Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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4. Paris Mardi 14 juillet 1846 onze heures.

La lettre d'Aberdeen est charmante. Tout ce qui vient de Peel est un peu tendu comme son jarret. Comme Aberdeen a raison de ne point vouloir venir à Paris. Ma journée a été mauvaise hier. Verity est parti. 2 heures après j’ai pris mal aux yeux. Je suis très nervous de cela. J'ai renoncé à Dieppe. Je m’en vais voir aujourd’hui ce que je puis trouver à St Germain. J’ai vu hier matin Harvey Fleischmann, Kisseleff, Pahlen, Decazes, Génie. Rien de tout cela qui vaille la peine de dire quelque chose. Hervey toujours préoccupé de l'Espagne, & voyant là de loin de gros orages. C’est très probable. Je parle toujours de Don Enrique comme votre candidat N°2 depuis l'origine. A diner chez les Cowley, il n’y avait qu’Adair. Trop vieux, trop sourd, et trop lent. Mon voisin est tout cela aussi de sorte que ce n'était pas drôle. Lady Cowley triste, pas un mot de nouvelle. J’ai fait un tour en calèche accompagnée jusqu'à 10 h. J’ai passé une mauvaise nuit. Il y a eu de l'orage mais sans rafraîchir l’air. Il fait étouffant. Suis-je tenue à une indemnité envers le courrier qui devait m’accompagner ? et dans ce cas là quoi ? Je lui avais toujours dit qu’il n’y avait rien de décider et que je l'informerais aussitôt que je le serai, ce que j'ai fait. 2 heures Génie est venu causer. Nous avons beaucoup causé de votre ménage ; nous sommes d’accord sur ce point qu'Henriette devrait s’accoutumer à le mener, tenir les comptes, & &. C'est des habitudes bonnes à prendre dans toutes les conditions de la vie. En Angleterre il n'y a pas de jeune fille des plus huppées qui n’entend fort bien & dans le plus menu détail les affaires de ménage. Cela fait partie d'une bonne éducation. Henriette me paraît avoir un peu de disposition aux idées trop grandes. Il arrive alors des mécomptes dans la vie. De l’ordre & de l'économie sont nécessaires également aux riches & à ceux qui ne le sont pas. Je fais là de la morale mais vous ferez bien de songer à cette partie-là. Je crois que Melle Wesly saurait y aider. Vous voyez que voilà une pauvre lettre. Je suis furieuse de ce qu'on vous réveille la nuit. C’est de la maladresse de votre part, car vous savez très bien que si le roi s’en doutait il en serait désolé. J’ai prie Génie de faire parvenir cette observation en haut lieu par Duchatel ou autrement. Que je m’ennuie sans vous ! Adieu. Adieu. 4 heures. W. Hervey est venu il m'a lu une petite lettre de Bulwer accompagnant une dépêche monstre sorte de tableau de la situation de l’Espagne depuis un an. Les partis, les personnes. C’est pour mettre Palmerston au fait de tout ce qui est survenu. Je n'ai pas lu cela naturellement. La petite lettre atteste un peu d'humeur entre Aberdeen sans qu'il le nomme, mais il dit qu’il aurait eu envie des ? de Naples, car Madrid lui déplait. iI est question dans cette lettre des mariages possibles ou impossibles. des mêmes ? De Bresson avec les Carlistes : il ne sait pas si tous les tripotages français n’auraient pas pour but de rendre tout impossible sauf Monpensier ! J'ai bien fait, je crois, de dire que c’était peut être le jeu qu'on jouait à Madrid chez la reine ? que pour ici cela ne réussirait pas du tout. à quoi Hervey a dit: mais c’est que Bulwer & beaucoup d’autres ne voient pas pourquoi pas. Et certainement Palmerston laissait le ? plus aisément qu'Aberdeen. Car il a plus de courage. J’ai dit tout cela, bêtises. Epousez franchement Cadix ou Séville, donnez-vous la main pour cela, & finissez l’affaire. Bulwer a lu la lettre de Christine au roi sur Tenerife. Est-ce que je dis bien ? Mais vous savez ce que c’est. Pas un mot de Palmerston encore comme affaires. On attend jeudi Adieu adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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5 Val Richer, Jeudi 16 Juillet 1846
7 heures

