Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteurs : Mallac, Eloi (1809-1876)

Auteurs : Mallac, Eloi (1809-1876)

Auteurs : Mallac, Eloi (1809-1876)

Auteurs : Noailles, Paul de (1802-1885)

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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80. Ems Mardi 13 juin 1854

Votre petit mot de Samedi 10 m'attriste. Il était si court, l'écriture mauvaise, seriez-vous malade ? Il ne manquerait que cela à mes misères. Je vous prie portez-vous bien, & dites le moi dans chacune de vos lettres.
Le duc de Richelieu nous est arrivé hier, très inattendu. Voilà un homme au moins. Tout ce qu’il raconte est sensé, & ressemble à ce que me mandent Molé, Noailles. La disposition à Paris est de la curiosité, pas d'inquiétude. Du contentement, du bien-être de la confiance dans la main qui gouverne, et grande obéissance à sa volonté.
On me mande de Bruxelles que l’Empereur Napoléon a en effet offert à la reine Marie-Amélie de traverser la France. On est là à Bruxelles comme partout, très curieux de la remonter des deux grands souverains Allemands & de la réponse que nous allons faire à Vienne. Elle est sans doute déjà arrivée. Je n’espère rien, je tâche de ne penser à rien, je n’y réussis pas. Je trouve bien pauvres les changements faits dans le ministère anglais. Le Times en est dans une grande colère. Je m'étonne de n’avoir rien de mon correspondant. Hélène est toujours bien touchée de votre souvenir, & la petite honorée et étonnée. Comme elle vous amuserait si vous la connaissiez. Cerini est bien bonne & affectueuse & soigneuss mais elle ne sait rien faire du tout. Perfectly useless.
Adieu. Adieu, nous sommes tous deux bien tristes, mais au moins portons nous bien.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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92 Val Richer. Lundi 12 Juin 1854

J’ai reçu bien des lettres hier ; point de nouvelles, comme de raison, mais et des réflexions et des bruits.
Voici Dumon, qui vient de perdre un frère qu'il aimait vraiment : "Faute de nouvelles, on s'amuse du commérages ; on dit que le comte Branicki a été renvoyé de Constantinople, et que le Prince à qui il s'est attaché ne tardera pas à le suivre. Il a pris la suite des relations du général Baraguey d’Hilliers avec Lord Redcliffe, et on prétend qu’il faudra les interrompre de la même façon. "
Rien de plus, sinon, la suite de l’histoire de la médaille commémorative de la Triple alliance ; on dit que les Cardinaux se sont émus de voir les mots Dieu les protége écrits au dessus de Catholicisme, protestantisme, Islamisme, et que le tirage de la médaille a été suspendu, pour retirer la protection de Dieu.
Un ancien député conservateur, homme de sens et qui m'est très frivole, m'écrit de sa province. " L'Empereur Nicolas a rallié au gou vernement toutes les opinions, celle-même des personnes dont les intérêts sont le plus directement atteint par la guerre qui est devenue presque populaire. On est très ignorant des redoutables éventualités que cette guerre peut engendrer, on ne croit pas à sa durée. L’Alliance avec l’Angleterre avait déjà rassuré et l’attitude chaque jour plus décidée de l’Autriche fait espérer une paix prochaine. La grande émotion est calmée, et l'on entrevoit dans les affaires, qui ont été molles pendant tout l’hiver, un mouvement de reprise. Somme toute, la gouvernement gagne ; le Czar lui a fait plus de bien que n'auraient pu lui en faire dix années de bon gouvernement. " Singulière coïncidence de cette phrase avec celle de Morny.
Voici maintenant le vieux Tory Anglais, mon ami Croker. Après des Déclarations sur Cromwell, qui m'ont beaucoup plu : "I endeavor to mean myself from policies, of which my prospects are of the darkest color, for France, for England, for Europe. I see the storm preparing gathering. I may live to see the first explosions ; but I doubt whether even my grand children will see the end of the injustifiable principles, wild pretentions, [?] alliances and general disorganization of European society with which this war is pregnant. "
Mon instinct proteste contre Jérémie ; mais ma raison ne sait trop que lui répondre. J’ai vidé mon sac, et le facteur qui arrive ne m’apporte point de lettres. J’espère pourtant vous savoir demain arrivée à Ems. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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78. Ems dimanche 11 Juin 1854

Je n’ai pas de lettre aujourd’hui et comme vous me parliez de vos éternuements dans la dernière me voilà inquiète. Je vous en prie ne me donnez pas d'inquiétudes, je ne saurais pas les supporter.
Paul est parti tout à l’heure Il va passer un mois à Aix la Chapelle et puis nous revenir. Il a besoin de ces eaux. Son départ nous laisse sans un seul homme, c.a.d. sans protection. Les mutations qu'on annonce dans le ministère anglais me semblent bonnes. John à la [Chambre] Haute. Cela fera de Palmerston le leader à la [Chambre] basse. Je ne sais ce que sera l’entrevue de l'Empereur] d’Autriche avec le roi de Prusse. Je persiste à douter que l’un ni l’autre passe à l’action contre nous.
Je serais bien curieuse de savoir tout ce qui s’est passé et ce passe à Constantinople. Evidemment Redcliffe est le tout puissant, et peut être faites vous bien de ne pas essayer de lui donner un rival. Il serait battu. Mais enfin comment la France vit-elle là avec l'Angleterre ?
Ni hélène, ni moi n’avons un mot de Russie ou de Berlin. Et comme nous ne connaissons pas ici une âme nous ne savons rien du tout de cette partie du monde.
J'ai eu ce matin une lettre très longue et très sensée du Comte Molé, très amicale aussi. J’aime qu'on se souvienne de moi et qu’on me le dise. Ah combien moi je pense à tout le monde. Mon monde. Hélène est plus que jamais excellente pour moi. Certainement c’est une personne d'un vrai mérite. Beaucoup de coeur et d’une charité, si intelligente & si soutenue. Elle a une bien bonne influence sur mon fils. Vous voyez que je n’ai pas une nouvelle à vous dire, et je ne prévois pas qu’il m’en arrive ici. Je regrette beaucoup mes pratiques de Bruxelles. Adieu. Adieu, je vous prie portez vous bien, et écrivez-moi tous les jours.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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75 Bruxelles le 5 juin 1854

Je fais mes paquets & mes adieux. & je rentre de l’Eglise où j’ai commencé. Ici cela se passe le lundi de la Pentecôte. Brunnow part jeudi, décidement il reste en l’air pour le moment, il retourne à son petit Darmstadt. Kisseleff part également cette semaine pour Wisbade et puis l’Italie. Ces deux messieurs ne sont pas en bonne odeur à Pétersbourg, surtout dans le public. Creptovitch est ravi d’être débarrassé d'eux. Cela le gênait et l'offusquait. Il ne restera plus un russe à Bruxelles.
Pas de nouvelles. On s’étonne des lenteurs partout. Ceci ne ressemble aux choses qui se passaient jadis. Quand on était en guerre on se battait. Cela a passé de mode. Mais comment viendra la paix ? C'est indevinable. Adieu. Adieu. Je suis triste, et vous aussi. Adieu.

Mardi le 6. Voilà une lettre de Morny, il me dit ceci. " Il va se passer en Orient des événements importants, mais seront ils décisifs ? Si nous croisons décidement le fer nous serons en guerre pour bien longtemps. Je crains bien que votre Empereur ma bonne Princesse ne se repente amèrement d’avoir entrepris ces choses. Je devrais dire, j’espère bien, car je suis Français & bon Français. Si l’Allemagne se joint à nous, Dieu sait quel mal on peut lui faire. Et puis toutes les flottes qui n'osent pas sortir du port même à nombre supérieur, ce n'est pas une preuve de grande force ici de confiance en soi. Maintenant chez nous la confiance a repris. Les fonds ont remonté. On ne s’inquiète plus beaucoup de la guerre, on s’y intéresse voilà tout, et si elle est heureuse on s'en amusera. Il n’y aura plus de raison pour qu’elle finisse. Au fond pour nous et notre Empereur nous y avons gagné une position inespérée que 10 ans de paix n'auraient pas produite. Que Louis Philippe serait jaloux s'il vivait encore. "
La reine Amélie passe aujour d’hui. Le roi ira la trouver à Malines et l’accompagnera à moitié chemin d'Ostende. Elle n’a pas voulu s’arrêter ici ni à Laken. Ma lettre était restée hier je la trouvais bête. Je la trouve bien triste aujourd’hui comme je suis triste. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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53. Bruxelles le 9 mai 1854

J’ai lu une lettre d’un homme d’affaires d’Odessa qui rend compte ici à une dame russe de ce qui s’est passé à Odessa. Le palais de cette dame à côté de celui de Woronzoff n’a pas souffert. Woronzoff un peu endommagé pas beaucoup. Les vaisseaux du port marchand brûlés, une batterie détruite, une poudrière sautée. Une femme tué par un boulet au milieu d'une place. Voilà tout. La lettre est du 28 avril. Les flottes étaient parties depuis deux jours. Le rapport d'Osten Saken parle d'une descente de 1800 hommes repoussés avec perte. Vos rapports n'en parlent pas du tout. Vous voyez qu’au bout du compte ce n’est ni très gros ni très nul. Le conseil de Belgique dit exacte ment la même chose. En fait de vaisseaux étrangers 3 grecs 3 Sardes, & un autrichien brûlés. Bronkers était ici hier soir et m’a compté les détails. Rothschild est reparti. Je n’ai pas un bout de lettre de Paris ni d’autre part.
Vous voyez que les voyages de Bruxelles vous font mieux que ceux du Val Richer. Vous n'êtes pas fatigué en venant ici. Je vous porte bien envie d’avoir un coin et un joli coin à vous. Toute ma vie j’ai désiré cela. J'ai de quoi payer le coin, mais pourra-t-il me plaire si je n’ai pas de quoi le peupler ? Vous ne savez pas comme je jouis d’un brin d’herbe, mais comme j’ai besoin de le dire ! Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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48. Bruxelles le 4 mai 1854

