Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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348. Londres, mercredi 22 avril 1840
10 heures

J’ai le cœur bien soulagé depuis que je suis tranquille sur ma fille. Je me surprends toujours à me dire tranquille. Il est vrai que je le suis comparativement. Mon courrier m’a apporté ce matin la lettre  de Lady Clanricarde, plus spirituelle que nouvelle mais très spirituelle, comme vous dites et écrite d’un ton ferme quoiqu’un peu verbeux. Ses idées marchent mieux que ses phrases. Evidemment elle ne se plaît pas à Pétersbourg et je le comprends. Je serai bien aise quelle revienne à Londres et de faire un peu connaissance avec elle. Entre nous, je rencontre ici, comme ailleurs du reste bien peu de femmes d’esprit. Je ne m’en plains pas. J’aime que ce que j’aime soit rare. J’aime encore mieux que ce soit unique. Le premier, le plus fort de tous les orgueils, c’est l’orgueil tendre. J’ai celui-là au plus haut degré. Je suis content de mon courrier de ce matin. Il m’a apporté des lettres qui me mettent en mesure de faire faire, si je ne m’abuse un pas à ma grande question. On est fort content de la façon dont j’ai arrangé la médiation de Naples. J’espère que, de son côté, le Roi de Naples entendra raison. J’en serais sûr s’il n’y avait pas là une question d’argent. Son avarice sert merveilleusement sa dignité. En tout cas, les hostilités vont être suspendues ; et j’en suis fort aise. Les mécontents Italiens étaient déjà à l’œuvre. Du reste il n’y a rien à faire pour moi cette semaine. Lord Palmerston est à Broadland  et n’en reviendra très probablement que Lundi.
Thiers m’annonce qu’il va m’envoyer le grand Cordon.

4 heures
Je voulais répondre avec détail au 348, faire aujourd’hui même ce que vous désirez. J’ai été pris par des visites du corps diplomatique, Hummelauer, Björnstjurna & &. Comme tout le monde est parti, je suis un peu leur ressource et je ne m’y refuse pas. Je n’ai pas le temps de vous écrire ce matin à mon aise. Ce sera pour demain.
Vous avez parfaitement raison de ne pas vous mêler de M. de Brünnow. Il ne faut pas parler de ces choses-là par complaisance pour l’humeur d’autrui et sur des ouï-dire. Quand vous serez ici, quand vous aurez vu, vous direz ce que vous aurez vu, s’il vous convient de le dire et comme il vous conviendra. Mais je vous le dis d’avance; si c’est là un homme d’esprit Russe, tant pis pour les Russes. Cela ne ressemble pas du tout à Matonchewitz. Dans le monde où je vis ici, M. de Brünnow ne sera jamais qu’un étranger subalterne et déplacé.
Votre modification sur le duc de Bordeaux est considérable, et le contentement m’étonne un peu. J’ai tort ; ce n’est pas vrai. A la place de M. le duc de Bordeaux, je ne me laisserais pas dissuader. Je mettrais dans l’embarras.
Mes nouvelles domestiques sont très bonnes. Ma mère se remet de l’agitation que lui causait sa responsabilité. Vous seriez profondément touchée de sa lettre de ce matin ; à 75 ans, une telle ardeur de cœur, tant de passion sous la gravité du caractère et de l’âge ! J’ai interdit à Pauline de m’écrire tant que cela la fatiguerait le moins du monde. Henriette la remplace.
Bülow et Alava sont venus dîner hier avec moi. Le Roi de Prusse a été assez malade. M. de Humboldt ne l’a pas vu pendant quinze jours. Il est mieux. Il a recommencé à sortir. Le Roi de Hanovre aussi a été réellement malade. Je ne savais pas à quel point il était ici odieux et décrié : non pas qu’on ne lui accorde les bonnes qualités que vous m’avez dites ; mais on lui attribue en même temps les plus mauvaises, les vrais vices. Et si peu d’esprit à côté ! Vous n’exigez pas, n’est-ce pas, que je prenne la défense de cet ami-là ? Pourtant son amitié pour vous m’a paru si sincère qu’au fond je lui porte un peu de bienveillance. Hummelauer m’annonce le Prince Esterhazy pour les premiers jours de mai. Pourtant, ils n’ont encore aucune date précise pour son départ.
Adieu. Si vous ne me donnez pas de meilleures nouvelles de vous, je compte que vous m’en donnerez d’Andral. Il demeure rue des Petits Augustins N°5 ou 7 Adieu. Adieu.
Voilà une lettre bizarrement pliée. Je n’ai pas sous ma main les enveloppes convenables.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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355. Londres, Jeudi 30 avril 1840
8 heures

Je vais déjeuner aujourd’hui à Battertea chez un des favoris de la Duchesse de Sutherland, le Dr. Khay. On veut me faire voir là et à Norwood, de grandes écoles populaires en attendant que j’aille à Eton et à Oxford voir les écoles aristocratiques. A Norwood, je m’enquerrais aussi d’autre chose. Le soleil est décidé à ne pas quitter Londres. Il y fait pourtant une pauvre figure, dans son plus grand éclat. Hier, à dîner, chez Lady Lovelace, l’évêque de  Norvich, bon homme un peu ridicule, un M. Villiers, frère de Lord Clarendon. Tous ses frères ont de l’esprit. Vous savez que Lady Lovelace est la fille de Lord Byron, cette petite Oda sur laquelle il a fait des vers charmants. Elle a de très jolis yeux et l’air spirituel naturel et affecté à la fois. Vous arrangerez cela, car cela est, et même, je trouve cela assez comme en Angleterre. Ils sont naturels et point à l’aise dans leur naturel ; d’où leur vient l’affectation. Je me suis ennuyé. J’ai été finir ma soirée chez Mad. Grote au milieu des radicaux. Mad. Grote, devient un personnage. Lady Palmerston l’a invitée à une soirée. J’ai entendu avant-hier Lady Holland faire un petit complot pour l’avoir à dîner la semaine prochaine à Holland, house, et bien recommander à Lord John Russell d’y venir et de plaire à Mad. Grote. Ils ne lui plairont pas, et elle ne leur plaira pas. Elle a de la hauteur et prend de la place. Ils ne lui en feront pas assez ; elle aimera mieux être reçue des radicaux chez elle qu’une étrangère poliment accueillie, à Holland house. Les complaisances aristocratiques ne peuvent plus se mettre au niveau des fiertés démocratiques. Il peut y avoir là des rapprochements sérieux et sincères, par nécessité, par bon sens, par esprit de justice. Tout ce qui est factice, superficiel, momentané ne signifie plus grand chose. On n’aura pas le vote de M. Grote comme Don Juan a eu l’argent de M. Dimanche.
J’ai été voir hier Lady Palmerston, fort contente de son petit séjour à Broadlands, pas rajeunie pourtant ; je lui trouve l’air fatigué. Elle a besoin de toilette. Le négligé du matin ne lui va plus. Elle est préoccupée des Affaires de Naples. A part l’intérêt du moment, cela lui  déplaît qu’on dise que les révolutions naissent sous la main de Lord Palmerston et de le craindre elle-même un peu. Nous attendons des nouvelles. Je pense que j’aurai un courrier ce matin. Voilà mon courrier. Il m’apporte : 1° de de longues dépêches sur Naples et l’Orient avec de curieuses conversations de Méhémet Ali ; mais point de réponse encore du Roi de Naples. Cela m’impatiente. 2°des lettres et des livres des Etats-Unis d’Amérique où l’on me reproche d’avoir dit trop de bien de Jefferson. 3° l’ouvrage de M. de Tocqueville sur la démocratie en Amerique. 4° Le grand cordon de la légion d’honneur, pour que je le porte demain.
Je vis bien à découvert avec vous. Je vous montre tout, même les petits mouvements de vanité que je méprise.
Je vous quitte pour ma toilette. Je vous dirai encore un mot avant de partir pour Batterrea. J’espère bien que la poste arrivera, auparavant. Mais c’est aujourd’hui mon mauvais jour. Je n’aurai probablement rien de vous.

10 heures et demie
Je monte en voiture, et vous êtes charmante. Mon mauvais jour est excellent. Je ne veux point de mauvais jour. Il n’y en aurait point pour vous si je pouvais écrire le dimanche. J’espère bièn être rentré avant le départ de la poste. Mais à tout hazard, je ferme ma lettre et je la donne à M. Herbet. Si je reviens assez tôt, je la rouvrirai et je vous dirai encore adieu. En attendant Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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365. Paris, Mercredi le 6 mai 1840
10 heures

Dieu merci le mardi est passé. Je le déteste. J’ai eu hier une longue visite de Montrond. Toujours la même chanson, l’amour du Roi pour M. Thiers. Il ne lasse pas, quoique de mon côté je ne me lasse pas non plus de lui dire que je n’en crois pas un mot. J’ai été au bois de Boulogne, mais le froid m’a saisi je suis revenue. J’ai été faire ma cour à Madame. Elle m’a reçue. Le roi y est venu. Il a beaucoup parlé, avec beaucoup d’esprit comme de coutume. Il a parlé de toutes choses, mais il n’a pas promoncé un nom propre. Je lui ai fait compliment sur sa prodigieuse fécondité dans ses réponses le 1er de mai. J’ai pris la liberte d’applaudir à ce qu’il a dit, et à ce qu’il n’a pas dit. Il a paru très sensible à cette dernièrs observation.
"J’ai eu ma satisfaction sur messieurs les députés, je suis charmé que vous l’ayiez remarqué.’ En parlant de toutes choses le seul individu désigné, quoique pas nommé a éte M. Molé. " Ces messieurs après avoir mis tout en œuvre pour tuer la loi de dotation, afin de tuer mon ministère arrivent deux heures après me faire visite et se confondre en regrets de ce qui venait d’arriver." !!
Il s’est dit content pour le moment. Je n’ai vu percer aucune amertume marquée, je n’ai point remarqué en lui l’énorme changement que signalent les diplomates. Il était in spririts, parfois très drôle, content de l’affaire de Naples, très décidé pour la paix de tous côtés, parlant très bien sur l’affaire de l’Orient, relevant avec satisfaction le beau Débat à la Chambre des Pairs, du raisonnement sur la direction des esprits en France. Voilà à peu près comme la demi-heure a été remplie.
J’ai fait une courte visite à Lady Granville. Son mari est souffrant et couché. J’ai dîné seule. Le soir j’ai vu Appony, Brignoles, mon ambassadeur, Médem, Escham, Carreira, l’internonce, le duc de Noailles. Celui-ci raconte qu’il y a beaucoup d’intrigues ou du moins beaucoup de bavardages ; on fait de nouveaux ministères dont vous êtes, on clabaude. M. de Lamartine a des conciliabules chez lui. C’est le plus animé, et le moins compatible. M. Molé sent que lui, Molé, est hors de question mais il souffle pour qu’on renversa. Le parti conservateur est très raffermi. Le journal des Débats lui donne courage. Le journal des Débats ne serait pas si hostile au ministère, s’il n’avait de bonnes raisons de croire à sa chute prochaine. Voilà le rapport de M. de Noailles, qui finit toujours par "vive Thiers", car il a beaucoup de goût pour lui.
Appony venait de chez le roi. Il était de belle humeur. Le Roi va donner à dîner au corps diplomatique trois diners de suite. Mad. la duchesse d’Orléans tousse beaucoup ; elle est encore au lit. On prend beaucoup de précautions autour du roi qui n’a jamais eu la rougeole. Elle est très générale ici. J’attends votre lettre.