Je me lève. J’étais dans mon lit et endormis hier avant dix heures. Depuis que je me repose je sens ma fatigue. Je voudrais vivre comme La Fontaine : Quant à son temps, bien le sut dispenser ; Deux parts, en fit, dont il voulait passer L’une à dormir, et l’autre à ne rien faire. Je n'entre dans mon Cabinet, je ne me remets à mon bureau avec plaisir que pour vous écrire. Cela passera ; non pas, mon plaisir à vous écrire, mais mon besoin de ne rien faire. J'étais vraiment bien fatigué. Il n’y a qu’un plaisir qui s’allie très bien avec la fatigue, c’est celui de la conversation, de la conversation douce, intime, sans but, pur plaisir. Celui-là n'existe pour moi qu'avec vous. Si je pouvais faire mes affaires en en causant avec vous, sans autre souci que de chercher et de décider avec vous ce qu’il faut faire, laissant ensuite à d’autres le soin de l'exécution avec les autres, ce serait le Paradis, un Paradis paresseux, mais charmant.
Dites-moi votre avis sur ceci. Faut-il attendre que Palmerston ait parlé à Jarnac des affaires d'Espagne et lui ait indiqué sa disposition ou bien faut-il que Jarnac, prenant l’initiative, aille droit à Palmerston et lui dise : « L'Infant D. Enrique va arriver à Londres ; le parti progressiste veut en faire son instrument et votre candidat. Ce sera le retour de l’ancienne situation qui a été si nuisible au repos de l’Espagne, et à la bonne intelligence entre nous ; la France et les Modérés, l'Angleterre et les Progressistes, deux mariages, deux gouvernements ; une lutte continuelle, dans laquelle nous aurons l’air d'être les patrons, et nous ne serons que les instruments des partis Espagnols. Voulez-vous que nous coupions court à tout cela, et que nous travaillions, ensemble, sincèrement activement, à marier promptement la Reine d'Espagne à l’un des fils de D. François de Paule à celui qu’elle et son gouvernement préfèreront ? Nous sommes prêts ? C’est là, je crois ce qu’il y aurait de mieux. J’ai posé hier la question au Roi. J’attends sa réponse et la vôtre qui est déjà dans votre lettre d’hier. 9 heures Voilà une lettre qui me désole. Moi, Marion, Verity absents, c’est trop. Je vais attendre bien impatiemment la lettre de demain, j’espère que vos yeux ne s'obstineront pas à mal aller. Vous avez déjà eu souvent ces oscillations. Je me dis ce que j'ai besoin de croire. Si vous revenez à votre gold anointment (est-ce le nom ?), faites le vous-même plutôt que de le faire faire par Chermside.
Comment réussit Mad. Daucan ? Au moins, elle sera bonne pour vous lire. Tant que vous serez inquiète de vos yeux, vous serez mieux à Paris qu’à St Germain. La solitude est le pire. Je suis vraiment bien fâché pour cette pauvre Marina. Elle vous convenait. Le mal est-il si avancé qu’il n’y ait rien à faire ? Sinon, elle ferait bien d’aller consulter, M. Velpeau, ou M. Jaubert, ou M. Cloquet. Ce sont les habiles en ce genre. Avez- vous quelque femme de chambre en vue ? Qu’est devenue votre ancienne Marie ? Je vous questionne à tort et à travers. Si j'étais là, je saurais tout et je ferais quelque chose. Il me paraît difficile que vous ne donniez pas une petite indemnité au courrier qui vous a attendue, et ne s’est pas engagé à d'autres. Je n’ai pas d’idée du chiffres. Entre 60 et 100 fr. Ce me semble. Je dis cela au hasard. J’ai trouvé en effet, au fond de la grande enveloppe, une lettre particulière de Rayneval. Absolument rien qu’un compliment sur la mort de Mad. de Meulan.
Bonnes nouvelles de Rome. Rossi a présenté ses lettres d’Ambassadeur. Bon discours au Pape. Bonne réponse du Pape. Excellente position. Les Autrichiens se disent très contents de l’élection du Pape. Au fait si le cardinal Autrichien Gaysruck était arrivé à temps, il se serait opposé au choix de Martaï. Cela paraît certain. Il n’est plus guère douteux que le Pape ne fasse bientôt l’amnistie et des améliorations considérables dans les états romains. Gizzi Secrétaire d’état à peu près sûr. Amal, à l'intérieur ; moins sûr, mais probable. Tous deux très bons. Adieu. Adieu. Je recommande à Génie de vous montrer une dépêche de Naples qui vous amusera. Adieu. Que Dieu garde vos yeux ! Et vous toute entière ! Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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6 Val Richer Vendredi 17 Juillet 1846

Quel plaisir me fait ce N°6, si court ! J’étais tres inquiet de vos yeux de votre solitude sans yeux. Puisqu'ils allaient mieux hier, ce ne sera, je l’espère, qu’un incident. Je vous l’ai dit ; j’aime mieux St Germain que Dieppe. Quant à Trouville j’y vais demain, et j'aurais bien du malheur si je n’y trouvais pas pour vous un bon gite vraiment bon, le mieux possible là, car je ne veux pas que vous y veniez pour y être mal. Mais quel plaisir si vous y veniez ! Aussi vif que de vous voir de bons yeux. Vraiment, il y aurait pour vous dans cette course-là, pas plus de fatigue et plus d’agrément que dans toute autre. El Mouchy ? Y avez-vous renoncé ? Vous ne m'en dîtes rien. J’y aurais quelque regret. La vicomtesse aura remué ciel et terre pour vous préparer un peu de bonne compagnie. Je serais fâché qu'elle eût un mécompte. Je n'aime pas les mécomptes, ni donnés, ni reçus. Comme il vous conviendra du reste. Merci de la lettre de Greville. Intéressante. Je vous la renvoie avec une de Reeve que vous me renverrez. A peu près la même chose. Le parti Tory se réformera. Et un jour, il s’y formera un chef. Peel ne le redeviendra pas. A moins d’incidents bien imprévus. Et de l’autre côté les nuances se fondront dans un grand parlé libéral, qui n’en sera pas plus homogène. Et le jour qui ne sera pas très loin, ou l’esprit radical y prévaudra trop les Torys reprendront le pouvoir. Je doute que Gladstone, leur soit un chef dans les Communes. Je voudrais bien. Il est très honnête et d’un esprit doux et élevé. Nous verrons. Il y a bien à regarder là.
Le courrier d’aujourd’hui ne m'apporte rien du tout. Sinon le mouvement des élections qui s'anime un peu. Je suis charmé que Casimir Périer se porte candidat à Paris, et je désire beaucoup qu’il réussisse. Cela me convient électoralement et diplomatiquement. Adieu. Je serai court aussi aujourd’hui. J’ai un énorme paquet de signatures à donner. Je ne suis pas aussi oisif ici que l’an dernier. J’ai gardé les affaires. Je me promène pourtant beaucoup. En bien bon air. Point trop chaud. Hier il a beaucoup plu. Adieu. Adieu. Merci de vos yeux. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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21 Trouville sur mer. Mardi 4 août 1846, 7 heures du matin

