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54. Paris, Dimanche 30 avril 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
2 heures
Je rentre de l'Eglise. Avant d'y aller, j'ai été assiégé de visites, suite du discours d’hier. Je n'ai que le temps de vous dire, adieu. Je vous écrirai demain à mon aise. J’ai eu de vos nouvelles par le duc de N. mais je ne l’ai pas encore vu.
Je le verrai dans la matinée ou ce soir. Merci de toutes vos lettres, malgré vos yeux. Je ne puis vous dire, à quel point je suis préoccupé de votre séparation d'Hélène. Je reviens encore à Mlle de Chériny. Les eaux sont un prétexte convenable pour une expérience. Si elle ne vous va pas, vous vous séparerez après, et on cherchera autre chose. En attendant la paix. Montebello est revenu de Brott après avoir embarqué son fils sur l'Hercule. J'insisterai pour qu’il aille vous voir. Adieu, adieu. G.
53. Paris, Samedi 29 avril 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Beaucoup de monde hier soir chez Duchâtel, pour entendre cette musique qui vous fait fuir. J'y ai passé une demi heure, et j'étais dans mon lit à onze heures et demie. J’ai un discours à faire ce matin dans l'Eglise de l'Oratoire ; autre musique dont je perds un peu l'habitude. Je ne veux pourtant pas faire fuir les gens. J’ai l'amour propre du vieux lutteur. Vous n'aurez donc qu’une courte lettre, en retour de la vôtre d’hier qui était longue et bonne. Je vais me promener dans ma bibliothèque pour bien savoir ce que je veux dire.
La réponse d'Andral me chagrine sans m'étonner. C'est pour un médecin une affaire de conscience et un égard mutuel de profession que de ne pas décider sans voir. Que ferez-vous le 1er Juin ? Marion, qui part lundi, est venue me voir hier. Nous avons causé longtemps. Elle a vu plusieurs fois M. de Chériny. Elle en a parlé à plusieurs personnes qui la connaissent, elle la trouve très bien, très Ladylike, très douce, l’air au courant des choses et du monde. Il paraît que sachant qui c’est pour vous qu'on s'occupe d’elle, Mlle de Cheriny a bonne envie que cela réussisse et désire vraiment s'attacher à vous. On dit qu'elle a en Allemagne, en France & & de bonnes relations. Je vous ai dit quelle avait été mon impression, certainement favorable. Je ne l’ai pas revue. Marion la reverra encore et vous dira ce qu’elle en pense. Pensez-y vous-même sérieusement. Je ne sais si, à tout prendre, vous rencontrerez mieux, ou même aussi bien.
Je suis charmé du plaisir que vous a fait la visite de Morny, et pour votre plaisir, et pour le fond des choses. Dieu veuille que tout ce qu’on vous dit soit vrai et efficace ! Le bruit court ici, depuis deux jours, qu'à Pétersbourg on est inquiet pour Cronstadt, que les mouvements de Napier et tout ce qui se dit et se fait dans la Baltique indiquent quelque grand coup contre [?] on ne se sent pas aussi sûr qu’on veut le paraître. On parle même de trésor et d'objets précieux envoyés à Moscou. La flotte Française doit avoir rejoint la flotte Anglaise. Nous ne pouvons guère plus tarder à apprendre, soit le coup frappé, soit l'impuissance de le frapper.
Voilà votre N°42. Je vois que les bruits qui courent ici ne sont pas sans quelque fondement. Merci de la petite lettre. Je verrai le duc de N. ce soir ou demain. Adieu. Adieu. G.
43. Val Richer, Samedi 6 août 1853, François Guizot à Dorothée de Lieven
Merci de la lettre de M. de [Meyendorff] qui m’a beaucoup intéressée. Je suis charmé que les miennes l’intéressent un peu. J’aimerais bien mieux causer avec lui. Je lui dirais que je n'ai jamais pensé à un protectorat collectif des Chrétiens en Turquie. J'en sais, comme lui, l'impossibilité pratique. Ce qui me paraissait praticable, c'était que votre Empereur, puisque on regardait un engagement de la Porte envers lui comme attentatoire à l’indépendance Ottomane, proposât lui-même que la Porte prit le même engagement, non plus envers lui seul, mais envers toutes les Puissances Chrétiennes, laissant chacune de ces Puissances protéger ensuite, pour son compte, ses propres dieux Chrétiens, l’une les Grecs, l'autre les Catholiques, l'autre les Protestants &
Mon idée n'était qu’un expédient pour sortir de la difficulté du moment par une porte qui ne fût plus seulement Grecque et Russe, mais Chrétienne et Européenne, qui fût par conséquent plus grande pour votre Empereur et unobjectionable pour les autres. Ce sont les situations prises qui décident. des affaires je voyais là une bonne situation à prendre, bonne pour la dignité et pour la solution. Voilà tout. Cela ne signifie plus rien aujourd’hui. Le sultan a beau se griser et traîner. L'affaire finira bientôt puisque tout le monde veut, qu'elle finisse. Les embarras ne sont des périls que lorsqu’il y a des puissants qui veulent en faire des périls.
Vous ne lisez probablement pas les récits de la révolution de Chine. S'ils sont vrais il y aura bientôt là, pour l'Europe, de nouveaux Chrétiens à protéger. Seront-ils Grecs, Catholiques ou Protestants ? Je crois que vous avez une mission religieuse à Pettiny. Du reste, ces Chrétiens chinois, orthodoxes ou non, me paraissent en train de se bien protéger eux-mêmes. Convaincu, comme je le suis, que le monde entier est destiné à devenir Chrétien, je serais bien aise de lui voir faire, de mon vivant, ce grand pas.
Avez-vous des nouvelles de la grande Duchesse Marie ? Le voyage de la grande Duchesse Olga en Angleterre est-il déterminé par la santé de sa sœur ? Dieu veuille épargner à votre Empereur cette affreuse épreuve ! Il m’arrive le contraire de ce qui arrive, dit-on, ordinairement ; je deviens en vieillissant, plus sympathique pour les douleurs des autres ; mes propres souvenirs me font trembler pour eux comme pour moi-même.
Je voudrais vous envoyer un peu du beau temps que nous avons depuis quelques jours ; très beau, mais pas chaud. C'est le vent du Nord avec le soleil. Nous n'aurons décidément point d'été. Vous ne me dites rien de l'effet de vos bains ; mais à en juger par l’air de votre silence, Schlangenbad vaut mieux qu'Ems.
Changarnier parle en effet trop de lui. Mais quand vous n'avez rien à faire des gens, vous ne savez pas assez les prendre par le bon côté, et mettre à profit ce qu’ils ont tout en voyant ce qui leur manque. Vous vous ennuyez trop de l'imperfection dès qu’elle ne vous est bonne à rien.
Adieu, adieu. Je ne fermerai ma lettre que quand mon facteur sera venu ; mais il ne m’apportera probablement rien à y ajouter. Adieu.
Mots-clés : Âge, Aristocratie, Autoportrait, Circulation épistolaire, Conditions matérielles de la correspondance, Femme (santé), Nicolas I (1796-1855 ; empereur de Russie), Politique (Internationale), Politique (Russie), Politique (Turquie), Portrait, Portrait (Dorothée), Religion, Réseau social et politique, Santé (Dorothée)
3. Val Richer, Lundi 30 mai 1853, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je trouve le langage de Lord John très confiant dans la paix, et même assez confiant dans votre Empereur. Je suis de son avis. Le départ du Prince Mentchikoff ne sera pas la guerre, et la guerre, si elle vient, ne sera ni la chute de l'Empire ottoman, ni le bouleversement de l'Europe. Quelque chose d’analogue à vos campagnes de 1827 et 1828, plutôt moins que plus. Vous ferez un pas, on grognera en vous le regardant. faire, et quand vous l'aurez fait, vous vous arrêterez. Je ne vois de grave en ce que l'impression de méfiance qui en restera au fond des coeurs Anglais. Ils la montreront peu, mais ils la garderont. Cela ne vaut rien pour les affaires générales de l’Europe.
Dupin est donc bien changé. Il était si pressé naguères de vous donner Constantinople. Vous lui en saviez beaucoup de gré. Il ne faut jamais se presser de savoir gré à Dupin.
Entendez-vous dire ce que signifie cette commission solennellement instituée, sous la présidence de M. Barthe, pour examiner les comptes de la liste civile ? Est-ce une simple mesure d’ordre, comme pour tous les comptes de l'Etat, ou une mesure de méfiance provoquée par quelque grand désordre ? Je suppose, en tout cas, que cela ne s'est fait que de l’avis de M. Fould.
J’ai un temps admirable. Je voudrais être sûr que vous l'aurez pour votre voyage. Votre fils Paul est-il arrivé, et vous accompagne-t-il ?
Quand vous serez sur les bords du Rhin, je vous enverrai tout ce qui m’arrivera ici de nouvelles ; mais elles seront rares et feront un détour. Attendez-vous à une année, je ne veux pas dire, à des années de stérilité.
10 heures
J’ai été interrompu par l’arrivée de six caisses de livres que je viens de déballer et de ranger. Je voyage avec une bibliothèque. Voilà encore un goût et un plaisir qui vous manquent. Mes livres me tiennent compagnie, ceux que je lis et ceux que je regarde sans les lire. La vieille Lady Holland voyait vivre, et entendait parler les portraits qui garnissaient la bibliothèque de Holland House ; je l’ai trouvée vraiment émue et éloquente un jour sur ces portraits. Mes livres me donnent un peu de cette impression. Je vois et j'entends les personnes.
11 heures
Je comprends l'émotion, mais je persiste. Je ne comprends pas que vous n'ayiez rien eu de moi Dimanche. voici mon N°3. L’histoire de votre allemand me désole. Adieu, adieu. G.
Val Richer, Vendredi 29 octobre 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’avais deviné le 2 Déc. J'hésitais entre le 2 et le 10. Il a préféré l'avènement de son oncle au sien propre. Je reçois un mot de Molé qui s'ennuie à Champlâtreux quoiqu’il soit décidé. à y rester jusqu'à Noël. Il me paraît en good spirits, presque high. Montalembert m’écrit aussi pour m'envoyer son livre ; il espère que je lui pardonnerai d'être si catholique en faveur de ce qu’il est si parlementaire.
Je pardonne tout à tous, aux uns parce qu’ils sont mes amis, au autres parce qu'ils sont mes ennemis. Voilà qui est bien politique et bien chrétien.
Je suis interrompu par Albert de Broglie qui vient dîner avec moi. Son père n’arrive que dans quelques jours. Adieu, Adieu.
Val Richer 29 oct 1852
Val Richer, Mardi 28 septembre 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Six heures
J’ai été pris toute la matinée par des visites de Paris et de Lisieux. Elles viennent de partir.
Je causerais volontiers avec vous ; mais vous êtes trop loin.
L'Impression que je vous ai dite m'arrive de tous côtés, la machine infernale inquiète plus que sa découverte ne rassure. C’est de la force dans le présent, et du doute sur l'avenir. Cela pousse à l'Empire et on se dit que l'Empereur ne sera pas plus à l’abri que le Président. L’espoir de la stabilité s'en va d’autant plus que le besoin s'en fait plus sentir.
La lettre de M. de Meyendorff est intéressante comme le faisant bien connaître lui même. Bon jugement et bon cœur. Propre à être ministre et père. Ses fils sont-ils, des jeunes gens distingués ? Je les lui voudrais tels.
Nous avons un véritable ouragan. Je viens de faire le tour de mon jardin, en marchant tantôt avec, tantôt contre le vent, à grand peine. J’aimais beaucoup cela quand j'étais jeune. C’est un des goûts de ma jeunesse que je puis encore satisfaire.
Mercredi matin
Au lieu de l'ouragan d’hier soir, voilà le plus beau soleil du monde.
Avez-vous lu le second article de John Lemoinne sur le Duc de Wellington ? Beaucoup trop long mais spirituel et animé. Du reste, je crois, comme M. de Meyendorff, que vous trouvez le Duc un peu ennuyeux, après sa mort comme de son vivant.
On me dit que faute de femme royale, le Président pense à la fille au prince Czartorinski. Je n'y crois pas ; mais certainement on en a parlé autour de lui. Cela ne vous plairait pas.
Est-ce qu’on ne dit rien de l'objet du voyage de M. Bacciochi, en Orient ? Il avait été question de donner un avertissement officiel à l'Assemblée nationale à propos de son article sur le duc de Wellington. C’était, dit-on, l’avis du garde des sceaux, M. Abattucci qui a porté la question au Conseil ; mais MM. de Maupas, Fould et Drouyn de Lhuys s’y sont opposés.
Onze heures
Les rencontres chez vous m'amusent. Vous vous en tirez toujours à merveille, vous êtes une spécialité pour la fusion apparente et extérieure. Adieu. Adieu. G.
Val Richer, Mardi 24 août 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Il vous est plus facile de me faire de loin, la question que vous me faites à propos de Cromwell, qu'à moi d'y répondre. J'y répondrai pourtant très ouvertement. Au fait, je dirais volontiers tout haut, et devant tout le monde ce que j'ai à vous répondre. Je n’ai pas la prétention d'être insensible, au plaisir d’un petit succès. Mais je sais me le refuser pour peu que j'en aie une bonne raison. Ce n’est pas pour me le donner que j’ai publié ce fragment. Quand j’ai de l'humeur, quand je suis impatient, quand j'écoute mes souvenir de parti, je désire que le président suive sa fantaisie et se fasse Empereur. Certainement il s'attirera par là des complications et des difficultés, et des nécessités qui feront faire un pas à la situation. Quand je suis, ce qui est mon ordinaire, de parfait sang froid et détaché de tout sentiment de parti je trouve que le président a et aura grandement raison de ne rien changer à sa situation. Il y est plus fort, pour sa mission d’ordre social, qu’il ne le serait dans aucune autre, et plus sûr, pour lui-même, non seulement du présent, mais de l'avenir de son pouvoir.
J’écris, depuis longtemps, l’histoire de Cromwell. Je suis arrivé au moment où il a eu à décider s'il se ferait Roi. Il ne s’est pas fait Roi. A mon avis, il a très bien fait. C'est à cela qu’il a dû de mourir tranquille dans son lit, à Whitehall, et en pleine possession du pouvoir suprême. J’ai trouvé qu’il y avait là un grand exemple et un bon conseil. Je n’ai pas besoin de vous dire que je n’y ai pas mis ou changé un mot par malice. Il est tel qu’il aurait été publié il y a dix ans. Je suis en dehors de toutes choses, mais non en dehors de toute communication avec mon pays. Il veut bien mettre toujours quelque prix à savoir ce que je pense, et j'en mets à le lui dire. C'est par là que ma vie est encore publique. Je n’y veux pas renoncer. Je ne pense pas qu’il me vienne de là aucun désagrément. J'en serais surpris, et j'en prendrais mon parti. Je suis sûr qu’il n'en viendra aucun à aucune autre personne. Vous êtes la seule dont les désagréments, en ce genre pussent me toucher. Je suis tranquille de votre côté.
J’avais prévu ce qui est arrivé à Berlin. C’est en effet bien maladroit. Le neveu fait très bien d'honorer la mémoire de son oncle ; mais le roi de Prusse ne peut pas oublier sa mère.
La lettre d’Ellice est intéressante. Au fond, ce nouveau pas démocratique qu’il prévoit et qu’il craint ne lui déplait pas. Il est de ceux qui se résignent volontiers à ce mal. Je persiste à penser que l'Angleterre vaut mieux que ceux-là, et que si elle succombe au mal, ce ne sera pas sa faute, mais celle des hommes qui lui auront manqué.
10 heures et demie
Merci de me dire toujours tout. Ce que vous ne savez probablement pas, c’est que Villemain a publié, il y a longtemps, une histoire de Cromwell, qui n’a pas réussi, et que toute même histoire qui réussit un peu lui est un grand crève-cœur. Adieu, adieu.
Ma toux est à peu près partie.
N°39. Val-Richer, Lundi 12 juillet 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
C'est curieux à quel point on peut vivre dans le passé. Je m'occupe des nouvelles d'aujourd’hui, je lis mes journaux par routine, par convenance ; au fond, ce n’est pas à cela que je pense spontanément et avec intérêt l’histoire de Cromwell, et ma propre histoire de 1830 à 1848 voilà ce qui m'interesse, ce qui remplit, et anime mon esprit. C'est dommage que vous n'ayiez pas la même disposition ; je serais bien plus intéressant pour vous. Mais vous m'aimez que le présent vous êtes la contemporaine par excellence.
Que va-t-il arriver en Angleterre ? Vous devriez bien me le dire, car cela, j'en suis curieux aussi, selon ma conjecture, rien de décisifs, quand ils n’ont point de grande entreprise sur les bras et point de grand homme à leur tête, ils savent vivre, modestement au jour le jour faisant petitement leurs petites affaires, et se contentant de ne point faire de grosses sottises. Si le Président a la même sagesse il durera tant qu’il voudra.
Je suis bien aise que les radicaux des corps francs laissent Thiers tranquille à Verrey. Quand les justices providentielles arrivent, mon premier mouvement est la satisfaction. Mais je pense très vite aux personnes à leurs souffrances, à leurs chagrins, et je n’ai plus du tout soif de justice. D'ailleurs, après ses amis ce qu’on aime le mieux ce sont ses ennemis. Je m'intéresse à Thiers. Je ne le voudrais pas puissant mais point malheureux. Je ne vois pas pourquoi on met M. Drouyn de Lhuys aux affaires étrangères à la place de M. Turgot ; il a un peu plus d'encolure diplomatique au fond. Il ne fera ni plus, ni mieux. Passe pour ôter M. Duruffé des travaux public ; on peut avoir là un homme capable ; il y sera utile sans y être embarrassant. Est-ce que M. Magne, qui y était du temps de M. Fould ne serait pas disposé à y revenir ? C'est un homme vraiment capable. Je ne sais pourquoi je vous parle de cela. J’ai vu hier quelqu'un qui venait de Dieppe. Il dit qu’il y a beaucoup de monde, et très bonne compagnie, et qu’on trouve très bien à s'y loger. Mais je ne me fie pas à ce rapport, c’est un homme du pays, moins difficile que vous en fait de logement. Il vous faut la plage, ou près de la plage et un bon appartement dans la meilleure auberge.
Je vous quitte pour attendre plus patiemment le facteur en faisant ma toilette. Malgré la chaleur j'irai faire aujourd'hui une visite à trois lieues, dans un assez joli château. J’ai là un voisin savant, antiquaire infatigable qui ne vit qu’avec Guillaume le conquérant et Bossuet.
11 heures
Je suis bien aise que votre temps soit si plein, et vous savez que je ne me fâche jamais. à demain la conversation sur mon peu de curiosité en ce moment. Si j’avais pu aller à Paris, j’y serais allé pour vous voir plus que pour vous entendre. Je vous écrirai donc demain à Dieppe. Adieu, adieu. G.