2 heures.
Je l’ai reçue pendant, ma toilette. Le dernier mot de votre speech à l’Académie est charmant. Je vous remercie de me l’avoir envoyé. Au fond vous avez raison d’avoir parlé avec un peu d’étendue surement on eut été désapointé du contraire. Le roi m’a fait des questions sur l’Angleterre, des questions générales sur la disposition des partis. J’ai écrit ce matin à Lady Palmerston, mais ma lettre ne partira que dans deux jours. Adieu. Adieu. Vous ne savez pas combien je pense à vous toujours. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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428. Londres, 2 octobre 1840, Vendredi,

8 heures J’ai oublié de vous dire hier que j’avais été à Chiswick, avant hier mercredi. J’y ai passé deux heures, me promenant avec mon ambassade. J’aurais mieux aimé être seul. Dans le commun de la vie, à dîner après dîner, je suis bien aise d’avoir du monde, n’importe qui. Il y a des heures pour lesquelles tout est bon. Mais dans un beau lieu, par un beau temps, quand ce qui m’entoure me remue l’esprit ou le cœur, il me faut le bonheur ou la solitude. Chiswick est une maison déplacée. Les prétentions italiennes sans la Brenta ; le soleil sans toute cette nature brillante et chaude qui anime et embellit la plus petite architecture. Et au bas de l’escalier dans un coin, une grande et pauvre statue de Palladio assis qui a l’air de s’ennuyer et de grelotter. Il n’y a du joli que dans le midi. Le Nord ne peut prétendre qu’au beau. Je reproche à Chiswick de prétendre au joli. Au dedans comme au dehors. C’est trop petit, trop orné.
Les femmes de la Provence se bariolent de rubans de toutes couleurs, de bijoux d’or, d’argent, de pierres de toute espèce. Cela va à leur petite taille lègère, à la vivacité de leurs mouvements, à leur gentillesse d’esprit et de corps. Lady Clanricard était l’autre jour à Holland house, toute enveloppée de mousseline blanche avec une seule pierre au milieu du front. Elle était très belle. Les maisons sont comme les personnes. Chacune selon son climat. Il y a, dans Chiswick, des trèsors de peinture. J’ai beaucoup regardé les tableaux, la plupart d’Italie aussi ; point évidemment sous un autre ciel, pour une autre lumière ; mais beaux partout. Des Papes admirables.
Le parc, voilà l’Angleterre. Que j’aurais pu m’y promener avec délices ! Je n’ai vu nulle part, même ici de tels gazons ; si épais, si fins. C’est du velours qui pousse. Ce serait un meilleur lit que les lits anglais. La serre est charmante. Je crois qu’à tout prendre j’aime mieux Kenwood. C’est plus simple et plus grand.
Lady Holland m’a raconté que M. Canning malade lui ayant dit qu’il allait à Chiswick 
" N’allez pas là. Si j’étais votre femme, je ne vous laisserais pas aller là.
- Pourquoi donc ?
- M. Fox y est mort. "
M. Canning sourit. Et une heure après, en quittant Holland house, il revint à Lady Holland, tout bas : " Ne parlez de cela à personne ; on s’en troublerait. "

2 heures
Ne me demandez pas de ne pas m’inquiéter. Résignez-vous à me savoir inquiet, car je ne me résignerai pas à vous savoir malade. Quand nous nous sommes pris for better and for worse, l’inquiétude était dans les worse. Il faut l’accepter et la subir. Inquiet de loin !
Vous avez vu mon petit médecin. Vous ne lui avez pas dit un mot de votre santé. Je ne veux pas vous gronder aujourd’hui. Qui sait si ma hier que j’avais et lettre en arrivant ne vous trouvera pas encoré malade ? Je ne veux vous envoyer que de douces, les plus douces paroles. Mais, je vous en conjure, pensez-un peu à mon inquiétude. Faîtes quelque chose pour ma sécurité. Je me sers de ce mot en tremblant. Il n’y a point de sécurité. Et pourtant il m’en faut. J’en veux avoir sur vous. Ce n’est pas vivre qu’être inquiét pour vous. J’espère que Chemside a raison, que c’est un Cold. Je vous ai vu cela. Vous aviez des crampes dans la région du cœur et de la poitrine. J’aurai des nouvelles demain, bonnes, n’est-ce pas? Il y a eu un second conseil hier. Il y en aura peut-être encore un ce matin. Demain, conseil à Claremont. Mais celui-ci est insignifiant. Les autres le seront peut-être aussi.
Je n’ai jamais été plus actif dans le présent, plus incertain sur l’avenir. Il faut que je vous quitte. J’ai beaucoup à écrire le pour le courrier de ce soir. Adieu. Adieu, comme le 30. Le 30 vous êtiez bien souffrante. Et pourtant quel beau jour ! Mais il n’y a point de beau jour de loin si vous êtes souffrante. Ils sont déjà bien peu beaux quand même vous vous portez bien. Adieu Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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6 Du Val Richer Jeudi 17 août 1843
8 heures

Mon paquet retardé m’est arrivé hier soir, à 10 heures et demie. J'étais déjà couché. Par je ne sais qu’elle méprise du courrier, ce paquet était allé me chercher à Bayeux d'où on me l’a renvoyé. Je vais demander des explications et faire reprimander sévèrement le courrier. Mais j’ai le cœur content depuis que j’ai mes lettres, c’est-à-dire ma lettre. Il n’y avait rien de grave dans le paquet des dépêches, et le retard n’a point nui. Je n'en viens pas moins de régler notre départ pour lundi 21. Nous irons coucher, à Evreux ; et je serai à Auteuil mardi dans la matinée. Il serait possible que je fusse obligé de ne partir d’ici que mardi et de n’arriver à Auteuil que Mercredi. Mais j’espère lundi.
Vous ne croyez pas au 26. Vous aurez, nous aurons mieux. Je suis bien aise que Bulwer aille à Londres. Vous lui avez très bien parlé très véridiquement et très utilement. On fera une faute énorme si on fait du bruit contre le mariage Aumale. Au fond, si nous voulions ce mariage, si les raisons françaises et Espagnoles étaient en sa faveur, je n'aurais pas grand peur de ce bruit Européen. Je le crains parce qu'il est inutile et deviendrait fort dangereux s’il faisait de ceci, pour la France et pour l'Espagne, une question d’indépendance et de dignité nationale. Du reste, je ne sais pourquoi je vous répète là ce que vous avez dit à Bulwer. M. de Metternich, sous des apparences réservées et douces, me paraît bien préoccupé du comte d'Aquila, préoccupé surtout de la crainte que le Roi de Naples ne reconnaisse, avant l’Autriche, la Reine Isabelle, et ne s'échappe ainsi du bercail, comme fit, il y a quatre ans le Roi Guillaume. Il y aurait là, en Italie un acte et un germe d'indépendance qui lui déplairait fort. C’est évidemment une affaire qu’il faut conduire sans en parler beaucoup, et sans admettre une discussion préalable. En tout, je ne m’engagerai dans aucune discussion de noms propres. Je resterai établi dans mon principe, les descendants de Philippe V. C'est à l'Espagne à prononcer et à débattre les noms propres. Votre Empereur a déclaré aux Arméniens Schismatiques, dont le Patriarche est mort dermièrement qu’il ne consentirait à une élection nouvelle qu'autant que la nation entière reconnaitrait la suprématie spirituelle du Synode de Pétersbourg. La nation a refusé. L'Empereur a interdit toute élection et confisqué en attendant les biens du Patriarche, qui sont considérables, dit-on. Cela fait du bruit à Rome. Le Pape protégera les Schismatiques contre l'Empereur.
La lettre d'Emilie est bien triste. Et celle de Brougham bien vaniteuse.
10 heures
Voilà les numéros 7 et 8. Vous avez très bien fait. Je crois comme vous, à la vertu de la vue de ce qui a été écrit sans intention. Je ne réponds plus sur le 20. Il est devenu le 22. Je vous quitte. J’ai à écrire à Génie et à Désages. Je ne crois pas à Espartero sur un bateau à vapeur entre à Bayonne. Ce serait trop drôle. Adieu. Adieu. Je suis charmé que l’air de Versailles vous plaise. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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11. St Germain, vendredi 3 heures.
Le 18 août 1843

J’ai répondu trop courtement tout à l'heure à votre lettre. J’étais pressée de renvoyer Etienne. Je suis très frappée de ce que vous me dites sur Metternich et Naples. Il faut lui enlever cette clientelle, ou plutôt ce client. Faire reconnaître par Naples. Je crois moi, en tout, que vous menerez bien cette affaire là. Elle est grande vous vous y ferez hommes. Mais il faut la surveiller et la suivre de très près.
Samedi Midi le 19 août. Je fus interrompue hier par l'arrivée des [Delosdeky], de Rodolple Appony. Ils sont restés jusque près de l'heure du dîner. Le mari va aujourd’hui à Dunckerque où il s'embarque, & la femme au Havre où elle reste. Elle a eu une lettre de mon frère par laquelle il est évident, qu'il voudrait que sa femme passât l'hiver à Paris pour se débarrasser d’elle, & il garderait Sophie. The better half, et nous aurons the worse. Nous avons eu à dîner le prince Kourakine et M. Balabine. Vous ne vous attendez pas que cela me fournisse quoi que ce soit à vous dire. Voici huit jours depuis votre départ. Et bien le temps a passé. il passe sur l'ennui comme sur la joie. Mais Dieu merci il n’y a plus que trois jour. Que vous aimeriez St Germain ! C’est charmant et un air si pur si bon. Une heure. Votre lettre m’arrive. Je suis enchantée que vous ayez renvoyé à Londres, avec le changement. Décidément c’est avec Londres qu'il faut s’arranger, et vous y parviendrez. Comment Espertaro serait vraiment en France ? C’est certainement original. Depuis votre lettre qui fixe Mardi pour votre retour je médite sur les moyens de m'échapper. Si je le puis convenablement vous savez bien que je le ferai, mais si cela devait offenser ou chagriner cette bonne jeune comtesse, je ne pourrais pas. Vous ne sauriez croire toutes les attentions qu’elle a pour moi. Adieu. Adieu. Il me semble donc que je ne vous lirerai plus que demain. Je mens, je vous écrirai, toujours puisque Genie saura bien où vous trouver. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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2 Château d’Eu Dimanche 7 sept. 1845,
Midi