Je compte, je recompte. Je suis sévère. La partie est gagnée, gagnée au delà de mon attente. Sur 201 élections connues ce matin, nous en avons perdu 4, gagné 25. Reste 21 en gain, c’est-à-dire déjà 42 voix de différence en plus sur l'ancienne majorité. Il y a vingt à parier contre un que les 259 élections encore inconnues ne changeront pas en mal ce résultat. Bonne affaire. L'avenir n’en sera pas moins laborieux ; mais nous l'aborderons en excellente situation. J’ai eu confiance depuis seize ans dans le bon droit du bon sens. J’ai eu raison. C’est un grand plaisir. J’ai eu hier deux estafettes l’une à 5 heures, l'autre à onze. Celle-ci m’a réveillé. Je venais de me coucher. Mais je ne me plains pas. J'en aurai deux aujourd’hui qui m'apprendront à peu près tout. Vous aurez su tout cela avant moi. Tant mieux. J’aime votre plaisir au moins autant que le mien.
Beau temps ici, malgré quelques ondées soudaines. La mer toujours aussi belle. Décidément, de tous les spectacles naturels, si ce n'est pas le plus magnifique (la terre a dans les grandes montagnes et les grandes forêts, des aspects supérieurs), c'est le plus constamment saisissant et intéressant. Je vous écris, au bruit de la marée montante qui monte et vient mourir sous mes fenêtres. Je passe la journée ici, et à 6 heures, je retournerai au Val Richer, remmenant Pauline à qui les bains de mer ont parfaitement réussi. Point d’autres nouvelles, comme de raison. Le monde en suspens, du moins le monde en France. Le Roi m’écrit qu'il est parfaitement content de la conversation du Prince Royal de Bavière qui a passé samedi, et dimanche au château d’Eu et qui a dû quitter Dieppe hier pour le Havre, et puis pour Paris. Le Prince Jean de Saxe a donné sa démission du Commandement en chef des gardes nationales saxonnes. Une revue générale approchait & on a cru, lui compris, qu'après l'affaire de Leipzig l’an dernier, il ne pouvait s'y présenter. La dernière session des Chambres a fait faire, au parti Constitutionnel en Saxe, un progrès décisif. Ne dédaignez pas la Saxe. De tous les petits états allemands, c'est celui où j’entrevois le plus de bon sens politique. Adieu dearest. Je vous reviendrai après l'arrivée de mon courrier. Je l’aurai un peu plus tard ici qu’au Val Richer. 9 heures et demie Bonnes nouvelles encore, malgré quelques pertes cruelles. 25 voix de gain net sur 323 élections connues. Je regrette beaucoup MM. Jacques Lefèvre à Paris et Alphonse Périer à Grenoble, sort inévitable des batailles. J’attends ce soir les détails. Génie ne m’a envoyé que les chiffres. Je garde la lettre de Lord John. Je vous la renverrai bientôt. Jarnac doit arriver aujourd’hui à Paris. Je l’aurai au Val Richer du 8 au 10. Adieu. Adieu. J’ai là une foule de lettres insignifiantes, où il faut des réponses indispensables. Adieu comme à St. Germain. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham-Park, Samedi, 5 août 1848
8 heures

J’ai eu hier une pénible alerte. Pauline est tombée de cheval. Ce n’est rien. Point d’évanouissement, point de mal de tête. Quelques écorchures et un peu d’ébranlement. Elle n’et pas en peur et s’est relevée sur le champ elle-même. Elle a dormi. Elle est bien. Je compte tout-à-fait que dans deux ou trois jours, il n’y paraîtra plus. Pourtant le long voyage d'Ecosse me préoccupe pour elle. Je suis bien près d'y renoncer. Il faut que je leur fasse prendre des bains de mer sans aller si loin.
Je n'aurai point de journaux français ce matin. Ils vont me chercher à St Andrews. Et peut-être point de lettre de vous, ce qui me déplait beaucoup plus. Car vos lettres tristes me manquent autant que vos lettres contentes.
Plus je pense à la France, plus je trouve que la situation s’aggrave, et s’aggrave sans s'abréger. Charles Albert ne se tirera pas d'affaire tout seul. Si la France ne l’en tire pas, c’est la république en Italie. Si la France l’en tire, c’est la guerre en Europe. Et dans l’une ou l’autre hypothèse, il n’y aura point de résolution assez nette, point d'action assez forte pour en finir réellement et vite. Les hommes sont devenus timides sans cesser d'être fous. On n'avancera pas. On ne tombera pas. On chancèlera, Dieu sait combien de temps, tantôt du bon tantôt du mauvais côté.

Midi
Merci de votre lettre. Je ne l’espérais guère. Vous vous trompez dans vos conjectures, sur mes réticences. Je n’avais aucun projet, même vague, de rester ici plus de trois jours. Je n’y ai consenti que parce que j’ai abrégé de six à huit jours le séjour en Ecosse. Mais vous avez raison, dans vos calculs. Le voyage d’Ecosse serait plus cher que je ne pensais. J'y renonce décidément. Et mes enfants font leur sacrifice de bonne grâce, Dieu leur en saura plus de gré qu'à moi. Et ce sera justice. On me dit qu’il y a ici près sur la côté du Norfolk d'assez bons bains de mer. On me donnera des renseignements dans la matinée. Je vous écrirai demain avec détails. Je n'ose me promettre, de ceci, le retour immédiat et définitif à Brompton. Il me faut, des bains de mer. Mais, en tout cas, plus de grande distance, et l'absence bien moins longue. Et j'espère aussi quelque interruption à l'absence. Vous ne recevrez pas ceci avec plus de plaisir que je ne vous l'écris. Quoique les lettres tristes me manquent autant, les lettres contentes me plaisent davantage. Vous qui me reprochez de ne dire non qu'à vous, vous ne savez pas ce qu’il m'en coute de ne pas vous dire toujours oui.
Charles Albert dictateur, et M. Rossi premier ministre du Pape ! Car il acceptera si le Pape insiste. Vous dites vrai ; le monde est drôle. Mon optimisme est mis à de rudes épreuves. Pourtant je persiste à espérer. Attendons. On attend toujours en ce monde.
J'envoie votre lettre à Duchâtel qui est à Edimbourg ou à Portobello. Quand j'aurai mes renseignements sur les bains de mer d’ici, j'écrirai à St Andrews et à Lord Aberdeen pour leur donner congé. Adieu. Adieu. Il pleut beaucoup. Adieu. G.