Val-Richer, Mercredi 5 novembre 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je trouve vraiment comique les prédictions et ces bravades contraires que s'adressent les amis du Président et ceux de l'Assemblée comme pour se faire peur mutuellement et d'avance, sans doute dans l’espoir d'avoir, au moment du combat, meilleur marché les uns des autres. C’est bien Gascon et bien puéril. Le chef d'œuvre du genre, c’est Thiers ayant peur d'être arrêté et le Président lui faisant dire de n'avoir pas peur et qu’il ne le fera pas arrêter. Ce sont là des façons du temps de la Fronde qui ne vont plus au nôtre, quelque irrégulier et inattendu qu’il soit tout cela ne supporte ni la presse, ni la tribune au milieu des formes publiques et graves de nos gouvernements et de nos révolutions, ces finesses deviennent des enfantillages ce qui était de la gaieté devient du ridicule ; les hommes se diminuent à jouir de vieux jours. Voilà les réflexions pédantes de ma solitude.
Je parie toujours pour mon même dénouement. Rejet de l'abrogation, patience du Président, modifications indirectes de la loi du 31 mai par l'Assemblée ; acceptation de ces modification par le Président ; rentrée de l’ancien ministère, sauf Léon Faucher. M. de Lamartine a fait bien d'avoir un rhumatisme aigu à Macon, cela le dispense de figurer, en personne dans cette journée des dupes.
Quand j’ai lu mes lettres de Paris et les journaux, je ne pense plus à tout cela, je suis tout entier dans mon discours d'Académie qui me plaît à faire. J’ai déjà une grande satisfaction. Je suis sûr que je serai court. Quelque réduction que M. de Montalembert, fasse subir au sien, il restera long et quelque curieux que soit le public de cette séance, il ne faut pas le mettre à l'épreuve de deux longs plaisirs.
Est-il vrai que Lord Palmerston ait adressé au Cabinet de Vienne quelque explication sur le séjour et le bruit de Kossuth en Angleterre ? Cela me paraît peu probable. Je trouve que le journal des Débats fait à Kossuth une guerre très spirituelle, et qui devrait être efficace si quelque chose était efficace contre les Charlatans et les badauds. On fait trop de bruit de la circulaire du ministre de la guerre. Que ses paroles aient été écrites à mauvaise intention, cela se peut mais on n'en est pas à faire du bruit pour les mauvaises intentions, et il y a là une question que les hommes d’ordre doivent laisser dormir sauf à se bien défendre si on abuse un jour contre eux du principe de l'obéissance militaire qui est tous les jours leur sauvegarde.
4 heures
Merci, merci. Le plaisir de voir votre écriture efface le chagrin de vos nouvelles de Claremont. Faiblesse déplorable et ridicule. Que deviendra tout cela ? La situation paraît bien tendue. Je persiste à ne pas croire aux grands coups. Adieu. G.
Et Adieu.
Val-Richer, Jeudi 23 octobre 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je voulais rentrer à Paris du 2 au 5 novembre. Ma réponse à M. de Montalembert exige, absolument huit jours de plus. Je veux l'apporter à peu près terminée, et il n'y a pas moyen pour moi de travailler un peu de suite à Paris surtout quand j’y arrive. Je ne rentrerais donc que du 10 au 12. Et Falaise me fait perdre deux jours. Ce retard me déplaît beaucoup, et à vous, j'espère autant qu'à moi. Bien à cause de vous seule, et de mon plaisir à me retrouver auprès de vous, car je ne me sens aucun empressement à rentrer dans cette atmosphère d'activité bavarde et vaine. La solitude rend sérieux et difficile. Je le deviens tous les jours davantage. D'autant plus que je vois clairement, pour le bon parti, une bonne conduite à tenir, je ne dis pas qui le conduirait promptement à son but mais qui certainement, l’y ferait marcher et qui en attendant, le lierait intimement au pays de l'aveu et de l’appui duquel il ne peut se passer. Mais cette bonne conduite, on ne la tiendra pas ; elle exige trop de bon sens de patience, et de sacrifice des fantaisies personnelles. Connaissez-vous un pire ennui que de voir faire et défaire soi-même de compagnie, des fautes qui déplaisent autant qu'elles nuiront, et de se donner beaucoup de mouvement pour aboutir, le sachant, à beaucoup d'impuissance ?
Le discours de M. de Montalembert est un ouvrage, un long ouvrage beaucoup trop bong, excellent au fond, très hardi, et souvent très beau dans la forme. Ni l'Académie ni son public n’ont jamais rien entendu de si hautement et brutalement anti-révolutionnaire. La vérité y abonde ; la mesure et le tact y manquent. Ceci entre nous. C’est toujours l'homme qui, selon le dire de M. Doudan, commence toujours par les paroles : " Soit dit pour vous offenser " Certainement, ni la Commission de l'Académie, ni l'Académie elle-même, si on est obligé de recourir à elle avant la séance, ne laisseront passer ce discours tel qu'il est. Je m'attends à une vive, controverse intérieure et antérieure. On demandera à M. de Montalembert beaucoup de changements, et le changement d'abrègement sont indispensables, pour son propre succès J'appuierai auprès de lui ces changements-là car je désire son succès autant que lui-même ; d'abord parce qu'il le mérite et aussi parce que son succès sera bon pour la bonne cause Quant au fond des choses, je défendrai son discours contre les gens à qui il déplaira et contre ceux qui en auront peur, sans qu’il leur déplaise. Ne parlez de ceci, je vous prie qu'à des amis de M. de Montalembert ; je ne veux pas qu’il puisse me reprocher d'avoir ébruité d'avant son discours. Mais si vous voyez son beau frère Menode, il n’y à pas de mal qu’il sache un peu mon impression et ma prévoyance.
Berryer a raison de se présenter pour l'Académie. Je crois pleinement à son succès. Cependant il faudra en prendre soin. Bien des gens croiront faire par là de la politique et en auront peur. Le Gouvernement qui, à la vérité, n'a à peu près aucune influence dans l’Académie, lui sera certainement fort contraire. S'est-il assuré de ce que fera Thiers ?
Si vous voyez Vitet soyez assez bonne pour lui demander de ma part des nouvelles de Duchâtel. Il m’a écrit. Je lui ai répondu au moment de la mort de ma petite-fille, depuis, je n'ai rien reçu de lui. Je pense pourtant que ma lettre lui est arrivée.
Onze heures
Il ne faut pas de défaillance et je suppose que Chomel n'a pas compté pour longtemps sur l'artichaut strict. Adieu, Adieu. G.
Broglie, Jeudi 18 septembre 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
Voilà vos deux lettres. Celle d’hier me convient, puisque vous avez dormi. Ne vous couchez-vous pas trop régulièrement à une heure trop constamment la même ? Peut-être feriez-vous bien de ne vous coucher que lorsque vous avez envie de dormir, tôt ou tard selon que l’envie de dormir vous vient. L’irrégularité est difficile à pratiquer systématiquement. Pourtant vous êtes bien maîtresse de votre temps et de vous-même. Le pire, c'est d'être dans son lit sans envie de dormir ; elle ne vient pas là ; il faut l’y porter.
J'espère que votre lettre à l'Impératrice fera l'affaire de votre fils Alexandre. Mais je persiste ; un état de choses où il faut faire mouvoir tant de ressorts et avec tant d’incertitude, pour avoir un passeport n'est pas de mon goût. J'aime mieux plus d’orages, et être libre d’aller et venir comme il me plaît, quelque temps qu’il fasse. Autre dissidence entre nous. Quand j'étais jeune, je faisais comme vous faites ; je méprisais beaucoup, et j'exprimais très haut mes mépris. Aujourd’hui non seulement je méprise moins haut, mais je suis moins prompt et moins dur dans mes mépris. Si je m'y laissais aller, ils iraient trop loin.
Je serais étonné si le Prince de Metternich était de votre avis sur l'article des Débats malgré le fracas assez ridicule qu’on y a fait de ses courriers et de son regain de crédit. Montebello aura parfaitement raison d'aller à Claremont avant le 4 novembre, et d’y dire ce qu’il y veut dire. Il a l’esprit aussi droit et aussi courageux que le cœur. On paye cela assez cher ; mais en définitive, cela vaut plus que cela ne coûte.
Je trouve qu'on meurt bien vite dans ce moment-ci. Un de mes amis du Calvados, membre éclairé et influent du conseil général vient de mourir subitement d’un anévrisme. Le Duc de Noailles fait vraiment une perte. Est-il capable de beaucoup d'affection et de chagrin ? Je lui écrirai un mot de condoléance.
La vie se passe ici fort tranquillement, et on me sait évidemment beaucoup de gré du mouvement que j'y apporte. Ils sont à merveille entre eux mais peu animés et peu expansifs. Le château a été plein hier de visiteurs. Aujourd’hui grande chasse dans la forêt pour les jeunes gens. Ils sont montés à cheval sous mes fenêtres à six heures et demie, pour aller courir un chevreuil.
La jeune Princesse de Broglie est très fatiguée de sa grossesse, maigrie et abattue. Désirant bien vivement une fille. Elle a trois petits garçons qu'elle élève bien. Aussi bonne de caractère que d’air. M. et Mme d’Haussonville viendront ici au mois d'octobre.
Le Duc de Broglie est comme vous sinon en principe, du moins en résultat. Vous êtes très président ; il est, lui, très résigné au Président, ne voyant ni mieux, ni aussi bien, ni autre chose. Tout le reste est intrigue et aventure. En attendant un grand événement, s’il est jamais possible, il ne faut avoir que des événements naturels et tranquilles. Je ne suis pas pressé que Lopez soit tué.
Autant vaudrait qu'on fût assez, et assez longtemps inquiet de cette affaire de Cuba pour qu'on en parlât un peu sérieusement et de concert, aux Etats-Unis. Adieu, Adieu. Dormez donc.... Adieu. G.
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Val-Richer, Lundi 8 septembre 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
Quand je me décide à poursuivre un but ou à faire une démarche, je prends en même temps mon parti des inconvénients du but, ou de la démarche ; il n’y a point d’action qui n'ait son péril et point de succès qui ne se paye.
Je ne veux pas de la candidature du Prince de Joinville ; je la trouve peu honorable et fatale. J'ai voulu qu'on sût mon avis à Claremont, et qu’on sût ailleurs que j’avais dit mon avis à Claremont. D'abord pour mon propre honneur, et pour la liberté de ma conduite, mais aussi pour influer, s'il est possible sur l'événement même et pour écarter ou faire échouer d'avance cette candidature. J’ai donc parlé tout haut à Claremont et partout.
La lettre du Times est pleine de méprises, d'omissions de confusions et d'incon venances ; mais le fond est vrai, et l'effet de la publicité de cette vérité est bon. Je ne m'en plains donc pas. Quand j’ai fait ce que j’ai fait, je savais bien que si je ne le faisais pas, d'autres ne le feraient pas. Je suis de ceux qui attaquent le mal et non pas de ceux qui se contentent de le critiquer. Soyez tranquille ; je ne serai pas brouillé avec Claremont pour cela. On y a certainement beaucoup d'humeur contre moi ; mais on ne se brouille pas parce qu'on a de l'humeur. Tous les Princes sont prudents. Et puis il y en a là qui m’approuvent, quoique je les embarrasse.
L'article du Constitutionnel sur les Débats est bien inopportun. Quand on veut réussir, il faut savoir se taire et être modeste dans le succès ; mais peu importe le succès aux journalistes. Ils sacrifient tout au plaisir de la vanterie et de la taquinerie. Énorme difficulté dans les affaires.
Mad la Duchesse d'Orléans a quitté Claremont avant que M. le Duc d’Aumale y fût arrivé. La délibération de famille ne sera donc pas complète ; il y manquera une grosse pièce. On ne donne pas ses pouvoirs indéfiniment en pareil cas. Je trouve ce voyage de Mad. la Duchesse d'Orléans assez singulier dans ce moment. Du reste ils peuvent rester encore indécis et silencieux. Elle sera sûrement de retour à Claremont au mois de Novembre. Je suis curieux de savoir si Thiers restera à Paris. Son journal l'Ordre devient bien violent contre les légitimistes et les fusionnistes.
10 heures
Je n'ai que le temps de fermer ma lettre. Je viens d'en écrire une très longue à Croker qui en avait besoin pour le L. R. Merci des détails que vous me donnez. Je suis bien aise que Changarnier aille à Champlâtreux avec Montebello. Adieu, adieu. G.
Val-Richer, Mercredi 30 juillet 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’ai un ennui aujourd’hui ; je vais dîner à Lisieux. Le mouvement physique commence à me déplaire beaucoup. Signe de vieillesse. Du reste, il ne m'a jamais plu. Toute l'activité possible, assis dans mon cabinet ou en me promenant dans mon jardin, la méditation, la discussion, la conversation, les grandes affaires dans un intérieur tranquille, et presque immobile, voilà ma vie de choix. C'est l’évêque du département qui vient faire sa visite pastorale à Lisieux, et il a désiré dîner avec moi. J’ai, plus que jamais, le vent des évêques et des curés.
Le conseil d’Ellice à Lord John sur Lionel Rothschild est un acte d'insolence révolutionnaire envers la Chambre des Pairs qui y répondra, je l'espère, en ne recevant pas le nouveau Pair. Je ne pense pas que Lord John suive ce conseil. M. de Metternich dit vrai quand il dit que tous les Anglais sont un peu fous ; mais il est également vrai de dire que tous les fous anglais ont un peu de bon sens. Je ne m'étonne pas que Gladstone ait publié une lettre sur Naples. Il m’avait paru très animé à ce sujet. J’ai peur que la plupart des faits qu’il aura dits ne soient vrais, et que là ne se prépare une triste réaction. Mais je n'admets pas qu’il y ait aucune conséquence à en tirer en faveur de la politique de Lord Palmerston envers Naples. Le mauvais gouvernement intérieur du Roi de Naples ne donne à Lord Palmerston nul droit de faire là de la mauvaise politique internationale.
Avez-vous entendu dire quelque chose d'un projet de Thiers d'aller faire un voyage en Allemagne en revenant des Pyrénées ? Est-ce qu’Ellice et lui se seraient donné rendez-vous là ?
10 heures
Je n'ai que le temps de vous dire adieu. Il m’arrive plusieurs lettres insignifiantes, mais auxquelles il faut répondre un mot tout de suite. J'adresse toujours à Ems comme vous le voulez. Adieu, Adieu. G.
Ems, Dimanche 27 juillet 1851, Dorothée de Lieven à François Guizot
Une nuit blanche. Les nerfs de la tête agacés, courbatures générales, un feu de fièvre hier. Voilà les bénéfices de la lettre de [Coutte]. C'est bien ignoble d'être agitée & malade comme cela pour une question d'argent. I cannot help it. 10 000 £ de moins dans ma fortune je ne m'y accoutume pas. Ellice écrit à [Coutte] pour expliquer. J'affirme que le dépôt est chez lui, c’est ainsi sûr qu'il est sûr que je suis à Ems. Je l'ai remis cacheté, signé chez lui. Il m’en a donné reçu, ce reçu est mentionné dans mon testament. C'est sûr, parfaitement sûr. Sa réponse est laconique : il m’a rendu ce paquet avec tous les autres titres. Je dis que j’ai repris tous les autres titres moins celui-là. Et ma raison était simple. Un très gros paquet, inutile jusqu’en1858, et moi rentrant dans un pays de révolution. Enfin, je vous ennuie, j’ennuie tout le monde, et je suis honteuse. Si l’affaire ne s'éclaircit pas. (ce à quoi je ne vois pas de chance depuis la lettre de Coutts) je déclare que j’ai été volée dans la première maison d'Angleterre. Comment ai-je pu égarer le reçu ? C'est là où ma raison est en défaut. Moi si exacte, soigneuse de mes affaires.
La soirée s’est bien ressentie du départ de Marion, & de Duchâtel & de mes soucis. Nous proclamons tous Duchâtel le plus agréable homme du monde. Si gai, si en train, toujours en bonne humeur, & tant d'esprit tout prêt & tout naturel. Je le crois bien parfaitement égoïste, qu'est-ce que cela me fait ? Je ne suis pas de votre avis sur la fête à l’hôtel de ville. Comment voulez-vous qu'on reconnaisse autrement les politesses faites à vos commissaires industriels & & en Angleterre ? Et vos fêtes à vous sont cossues, magnifiques, et bien supérieures à celles d'Angleterre. Non, M. Berryer a raison. Je saurai à Francfort sans doute des nouvelles des affaires d'Allemagne. Ici je n’ai aucun moyen d’être bien renseignée.
J'ai une petite nièce ici bien gentille et jolie, une Princesse de Lieven mi ditto. Son mari a l'air bourru. Elle dit qu’il la fait rire, & elle l'aime beaucoup. 28 ans de plus qu’elle. Midi dans ce moment une nouvelle lettre de Coutte, m’informant qu’il a en sa possession mes titres. Ouf ! Mais voilà un banquier bien léger. Adieu. Adieu
Val-Richer, Dimanche 27 juillet 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
Nous ne pouvons pas sortir des orages. J’ai eu beau temps tant que j’ai été seul. nous nous entendons très bien le soleil et moi. Je le trouve très bonne compagnie. Quand je me promène en pleine liberté, et sous des flots de lumière, j'oublie la solitude. Pas toute la solitude. Si je vais à Trouville, ce ne sera que pour me promener. Je n'y coucherai pas. Mais pour peu que j’y aille et que je passe quelques heures, j’irai chercher le Prince George, et je serai aimable pour lui, puisque vous le désirez. J’ai eu ces jours-ci une lettre du chancelier. Toujours aussi sensé et aussi jeune.
Il y a du monde à Trouville, mais peu de gens de connaissance. J’y ai deux nièces, l’une jolie, l'autre pas, l’une spirituelle, l’autre pas, les dons sont partagés. Elles vont venir passer ici deux ou trois jours.
Narvaez a très bien fait de rendre refus pour refus. Palmerston ne sait être ni gracieux ni fier. Un homme de mes amis, que j’avais fait entrer aux Affaires Etrangères, et qui en est sorti avec moi, M de Lavergne (son nom ne vous est pas inconnu) va passer quelque temps en Angleterre. C’est un grand agriculteur, très curieux de voir des agriculteurs anglais et écossais. Je le recommanderai à quelques personnes. Il est bon à connaître, si vous avez Ellice sous la main, faites-moi la grâce de lui dire que M. de Lavergne lui portera probablement une lettre de moi.