Je reviens du déjeuner. A côte de la Princesse de Salerne qui a voulu causer beaucoup. J’espère que la conversation a été plus agréable pour elle que facile pour moi. Les sourds feraient bien d’être tous muets. Bonne personne du reste avec cette dignité timide, un peu embarrassée et pourtant assez haute que j’ai vue à tous ce que j’ai connu de la maison d’Autriche. La Reine dit que l'archiduchesse est le portrait de François 2. A ma droite, sa dame d’honneur, la marquise de Brancaccio, sicilienne, femme d’esprit, dit-on, et qui en a bien l’air. Elle m’a parlé de la Sicile avec une verve de colère et d'opposition qui m’a plu. " On néglige toujours la Sicile. On opprime toujours la Sicile. Les ministres changent, l'oppression reste. Nous avons des ministres siciliens mais ils sont en minorité. Prenez la majorité. Venez chez nous nous enseigner comment on s'y prend. " Souvent, chez les Italiens, le naturel et la vivacité des impressions commandent la franchise.
Le prince de Joinville est arrivé ce matin, à 6 heures. Toujours grande incertitude, sur le moment de l’arrivée de la Reine. Ou aujourd’hui, vers 6 heures ; ou demain, à 5 heures du matin, ou à 5 heures du soir. Je parie pour aujourd’hui. D’abord, parce que j'en ai envie, ensuite parce que la Reine des Belges a écrit que c'était fort possible. Ils (le Roi et la Reine des Belges) sont allés la recevoir à Anvers hier samedi entre 1 et 2 heures. Nous nous mettons en mesure ici pour toutes les hypothèses.
J’aurai bien peu de temps pour causer, avec Lord Aberdeen. Je veux pourtant lui dire tout l'essentiel. Je vous promets qu’il passera avant moi. Les peintres sont encore, à l'heure qu’il est, dans la Galerie Victoria. Si la Reine avait le temps de se promener, elle verrait réalisées, aux environs du château, toutes les idées qu’elle a suggérées, les désirs qu’elle a indiqués ; un parc fort agrandi, de belles routes au lieu des mauvais chemins & &. Mais je doute qu’on se promène une heure.
Le courrier Russe qui avait été expédié au Prince Wolkonski, l’a rencontré à Eisenach & le Prince est arrivé à Berlin où il attend l'Impératrice qui a dû y arriver avant-hier au soir et qu’il accompagnera à Palerme. Le Kamchatka après l'avoir déposée à Swinemünde, ira passer le détroit de Gibraltar et l'attendre à Gênes pour la porter en Sicile. On croit, on dit à Pétersbourg que l'Empereur s’embarquera à Sébastopol et ira voir sa femme à Palerme.
Pourquoi me cherchez vous un cache-nez brun ? Le blanc que vous m'avez donné est excellent et m’a très bien préservé. Il est parfaitement convenable.
Voilà M. Royer-Collard mort. Je pense avec plaisir que nous nous sommes séparés en vraie amitié. C’était un esprit rare, charmant et un caractère, très noble. Quatre personnes ont réellement influé sur moi, sur ce que je puis être, devenir et faire. Il est l’une de ces personnes là. Le seul homme. Il a tenu peu de place dans les événements, beaucoup dans la société et l’esprit des acteurs politiques. Il leur était un juge redouté et recherché. Adieu. Adieu. Le Roi me fait appeler en toute hâte. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham Park Mercredi 2 août 1848
Midi

J’ai eu votre lettre à 10 heures en sortant de la prière. Je m'afflige, mais je [ne] me plains pas de sa tristesse. Ni Montaigne, ni Pascal, ni La Bruyère, ni personne n'a dit la moitié de ce qu’il y a à dire sur les contradictions et les incohérences dont notre cœur est plein. Les livres sont toujours, si au-dessous des personnes, et les paroles des réalités. J'en reviens à ce que je vous disais hier matin ; si nous nous étions toujours tout dit, si nous nous disions toujours tout, nous éviterions bien des chagrins, et nous supporterions bien mieux, ceux que nous n'éviterions pas. Voulez-vous que nous essayions une fois de nous dire tout ? Cela se peut-il ? J’ai fait mon voyage sans accident. Sauf un peu de pluie qui pénétrait dans les glaces mal jointes des voitures de seconde classe du railway. Car je me suis mis dans une voiture de seconde, classe très passable d'ailleurs. J’ai trouvé que plus d’une livre, pour cinq personnes était une économie à faire. M. Hallam et sa fille qui venaient par le même train se sont un peu étonnés. Mais c’est un étonnement qui ne me nuit pas. Je suis ici dans une bonne et grande maison de Country gentleman. Sir John est parfaitement content de deux choses, de sa maison et de me la montrer. Orgueilleux d'être anglais. Orgueilleux de descendre d’un Français. Des souvenirs de France étalés avec une complaisance affectueuse au milieu des conforts d'Angleterre. Et au bout de la pièce d’eau qui orne le parc, un pavillon portant mon nom. Whig, et whig plus vif que je ne croyais, il me pardonne tout puisque je lui fais le plaisir d'être son cousin. Mais il veut me réconcilier avec Lord Palmerston. Il m’en a dit hier tout le bien imaginable.
Vous avez raison ; l'Angleterre est heureuse. Tout lui tourne bien. Mais elle a droit d'être heureuse, car elle se conduit bien. Je ne connais pas de justice plus complète que celle de Dieu envers l’Angleterre à propos de l'Irlande en ce moment. L'Angleterre fait honnêtement sensément, courageusement depuis 30 ans, tout ce qu'elle peut pour soulager les maux de l'Irlande, les maux qu’elle lui a faits depuis 300 ans. Elle n'y réussit guères. L'Irlande reste pour elle, un fardeau énorme, une plaie hideuse. Et en même temps que l’ancien crime est puis le bon vouloir actuel est récompensé. L'Irlande ne vient pas à bout de devenir, pour l'Angleterre un danger. La bêtise irlandaise vient en aide à l'impuissance de la sagesse anglaise. Le volcan gronde toujours et n'éclate jamais. Il faudra un temps immense à l'Angleterre bien intentionnée pour guérir le mal et se guérir elle-même du mal de l'Irlande. Mais elle y réussira, si elle en a le temps, et j'espère que Dieu le lui donnera, car elle le mérite. Plus je regarde cette société-ci, plus je lui porte d'estime, et lui veux de bien. Il y a dans la maison., M. Hallam, son fils et sa fille, un dean d'Ely et sa femme. On attend demain l’évêque de Norwich, et je ne sais combien de Stanley. Nous étions déjà 21 ce matin à déjeuner. J’écris à lord Fritz-William pour décliner son invitation. J'attends impatiemment des nouvelles d'Italie. Il est clair qu'entre Autrichiens et Piémontais la mêlée est vive, et qu'aux dernières nouvelles il n’y avait point de vainqueur. Je ne connais rien de plus ridicule que cet immense bruit que font partout les Italiens, laissant d'ailleurs le Roi de Sardaigne à peu près seul aux prises avec l’Autriche. Et si le vieux gouvernement Autrichien avait eu la moitié de l’énergie de son vieux maréchal Radetzky, il aurait certainement réprimé un mouvement si superficiel quoique si général. Je doute beaucoup que Cavaignac ait inventé et suive, dans cette affaire italienne la bonne politique que vous faisiez si bien l'autre jour. Adieu. Adieu. La poste part d’ici à 3 heures, après le luncheon, on ira se promener. Il ne pleut pas. Le pays n’est pas joli. Mais au dessus de beaucoup de navets, il y a beaucoup d'arbres. C’est bien Wymondham. Adieu. Adieu. On n'a pas encore ici le Times de ce matin. Tenez moi bien au courant de votre santé. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham Park Vendredi 4 août 1848,

Je n'ai pas de lettre. Je n'en dois pas avoir. Vous ne saurez qu’aujourd’hui que je reste ici deux jours de plus. J'en partirai lundi matin. Il n’y a pas moyen d'aller en un jour d’ici à Edimbourg. J’irai coucher Lundi à York et mardi à Édimbourg. J’y passerai le Mercredi. Je serai jeudi à St Andrews. J’y établirai mes enfants et j'écrirai à Lord Aberdeen pour lui demander quel jour il veut de moi à Haddo. Y viendrez-vous ? Si vous y venez dites-moi les projets pour que j'adapte mes mouvements aux vôtres. Nous pourrions passer là huit jours charmants. Je crains votre crainte de la fatigue. Ce qui est bien triste, c’est que demain encore peut-être, je n'aurai pas de lettres. Ce ne sera pas votre faute. Je ne me plains pas. Mais j’ai bien envie d'avoir une lettre.
Je reçois ce matin des nouvelles de Paris. Bien sombres pour le dedans et pour le dehors. Milan menace de la République, si on ne lui donne pas l’intervention. La République rouge menace Paris, si on ne donne pas à Milan l’intervention. Et si on donne l’intervention, Cavaignac ne pourra se passer pour la soutenir, de mesures qui ne peuvent se passer de l’appui de la république rouge. Bastide veut se retirer. Goudehaux veut se retirer, si en ne lui donne pas des nouveaux impôts. Il veut maintenir les anciens impôts, qui pèsent sur les pauvres comme sur les riches, et il ne le peut qu'en en établissant de nouveaux qui ne pèsent que sur les riches. Les riches se défendent. Les communistes se frottent les mains. M. Proudhon rit au nez de M. Goudehaux et de M. Thiers. Les journalistes relèvent la tête. Girardin épie le moment de prendre sa revanche sur Cavaignac. Sinon une nouvelle crise de guerre civile du moins un nouvel accès de chaos est près d'éclater, si on peut parler d'accès au milieu d’un chaos permanent. Ceux qui gouvernent la république sont très abattus. Leurs héritiers présomptifs sont très abattus. Le fardeau, chaque jour croissant, écrase ceux qui le portent, et épouvante ceux qui le regardent. Juste et universel châtiment qui ne fait que commencer. Je persiste de plus en plus à croire à la fin, et aux abymes du chemin qui mènera à la fin. Je n’ai jamais été moins désespérant et plus triste. On m'écrit : « J'ai vu chez lui M. de Girardin. Il est ferme, contenu, et passionnément irrité. Hier au soir, il est venu me voir : « La presse, m’a-t-il dit, paraîtra mardi. Je lui ai demandé si c'était sur une autorisation. « - Non - je ne sais comment cela se passera ; mais si par hasard il espérait qu’on se battra à son intention, il compterait sans son hôte. Je connais des gens qui, sous votre ministère, trouvaient que les tribunaux mutilaient la presse et que ce serait une occasion de chute. Je les ai entendus regretter qu’on n'eût pas fusillé de suite M. de Girardin. Les lâchetés qu'on entend font horreur. » Les lâchetés retardent les luttes, mais ne les empêchent pas. Tôt ou tard il faut y venir. Du reste je vois que la presse n’a pas paru mardi. On m'écrit encore : « Quelque doux que soit l'état de siège nous ne pouvons en faire une situation normale. Qui soit même si un jour on ne reprochera pas à la Constitution sa création au moment d’une dictature ? Il y a là un péché originel dont aucun baptême ne peut laver la souillure. » Vous voyez qu’on se prépare des arguments. Je suis très frappé des débats de l'Assemblée que mon Journal des débats m’apporte ce matin ; débat sur les journaux, débat sur les finances. L’attaque commence entre Cavaignac et son cabinet. Ils se défendront mal ailleurs que dans la rue, ce qui ramènera pour eux la nécessité de se défendre dans la rue. Toujours le même cercle, bien vicieux. Et que fera Francfort si Paris vient protéger Milan contre Vienne ? Vous ne me le diriez certainement pas si nous étions ensemble. Pourtant nos deux ignorances réunies valent presque une science. Adieu. On m'a mené hier à Norwich voir un Musée, une cathédrale et un château fort, et me faire voir à de vous bourgeois réunis devant la porte du château. Aujourd’hui il tonne et il pleut. Pourtant voilà un peu de soleil. Je me promènerai dans le parc. M. Hallam vient de partir. On attend d’autres voisins. Adieu. Adieu. Je vois presque de ma fenêtre les fils, du télégraphe électrique qui longe le chemin de fer. Quel dommage que nous ne puissions pas nous en servir vingt fois par jour ! Adieu. Je me porte bien. Et vous ? Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond vendredi le 4 août
2 heures