4 heures
Je rouvre ma lettre. Je suis très contrariée pour vous. La poste ne part pas d’ici aujourd’hui parce qu’on ne distribuerait pas les lettres à Londres demain dimanche. Vous comprendrez pourquoi vous n’avez pas de lettre. Adieu, à demain. Dimanche 6 août, une heure. Je reviens du sermon. Il faut être correct ici. D'autant que mes hôtes sont affectueux et contents de m'avoir outre mesure. Trés bonnes gens et très bon échantillon de la country gentleman life. Ne soyez pas malade, même en peinture. Il y a des bains de mer à 24 milles d’ici à Cromer, et à 18 milles, à Leicester, près d’Yarmouth. Sir John m'y mène demain avec ses chevaux. J'y choisirai un appartement. On dit qu’il y a un assez bon hôtel. Et puis j'y mènerai mes filles. Pauline est bien. Quoiqu'ayant encore besoin de deux jours de repos. J’ai le cœur bien léger de ne plus aller si loin de vous. J’écris à Glasgow, à Edimbourg, à St Andrews et à Haddo. Pour ravoir mes lettres et faire mes excuses. Et à Brompton pour qu'on m'envoie ici et à Cromer mes journaux. Ils me manquent beaucoup. Votre lettre de ce matin, me met au courant. Si Cavaignac garde Goudchaux avant- un mois, il s’appuiera sur les Communistes. Adieu. Adieu.
Pauvre Aggy ! Le départ du Roi de Würtanberg me frappe. Plus d’un Roi l’imitera. Le dégoût est dans ces rangs là. Par fatigue, par mollesse, par esprit de doute et d’égoïsme. Les grands descendent et les petits ne montent pas. Adieu. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Vendredi 29 Juin 1849
Midi

Rien dans les journaux et point de lettres. Rome devient vraiment ridicule. Donner l'assaut et rester debout sur la brèche, cela ne s'est jamais vu. Les savants du Génie ont probablement de quoi expliquer cela, mais le public n'y comprend rien. Je suis rentré hier à onze heures. On est resté à table, un temps énorme. Dîner, très insignifiant. Lord et Lady Morley, Sir W [?] et Lady Molesworth, Lord Clare qui m’a demandé de vos nouvelles deux ou trois autres hommes inconnus. Le soir il est venu beaucoup de monde ; entr’autre le Hongrois. Il avait l’air d'avoir l'oreille basse. On croyait fort à une grande victoire austro-russe.
Je n'aurai rien de vous aujourd'hui. Le temps est moins chaud et moins lourd. Cela vous conviendra peut-être mieux. Bien certainement, c’est Paris qui vous convient, quand il n’y aura plus de choléra du tout. Et vous y retrouverez une bonne partie de la société qui vous plaisait. Le Duc de Noailles sera probablement nommé pour le siège vacant à Chartres. Plus j’y pense, plus je crois qu’il a raison. D’ici à assez longtemps, il y aura à Paris des agitations de Chambre, des difficultés de gouvernement; point de grands désordres de rues. Vous tirerez vous-même vos pronostics quand vous y serez. Adieu.
Je sors avant 2 heures pour le Kings college. J'en reviendrai je ne sais à quelle heure. Mais je n'apprendrai rien là. Je ferme donc ma lettre. A demain. J’espère bien être à Richmond à 11 heures Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond jeudi le 5 juillet 1849

Je n'ai encore vu personne aujourd’hui que lady Jersey. Je ne sais donc que les journaux. Une lettre d’Albrecht bonne. Il [?] & Kisseleff essaie de rattraper pour moi là rue St Honoré. Je désire ; mais je doute. Une fois à Rome, qu’allez- vous y faire, et d’abord quel drapeau arborerez- vous ? Que de complications à prévoir. Albrecht dit que les puissances doivent ménager la situation de la France et reconnaître qu’elle a rendu un grand service à l’Europe par cette triste campagne. C’est sans doute le dire de Kisseleff voilà pourquoi je cite. Metternich va toujours de même. Les forces s'en vont, c'est là le côté alarmant. L’appétit est parti aussi, il ne veut rien prendre. J’ai été interrompue par le duc de Beaufort & les Delmas. Ce n’est pas là où l’on trouve des nouvelles. Adieu, je vous attends donc demain à cinq heures. Ce sera bien court, c'est toujours trop court. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Lundi le 16 Juillet 1849 8 heures

J'ai beaucoup dormi mais je me sens encore plus fatiguée qu’hier et sans le moindre appétit. Deux cuillérées de bouillon viennent de me redonner des crampes. C’est bien ennuyeux mais qu’est-ce que ma santé à côté du malheur inévitable de votre départ ? Je ne me comprends pas, sans vous, sans la possibilité de vous revoir. le lendemain. Je reste hébétée quand je pense à cela, et j'y pense sans cesse !
Lady Alice Peel est venue un moment ce matin. Elle ne sait rien. La situation des Français à Rome me parait terrible. Comment cela finira-t-il ? Adieu que puis-je vous dire ? Je ne sais rien, et je ne trouve dans mon propre fond que misère, tristesse, désolation. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche, 5 août 1849
7 heures

J'allume mon feu, en me levant. André le prépare la veille ; un bon petit fagot ; je n'ai qu’une allumette à y mettre. J’ai toujours avec plaisir du feu pendant deux heures le matin pour ma toilette. Il fait très beau, mais point chaud. Décidément du moins jusqu’à ce que l’automne se fasse sentir, je garde l’appartement que j’avais ; je le préfère beaucoup ; il m'est plus commode mes deux cabinets de toilette sont beaucoup plus grands ; j'ai beaucoup plus de place pour mes papiers. Il est plus loin du service de la maison ; c'est de l'autre côté que se font les affaires de ménage, qu'on va et vient. D'ailleurs pas la moindre trace d’humidité pas plus de mon côté que de l'autre. Enfin j'aime mieux, pour moi, rester où je suis si je m’aperçois plus tard que l'exposition à quelque inconvénient ; je changerai. Jusqu'à présent, à mon goûts je perdrais au change.
Vous voyez que les bruits de 18 Brumaire et d'Empire s'en vont en fumée. Je vous l'ai dit ; personne ne croit que la durée du régime actuel sait possible ; mais personne n'a et n'aura le courage de prendre l'initiative d’un changement. La République et la Constitution seront, non pas respectées, mais pas touchées, parce qu'elles sont ce qu'on appelle le fait établi et l’ordre légal et parce que personne n'a bien envie de ni bien confiance sans ce qui viendront après. On attendra la nécessité de changer, la nécessité évidente, urgente, absolue. Et cette nécessité ne viendra si elle vient que lorsqu'on approchera d’une nouvelle élection du président et de l'Assemblée ; jamais une société n'a été plus résignée à l'état horrible et précaire, au pain et à l'eau, ce qu’il faut strictement pour vous aujourd’hui, sans certitude de l'avoir demain. Cela même ne peut pas durer j’en suis bien sûr. Mais combien de jours, de mois, d'années Pour la vie des grands états, nous m'avons pas la mesure du temps. La honte est immense ; le danger matériel et personnel peu de chose. A la condition d'abaisser à ce point leurs prétentions, les honnêtes gens sont les maîtres du terrain. Restent les évènements imprévus, les nécessités inattendues les coups du sort, qui sont les décrets de Dieu. Pour ceci, la France actuelle, n'est pas en état d’y pourvoir, et si elle y est forcée, il faudra bien quelle change. Je n’entrevois, pour le moment, rien de semblable à l'horizon. Il n’y a plus en Italie que des embarras. Le Pape bataillera plus ou moins longtemps pour avoir dans son gouvernement plus ou moins de laïques ; le Roi de Sardaigne luttera comme il pourra contre sa nouvelle chambre quasi-belliqueuse et républicaine mais l’un et l'autre vivront sous la tutelle du trio Français, Autrichien et Anglais qui sera plus ou moins d'accord, mais qui le sera assez pour maintenir ce qui vient de se rétablir. La Hongrie traine, malgré les prédictions de Lord Ponsonby. Les élections Prussiennes, à ce qu’il paraît modérées. L'Allemagne, qui a un avenir bien plus gros que l'Italie, semble faire une halte après une orgie. Les deux états sont Londres et Pétersbourg, ne demandent qu'à se tenir tranquilles en veillant auprès des Etats malades. Mes pronostics sont donc à l'immobilité pour demain, après-demain. Nous verrons plus tard. Je ne vois personne qui ait la moindre inquiétude pour la tranquillité de Paris.