J’ai retrouvé quatre de vos lettres commencement de l'année dernière, de juillet. Admirable de jugement, de prévision, et d’actualité comme on dit. Tout ce que vous annoncez s’est fait et se fait. C’est vraiment bien curieux. J'en ai régalé Brunnow qui entre pétrifié. Vous connaissiez l'Angleterre mieux que lui. [?] auquel j’ai donné aussi la joie de lire cela, dit, qu’il vaut bien la peine de rester en exil quand on reçoit de pareilles lettres. Elles sont vraiment frappantes.
Mlle de Cérini est arrivée hier, elle est tout ce que vous me dites et la première vue lui a été toute favorable. Nous verrons. J’apprends de bonne source de Londres qu’on est inquiet de se voir si dégarni de troupes. Il ne reste plus rien. Tout cela s'est fait bien à la légère ; on accuse Palmerston d’avoir poussé à la guerre. La cour lui en veut. On appelle la milice pour avoir une force armée quelconque. En Prusse, haine énorme contre l'Angleterre, le roi, enragé. Il voulait mettre Bunsen sous jugement, des fureurs. Il est très ferme dans son amitié pour nous. Le parti opposé est cependant bien fort.
Manteuffel donne la nouvelle que dans l’attaque sur Odessa, on a démonté deux de nos pièces, brûlé 4 vaisseaux anglais, 3 Français un prussien, après quoi et avec quelques dommages à ses propres navires la flotte alliée a pris le large. Si tout cela est vrai voilà une expédition peu glorieuse. J’attends avec curiosité ce Moniteur. Et les nouvelles étrangères. Adieu. Adieu.
Demain je vous écrirai au Val Richer. C’est ennuyeux de vous voir vous éloigner. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
Cette lettre ne figure pas dans les dossiers de la correspondance Guizot-Lieven. On passe du n°45 au 47. Mais Dorothée fait bien référence à une lettre du 12 août 1853, dans sa lettre 47 de Schlangenbad, du 15 août 1853.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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45. Bruxelles Lundi le 1er mai 1854

Je vous écris une lettre ostensible pour être lue par Andral. Hélène est tout aussi intéressée à cela que moi, car elle est sûre pour son compte qu’Ems is the thing. Seulement l’esprit de la malade est troublée, et la sentence nette d’Andral décidera tout. Je vous prie je vous prie, Hélène vous supplie, ne perdez pas de temps. J'ai eu une bonne lettre de Morny mais rien de lui. Seulement il a retrouvé le langage plus accoutumé à la guerre. Il n’avait pas encore vu l’Empereur il allait le voir hier. Il me parle des bombardements d’Odessa comme de quelque chose de sauvage. J’ai peine à y croire. Ici on ne sait pas encore d'une manière précise. Vaudrait et Brockhausen sont toujours mes plus fidèles.
Mad. Salvoy m’a écrit de Vienne tout bonnement une lettre spirituelle. Au milieu des récits de toilettes et de fêtes, il y a des observations. Hubner petit rôle, rien du tout. Bual embarrassé. Le public enthousiaste pour la France. Dans la rue hourah pour l'équipage de Bourguenay. Tous les généraux autrichiens, russes. Il pleut, je ne me promène plus. Adieu. Adieu.
Si Andral faisait encore des façons, il me semble qu’il pourrait pour le moins formuler son opinion comme voici, sur l’autre nuance de vert. Vous voyez comme cela m'occupe, mais Hélène est bien mon compère aussi je vous en réponds. Adieu. Vous dites de belles paroles dans votre discours !

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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44. Bruxelles le 29 avril dimanche 1854

Le duc de Noailles est parti ce matin. Vous le verrez sûrement dans la journée. Dites lui ma grande reconnaissance, mon grand chagrin, mon grand ennui. Cette semaine a été bien remplie et bien agréablement. J'ai encore eu une lettre de [Greville]. Très curieux de ce qui se fait entre Vienne & Berlin, n'en sachant pas le premier mot. Espérant bien que le bombardement d'Odessa n’est pas vrai." A sheer barbarity, without any sort of use."
Je n'ai rien à vous dire de nouveau depuis hier soir. J'écris beaucoup, cela fatigue mes yeux. Ce sera bien pire quand je n’aurai plus Hélène pour venir à mon aide. Ah qu'Andral aurait pu faire une autre réponse ! C'était si simple, répéter ce qu'il avait prescrit, peut être est il blessé de ce qu'on ne s'en soit pas tenu à cela. Si c'était vrai ce serait bien bon à dire, et peut-être à défaire encore le mal. Adieu. Vous voyez ma préoccupation de cette affreuse perspective d'isolement. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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41 Bruxelles jeudi 27 avril

Morny est réparti pour Paris ce matin. Hier j’ai envoyé le duc de Noailles dîner chez un grand ennuyeux le duc de Beaufort son neveu et toute la journée j’ai possédé Morny hors le moment où il a été à Lacken chez le roi. Il a rencontré chez moi tout le monde. Lord Howard, Brunnow, l'Autrichien, Chreptovitch Brockhausen, Les Belges Brockers, Van Praet, Lebeau, tous hors Kisseleff qu’on dit très embarrassé. J'ai été extrêmement content du langage de Morny, et de tout ce qu’il m’a dit de son Empereur. D’abord je me vante qu'il m’a fait porter des paroles gracieuses de sa part. Toujours désireux de la paix, et si elle s'offre convenable bien décidé à poser sur l'[Angleterre] au reste si elle n'était trop obstinée on n’est engagé à rien, c’est très remarquable. Dans la convention d’alliance très content des allemands dans tout les cas on ne s’attend à aucun concours actif, mais dans tous les cas le concours moral donne une grande force à la France pour accepter la paix quand elle sera possible.
Andral a répondu pour se récuser. Il faut encore les avis du Médecin qui traite ; il n’a pas le droit de juger de loin. C’est donc fini, elle va à Spa. Vous concevez comme cela me désole ! Ma nièce Demidoff écrit d'Odessa en date du 17. Quelques bateaux à vapeur croisaient devant le port. Mais il ne s’était rien passé. Voilà qui détruit la destruction d'Odessa le 14.
J'ai eu de curieuses lettres de Londres. Lord Palmerston très bien très tendre, et pacifique. Agréable. toujours la guerre populaire sachant qu’elle ne l’est pas en France.
C. [Greville] me dit ici d'Aberdeen : charmé de notre déclaration, modéré et pacifique. Et si l’Empereur faisait des propositions tant soit peu acceptables " They might send me to the Tower but nothing on earth would prevent me from accepting peace. " On sait fort bien en Angleterre que les Français détestent la guerre & que l’Empereur serait enchanté de la voir finir. Marion a eu une longue conversation avec Persigny. Excellent langage. La France ne veut rien, ne prendra rien, elle veut l’estime de l’Europe. Elle y a déjà fait beaucoup de chemin, elle en fera encore et forcera tout le monde à la respecter et l'honorer. Marion a proposé la Savoie et le Rhin, il l’a envoyé promener en répétant rien rien rien que l’estime des honnêtes gens. Toutes ces lettres vous plairaient fort. J’emploie ce matin le duc de Noailles, M. Grote & Hélène a me faire des copies. Tout cela établi dans mes deux petites chambres. C’est comme une scène de Comédie et moi vous écrivant au milieu de cela. Morny a été charmant et vraiment sa visite ici a fait un extrême plaisir.
Il n'y a pas un mot de vrai à la nouvelle de son mariage. Il n’y a pas moyen de continuer Adieu. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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39. Bruxelles Mardi 25 avril 1854

Le duc de Noailles me raconte et m'amuse, mais une lettre de Marion m’amuse bien d'avantage. Elle est impayable. Elle a vu tout le monde. L’Empereur deux fois, le soir, le matin. Persigny, Fould, causé avec tous, la tête tonsurée, c'est-à-dire là où elle était, anti russe. Alliance française. Drôle, gaie. Ah que cette fille est charmante ! La comtesse Colloredo passe ici deux jours. Elle me dit qu’on est toujours échauffé à Londres.
32 fils aînés de Paris sont partis pour la guerre. Guerre élégante à la mode. Ils sont exaltés l’orient, les contes de fées. Ils seront bientôt déprimés. On écrit de Paris que Morny se marie. Une Delle de Boutteville légitimiste. Pas possible n’est-ce pas ? Le duc de Noailles a votre appartement. Il déjeune et dîne comme vous, à votre place. Distraction, & chagrin. Il reste jusqu’à vendredi. On m’interrompt. Adieu. Adieu.
Le rappel définitif de Brunsen fait un grand événement. Sacrifié à la Russie.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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35 Pars Mardi 11 Avril 1854

Je suis sorti tard hier de chez moi, j’ai eu beaucoup de monde le matin ; le Duc de Broglie, Dumon, Rémusat, Marcellus, Guisard, Greg (mon Anglais, quasi-radical), d'Escayrac, Génie & &
à 4 heures et demie, je suis allé chez Mad. de Sebach que je n’ai pas trouvée. De là, chez le Prince de Ligne ; personne. De là chez les Hatzfeldt ; personne. Le soir,des affaires protestantes. Je n'ai rien appris du tout. On se rencontre encore moins dans la semaine sainte.
Il me paraît clair que le protocole signé après la déclaration de guerre est une satisfaction diplomatique qui ne fera pas sortir les Allemands de la neutralité. Je ne crois pas à ce qu’on vous a dit sur Thouvenet à Constantinople. Personne ici n'en a entendu parler. Mais je n'ai pas encore vu sa sœur.
J’ai rencontré hier Flahaut dans la rue du faubourg St Honoré. Il m’a reconduit vingt minutes. Triste ne voyant point d'issue à tout ceci ; défendant un peu votre Empereur ; blâmant beaucoup le procès Montalembert ; le langage d'un ami découragé, qui ne craint pas grand chose, mais qui n'espère pas davantage. Porté à croire qu’en Angleterre le sentiment de la difficulté est en progrès. Il ne paraît pas qu’on ait obtenu pour les Chrétiens, rien au delà des deux firmans que les journaux viennent de publier. J’ai une lettre à Athènes, du 31 mars, d’un assez bon observateur. La conclusion est ceci : " Je vois un entraînement général dans toutes les classes, et ceux là même qui, par sympathie pour la France et l'Angleterre ou par crainte de leur ressentiment, paraissent blâmer le mouvement, le secondent de leurs voeux et secrètement de leur argent. Vivres munitions, habillement, tous les genres de secours sont envoyés d’ici. Le Roi, la Reine, le gouvernement agissant sous l'impression de sentiments favorables aux Russes, ou bien mus par une ambition que vous connaissez ou bien entraîner par le soin de leur popularité sont à la tête du mouvement, et le dissimulent à peine autant que leur position officielle de demande."
Pas plus de petites nouvelles que de grandes. Montalembert a été interrogé par le juge d’instruction, mais on ne lui a rien dit, ni rien demandé qui indique qu’on ait la moindre preuve qu’il ait contribué à la publication de sa lettre, ce qui, devant les juges, est là question. Ils sont embarrassés. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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23 Bruxelles le 7 avril