Quand Ellice, sera-t-il de retour en Ecosse ? Vous avez raison de regretter d’Haubersaert. Il n'y a pas un plus galant homme, ni plus sensé malgré son langage excessif. Il se plaît à choquer. Cela le fait détester de beaucoup de gens. Puisque vous parlez d'éclipse, il ne faut que de bien petits défauts pour éclipser de bien grandes qualités. N’ayez donc pas peur de l'éclipse. Le monde physique restera dans l’ordre jusqu'au jour où il finira ; et ce jour-là, ce n’est pas du monde physique qu’il conviendra d'avoir peur. Ceci soit dit sans vouloir vous faire peur de l'autre. Je trouve naturel que vous vous inquiétez de ce reçu de [Couth]. Vous le retrouverez. Vous êtes trop soigneuse pour l'avoir perdu. Vous l'aurez trop bien soigné. Vous avez moins de mémoire que d’ordre. Et puis, mention de vos actions et du reçu qu’il vous en avait donné, existe sûrement dans les livres de Couth. Il vous donnera un nouveau reçu si vous ne retrouvez pas le premier.
Voici mes seules nouvelles de Paris. " Il me semble que la démolition du Président suit son cours et qu’elle a fait de grands progrès depuis quelque temps. A Paris, l’opinion commence à se déclarer ouvertement contre lui. Ce dernier fantôme d'autorité s'en va, sans qu’il y ait rien, bien entendu, de prêt ni de possible à mettre à la place. Pour le moment tout le monde désarme ; la prochaine prorogation se fait déjà sentir. Mais tout le monde dit qu’au retour de l'assemblée, la guerre s’engagera très vivement. Nous aurons eu dans l’intervalle la campagne des Conseils Généraux où la lutte va recommencer sous une autre forme. "
Adieu, adieu. Je suis charmé que vous ayez eu un dîner bon et gai. Vous êtes sensible aux deux plaisirs. Adieu. G.
Paris, Samedi 12 juillet 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
La rumeur de la visite à Claremont, va croissant. Et aussi l'humeur en certains lieux. On dit que le Président et ses ministres en sont très préoccupés. Je le comprendrais s'ils étaient, comme moi, des philosophes patients et regardant au loin dans l'avenir. Mais pour des hommes d'affaires et d'affaires à courte échéance, je m'en étonne. Ils sont bien bons. Le fait n'a pas d’importance directe et prochaine. On n’a rien réglé, rien avancé ; on est resté dans la situation où l'on était, et que l’en connaissait. Seulement on s’est mutuellement exprimé des sentiments, et fait des politesses qui un jour rendront l’événement plus facile et qui, d’ici là, rendent tout autre événement plus difficile. C'est beaucoup à mon avis ; mais ce n’est pas redoutable pour 1852.
J'ai dîné hier à Passy, chez François Delessert. J’ai été frappé de la vivacité du sentiment des femmes de la famille pour Mad. la Duchesse d'Orléans, ses enfants, ses droits & C'est comme Mad. de Ségur, Mad. de Vatry, Mad. Rothschild &. Il faut que l’idée de la légitimité monarchique soit bien naturelle, car elle naît bien vite. Mais en même temps, on est bien aise, là, de tous les symptômes de conciliation et de paix entre les personnes et les partis. Si le mot de fusion était venu s'en mêler, c'eût été autre chose ; on l'aurait repoussé. Mais on aime la conciliation, et on me questionnait sur la visite avec bienveillance et en s'en félicitant.
La poste est venue et ne m'a rien apporté de vous. Vous m'aurez-peut-être déjà écrit au Val Richer. Je pars toujours ce soir, sans savoir quel jour ma fille aînée pourra venir me rejoindre ; il faut que son enfant soit tout-à-fait bien. Elle a confiance dans le médecin qui la soigne ici. Je travaillerai je lirai et je me promènerai en attendant.
Une heure
Je renvoie les visiteurs et je ferme ma porte ; je n'aurais pas le temps de ranger mes papiers et de faire mes malles. Dumon a causé hier longtemps avec Bocher qui est parti de Claremont après les visiteurs. Le dire de Bocher, confirme pleinement le récit de Berryer.
Voici deux phrases assez significatives, dans la conversation au moment où il était question de l’exil des Princes, le duc de Nemours a dit : " M. le comte de Chambord peut être bien certain que nous ne désirons, et que nous ne tenterons rien contre ses intérêts. Ceci allait à l'adresse de la proposition Creton, et pour écarter la crainte d’un coup de moins régentiste. Bocher a conduit la Reine mardi au chemin de fer d’Edimbourg ; elle lui a dit : " Nous avons été très contents d'eux et j’espère qu’ils ont été contents de nous. " Thiers, Lasteyrie, et Duvergier de Hauranne sont visiblement troublés et fâchés.
Ma petite fille va mieux mais doucement. Adieu. Adieu.
Je compte trouver votre lettre demain, au Val Richer. Adieu. G. Grande réunion hier soir à la rue de Rivoli. MM. Nettement et Léo de Laborde ont vivement poussé Berryer pour qu’il leur redit tout ce qu’il était allé dire et tout ce qu'on lui avait dit. Il a vivement repoussé leur curiosité radicale, et avec très grand succès. Approbation presque unanime de la réunion. G.
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Ems, Mardi 8 juillet 1851, Dorothée de Lieven à François Guizot
Votre lettre fait ma journée Je n’ai donc rien à vous dire de plus que je ne vous disais hier. Les verres d’Eau, le bain, la promenade, Duchatel & sa femme. Ah, Le prince George de Prusse neveu du roi. Jeune homme sérieux et agréable, mais qui va partir. Je suis curieuse de Londres, Montebello a promis à Duchâtel de lui écrire de là. Je suis honteuse je n'ai rien à vous dire du tout. Il ne vaut pas la peine de vous envoyer cette lettre. Elle restera jusqu'à demain.
Mercredi 9 juillet. J’espère que vous ne me gronderez pas de vous avoir manqué un jour d’autant plus que hier ressemble à aujourd’hui avec ceci de plus que je suis fort dérangée dans ses entrailles ; le dîner est détestable et cela me cause de vilains mouvements de bile. Je vais essayer aujourd’hui les talents d'Auguste. J’ai peur que cela n’aille pas. Voilà mon seul souci d'Ems.
Comment n'avez-vous pas encore reçu dimanche ma lettre de Cologne de vendredi ? C'est étrange. Dites-moi, ou répétez moi, si vous l'avez reçu ou non. Cela m'importe, car j’avais écrit d’autres lettres de là. Duchatel n’est pas reçu hier soir. Lui aussi a ces mêmes accidents que moi, et de plus un peu de fièvre. Il est mieux ce matin & reconduit sa femme à Coblence.
Le comte de Chambord a parfaitement raison de ne pas risquer Londres. Quel plaisir pour moi de lire M. de Maistre, & quel remord ! Quelle honte ! Tous les soirs chez moi pendant tant d’années et ne me souvenir que de sa figure. Certainement je n’ai pas de l’esprit naturellement. On m'en a donné un peu, et bien tard ; et pour être tout-à-fait vrai je crois qu’il ne m’en est venu un peu qu’à Paris et depuis 14 ans. Il fait très froid ici 8-10 degrés pas davantage,
Adieu. Adieu.
N°35. Val-Richer, Jeudi 8 juillet 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
A part la fatigue les bains de Schlangenbad vous ont-ils fait quelque bien ? Vous êtes-vous baignée régulièrement ? Et l'Impératrice, comment s'en est-elle trouvé ? Le mois de Juillet vaudra mieux que celui de Juin pour des eaux allemandes. Par cette chaleur-là, les environs d’Ems doivent être charmants. Je conserve une impression singulièrement vive des lieux qui m'ont plu, et où je me suis plus.
A mesure que les élections anglaises, approchent, il me semble que leur aspect en plus favorable à Lord Derby. La question sera décidé ces jours-ci. Je veux du bien à Lord Derby quoi que je n'en espère pas beaucoup. Si Lord John ou sir James Graham reviennent au pouvoir ils y feront les affaires des radicaux, ce qui fera, sur le continent, les affaires, soit des révolutionnaires, soit des absolutistes. Ni les unes, ni les autres ne sont les miennes. Ceci ressemble presque à une provocation. Ce n’est pourtant pas mon goût. Je n’aime pas du tout à me disputer avec les gens que j’aime. J’aimerais bien que nous fussions toujours du même avis. Mais puisque vous êtes toujours du même avis que le Prince Charles de Prusse, il n’y a pas moyen.
Il m’est arrivé ces jours-ci de l'administration locale, une question très bienveillante, elle m’a demandé, si je voulois être porté au conseil général dont les élections se feront bientôt, comme de raison, j’ai répondu que non, que je voulais rester en dehors des affaires comme de l'opposition. Je n'ai jamais vu l’horizon plus calme. Pour mieux dire, il n’y a rien du tout à l'horizon. C'est même là le mal principal de la situation. Il faut qu’un gouvernement ait devant lui un avenir. Celui-ci est traitement renfermé dans le présent. C’est là ce que je crains pour lui ; il ne se résigne pas à une portée si courte ; il voudra étendre plus loin la main, et il se fera de mauvaises affaires sans nécessité, si ce n’est qu’il faut avoir des affaires.
11 heures
Je suis charmé de vous savoir arrivée même en compagnie de Juifs, vous devez avoir en effet grand besoin de repos. Je vous ai écrit hier qu'à moins de vraie nécessité, je n'irais pas vous voir tout de suite. Cela me dérangerait vraiment beaucoup. Ne vous tourmentez pas trop de l'avenir quant aux Ellice. J’espère bien que vous n'aurez pas à y renoncer. En attendant, vous allez avoir Aggy. Nous verrons ce qu’il faudra faire pour vous l’assurer, elle ou la sœur. Adieu, adieu. G.
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N°34. Val-Richer, Mercredi 7 juillet 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Vous arrivez, je pense, aujourd’hui. à Paris. J’espère que malgré votre vaillance. vous vous serez reposée un jour à Bruxelles. Le voyage, par cette chaleur doit vous fatiguer beaucoup. Je regrette que vous ne jouissiez pas de ce temps-là comme j'en jouis. Je me promène dans mon jardin à toutes les heures. La chaleur, et la lumière, c’est la vie. à moins que vous n'ayez tout-à-fait besoin de moi, je n’irai pas vous voir tout de suite. J’attends quelques visites. Je suis en train d’un travail que je ne voudrais pas interrompre. Je me suis promis de finir cet été plusieurs choses que je tiens en effet à finir d'avance dans la vie, et j'ai l'âme encore assez pleine pour désirer que les années qui me restent ne soient pas vides. J’aimerais mieux aussi placer nos quelques jours de réunion un peu moins loin du terme de notre longue séparation. Quand vous aurez un peu entrevu ce qu’il vous convient de faire dans ce moment, vous me le direz, et j'adapterai mes plans aux vôtres.
J’espère bien qu’Aggy ne se fera pas attendre longtemps. C'est bien dommage que la maladie de cette pauvre Fanny’s soit venue troublée vos arrangements avec ses deux soeurs ; ils étaient bien bons pour vous. Vous garderez, je vois, de votre séjour à Schlangenbad. Un agréable souvenir ; agréable au coeur, ce qui vaut mieux que tout ; et aussi comme agrément d’esprit. Je ne suppose pas qu’à prendre les choses, en grand et dans leur ensemble, vous ayez beaucoup appris là ; il n’y a plus de grands secrets ; mais beaucoup de détails intéressants, et qui rectifient les idées. Il n’y a rien de si commun aujourd’hui que les idées vrais en gros et chargées d’erreurs ou pleines de lacunes. Je n’aime pas cela. J’aime à savoir les grandes choses exactement, et par le menu.
Vous ne lisez pas les feuilles d'havas. Je vous assure qu’elles le mériteraient quelque fois. Il y avait hier, sur les prétentions et le ton du gouvernement anglais dans les affaires Mather à Florence et Murray à Rome, un article excellent. On comparait ces deux affaires à celles du général Haynac et du prêtre Achille, et on demandait à l’Angleterre. si elle avait de quoi être si exigeante, en fait de police et de justice. C’était de la justice amère, et dont il ne faudrait pas tirer des conclusions générales, mais de la justice vraie et topique dans l'occasion.
Je suis curieux de savoir si lord John Russell sera élu dans la cité. Cela se décide aujourd’hui. 11 heures Je n’ai pas de lettre aujourd’hui. Je m’y attendais un peu. J’ai bien envie de vous savoir arrivée à Paris et pas trop fatiguée de cette chaleur. Adieu, Adieu. G.
N°30. Val-Richer, Samedi 3 juillet 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Mon gendre arrive de Paris. Il n’y a pas la moindre nouvelle. Tout le monde se promène et s'ennuie. Plusieurs mois vont se passer dans cet état. On a été un moment très troublé de l'ombre d'opposition du Corps législatif. Il a été question de le dissoudre. Le décret, dit-on a été signé. On est rassuré. La manie de l'opposition était jadis de supprimer le pouvoir ; la manie du pouvoir est de supprimer l'opposition ; ni l’un ni l'autre ne réussira.
Vous avez passé hier la journée à Stolzenfels. J'espère que vous avez eu le magnifique temps que nous avions ici. Un beau soleil est encore plus beau sur la vallée du Rhin que sur mon vallon. Je suis d’un bon caractère ; j’aime les grandes choses et je jouis des petites.
Je crois que le comte de Chambord persiste à interdire le serment, et il ne peut faire autrement. Ce sont des questions sur lesquelles on peut se taire ; mais quand on parle, il faut bien parler d’une certaine façon, et quant on a parlé d’une certaine façon, il faut bien s'y tenir. Voilà les querelles de Protestants et de Catholiques qui commencent en Angleterre. Ils se sont battus à Stockport. Il se battront peu. Le vent n’est pas à la guerre, à aucune guerre, étrangère ou civile. Ils se querelleront, se dénigreront, se verront.
Est-il vrai qu’on est très préoccupé en Prusse aussi de l’attitude agressive du catholicisme, et qu’on se disposa à ne pas se laisser faire ? Cela paraît dans les journaux, et il me revient que le Roi de Prusse, ses conseillers, ses anciens sujets, toute l'Allemagne protestante, princes et peuples, sont extrêmement sur le qui vive. Ceci influera beaucoup sur la politique.
Je me suis abonné pour trois mois au Moniteur. J’ai voulu voir la métamorphose annoncée. Il n’y paraît pas encore, et on dit qu’il n’y en aura point du tout. Moniteur et autres, tous les journaux sont insignifiants.
Si vous restez sur le Rhin, tout le mois de Juillet, il me semble qu'Aggy pourra aller vous y rejoindre ; c’est le 30 Juin qu’il lui était impossible d’y arriver, à ce que me disait Marion, je crois. Puisqu'elle devait venir vous joindre à Paris dans les premiers jours de Juillet, elle pourrait de là, aller vous chercher sur le Rhin. Du reste tout est difficile pour une personne encore trop jeune pour courir seules.
11 heures
Malgré votre N°25, je vous adresse encore ceci sur le Rhin. Vous me direz quand il faudra cesser. J'étais sûr que votre dîner en plein air ne vous réussirait pas. Je voudrais vous savoir revenue de Stolzenfels, autre plein air, Adieu, adieu. G.
23. Val-Richer, Vendredi 25 juin 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Outre la satisfaction de cœur, c’est un plaisir d'être rentré dans l’ordre. Plus je vieillis, plus le moindre désordre le simple dérangement me déplait et m'inquiète. On ne sait jamais ce que cela peut devenir.
Je suis charmé qu’on soit si bien pour vous à Schlangenbad. Est-ce que vos fils ne s'en ressentiront pas ? C'est là vraiment la marque d’amitié que vous devrait l'Impératrice. J’ai peine à comprendre qu’elle ne soit pas en état ou en volonté d'obtenir cela de l'Empereur, et que l'Empereur ne puisse pas être amené, pour faire plaisir à sa femme, à faire deux exceptions au régime des passeports. Je voudrais beaucoup que vos fils vous dussent l’agrément de leur vie. Rien ne les rapprocherait d'avantage de vous. Ils sont dans cette disposition et cette habitude d’esprit, où l’agrément de la vie inspire plus de reconnaissance que la vie même. Avez-vous de bonnes nouvelles de la santé d'Alexandre ?
J’attendais hier avec quelque curiosité, mon Journal des Débats pour voir comment le corps législatif aurait pris la lettre de M. Casabianca sur le rapport de M. de Chasseloup Laubat. Je vois seulement que beaucoup de personnes ont parlé, MM. de Montalembert, de Kerdrel, de Chasseloup deux ou trois conseillers d’Etat, et M. Billault lui-même, du haut de son fauteuil. Mais le procès-verbal détaillé n'était pas encore prêt et communiqué aux journaux hier, à 4 heures. Il aura probablement été un peu difficile à rédiger.
Les ministres Anglais, Lord Malmesbury surtout, ont l’air d'écoliers à qui le Parlement fait la leçon et qui recommencent leur tâche quand le Parlement leur a montré qu’elle n'était pas bien faite.
Voilà votre ami Bulwer qui va rentrer en négociation à Florence pour les coups de sabre de M. Mather, et qui est chargé d'obliger le grand Duc de Toscane à dire, s’il répond ou non, de ce qui se passe chez lui. Ainsi les plus petits incidents ramènent les plus grandes questions. Et M. Mornay, sera-t-il ou ne sera-t-il pas pendu à Ancône ? A Dieu ne plaise que je regrette si un homme n’est pas pendu ; mais vraiment, si M. Mourray est l’un de ces mauvais sujets errants qui vont se faire partout où l'occasion s'en présente, les complices de l'anarchie et de l’assassinat révolutionnaire, c'est une grande indignité au gouvernement Anglais de forcer la main au pauvre Pape pour lui faire faire cette grâce. Le Pape portera ici la peine de la mauvaise réputation, très mérité, du gouvernement Papal en fait de justice et de jugements criminels.
J’ai connu, il y a quelques années, à Paris un M. de Harthausen qui était un homme d'esprit, et qui écrivait. Il avait écrit quelque chose sur le rôle et la politique de l’Autriche en Allemagne. Je ne suppose pas que ce soit là ce que l'Impératrice, s'est fait lire. Comme M. de Meyendorff lit sans doute le Français aussi bien que l'Allemand, je vous signale un article sur St Ambroise, de M. Villemain, inséré dans le Journal des Débats d’hier. Jeudi 24 ; c’est un morceau très intéressant, et assez court pour être lu tout haut. Je serais surpris s’il ne plaisait pas à l'Impératrice, et même à vous. Cependant je dois convenir que St Ambroise résistait quelques fois aux Empereurs, mais à des Empereurs qui ordonnaient le massacre de Thessalonique. On est infiniment plus juste et plus doux à Pétersbourg, au XIXe siècle, qu’à Rome ou à Constantinople, au IVe.
Onze heures
Mon facteur arrive tard et doit repartir promptement. Je regrette que vous n'ayez pu causer à l'aise avec le Roi de Wurtemberg. Voilà un chapitre au budget rejeté. On me dit que c’est celui du Ministère de la police générale. Adieu, adieu. G.