Onze heures
Je suis bien aise que vous ayez revu M. Guéneau de Mussy. Je désire que même bien portante, il vous voie de temps en temps. Adieu. Adieu. J’ai reçu je ne sais combien de lettres insignifiantes deux ou trois exigent une réponse sur le champ. Adieu, dearest. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Mardi le 7 août 1849

Vos lettres sont des fêtes pour moi. Je lis & relis. Point de nouvelles. On va patienter chez vous et vivre pauvrement toujours avec la perspective d’un événement. Quel état ! Ici l’on ne parle que du voyage de La Reine en Irlande. L’enthousiasme le plus énorme. Heureux pays où ce sentiment se conserve ! Outre la Reine, les Irlandais auront cette année de bonnes pommes de terre. Ils sont donc enchantés.
Je n’ai vu hier que les habitants de Richmond. Lord Chelsea & les Delmas chez moi. Lord Beauvale chez lui. Il était fort amusé d’une petite [?]. Duchâtel a enlevé à Lord Faukerville une belle dame, demoiselle je crois, Miss Mayo nièce d'une Lady Guewood. Fort jolie et fort leste. Elle venait chez les Duchâtel souvent, elle vient de partir avec eux pour Spa et Paris, & peut être Bordeaux. Quelle bonne femme que Mad. Duchâtel.
J'ai eu une longue lettre de Lord Aberdeen. Il s’ennuie à périr en Ecosse, il me le dit. Je crois que nous lui manquons. Je lui avais raconté mon dialogue avec John Russel au sujet du discours de Palmerston. Cela lui a fait plaisir. Beauvale ne croit pas à nos revers en Hongrie. Moi je ne sais [?] que croire. Pourquoi n’y a-t-il pas de bulletin officiel ? Dans tous les cas l’affaire traine beaucoup.
M. de Mussy m’a interrompue. Il m’a dit qu'il avait une lettre de vous. Je ne lui ai pas dit que je le savais. Il est en redoublement de soucis ; je crois bien que c’est lui qui m'accompagnera à Paris ce serait excellent. Le duc de Lenchtenberg est attendu à Londres cette semaine. Les ministres ici s’étonnent beaucoup qu’au milieu des immenses difficultés de vos finances, on ne songe pas à une réduction de l’armée & de la Marine. John Russell & lord Palmerston m'en ont parlé tous deux. Ils disent que très certainement ils vous imiteraient tout de suite pour leur marine, & que vous leur ferez un grand plaisir. L’épouvantail de l'armée russe n’a pas le sens commun. Elle ne veut pas, elle ne peut pas, & personne ne permettrait qu'elle vous attaque. C’est des bêtises. Gardez amplement ce qu'il vous faut pour chez vous & [?] le reste. Adieu, Adieu, que je voudrais jaser, comme nous jaserions. Comme ce serait charmant. Adieu. Adieu dearest. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 19 août 1849
Sept heures