Je vais vous quereller. Vous vous faites meilleur que moi en cas. Vous me dites : " Malgré ce qui me manque, je jouis de ce qui m’est donné. " Faites moi l’amitié de me dire ce qui m’est donné. Mais je sais que vous avez un home, des enfants, et des yeux.
Hier soir, Brunnow, Van Praet, Le prince de Ligne & Mad. Villers qui me raconte son dialogue à dîner avec le Maréchal Vaillant. La promenade au bois avec Hélène a été bien sérieuse. Je me suis fait lire la discussion. Chasseloup a bien parlé. Montalembert a été bien imprudent. Je conçois que tout ceci ait fort animé Paris pour un jour. Je n’ai pas un mot de Constantin. Je ne conçois pas cela. Brockausen attendait encore hier au soir le courrier de Berlin qui devait passer ici le 3. Des lettres de Pétersbourg disent que l’[Empereur] a dit à la table ronde chez sa femme. " Je puis très bien m’arranger avec les Turcs s'ils imaginent les Chrétiens, mais avec les Anglais c’est autre chose." Adieu. Adieu.
Je suis plus triste aujourd’hui qu'hier cela ira comme cela. Adieu & Je vous écris par le Pce de Ligne. Dites moi si vous avez reçu ce N°.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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18 Bruxelles le 24 mars 1854

Hélène Kotchoubey reçoit aujourd’hui de Pétersbourg la nouvelle qu'il y a eu une rencontre entre nos vaisseaux & les Turcs & Anglais sur la côte d’Asie, 3 frégates turques, 4 vapeurs anglais qui nous ont enjoint de nous retirer nous avons attaqué, & coulé bas les 3 frégates & 2 vapeurs anglais. Les 2 autres sont allés en porter la nouvelle à Constantinople notre amiral a été tué & 8 officiers. Voilà tout ce qu’on dit. Le courrier porteur des rapports officiels n’a fait que traverser Pétersbourg pour aller rejoindre l'Empereur en Finlande. Tout ceci est verbal, sans désignation de lieu ni de date, mais nous allons savoir tout cela officiellement. Voilà donc la guerre commencée ! Les publications anglaises sont inconcevables, et déplorables. Nous ne savions pas ce que nous allions chercher qu’allez-vous me dire de tout cela ? Je grille de ne pouvoir dire à personne tout ce que j'en pense. Je n’ai pas eu un mot de vous du Val Richer.
Vous me direz j’espère si tous mes N° sont en règle, et puis j’attends une réponse. Il n’est peut-être pas trop tard. Je ne vois pas que la nouvelle de Constantinople soit confir mée. Vraiment si les Turcs accordent tout ce qu'on leur demande ils sont bien plus annulés qu'ils ne l'eussent été en cédant à nos demandes. De toute façon je crois que c'est un pays perdu. Je reviens aux publications. Ne vous figurez-vous pas en les lisant que vous êtes la postérité. Dans 60 ans à la bonne heure, mais aujourd’hui. Rien de secret, rien de sacré. Enfin c’est incroyable, je ne sais pas encore l'effet que cela produit. à Paris. Dites le moi je vous en prie. Ici l’effet ne nous est pas favorable. Adieu. Adieu. Le temps est mauvais et mes yeux. vont mal. Dites moi un mot pour Barrot. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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14. Bruxelles Vendredi le 14 Mars 185

Il se fait un grand travail pour disposer mon empereur à se reconnaître satisfait, le cas échéant de l'émancipation religieuse et civile des Chrétiens à laquelle la France & l'Angleterre travaillent activement à Constan tinople. Il serait fort utile que vous m'en disiez un mot dans votre prochaine lettre. De ces paroles qui frappent et comme vous seul savez les dire. Beau rôle à jouer que de rendre la paix au monde, et d’attester par là que ce n’est ni son ambition ni son amour propre dont il recherchait la satisfaction. S’il dit " Je suis content & je le prouve en sortant des principautés", tout est fini, tout le monde est heureux, & si l'Angleterre osait ne pas être satisfaite c'est contre elle qu'on se retournerait. Voilà l’opinion de mon long tête-à-tête l’autre jour. Le Roi a reçu une excellente lettre de mon empereur. Elle atteste son désir à présent, toujours de faire la paix. J'y vois ainsi une grande confiance dans les opinions du roi.
Je vous prie causez avec moi familièrement sur le texte que vous dis. Grand à propos. Voici votre lettre et vous me dites tout juste ce que je vous demande. Cependant je veux encore ; même familiarité de style, et puis du stimulant sans rien de blessant. J’ai envoyé votre N°16 qui était bon et utile, la critique de nos prières. Il faut que nous écoutions la vérité. S’il n’y avait pas des sifflets j'enverrai celle-ci aussi. Les autographes font toujours meilleur effet que les copies quand il n'y a rien de préparé, ainsi pas de princesse.
Votre projet de visite m'enchante ! Barrot vient me voir souvent, & me prie de vous offrir ses hommages. Vous le confondez avec son frère. Il n’a jamais été député. Il s'appelle Adolphe et a longtemps servi sous vos ordres, il parle de vous avec beaucoup de respect et de reconnaissance. Lord Howard vient beaucoup aussi, je suis très bien avec tous les deux. Ils ne voient plus du tout Chreptovitch & Kisseleff. Celui-ci a fini avec moi complètement ; c’est incroyable. Vely Pacha est ici logé sous le même toit que moi et toute la Russie car il y a K. Hélène, mon fils & deux autres familles Russes. Lady Palmerston m'écrit de bonnes lettres affectueuses. Ah que je vais me réjouir de vous recevoir. Comme je me sens triste du présent, de cet avenir si incertain si sombre, car je n'ose rien espérer, les proportions de cette guerre peuvent devenir énormes. Cela fait frissonner. Brunnow n’est pas arrivé encore. Dépêches et lettres s’attendent. Adieu. Adieu. Merci mille fois de Cromwell.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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8 Paris, Samedi 4 mars 1854

Je n’ai encore rien de vous ce matin. Je ne m'en étonne pas ; vos lettres m’arrivent presque toujours fort tard ; mais j'en suis bien impatient. Si vous étiez trop souffrante, ou vos yeux trop malades, j'espère que la Princesse Kotchoubey aurait la bonté de me donner, en quatre lignes, de vos nouvelles. C'est elle qui fait, en ceci, ma sécurité, si sécurité, il y a.
Je vous ai dit sincèrement mon impression sur l’idée de votre retour immédiat. Je vous la devais, quelque amère qu'elle ne fût. Plus j’y pense, plus elle se confirme. Je ne regarde pas comme impossible qu’il se présente quelque expédient imprévu pour mettre fin tout à coup à cette déplorable guerre. Mais quant à présent, même en France, où elle déplait, elle est de plus en plus prise au sérieux, et la passion pourrait bien ne pas tarder à s'y mettre.
M. de Flavigny me disait hier qu'à la séance Impériale, en entendant le discours, le sénat et la magistrature avaient été froids, mais le corps législatif, les gens des provinces, approbateurs et assez animés. Ils ont pris leur parti de la guerre. Ils prennent au pied de la lettre les paroles de paix prochaine et point de conquêtes qui contient le discours. Ils soutiendront sans rien objecter.
Je reçois ce matin une lettre de Piscatory, qui m'écrit : " C'est maintenant le succès qu’il faut souhaiter, et en toute sincérité, je le souhaite ardemment ; le drapeau est engagé ; et puis honneur et intérêt du pays à part, la défaite n'est jamais bonne à rien, ni à personne. Avec de bonnes dispositions, et dans le monde du gouvernement et dans celui de l'opposition la Russie n'est pas populaire.
Je ne me représente pas agréablement vous au milieu de cette atmosphère là ; votre repos et votre dignité en souffriraient également. Restent les maisons de santé, les raisons impérieuses. Celles-là l'emportent surtout.