Val-Richer, Jeudi 17 octobre octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Le temps est étrangement beau et doux. Un soleil d’été sur une nature, d’automne. Je me suis promené hier deux heures. J’avais trop chaud. Vous auriez beaucoup joui de cet avis-là. Il vaut mieux que celui du bois de Boulogne. Mais dans quinze jours nous serons en hiver. Il ne faut pas s’attacher à ce soleil. Je n’y penserai pas quand je serai avec vous. Mais, hors ce qui me plaît par dessus tout, la liberté, le repos et les spectacles de la campagne, me plaisent maintenant plus que le reste. La nature a du bon sens et de la grandeur.
10 heures
Kisselef a tort d'être si troublé. Certainement, s’il y a guerre en Allemagne (ce que je ne crois toujours pas), il y aura en France à l'Elysée et dans les journaux, des velléités de s'en mêler. Des velléités sincères, et des velléités hypocrites. Le public, le vrai public n'en voudra pas. L'assemblée sera comme le public ; le ministère comme l’assemblée ; et on ne s'en mêlera pas. Et l'Elysée sera fort aise qu’on ne veuille pas s'en mêler, et qu’on ait l’air de croire qu’il voulait s'en mêler. L'ancienne politique subsistera. Il n’y a plus en France, de gouvernement capable de la changer, ni de l'avouer. On en voudra le profit, en en éludant la responsabilité. Ce sera le Général Lahitte qui en aura l'honneur.
A propos du Général Lahitte, je vois dans tous les journaux qu'on veut le nommer à l’assemblée pour le département du Nord, et dans la Gazette de France qu'il y a, dans ce département, des gens, conservateurs, et légitimistes, qui pensent aussi à moi. Je n'en ai point entendu parler, et je n’ai pas besoin de vous dire que je n'en veux pas entendre parler. Le Moment n’est pas venu, et on a grande raison de porter le Général Lahitte. Je lui donne ma voix.
L'Indépendance Belge m'amuse. Vous savez mon billet à Morny. Je prévoyais bien qu’on en ferait un peu de bruit. A la bonne heure. Je ne l’ai pas écrit parce que le bruit, mais quoique. Un avis très décidé, et dit très haut, et une entière liberté d’attitude et de langage quotidien, c'est mon parti pris. Je suis plus indépendant que l'Indépendance Belge. La fusion de l'autre côté du fossé ; le Président tant qu'on ne peut pas, ou qu'on ne veut pas, ou qu’on ne sait pas sauter le fossé; voilà mon avis, et je ne m’en gênerai pas de le dire, et de le pratiquer.
Ecrivez-moi à Broglie, (au château de Broglie, par Broglie. Eure) lundi, mardi et mercredi. Je n'en partirai que jeudi après le déjeuner. Le courrier y arrive à 9 heures du matin. J'y vais seul. Le médecin de Pauline ne veut pas qu'elle remue au delà du strict nécessaire. Entre nous, mes deux filles. sont grosses. Elles ne le disent pas encore. Je persiste à croire que Mad. Rothschild a raison, et que le Général d'Hautpoul s'en ira. Adieu, Adieu G.
Paris, Vendredi 27 septembre 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
Ce mois de septembre est merveilleux. Quelle pitié de le passer à Paris ! J’ai vu assez de monde hier soir. Le général Lahitte, entre autres, qui me plait toujours davantage. Ses bonnes manières, sa belle figure, cet air honnête, sincère, assez de gaité dans l’esprit, rien de cet air de mystère ou d’importance que je déteste, l’esprit dégagé, tout cela me charme. Le duc de Noailles était ici aussi. Dumon, Viel-Castel. Quelques femmes. Rien de nouveau, si non la Hesse. La diète de Francfort se déclarant pour l'électeur, et promettant appui ; il en a besoin. Que va dire la Prusse, qui repousse toute intervention ? Cela peut devenir gros. Voici Fleischmann ; vous voyez qu’il protège peu les petits états. Lord Palmerston a écrit au général Lahitte une lettre de remerciements pour l'accueil fait aux Anglais à Cherbourg. M. Véron fait encore au jourd’hui un article remar quable. Il y a des choses excellentes. Pour la conclusion, je ne la comprends pas. Je n’aurai pas la patience d’attendre, ni lui non plus sans doute. Ce que vous me dites aujourd’hui sur la position du Président est très vrai.
Jugez que les Ellice sont ici depuis 8 jours, & que je ne les ai pas vus encore. Marion m’a suppliée de ne pas même lui écrire, d'ignorer tout-à-fait qu’elle est ici, jusqu’à ce qu’elle. vienne elle-même. Quelque nouvelle grognerie des parents. C’est fort ridicule à elle de s'y soumettre. Ils cherchent un logement et ne trouvent rien. Adieu & moi aussi, je ne trouve rien à vous dire. Adieu. Adieu.
Vous me renverrez Fleischmann. Je suis inquiète de Constantin. Il devait me répondre à une lettre. Il ne le fait pas. Je me mets en tête que son enfant est mort. Je prends quelque fois des idées qui me tourmentent comme des réalités. Sur ce point là il y a un peu de folie dans mon fait. Et une folie de plus, c’est de croire qu'en disant une pareille idée, cela détourne le malheur. Vous allez me trouver vraiment insensée.
Val-Richer, Mercredi 11 septembre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
J’ai très bien dormi. J’ai besoin de me reposer. Je puis encore, quand je le veux, me fatiguer comme il y a douze ans ; mais j’en suis et j'en reste quelque temps fatigué. Plus j’y pense, plus ce que je viens de voir, et de faire, me paraît bon. Maintenant la bonne conduite doit conduire au succès avec un peu de bonheur pourtant, c’est à dire un peu d'aide de Dieu.
J'ai retrouvé à Paris, en rangeant mes papiers cinq lettres de moi à vous, le second voyage de la reine d'Angleterre au château d'Eu (septembre 1845). J'ai oublié de vous les rendre. Je les ai ici. Je viens de les relire. Quelle lanterne magique que le monde. Outre le malheur, il y a quelque chose qui me déplaît beaucoup dans ces brusques et continuels changements de scène ; c’est un certain défaut bien involontaire de dignité pour les acteurs. Si haut et si bas en un clin d'œil ! Tenir si peu et pouvoir si peu ! Des marionnettes, sans cesse remuées par des fils invisibles ; des plumes, dans l’air flottant en tous sens, sous des souffles inconnus. J'ai bien envie de finir comme Massillon commence son oraison funèbre devant le catafalque de Louis XIV : " Dieu seul est grand. "
M. de Witt est revenu de Cherbourg. Le Président mieux traité le second jour que le premier, et le troisième que le second. A tout prendre, accueil médiocre. La flotté très exacte, dans ses houras. (sept) au coup de sifflet, mais très froide. Les matelots Joinvillistes. Les officiers partagés, les uns Joinvillistes, les autres républicains. La population amusée, et indifférente beaucoup plus occupée du spectacle que de l'acteur principal. Petit, très petit complot des rouges pour crier sans relâche, sur ses pas, " vive la république sociale ! " Le peuple haussant les épaules et repoussant les gamins, avec mépris mais sans colère, Très bonne tenue de la troupe, faisant son devoir avec calme. Concours immense. Grande difficulté de trouver à manger. Quatre dîners de table d’hôte par jour dans toutes les auberges, et bien des gens ne parvenant pas à dîner. La flottille anglaise bien reçue et charmée de sa visite. quand le Président a passé devant elle en visitant la flotte, il a été accueilli par des houras très vifs.
10 heures
Je suis bien fâché de votre mal de gorge. Je ne peux pourtant pas me résoudre encore à vous envoyer à Madère. J'espère que ce ne sera pas long. Ne manquez pas, je vous prie de me dire aussi quand ce sera passé. C'est bien dommage que nous n'ayons pas rencontré Thiers sur la route, entre Esher et Claremont comme Salvandy.
Je doute un peu de la nouvelle de la Princesse Mathilde ; elle aura parlé d’un projet comme d'un fait. Je reçois un mot de Marion qui me dit que décidément ils quittent Brighton du 16 au 20, et qu’ils seront à Paris au commencement d'octobre. Vous le savez sûrement déjà. Adieu, adieu, adieu. G.
Trouville, Jeudi 22 août 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Vous rendez compte dans la perfection. Reste à mettre à sa juste valeur l'impression et le dire de vos deux interlocuteurs, vous feriez cela à merveille aussi. Si vous aviez vu vous-même. Pourvu que vous laissassiez aussi à votre propre impression le temps de s'apaiser et de le juger. En tout cas, ce que vous me redites est très curieux et très important. Et il y a au bout des paroles, un fait très significatif, l’attitude prise envers. M. de la Rochejaquelein. Le jour où les hommes sérieux et sensés dirigeront au lieu de suivre, le parti sera un parti politique. Cela lui a manqué jusqu'ici. Strasbourg et Wiesbaden, la rive gauche et la rive droite, étrange spectacle ! J'attends avec curiosité des détails sur le Président à Strasbourg. Je les aurai ce matin. Il ne me paraît pas que Besançon, ait été merveilleux. Je suis frappé de ce bal où le Président s’est vu obligé d'aller et dont il s’est hâté de sortir. M. de Montalembert devrait régner à Besançon.
J’ai fait hier ma course chez Mad. Denois par une tempête de pluie, en allant et une tempête de vent en revenant. Ce que c’est que d'avoir promis. Je ne puis souffrir de faire manquer ce que les gens ont pris peine à arranger. C’est un très joli cottage dans un joli pays un peu sauvage. De bons conforts et de beaux tableaux au au milieu des bois et au bord de la mer. J’ai assez conservé la faculté de prendre intérêt quand j'y suis, aux choses dont je ne me soucie pas du tout quand je n’y suis pas. Wiesbaden est très populaire dans cette maison-là. Ce qui n'empêche pas le Président d'y être populaire aussi. On voudrait bien l'avenir qui plaît mais à condition de ne rien risquer dans le présent.
Midi
Je ne m'étonne pas que Duchâtel n’eût rien à vous dire. Il paraît que Creuznach est un vrai trou. Thiers à Bade, Duchâtel à Creuznach pendant que le comte de Chambord est à Wiesbaden, et personne ne leur en demande raison. M. Royer Collard redirait bien encore : " pour M Guizot, on ne lui passe rien. " J’avais raison sur Besançon. Evidemment le Président n'y a pas été bien reçu, s’il ne l'est pas bien à Strasbourg, le voyage sera médiocre. On comptait beaucoup sur la Lorraine et la Champagne, Nancy, Metz, Châlon, Reims. Nous verrons. Ici c'est-à-dire à Cherbourg, il n’aura ni désagrément, ni grand agrément. On l’y attend le 4 ou le 6 septembre.
M. de Daunant m'écrit des Pyrénées où, il se promène depuis six semaines, qu’il n’y trouve pas l'ombre d'un rouge ou d’un socialiste. Rien d’ailleurs dans les journaux. Est-il vrai que Radowitz tombe tout-à-fait ? Adieu, Adieu.
Je voudrais, pour votre plaisir, que vous rencontrassiez votre grande Duchesse. Elle vous intéresserait quelques heures. Adieu. G.
Trouville,Vendredi 16 août 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Moi aussi, je suis abreuvé de pluie. Pas un rayon de soleil depuis que je suis ici. Je me suis promené hier une heure et demie avec Dumon sous mon parapluie. Si ce temps là continue, je ne resterai pas longtemps à Trouville, enfermé pour enfermé, j’aime mieux l'être au Val Richer, dans mes meubles, et avec mes livres.
Mad de Boigne et le Chancelier restent ici jusqu'au 15 octobre. Le dernier mois doit être un peu rude. Mais ils se plaisent dans cette maison autant qu'on peut se plaire quelque part quand on n’est plus occupé que de vivre. Le Chancelier se porte à merveille, se promène tout le jour et cause tant qu’on veut, ou tant qu’il veut lui-même. Au fond, je crois que la fin de sa vie lui convient assez ; il est tombé avec la Chambre des Pairs. ( Il n'y a pas d'autre Chancelier.) On vient de donner à la rue dans laquelle est ici sa maison, le nom de rue du Chancelier. Il croit que le président durera bien autant que lui. Il a assez de sécurité, beaucoup de confort, et pas mal de petits plaisirs d’amour propre. Cela lui suffit. Il a plus de sens que M. Molé. Mes enfants sont allés hier soir danser au salon. Je suis resté seul. J’ai lu à mon aise toutes vos pièces diplomatiques. Décidément, celles de M. de Brünnow sont très inférieures aux autres. L'embarras y perce à chaque ligne, et la platitude, envers Lord Palmerston, n'y manque pas. On s’occupe assez du voyage du Président. Dumon croit que ce succès, tout contesté qu’il est, pourra lui tourner la tête et lui faire faire quelque sottise. Nous avons, en France, en fait de réceptions impériales et royales, une routine magnifique qui s'applique à lui aujourd'hui et qui peut lui faire illusion. Nous verrons. On dit toujours que Strasbourg est le gros écueil.
J’ai oublié, je crois, de vous dire que les Saint-Aulaire m'avaient bien recommandé de vous parler d'eux vraiment avec amitié. Et aussi que j’ai demandé de votre part des nouvelles de Melle Augustine, la femme de Chambre qui vous a bien soignée. Elle est venue m'en remercier, rouge comme une écrevisse. Sainte-Aulaire passe ses journées à écrire ses mémoires. J’en suis bien aise. Il dira beaucoup de choses qui me conviennent, et qui ne seraient pas dites sans lui.
J'attends la poste. Elle m’apportera votre lettre, et peut-être quelque nouvelle. Adieu en attendant.
Midi
Pas de nouvelle, excepté votre aventure que j'espère bien avoir demain. Mad. de Clairville était bien étourdie et M. de Clairville bien bon homme. Evidemment la réception du Président à Dijon a été très mêlée. Ce voyage donnera de l'excitation à tout le monde, à ses ennemis comme à ses amis. De tout ceci pour peu que ceci dure encore, et quoiqu'il arrive après, il résultera que le parti républicain, modéré ou rouge restera un gros parti qui donnera d'immenses embarras. L’avenir est bien obscur. Adieu, Adieu. Cette abominable humidité me porte un peu sur les entrailles. Rien de sérieux. Adieu encore, et toujours. G.
Val-Richer, Mercredi 24 juillet 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
7 heures
Partant dans quatre jours pour aller vous voir, il me semble déjà que ce n'est plus la peine de vous écrire. D’aujourd’hui en huit, nous causerons, s'il plaît à Dieu comme disent toujours mes amis anglais, qui ont raison. Certainement, nous avons beaucoup à nous dire ; il n’y a point de temps si stérile en événements qui le soit, entre nous, pour la conversation. Et puis, on appelle aujourd’hui stérile toute semaine qui n'amène pas quelque grosse chose. Je me défends de cette disposition qui est, au fond, celle qui fait faire, de nos jours, tant de sottises. Je tâche de ne pas m'ennuyer de ce qui dure et de contenter ma curiosité à meilleur marché que des révolutions.
J’ai des nouvelles de Rome. Le Gouvernement du Pape ne s’y rétablit guère ; mais l'ébranlement s’apaise. On oublie le passé et l'avenir. On vit au jour le jour, en rentrant dans les anciennes habitudes. C’est un repos qui reste à la merci d'une poignée de conspirateurs et d’une occasion. Le Pape est dans Rome, mais Mazzini n’est pas vaincu. Il faudra que l’armée française reste là longtemps. Et quand elle quittera Rome elle restera encore longtemps à Civita Vecchia. Personne n’y pense et ne s'en soucie. Lord Palmerston aurait bouleversé, l’Europe pour me chasser de là. Peu lui importe que la République y soit. Il a raison. La République, pour garder Rome, n'en est pas plus puissante en Italie ; pas plus que la sentinelle qui garde la Banque n'en possède les trésors. Quand les révolutions sont à la porte, les gouvernements ne sont plus que des sentinelles. La question italienne est insoluble. Autrefois, on se résignait aux questions insolubles ; on cessait d’y penser. Aujourd'hui, on ne se résigne à rien : on pense toujours à tout. Aussi la force matérielle doit être toujours partout. L’Etat de siège devient l'ordre Européen.
10 heures
La Commission permanente est nommée bien péniblement, et bien mêlée. L'opposition légitimiste et montagnarde a fait passer plusieurs des siens. Le gâchis augmente. La nouvelle querelle de Changarnier avec le Ministre de la guerre est encore replâtrée, mais cela ne peut guère aller loin. Le Président, ne pourra pas soutenir toujours d’Hautpoul.
Ce que vous me dites d'Angleterre me préoccupe. Si la Chambre des communes se met aussi à démolir son propre gouvernement, cela finira par mal tourner. Adieu, adieu. J’ai plusieurs petites lettres à écrire et mon facteur ne peut pas attendre longtemps aujourd’hui. Adieu G.
Val-Richer, Mardi 23 juillet 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Si je me guérissait de mes passions, les Assemblées, ne seraient pas la seule dont j’aurais à me guérir. J’aime mieux rester comme je suis. A tout prendre en France du moins, et depuis 1814, les Assemblées ont empêché plus de mal qu'elles n’en ont fait. Sans elles en 1830, et en 1848, le démon révolutionnaire aurait triomphé. Elles l'avaient bien un peu encouragé ; mais elles le lui ont fait bien payer après. Je viens de parcourir tous mes journaux. Je n’y trouve rien. La nomination de la commission permanente sera le dernier acte. Et puis nous serons trois mois sans assemblée. Je souhaite de tout mon cœur que nous soyons mieux dans trois mois qu'aujourd’hui. Je suis bien aise que l'article d’Albert de Broglie vous ait plu. Mais maintenez vos critiques. Je les trouve très justes.
L'homme aux mémoires est bien Saint-Simon. Quoiqu'il écrivit encore sous et sur la Régence, c’est le 17ème siècle qu’il raconte le plus. Louis XIV et sa cour. J'en lis tous les soirs 30 ou 40 pages, là et là à mes enfants. Cela les amuse parfaitement. Je n’ai pas lu les Sophismes en frustrade dont vous parle Marion. Si cela en valait la peine, je les ferais demander. J’ai demandé s'il y avait déjà quelque chose d'un peu complet sur Peel. On me répond qu'il y a un livre, publié, il y a deux ou trois ans par un Dr. Cooke Taylor " Sir Robert Peel and his Times." Vous n'avez surement par entendu parler de cela.
J’ai des nouvelles de Ste Aulaire. Il me dit qu’Horace Vernet, raconte que votre Empereur est toujours charmé de la République en France et surtout partisan zélé du général Cavaignac. C'est sa plus grande nouvelle. Vous voyez que je suis à peu près aussi stérile qu'Ems. Adieu. Adieu. Voilà enfin le soleil revenu. La pluie nous a accablés pendant quelques jours. Adieu. G.