Ce n’est pas ma faute si ma lettre hier est allé à Glasgow. J'ai là tracé de votre écriture que je ne devais écrire que deux fois dans le Norfolk. C’est ce que j'ai fait. En me disant le contraire hier il était bien clair que cela devait m’arriver trop tard. J'ai bien quelque soupçon de votre laisser-aller et de vos faiblesses. Et je m'en étonne toujours un peu. Quand on vous demande une chose, vous dites oui, excepté à moi. Montebello était ici hier soir & s’étonne que vous vous soyez embarqué dans un voyage si lointain avec tant de monde. Cela coûte cher en Angleterre et quand vous ferez vos comptes vous trouverez que des bains de mer pouvaient être pris à meilleur marché plus près. Personne ne vous forçait à les aller chercher à St Andrews. Reste les visites. D'abord les voilà réduites à Aberdeen, & Lord Breadalham ; car les Argyle n'y seront pas. Elle vient d’annuler. Hier elle était assez mal, un shivering, Breadalham c'est peu intéressant. Aberdeen revient dans deux mois. Je retourne aux dépenses. Second class même qu’est-ce que cela va vous couter pour une si grande distance ? Calculez. Et voyez si le bon marché de 3 semaines à St Andrews forme équilibre. Je parie que non. Et qu’en mettant par dessus cela mon chagrin, la spéculation est de tout point mauvaise puisque vous restez encore trois jours là où vous êtes, méditez sur tout cela & revenez, that is the best thing you can do.
Je vous envoyais hier à Glasgow ma conversation avec Ellice. Intéressante, je ne pense pas recommencer ; & une lettre de L. Aberdeen, je ne puis plus courir après. Hier j’ai été à Claremont très polis et très en train. Le roi affirmatif que la France n’interviendra pas, qu’elle ne peut pas intervenir. Je le crois aussi tout-à-fait. Et qui irait on aider ? Un Roi ou la république ? Car il parait maintenant que c’est là ce que voudront les Italiens. Curieuse situation. On dit aujourd'hui que Turin a proclamé son Roi dictateur. La mode française qui va faire le tour du monde. Quel bon tour à jouer au monde. En vérité tout est drôle. il n'y a que moi qui ne le suis pas du tout Comment voulez-vous que j'aille seule courir jusqu’à Haddo pour quelques jours de Haddo ; ce serait ridicule, et par trop fatigant, & encore une fois seule impossible. Revenez, pensez y bien, moi je vais y croire, je crois si vite ce qui me plait ! Voici une lettre que je vous prie d'envoyer à Duchâtel. Vous savez sans doute où il se trouve. Adieu. Adieu. Quelle tristesse. Que Votre absence. Que de choses à nous dire. Ah que vous avez eu tort. Si vous le répariez. Adieu. Adieu.
Je m’en vais être vraie. Quand vous écrivez au crayon les adresses Je me suis dit, je parie qu’il restera plus de deux jours chez Boileau. J’ai eu tort de ne pas vous le dire ; vous avez tort de méditer cela & de me le cacher. & vous me cachez cela parce que vous craignez que je ne vous querelle sur les délais. Voilà que je suis mise au régime que vous recommandez la vérité. Et puis voyez ce qui en arrive, c'est qu'on perd du temps à se dire cela, c.a.d. à l'écrire. Pauvre lettre par conséquent & qui va vous ennuyer. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham-Park, Samedi, 5 août 1848
8 heures

J’ai eu hier une pénible alerte. Pauline est tombée de cheval. Ce n’est rien. Point d’évanouissement, point de mal de tête. Quelques écorchures et un peu d’ébranlement. Elle n’et pas en peur et s’est relevée sur le champ elle-même. Elle a dormi. Elle est bien. Je compte tout-à-fait que dans deux ou trois jours, il n’y paraîtra plus. Pourtant le long voyage d'Ecosse me préoccupe pour elle. Je suis bien près d'y renoncer. Il faut que je leur fasse prendre des bains de mer sans aller si loin.
Je n'aurai point de journaux français ce matin. Ils vont me chercher à St Andrews. Et peut-être point de lettre de vous, ce qui me déplait beaucoup plus. Car vos lettres tristes me manquent autant que vos lettres contentes.
Plus je pense à la France, plus je trouve que la situation s’aggrave, et s’aggrave sans s'abréger. Charles Albert ne se tirera pas d'affaire tout seul. Si la France ne l’en tire pas, c’est la république en Italie. Si la France l’en tire, c’est la guerre en Europe. Et dans l’une ou l’autre hypothèse, il n’y aura point de résolution assez nette, point d'action assez forte pour en finir réellement et vite. Les hommes sont devenus timides sans cesser d'être fous. On n'avancera pas. On ne tombera pas. On chancèlera, Dieu sait combien de temps, tantôt du bon tantôt du mauvais côté.

Midi
Merci de votre lettre. Je ne l’espérais guère. Vous vous trompez dans vos conjectures, sur mes réticences. Je n’avais aucun projet, même vague, de rester ici plus de trois jours. Je n’y ai consenti que parce que j’ai abrégé de six à huit jours le séjour en Ecosse. Mais vous avez raison, dans vos calculs. Le voyage d’Ecosse serait plus cher que je ne pensais. J'y renonce décidément. Et mes enfants font leur sacrifice de bonne grâce, Dieu leur en saura plus de gré qu'à moi. Et ce sera justice. On me dit qu’il y a ici près sur la côté du Norfolk d'assez bons bains de mer. On me donnera des renseignements dans la matinée. Je vous écrirai demain avec détails. Je n'ose me promettre, de ceci, le retour immédiat et définitif à Brompton. Il me faut, des bains de mer. Mais, en tout cas, plus de grande distance, et l'absence bien moins longue. Et j'espère aussi quelque interruption à l'absence. Vous ne recevrez pas ceci avec plus de plaisir que je ne vous l'écris. Quoique les lettres tristes me manquent autant, les lettres contentes me plaisent davantage. Vous qui me reprochez de ne dire non qu'à vous, vous ne savez pas ce qu’il m'en coute de ne pas vous dire toujours oui.
Charles Albert dictateur, et M. Rossi premier ministre du Pape ! Car il acceptera si le Pape insiste. Vous dites vrai ; le monde est drôle. Mon optimisme est mis à de rudes épreuves. Pourtant je persiste à espérer. Attendons. On attend toujours en ce monde.
J'envoie votre lettre à Duchâtel qui est à Edimbourg ou à Portobello. Quand j'aurai mes renseignements sur les bains de mer d’ici, j'écrirai à St Andrews et à Lord Aberdeen pour leur donner congé. Adieu. Adieu. Il pleut beaucoup. Adieu. G.

4 heures
Je rouvre ma lettre. Je suis très contrariée pour vous. La poste ne part pas d’ici aujourd’hui parce qu’on ne distribuerait pas les lettres à Londres demain dimanche. Vous comprendrez pourquoi vous n’avez pas de lettre. Adieu, à demain. Dimanche 6 août, une heure. Je reviens du sermon. Il faut être correct ici. D'autant que mes hôtes sont affectueux et contents de m'avoir outre mesure. Trés bonnes gens et très bon échantillon de la country gentleman life. Ne soyez pas malade, même en peinture. Il y a des bains de mer à 24 milles d’ici à Cromer, et à 18 milles, à Leicester, près d’Yarmouth. Sir John m'y mène demain avec ses chevaux. J'y choisirai un appartement. On dit qu’il y a un assez bon hôtel. Et puis j'y mènerai mes filles. Pauline est bien. Quoiqu'ayant encore besoin de deux jours de repos. J’ai le cœur bien léger de ne plus aller si loin de vous. J’écris à Glasgow, à Edimbourg, à St Andrews et à Haddo. Pour ravoir mes lettres et faire mes excuses. Et à Brompton pour qu'on m'envoie ici et à Cromer mes journaux. Ils me manquent beaucoup. Votre lettre de ce matin, me met au courant. Si Cavaignac garde Goudchaux avant- un mois, il s’appuiera sur les Communistes. Adieu. Adieu.
Pauvre Aggy ! Le départ du Roi de Würtanberg me frappe. Plus d’un Roi l’imitera. Le dégoût est dans ces rangs là. Par fatigue, par mollesse, par esprit de doute et d’égoïsme. Les grands descendent et les petits ne montent pas. Adieu. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham Park. Mardi 8 août 1848
Onze heures

J’ai cinq minutes. Je vais rejoindre à Norwich le train du chemin de fer qui va à Yarmouth. C’est à Yarmouth que mes enfants prendront quelques bains de mer. Le médecin sort d’ici. Il trouve Pauline pas mal, c’est-à-dire point de vrai mal, mais encore assez ébranlée. Il veut encore deux ou trois jours de repos. Puis quelques bains à Yarmouth, près d’ici, à peine un voyage. Les habitants de Ketteringham viendront nous y voir. A part la raison de santé, je vous dirai mes raisons pour aller à Yarmouth, près d’ici. Vous les trouverez bonnes. Je vous quitte. L’heure du train me presse. Merci de votre longue et bonne lettre qui vient de m’arriver. Je vous écrirai demain à mon aise. Adieu. Adieu. G.

