Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 19 août 1849
Sept heures

Vous trouvez la conduite du Pape insensée. Peut-être. Mais tenez pour certain que, s’il suit les conseils de MM. Od. Barrot et de Tocqueville, il se tue infailliblement, lui et la Papauté. C'est là ce qu'on lui demande, car on lui demande de donner à Rome une Constitution, ou l’apparence d’une Constitution. Or en fait de Constitution, aujourd’hui, il n’y a plus de mensonge possible ; l’apparence, c’est bientôt la réalité, ou l’anarchie. Une constitution à Rome, c’est le Pape mort et Mazzini ressuscité. Les amis de Mazzini savaient très bien ce qu’ils faisaient quand ils ont assassiné Rossi. Je ne sais pas si Rossi serait devenu un grand homme, mais il était en train de le devenir. Lui aussi avant d’être à Rome Ambassadeur et Ministre, il avait cru et aspiré, là à une Constitution. Même pendant son Ambassade, j’ai souvent retrouvé dans ses lettres d'abord cette espérance, puis un désir sans espérance, puis un regret sans désir. Puis à la fin de son Ambassade, et surtout quand il est devenu Ministre du Pape, je suis convaincu qu'il ne croyait plus et qu’il ne tendait plus à une constitution romaine. Il voulait sérieusement avant tout, le maintien de la Papauté, la dernière grande chose de l'Italie comme il le disait à Grégoire XVI, et la chose nécessaire à l’Europe. Il avait compris que la Papauté et la constitution, le Pape coupé en deux, infaillible comme souverain spirituel, responsable et discuté tout le jour comme souverain temporel, cela était impossible. Rossi se détournait de cette chimère, et se mettait avec ardeur à une autre œuvre, à la reforme réelle, efficace, de la détestable administration romaine de ses abus de justice, de finances de police, de gouvernement intérieur subalterne, de petit et inintelligent népotisme. Il voulait donner, dans toutes ces affaires-là, satisfaction aux intérêts quotidiens de la population romaine, et une part de pouvoir, de pouvoir décisif à la portion, un peu riche et considérable, et laïque de cette population. Il y a deux choses impossibles aujourd’hui à Rome comme ailleurs ; l’une, qu’on prenne de l'argent à tort et à travers dans les poches du public qu’on dépense à tort et à travers l’argent pris dans les poches du public, qu'on juge à tort, et à travers les procès du public, qu’on ne paye pas ses dettes au public qu’il n’y ait point de sureté sur les routes, point de réverbères dans les rues, des imbéciles et des fainéants dans les fonctions publiques ; l'autre, que toutes ces affaires-là, qui sont les affaires des familles qui sont le peuple, toutes les affaires civiles de la population laïque, soient, en réalité et en définitive entre les mains et sous l'influence des ecclésiastiques ; je dirais des prêtres si je voulais reproduire le sentiment qui s’attache aujourd’hui à ce mot, à cause de ce fait. Le Prince de Metternich dit, et m'a dit que le fait n'existait plus, que depuis 1831 l'administration civile Romaine avait été sécularisée et était entre les mains des laïques. M. de Metternich se trompe ; certains changements, il est vrai avaient été faits dans ce sens ; changements vains, pures apparences nominales et dilatoires. Le pouvoir efficace, définitif, dans l'administration civile comme ailleurs était toujours entre les mains du Clergé ; et les abus choquants, l’inertie insurmontable, l'incapacité ridicule de cette administration subsistaient toujours. Ce sont là les deux choses que Rossi voulait changer. Il voulait que l'administration civile des Etats Romains devînt réellement bonne, et que pour devenir bonne ; elle devînt essentiellement laïque. C’est dans les limites et vers ce but que de mon temps, je l’ai constamment ramené, et qu’il avait fini lui-même par se diriger positivement. Il croyait, et je croyais aussi que cela se pouvait faire en laissant intacte, non seulement la souveraineté spirituelle du Pape, mais sa souveraineté temporelle et en n'enlevant point, non seulement l’autorité souveraine dans l’Eglise mais le gouvernement politique de l'Eglise et des Etats Romains, au Pape et au grand régiment ecclésiastique, Cardinaux et autres, dont il est et dont il doit être entouré. Avais-je raison de croire cela possible ? Rossi a -t-il eu raison de l’entreprendre ? Il y a de quoi douter et discuter. La manie des constitutions, c’est-à-dire la manie d'appliquer partout, à tort et à travers dans les plus petits pays comme dans les plus grands, les plus grosses, et plus fortes machines de gouvernement, cette manie stupide est devenue bien générale et bien intraitable. Ce n’est plus une question de bon gouvernement et de garantie pour les droits ou les intérêts réels des citoyens ; c'est une question de bruit et de vanité. Il faut que chaque état soit une salle de spectacle où tout le peuple soit tour à tour acteur ou spectateur et dont le plus souvent possible, le monde entier entende parler. Il se peut que la population Romaine, la population bruyante, et remuante qui entraine ou annule le reste, veuille cela absolument, et que la meilleure et la plus laïque administration civile ne suffise pas à la contenter. Cependant je ne le crois pas. Je crois qu'avec l'adhésion claire et l'appui concerté des grands gouvernements européens, le Pape pourrait faire prévaloir cette politique là. Je crois en tout cas que c’est la seule à tenter, car c’est la seule qui ait des chances de succès. Hors de là, on alternera entre Mazzini et les petits abbés, deux pouvoirs également impossibles aujourd'hui et qui, l'un et l'autre, mènent Rome à sa ruine, et l’Europe à un perpétuel embarras. au sujet de Rome.
En voilà bien long, si long que je n'ai pas le temps de vous parler d’autre chose. Soyez tranquille ; je vous répète que je ne serai point de Conseil général. J'ai fait ce qu’il fallait pour cela. L’élection se fait aujourd’hui. C’est un conservateur de mes voisins M. Thiron, qui sera nommé. Adieu, Adieu. Adieu. Je vais faire ma toilette