3 heures
Je rentre et je trouve votre lettre qui me fait grand plaisir parce qu'elle est bien moins abattue. Dieu veuille que vos yeux aillent mieux. Dans le public indifférent, le discours impérial a assez peu de succès. Je ferme ma lettre. J’ai là du monde. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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4 Paris. Lundi 27 Février 1854

On me remet votre N°2. J'accepte votre tristesse, mais non pas votre toux. Il fait doux et beau ici. Quand je sors, je m’applique à ne pas passer par votre bout de la rue de Rivoli. Cela m'est insup portable. Moi à part, vous manquez à tout le monde plus que vous ne croyez. Hier, Duchâtel et Noailles, ce matin Dumon m'ont fait des morceaux sur vous. Noailles restera un soir chez lui. Duchâtel aussi. Mais il n’y a plus même de monnaie de M. de Turenne. J’ai dîné hier chez Broglie avec mon fils. Fini la soirée chez ma fille. Ce soir, j’ai un comité Protestant, puis le chancelier et M. de Neuville.
Voilà le chaos Espagnol commencé. Rien absolument jusqu'ici contre la Reine Isabelle. Son gouvernement a battu l'insurrection. Il va dissoudre les Cortès et le Sénat, et convoquer des Cortès constituantes qui feront une constitution nouvelle, plus monarchique. A Saragosse, le colonel Horé, chefs des insurgés, a été tué à la tête de son régiment, le régiment de Cordoue. Le capitaine général, avec les Grenadiers de la Reine, l’a chassé de la ville. 150 hommes sont restés sur la place, parmi lesquels quelques bourgeois. A Madrid, beaucoup d'hommes considérables ont été arrêtés, Gonzales Bravo, le général Serrano &. On s'attend à une guerre civile où reparaîtront tous les partis, Carlistes, Espartéristes, Républicains & &. Une dépêche télégraphique courait hier soir disant que la République avait été proclamée à Madrid. On n'y croyait pas.
Le Prince Napoléon commandera un corps de réserve, à Constantinople. Duchâtel avait hier une lettre d’Ellice inquiet pour le cabinet anglais, à l'occasion du bill de réforme de Lord John. On croit qu’entre l'opposition, quelques radicaux mécontents et les députés des bourgs que son bill dépouille de leur privilège électoral, il pourrait bien se former une majorité qui lui infligeât un échec qu’il n'accepterait pas. L'échec serait au profit de Lord Palmerston. Je n'y crois pas. Le Parlement ne dérangera pas aujourd’hui le gouvernement. Lord John a du guignon. J’ai une lettre de Croker qui a fait réimprimer en une petite brochure, toute leur correspondance à propos de Moore avec des additions assez piquantes. Il me dit : All the world here of all parties, as Brougham writes to me, agree that I have had a complete victory.
Rothschild ne fait pas l'emprunt. On dit qu’on le mettra en adjudication quand le corps législatif sera réuni. Si vous ne savez pas bien ce que cela veut dire, demandez-le au premier venu qui vous l'expliquera. Le bœuf gras se promène très paisiblement. Il s’appelle M. d'Artagnan, et non plus le Prince Mentchikoff. Adieu, Adieu. G

La fin du discours de Clarendon est remarquable d’un ton plus élevé que de coutume et ouvrant, sur l'avenir, une longue perspective pleine de guerre et aussi de réserves. On prévoit beaucoup, et on ne veut. s’engager sur rien.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Jean me trouve me levant et à ma toilette. Je l’interromps pour vous dire que je continue à aller mieux. Je recommence à manger du blanc de poulet. Je dors très bien. J’ai autre chose à vous dire, car je pense beaucoup, mais, il me faut du repos et pas de presse. Je vous écrirai dans la journée.
J'attendrai la table. Elle viendra plus sûrement que la paix. Impatientez vous contre les rois et laissez-là les ébénistes.
Je vous renvoie la lettre d'Ellice qui est curieuse plus que rassurante. Je suis pourtant bien aise qu’il persiste à avoir le même pressentiment que moi, quoique je fasse plus de cas de ses nouvelles que de ses pressentiments.
Adieu, Adieu. G.
Samedi 31 déc. 1853

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 13 Nov. 1853

Je crois que nous ne comprendrons guère mieux la guerre que la négociation. Je ne parviens pas à démêler qui, des Russes ou des Turcs est resté vainqueur à Oltenita. Vienne dit les Turcs, Berlin dit les Russes. Je crois que ce sont les Turcs. C’est dommage que le Prince Gortschakoff, qui est venu, dit-on, complimenter ses troupes sur leur bravoure, n'en eût pas placé là un assez grand nombre pour que la bravoure fût sûre du succès.
Je suis obstinément pour la paix, comme Lord Aberdeen, et je persiste à croire que c’est à la paix qu’il faut travailler, et qu’on doit réussir à la rétablir. Mais si nous devons être jetés dans la guerre, et dans la grande guerre, je suis pour que les Turcs soient chassés d’Europe. Au moins faut-il que nous avons ce profit en perspective au bout de ce chaos.
Duchâtel m’écrit dans un grand accès d'indignation contre la façon dont " cette misérable affaire a été conduite ; il n’y a pas deux jugements à rendre." Il est du reste plus préoccupé du dedans que du dehors : " L’hiver, dit-il, sera difficile à passer ; il n’arrive que peu de grains étrangers ; le commerce prétend manquer de la sécurité nécessaire. Les denrées autres que le blé, ont manqué comme le blé et même quelques unes dans une plus forte proportion. Le vin est arrivé à un prix que l'ouvrier ne peut pas payer. Il y a un sujet grave d’inquiétude. Les dispositions du peuple, même dans nos campagnes ordinairement si tranquilles, prennent un caractère menaçant ; le socialisme chemine sous terre sans qu’on s'en aperçoive. Il ne suffit pas, pour le détruire, de la comprimer d’une main en l'encourageant de l'autre ; la force est nécessaire contre les idées mauvaises, mais à elle seule, elle est insuffisante ; il y faut le concours énergique des idées vraies, fortement soutenues. "
Il a raison. Il ne reviendra à Paris qu'à la fin de l’année.
Je ne trouve rien à redire à votre manifeste. Il ne dit que l'indispensable, y compris, la phrase sur la foi orthodoxe. Les catholiques ardents ne peuvent pas vous pardonner ce mot orthodoxe. C'est pour cette raison qu’ils aiment mieux les Turcs qui n’ont pas la prétention de l'orthodoxie. Il me semble que la circulaire de M. de Nesselrode en dit plus que le manifeste, et qu’elle laisse entrevoir la chance d’une guerre offensive de votre part, bien au delà du Danube. En général, les commentaires par circulaires ne vous ont pas réussi.

Onze heures
Je reçois à la fois plusieurs lettres. La situation me paraît grossir et gronder. Que c’est absurde ! Mais ce n'en est que plus grave. Adieu, adieu.
Voici la dernière lettre à laquelle vous répondrez. Je vous écrirai encore deux mots mardi. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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87 Paris jeudi le 10 Novembre 1853

Les nouvelles hier étaient très mauvaises dans un engagement entre 12,000 turcs & 9000 russes ceux-ci auraient. par être battus. Le combat fini aurait duré toute la journée du 5. On a épuisé la poudre des deux côtés, on a été réduit à se battre à l’arme blanche et c'est là où le nombre l’a emporté. C’est aux aff. étrangères qu'on donnait ces détails et avec beaucoup de tristesse parce que cela ne laissait plus d'espoir pour les négociations. Le combat a eu lieu près de Silistrie. Je vois que le Moniteur n’en parle pas ce matin. Il faut attendre. Je me trompais le Moniteur en parle. J’ai encore une lettre de Meyendorff, sans grande importance. Il compte sur la neige & le manque d’argent. Les gens venus d’Afrique & d'Asie n'endureront pas la première & tout le monde criera contre l'autre. Dans 2 mois révolte au camps turc. Moi je ne compte plus sur rien que sur la bêtise des gouvernements, right and left. C’est la plus triste & la plus sotte affaire ! Dans ce moment arrive le Manifeste russe du 21 octobre 2 novembre par lequel nous acceptons la guerre, & recourons à la forme des armes " pour obtenir réparation des offenses par lesquelles la Turquie a répondu à nos demandes modérées, & à notre sollicitude légitime pour la défense de la foie orthodoxe en Orient. "
Je copie des journaux étrangers, je suppose le manifeste vrai. C’est bien engagé. On me dit que le langage à St Cloud est devenu très belliqueux. Les journaux le sont. Voilà un triste hiver qui commence. Le froid est venu aussi. Adieu. Adieu.
J’ai vu hier soir Noailles & Berryer. Oiseaux de passage Dumon est fixe, & je le vois tous les jours.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 7 Nov. 1853

Voici des nouvelles d’Angleterre. On vous les a peut-être données aussi. En tout cas, je vous les donne. Palmerston ne croit pas à l’arrangement de l'affaire Turque. Il dit qu’on ne se découragera pas, qu’on négociera jusqu'à la dernière extrémité ; mais les choses, selon lui, sont si mal emmanchées et votre Empereur a de telles répugnances (qu’est-ce que cela veut dire ?) qu’on n’arrivera probablement pas à la conclusion qu’on demande. Il se prépare pour cette chance ; il trouve sa position bonne ; il a toujours été fidèle à sa politique de liberté Européenne et d'émancipation des peuples ; le cabinet de Paris ne peut douter de sa loyauté. Bref, il est content, et il attend. J’espère qu’il se trompe. S'il ne se trompe pas, vous aurez la France et l'Angleterre unies pour la guerre libérale, au lieu de les avoir une comme de mon temps, pour la paix constitutionnelle. J’ai beau y penser ; je n'y crois pas. Pouvez-vous vérifier si ce qu’on me dit de Palmerston est vrai ?
En tout cas, les coups de canon qui le tirent en ce moment en Valachie amèneront, ou la paix prompte, ou une guerre de trente ans. On m'écrit que le marquis de Viluma quitte Paris pour aller être président du Sénat à Madrid. Si Narvaez ne devient pas bientôt président du Conseil il reviendra comme ambassadeur à Paris. La nomination du frère de M. de Viluma, du général Pezuela comme gouverneur de Cuba n'indique pas que l’Espagne soit près de s'entendre, à ce sujet, avec les Etats-Unis. C'est un militaire espagnol, très brave, très fier et très vif.
Encore une lettre d’Angleterre, de mon ami Hallam. En voici deux phrases, très sensés : - The worst that could now happen would be a decisive advantage in the fields obtained by the Turks. - There is an apparent spirit in this country very much opposed to the temporizing policy of our friend Lord Aberdeen ; but I do not believe, it lies deep, through the press is almost universally in that tone. A good deal of this swing to the refugee and revolutionary party throughout Europe, and I am most anxious for a pacific settlement, in order to defeat their objects.