Une heure On m’a fait observer que tout bien calculé, je n’arriverai probablement pas à Norwich à temps pour le train d’Yarmouth. Je n’irai donc que demain matin. Je vais là choisir un logement. Je reviendrai ici, et nous irons à Portsmouth à la fin de la semaine. Toujours pour trop longtemps mais pas pour longtemps. Le médecin n'a point d’inquiétude pour Pauline, mais elle a été [shaked] in her whole frame. Je ne lui ai pas refusé une promenade à cheval par ce qu’il y a beaucoup monté. Soyez tranquille ; je n’y monterai point. Guillaume monte très bien.
Je ne crois plus à l’intervention en Italie. On n'en veut évidemment pas plus à Paris qu'à Londres. L’Autriche cédera sur la Lombardie. On forcera les Italiens de céder sur la Vénétie. Et le Roi Charles Albert battu aura son royaume comme, s'il l’avait conquis. Quoique peu en train de rire, je ne puis m'empêcher de rire de la république ; elle copie, timidement ce qui s’est passé après 1830. La Lombardie sera la contrepartie de la Belgique. On règlera cette question là, comme l'autre, de concert entre Paris et Londres. Mais sans mettre le pied au delà des Alpes. Il faut dire de la République ce qu’on a dit de je ne sais plus qui : " ce qu’elle fait de nouveau n’est pas bon, ce qu’elle fait de bon n'est pas nouveau. "
Je compatis fort au chagrin de l'Empereur sur sa fille Olga. Mais elle a raison. Quelle honte au Roi de Wurtemberg ! Pis que le Roi de Bavière. Je suis humilié de la conduite des Rois comme si j’étais un Roi. J’ai mon Journal des Débats. On est fort en trais de refaire un autre parti conservateur. Et celui-là enterrera un jour la République. Chaque crise révolutionnaire en France fait monter au gouvernement une nouvelle couche de la société, prise plus bas. Et celle-là est à son tour forcée de devenir conservatrice, tant bien que mal. Je ne vois pas comment on s'y prendrait pour descendre plus bas que le suffrage universel. J’ai écrit à Lord Aberdeen. J’aurai demain ou après-demain tout ce qui m'a été envoyé à St Andrews. Ecrivez-moi encore ici, Adieu, Adieu. Quel plaisir quand nous nous retrouverons. Mais que de choses nous nous serions dites que nous ne retrouverons pas ! Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Mercredi le 9 août 1848
onze heures

En relisant votre petit mot de Lundi, je le trouve bien triste. Cela ne vous est pas habituel. L’accident de Pauline vous a inquiété, la maladie de votre hôte, le dérangement de votre plan d'Ecosse, tout cela ensemble vous vexe. Vous concevez surement à sentir aussi le vide, l'absence de conversation, de nouvelles, dans un moment si immense comme intérêt, importance de tous les côtés. Croyez-moi tout votre plan d’été a été mauvais. Laissez là la mer du nord. Venez de ces côtés. Etablissez vos enfants avec Melle Chabaud dans un des petits homes de mer de la côte méridionale. Quand vous ne serez pas auprès d'eux, venez auprès de moi, ce régime vous ira beaucoup mieux. Et [?] pour mer, celle au midi n’est surement pas la plus mauvaise. Pourquoi ne m'avez-vous pas écouté plutôt ! Je ne veux plus faire de reproches, mais je voudrais que vous fissiez attention à mon conseil à présent.
J’attends votre lettre aujourd'hui avec anxiété. Les affaires grossissent beaucoup à Paris, en Italie. Que va-t-il arriver, et tout de suite ? Nous pourrions parler sur cela tout le jour, que je regrette entre autre nos trios avec Aberdeen. Ce n'est pas le moment vraiment de s'éparpiller à présent.
Midi. Voici votre lettre. Ainsi Yarmouth à présent. Pardonnez moi, mais tous ces changements n’ont pas de sens. Et voilà que vous n'arriverez au but de votre voyage qu'au bout de 15 jours. Je ne me trouve guère avancée. Voulez-vous bien me dire maintenant quel jour vous reviendrez à Londres ? Je suis de bien mauvaise humeur. Je ne vois pas du tout de quoi j'aurais à me réjouir comme vous me le diriez dans votre lettre de Samedi. Je n’ai aucune nouvelle à vous mander. Vous lisez les journaux maintenant. On dit que Yarmouth est la ville la plus sale de l'Angleterre Adieu. Adieu. Lord John Russell sort de chez moi. L'Angleterre va reconnaître la République. Il espère qu'on s'entendra sur l’Italie. La frontière de l'Adige absolument, c’est ce que veut l'Angleterre, pas moins.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham-Park, jeudi 10 août 1848

Midi
Voici mes deux raisons pour cette mer-ci. Il y a ici deux jeunes gens qui me plaisent et dont l’un paraît se plaire fort à moi et à ce qui me tient. Je suis bien aise d'être quelques jours de plus près d’eux, sinon chez eux. De plus ici, le voyage est fait ; donc bien moins de dépense. Ce n’est pas à Yarmouth que nous allons, mais à Lowestoft, jolie petite ville neuve et en train de grandir, avec une belle plage. J’y suis allé hier. J’y ai trouvé une petite maison sur la plage, propre et suffisante, moins chère que Yarmouth et Cromer. Nous allons nous y établir demain. Ecrivez-moi là : 9 Marine Terrace. Lowestoft Norfolk. Le chemin de fer va jusqu’à Lowestoft. Trois trains chaque jour qui vont à Londres, en 5 heures et demie. Nous aurons nos lettres le lendemain, comme à présent. Et puis dans les premiers jours de septembre, nous n'aurons plus de lettres.
Vous espérez que je commence à sentir le vide. Je vous gronderais si j’étais à Richmond. Il est bien évident que nous ne nous sommes jamais tout dit. Je suis décidé à essayer à mon retour. Nous avons assez d’esprit pour tout entendre, et je vous aime trop pour que la confiance, qui est ce qui vous manque, n’y gagne pas. Si vous étiez bien persuadée de ce qui est, c’est-à-dire que vous êtes tout ce dont j'ai le plus besoin au monde, vous pourriez avoir comme moi quelquefois de la tristesse, jamais d'humeur. C'est fort triste d'être triste. C’est bien pis d'être mécontent. Je veux absolument réussir à extirper de votre cœur toute possibilité de mécontentement.
Votre lettre où vous me racontez Ellice me revient ce matin, avec celle d'Aberdeen. Je crois tout ce que vous a dit Ellice. Je trouve que Cavaignac s’use sans se diminuer, et que Thiers avance sans grandir. Même les coups de fusil à vent ne le grandissent pas. Il tiendra beaucoup de place dans ce qui se fera un jour, mais il ne le fera pas. Certainement si l’Autriche veut garder la Lombardie, il y aura la guerre. Je n’ai pas grande estime de la République, ni des Italiens. Mais je ne puis croire que ni les Italiens, ni la république acceptent à ce point les victoires de Radetzky. En même temps je ne puis croire que l’Autriche n'accepte pas cette occasion de sortir glorieusement de la Lombardie qui la compromet, pour s’établir solidement dans la Vénétie qui la couvre. Je croirais donc au succès de la médiation Anglo-française si Charles-Albert n’était pas dans la question. Mais les Lombards, qui ont eu tant de peine à vouloir de Charles-Albert sauveur, ne voudront plus de Charles-Albert vaincu, et l’Autriche aimera mieux donner la Lombardie à tout autre qu'à Charles-Albert. C'est de là que viendront de nouvelles difficultés, et la nécessité de nouvelles combinaisons. L’Autriche y trouvera peut-être son compte, soit pour fonder au nord de l'Italie quelque chose qui lui convienne mieux que Charles-Albert, soit pour empêcher que rien ne s'y fonde. Si Charles-Albert ne gagne, ni la Lombardie, ni la Sicile, ce sera un grand exemple de justice providentielle. Il se passe quelque chose à Madrid que je ne comprends pas. Pidal ministre des Affaires étrangères c’est bon. Mais pourquoi Moss, son beau-frère, quitte-t-il Madrid pour Vienne ? Et que signifie l’arrestation de Gonzales Bravo ? En avez-vous entendu parler ? Brignole n’est donc pas rappelé. Je le vois toujours en fonctions. Je viens de recevoir la nouvelle Assemblée nationale. Très fidèle à l’ancienne. Le seul journal qui sans dire le mot, se donne nettement pour monarchique. Quelle est l’attitude de la Presse ? Je trouve les Débats bien faits, et tirant bon parti de leur modération pour faire ressortir l'incurable instabilité de ce gouvernement qu’ils n'attaquent point. J’ai ce matin des nouvelles de Claremont. Assez bonnes. On y est de l’avis de M. Flocon et on se tient fort tranquille. J’ai aussi des nouvelles d’Eisenach. On s’y porte bien ; on y vit dignement ; en grande partie aux frais de la Duchesse de Mecklembourg. Sans voiture. Le petit Prince a reçu la visite de quelques camarades de Paris. Adieu.
Pauline va bien. Je n’ai plus aucun sentiment d’inquiétude, Sir John aussi ira mieux. Adieu. Adieu. Vous ne me dites pas si votre fils est parti. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 10 août 1848 Jeudi
midi

Lord John était très préoccupé de l’Allemagne surtout. Qu’est-ce que veut dire cette immiscion dans les affaires d’Italie ? Cette guerre au Danemark ? Ces prétentions sur le Limbourg de quoi se mêle Francfort ? Mais ni nous, ni la France, ni la Russie, ni la Prusse probablement ne peuvent le permettre. Nous espérons dans Wessemberg qu'il ait un esprit sage. Quand au Pce de Linange sa nomination nous déplait fort. La Reine est très fâchée. Nous pouvons être dans le cas de faire très mauvais ménage avec son frère. Sur l’Italie, il m’a donné à entendre que la médiation de la France & de l'Angleterre aurait pour base l'Adige. Mais d’un côté il ne sait pas si l’Autriche voudra s’en contenter après les victoires de Radzki, de l’autre il ne me semblait pas très sûr de la France qui a proclamé l’indépendance de l’Italie toute entière. Ensuite, il me dit quoique Cavaignac & Bastide. parlent dans le meilleur sens, on n’est cependant jamais très sûr du même langage deux jours de suite. Enfin il n’était pas très stons en fait de confiance, mais certainement extrêmement anxious d’éviter la guerre. On va faire venir la Reine à Londres pour un conseil où on reconnaitra la république française, et elle recevra. Talleney. Il m’a dit, " et vous aussi vous avez dit que vous reconnaîtriez." Je n’en sais rien. Le Morning Chronicle annonce ce matin que Gustave de Beaumont est nommé ministre à Londres. Ce serait du Thiers n’est-ce pas ? Voici une lettre du duc de Noailles. Renvoyez la moi après l'avoir lue. Constantin m’écrit : " Si l'armée allemande entre dans le Lettland nous intervenons et la guerre en est la conséquence. Que fera la Prusse ? Se soumettra-t-elle à Francfort ? S’exposera-t-elle à voir ses provinces envahies par notre armée ? Ou se joindra-t-elle à nous qui seule pouvons la soutenir et la rendre à son honneur national. " Les réponses de Lord Lansdown à Stanley semblent équivalentes à l’aveu que la flotte anglaise s'opposera de force à l'envoi des troupes napolitaines, contre la seule ses réponses confirment aussi de tous points ce que Lady Holland vous avait dit. Quelle conduite ! Lisez le leading article du Times ce matin, admirable. Que de topics, sur lesquels nous aurions à parler à perte d’haleine. Quel dommage, quel dommage d’être si loin. Votre petit mot ce matin est bien court. J'espère mieux demain. J'ai déjeuné hier chez la duchesse de Gloucester, bonne femme. Adieu, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham Park Vendredi 11 Août 1848,
Onze heures