Midi
Je rouvre ma lettre. Je viens d'avoir une visite qui me rend ma liberté pour le 6 août. J'irai donc vous voir à présent. Je partirai d’ici samedi prochain 27. Je serai dimanche matin, à Paris. J’en partirai le soir ou lundi matin pour Bruxelles et je serai à Ems mardi soir 30 ou mercredi Il. J’y passerai huit jours avec vous. Il faut que je sois à Paris, dans la journée du 11. Si Aberdeen vient à Ems, tant mieux. Sinon encore tant mieux. Grand plaisir que cette petite course. Adieu, adieu.
Soyez assez bonne pour m’assurer à Ems un petit logement. J’aurai avec moi un domestique, Adieu encore. G.
Val-Richer, Vendredi 19 juillet 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je suis de l’avis de votre Princesse de Lippe-Schaumburg, (n'est-ce pas de la Lippe ?) ; il me semble que tout le monde se retire de l’union, et que le faiseur de l'Union est bien près lui-même d'y renoncer. Je saurai ces affaires-là avec précision d’ici à peu de jours ; mon gros, petit factotum a été de nouveau sollicité de faire en Allemagne le voyage que vous savez ; il est parti mardi, et il reviendra la semaine prochaine.
On tient beaucoup là, à ce qu’il me paraît, à établir avec les Débats de bonnes et un peu intimes relations. On a raison. Quand le jour de la bonne politique reviendra, car il reviendra, il importe que les Débats y soient engagés d'avance et la soutiennent pour leur propre compte, seule manière d'avoir un peu de zèle et d’autorité. C'est ce qui fait que je ne suis pas du tout fâché du ton qu’ils ont pris sur la nouvelle loi de la presse. Cela leur donnera crédit pour approuver et défendre le régime, plus sensé, qui sera fait un jour à la presse, quelque sévère qu'il soit. La République a cela de bon qu’elle tente toutes sortes de rigueurs inefficaces qui feront plus tard, passer et presque trouver douces de justes et efficaces de vérités. Vous voyez ; je ne me guéris pas de croire à l'avenir et d’en parler comme s’il était à moi. Au fait j'y crois; il s'est fait et il se fera bien des absurdités dans le monde ; mais l'absurdité petite et basse ne l’a jamais gouverné longtemps. Ce qui n’est pas sûr du tout, c’est que le meilleur avenir vienne assez tôt pour que j'en aie encore ma part. Je suis tout résigné à cela, mais je ne vois pas pourquoi je m'imposerais, à chaque minute, la fatigue et l’ennui de parler, ou de me taire, comme si j'étais mort, pendant que je suis encore vivant. Je me laisse aller à ma pente ; Dieu disposera de moi comme il lui plaira.
9 heures
C’est bien bête, en effet de manquer d'eau faute de machine. J’ai en idée que ces eaux d'Ems vous font du bien. Ma conjecture se fonde sur votre silence.
Je reçois ceci du meilleur des Burgraves : " Nous venons de terminer une loi qui n'a pas trop bonne mine, mais qui contient cependant plusieurs dispositions efficaces. Elle a été faite à peu près comme tout ce qu’on fait avec les légitimistes, c'est-à-dire comme une distribution de prix et une table de proscription, chacun récompensant les siens et poursuivant ses adversaires. Elle est très sévère, ridiculement et un peu bêtement sévère quant à la presse de Paris, indulgente sans choix et sans mesure pour la presse des départements. Somme toute, il en résultera du bien. Nous allons nous séparer ; nous en avons grand besoin ; la place n'est plus guère tenable, et la session prochaine ne sera possible qu’autant qu’il se formera, une majorité nouvelle composée des gens de bon sens de tous les partis ; la majorité actuelle est à bout de voie."
Vous ai-je dit que Saint Marc Girardin avait offert à Armand Bertin, d’écrire et de signer (Saint Marc Girardin, membre de l’Institut) le premier article politique que publieraient les Débats sous l'empire de la loi nouvelle ? Adieu, Adieu.
J’ai la pluie depuis deux jours ; à mon grand déplaisir. J’aime de plus en plus le soleil. Adieu. G.
Val-Richer, Mardi 4 juin 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
Je ne cesse de penser à cette brouillerie. Je n’y crois pas. Il me semble impossible que le président. rompe ainsi avec la majorité au moment où il vient de s'unir, si intimement à elle par la loi électorale. La majorité laisserait-elle partir Changarnier, sans prendre fait et cause pour lui ? Je ne crois pas cela non plus. Mais tout est possible aujourd’hui ; le bon sens n’est plus une boussole. Plus j’y pense, plus cela me paraît grave si cela arrive. La majorité brouillée avec le Président et brouillée dans ses propres rangs ; l’armée aussi troublée et divisée ; les fonctionnaires, partout incertains et cherchant leur voie. C'est le chaos jeté dans le chaos, et des enfants jouant avec le chaos. Je n'y veux plus penser ; je n’y ai rien à faire et n’y puis rien prévoir. Etes-vous inquiète ? Voyez-vous des chances de désordre dans Paris ? J’espère que non.
Mes préoccupations sont peut-être fort ridicules et tout est arrangé pour quelques jours. Vous me direz cela dans une heure. Quel ennui d'attendre !
Avez-vous très chaud à Paris, et en souffrez-vous ? Ici le temps est admirable. Le souffle de l’été sur la fraîcheur du printemps.
Les nouvelles de St Léonard ne sont pas bonnes. Le mieux s'est arrêté. Des jaunes d'oeuf pour toute nourriture. Le Roi fait à peine quelques pas dans sa chambre, soutenu par deux hommes. M. de Mussy est très inquiet, sans croire pourtant à rien d’imminent. Je crains que mon voyage ne soit fort avancé. J'attends demain une lettre qui me fera peut-être écrire au duc de Broglie pour lui demander s'il est prêt.
10 heures
Votre lettre me rassure un peu. Je vois que c'est votre maniaque surtout qui croit le mal imminent. Tout le monde n’est pas aussi près d'une convulsion que lui, quoique personne n’en soit bien loin. J’espère que tout se calmera, ou s’ajournera. Je reçois à l’instant de divers côtés des nouvelles très diverses de St Léonard ; les unes inquiétantes, les autres rassurantes, du moins pour le moment. Faites-vous dire, je vous prie, exactement par Duchâtel ce que dit son frère Napoléon qui en arrive. On me presse de presser mon voyage. Je vais écrire au Duc de Broglie. Je ne voudrais pas avoir l’air trop empressé, et aller pour rien. Il ne faut pas non plus attendre trop tard. Personne n'a moins de goût que moi pour l'indécision. Il n’y a pas moyen d’y échapper toujours.
Que signifie cette joie de Berlin sur l'adhésion de l'Empereur à la politique germanique et à l'union restreinte de la Prusse? J’ai peine à croire qu'entre ces deux Princes, le Prince de Prusse soit le convertisseur et l'Empereur le converti. Adieu, Adieu. Dût-il m'en coûter quelques lignes, je suis bien aise que vous écriviez des volumes à Aberdeen. Il a besoin d'être informé et encouragé. Adieu. G.
Brighton, Samedi 3 février 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Samedi onze heures
J'écris de bonne heure afin que ma lettre vous soit remise ce soir. N'oubliez pas que lundi vous pourriez m'écrire de chez M. Croker, par dessus la lettre de Londres que vous écrirez avant daller à Claremont. Le Parlement a fini comme on pouvait le penser. Cependant je crois lord P. un peu endommagé par ces attaques. Lord Brougham m'écrit pour me dire que son discours a été très mal rendu. Du reste je n'ai rien. Et Behier qui devait arriver dimanche soir ! Voyez comme je suis rancunière. Très vilain caractère. Pour me guérir de cela, ne me dites jamais que les choses vraies, c.a.d. celles que vous croyez sincèrement vous-même Midi. Je suis bien aise des Holland à Paris, si j’y vais cela me conviendra. Croyez-vous qu’il y avait complot lundi dernier ? Adieu. Adieu. Je crois que Lord Allen viendra me voir aujourd’hui. Adieu.
Brompton, Lundi 30 octobre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
Je pars aujourd’hui pour Cambridge à 2 heures. Cela ne me plaît guères. Nous serons plus loin. Je crains le retard des lettres. J’étais en train de travail. Quand vous n’y êtes pas, c'est mon amusement. Je fais de la très bonne politique. Trop bonne. Toujours la même faute. Je puis vous le dire à vous. Je puis être avec vous aussi orgueilleux qu’il me plaît. Vous savez que je suis modeste en même temps qu'orgueilleux.
Point de nouvelles hier. Je suis allé voir Duchâtel qui n’en avait pas plus que moi. Nous verrons le courrier d’aujourd’hui. Il ne nous apportera pas grand chose. Nous vivrons dans le statu quo jusqu'au 10 Décembre. Mais nous comprendrons mieux une situation vraiment obscure pour moi. Duchâtel soutient que notre procès finira aussi tôt après l'élection du président. Par une ordonnance de non lieu. Si Louis Bonaparte est nommé et Thiers son ministre, il est impossible que notre procès ne finisse pas tout de suite malgré le peu d'envie.
Lisez je vous prie, attentivement le Constitutionnel. Cherchez y Thiers envers Louis Bonaparte. Là est la clef de l'avenir. D'un avenir qui dans aucun cas ne sera bien long, j’espère, mais qui pourrait être très court si Louis Bonaparte n’épousait pas Thiers. Vous devriez engager Marion à écrire à Madame de La Redorte et à la questionner un peu. Peu importe que les réponses soient des mensonges. Vous voyez clair dans le mensonge comme dans la vérité.
Les histoires des Gardes nationaux de Paris ne finissent pas. Le Duc de Somerset a demandé à Panton Hôtel, Panton Street, qu’on en priât quatre à dîner chez lui, n'importe lesquels. On lui en a envoyé quatre dont il a fait une exhibition. Entre autres un Capitaine Gonet qui est un beau parleur, et qui s’est fait l’intermédiaire entre tous ses camarades et la légation de la République à Londres. M. de Beaumont est assez embarrassé de la visite de quelques-uns à Claremont. Il a fait un rapport à ce sujet, fort modéré, atténuant au lieu de grossir. Cependant on croit qu’il y aura quelque mesure prise à Paris, qu’on défendra ces visites en uniforme hors des frontières. Il me paraît qu'à tout prendre l’excursion nationale n’a pas beaucoup plu à Paris. Entre les promeneurs eux-mêmes, il y a un peu de mauvaise humeur. Ceux qui ne sont pas allés à Claremont se sont plaints d'être compromis par ceux qui y sont allés. Ceux-ci se sont fâchés. On dit qu'au retour à Calais, il y aura quelques duels. Ici, évidemment, le peuple les a pris en très bonne part. Adieu.
Je vais faire ma toilette. Je vous reviendrai après la poste. Savez-vous ce qu'a fait Guillaume avant-hier dans un metting où les jeunes gens de King's college se réunissent les samedi pour s'exercer à parler ? Il a fait un speech en Anglais pour M. de Metternich qu’un autre attaquait comme l'auteur, par son obstination, des malheurs de l’Autriche. Guillaume a fait l’apologie de la consistency politique. Assez bien pour être fort cheered et pour faire voter à une voix de majorité, que la consistency était une vertu, non pas un tort. Il m’a redit son speech qui n’était pas mal. Il a pour la politique une passion au moins aussi effrénée que celle de mon garde national d’avant Hier. Midi Je suis désolé que ma lettre vous ait manqué, Elle a été mise à la poste avant 5 heures Peut-être est-ce trop tard pour Brighton. Celle-ci sera mise avant l’heure, par Guillaume que j'envoie exprès. C'est votre seul chagrin de Brighton que je regrette beaucoup. Je prends mon parti des autres. J’ai eu tort de ne pas insister davantage pour vous y conduire moi-même. Je n’aime pas que vous ayez peur et froid toute seule. Adieu Adieu.
Je n'ai qu’une longue lettre de Bruxelles, d’Hébert. Adieu. G. Mes amitiés à Marion, je vous prie.
Richmond, Samedi 26 août 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je vous renvoie Broglie et Mme Lenormand. J’en ai régalé Montebello hier soir qui m’a aidé aussi à lire la première lettre. A great treat. Il a bien de l’esprit Broglie, surtout l’esprit réfléchi. Si vous connaissiez Montebello davantage, vous auriez bien bonne opinion de son esprit et de son caractère. Ils m’apparaissent tous les jours sous un aspect plus avantageux. Et très honnête homme. Très dégagé de prévention. Voici un mot de Sabine, amusant. Bonne fille tout-à-fait. Comme je suis curieuse de la discussion à Paris hier !
Midi. Eh bien. Voilà la poste & pas de lettres de vous ! jamais je n’ai été séparée de vous sans qu'il m'arrive un de ces malheurs-là. Et moi je crois tout de suite le pire. Je m’inquiète, je m’agite. Je suis dans un état de folie. Vous partiez avant-hier pour Yarmouth. Vous est-il arrivé un accident en Route ? Mon dieu, je reviens à mes pressentiments de cette vilaine absence, de ce voyage qui au fond n'aboutissait à rien, qui a déjà commencé par un accident et demain dimanche pas de lettre du tout. Comment est-ce que j’atteindrai le lundi ? Vous êtes bien coupable, si vous êtes coupable de ce retard. Vous êtes dans tous les cas coupable de m’avoir quittée. Je ne vous dirai rien, plus rien aujourd’hui. Je suis si triste ! Si triste. Adieu.
2 heures
Ah, je respire ! Voilà votre lettre mislaid at the post office. Savez-vous ce que j’allais faire ? J’allais vous envoyer tout de suite un homme exprès à Lowestoft pour me rapporter de vous un certificat de vie de bonne santé. Je sentais que je ne pourrais pas attendre Lundi. Enfin, enfin, je tiens cette lettre. J’ai écrit à Lord Aberdeen un petit mot sur la publication de sa lettre. Regrettant qu'il fut vanté à vos dépends. Je crois que je ne l'aime plus du tout. Les journaux d’hier de Paris ne m’apprennent rien du tout. Le Constitutionnel est très bien fait. Vous le lirez je crois. Adieu. Adieu. Je vous ai retrouvé. Je suis si contente ! Adieu.
Le National hier contenait un long article qui établissait qu’en matière d’élections, l'influence morale du gouvernement est non seulement permise, mais nécessaire. C’est charmant. Je viens de lire une lettre d’une dame anglaise à Paris, à Miss Gibbons. They say Cavaignac has made many blunders and is too weak to remain. And what every one seems to think certain, is, that Henry V is coming to Paris, and in a fortnight his fate will he decided. he is a weak foolish man and will not be able to govern the French & & & je trouve tout cela singulier.
Je viens de relire votre lettre. Je vous admire pour votre journée de Yarmouth plus que pour tout ce que vous avez pu faire de grand dans votre vie. Grand dîner deux heures trois-quarts d’église, le matin. Une heure trois quarts le soir. Evêque, sermons. Comme j’aurais vite fait un esclandre au bout de 10 minutes. Vous êtes un homme étonnant. Je me prosterne. Adieu. Adieu. Merci de ce que je respire ; demain pas de lettres, mais je sais pourquoi. A lundi donc et pour vous & pour moi. Adieu.
Ketteringham Park, Jeudi 3 août 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
Onze heures
Voilà votre lettre d’hier. Il y a du vrai dans votre premier reproche. Je crains trop les contradictions, les objections, les chagrins, du premier moment, ce qui m'empêche souvent de faire ou de dire ce qu’il faudrait pour éviter ceux du dernier moment. J’y veillerai pour m’en corriger quoique je sois vieux. C’est une faiblesse pleine d'inconvénients. Et quand les inconvénients arrivent, personne ne les sent plus vivement que moi. Juste mais triste punition de la faiblesse. Je n'accepte pas votre second reproche. Je traitais jusqu'ici l'affaire des papiers avec Génie par M. Palmerston. C'est pourquoi je ne lui avais pas écrit directement et spécialement quels étaient ceux que je tenais surtout à avoir ici. M. Palmerston n'ayant pas fait l'affaire, j’ai écrit à G. en lui donnant, à lui-même la résignation que j’avais donnée à M. P. G. avait fait remettre quelques papiers à P.. Mais ce ne sont pas ceux auxquels je tiens. Si vous étiez là, je vous expliquerais en détails. Mais soyez sûre que j’ai mis à cette affaire là tout le soin possible ! Soin difficile de si loin, et avec toutes les réserves qu’il faut garder.
On est bien craintif à Paris. On ne parle qu’à demi-mot. On ne remue qu'en hésitant. Pour tout ce qui se rapporte à certains moments et à certaines personnes. Mais j'en viendrai à bout. Et malgré, ma vive contrariété du retard, je ne puis avoir d'inquiétude réelle, et définitive. Ecrivez-moi, encore ici jusqu’à samedi après demain. Je n'’en partirai probablement que lundi matin. Moyennant que j'abnéguerai le séjour en Ecosse. J’irai seul chez Lord Aberdeen, pendant que mes enfants seront à St Andreas, Melle Chabaud y restera avec eux jusqu’au moment du départ. Viendrez-vous maintenant chez Lord Aberdeen ? Ce serait bien joli, j’emploierai ainsi le temps des bains St. Andrews. Il serait bien long et pas bien amusant de vous dire pourquoi ce nouvel arrangement se rattache à deux jours si plus passés ici. Mais c’est le fait, et le bon fait si vous venez à Haddo.
Voilà le Roi de Sardaigne bien évidemment en retraite. Retraite heureuse pour lui, si elle le force à traiter avec les Autrichiens c’est-à-dire si elle force les Italiens à le laisser traiter avec les Autrichiens au prix de Venise. Je vois ce matin dans le Globe qu’il a demandé à Paris l’armée française et qu’on lui a répondu par le médiation française. Ce serait un peu votre politique. Cependant M. Bastide vient de promettre encore l’intervention, si l'Italie insiste. Et j'ai peur qu'elle insiste. Charles Albert ne me paraît guère, en état de dire non à Mozzini. Les honnêtes gens en France regarderont comme une victoire l’ordre du jour de l'Assemblée nationale sur le discours de M. Proudhon. Et en effet, s'en est une, à quelles victoires sont tombés les honnêtes gens ! Cavaignac et Bastide ont eu toute raison de se refuser à Mauguin. Adieu. Adieu. Je vous quitte pour aller à Norwich voir une belle cathédrale. Je fais comme si j'étais curieux et on m’en sait gré. Le temps est passable. J’ai marché hier deux heures dans la campagne. Connaissez-vous Lord et Lady Woodhurst ? Non pas les personnes mais le nom. Les personnes sont deux jeunes gens de bon air et d'assez d’esprit qui sont venus dîner hier. Adieu. Adieu. Adieu. G.