Midi
Je ne suis plus curieux que des nouvelles de la bataille. Si vous ne passez pas le Danube, je suis tranquille. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Au château de Broglie, Samedi 22 oct. 1853

Voici la réponse de M. Monod. On fera maintenant ce qu'on préférera. Dites le moi seulement dès que vous le saurez pour que j'en informe, M. Monod.
Je reçois à l’instant des nouvelles de la Reine du 19 à 10 heures du matin, un peu meilleures. On me dit que les mauvais symptômes ont cessé et qu'on est rassuré. J’ai pour que ce ne soit là que les oscillations d’une maladie bien grave. Elle avait été mieux le lundi 17 ; elle est retombée le mardi 18 ; un des poumons s’engorgeait ; il paraît qu’elle était mieux le Mercredi 19. On a fait venir de Paris, une soeur de la Charité qu'elle aime particulièrement.
C'est dommage que G. ne vous écrive plus. Je lui croyais l’âme trop exercée aux pertes ou aux gains de Newmarket pour que ses correspondances en fussent dérangées. Si l'Europe ressemble à la France, M. de Persigny aura raison.
Avez-vous lu l’article des Débats d’hier sur la race Slave, et le théâtre en Russie, et savez-vous qui est M. Pierre Douhaina l’article m’a intéressé, quoique bien long. Les Russes et les Turcs vont remplir les journaux. Je trouve le dernier langage du Times très sensé. On fera évidemment partout tout ce qu’on pourra pour rétablir la paix, et probablement on y réussira. Mais, on a en même temps partout le sentiment qu’il y a beaucoup d'inconnu, dans cette situation, et on se prépare à n'être pas surpris, ni pris au dépourvu par l'inconnu.
Voilà, toutes mes nouvelles. Je pars dans deux heures pour aller passer deux jours au Val Richer. J’ai eu ici un temps affreux. Il fait un peu moins laid aujourd’hui. Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Au château de Broglie, mardi 18 Oct. 1853

Je m'assois pour vous écrire et on m’apporte votre lettre d’hier. Celle de M. de Meyendorff est très rassurante. Il faut être deux pour faire la guerre. Le seul embarras, c’est qu’il y a trop de gens pour faire la paix. Ils ont bien de la peine à s'entendre. Ils en viendront à bout pourtant. Mais évidemment vous occuperez les principautés tout l'hiver.
Il n’y a personne ici que les maîtres de la maison. Barante, et Mad. Anisson sont partis avant hier. C’est bien un des lieux les plus tranquilles qu’on puisse imaginer. Beau et froid. On n’y sait point de nouvelles, quoiqu'on les aime. On se promène et on cause beaucoup. Bonne conversation, très sensée. Je trouve la princesse de Broglie changée, maigre et pâle. Ma fille croit qu’elle est grosse. Elle a déjà quatre fils.
J'écrirai demain à M. Monod ; mais sa lettre me fait, comme à vous l'impression qu’il n’a, quant à présent, point de pensionnaires, et je suis tout-à-fait de votre avis, il faut des camarades. M. Meyer, dont il parle est un excellent homme, pasteur luthérien, collègue de M. Morny. Je sais qu’il a en effet plusieurs fils jeunes peut-être à défaut de M. Monod cela conviendrait-il ?
Il est très bon que le Roi Léopold aille en Angleterre. La Reine Marie Amélie s’est arrêtée à Genève assez malade d’un rhume violent. En arrivant, elle avait fait dire à Mad. de Staël, qui est à Coppet de venir la voir, et quand Mad. de Staël est venue, elle n’a pas pu la recevoir. Elle restera à Genève jusqu'à ce que son rhume soit tout-à-fait passé. On n’avait cependant point d'inquiétude sur son compte.
Je suis bien aise que vous ayez retrouvé Dumon, et que du monde vous arrive. Je crois que vous en aurez beaucoup cet hiver. On sera agité sans vrai malheur, ni même vraie inquiétude. On court alors, on voyage.
Je trouve excessif que Kisseleff et Hübner ne soient pas invités à Compiègne. Il n’y a pas de raison pour cela. C'est trop d'empressement à couper l'Europe en deux, sans compter qu’on ne la coupe pas réellement en deux. Tant qu'Aberdeen sera au pouvoir, il ménagera l’Autriche, et la Prusse fera toujours plus que vous ménager. Adieu.
J’irai samedi prochain 22 au Val Richer dire adieu à ma fille Pauline qui part le lundi 24 pour Hières, je reviendrai ici Mardi 25 pour toute la semaine prochaine. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 16 oct. 1853

Je vous envoie la lettre que je viens de recevoir de M. Monod. Vous la trouverez détaillée sensée et très consciencieuse. Vous me direz ce que je dois répondre.
Savez-vous si la Princesse Koutschoubey a reçu ma lettre. Je l’ai adressée à l'hôtel Bristol.
Gladstone a supérieurement parlé à Manchester. Il me paraît que le mouvement belliqueux n’a pas grand retentissement en Angleterre. Je serais charmé que la mauvaise politique fût, là, percée à jour et repoussée, et la bonne comprise et soutenue par le bon sens public. Ce serait un grand triomphe. dans une grande épreuve. Si cela est vous aurez, entre vous Russes et Turcs, bien de la peine à vous battre, et si vous vous battez, on ne se battra pas pour vous et on trouvera quelque moyens d'empêcher que vous ne vous battiez longtemps. A travers toutes nos oscillations et vos agitations, cela me paraît le résultat le plus probable. Si ce n'était vous, je crois que je n'y penserais plus guère.. Je suis à la veille d’un assez grand dérangement, pour l'hiver prochain, dans mon intérieur. Ma fille Pauline, sans être malade, est toujours fatiguée et faible. Elle n’a pas repris ses forces depuis sa dernière couche. Son médecin, qui est venu ici, lui conseille positive ment d'aller passer l'hiver dans le midi, à Hières, ou à Nice. Son mari en est d’avis, et moi aussi. On prévient beaucoup de malheur en prenant tout de suite ces précautions- là. Elle partira donc bientôt, et mon ménage de l'hiver se réduira à Guillaume et moi, avec ma fille Henriette à côté. C’est une contrariété ; mais quand on a ressenti les grandes joies et les grandes peines de la vie, les contrariétés sont peu de chose. Je n'ai pas de vraie inquiétude sur ma fille mais je crois tout-à-fait bon pour elle. qu'elle aille passer l'hiver sous un ciel doux et dans un complet repos. Je remercie Marion de m'avoir tiré d’embarras sur Pianezza.

Onze heures
Voilà votre lettre qui ne m’apprend rien, comme je m’y attendais. Vous m'écriviez le 24 septembre : " Hélène est bien touchée de vous voir vous occuper d'elle. Elle prendra à genoux le précepteur que vous lui recommanderiez. Je vous prie donc d'essayer de trouver et de lui adresser directement votre trouvaille. " Je ne sais pas une autre manière d'adresser directement que d’écrire.
Je crois que là le Duc de Nemours a dû voir, M. le comte de Chambord. Mais je n'en sais rien de positif. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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63 Paris le 23 septembre 1853

Le fils de M. de Meyendorff m’a apporté de lui une longue lettre, pas gaie. 2 pages d'invectives contre Lord Radcliffe. Double langage, double jeu. J’ai envoyé copie de cela à Lord Aberdeen. Ce n’est que le 10 octobre qu'on attend à Vienne les résolutions de la porte à la suite de notre refus.
J’ai vu Fould ; mécontent d'Aberdeen. Ne comptant que Palmerston & Malmberg comme aussi de l’Emp. Napoléon disant que l’opinion toute entière de l'Angleterre demande la retraite d'Aberdeen. Il a l’air d'y croire. Il est toujours question d'un mouillage en dehors des Dardanelles. Le discours à Satory avait subi quelque avarice en le prononçant, défaut de mémoire ou je ne sais quoi. Le Moniteur a suppléé. On est bien mécontent ici de nos observations sur les modifications de la porte, et on le dit aux gros et aux petits. Cette pièce était juste à la dépêche à Meyendorff. Celle-ci est bien pauvrement donnée dans les journaux. Je vous répète qu’elle est très bien faite, très bien écrite. K. a eu bien tort de ne pas donner le texte.
J’ai vu le duc de Noailles avant hier soir, & hier Barante. Sébach est revenu de Torquay. La G. D. Marie folle de l'Angleterre et ne voulant pas en bouger. Torquay plus beau que Naples mécontente de la cour mais se moquant de cela. Brunnow bien noir et croyant à la guerre, à la grande. Voilà mes nouvelles. Passons aux petites affaires. Hélène est bien touchée de vous voir vous occuper d’elle. Elle prendra à genoux le [...]