Onze heures
Votre lettre est très intéressante, ne vous occupez pas de le sœur de Chopin. Elle a eu un passeport et est arrivée à Paris, une permission de six semaines. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 25 juillet 1849
8 heures

C’est évidemment à cause du Dimanche que je n'ai pas eu de lettre hier. Dans mon impatience, j’avais mal fait mon calcul. La poste n'est pas partie de Londres dimanche.
La petite scène du Havre a bien tourné. De bons juges m’écrivent de Paris : " Tout compté et bien compté, ce n'est point à regretter. Puisqu'il n’y a rien eu de grave autant vaut au risque de quelques embarras et de quelques inquiétudes, que vos éternels adversaires vos ennemis naturels aient fait la faute de provoquer ce qui a houleusement échoué. Il ne faut pas regretter l'éclat qu’ils ont donné à votre rentrée. Votre retour en France est un fait considérable. Il est considérable pour vos amis comme pour vous-même, en raison de votre passé et probablement aussi en raison de vôtre avenir. On l’a compris on le comprend, et l'on n'a pas su dissimuler sa mauvaise humeur. Encore une fois, tant mieux. "
Je n'ai encore lu Aberdeen et Brougham que dans le Journal des Débats. Mais ce que j'ai admiré, c’est Lord Palmerston sur l’Autriche. Quel aplomb, pour parler poliment ! Il a raison, puisqu'on l’écoute sans lui répondre. Il y a des gens qui lorsqu'ils ont fait des sottises en disant leur mea culpa, comme M. de Montalembert. Lord Palmerston se glorifie, en s’indignant qu'on l'ait cru capable de ce qu’il a fait. Vous voyez bien que le Pape rentrera à ses propres conditions. Pas plus à Paris qu'à Vienne, on ne lui demandera de partager sa souveraineté. J'étais bien violemment attaqué il y a dix-huit mois pour avoir écrit à M. Rossi qu’il ne devait ni ne pouvait le faire. Que de peine se donnent, et que de mal se font les hommes avant de revenir à l'idée juste qui leur aurait tout épargné. Adam Smith dit quelque part : " Telle est l’insolence naturelle de l'homme qu'il ne consent à employer les bons moyens qu'après avoir épuisé les mauvais. "
Je reçois toujours beaucoup de visites. Evidemment ; mes amis n’ont pas peur. Comme je ne mettrai pas leur courage à l'épreuve, il aura le temps de s'affermir. J’attends demain Armand Bertin. vous ne me donnez pas assez de détails sur votre santé. Je les demande à moins que vous ne me disiez que, moins vous en parlez mieux vous vous portez. Votre superstition peut seule me faire accepter votre silence.
Le beau temps a disparu. La pluie revient dix fois par jour. Je me promène pourtant. Les bons intervalles ne manquent pas. Je me lève de bonne heure. J’écris ; ma toilette, la prière. Nous déjeunerons à 11 heures. Promenade. Je fais mes affaires de maison et de jardin. Je remonte dans mon cabinet à une heure. J'y reste, sauf les visites. Nous dînons à 7 heures. Je me couche à 10. Quand le flot des visites se sera ralenti, j'aurai assez de temps pour travailler. Je veux faire beaucoup de choses. Adieu jusqu'à la poste.
Je suis bien aise que votre fils soit revenu. N'allez pourtant pas souvent à Londres si le choléra y persiste. Je crois que vous pouvez affranchir vos lettres. Mes filles en reçoivent souvent de leurs amies Boileau qui arrivent très exactement. Je vous le dis sans scrupule, car je suis écrasé de ports de lettres. Si nous apercevons la moindre inexactitude, nous cesserons.