Vous trouvez la conduite du Pape insensée. Peut-être. Mais tenez pour certain que, s’il suit les conseils de MM. Od. Barrot et de Tocqueville, il se tue infailliblement, lui et la Papauté. C'est là ce qu'on lui demande, car on lui demande de donner à Rome une Constitution, ou l’apparence d’une Constitution. Or en fait de Constitution, aujourd’hui, il n’y a plus de mensonge possible ; l’apparence, c’est bientôt la réalité, ou l’anarchie. Une constitution à Rome, c’est le Pape mort et Mazzini ressuscité. Les amis de Mazzini savaient très bien ce qu’ils faisaient quand ils ont assassiné Rossi. Je ne sais pas si Rossi serait devenu un grand homme, mais il était en train de le devenir. Lui aussi avant d’être à Rome Ambassadeur et Ministre, il avait cru et aspiré, là à une Constitution. Même pendant son Ambassade, j’ai souvent retrouvé dans ses lettres d'abord cette espérance, puis un désir sans espérance, puis un regret sans désir. Puis à la fin de son Ambassade, et surtout quand il est devenu Ministre du Pape, je suis convaincu qu'il ne croyait plus et qu’il ne tendait plus à une constitution romaine. Il voulait sérieusement avant tout, le maintien de la Papauté, la dernière grande chose de l'Italie comme il le disait à Grégoire XVI, et la chose nécessaire à l’Europe. Il avait compris que la Papauté et la constitution, le Pape coupé en deux, infaillible comme souverain spirituel, responsable et discuté tout le jour comme souverain temporel, cela était impossible. Rossi se détournait de cette chimère, et se mettait avec ardeur à une autre œuvre, à la reforme réelle, efficace, de la détestable administration romaine de ses abus de justice, de finances de police, de gouvernement intérieur subalterne, de petit et inintelligent népotisme. Il voulait donner, dans toutes ces affaires-là, satisfaction aux intérêts quotidiens de la population romaine, et une part de pouvoir, de pouvoir décisif à la portion, un peu riche et considérable, et laïque de cette population. Il y a deux choses impossibles aujourd’hui à Rome comme ailleurs ; l’une, qu’on prenne de l'argent à tort et à travers dans les poches du public qu’on dépense à tort et à travers l’argent pris dans les poches du public, qu'on juge à tort, et à travers les procès du public, qu’on ne paye pas ses dettes au public qu’il n’y ait point de sureté sur les routes, point de réverbères dans les rues, des imbéciles et des fainéants dans les fonctions publiques ; l'autre, que toutes ces affaires-là, qui sont les affaires des familles qui sont le peuple, toutes les affaires civiles de la population laïque, soient, en réalité et en définitive entre les mains et sous l'influence des ecclésiastiques ; je dirais des prêtres si je voulais reproduire le sentiment qui s’attache aujourd’hui à ce mot, à cause de ce fait. Le Prince de Metternich dit, et m'a dit que le fait n'existait plus, que depuis 1831 l'administration civile Romaine avait été sécularisée et était entre les mains des laïques. M. de Metternich se trompe ; certains changements, il est vrai avaient été faits dans ce sens ; changements vains, pures apparences nominales et dilatoires. Le pouvoir efficace, définitif, dans l'administration civile comme ailleurs était toujours entre les mains du Clergé ; et les abus choquants, l’inertie insurmontable, l'incapacité ridicule de cette administration subsistaient toujours. Ce sont là les deux choses que Rossi voulait changer. Il voulait que l'administration civile des Etats Romains devînt réellement bonne, et que pour devenir bonne ; elle devînt essentiellement laïque. C’est dans les limites et vers ce but que de mon temps, je l’ai constamment ramené, et qu’il avait fini lui-même par se diriger positivement. Il croyait, et je croyais aussi que cela se pouvait faire en laissant intacte, non seulement la souveraineté spirituelle du Pape, mais sa souveraineté temporelle et en n'enlevant point, non seulement l’autorité souveraine dans l’Eglise mais le gouvernement politique de l'Eglise et des Etats Romains, au Pape et au grand régiment ecclésiastique, Cardinaux et autres, dont il est et dont il doit être entouré. Avais-je raison de croire cela possible ? Rossi a -t-il eu raison de l’entreprendre ? Il y a de quoi douter et discuter. La manie des constitutions, c’est-à-dire la manie d'appliquer partout, à tort et à travers dans les plus petits pays comme dans les plus grands, les plus grosses, et plus fortes machines de gouvernement, cette manie stupide est devenue bien générale et bien intraitable. Ce n’est plus une question de bon gouvernement et de garantie pour les droits ou les intérêts réels des citoyens ; c'est une question de bruit et de vanité. Il faut que chaque état soit une salle de spectacle où tout le peuple soit tour à tour acteur ou spectateur et dont le plus souvent possible, le monde entier entende parler. Il se peut que la population Romaine, la population bruyante, et remuante qui entraine ou annule le reste, veuille cela absolument, et que la meilleure et la plus laïque administration civile ne suffise pas à la contenter. Cependant je ne le crois pas. Je crois qu'avec l'adhésion claire et l'appui concerté des grands gouvernements européens, le Pape pourrait faire prévaloir cette politique là. Je crois en tout cas que c’est la seule à tenter, car c’est la seule qui ait des chances de succès. Hors de là, on alternera entre Mazzini et les petits abbés, deux pouvoirs également impossibles aujourd'hui et qui, l'un et l'autre, mènent Rome à sa ruine, et l’Europe à un perpétuel embarras. au sujet de Rome.
En voilà bien long, si long que je n'ai pas le temps de vous parler d’autre chose. Soyez tranquille ; je vous répète que je ne serai point de Conseil général. J'ai fait ce qu’il fallait pour cela. L’élection se fait aujourd’hui. C’est un conservateur de mes voisins M. Thiron, qui sera nommé. Adieu, Adieu. Adieu. Je vais faire ma toilette

Onze heures
Votre lettre est très intéressante, ne vous occupez pas de le sœur de Chopin. Elle a eu un passeport et est arrivée à Paris, une permission de six semaines. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Mercredi 29 août 1849
8 heures et demie