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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59 Paris jeudi le 8 septembre 1853

Merci de la lettre de Lord Aberdeen. Je crois que nous accepterons, mais la nouvelle-ci n'est pas venue encore, ce qui étonne cependant je ne pense pas que nous évacuions avant l'envoi d'un ambassadeur Turc porteur de la note. Il me semble qu’en Angleterre. On s’inquiète outre mesure. Lord [Aberdeen] est dans le vrai.
Je vois les diplomates le matin, ils ne savent absolument rien, mais Kisseleff & Hübner sont tranquilles, les deux empereurs vont se voir à [Olnentz]. à moins de grand événement ceci sera ma dernière lettre. Le temps est toujours affreux. Très froid.
Nous avons passé toutes ses dernières soirées à trois avec Viel Castel, que nous trouvons charmant. Il part aujourd’hui pour Broglie. Il ne me reste plus personne et je vais courir le soir je ne sais où. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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57 Val Richer. Mercredi 7 sept. 1853

Voici une lettre de Lord Aberdeen qui a de l'intérêt. Je le crois plus confiant dans la conclusion qu’il ne le dit. C'est sa maxime qu’il ne faut jamais être ni surtout paraîtra sûr ; en quoi il a très habituellement raison. Moi qui ne suis qu’un spectateur sans responsabilité, je persiste à tenir l'affaire pour terminée. On disait, il y a six semaines, que les Turcs ne demandaient qu'à céder, que c’étaient les puissances, et Lord Stratford, ou non des puissances qui les en empêchaient. Apparement elles seront bien en état de les faire céder aujourd’hui.
Je trouve que votre Empereur a là une excellente occasion de reprendre en Europe le terrain qu’il y a perdu ; on lui sait déjà beaucoup de gré de la bonne grâce avec laquelle il a accepté la note de Vienne ; si maintenant, il est plus modéré que les Turcs et passe par dessus leurs petites exigences pour mettre fin à la crise au lieu de s'en servir pour la prolonger, on sera frappé de sa magnanimité russe, de sa sagesse Européenne ; on regardera presque la paix comme un don de lui, et la question sera close à son honneur comme à son profit.
Le Duc de Broglie et Mad. d’Haussonville, sont venus me voir avant hier. Nous avons causé tout le jour. Broglie triste et sensé, trouvant, comme vous le dites, et comme cela est évident, que l'Empereur Napoléon, a gagné que l'affaire d'Orient a bien tourné pour lui, qu’il s’y est conduit habilement & & Cela vaut mieux que la popularité au Dieppe. Un souverain est toujours populaire aux eaux où il amène du monde.
J’ai vu ce pauvre Molé quand j’ai été à Paris pour l'Académie. C'est fort triste, un peu moins pour lui que pour d’autres, parce qu’il a toujours plus vécu de la conversation que de la réflexion ou de l'étude. Il paraissait croire que c’était une cataracte, déjà formée, sur un oeil et en train de se former sur l'autre. On peut opérer cela. Triste ressource, mais ressource. On n’a pas besoin d'être un héros mutilé pour finir comme le maréchal de Rantzau ; Et Mars ne lui laissa rien d'entier que le coeur, heureux ceux à qui le coeur reste entier ! Après tout, c’est par là qu’on vit. Adieu, je vais faire ma toilette. J’aurai de vos nouvelles ce matin. Je vous écrirai encore vendredi. Puis, je vous verrai dimanche. Vrai jour de fête. Adieu.

Onze heures
Voilà votre lettre. Ce serait bien du bruit. Mais si Constantinople est sens dessus dessous, tout suivra. Adieu. Vous savez bien que je ne m'ennuierai pas.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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54 Bar le duc Mardi le 30 août 1853

Si je date de Mardi une lettre que je vous aurais écrit la veille (Lundi) est-ce antidater on postdater qu'il faut dire ? Répondez-moi je vous en prie et tout de suite. Détestable auberge, mais il a fallu m’arrêter.
Paris le 31. Me voilà et fatiguée. Je trouve une lettre de Meyendorff et une de Constantin. Je vous envoie copie des passages importants. Je n’ai encore vu personne ici et ma lettre partira avant toute visite, mais ces deux lettres me semblent renfermer ce qui est essentiel. Greville me mandait si les Turcs ne font pas what we prescribe nous ne pouvons plus les soutenir. Voyons comment tout cela ira, maintenant, notre partie est la belle. Heeckeren m’a dit que jamais les vaisseaux. Français ne reculeraient tant que nous resterons dans les principautés. Nous verrons. Comment pourraient-ils entrer dans les Dardanelles sans provoquer le guerre, et ils ne peuvent pas rester à Besika. Adieu. Adieu.

Je copie un autre passage de la lettre de Meyendorff. " je voudrais vous dire tout le plaisir avec un peu d'envie que j’ai éprouvé ici apprenant le beau sens du fils de M. Guizot. Comme j’admire le père d’avoir eu le temps de bien élever ses enfants ! "

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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53 Val Richer, lundi 29 Août 1853

Deux lignes pour votre arrivée demain à Paris, quoi qu’il y ait déjà une lettre de moi qui vous y attend. Je suis bien aise que vous y soyez de retour malgré la saison, vous y aurez toujours plus de ressources qu'ailleurs ne fût-ce que vos diplomates. Mais de quoi vous parleront-ils maintenant ? Le Moniteur m’a apporté hier l’assentiment de la Porte. Cette question vous a agitée outre mesure. Mais il n’y a jamais de mesure dans votre agitation. Comme je vous le disais, on est très content à Londres, le Cabinet du moins. On m'écrit avant. hier : " Notre session a fini avec éclat, et le gouvernement jouit d’un repos absolu. L'opposition a disparu, et le succès de Lord Aberdeen est tout ce que ses amis pouvaient désirer. On a reproché au Cabinet une attitude un peu molle sur la question du dehors ; mais vous savez ce que valent, ces sortes d'attaques, et la position est assez forte pour nous permettre une grande modération. D'ailleurs, il est plaisant que ce soit les soi-disant amis de la Turquie qui veuillent la guerre, laquelle lui serait probablement funeste. "
Reeve va se promener à Constantinople. Faites vous lire, dans le Quaterly Review de Juin, un article sur Lord Palmerston et toute la politique anglaise à propos de l'ouvrage de M. de Ficquelmont. Il vous intéressera. Adieu, Adieu, avant quinze jours, nous aurons bien causé. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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52 Schlangenbad le 24 août 1853

Me voilà encore. La chaleur a été si forte que je n’ai pas où me mettre en route. Elle se dissipe un peu, et samedi je pars. Je serai à Paris sauf nouvel incident ou accident. Mardi le 30. Meyendorff était très affir matif en me mandant que Constantinople avait accepté l’Ultimatum. Une lettre de Kisseleff reçue hier l’est moins, mais cela nous est bien égal. La faute serait aux autres.
Je ne vois plus une âme, il n’est resté personne à Schlangenbad. Ce repos me plait beaucoup, seulement il ennuie mon fils. Je n’ai pas l'ombre de nouvelle à vous dire. Mariage à droite, à gauche, voilà le seul aliment des journaux. Adieu. Adieu. On a bien des Bavaroises déjà en Autriche, cela ne plaira pas.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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51 Schlangenbad le 22 août 1853

Le N°50 est allé à Paris, je vous en préviens, votre lettre du 19 m’apprend votre changement d’époque pour votre séjour-là. Meyendorff me mande l'acceptation de la Porte de l’ultimatum reste à coordonner l’évacuation des principautés avec la retraite des flottes. Il pense qu'il y aura quelques courses de courrier, et que cela se fera sans beaucoup de diffi cultée, mais plus ou moins de temps.
Au fond nous sortions de mauvaise affaire très bien. Les [?] seront de notre côté. Il ne seront pas du côté de Lord Redcliffe. La Russie n’a pas été effrayée de l’Europe. Je pars demain matin avec regret, mais mon fils s'ennuie, il n’y a plus personne que des royautés qui l'incom modent. Je répugne à un nouvel établissement à Bade, je n’ai de ressource qu’en m’en retournant à Paris, et là personne, ce n’est pas brillant. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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50. Schlangenbad le 21 août 1853

Je ne partage point du tout votre opinion sur la conduite des Anglais dans l’affaire d'Orient et je suis bien plus de l’avis de Duchatel qui m'écrivait ceci : " le gouvernement Français sort de l’épreuve à son honneur, pour lui c’est du côté de la sagesse et de la modération qu’il gagne. Je ne ferai pas le même compliment à l'Angleterre, aveuglément confiante au début. Absurdement colère dans la crise, devient la paix et ne recevant le dénouement qu’en grognant tout cela me parait une triste politique. "
La séance de 16 à la Chambre basse n’est pas brillante pour le ministère, et le Times même l'abandonne & se moque de lui. Hier est venu la nouvelle que l'Empereur d'Autriche est fiancé à une princesse de Bavière. Son père est duc en Bavière. Elles sont six soeurs pas jolies. J'ai été enfin rendre visite hier à la D. de Nassau à Wiesbade. Je lui devais cela pour l’année dernière et celle-ci. Un établissement ravissant. Palais Moresque dans le meilleur goût. Le temps est superbe. Je crains que l’été n’arrive tout juste lorsque je rentre dans un quartier d’hiver. Je pars après demain, mais je ne sais pas quelle route ni combien de temps je me trainerai en chemin. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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44 Schlangenbad le 7 août 1853

J'ai oublié de vous dire que j’ai donné à lire au roi de Wurtemberg trois de vos lettres qui traitent de la question d’Orient c.a.d. de nos circulaires. Il en a été ravi, il me les a renvoyées avec un billet que je vous montrerai. A propos ses plus intimes ici nient qu'ils aient jamais vu la face de Klingworth (belle face) Il vient ici sans cesse chez le roi.
2 heures. Le roi vient de recevoir une dépêche télégraphique en annonçant qu’à Pétersbourg le projet d'ultimatum à la Turquie a été agréé ; je ne pouvais en douter puisque cela s’est fait sous les yeux de Meyendorff. Reste à voir ce que dira Constantinople. Ce n’est plus aussi grave. Si les Turcs acceptent, l’affaire est terminée. S'ils refusent, ils n’auront plus l’appui des protecteurs qu'ils s’en tirent tout seuls. L’une on l’autre alternative est donc bonne pour nous.
Je suppose que cet ultimatum ne touche que l’affaire principale, la proposition Menchikoff. Les principautés seront une affaire séparée et secondaire ; mais je suis portée à croire que nous les évacuerons du moment que la Turquie se soumet à la note de Vienne.
Si la nouvelle que vient de me donner le roi est vraie et elle doit l’être, je vais me reposer de toutes mes agitations. J’attends aujourd’hui. mon fils Alexandre. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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43 Val Richer, Samedi 6 Août 1853