Tallenay n'a pas réussi à se faire laisser l’honneur de la reconnaissance de la République. Gustave de Beaumont est un honnête homme et un gentleman. Plus de mouvement d’esprit que d’esprit, modéré d’intentions et emporté de tempérament. Point Thiers du tout. Opposé à Thiers, autrefois, quand ils étaient ensemble dans l'opposition. Rapproché de lui aujourd’hui par la nécessité, mais au fond méfiant et hostile. Un des plus actifs de la tribu Lafayette dont il a épousé la petite-fille.
On dit à Paris que Tallenay est rappelé pour m’avoir salué et dit bonjour dans la rue, ce qu'il n'a pas fait. Je serais étonné si Gustave de Beaumont, me rencontrant, ne le faisait pas. Puisque la médiation commune a lieu sérieusement, je penche à croire qu’elle réussira, au début du moins. Les embarras et peut-être les impossibilités viendront après. L'Italie ne sera pas réglée. Mais la République y aura gagné d'être reconnue, et l'Angleterre d'avoir engagé la République dans la politique pacifique au moment de la crise.
Je reviens à ce que je vous disais hier, je crois ; le Président Cavaignac sera une seconde édition du Roi Louis-Philippe. Résistance et paix. Avec bien moins de moyens, de se maintenir longtemps sur cette brèche, où il sera bientôt encore plus violemment attaqué. Ce qui est possible, ce qu'au fond de mon cœur je crois très probable, c’est que les trois grosses révolutions de 1848, France, Italie et Allemagne n'aboutissent qu'à trois immenses failures. Pour la France et l'Italie, c’est bien avancé. L'Allemagne trainera plus longtemps, mais pour finir de même. Grande leçon si cela tourne ainsi. Mais le monde n’en sera pas plus facile à gouverner. Excepté chez vous, l'absolutisme est partout aussi usé et aussi impuissant que la révolution. Et il n’y a encore que la société anglaise qui se soit montrée capable d’un juste milieu qui dure. Je suis dans une disposition singulière et pas bien agréable ; chaque jour plus convaincu que la politique que j’ai faite est la seule bonne, la seule qui puisse réussir et doutant chaque jour d'avantage qu’elle puisse réussir. La lettre que je vous renvoie est très sensée. Je vous prie de la garder. Je vous la redemanderai peut-être plus tard. Si c’est là une chimère, c’est une de celles qu'on peut poursuivre sans crainte car en les poursuivant on avance dans le bon chemin.
Savez-vous notre mal à tous ? C’est que nous sommes trop difficiles en fait de destinée. Nous voulons faire, et être trop bien. Nous nous décourageons et nous renonçons dès que tout n’est pas aussi bien que nous le voulons. J’ai relu depuis que je suis ici, la transition de la Reine Anne à la maison d’Hanovre, et le ministère de Walpole. En fait de justice, et de sagesse, et de bonheur, et de succès, les Anglais se sont contentés à bien meilleur marché que nous. Ils ont été moins exigeants, et plus persistants. Nous échouerons tant que nous ne ferons pas comme eux. Je vous envoie avec votre lettre un papier anonyme qui m’arrive ce matin de Paris, par la poste. Les Polonais sont aussi mécontents de la République que le seront demain les Italiens. Je suppose que l’un d’entre eux a voulu me donner le plaisir de voir que je n'étais pas le seul à qui ils disent des injures. La grosse affaire à Paris, c’est évidemment le rapport de la Commission d'enquête. De là naitra, entre les partis, la séparation profonde qui doit engager la lutte définitive qui doit tuer la République. Dumon m'écrit : « Si je trouve Londres trop triste, j'aurais assez envie d'aller attendre à Brighton le jour où nous pourrons rentrer en France, le jour me semble encore assez éloigné. C’est déjà bien assez pour Cavaignac d'avoir à mettre en jugement les fondateurs de la République sans qu’il se donne l’embarras de mettre en même temps hors de cause les ministres de la monarchie. » Tous les procès à vrai dire, n'en font qu’un et il n’est pas commode à juger. On l’ajournera, tant qu’on pourra. Adieu.
J’aurai demain votre lettre à Lowestoft. Je pars à 4 heure. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 11 août 1848 Vendredi
Midi

Je viens de lire votre lettre. Voici donc une nouvelle adresse pour la mienne. Si tout ce qui me donne tant de chagrin vous donne à vous un gendre, j'en serai charmée. Les nouvelles d’Italie sont excellentes. Milan pris à ce qu'il parait. Qu’est-ce qui vient faire la médiation ? Je pense que Radetzki l’enverra promener. Il est rentré at home. Personne au monde n'a le droit de l’inviter à en sortir. Savez-vous ce que je crois. L'Autriche érigera la Lombardie en état indépendant, sous un prince autrichien. Une autre Toscane. Qui est-ce qui pourra trouver à redire à cela ? Elle gardera Venise comme de raison. Tallenay est parti avant-hier soir pour Paris, furieux ; on lui a donné congé pas trop brusquement on ne sait pas pourquoi ; moi au moins je ne le sais pas ; est-ce parce qu’il m’a rencontré à Holland house ? Beaumont est arrivé. La reine va venir le recevoir. On dit que Normanby a contribué à cette nomination. Il le voyait beaucoup qu’est-ce que vous pensez de lui ? On dit que le Roi de Hollande est très mal. La nouvelle en est venue hier. Je suis charmée que vous soyez sans inquiétude pour Pauline. Ma santé est comme vous l'avez laissée. La Prusse est très intéressante comme nouvelles. Elle est mieux renseignée qu'aucun journal de Paris. Elle dit le secret des négociations très exactement, à ce que je sais. Du reste elle est assez modérée. Opposition, mais contenue. Adieu. Adieu.
Il y a bien longtemps que nous sommes séparés. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Samedi le 12 août 1848
2 heures

Votre lettre est très curieuse. Toutes vos observations justes et tristes. Je vous trouve triste en général depuis votre départ. L’air anglais est lourd, les Anglais sont lourds aussi et quand on reste quelque temps sans autre frottement, on finit un peu par la mélancolie. Je sais cela parfaitement par mon expérience. Quelle grande affaire que Milan. Quel dénouement pour Charles Albert. Quelle juste punition ! Je ne conçois plus ce que peut devenir la médiation, certaine ment les Autrichiens n’entreront pas en Piémont. Chacun étant chez soi, qui s'agit-il de concilier ? C’est certainement plus moutarde que quoi que ce soit qu’on ait jamais vu. Que votre lettre anonyme est drôle ! Elle ira à Peterhoff. A propos j’ai encore des nouvelles d'Hélène. Tous les fléaux accablent la Russie. Le choléra dans toutes les provinces. La disette, les sauterelles par dessus le marché. L’Empereur fort triste. Pierre d’Aremberg est à Londres, il est venu me voir hier, j’étais sortie, il m'a laissé un mot que je copie. " Le bilieux Cavaignac est un homme qui voudrait et qui croit à la possibilité d'une république raisonnable. Ce sont de semblables croyances dont le temps fait justice. Encore un peu de temps et la république aura tout ce qu’elle voudrait même de l’influence politique sur l’Angleterre, mais ce qui lui manquera ce sera l’argent et les républicains. J’ai visité l’Allemagne et j’ai quitté Paris avant hier. Je suis fâchée de ne pas pouvoir vous faire le récit de ma visite hier à Claremont. " Comment trouvez-vous Pierre d’Aremberg à Claremont ? Il est clair que le travail du Duc de Noailles est devenu comme à beaucoup de monde.
Je pense à aller à Tumbridge Wells, je n'en suis pas tout-à-fait sûre encore, mais j’y ai écrit pour un logement. Mon fils part mardi. Mauvais jour demain, je n’aurai point de lettres. Ce sera votre tour lundi, c'est bien ennuyeux car blank days. Il n'en faudrait pas entre nous ce qu'il ne faudrait pas surtout c’est l'absence, la séparation. Very unwholesome for both. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Dimanche le 13 août 1848 Midi

J'écris quoique ma lettre ne parte que demain. J’ai vu lord John hier. Ses nouvelles étaient, que le Roi de Sardaigne allait abdiquer : c'était le bruit de Turin le 7. Il a couru de vrais dangers à Milan. On voulait le brûler vif ou le massacrer. C’est par miracle & par ruse qu'il a échappé. On a tiré plusieurs fois sur le duc de Gènes. Lord John me semble plutôt applaudir à Radetsky que regretter ses succès. Il convient que la médiation est venue tard, puisque les Autrichiens sont rentrés chez eux il a l’air de trouver qui cela finit cette partie de l’affaire. L’archiduc Jean et Wessemberg ont dit que l’Autriche s'en tenait à ses premières offres l’Adige. Mais cela le disait avant les véritables succès. Il est douteux que cela lui suffise maintenant ; de plus Radetzky pourrait bien faire comme le général Wrangel, l’indépendant. John s’inquiète de ce que les Autrichiens sont entrés dans le Bolonais, cela, dit-il, peut compliquer de nouveau l’affaire. Quant au Piémont il se croit sur qu'ils n’y entreront pas. Le duc de Gènes n’a encore ni refusé ni accepté la Sicile. Gustave de Beaumont sera reçu par la reine Mardi à Londres. Il est Ministre. Normanby aura des lettres d’ambassadeurs spécial. Beaumont plait assez à lord John. Bunden revient ici. [?] s’en alla comme il était venu, ministre de Prusse. Le Manifeste du Prince de Linange est incroyable. Lord John n’en revient pas. Non plus que de l'incroyable confusion où se trouve toute cette Allemagne. Je ne suis pas de votre avis, je crois moi que l’Allemagne croule aussi, je veux dire l'unité. Vous voyez que personne n'en veut. C'est une fantasmagorie. Ici on y est plus opposé qu'à quoi que ce soit. Vous trouverez le Prince de Linange dans le Times d’hier. Saint-Aulaire m'écrit que Barante va publier un écrit qu'il a fait sur les circonstances actuelles. Je suis étonnée. Broglie est retenu dans son château par un gros accès de goutte. Albert a publié dans la Revue des deux mondes un article sur la diplomatie de la république. L'élection de Molé à Bordeaux est certaine. Voilà Saint Aulaire.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Lundi 14 août.
Midi

J’ai vu hier Lord Palmerston à Holland House. Il ne savait pas si l’armistice était ou non une conséquence de la médiation commune. Les courriers n’étant partis de Paris que Mardi dernier. Il me parait que ce n’est pas eux qui ont pu décider. On bavardait beaucoup là hier. La Lombardie à la Toscane. Voilà l’idée générale, dans tout cela voyons le dernier mot de l'Autriche. L’article du Moniteur est fort important. Évidemment chez vous on veut la paix, et on compte encore sur notre bon vouloir pour la république. L'Allemagne fait le plus gros, des embarras. Kielmannsegge me disait encore hier que les têtes y sont tout-à-fait renversées. Vous voyez que la France aussi se mêle d’arranger l'affaire des Duchés. L’entente entre Paris et Londres embrasse sans doute toutes les questions en litige. Le Manifeste du Prince de Linange serait bien plus critiqué s’il ne serait pas du frère de la Reine. Mais avec cela même, on en parle avec grande désapprobation. Je n’ai rien lu de plus fou & de plus bête. On dit que Strockmer la croit, c’est impossible. Il a plus d'esprit que cela.
Voilà de la pluie à verse. Quel climat, quelle tristesse. Comment iront les bains de mer avec cette pluie ? Et puis vous viendrez me dire qu'on n’a pas pu prendre les bains, qu'il faut donc prolonger. Je n’accepterai pas cela. Voilà votre lettre. Seul plaisir, seule ressource. Mais quand viendra le temps où nous ne songerons plus aux ressources ?
J'ai rencontré hier Dumon aussi à Holland house. Il songe beaucoup à s’établir à Brighton le mois prochain pour la mauvaise saison. Aggy va un peu mieux. Elle m’a écrit elle même. Je ne donne pas encore de rendez-vous à Pierre d’Aremberg car je n'ai rien décidé sur Tunbridge. J'attends toujours pour un appartement. Adieu, adieu. Comme c’est long.
Voici mes réponses de Tunbridge Wells. Pas d'appartement du tout. Tout est pris. Je reste donc ici. Cela va faire plaisir à Montebello, il est bien accoutumé à mon bavardage. 