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23. Val-Richer, Jeudi 6 août 1846, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je croyais vous avoir dit que M. de Béarn était nommé à Hanovre, et que sa nomination serait ces jours-ci dans le Moniteur. Elle y sera après-demain. Oui, le Roi d’Hanovre a raison ! Et moi aussi. J’ai temporisé, traîné, attendu jusqu'à ce que j'aie pu arranger la nomination que j’avais absolument besoin d’arranger, celle de Lavalette, et qui dépendait de l'autre. Cela m'importait plus qu’un peu d'impatience et d'humeur du Roi d’Hanovre ce que je ne pouvais ni ne devais dire. Maintenant tout est au gré de tout le monde. Si je n’avais pas attendu le moment favorable, rien ne serait au gré de personne. Ce qui n'empêche pas que vous n’ayez, vous, parfaitement raison de me remettre sans cesse sous les yeux ce que j’ai à faire. Je le crois bien que vous ne vous gênez pas de me dire ce que vous pensez, discours ou actions. L'expression m'a presque choqué. J’ai droit à tout ce que vous pensez, à ce qui peut me déplaire comme à ce qui peut me plaire. Et vous vous me plaisez toujours ; jamais plus que par la sincérité parfaite si vous saviez à quel point la flatterie m'ennuie ! Je devrais dire m'humilie. C'est le mot propre. J’ai toujours envie de dire aux gens : " Vous ne savez donc pas ce que je suis ? "
Je vous renvoie la lettre de Bacourt. Intéressante. Et je vous envoie aussi la mienne Curieux bruit. Je n’y crois pas. Tâchez de découvrir s’il y a à cela quelque fondement, et renvoyez-moi, je vous prie, la lettre de Bacourt qui ira ailleurs. Voilà qu’on m’annonce trois visites qui m’attendent en bas. De gros bonnets du pays. Je suis, avec eux, dans la lune de miel. Je ne veux pas les faire trop attendre. J’aurai Glücksbierg demain matin et Jarnac demain soir. Je ne me fais pas du tout encore une idée nette de Palmerston sur le mariage Espagnol. Les protestations de W. Hervey ne m’ont pas convaincu. Pour peu qu’il faille résister à la Reine et au Prince Albert, le cœur leur manquera. Nous verrons. On s'attend en Espagne à des conspirations, des insurrections. Palmerston sera aussi faible avec Espartero qu'avec Buckingham Palace. Adieu, dearest. Quel ennui de vous quitter ? Ce serait bien pis si vous étiez là. Il fait très beau aujourd’hui. Hier, orage continuel. Le temps qui vous étouffe me déplaît, quel qu’il soit. Adieu, Adieu dearest beloved. Adieu. G.
20. Val-Richer, Lundi 3 août août 1846, François Guizot à Dorothée de Lieven
C’est fini ici. S’il en était ainsi partout, il n’y aurait certainement pas assez d’opposition. Il en faut plus que cela. Mais je suis tranquille ! D'après ce qui me revient, la lutte est extrêmement vive dans les environs. On s'est presque battu à Bernay et un peu battu à Cherbourg. Aucun résultat n'était encore connu hier à 9 heures, quand j'ai quitté Lisieux. Je me suis levé ce matin de très bonne heure pour dicter encore quelques paroles de remerciement que j’ai dites hier, quand l'élection a été proclamée et qu'on a voulu absolument recueillir. Elles ont bien réussi. Je retourne à Lisieux ce matin à 10 heures, pour entendre, lire et signer le procès verbal du Collège électoral. Puis, j’irai à Trouville, avec ma mère et Henriette, pour y chercher Pauline et la ramener demain au Val Richer que je ne quitterai plus que pour aller vous retrouver, vous mon seul vrai plaisir, mon plus charmant repos. Oui, nous retrouverons ensemble des soirées comme les deux dernières : nous irons les chercher. Leur parfum ne s'est pas encore évanoui.
Je suis un peu fatigué. J’ai eu hier & avant-hier deux déjeuners, et deux dîners assommants. Je n’ai certes pas plus mangé ni bu qu'à mon ordinaire, mais l'estomac se fatigue de ce qu’il voit comme de ce qu’il prend. Et l’assiduité, tant d’heures durant à une conversation si insipide, & qui ne doit pas un moment en avoir l’air ! J'y réussis très bien. Je ne fais pas les choses à demi. J’attends bien impatiemment l’estafette qui m’apportera les premiers résultats. Elle ne sera pas encore arrivée à Lisieux quand j’y passerai tout à l'heure. On me l’enverra à Trouville. Vous aurez tout cela avant moi. Castellane m’écrit de ses montagnes : " Je crois moi, au grand succès dans les élections ; ce qui est très juste, car l'opposition est enviable et ce qui donnera de grands devoirs au parti conservateur. J’irai à la petite session, à moins qu’elle ne soit tout-à-fait une forme. Je m’attends en effet, en cas de grand succès aux exigences du parti conservateur. Il se sentira à son aise et voudra avoir quelques plaisirs de popularité. Nous verrons. Je vous quitte pour écrire au Roi. J’ai à lui envoyer une lettre de Bresson qui ne m'apprend pas grand chose. Plus j’y pense, plus je me persuade qu’à Londres on n’a pas en effet dessein d'entrer en lutte avec nous. Mais je crains leur faiblesse, faiblesse pour la Reine, faiblesse pour Espartero faiblesse pour les préjugés des journaux. Ils ont besoin de tout le monde, et l’âme pas bien haute. Je n’ai pas autre chose à faire que ce que je fais. Adieu. Adieu. En attendant votre lettre.
8 heures. La voici. Charmante. J'y comptais. Quand j’ai lu et relu, je passe aux affaires. Il y en a beaucoup aujourd’hui mais rien d'important. Deux lettres du Roi qui se porte mieux que jamais. " Toutes nos santés sont bonnes, me dit-il, la forte secousse que la Reine et ma sœur ont éprouvée est bien passée. Quant à moi, je suis à merveille, et je fais faire un peu d'exercice au Ministre de la guerre, dans mes promenades dont je jouis beaucoup. ". Et dans la seconde : " Je vais me promener dans mon char à bancs. Hélas ! avec escorte ! " La formation des bureaux, que m’apportent les Débats, est de bon augure. Adieu. Adieu. Je vous écrirai demain de Trouville. Je n'en reviendrai que le soir. Soyez tranquille. Ni assassin, ni rhume. Adieu. G.
13. Val-Richer, Vendredi 24 juillet 1846, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je n'ai point éternué, point pleuré cette nuit. J’ai bien dormi. Je suis beaucoup mieux ce matin. C’est vraiment curieux avec quelle vivacité ce mal-là me vient, avec quelle rapidité il s'en va. Hier, s'il avait fallu aller et parler à mon banquet, j’en aurais été incapable. J'en étais vraiment préoccupé, et attristé. Ce n’est qu'à vous que je dis mes satisfactions orgueilleuses, à vous seule aussi mes faiblesses. J'en ai bien plus qu’il n'en paraît. Les circonstances importantes, les nécessités absolues, prévues, annoncées, de paraître et d’agir, me mettent bien souvent, plusieurs jours à l'avance dans un état de malaise, de frémissement intérieur, de doute et d’inquiétude, que je ne laisse pas du tout percer, que je contiens et comprime fortement en moi, car j’ai beaucoup d'empire, sur moi-même mais qui n'en est pas moins, très réel et très désagréable. Tout le monde est convaincu que la tribune ne m'inquiète et ne me trouble jamais. Tout le monde se trompe. Je suis très souvent et très vivement troublé, pas quand une fois je suis à la tribune et dans l’action, mais auparavant, en pensant au succès nécessaire et toujours incertain.
8 heures Décidément les bains ne vous valent pas mieux que le serein à moi. Cela m'étonne. Nerveuse comme vous l’êtes il me semble que les bains devraient vous être bons, J’espère que votre estomac se remettra bientôt en ordre. Pour les petits soins contre les petits maux, j'ai assez de confiance dans Chermside. Il vous connait bien et me parait sensé. Pourvu qu’il n'abuse pas des blue pills. Je vais attendre tout le jour la lettre de demain. Que de temps dans la vie on passe à attendre ? Palmerston me fait demander, en effet ce que nous pensons des Affaires de Rome, [?] et autres, et ce qu’il doit dire et faire pour être comme il veut, d'accord avec nous. Cela sera facile à Rome où il n’est rien, et nous n'en tirerons pas grand profit. C’est à Madrid qu’il faudrait-se mettre d'accord, et j'en doute tous les jours d'avantage. J’ai fait ma démarche. Nous verrons le résultat. En tout cas elle est bonne, et si elle ne nous met pas d’accord ; elle me mettra, moi, à l'aise. Comme on peut être à l'aise dans une si grosse et si difficile affaire. Un grand point sera au moins obtenu. Il n’y aura, rien avant mes élections. Les nouvelles en sont toujours très bonnes. De plus en plus bonnes, si je m'en rapporte à ce qui m’arrive de tous côtés. Mais j’ai aussi ma méfiance. Le Roi d’Hanôvre a été assez malade pour qu’on ait été sérieusement inquiet pendant trois jours. C’est du moins ce que M. d’Houdetot m'écrit. Il est mieux. Il aura M. de Béarn le 4 août. L’ordonnance sera signée ce jour-là comme ministre définitif.
Les bains de mer réussissent parfaitement à ma fille Pauline. On lui jette sur les reins des seaux d’eau qui j’espère seront bons à sa taille. Le temps est charmant depuis trois jours. Revenu au chaud, trop peut-être à Paris, et pour vous. Pas ici. Adieu, dearest. Plus j'avance, moins l'adieu me suffit. Je pense sans cesse à vous. Je vous suis dans tous les détails, à toutes les heures de votre journée. Il me semble que si j'étais là, tout serait mieux. Adieu. Adieu. G.
18. Londres, Jeudi 14 août 1845, Dorothée de Lieven à François Guizot
Décidément je me suis encore trompée de N° & celui-ci est le 18ème. Votre dîner hors de chez vous, dimanche dernier me dérange. Je crains une indigestion ; & puis un assassinat, ou bien, une voiture versée. Vous savez comme je suis, parfaitement déraisonnable. Je suis tranquille quand je vous ai à Beauséjour, chez moi, ou bien dans votre cabinet que je regarde.
Hier longue promenade & causerie avec Dédel qui a tout plus de good sense & d'esprit & de connaissance de ce qui se passe ici. Beaucoup de monde chez moi le matin car tout ce qui est resté vient. Bulwer je crains me fera faux bon. Il voudrait que je retarde, & moi, je suis décidée à partir après demain. Flahaut part Lundi mais tout le monde va par le rail way. Il n'y a plus que moi dans le monde qui me serve de très mauvais chevaux de poste. Je ne sais vraiment qui partira avec moi, & je ne veut pas partir seule. Lady Cowley m’attend avec impatience et curiosité à Boulogne. J’y serai sans doute dimanche à moins de mauvais temps.
Je vous ramène des yeux assez ressemblants à ceux que j'avais en vous quittant, mais il est bien avéré que ce n’est que de l’ennui, des soins, des précautions, des privations, mais point de véritable danger. Il n’y a que Verity qui sache me traiter. Il sera à Paris au commencement de septembre. Londres est parfaitement dull, plus un seul homme public, et pas une nouvelle. Adieu, adieu, j'ai des yeux très capricieux et j'y ai mal dans ce moment, il faut que je vous quitte. Adieu.
14. Saint-Germain, Mardi 22 août 1843, Dorothée de Lieven à François Guizot
Le 22 août 1843
Je n’ai pas vu une âme hier et je m'en suis très bien passée. Une seule me suffit, c’est drôle quand cela s’applique à la jeune comtesse, qu'on dise après cela que je suis difficile à vivre ! Le temps s’est un peu gâté cependant nous avons fait comme de coutume nos trois ou quatre promenades. Chacun de nous a ses chevaux et sa calèche, et ses jambes et rien à faire. Cela fait aller !
Je vois par les journaux ce matin qu'à Barcelone, cela s'embrouille. encore, et à Saragosse un peu aussi. C’est dommage, car vraiment les gouvernants à Madrid se conduisent très bien. Je suis curieuse des détails que vous devez avoir reçus de Glüsberg. Voici donc ma dernière lettre Dieu merci, je l'envoie toujours à Génie. Peut-être a-t-il encore une occasion de vous la faire parvenir : je dînerai vraisemblablement seule aujourd’hui. La jeune comtesse veut se divertir à sa manière qui n’est pas la mienne. Elle ira dîner à l’auberge avec une société qu’elle a invitée. Le soir il y a le concert Murad [?] dans le jardin. Celui-là j'en jouirai très bien de notre salon jusqu’ici c'est moi qui ai donné la musique car la jeune comtesse m’avait fait la galanterie d'un piano.
1 heure. Je reçois votre lettre au moment où je suis forcée de fermer ceci. Quel plaisir demain. J'ai eu une longue lettre de Bulwer. Il s'embarquait à Boulogne ; il m'écrira de Londres aussitôt après avoir vu Aberdeen. Mon même Constantin m'annonce sa prochaine arrivée à Paris ! J'en suise fort aise. Adieu. Adieu. Voilà mad. Schitchein, il faut que je vous quitte. Adieu mille fois. Vous ne me dites pas l’heure de votre arrivée ! Ni quand vous viendrez me voir. Je serai à Beauséjour entre midi et 1 heure. Adieu.
264. Paris, Mardi 17 septembre 1839, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je me sens un peu mieux aujourd’hui ce qui fait que j’ai le courage de vous écrire. Hier encore a été une bien mauvaise journée. Mes crampes ont recommencé, mes nerfs ont été dans un état affreux. J’ai passé la journée seule. Si je n’avais pas eu quelque heures de sommeil vous n'auriez pas de lettres ; car décidément je ne risquerai plus de vous écrire lorsque mon cœur ressemble à mes nerfs. Vous avez raison dans tout ce que vous me dites ce matin et mon Dieu, mais ce n’est pas la raison qui est mon culte ; je n’aime pas par raison. Il n’y a rien de raisonnable à aimer. Et vous avez mille fois raison de ne pas aimer à ma façon. C'est une mauvaise façon. On m'a mis ce matin dans un bain d’Eau de Cologne. Je laisse faire sans avoir confiance en rien. Cela ne durera pas longtemps. Je ne m'occupe plus de chercher quelqu'un, je ne m'occupe plus de rien de ce qui me regarde. Je vous ai dit souvent que je craignais de la folie, je la crains plus que jamais parce que je la vois venir.
J'ai une mauvaise affaire sur les bras. Malgré les promesses que j'ai faites à Bulwer de la part de madame Appony il a rencontré sa belle-sœur chez elle hier au soir. Il me le mande dans un billet ce matin, et veut pour conseil. Il regarde ceci comme une insulte personnelle. Il a raison et cependant ce n’est sans doute qu'une bêtise de Madame Appony. Mon conseil sera qu’il n’y retourne pas. Moi, j’ai droit d'être blessée aussi car la promesse m’a été donnée à moi.
1 heures
J'ai eu la visite de Génie. C'est un bon petit homme ; ce qui me prouve ma décadence et ma misère est le plaisir que me fait la visite d'un bon petit homme ! Après lui est venu Bulwer ; j’étais encore dans mon bonnet de nuit. Il n’avait pas fermé l'œil depuis hier, il voulait écrire à Lord Palmerston demander son rappel de Paris à cause de l'insulte des Appony, enfin il était dans un état violent. Au milieu de cela je reçois la réponse de Madame Appony à une petit billet d’interrogation un peu vif que je lui avais écrit, et j’éclate de rire. La belle sœur n’y avait pas été. Bulwer a eu une vision ... Il n'en revient pas. Il soutient qu'il la vue. Je l’ai assuré qu’il se trouvait obligé de croire qu’elle n'y était pas, car mensonge ou non, il est bien certain maintenant qu’elle ne s’y retrouvera plus.
Le billet de Madame Appony est long, plus de tendresses pour Bulwer, d’indignation de ce que nous soyons cru capable de manquer à ses promesses. Enfin c’est fort drôle, et c’est fini. Hier Bulwer causait avec Appony lorsqu'il a eu sa vision. Il a laissé court et est sorti brusquement de la maison.
A propos de maison, Démion est revenu. Je prends l’entresol à 12 mille francs. On dresse un inventaire des meubles. Je prendrai ce qui me conviendra.
Rothschild m’a mandé qu'il avait abdiqué ses droits entre les mains de Démion, il n'y peut donc rien. Et bien, j’ai cet entresol ! Cela ne me fait aucun plaisir, rien ne me fait plaisir. J’ai écrit hier à Benkhausen pour demander les lettres of admisnistration d’après ce que me dit mon frère lui ne le ferait pas. Si j’attends l'arrivée de Paul ce sera encore une complication une fois les lettres obtenues, l'affaire est plus courte & plus nette. Je crois que je m’épargne du temps et des embarras, & que je suis en règle. Le pensez-vous aussi ? Pourquoi attendre. Je chargerai Rothschild de lever le capital et de remettre leurs parts à mes fils voilà qui est simple.
L’affaire de Don Carlos est regardée ici comme un grand triomphe. En effet, c'est une bonne affaire. Si on est sage à Madrid cela peut devenir excellent. Palmerston, & Bulwer ont écrit à M. Lotherne pour qu'il presse le gouvernement de ratifier la convention de Maroto. Mais vu dit qu'il y a de mauvaises têtes dans les Cortes. Adieu, je suis mieux ce matin. Je ne sais comment je serai plus tard. Ne vous fâchez jamais avec moi avec toute votre raison, & laissez- moi vous aimer avec toute ma folie. Adieu
263. Paris, Lundi 16 septembre 1839, Dorothée de Lieven à François Guizot
Votre lettre reçue ce matin est la première depuis deux ans où je ne trouve pas le mot, adieu. J’en suis très affligé. Le dernier mot de cette lettre me prouve que j'ai eu tort dans ce que je vous ai écrit avant-hier. Comme je me sens de nouveau très malade aujourd'hui par suite d'une nuit passée tout à fait sans sommeil je crains de vous écrire. Je vous préviens que j’aurai grand soin de ne vous écrire que lorsque je serai assez bien pour ne pas craindre qu'il m'échappe des paroles qui puissent vous déplaire, parce que les répliques me font du mal. Je ne suis pas maîtresse de mon cœur, ni de ma plume, mais je suis bien maîtresse de ne point la prendre. Je ne sais par quoi je finirai, mais tous les jours je me sens plus mal. Je n’ai pas de nouvelles à vous donner. Vous ne m'avez pas dit adieu !
260. Paris, Vendredi 13 septembre 1839, Dorothée de Lieven à François Guizot
9 heures
J’ai vu hier matin Appony, Brignoles, Bulwer. Le premier avait eu un long entretien avec le Roi dont il était parfaitement content. Le dernier allait en avoir avec le Roi hier au soir dont il pensait que ni le Roi, ni lui ne seraient fort contents, attendu qu'il avait "many empleasant things to tell him. " Appony était surpris de la nomination de M. Pontois qu’il ne connait que comme un homme fort gai avec lequel il a toujours ri et jamais parlé d’affaires.