Onze heures
Deux lettres. Le dimanche et le lundi viennent ensemble le Mercredi. Vous avez raison. Deux lettres et une seule enveloppe. Et deux lettres longues, charmantes. Adieu. Adieu. La poste m’apporte je ne sais combien de petites affaires qu’il faut faire tout de suite. Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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5 Val Richer, Jeudi 16 Juillet 1846
7 heures

Je me lève. J’étais dans mon lit et endormis hier avant dix heures. Depuis que je me repose je sens ma fatigue. Je voudrais vivre comme La Fontaine : Quant à son temps, bien le sut dispenser ; Deux parts, en fit, dont il voulait passer L’une à dormir, et l’autre à ne rien faire. Je n'entre dans mon Cabinet, je ne me remets à mon bureau avec plaisir que pour vous écrire. Cela passera ; non pas, mon plaisir à vous écrire, mais mon besoin de ne rien faire. J'étais vraiment bien fatigué. Il n’y a qu’un plaisir qui s’allie très bien avec la fatigue, c’est celui de la conversation, de la conversation douce, intime, sans but, pur plaisir. Celui-là n'existe pour moi qu'avec vous. Si je pouvais faire mes affaires en en causant avec vous, sans autre souci que de chercher et de décider avec vous ce qu’il faut faire, laissant ensuite à d’autres le soin de l'exécution avec les autres, ce serait le Paradis, un Paradis paresseux, mais charmant.
Dites-moi votre avis sur ceci. Faut-il attendre que Palmerston ait parlé à Jarnac des affaires d'Espagne et lui ait indiqué sa disposition ou bien faut-il que Jarnac, prenant l’initiative, aille droit à Palmerston et lui dise : « L'Infant D. Enrique va arriver à Londres ; le parti progressiste veut en faire son instrument et votre candidat. Ce sera le retour de l’ancienne situation qui a été si nuisible au repos de l’Espagne, et à la bonne intelligence entre nous ; la France et les Modérés, l'Angleterre et les Progressistes, deux mariages, deux gouvernements ; une lutte continuelle, dans laquelle nous aurons l’air d'être les patrons, et nous ne serons que les instruments des partis Espagnols. Voulez-vous que nous coupions court à tout cela, et que nous travaillions, ensemble, sincèrement activement, à marier promptement la Reine d'Espagne à l’un des fils de D. François de Paule à celui qu’elle et son gouvernement préfèreront ? Nous sommes prêts ? C’est là, je crois ce qu’il y aurait de mieux. J’ai posé hier la question au Roi. J’attends sa réponse et la vôtre qui est déjà dans votre lettre d’hier. 9 heures Voilà une lettre qui me désole. Moi, Marion, Verity absents, c’est trop. Je vais attendre bien impatiemment la lettre de demain, j’espère que vos yeux ne s'obstineront pas à mal aller. Vous avez déjà eu souvent ces oscillations. Je me dis ce que j'ai besoin de croire. Si vous revenez à votre gold anointment (est-ce le nom ?), faites le vous-même plutôt que de le faire faire par Chermside.
Comment réussit Mad. Daucan ? Au moins, elle sera bonne pour vous lire. Tant que vous serez inquiète de vos yeux, vous serez mieux à Paris qu’à St Germain. La solitude est le pire. Je suis vraiment bien fâché pour cette pauvre Marina. Elle vous convenait. Le mal est-il si avancé qu’il n’y ait rien à faire ? Sinon, elle ferait bien d’aller consulter, M. Velpeau, ou M. Jaubert, ou M. Cloquet. Ce sont les habiles en ce genre. Avez- vous quelque femme de chambre en vue ? Qu’est devenue votre ancienne Marie ? Je vous questionne à tort et à travers. Si j'étais là, je saurais tout et je ferais quelque chose. Il me paraît difficile que vous ne donniez pas une petite indemnité au courrier qui vous a attendue, et ne s’est pas engagé à d'autres. Je n’ai pas d’idée du chiffres. Entre 60 et 100 fr. Ce me semble. Je dis cela au hasard. J’ai trouvé en effet, au fond de la grande enveloppe, une lettre particulière de Rayneval. Absolument rien qu’un compliment sur la mort de Mad. de Meulan.
Bonnes nouvelles de Rome. Rossi a présenté ses lettres d’Ambassadeur. Bon discours au Pape. Bonne réponse du Pape. Excellente position. Les Autrichiens se disent très contents de l’élection du Pape. Au fait si le cardinal Autrichien Gaysruck était arrivé à temps, il se serait opposé au choix de Martaï. Cela paraît certain. Il n’est plus guère douteux que le Pape ne fasse bientôt l’amnistie et des améliorations considérables dans les états romains. Gizzi Secrétaire d’état à peu près sûr. Amal, à l'intérieur ; moins sûr, mais probable. Tous deux très bons. Adieu. Adieu. Je recommande à Génie de vous montrer une dépêche de Naples qui vous amusera. Adieu. Que Dieu garde vos yeux ! Et vous toute entière ! Adieu.
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