pays, des impressions bienveillantes et de bonnes relations. Je ne sais si le gouvernement Anglais a fait de la bonne politique intérieure ; mais il a certainement fait de la bonne politique étrangère. On a vu sa puissance, et on lui sait gré de cette façon de la montrer.
Mad. de Ste Aulaire m'écrit que ses visiteurs du Dimanche (à Etiolles) sont très découragés et décourageants. Le Duc de Broglie, Viel Castel & Broglie, ne m’écrit guères ; il est vrai que je ne lui ai pas écrit du tout. Mais il a chargé ma fille de me dire qu’on ne faisait et qu’on ne préparait que des bêtises. L'impression générale est triste et morne, plus que sombre et agitée. Je ne vois pas dans le pays que j'habite, grande ardeur à recommencer, le pétitionnement pour la révision. Il est vrai que déjà ce département-ci a peu pétitionné.
Voilà un fauteuil vacant à l'Académie française. Je ne vois pas à qui nous le donnerons. Il sera très vivement et très petitement disputé. Je perds, dans M. Dupaty un ami très dévoué, très actif, et assez influent dans la sphère académique comme parfaitement étranger à l'arène politique. Galant homme d'ailleurs, d'un esprit aussi sensé dans la vie que léger dans la littérature, et d’un cœur très steady. On est très ému ..., à Alexandrie, du chemin de fer que le Pacha d’Egypte vient enfin de concéder aux Anglais. Je reçois de là une lettre, non signée mais dont je reconnais l'auteur, riche négociant Français établi depuis longtemps en Egypte. " C'est le 12 de ce mois que les signatures ont été échangées. C'est donc à partir de ce moment qu'Abba-Pacha est officiellement le gouverneur du pays pour le compte de l'Angleterre. Ainsi, à moins que l’Europe ne s'y oppose, MM les Anglais vont disposer librement de 90 mille hommes, de 80 à 100 millions, des mines de charbon nouvellement découvertes, des produits inépuisables de la vallée du Nil, de l’Abyssinie & Et cela entre Malte et Aden, au point le plus stratégique du Globe commercialement et militairement parlant ; au point par conséquent le plus favorable pour prélever une dîme sur tous les produits agricoles et industriels du globe & & Et il m'invoque comme si j’y pouvais quelque chose. C'est certainement un grand pas vers la possession du Nord-Est de l'Afrique et de la clef européenne de l'Orient.

Onze heures Vous voilà parfaitement calme. Cela me plaît beaucoup. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 12 octobre 1851 Dimanche

Je n'ai absolument rien à vous dire sur la crise. Je n’ai vu personne hier qui put m'en donner des nouvelles en me rappelant ma dernière conversation avec [Fould]. Je suis portée à croire qu’il y aura modification à la loi, & modification dans le Ministère. Je ne crois pas à [?] tranchée.
J’ai passé 10 heures bien inutilement dans mon lit. Je n’ai pas dormi du tout. Ces insomnies accusent un bien mauvais état de nerfs. Je suis accablée aujourd’hui. J’essayerai de dormir en calèche. Je ne vaux rien pour ce soir, et cependant, il faudra ouvrir ma porte. Montebello est à Passy. Je ne l’ai pas vu encore. Il parait que sa femme n'était pas encore partie pour Tours. Adressez lui donc votre lettre à Paris 73 rue de Varennes. Je serai curieuse de causer avec lui.
Le pauvre Constantin a perdu son second fils âgé de 12 jours seulement. Il répète qu'Alexandre ne peut pas subir un pareil qu arrêt et que l’Empereur ne peut pas l’avoir ordonné. C’est le mot d’ordre, nous verrons. Si vous vous attendiez à des nouvelles, ma lettre va vous désappointer. Cela n’est pas ma faute. Adieu. Adieu
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