J’ai vu plus tard M. Pogenpohl fort longuement. Il avait ramené M. Jennisson a des idées plus pratiques et nous n’attendrons que M. Démion pour traiter de nouveau sur les bases que vous connaissez. Je n’achèterai que ce qui me conviendra.
Après mon dîner je fus rendre visite à le P. Soltykoff, que avait passé chez moi la veille, c'est une bonne personne que je connais un peu, une grande dame chez nous, qui fait un coup de tête à ma façon en venant à Paris qui veut y passer tout l'hiver, et qui peut m'être de quelque ressource dans ce moment où j'en ai si peu ici. Voilà donc ma journée. La nuit a été pire que les précédentes, je voudrais avoir répondu à mon frère, tant que cela me restera sur l'esprit je ne dormirai pas. J’attends ce que vous m’en direz demain. Je vois parce que vous m'en dites aujourd’hui que vous l'avez ressenti comme moi. Je pense comme vous sur l'échange des Capitaux. J'ai bien clairement dit que je ne voulais pas d'échange, mais vous remarquerez bien que mon frère allait conclure et que s'il l’a fait, il n’y aura plus moyen de revenir la dessus. Or il n’y a pas de doute que cette augmentation de rente dont il parle ne peut venir que delà car on n’a pas fait la découverte d'une nouvelle. Terra incognita.
J’ai eu une lettre du Roi de Hanovre fort tendre pour moi ; car il est inquiet de ma santé et de mes affaires. Il est ravi de la tournure qu'ont pris les sciences.
Une autre lettre de Lady Granville, qui s'annonce pour le 10 octobre. Elle n’a pas réussi dans la commission que je lui avais donnée pour une demoiselle anglaise de ma connaissance. Je vous ai tout dit maintenant tous les incidents des 24 heures.
Mais je ne vous ai pas dit mon ennui, ma tristesse. Cela sera le fond éternel du tableau jusqu’à votre retour. C'est bien dans le mois de Novembre n’est-ce pas ? J’ai presque achevé le premier des gros volumes, cela m'intéresse infiniment. Dans le temps où M. de Broglie parlait si bien ; nous croyions nous qu'il parlait très mal. Savez-vous ce qu’il faudrait auprès d’un cabinet ? C'est un confident, chef confident de tout le monde, une espèce de mon espèce. Comme on serait mieux éclairé ! Comme on éviterait des bêtises, des soupçons qui ont fait et feront encore bien du mal dans le monde. Adieu. Adieu, les joies de votre intérieur me donnent du plaisir pour vous. Quels souvenirs pour moi. Je frissonne de la tête aux pieds. Adieu. Adieu.
Projet de lettre à mon frère.
J'ai reçu hier votre lettre des 15/27 août mon cher frère. J'espérais qu'elle m’annoncerait la conclusion de mes affaires, mais vous me dite qu’elle est retardée de quelques jours encore à cause d'une proposction que vous venez de faire à mes fils qui augmenterait de 2 milles roubles argent la rente qu'ils auront à me payer. J'espère bien que cela ne proviendrait d’aucun échange de capital car vous savez que je ne le veux pas. Je vous ai écrit sur ce sujet et c’est même par votre conseil que j’ai refusé le 2ème projet qui impliquait la conversion des 15830 roubles argent de l'année de veuve en rente à 7% qu'avait proposé Paul. Je ne veux rien de ce qui peut augmenter ma dépendance. Je ne veux rien aussi de la part de mes fils qui ne me reviennent strictement par la loi. Une mère ne reçoit pas de ses enfants. Elle leur donne, et c'est pour pouvoir donner un jour comme je l’entends, que je réclame ma part de tout l’argent de la succession de mon mari, ou de tout ce que la loi m’accorde. Si c’est là être inoculé de l’amour de l’argent, je suis inoculée de cette façon là.
Dites-moi si c’est bien, je suis pressée car il faut que j'écrive.
240. Baden, Dimanche 11 août 1839, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je commence toujours ma matinée par un long tête à tête avec le Prince Guillaume. C’est des confidences de part et d’autre. Il me laisse toujours l’impression d'un homme qui a l’esprit très bien placé ; qui naturellement n'en a pas plus qu’il n’est convenable d'en avoir mais chez lequel la réflexion supplée à l'abondance ; qui ne ferait jamais de fautes, et qui aurait toujours le courage de continuer ce qu’il aurait une fois commencé. Je vous dis tout cela parce qu’il est destiné à devenir roi un jour. M. de Figuelmont ambassadeur d'Autriche à Pétersboug est arrivé très inopinément à Vienne. Dans ce moment c’est singulier. Et on en a été étonné, car quoiqu’il eut depuis quelques temps la permission de s’absenter de son poste l’idée n'était pas venu à M. de Metternich qu'il peut en profiter dans un moment si grave a envoyé quelqu’un à Constantinople pour seconder ou gouverner l’internonce dont on est très mécontent.
Vous avez mille fois raison, il me faut quelqu’un dans mon intérieur qui me donne des soins qui me débarrasse du détail de ma maison ; j’y ai beaucoup pensé,et savez-vous sur qui j’ai jeté les yeux ! Melle Henriette, qui était auprès de Pauline Périgord. C'est une excellente personne, et par mille considérations tout juste ce qu'il me faudrait. Je viens de lui faire proposer de venir vivre auprès de moi. Je la défraierai de tout. Je lui donnerai 1500 francs par an. Mad. deTalleyrand lui a écrit, mais je ne sais si elle mettra beaucoup de cœur à cette affaire Melle Henriette sait beaucoup ! Je viens donc de lui écrire moi-même je voudrais bien qu’elle acceptât. Quel confort ce serait pour moi ! Mais encore une fois malgré ce que Mad. de Talleyrand m'a promis, elle serait fort capable de tout faire pour l'en détourner.
2 heures. Dites-moi ce que vous pensez de cet Orient. A mes yeux la conduite du Cabinet de l’Occident est parfaitement embrouillée. Que voulez-vous ? Que veut l'Angleterre avec laquelle de ces deux cours M. de Metternich s'arrange-t-il ? Il est clair que nous ne nous arrangerons d'avance avec personne. Mais enfin qu’est-ce que tout ceci et qu’est-ce qui peut m'advenir ? Qu’est-ce que cet avis de mon fils, que mon séjour pourrait être dérangé pour l’hiver prochain ? Ah, cela par exemple, je ne vous le pardonnerais pas. Parlez-moi donc de tout cela. Tout ce qu'il y a de diplomates ici vient toujours me faire visite. Je suis un vieux diplomate aussi. En vérité je me trouve bien de l’exprimer pour toutes les choses qui ne me regardent pas, car pour celles qui me touchent je suis bien primitive n'est-ce pas ?
5 heures Je viens encore à vous pour vous remercier de votre 239. Je ne sais pas ce que je ferai. Probable ment quelque jours de Bade encore, et puis je crois Paris, mais tout cela dépendra de Lady Cowper, tout le monde me dit qu’elle arrive, il faudra bien qu'elle me le dise elle même, et puis nous nous arrangerons. Adieu. Adieu, Ah que l’automne sera long ! Vous ne me dites rien des affaires à propos Rotschild vient de m'écrire. Le premier est loué à un américain, & Jenisson ne pense pas encore à partir. Ainsi point de rue St Florentin. Demandez un peu ce que devient l’hôtel Crillon.
237. Val-Richer, Mercredi 7 août 1839, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je ne sais comment s’est passée ma journée d’hier. Je ne vous ai rien dit. Je me lève de bonne heure pour combler cette lacune. J'en reviens toujours à Titus et Bérénice. Il faut que ce soit bien beau pour qu’on y retrouve sans cesse son propre cœur. Les belles choses écrites s'usent-elles rapidement pour vous, comme les choses de la vie courante ! Prenez-vous plaisir à relire ce que vous avez admiré ? Pour moi, je suis fidèle et inépuisable dans l'admiration. J'y rentre avec délices, et je découvre toujours de nouvelles beautés, des perspectives inconnues. Je relis à l'infini. Le nouveau ne manque jamais dans l'infini. Voilà une phrase bien allemande. Elle est pourtant vraie. Et mon pourtant est bien insolent, n’est-ce pas, bien français ?
Vous a-t-on jamais dit le mot de l'Empereur Napoléon à M. de Caulaincourt qui lui parlait des désastres de la retraite de Russie. " On a fort exagéré les pertes, lui dit l'Empereur ; voyons donc, que je me rappelle. Cinquante mille, cent mille, deux cent mille... Oh mais il y avait là bien des Allemands. "
Dieu me pardonne d'envoyer une pareille anecdote au delà du Rhin ! J’ai tort. Je dois beaucoup à l'Allemagne. D'abord, je lui dois vous, qui n'en êtes guère, d’esprit du moins. Je lui dois une partie du mien. De 20 à 25 ans j'ai beaucoup étudié la littérature allemande et beaucoup appris de cette étude ; appris non seulement, matériellement mais moralement. Il m'est venu de là beaucoup d’idées, des jours nouveaux sur toutes choses, une certaine façon de les considérer qu’on ne trouve point ailleurs, notamment en France. Au fait, c’est une sottise de laisser pénétrer dans son jugement sur un grand peuple le moindre sentiment de dédain, je dirai plus d'orgueil national. Ils ont tous, par cela seul qu’ils ont beaucoup fait et joué un grand rôle en ce monde, de quoi mériter l’attention l'estime, le respect des plus grands esprits. Et il y a toujours dans un tel dédain, infiniment plus d'ignorance & d'irréflexion que de supériorité.
Convenez que Méhémet est un homme supérieur. Je suis charmé de ses notes à nos consuls de la forme comme du fond. Il y a beaucoup de grandeur et de mesure. Belle alliance. Nous verrons comment il dénouera sa situation à Constantinople. Il a bien commencé. Il tient la flotte et parle tout haut à son parti dans tout l'Empire turc. Je me rappelle qu’en 1833 il nous revenait fort d'Orient qu’il avait un grand parti à Constantinople, et que, s’il voulait il y exciterait une sédition très dangereuse pour Mahmoud. Il ne voulut pas. Ménagera-t-il autant Khosrer Pacha ? Avez-vous lu dans le journal des Débats la relation du couronnement du Sultan ? C'est assez intéressant. Elle est d’un M. Herbat, un jeune homme que j’avais près de mois au Ministère de l’Instruction publique et qui m’était si attaché que sous le 14 avril, M. Molé enjoignit à M. de Salvandy de le destituer. Il est parti pour l'Orient avec M. Jaubert à qui je l’ai recommandé. Et pendant qu’il voyait passer Abdul. Medgid dans les rues de Constantinople je lui ai fait rendre à Paris la place qu'on lui avait ôtée. Il la trouvera à son retour. Ce sera quelque jour mon Génie second, ou mon second Génie, comme vous voudrez.
9 heures et demie
Je ne sais pas quelles nouvelles on a d'Orient : mais on en a ! Je ne sais pas, ce que les Ministres ont demandé au Roi ; mais ils lui ont demandé quelque chose que le Roi a refusé Trois consuls ont été tenus dans la journée d’hier. Les ministres ont offert leur démission. Alors le Roi a consenti. Il n’a probablement été demandé et consenti, rien de bien grave. Mais enfin je vous donne ce que je sais. Adieu Adieu. L'heure me presse. G.
216. Paris, Samedi 13 juillet 1839, François Guizot à Dorothée de Lieven
J'attends. Je devrais ne rien dire de plus, car d’ici à 10 heures je suis tout là. La Cour des Pairs a rendu hier au soir son arrêt, au milieu d’un calme profond. La délibération intérieure a été solennelle. Les plus difficiles sont contents de sa gravité, de sa liberté, de sa probité. La majorité sur le point capital, Barbès a été grande 133 contre 22. Le parti de l'indulgence a été soutenu par des hommes de tous les partis et surtout par ce motif qu’il fallait craindre d'exciter le fanatisme jusqu'à la rage, et de concentrer cette rage sur une seule tête. M. Cousin a soutenu cela avec beaucoup de talent. M. Molé a bien parlé, brièvement, mais nettement, pour la condamnation à mort. Je n’ai encore vu personne ce matin ; mais rien ne m'indique qu’il y ait eu le moindre bruit cette nuit. On en attendait un peu autour de la prison. En fait de forces et de précautions, il y a du luxe. On a raison. Le Duc de Broglie repart ce matin pour la Suisse. Nous nous sommes dit adieu hier au soir. Pendant son séjour, quelques uns des ministres l’ont pressé d'entrer avec eux aux Affaires étrangères. Je l’en ai pressé moi-même, me mettant, s’il entrait, à sa disposition pour le dehors. Il a positivement refusé.
10 heures
J'attends encore. Montrond sort de chez moi, guéri de son érésipèle. Il part dans deux jours pour Bourhame. Delà à Bade. Je regrette bien qu’il m’y soit pas allé plustôt. Quoique vous l'eussiez probable. ment bientôt aisé. Il est bon à retrouver souvent, mais non pas à garder longtemps. Le Maréchal se trouve fort bien aux Affaires Etrangères, et n'a aucun dessein de les céder à personne. L'Orient va très bien, grâce à lui. Tout s’y arrange, et s’y arrangera encore mieux si le Sultan meurt. Un jeune Prince, un Divan nouveau se hâteront de faire la paix avec le Pacha. La paix donc, le Sultan vivant. Encore plus la paix, le Sultan mort. D'ailleurs, il y aura une conférence, à Vienne, et vous y viendrez. M. de Metternich vous promet. ainsi sera réglée la plus grosse affaire de l’Europe. Rien n’est tel que les petits Ministères pour les grosses affaires.
Voilà le N°212. Les dernières lignes valent Je vois que le bruit d’une conférence à Vienne est Baden, comme à Paris. M. Villemain a défendu hier son budget spirituellement mais trop plaisamment. Notre Chambre n’aime pas qu'on plaisante. Il lui semble qu'on ne la prend pas au sérieux. Elle n'aime pas non plus les compliments et M. Villemain en est prodigue. C'est l’usage à l'académie. Entre gens d’esprit de profession, on se croit obligé de ne pas passer sans une révérence devant l’esprit, les uns des autres comme les prêtres catholiques ne passent pas sans un salut, devant l'autel. Notre Chambre ne se pique pas d’esprit, et n'en juge que plus sévèrement ceux qui en ont. Adieu. J’y vais à cette Chambre qui ne se pique pas d’esprit. Je verrai aujourd'hui quand nous finirons. Adieu Adieu. Encore une fois des détails.
G.
J’irai voir Pozzo aujourd'hui ou demain à votre intention.
215. Paris, Vendredi 12 juillet 1839, François Guizot à Dorothée de Lieven
Se peut-il que ce N° 211 me soit un soulagement ? Pour Dieu, faites partir vos lettres tous les jours, longues ou courtes gaies au tristes. Il me faut une lettre ; il me faut quelques lignes ; il me faut vous, vous ! Vous ne savez pas avec qu’elle horrible rapidité l'inquiétude m’envahit, me poursuit. C’est la chemise de Nessus. Je vous en conjure ; ne soyez pas malade et dites-le moi. J'ai grande pitié de vous. Ayez aussi pitié de moi. J’ai beaucoup souffert, en ma vie ; beaucoup plus que je ne l'ai laissé voir à personne. Pourquoi ne mangez-vous pas ? Est-ce pour dégoût ? Ou bien ce que vous mangez vous pèse-t-il sur l'estomac ? Digérez-vous mal ? Si ce n’est que dégoût, surmontez-le un peu ! Pour moi, pour moi. Que je voudrais être là pour veiller à tout, pour tous savoir au moins. Et votre sommeil vous ne m'en parlez pas. Parlez-moi de tout, fût-ce toujours la même chose. Il n’y a en moi, toujours, qu’une même pensée. Je voudrais vous envoyer l'image complète de mes journées de ce qui les remplit en dedans. Vous verriez. Je devrais peut-être ne pas vous dire tout cela, ne pas ajouter mon inquiétude à votre fatigue. Si vous étiez près de moi, je me tairais mieux. Ne renoncez pas à marcher cela vous est bon. J'ai vu par vos lettres que vous dormiez quelquefois dans le jour. Ne vous en défendez pas.
Je veux parler d'autre chose. Nous sommes assez préoccupés ; agités dirait trop. La Cour rendra son arrêt aujourd’hui. Si Barbès est condamné à mort, le parti fera quelque démonstration, sans espoir, sans dessein sérieux même, par honneur, pour ne pas paraître frappé et mort du même coup. Peut-être quelque tentative sur la prison ; peut-être quelque coup de pistolet sur quelque voiture de Pair.
Paris est fort tranquille. Vous y seriez fort tranquille Je regarde votre lettre. Une chose m’en plait. Votre écriture est bonne et ferme.
J'ai vu Pozzo. Affreusement maigri, rétréci rapetissé, les yeux enfoncés dans un cercle de charbon, la parole chancelante, les épaules voûtées, les jambes ployées, les habits trop larges, l’esprit aussi chancelant que la parole. Nous causions seuls dans le premier petit salon de Mad. de Boigne, Edouard de Lagrange est entré. Il l’a pris pour le Marquis de Dalmatie, lui a parlé du Maréchal ; puis M. de Lagrange passé, il m'a dit tout bas : " C’est bien le marquis de Dalmatie, n’est-ce pas ? " en homme qui doute de lui-même. Pourtant, il m’a parlé longtemps de ses dernières affaires à Londres de ses conversations avec Lord Melbourne et Lord Palmerston de tout ce qu'il leur avait dit sur la nécessité de maintenir la paix sur leurs intérêts et les vôtres dans la paix ; tout cela très nettement, très spirituellement, comme par le passé avec verve dans l'imagination, en même temps qu'avec faiblesse et trouble dans le langage. Puis en finissant : " C'est ma campagne de vétéran. Un autre hiver à Londres me tuerait." Il ne s’est pas pris de goût pour l'Angleterre, en y vivant, Madame de Boigne va mieux, beaucoup mieux. Elle est retournée hier à Châtenay. J’irai y dîner demain.
Connaissez-vous un M. de Lücksbourg, bavarois, qui remplacera probablement ici M. de Jennisson ? Il est venu me voir avant hier. Je l’ai trouvé bien. Si M. de Jennisson s'en va, peut-être son appartement se trouvera-t-il vacant. C’est un peu cher, mais bien gai. A présent tout à côté de la maison est arrangé. Vous n'auriez pas de bruit. Adieu. Je vais à la Chambre. On commence de bonne heure. Pourquoi n’êtes-vous pas à la Terrasse ? Adieu. Adieu. J’aurai de vos nouvelles demain n’est-ce pas ? Ah que la vie est mal arrangée ! Adieu. G.