Merci de la lettre de M. de [Meyendorff] qui m’a beaucoup intéressée. Je suis charmé que les miennes l’intéressent un peu. J’aimerais bien mieux causer avec lui. Je lui dirais que je n'ai jamais pensé à un protectorat collectif des Chrétiens en Turquie. J'en sais, comme lui, l'impossibilité pratique. Ce qui me paraissait praticable, c'était que votre Empereur, puisque on regardait un engagement de la Porte envers lui comme attentatoire à l’indépendance Ottomane, proposât lui-même que la Porte prit le même engagement, non plus envers lui seul, mais envers toutes les Puissances Chrétiennes, laissant chacune de ces Puissances protéger ensuite, pour son compte, ses propres dieux Chrétiens, l’une les Grecs, l'autre les Catholiques, l'autre les Protestants &
Mon idée n'était qu’un expédient pour sortir de la difficulté du moment par une porte qui ne fût plus seulement Grecque et Russe, mais Chrétienne et Européenne, qui fût par conséquent plus grande pour votre Empereur et unobjectionable pour les autres. Ce sont les situations prises qui décident. des affaires je voyais là une bonne situation à prendre, bonne pour la dignité et pour la solution. Voilà tout. Cela ne signifie plus rien aujourd’hui. Le sultan a beau se griser et traîner. L'affaire finira bientôt puisque tout le monde veut, qu'elle finisse. Les embarras ne sont des périls que lorsqu’il y a des puissants qui veulent en faire des périls.
Vous ne lisez probablement pas les récits de la révolution de Chine. S'ils sont vrais il y aura bientôt là, pour l'Europe, de nouveaux Chrétiens à protéger. Seront-ils Grecs, Catholiques ou Protestants ? Je crois que vous avez une mission religieuse à Pettiny. Du reste, ces Chrétiens chinois, orthodoxes ou non, me paraissent en train de se bien protéger eux-mêmes. Convaincu, comme je le suis, que le monde entier est destiné à devenir Chrétien, je serais bien aise de lui voir faire, de mon vivant, ce grand pas.
Avez-vous des nouvelles de la grande Duchesse Marie ? Le voyage de la grande Duchesse Olga en Angleterre est-il déterminé par la santé de sa sœur ? Dieu veuille épargner à votre Empereur cette affreuse épreuve ! Il m’arrive le contraire de ce qui arrive, dit-on, ordinairement ; je deviens en vieillissant, plus sympathique pour les douleurs des autres ; mes propres souvenirs me font trembler pour eux comme pour moi-même.
Je voudrais vous envoyer un peu du beau temps que nous avons depuis quelques jours ; très beau, mais pas chaud. C'est le vent du Nord avec le soleil. Nous n'aurons décidément point d'été. Vous ne me dites rien de l'effet de vos bains ; mais à en juger par l’air de votre silence, Schlangenbad vaut mieux qu'Ems.
Changarnier parle en effet trop de lui. Mais quand vous n'avez rien à faire des gens, vous ne savez pas assez les prendre par le bon côté, et mettre à profit ce qu’ils ont tout en voyant ce qui leur manque. Vous vous ennuyez trop de l'imperfection dès qu’elle ne vous est bonne à rien.
Adieu, adieu. Je ne fermerai ma lettre que quand mon facteur sera venu ; mais il ne m’apportera probablement rien à y ajouter. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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43. Schlangenbad le 6 août 1853
Je vous envoie copie de deux lettres. Tout cela a très mauvais air, & la réponse de Clarendon à la chambre haute complète et compliquée. Je ne vois plus le moyen d'éviter la guerre et je reste plus triste que jamais. Le roi de Wurtemberg vient sans cesse causer avec moi, il s’étonne et s’afflige car on ne voit pas le bout. Ce serait une grande surprise, aujourd’hui de voir l’affaire s’arranger. Je crains que nous ne voyions pas cela.
Ma santé me tracasse, rien de mieux et presque du pire. Je suis cependant si docile. Tous les Croy sont partis ce matin, c’est une petite très petite diminution pour mon salon, car ils n'ont point d’esprit. Je garde deux hommes de la suite de roi de [Wurtemberg]. Et le comte de Brie Belge qui a cloué les princes & qui est très agréable. Jeune et de bonne mine. Ma nièce reste toujours avec moi. Madame Oudinoff est ici. La Princesse Charles de Prusse est la plus ennuyeuse des femmes, Dieu merci elle ne vient pas. Elle avait voulu le faire mais elle a compris que le deuil de son père devait la retenir chez elle. Je n'ai rien à vous dire du tout qu’adieu.
Les lettres de Meyendorff sont pour vous seul.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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40. Schlangenbad le 1 août Lundi 1853

J'ai enfin reçu une longue lettre de Meyendorff. Je la ferai copier par Marion pour vous l'envoyer. Le dernier mot du 29 est que les Turcs trainent en dépit des conseils de tout le monde et que cela peut durer encore par leur fait, car aujourd’hui tout le monde y va de bon cœur. Le sultan se grise.
Il y a ici la Princesse Charles de Prusse et sa fille. La mère & la fille belles, mais bêtes à un degré étonnant c' est à qui en évitera. Vous comprenez que j’en suis là aussi, et à faire des impertinences. Le roi de Wurtemberg est toujours aimable et assidu. Changarnier part demain je crois, car Mad. [Rotschild] part. Je répète qu'il est très convenable et que moi au moins, je n’ai pas entendu une parole aigre ou amère. Il se croit à Malines pour longtemps. Je vous avoue qu'il ne m’amuse pas. Il parle trop de lui, et il n’est pas naturel. Marion qui le voit beaucoup dit qu'il est beaucoup plus agréable hors de ma présence. Mais elle aussi n’a pas relevé un mot qui ne peut être dit à Paris sur la place publique. C’est un parti pris, ou bien vraie conviction.
Le temps est atroce, parfaitement froid, j’ai repris toute ma toilette d’hiver je me baigne malgré cela. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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35 Schlangenbad jeudi 21 juillet  1853

D'abord ma santé. Elle est comme vous l'avez vue. Ems m'a laissée comme j'étais. Attendons Schlangenbad.
J'ai eu deux longues lettres de C. Greville la dernière du 18. On avait reçu à Pétersbourg, les propositions de la France, et nous en étions contents. On voulait seulement encore l’aboucher avec l’Autriche, mais cela était fait et convenu avec elle entre temps. La proposition anglaise qu'on dit meilleure encore pour nous aura par conséquent été mieux reçu encore. Les projets pleuvent de tous les côtés. La paix ne peut pas manquer de sortir de tout cela. La réponse de Drouin de Lhuys arrivera après coup et ne dérangera rien. Voilà le point de vue de Londres et je le crois exact. Je trouve cette réponse très bien faite, on ne pouvait pas se dispenser de la faire.
Le roi de [Wurtemberg] m’a fait encore hier une longue visite, trop longue, car même avec beaucoup d’esprit Il ne faut pas me tenir trop longtemps. Je ne puis pas le renvoyer comme un autre et voilà que les impolies angoisses me gagnent. Il y a perdu son dîner et moi ma promenade. Nous arrangerons cela mieux à l'avenir. Il sait beaucoup de choses & moi je lui en apprends quelque unes. Le 22 Constantin m’est arrivé hier inopinément. Il a déserté pour deux jours. Les nouvelles sont bonnes. On va à la paix seulement cette avalanche de projets fait de l'embarras. Il faudra donner la préférence à l’un d’entre eux. Votre Empereur est très bien, tout le monde se loue de lui, Cowley aussi bien que Kisseleff. Menchikoff reste à Sébastopol chef apparent de l’armée de mer & de terre, mais au fond en disgrâce. Il voulait renverser Nesselrode. Beaucoup de petites nouvelles curieuses. Le Prince Emile de Darmstadt est venu de Wisbade hier pour me voir. Toujours charmant le plus charmant Prince que je connaisse.
Adieu. Adieu. Je me baigne tous les jours, malgré ce mauvais temps.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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32 Ems le 14 juillet 1853

J’ai l’esprit troublé de notre circulaire, et je vois mille fois plus de raisons de m’alarmer que de me rassurer. Je commence à croire que l’Empereur veut la guerre. Tout est si mûr pour cela. Nos préparatifs sont immenses, & l’esprit public est bien excité chez nous & dans tous les pays grecs. Comment contenir cela ?
Je n’ai pas de quoi me distraire ici de ces pensées là. Le peu de société que je vois c’est très insignifiant. Les Princes de Prusse me soignent. Je m'occupe un peu de celui qui sera roi un jour. C’est une aimable nature, & qui pourra être quelque chose s'il est bien entouré.
2 h. Je reçois dans ce moment une lettre de Greville du 12. Meilleure. Un projet d’accomodement concerté avec la France venait d’être envoyé à Pétersbourg. si l’[Empereur]. ne veut pas la guerre il faut qu'il accueille cela. C'est la même chose que me signale Constantin. Nous verrons sous peu de jour. Il pleut bien fort ici, c'est ennuyeux. Adieu. Adieu.

Le 15. Hier n'était pas le jour, ce n’est qu’aujourd’hui que je vous envoie ceci. Je copie. " Nesselrode dit quelque mots à Budberg en réponse à la critique faite par M. Guizot de notre première circulaire sur l’affaire turque, la manière dont le comte y répond nous a prouvé à Budberg & à moi, que la critique avait porté très juste. Le Comte nous est très reconnaissant à tous deux de cette communication. " C’est Constantin qui m'écrit cela. Ses nouvelles du reste sont très bonnes. Radcliffe s'est joint à ses collègues de France, Autriche & Prusse pour faire adopter par la Turquie la proposition Bourqueney. Je pars demain pas très édifié des bains d’Ems, au fait rien. Nous verrons ce que fera Schlangenbad. Adieu encore. Je n'ai rien de vous depuis le 9.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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30 Val Richer, Lundi 11 Juillet 1853

Je suis charmé que Hübner et Hatzfeld vous rassurent, quoiqu'ils n'y réussissent guère. Leur avis vaut bien quelque chose, car ils seraient certainement très effrayés s'ils n'étaient pas tranquilles.
La lettre de votre correspondant est vive ; et cela m'a plu. J’aime qu’on soit capable de passion en gardant, son jugement libre et sain. Mais rien ne prouve mieux que cette lettre dans quelle mauvaise affaire vous êtes engagés là, et mal engagés ; vous faites entrevoir, comme dernier moyen à votre usage, le soulèvement // des chrétiens et la destruction de l'Empire Ottoman, c’est-à-dire la révolution en Orient. Voilà donc l'Europe entre deux révolutions, celle d'Orient qui est dans vos mains et que vous feriez au besoin, et celle d'Occident qui est dans les mains de l'Empereur Napoléon, et qu’il ferait sans doute aussi vous voyez bien qu’il faut absolument sortir de la voie qui mène là. Ce n’est pas une situation digne de votre Empereur. Il ne peut pas pratiquer une politique telle qu’elle puisse le mettre dans la nécessité de devenir un révolutionnaire.
Certainement on croit toujours, à Londres, qu’on arrivera à une solution pacifique. Le renvoi répété de la discussion dans les deux Chambres prouve plus que les prédictions de Greville. Voilà du reste l’entente cordiale de la France et de l'Angleterre solennellement déclarée par Lord Palmerston. Je ne me refuse pas le plaisir d’un retour sur moi-même ; si je n'ai pas réussi à fonder la monarchie de 1830, j’ai bien réussi du moins à fonder sa politique extérieure, car elle lui survit et se maintient à travers toutes les révolutions. démocratiques, ou impériales. // Avez-vous des nouvelles de votre fils Alexandre est-il remis de son indisposition ?