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft, Lundi 14 août 1848
Midi

Un blank day est encore plus mauvais en réalité qu’en perspective. C’est du reste mon impression sur toutes choses. J’ai toujours trouvé le bien et le mal plus grands dans la réalité que dans l’attente. Comme je trouve les vérités de la vie bien supérieures aux inventions des romans. Pour me consoler, il pleut, et je n’ai pas plus de journaux de Paris que de lettres de vous. Je pense à vous et je lis. Je remplirai ainsi ma journée. Demain vaudra mieux.
Je ne connais personne ici, sauf la famille du Chief justice baron Alderson et un M. Manners Sulton, fils de Lord Canterbury. Mais tout le monde me reçoit avec une grande bienveillance. Le peuple en Angleterre sait mon nom. Et il sait aussi que je suis ami de l'Angleterre. Partout, il me traite en amis. Je jouis de cette impression. Ne trouvez-vous pas que le Général Cavaignac en répétant sans cesse à l’Assemblée nationale qu'elle est seule souveraine, et qu’il n’est que son humble agent, lui met bien continuellement le marché à la main ? Il le peut, mais il me semble qu’il en abuse. Je crois beaucoup au pouvoir d'un caractère droit et digne. Pourtant il y a une certaine mesure d’esprit dont cela, ne dispense pas. Vous revient-il quelque chose d’une intrigue Girardin, Lamartine et Marrast que dénonce mon journal l'Assemblée nationale? Certainement les deux premiers sont des hommes qui n’ont pas renoncé à s’approprier la République. Ils n'y réussiront pas, mais ils la manieront et remanieront assez pour ajouter leur propre discrédit au sien.
J’attends impatiemment des nouvelles d'Italie. Et en attendant, je n’ai rien de plus à vous dire. Si vous étiez là, je ne tarirais pas. Adieu. Adieu. Mon éternuement s’en va un peu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft, Mardi 15 août 1848
Une heure

Longue lettre. Par conséquent bonne. Bonne pour elle-même, et comme symptôme. Vous n'écrivez pas longuement quand vous êtes souffrante. Soyez tranquille ; le mauvais temps, s’il s’établissait ne prolongerait pas mon séjour ici. Plutôt le contraire. Une vraie tempête cette nuit. Un bâtiment s’est perdu sur la côte. On a sauvé l'équipage. Le soleil se lève et le vent tombe ce matin. L’air de la mer me réussit. J’ai un appétit rare pour moi. A chaque instant, ceci me rappelle Trouville, l’été dernier. C’était bien joli. J'ai bien eu envie de vous garder un peu rancune de votre mauvaise humeur en arrivant au Val Richer. Mais je n'en ai rien fait. Quand retrouverai-je Trouville au lieu de Lowestoft ?
Si votre Empereur est en si bonne disposition pour la République et la reconnaît, rien ne vous empêchera de la reconnaître aussi quand elle aura renoncé à me faire un procès. Quel dommage d'avoir la langue liée ! Jamais il n’y a eu un meilleur moment pour parler au nom de la bonne politique. La mauvaise tourne si piteusement. Je commence à ne plus comprendre pourquoi ni comment on donnerait la Lombardie à Charles-Albert. Après ce qui s’est passé à Milan, ce ne serait pas même un mariage de raison. Le divorce viendrait bientôt. Deux Toscanes, comme dit le Roi, ou la Toscane doublée, comme vous dites aujourd’hui. Quoiqu'on fasse, il y aura au bout de tout ceci, un mort, l’unité italienne et un bien malade, le Roi Charles-Albert. Et un autre qui aura bien de la peine à ressusciter quoique vainqueur, l’Autriche. Pour que l’ordre se rétablisse réellement en Italie, il faut qu’il se rétablisse en France, en Allemagne, partout. A chaque nouvelle crise la question devient de plus en plus générale et unique, et toute l’Europe solidaire. Je suis de votre avis sur l’unité allemande. C’est la plus chimérique, et la plus folle de toutes. Elle ne s’établira pas. Mais la fermentation allemande durera longtemps, plus longtemps que les autres. (On veut faire à Francfort une nation et on ne veut détrôner pas un de tant de souverains.) On prétend à l'unité, et on ne veut sacrifier aucune indépendance. Il y a dans ce double dessein une inépuisable anarchie. Mais l’Allemagne ne se lassera pas tout de suite de cette anarchie. Elle y est moins pesante. et moins ruineuse qu'ailleurs précisément à cause de tous ces petits états qui après tout, au milieu de ce chaos, se gouvernent à peu près comme auparavant.
Je lirai ce soir le Prince de Linange. Je suis un peu curieux de ce qu'en dira le spectateur de Londres. Il a d’illustres souscripteurs qu’il voudra peut-être ménager. Ce dont je suis bien plus curieux, c’est de la bataille dans l’Assemblée nationale à propos du rapport de la Commission d’enquête. Si ce débat a lieu, et je ne comprends guère aujourd’hui comment il n'aurait pas lieu, ce sera à coup sûr un événement, le début d’une situation nouvelle. A moins que la mollesse des hommes n’annule les résultats naturels de la situation. Nous voyons cela, souvent.
J’aime mieux que vous restiez à Richmond. Et je crois qu’à l’épreuve vous l’aimerez mieux aussi. Vous vous feriez difficilement à Tunbridge des commencements d'habitudes. Je ne comprends pas ce que Barante peut écrire, ni qu’il écrive. Je n’ai pas de ses nouvelles depuis longtemps. A la vérité je lui dois une réponse. Je doute qu’il écrive rien qui fasse beaucoup d'effet. Son esprit ne va guère à l'état actuel des esprits. Je vais demander ce qu’a écrit Albert de Broglie sur la diplomatie de la République. Adieu. Adieu.
Je vais me promener au bord de la mer. Seul. J’ai toujours aimé la promenade solitaire, faute de mieux. Je n’ai rien de France. Adieu. Adieu. G. J’oubliais de vous dire que je trouve très bonne la dépêche de M. de Nesselrode sur les Affaires de Valachie. Conduite et langage.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Mercredi le 16 août

Voici votre lettre d'hier. Bonne. J’ai un autre plaisir encore aujourd’hui, c’est que mon fils qui devait parler ce matin reste jusqu’à Samedi. Ces trois jours de plus me font tant de joie. Je ne suis pas gâtée et mon cœur est reconnaissant de tout. Montebello est allé hier à Claremont. [?] venait d'arriver.
Mauvaises nouvelles de Paris. On va porter de suite devant l'Assemblée la question de la fortune du Roi. Père et enfants tout sera décidé selon le bon plaisir de Cavaignac qui est fort hostile. Il y aura des pensions rien de plus. Voyons l’enquête. Voyons la Constitution. Tout cela va venir coup sur coup. Mais l’enquête surtout comment cela ira-t-il ? Il est évident que cela contrarie bien le National. A propos voici l’article dont je vous parlais hier. Voici aussi la lettre de Hugel. Je suis étonnée qu'on sache si peu ce qui s’est passé diplomatiquement en Italie depuis la prise de Milan. Il y a des gens que commencent à douter de l'armistice. Cependant c'était bien le gouvernement français qui envoyait ici cette nouvelle par télégraphe Savez-vous que le Prince Petrullo est venu ici député par le parti réactionnaire en Sicile, expliquer à Lord Palmerston que les Siciliens ne veulent pas de séparation avec Naples. Palmerston a écouté. Petrullo est appuyé de beaucoup de grands noms en Sicile. Je n’ai pas vu encore Pierre d'Aremberg. Je sais qu'on l'a bien reçu à Claremont mais qu’il n'a rien dit qui ressemble au duc de Noailles.
J'ai été assez souffrante hier. Prise d’un frisson désagréable. Question d’estomac. Le temps est trop abominable. Un brouillard épais permanent depuis 3 jours ! Adieu. Adieu. Mon fils a dîné avant-hier avec Syracuse Petrullo & Calonna. Syracuse ultra conservateur. Adieu encore.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft, jeudi 17 août 1848
10 heures

Le temps est superbe. Je viens de me promener au bord de la mer. Mais vous manquez au soleil et à la mer bien plus que la mer et le soleil ne me manqueraient si vous étiez là. D’Hausonville m’écrit très triste quoique point découragé : " A l'heure qu’il est, me dit-il, le pouvoir nouveau est, vis-à-vis de la portion saine de l'Assemblée nationale à peu près dans les mêmes dispositions que l’ancienne commission exécutive. Autant que M. de Lamartine, M. Cavaignac redoute l’ancienne gauche, et comme lui il est prêt à s'allier avec les Montagnards, pour ne pas tomber dans les mains de ce qu'il appelle les Royalistes. Ce dictateur improvisé paie de mine plus que de toute autre chose, et a plus le goût que l’aptitude du pouvoir. Vienne une crise financière trop probable ou la guerre moins impossible depuis les revers des Italiens, et la république rouge n’aura pas perdu toutes ses chances. " Il veut écrire sur la politique étrangère passée. Il me dit que c’est à son excitation que son beau frère a écrit dans la revue des Deux Mondes, sur la diplomatie du gouvernement provisoire, l’article dont vous m’avez parlé. " Les documents diplomatiques insérés, dans la Revue rétrospective me serviront dit-il de point de départ pour venger, pièces en mains, cette diplomatie du gouvernement de Juillet, si étrangement défigurée. Je voudrais finir par indiquer quelle doit être dans cette crise terrible, l’attitude de ceux qui ont pensé ce que nous avons pensé, et fait ce que nous avons fait, si vous croyez utile de m'esquisser ce plan, je recevrai vos conseils avec reconnaissance et j’en ferai profiter notre pauvre parti resté, sans chef et sans boussole dans ce temps, si gros et si obscur." Ceci m'explique un peu Barante.
Évidemment l’envie de rentrer en scène vient à mes amis. J'ai aussi des nouvelles de Duchâtel, d’Écosse où il se promène charmé du pays. Je vous supprime l’Écosse. Voici ce qu’il me dit de la France : " Il me semble que, dans le peu qu’elle fait de bon, la République copie platement et gauchement la politique des premières années de la révolution de 1830." Quel spectacle donne la France.
On m’écrit de chez moi que les élections municipales ont été excellentes. Les résultats sont beaucoup meilleurs que de notre temps. Le député actuel de mon arrondissement, qui faisait toujours partie du conseil municipal n'a pas pu être élu cette fois.