214. Paris, Mercredi 10 juillet 1839, François Guizot à Dorothée de Lieven
Votre santé d'abord. Vous me mettez au supplice en me demandant de la gouverner. Je connais ce mal-là. Je frissonne encore en y pensant. Au bord du précipice dans les ténèbres, pousser ou retenir, on ne sait lequel, ce qu'on aime le mieux au monde ! Si vous étiez là, si j’avais là vos médecins, si je ne vous quittais pas un instant, si je voyais, si j’entendais tout mon anxiété serait affreuse. Et de loin, quand je ne sais rien, rien, quand vous me dîtes hier que vous dormez, aujourd'hui que vous ne dormez pas, tantôt que vous faites de longues promenades, tantôt que vous ne pouvez plus marcher. C'est impossible. Je vois bien que Baden ne vous fait pas le bien que vous en espériez. Ne vous en fait-il aucun ? Vous y êtes bien seule. Ou irez-vous ? à Paris quand je vais le quitter. Aux bains de mer ? Où ? En France, vous y serez plus seule que partout ailleurs. En Angleterre ? Dans cette terre de Lady Cowper dont j'ai oublié le nom, près de Douvres, Broadstairs, n'est-ce pas? Je l’aimerais mieux. Si cela se peut je l'approuverais. Cela se peut-il ? Si le cabinet reste, comme tout l’indique Lady Cowper ne viendra pas sur le continent. Tout à l'heure, je crois, elle vous a de nouveau pressée d’aller la voir.
Jusqu'au moment qui nous réunira à Paris, je ne vois que l'Angleterre qui vous convienne un peu, un peu. Et j'y crains pour vous le manque de repos, les obligations gênantes, le climat triste, les souvenirs. Je ne m’arrêterais pas si je disais tout ce qui me vient à l’esprit sur un tel intérêt, dans un tel doute. Ecoutez ; il y a des choses qu'on peut faire, des résolutions qu'on peut prendre quand la nécessité est là, la nécessitée actuelle pratique, quand l'action suivra immédiatement la résolution, quand on est là soi-même pour agir comme pour parler. Mais décider sans agir, par voie de conseil, envoyer par la poste une décision pareille. Cela ne se peut pas vous ne me le demandez pas. Madame de Talleyrand m’avait promis de me donner de vos nouvelles. Pourquoi ne le fait-elle pas ?
Jeudi 7 heures
Après votre santé, vos reproches. Je les accepte et je les repousse. Moi aussi, j’ai été gâté. Je n’ai pas prodigué mon affection ; et j'ai vu, jai toujours vu celle que j’aimais heureuse, très heureuse. Je l'ai vue heureuse à travers les épreuves, sous le poids des peines de la vie. J’ai toujours eu le pouvoir de la soulever au dessus des vagues, de rappeler le soleil devant ses yeux, le sourire sur ses lèvres, de placer pour elle, au fond de toutes choses ce bien suprême qui dissipe ou rend supportables tous les maux. De quel droit me plaindrais-je que, sur vous, le pouvoir me manque souvent ? Qu’est-ce que je fais, qu'est-ce que je puis pour vous ? Une heure, où une lettre tous les jours. C'est pitoyable. Parce que je suis avec vous ambitieux, exigeant, ne me croyez pas injuste où aveugle. Vos douleurs passées, vos ennemis présents, ce qui vous a brisée, et ce qui vous pèse, je sens tout cela ; je le sens comme, vous-même, oui comme vous- même ; et je sais le peu, le très peu de baume que je verse dans ces plaies qui auraient besoin que la main la plus tendre fût toujours là, toujours. Je sais de quoi se fait le bonheur ; je sais ce qu’il y faut, et à tout instant. Vous ne l’avez pas même par moi. Ma tendresse s’en désole ; mon orgueil s'en révolte ; mais je ne m’abuse point et ne vous reproche rien. Pourtant ne me demandez pas de changer. Je ne changerai pas. Je ne me contenterai pas pour vous, à meilleur marché que je n'ai toujours fait. Je ne prendrai pas mon parti qu’il y ait entre nous tant d'insuffisance et d’imperfection. Ce temps que je ne vous donne pas, il est plein de vous. Ce bien que je ne vous fais pas, je m’en sens le pouvoir. Ce qui manque à votre bonheur ne manque pas à ma tendresse. Ce contraste est poignant. N'importe. Je garderai avec vous mon ambition infinie, insatiable, souvent mécontente ; et je vous la montrerai, comme vous me montrez ce mal que je ne puis guérir. Voilà la vanité. Déplorons la ensemble. Pour tous deux cela vaut mieux que de s'y résigner.
Je viens à vos affaires. Ceci est plus aisé et sur ceci, j’ai un parti pris. J’ignore si votre fils fera ce qu’il doit. Mais, s’il le fait, je suis d’avis que vous mettiez de coté tout fâcheux souvenir, & que vous acceptiez de bonne grâce ce qu’il fera pour vous au delà de votre droit. Vous n’avez point cédé à sa fantaisie, à sa colère. Votre dignité est à couvert. Vous pouvez, vous devez vous montrer facile avec lui, quant à la réparation. Et s'il agit convenablement, s’il met votre droit de côté pour faire son devoir, il y a réparation de sa part. Le fait suffit pour que vous présumiez l’intention. Saisissez la et reprenez votre fils dès qu’il reprendra lui la physionomie filiale. Je n'hésite pas dans mon conseil et je souhaite beaucoup que cela finisse ainsi. Onze heures Voilà mes lettres. Point de vous. Pour le coup, ceci m'inquiète. Je ne vois point d'explication. Peut-être quelque orage. Mais la poste est arrivée. Il faut attendre à demain. Adieu. Un tendre et triste Adieu. G.
206. Paris, Mercredi 3 juillet 1839, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’ai parlé hier. Vous lirez cela. Je regrette bien que nous ne puissions en causer à l'aise. Je suis sûr que j’ai bien parlé. J’ai réussi beaucoup auprès des connaisseurs, convenablement auprès des autres. La portée de ce que j'ai dit n'a pas été vue de tous. De M. Dupin, par exemple qui n’y a rien compris. Quelques uns ont trouvé que je parlais trop bien de votre Empereur, & se sont étonnés qu’en parlant si bien, je n'en parlais pas encore beaucoup mieux. Je crois avoir quant aux choses mêmes, touché au fond, et quant à moi pris la position qui me convient. Vous savez que je suis optimiste, pour moi comme pour les choses. A tout prendre, je ne pense pas que mon optimisme m'ait souvent trompé. Et puis si vous étiez là, je vous dirais bien qu'elle en est la vraie source. Mais vous êtes trop loin. En tout, c’est un grand débat. Et n'oubliez pas ce que je vous disais hier. Pour la première fois, la question est entrée très avant dans la pensée publique. Elle y restera. Elle s’y enfoncera. A mesure que les événements se développeront. S’ils se développent, le Gouvernement peut venir demander aux Chambres ce qu’il voudra, elles le lui donneront. Et si les événements se développent sans lui, il aura grand peine à rester en arrière. Du reste, je crois au bon sens de tout le monde, en ceci. Je ne vous dis rien des nouvelles. Les dépêches télégraphiques sont publiées textuellement. M. Urquart, sur qui je vous avais demandé si vous pouviez me donner quelques renseignements est à Paris, et m’a fait demander à me voir ce matin. Tout brouillé qu’il est avec Lord Palmerston, il me paraît un des hommes les plus curieux à entendre sur l'Orient. Si je vous répétais ce que tout le monde dit, je vous dirais que la session est finie, que ceci est le dernier débat que la Chambre est extenuée et n'écoutera plus rien. J’en doute. La Chambre écoute quand on parle. Ce sont des esprits très médiocres, très ignorants, très subalternes, mais au fond plus embarrassés que fatigués, et qui n'hésiteraient pas tant s’ils y voyaient un peu plus clair.
10 heures
J’ai été interrompu par des visites. Elles prennent beaucoup de place dans ma journée. Je ne me lève guère avant 8 heures et depuis que je suis levé jusqu'au moment où je pars pour la Chambre, j'ai du monde. Je ne ferme point ma porte. Je suis seul ici ; je n’y suis pas venu pour travailler. Je travaillerai au Val-Richer. Ici j'écoute et je cause. Bien dans une vue d’utilité car pour du plaisir je n’y prétends pas. Je suis très difficile, en fait de plaisir. J'en puis supporter l'absence, mais non la médiocrité. Je déjeune à 1 heures. Je vais à la Chambre à l'heure. Quelques fois, je sors une demi-heure plutôt pour passer au ministère de l’Intérieur. Je passe à la Chambre toute, ma matinée. Je lis les journaux. Je cause encore. J’écoute un peu. Je rentre au sortir de la séance. Je m'habille. Je vais dîner bien rarement au café de Paris, trois fois seulement depuis que je suis ici ; hier chez Mad. de Gasparin, aujourd’hui chez Mad. Eymard avec le Duc de Broglie. Jeudi chez M. le Ministre de l’instruction publique, Vendredi, chez M. Devaines etc. Je rentre de très bonne heure. Je lis. Je me couche et je dors ou je rêve, quelquefois bien mal, comme vous savez, souvent mieux. Quand je dis que je dors, je me vante un peu. Depuis quelque temps je dors moins bien. Je rallume mes bougies. Je lis ou je pense. Je n’ai pas deux pensées.
11 heures
Voilà votre Numéro 205. Je viens de faire ce que vous me demandez. Je vous ai raconté mes journées. Elles se ressemblent beaucoup. Les vôtres me chagrinent. Vous savez que je déteste les sentiments combattus. Vous m’y condamnez. J’aime le vide que je fais dans votre vie, et celui que vous souffrez ne désole. Je vous pardonne tous vos reproches. Adieu. J’ai ma toilette à faire, et à déjeuner. Je veux être à la Chambre de bonne heure, M. Douffroy résumera la discussion. Ce ne sera pas brillant, mais sensé et bien dit. Adieu. Adieu. Tout est insuffisant, tout ; et c’est le mal de notre relation qu'elle est vouée à l’insuffisance. Je supporte ce mal avec une peine extrême, et je le retrouve à chaque instant pourtant. Adieu
198. Paris, Mardi 18 juin 1839, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je suis désolé de votre inquiétude. Ma lettre était partie très exactement. Me voilà ici pour un mois. Le retard sera impossible, s'il y a un mal impossible. Vous étiez un peu mieux samedi. Je voudrais suivre toutes les variations de votre santé, de votre disposition morale. Ce n'est pourtant pas un très bon régime. On s'accoutume au mal en le voyant revenir sans cesse, et on n'y croit plus assez quand on l’a vu s’en aller souvent. Je ne veux pas être rassuré à tort. Dites-moi tout, toujours tout. Je ne veux pas ignorer la moindre de vos souffrances et de vos peines.
Paris est grand et vide comme le désert. Je ne me fais pas à y être venu pour ne pas vous y chercher. Cette nuit, pendant toute la route le roulement de la voiture n’avait pas de sens pour moi. Je m'étonne quelquefois que vous me soyez tant. Dans une vie déjà longue et si pleine, après avoir tant possédé et tant perdu, je devrais être plus las et plus détaché. Je ne le suis pas du tout quant à vous. J’ai, quant à vous, cette ambition vive, indomptable et pleine d'espoir de la jeunesse. Je ne renonce à rien, je ne me résigne à rien. Je veux tout et que tout soit parfait. Je ne sais quelles années Dieu me réserve, ni quelles épreuves encore dans ces années. Mais il y a en moi un côté, un point que la vie la plus longue n'usera pas, et qui descendra jeune dans le tombeau.
8 h. 1/2
Je rentre. Je viens de traverser la place Louis XV par le plus magnifique spectacle. Sur ma tête, le ciel noir, parfaitement noir, le déluge près de tomber, et ce voile noir jeté tout autour de la place, entr'autres sur les deux colonnades. Au bout des Champs-Elysées, derrière les Champs-Elysées, le soleil couchant dans un cercle de feu, sur un bûcher embrasé, comme pour braver au moment de s'étendre, la nuit et l'orage. Et la moitié supérieure de l'obélisque brillante, rouge des derniers rayons du soleil, un jet de flammes suspendu au milieu des ténèbres, et les hiéroglyphes visibles et inintelligibles, comme des caractères cabalistiques. Effet étrange et grand qui ne se reproduira peut-être jamais. Je regrette que nous ne l’ayions pas vu ensemble. Je vous ai désirée au moment où il a frappé mes yeux. J’ai passé ma matinée à la Chambre, le seul lieu de Paris où il n’y ait point d'orage. Tout le monde repart de la session comme finie. Ministres et députés ont l’air de s'entendre pour ne rien faire et ne rien dire. Le Cabinet a perdu ce qu'il n’avait pas. Le Maréchal a été la risée de la Chambre des Pairs à propos des fonds secrets. M. Villemain y a été battu avec gloire à propos de la légion d’honneur. Le Ministre de la guerre ne se bat nulle part. M. Duchâtel est ce qu’il était. M. Dufaure ne devient rien, M. Passy paraît le plus sérieux ; c’est lui qui cause de l’Europe dans les couloirs. Tout va cependant, et tout ira cla se, comme le monde. Convenez qu'il est plaisant d'entendre un Russe dire dédaigneusement que " tout cela finira par un bon petit despotisme, le seul gouvernement possible avec les Français. " Du fait, ce ne sont là que les petits moments d'une grande histoire. Et il y a beaucoup de petit dans le plus grand. Le petit s’en va & le grand seul demeure. Nous ne supporterions pas la lecture du passé s’il nous était arrivé chargé de tout son bagage. L'Assemblée constituante, l'Empire, la Charte, la Révolution de 1830, c’est un manteau assez large pour couvrir bien des misères.
On me dit que M. Molé s’est beaucoup remué contre le Cabinet dans l'affaire de la Légion d’honneur tandis que M. de Montalivet se faisait très ministériel. Aussi ils se renient l’un l’autre. M. Molé part pour Plombières dans les premiers jours de Juillet. La fantaisie lui reprend d'entrer à l'Académie française. Ce qu’il y a de singulier, c’est qu'elle lui reprend sans qu’il y ait en ce moment aucune vacance. On m'en fait parler par avance. Est-ce bien de l'Académie française qu’on veut me parler ?
Mercredi 1 heure
J’ai eu du monde depuis que je suis levé. Je vais à la Chambre. C’est aujourd'hui mon mauvais jour. Je n’ai pas de lettre. Adieu. Adieu. Je viens de revoir la mine de M. Saint. Rendez-la moi. Adieu. G.
196. Val-Richer, Vendredi 14 juin 1839, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je commence par où j’ai fini hier, mon indignation. Elle est inépuisable. Que deviendriez-vous si vous n'aviez rien à vous ? On n'en aurait été que plus pressé de vous traiter de la sorte pour vous dompter, pour se venger que sais-je ? Ceci me fait éprouver un des sentiments les plus pénibles que je connaisse. Je porte un respect général et profond à ces relations naturelles, indestructibles, indépendantes de notre choix, par lesquelles, sans concours, sans mérite de notre part, dieu nous donne des amis, des appuis, du bonheur et de la sécurité ; et pour toute la vie. Même avec des gens que je n’aime pas, que je ne connais pas, il m'est souverainement désagréable de laisser tomber un mot de reproche ou de blâmer sur un fils devant sa mère, sur un frère devant sa sœur. J'en éprouve une sorte d’embarras et de tristesse comme si j'allais contre une intention divine, si je touchais à une œuvre sacrée. Et pourtant ici, il n'y a pas moyen. Je ne puis me taire ; je ne dirai jamais tout ce que je pense. Alexandre ne vous avait donc pas dit un mot de cette mesure. Vous en avez sans doute informé sur le champ votre frère. Je n'ai d'espoir qu'en lui pour pousser un peu vite vos affaires et prendre un peu soin de vos intérêts. Car voilà une raison, une nécessité de plus d’aller vite. On ne peut vous laisser longtemps dans ce dénuement. Qu’on finisse, qu’on finisse, et que vous puissiez ne plus penser qu'au lait d’ânesse et aux bains de son. Votre médecin de Baden est plein de bon sens ; il sait ce qu’il vous faut. Pour dieu, qu’on le laisse faire.
Je trouve votre réponse au Grand Duc excellente. Pour tout dire, je ne lis pas sans quelque mouvement d’impatience ces belles paroles, ces tendres épanchements de votre âme jetés à un pauvre jeune homme qui ne comprend pas, qui n'ose pas, devant qui tout cela passe comme les élans de la piété et de la prière devant une idole. Il y a un Dieu au-dessus de l’idole, dont l’idole n’est que l’image, et qui comprend l'âme qui prie. Mais ici... Décidément, je ne vaux rien pour l’idolâtrie. J’admire, j’aime le respect et le dévouement, deux vertus rares, beaucoup trop rares de mon temps et dans mon pays ; mais j'y porte, je l'avoue, un peu d'exigence superbe. Passé cette explosion de fierté libérale, je ne vois pas le moindre mot à redire dans votre lettre ; elle est triste, pénétrante, et très digne dans sa ferveur impériale. C’était le problème et vous l’avez résolu.
Samedi 9 heures
Mes hôtes viennent de partir, et moi je partirai après demain pour un mois, je présume. Si vous étiez à Paris, ce mois serait charmant. On est assez occupé du procès. Concevez-vous l'audace de ces gens-là qui font fabriquer une pièce de canon & la trainent dans les rues de Paris ? On l'a saisie. C'était une machine pitoyable ; mais enfin, au dire des ingénieurs, elle aurait pu tirer encore 40 ou 50 coups. Les sociétés secrètes viennent de modifier, leur organisation ; elles se sont constituées par armées ; à un homme par jour. Cinq armées sont organisées, formant donc à peu près 2000 hommes. Elles se sont épurées dans ce nouveau travail, comme tous les partis en déclin, mais très vivaces, qui opposent le redoublement du fanatisme au progrès de l'impuissance. La dernière insurrection n'a pas eu, dans les Provinces, le moindre retentissement. Presque toujours quand un orage éclatait à Paris, il grondait à Lyon à Strasbourg, à Marseille. Rien de semblable cette fois. L’épreuve a même été très complète car il y a eu à Lyon, un peu de tumulte parmi les ouvriers pour une question de salaires, et la politique n’y a paru en rien.
Voilà votre n°195. Merci de vos détails. J'en avais besoin. La lettre de votre frère me rassure un peu. Mais j'aspire à la fin. Du reste, après l'acceptation de vos pouvoirs par le comte de Pahlen et la surveillance déclarée de votre frère, vous pouvez certainement être plus tranquille. Il me faut la permission de l'Empereur. Ce qui vous revient de droit sera trop peu. Votre lettre à votre frère est très convenable. Adieu. Je vous dirai en arrivant à Paris, s'il faut m’écrire rue de l'Université ou rue Ville l'évêque. Adieu. Adieu. Commencez-vous à engraisser ? G.