Je me lève tard. Je suis rentré tard hier. 37 personnes à dîner. On s'est mis à table à 6 heures et demie. Sorti de table à 8 et demie. En voiture à 9 heures un quart. 6 lieues à faire. Par le plus beau temps, et la plus belle lune du monde. J’étais un peu fatigué de m'être tenu trois heures sur mes jambes à me promener dans un assez joli parc montant et descendant, sur le flanc d’un côté. J’ai très bien dormi. Je ne pouvais refuser cette invitation-là. C'est le manufacturier le plus considérable de Lisieux, et qui m'a été le plus hautement fidèle. Je refuse toutes les invitations ordinaires. Il y avait là deux membres de l'Assemblée législative ; modérés parmi les modérés, mais à peu près convaincus que le Cabinet Dufaure ne tiendra pas quand l’Assemblée reviendra. Passy, Lacrosse et Tracy à peu près certainement. Dufaure et Tocqueville probablement. Pour mon compte, je n'y crois pas, et je les en ai plutôt détournés ; du moins pour Dufaure et Tocqueville. Si l’Assemblée avait de quoi les remplacer par un cabinet décidé, et capable qui eût vraiment envie de gouverner, et qui pût, en tenant toujours la majorité unie, la conduire fermement à son but, à la bonne heure. Mais cela n'est pas ; Molé et Thiers, les seuls plus capables veulent et ne veulent pas du pouvoir. Et s'ils le prenaient très probablement la majorité se diviserait au lieu d'avancer. Je suis pour qu’on redoute, et améliore par degrés le Cabinet actuel, sans toucher aux grosses pièces.
La fin de l'affaire de Hongrie tue la politique extérieure. On n'y pense plus. Rome seule embarrasse encore. On voudrait bien en sortir vite, et on n’ose pas trop si on n’y fait pas prévaloir, un peu de politique libérale. On finira par oser et par s’en aller quand même si le Pape ou son monde continue à résister. Le gouvernement actuel n’est pas, en état de pratiquer à Rome le bonne politique. Il ne la sait pas, et s’il la savait, il n’oserait pas l'avouer. Et pour la pratiquer avec succès, la première condition c’est de l'avouer très haut, et d’en faire une politique de l’Europe envers Rome ; politique adaptée, conseillée, soutenue et payée à Rome par les Puissances catholiques. Un Budget du Pape, comme chef de l'Eglise catholique, réglé et alimente de concert par les Puissances catholiques est le seul moyen d'assurer le succès de cette politique. Il faut que le Pape puisse vivre comme chef de l’église catholique, et en soutenir le grand état-major dont il est entouré sans être obligé de pressurer, par tous les abus imaginables, le petit pays dont il est le souverain temporel. Les Papes d’autrefois vivaient avec les revenus très gros qu’ils tiraient par toutes sortes de voies, les unes reconnues, les autres contestées, des états catholiques. Aujourd’hui, ils ne retirent plus rien, ou presque plus rien, du dehors ; et on veut qu’ils restent vraiment Papes, qu'ils gardent, et qu’ils soutiennent tous ces cardinaux, tout ce clergé, tout ce peuple d'ecclésiastiques qui est le cortège et l’armée de la Papauté ; et il faut que les petits états Romains suffisent à tout cela. C'est impossible. Cette fourmilière de prêtres ne peut pas vivre aux dépens de ce coin de terre sans un irrémédiable déluge d'abus. Que la Papauté soit épousée et soutenue par toute le catholicité ; et le Pape pourra laisser la population des états Romains faire elle-même ses affaires locales les discuter et les régler dans les communes dans les Provinces, sans que la souveraineté temporelle et spirituelle du Pape lui-même soit entamée, tant qu’on n’entrera pas ouvertement, et en disant pourquoi, dans cette voie, on s'embourbera de plus en plus dans les embarras et les complications dont on ne sait comment sortir.

Onze heures
J’ai été interrompu par la visite d’un ancien député conservateur, M. Leprevost. On m’arrive quelques fois à 9 heures du matin, quand on a couché la veille à Lisieux. Vous voyez que Rome est une de mes questions favorites. Je croyais avoir trouvé et commencé là quelque chose qui pouvait réussir, et qui valait la peine qu’on le fit réussir. Votre lettre de Dimanche et lundi arrive, et j’ai ma toilette à faire. Adieu. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, mardi 11 sept 1849

4 heures

Voici l’histoire de la lettre du Président sur Rome. Il l’a écrite lui seul. Puis il l’a montrée d'abord à M. de Tocqueville, qui s’est un peu effarouché, et a fait des objections. Le Président a réfuté les objections et soutenu sa lettre ajoutant d'ailleurs, qu’elle était partie. La conversation a continué entre eux et Tocqueville entrainé, moitié par les raisonnements, très obstinés (du président) moitié par l'autorité du fait accompli, a fini par se rendre et par approuver la lettre se réduisant à demander qu’elle fût montrée au Conseil. Le président y a consenti ; le conseil a été convoqué et la lettre montrée. Tous les ministres présents, sans exception ; nommément M. de Falloux. Tous, ou presque tous, ont répété les objections de M. de Tocqueville. Tous sont revenus au même point, à l’approbation de la lettre partie. Le Président a bien constaté cette approbation. Puis, trois jours après, il a dit que sa lettre n'était point partie avant la délibération du Consul mais seulement le lendemain. Ils se sont regardés, et n’ont rien dit. Vous savez tout ce qui a suivi la publication de la lettre. On dit qu'elle a été écrite par l'inspiration de Dufaure. C'est vraisemblable, et tout le monde le croit. Le parti légitimiste a fait dire au Président, par un intermédiaire fort accrédité auprès de lui, qu'ils étaient bien fâchés mois qu'il leur serait impossible de voter pour lui, sur cette question, dans l'assemblée, qu’ils ne pourraient se dispenser de voter avec le petit parti catholique (30 ou 40 membres) qu’il s’était aliéné par sa lettre. Que la majorité courait donc grand risque d'être disloquée. Le général Changarnier blâme ouvertement la lettre et paraît, en tout, moins intime avec le Président. Les conséquences de ceci à l’intérieur, peuvent donc être grosses. Quant aux conséquences à l'extérieure, il faut attendre ce que diront le Pape et l’Autriche. Je doute qu'ils fassent comme les ministres du Président et qu'ils avalent la lettre parce qu'elle est écrite et publiée. Le rédacteur du journal légitimiste de Caen vient de m’arriver en hâte pour me dire que la réconciliation des deux familles était faite, que M. le Duc d’Escars le lui écrivait positivement, et que son journal l’annoncerait demain. Ils sont évidemment en grand travail pour faire faire, et surtout pour faire croire. On dit que M. de Montalivet, agit fort dans ce sens. Vous en revient-il quelque chose ?
Autre bruit de Dieppe. Thiers a fait une longue promenade en mer, dans un bon canot, avec trois hommes sûrs. Il a rencontré au large M. le Prince de Joinville, et ils ont passé deux heures ensemble. L’attaque contre Dufaure, pour sa répugnance à écarter les fonctionnaires rouges au quasi-rouges, sera très vive. Chacun a des faits choquants à citer. La coïncidence de deux attaques vives sur la politique du dedans, et celle du dehors, fera plus que doubler l'effet. Le cabinet peut sortir de la mort, et le Président blessé. Je ne rencontre personne qui croie au dire de Morny sur Thiers et Molé prenant le pouvoir. Le choléra devient plus rare à Paris. Toujours grave quand il vient, mais plus rare. On dirait aujourd’hui qu’Odilon Barrot, en était atteint. Ce qui est sûr, c’est qu’il a été assez souffrant pour demander instamment qu’on le laissât. tranquille pendant huit jours, sans lui parler de rien, dans sa maison de campagne de Bougival. Il y était en effet quand la publication de la lettre du Président est venue l’en tirer. M. de Villèle est fort malade, dans sa terre près de Toulouse. Plus malade encore d'esprit que de corps. La tête très affaiblie, presque en enfance. Il n'a que 75 ans. M. Ravez sera remplacé à l'Assemblée par son fils. Il me semble que j'ai vidé mon sac. J’ai eu du monde toute la matinée de Paris, Trouville et Caen.
Lady Anna Maria Domkin est partie ce matin. Encore un orage tout à l'heure. Mercredi 12, huit heures Toujours la pluie, et assez froid. J’ai eu hier un assez bon échantillon de la disposition des fonctionnaires qui servent ce gouvernement-ci. Le Préfet du département est venu me voir. Il n’était pas encore venu, moitié par lâcheté, moitié à cause de la session du Conseil général. C’est un homme sensé, intelligent, honnête tout cela dans la région moyenne, et préfet sous la monarchie. Il a l’esprit très libre, et la langue assez libre sur toutes choses, y compris toutes les personnes. Il m’a raconté le séjour du Président au Havre où il était la session de son Conseil Général, les circulaires des Ministres, les discours en promenade de M. Léon Faucher, en spectateur qui ne prend pas grand intérêt au spectacle et n'admire pas beaucoup les acteurs. Les hommes de ce temps-ci ont l'art d'avoir de l’impartialité sans indépendance et de la liberté d’esprit sans dignité. Au fait, ce n’est rien de plus que la nature humaine, déshabillée et courbée par des coups de vent trop forts pour elle.