10 heures et demie
Le facteur ne m’apporte de lettres de nulle part. C'est rare. Adieu. Adieu. J’espère que vous avez, comme moi, retrouvé le beau temps. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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31 Ems le 13 juillet 1853
Voici une lettre qui devrait me rassurer, et je ne parviens pas à l’être. Je trouve notre dernière circulaire de 20 juin bien faite, mais elle engage la polémique avec l'Ang & la France. Voilà une complication. Et cependant le fond est pacifique. Je suis tourmentée, l'esprit s'épuise à examiner cette maudite question sous toutes ses faces.
Je n’ai pas été bien hier. Aujourd’hui encore un fort mouvement de bile. C’est la Turquie. Le comte [Pani] me plait tous les jours d'avantage. Un bien honnête homme, très instruit, très intéressant à écouter sur la Russie, et en pleine confiance avec moi. C’est un ami de Viel Castel ils se sont rencontrés en Espagne. Nous nous parlons de bien loin c’est vrai, c’est bien ennuyeux ; et quand il y aurait tant à se dire ! C’est pourquoi mes lettres sont bêtes. Je le sens. Je ne puis penser qu'à une seule chose, & je ne puis pas dire tout ce que j’en pense. Pour changer, que veut dire le voyage de la Reine Christine ? Je trouve que nous sommes devenus bien ignorants vous et moi. Adieu. Adieu.
La lettre dont parle M. et celle où vous me disiez votre opinion sur l'Angleterre.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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29 Ems samedi le 9 juillet 1853

Une lettre extra pour vous dire que selon mes dernières nouvelles nous allons publier une dépêche explicative de Manifeste, où il sera dit : qu’aussitôt que la porte nous aura offert des garanties acceptables et que les escadres des puissances maritimes auront quitté les eaux de la Turquie, nos troupes de leur côté évacueront la Moldavie et la Valachie. Qu'en dites-vous ?
A propos M. de [Damis] est enfoncé dans les lectures que je lui fournis quoique nous nous voyons deux fois le jour il m'écrit à tout instant. Voici sur votre lettre. Il m’en a reparlé le soir, avec des admirations sans fin sur le style de votre lettre. Vous me querellez sur la distinction que j’ai l’air de faire de votre Génie pour les grandes & petites choses. Certainement vous valez mieux pour les premières, mais je vous prie de ne pas m’abandonner dans les autres.
Je suis d'une grande curiosité du débat de hier au Parlement. On commence à dire que Palmerston reprendra les affaires parce que si dans ce poste il ne nous fait pas la guerre, les Anglais verront qu’il n’y a pas de quoi la faire. Enfin ce serait drôle, mais tout est drôle, pourvu que cela ne reste que drôle. La chaleur est étouffante. Adieu. Adieu.
J'attends ce que vous me direz du Manifeste. [Damis] prétend que de même que l'[Empereur]. excite l’enthousiasme religieux, il saura le calmer. Il est le maître très puissant chez lui.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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28. Ems le 8 juillet 1833

L'impératrice m'écrit en date du 2. " J’espère en Dieu qu'il bénira les intentions droites & simples de mon empereur, & que la guerre. sera évitée. " Bonnes paroles, les dernières.
Le manifeste va exalter le sentiment religieux, mais il laisse encore ouverture à la négociation. Nous allons savoir tout à l’heure si Constantinople regarde l’entrée dans les principautés comme cas de guerre.
Je suis inquiète de tous ces complots à Paris. Que Dieu nous préserve d'un malheur là. Le comte [?] est arrivé. De l’esprit, beaucoup de connaissances, pas trop versé dans la diplomatie. Fort disposé à causer. Cherchant à apprendre. Défendant notre cause très bien, mais ne me persuadant pas. Toujours en doute de l'Angleterre c.a.d. ne croyant pas qu’elle puisse en venir aux extrémités.
Quant à nous pas l'ombre d'un doute que nous aurons Constantinople, & que personne ne peut nous en empêcher. Des préparatifs sur la plus grande échelle et les Turcs impuissants & appauvris. Le temps est à la chaleur, mais excessive. Je suis fondue. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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28 Val Richer, Jeudi 7 Juillet 1853

Mon fils est revenu hier de Paris. Il m’a rapporté des conversations et des lettres, toutes d'accord avec vos nouvelles de Berlin. Personne ne croit à la guerre. Duchâtel vous écrit peut-être, et je ne fais que vous répéter ce qu’il vous a dit ; en tous cas, il me mande qu’il a vu Cowley, Rothschild, Bertin, et qu’il n’a trouvé personne inquiet. Les flottes n'entreront dans les Dardanelles que si vous tentez un coup de main sur Constantinople, ce que vous ne tenterez point. Il finit par ceci : " Ici, on paraît très pacifique. L'Empereur Napoléon a beau jeu, et on assure qu’il le comprend très bien. S’il maintient la paix, les conséquences pour son autorité morale seront grandes. Mettez à sa place un ministère de Thiers, que de folies ! Il n’y aurait plus de chances depuis longtemps pour le maintien de la paix. Se trouver le protecteur de la paix et des intérêts immenses qui s'y rattachent, quand on se nomme Napoléon Bonaparte, c’est une merveilleuse chance. Ajouter la bonne fortune de voir l'Empereur Nicolas se conduire en aventurier fantasque ! Il est vraiment né coiffé."
Pardon de vous envoyer les paroles textuelles Une autre bonne main m'écrit : " En Angleterre, les craintes qu'inspire la récolte ont beaucoup refroidi l'humeur guerrière ; les dispositions pacifiques de la cité viendront en aide à l'influence modératrice de Lord Aberdeen. Ici, on est très calme et très satisfait d'avoir conquis l'alliance anglaise ; on ne désire pas la guerre, et on fera tout ce qu’il faudra faire pour l'éviter. "
Résignez vous à croire à la paix sans savoir comment on s'y prendra pour la rétablir. La prétention de savoir comment est la source de toutes les incrédulités. Les philosophes du siècle dernier ne croyaient pas en Dieu ni en l'autre vie parce qu’ils ne parvenaient pas à savoir comment Dieu est fait et comment, nous, nous serons faits. Que de choses même dans ce monde-ci, qu’il faut croire sans en savoir le comment ! Du reste les termes de votre manifeste du 5 fait entrevoir un comment ; le mot s'obliger sans dire envers qui semble admettre ces combinaisons qui résoudraient la difficulté. Nous verrons.
Le Ministre des Etats-Unis à Pétersbourg serait-il admis à la cour dans le costume du [?] Franklin, comme le président M. Pierre vient de le recommander à tous ses agents ? Ce serait là une pauvreté bien ridicule s’il n’y avait pas derrière la recommandation, une fierté et une puissance démocratique très réelles.

Onze heures et demie
Mon facteur arrive tard. Il ne m’apporte rien de nouveau. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 6 juillet 1853 27

Une nouvelle lettre de Vienne, et rien de rassurant de nulle part. Le comte Platen est arrivé de Paris hier. Hubner l’a chargé de me dire de ne pas m'inquiéter, il voit en rose. Hatzfeld tient le même langage. Kisseleff ne parle pas, et a l’air très tranquille et cependant voyez ? Tout ceci me fait du mal, et me trouble la bile.
Je vous envoie copie de la lettre mais pour vous seul. Je sais que la vôtre est allée à Pétersbourg. Notre amie l'Assemblée nationale passe à l'ennemi aussi. Il ne nous reste personne.
Adieu. Adieu. Je suis très sotte. aujourd’hui.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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25 Ems samedi le 2 juillet 1853

Aujourd’hui 2 nous entrons dans les principautés. On nous interpellera sur nos intentions. Les négociations commenceront à Constantinople. Quand la Turquie voudra signer l'engagement que nous demandons nous sortirons des principautés, pas avant. C’est l'Autriche qui sera intermédiaire. Elle a intérêt à la conservation de l’[Empire] ottoman & point de la confiance des deux parties. Voilà ce que me mande mon correspondant de Vienne en date d’avant hier. Il ajoute quand la guerre éclatera j’irai à Gastine, je me soignerai et j'aurai désormais peu de foi dans la diplomatie. Si je n’étais retenu par les liens de la reconnaissance j'enverrai toute la boutique au Diable.
Vous voyez qu’il n'y a là rien pour me rassurer. Aussi suis-je bien noire.
2 h. Dans ce moment une lettre de Berlin d'un jour plus fraîche et donnant des nouvelles de Pétersbourg du 25. Beaucoup plus rassurantes, mais refusant de m’expliquer pourquoi, mais me priant de croire. Je ne demande pas mieux, mais j’ai peine à comprendre. Comme tout cela me tracasse, et la pluie par dessus le marché et une température très froide, et pas une âme. Les de Laigle sont ici c’est à peu près comme rien du tout.
Ma Nièce est gentille & bon enfant. Adieu. Adieu.
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