Onze heures
Ménagez vos yeux. C'est beau à moi de vous dire cela en présence d'une lettre un peu courte. N'importe ; ménagez vos yeux, et adieu sans fin. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie jeudi 20 Sept 1849 Sept heures

J’ai tout le jour sous les yeux une preuve frappante qu’il n’y a aujourd’hui pour la France, dans la pensée de tout le monde, point de politique extérieure. Personne n'en parle. Personne ne songe à en rien demander ni à en rien dire. Il vient ici assez de visites ; on ne parle que des affaires publiques ; point des Affaires étrangères ; un mot, en passant, sur Rome, qui tombe aussitôt et qui est dit plutôt pour parler du Président. qu'on est curieux de bien connaître, que de Rome dont on ne se soucie pas. La France n’est préoccupée que d'elle-même. Le Duc de Broglie me dit qu’il répète sans cesse aux Ministres : " La paix à tout prix, et point d'affaires ; la République ne peut pas avoir une autre politique. " Il a raison, et le public, est de son avis. Les journaux seuls sont en dehors de cette disposition du public, et raisonnent à perte de vue sur l'Europe. Et leurs lecteurs se plaisent assez à cela. Mais comment on se plaît à un moment de badauderie et d'oisiveté. Personne ne prend les journaux au sérieux. Ce qui n'empêche pas qu'à la longue ils n'agissent. Un jour viendra où le pays sortira de cette insouciance forcée sur sa politique et sa position au dehors, et s’en vengera sur le gouvernement qui lui en fait une nécessité. Etrange chaos que l'état des esprits et ce qu'ils ont à la fois d'activité et d’apathie de passion et d’indifférence de bon sens et d’inintelligence. Plus j'y regarde, plus je me persuade que c’est bien un état de transition, non une chute définitive. C'est ma seule consolation, et je crois que c’est la vérité.
Transition à quoi. Je n’en sais pas plus que je n’en savais quand nous avions le bonheur de causer ensemble de tout cela. Pourtant je suis plutôt confirmé qu’ébranlé dans l’idée à laquelle j'aboutissais en définitive quand nous voulions absolument voir à ceci une issue.

Onze heures
Je vous reviens après être allé entendre une homélie de l'évêque d'Evreux dans l’Eglise de Broglie. Hélas oui, il y a deux grands mois que nous nous sommes quittés ! Je n'essaie pas de vous dire combien vous me manquez. Vous me manquez non seulement pour les choses que je ne dis qu'à vous et que je n’entends que de vous, là où le vide est complet quand vous n’y êtes pas. Vous me manquez même dans les moments où il n’y a pas de vide, ou ce que j’entends et dis me plait et m'intéresse. Je suis toujours sur le point de me retourner pour voir si vous êtes là et pour vous mettre de part dans tout. Que de choses je ne dis pas que je vous dirais, et que de choses je vous dirais que je ne vous ai jamais dîtes ! Et la vie s’écoule dans cette impatience d’une affection qui ne donne et ne reçoit pas, tout ce qu'elle pourrait recevoir et donner dans le sentiment d’un grand bonheur possible et manqué.
Paris sera tranquille. Et si les rouges essayaient de le troubler la tranquillité serait pleinement rétablie en quelques heures comme au 13 Juin. La force et la volonté de faire cela y sont également. Certainement le choléra diminue. Pourtant il y en a encore, et presque toujours grave. Ne vous ai-je pas déjà dit hier qu'à cause du Choléra, on retardait de quinze jours la rentrée des écoliers aux collèges ?
La lettre de Marion est charmante et très originale, si cette aimable fille était heureuse, elle aurait tout le bon sens hors duquel elle se jette quelquefois pour répandre et animer son âme. Elle a naturellement beaucoup de bon sens. Mais il faut aux femmes même aux plus distinguées, du bonheur personnel, et de cœur, pour être dans cet équilibre intérieur qui met en état de voir les choses du dehors comme elles sont réellement, parce qu'on n'a rien à leur demander. Je parlais un jour à la Duchesse de Broglie d’une jeune femme de sa connaissance, et de la mienne qui avant son mariage avait un amour propre assez agité et exigeant, et qui depuis son mariage, était devenue parfaitement calme et modeste : " Je le crois bien, me dit-elle, elle a ce qui apaise et satisfait le plus grand amour propre possible d’une femme : elle est aimée et heureuse. " J'ai bien souvent reconnu la vérité de cela. J’ai peur que notre bonne Marion reste toujours républicaine, tantôt pour Cavaignac, tantôt pour Manin, faute d'avoir son roi à elle, un mari qu'elle adore, et qui l'adore. Adieu. Adieu.
Je ne vois rien dans mes journaux de ce matin. Je pars toujours le 28 pour retourner au Val Richer le Duc de Broglie, le 29 pour Paris. Il veut être au premier jour de l’assemblée aussi à la réunion du Conseil d'Etat qui aura probablement, lieu la veille. Adieu, Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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