Une heure
Votre lettre est venue au moment où j’allais déjeuner. J'espère que celle de demain me dira que votre frisson n’a pas continué. La phrase du National ne me paraît indiquer rien de particulier pour moi. Il insiste seulement sur le danger pour la République d’un débat qui mettra en scène le dernier ministre de la Monarchie qui n’a fait, après tout, que combattre ces mêmes auteurs de la révolution qu'on demande aujourd’hui à la république de condamner. Je comprends que ce débat, leur pèse. S'il y a un peu d’énergie dans le parti modéré, il faudra bien que le National et ses amis le subissent. Mais je doute de l’énergie. Tout le mal vient en France de la pusillanimité des honnêtes gens. S'ils osaient, deux jours seulement, parler et agir comme ils pensent, ils se délivreraient du cauchemar qui les oppresse. Mais ce cauchemar les paralyse, comme dans les mauvais rêves.
La lettre de Hügel est bien sombre, et je crois bien vraie. Je vous la rapporterai avec celle de Bulwer à moins que vous ne le vouliez plutôt. Je vois que Koenigsberg le parti unitaire a pris le dessus. Parti incapable de réussir, mais très capable d'empêcher que la réaction ne réussisse. La folie ne peut rien pour elle-même ; mais elle peut beaucoup contre le bon sens. Pour longtemps du moins. Que dites-vous du Général Cavaignac parcourant les Palais de Paris le Luxembourg, l’Élysée & pour voir comment on en peut faire des casernes et des postes militaires. On voulait nous prendre pour les forts détachés, dont le canon n'atteint pas Paris. Aujourd’hui, on met les forts détachés dans les rues. Ce qui me frappe, c’est que Cavaignac et les siens ont l’air de régler cela comme un régime permanent. C'est de l'avenir qu’ils s’occupent. Ils sont convaincus que, si on ôte au malade sa camisole de force, il jettera son médecin par la fenêtre. Et le gouvernement ne consiste plus pour eux qu’à prendre des mesures pour n'être pas jetés par la fenêtre. Adieu.
J’attendrai la lettre de demain un peu plus impatiemment. Je travaille. Que de choses je voudrais faire ! Adieu. Adieu. G.
J’avais donc bien raison hier de croire que la chance du Roi de Naples en Sicile pourrait bien valoir mieux que celle du Duc de Gènes.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Dimanche 20 août 1848

Je crois vraiment que j'ai fait une bêtise en envoyant à l’Impératrice votre lettre du 16. Ce que vous dites d’elle est charmant, mais vous mettez les révolutionnaires et les autocrates sur un même plan, vous parlez de timidité, d’excuses. Comment n’ai je pas été frappée de la pensée que cela ne devait pas être envoyé ! Tout cela m’est revenu depuis la lettre partie. Si l’Empereur est tout-à-fait heureux d’esprits, il trouvera que vous avez raison. Mais comme avant tout il a beaucoup d'orgueil et il est possible que cela ne fasse pas fortune du tout. Il faut songer à réparer & voici ce que je vous propose. Ecrivez très naturellement dans une lettre, où vous me parleriez de l’attitude des grands cabinets, deux mots sur le nôtre. Dites ce qui est vrai, que quand on est si grand on a quelque mérite à être si sage, si modéré. Enfin vous savez bien ce que vous pourriez dire qui serait dans la vérité & qui ferait plaisir. Je vous prie faites cela tout de suite afin que je l'aie ici au plus tard lundi, car j'ai ce soir là une occasion.
J'ai été hier soir chez Lord John, j’y ai trouvé M. de Beaumont. Lord Palmerston, qui était là aussi me l’a présenté. Je l’ai trouvé comme on me l’avait dit. Sa conversation m’a paru un peu lourde. Il dit les choses longuement. Il ne me fait pas l’effet d’un homme de beaucoup d'esprit, il est un peu naïf. Je lui ai fait un accueil poli. Sans empressement. Lui avait l’air charmé de causer. Le dialogue a duré plus d’une demi-heure. Moi en interrogations. Difficultés immenses. L'édifice fragile. Cavaignac très républicain. " Lamoricière républicain comme moi. " ! - Je vais donc supposer, Monsieur que vous ne l’êtes pas beaucoup ? Il a éludé en disant qu’avant tout & pour le moment il fallait soutenir sincèrement ce qui donnait de l’ordre.
Eloge encore de Lamoricière. Si on s’avise de bouger, il mitraillera tout, on veut en finir avec les tapages de la rue. Il croit beaucoup à cela tout de suite. Très pacifique, charmé des dispositions qu'il rencontre ici, fâché qu’on ait si brusquement renvoyé Tallenay. Il s'en est expliqué avec Cavaignac qui lui a dit qu'on ferait des contes absurdes sur une rencontre avec vous. D’abord qu'elle n’était pas vraie, & puis le fût-elle, Tallenay n’aurait fait que son devoir en vous montrant des égards. Lui Beaumont si le hasard le met sur votre chemin, ira non seulement à vous, mais vous vous tendrez la main si vous voulez la prendre, quoiqu’il ait été toujours votre adversaire politique. Tallenay aura Francfort. Je lui ai demandé des nouvelles [?]. Je l’ai vu à l'Assemblée. Voilà tout ce qu’il m'en a dit, & puis, que Thiers était particulièrement décidé, exécré, par les factions et les partis que certainement on en voulait à sa vie. Que celle de Cavaignac était sans cesse menacée. Il est retourné au passé pour déplorer, pleurer, l’aveuglement respectif, dit-il, eux, avoir ignoré qu'ils faisaient les affaires de la république, vous que le mal avait de si profondes racines. Je crois vous avoir dit tout Beaumont au total il n’a pas l'air d'un mauvais homme, au contraire. Et on aurait pu moins bien choisir.
Il y avait là Minto, que, je n'avais jamais vu. Bien pressé de causer avec moi de me raconter l’Italie comment il n’avait cessé d'y prêcher le bon accord des peuples avec les Princes disant beaucoup de mal du roi de Naples, un menteur. Je n’ai pas trouvé la mine des trois ministres très radieuse. La session ira jusqu'à la première dizaine de septembre. Montebello a eu hier une lettre de Paris de vendredi, dans laquelle on lui dit que le télégraphe venait d'annoncer une insurrection à Nîmes & à Montpellier aux cris de Henry V. Ce serait trop tôt.
C’est ennuyeux de penser que tout ce que je vous écris là ne peut partir que demain soir.

Lundi 21, midi
Bulwer et G. Greville sont venus me voir hier matin. Le premier ne m'a rien dit de bien nouveau il n’a vu littéralement personne à Paris que Normanby un moment, qui lui a dit beaucoup de mal de Lamartine maintenant après lui en avoir dit le plus grand bien au mois de Mai. Rien sur Paris. Seulement une observation : c'est que le peuple est poli, respectueux, dans les rien pour tout ce qui est au-dessus de lui, & que le bourgeois s'empresse de donner les titres ne parlant aux personnes qui en ont. Ainsi on n’avait jamais appelé Guiche autrement que Monsieur. Maintenant Monsieur le duc. Les classes se dessinent & y ont goût. Serait-il possible que le goût de l’égalité passât en France ? Cela me paraitrait la plus grande des révolutions. On parle beaucoup d’intrigues légitimistes. On craint qu’ils n’agissent trop tôt. Bulwer d'assez mauvaise humeur. Il voudrait Rome. Je lui ai ri au nez [?] mais enfin il me semble évident que si on ne lui donne pas quelque chose et du bon, il fera du mischief contre ceux qui lui refusent. Greville pas grand chose, d’ailleurs nous n'étions pas seuls. Il y avait Montebello qui est charmant mais qui ne remarque pas qu'on causerait plus à son aise sans lui. Comme le tact est une chose rare ! J'ai été à Holland house. Toute sortie de monde. Syracuse, Petrullo. Les Flahaut. Les Jersey. Dumon. Aubland. Beaucoup d’autres. On ne parle que d’Italie. De la médiation. Quel bon article dans la spectateur de Londres de Samedi ! Syracuse prétend que l’expédition est partie de Naples. Reste à voir si les Anglais se seront opposés au débarquement en Sicile. On dit que oui indubitablement Flahaut croit à propos de la médiation que Palmerston n’aura pas songé à prévoir le cas où l’Autriche se refuse rait à ce qu'on va lui demander. D’abord personne ne sait ce qu’on va lui demander. Et puis com ment s'engager sans être d’accord France & Angleterre sur ce qu'on fera au cas de refus ? Cela me paraitrait par trop étourdi. Tout le monde attend un événement à Paris, personne ne croit à du trop gros dans la rue, mais l'Assemblée qu'est-ce qui s’y passera ?

Morny est revenu, il ne dit rien que ce que dit tout le monde. L’Empereur a été reçu avec le plus vif enthousiasme à Vienne. Je répète 40 fois 50 fois par jour, pourquoi n’êtes-vous pas là pour causer de tout. Il y a tant et tant ! On parle de Beaumont. On trouve qu'il manque de mesure, & qu’il est de mauvais goût de montrer du dédain pour la République. Du reste ses manières ne déplaisent pas. Il a fort l’envie d'être poli.

2 heures. Merci de la bonne nouvelle. Le 2 ou 3 Septembre ! Comme je vais attendre cela, & compter les jours, les heures ! Voici une lettre intéressante renvoyez-la moi, je vous prie. Car je n’ai fait que la parcourir. Brignoles proteste officiellement contre l’armistice. Qu’est-ce que cela veut dire ? Le temps va de mal en pire. Aujourd’hui effroyable tempête & des torrents de plus. Hier un froid de Sibérie. Quel climat ! Adieu. Adieu. Je ne sais si je vous ai tout dit. Probablement non. Car il y a trop. Mais pour finir merci, merci de votre retour, n’allez pas changer ! Adieu, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft, mardi 22 août 1848
10 heures

Mon instinct me répète que la publication de ce Rapport de la Commission d'enquête ouvrira le tombeau de la République. Je dis la publication bien plus que le débat, dont je n’attends pas grand chose. La République n'en mourra peut-être pas beaucoup plutôt, mais, la voyant, telle qu'elle est, on la tiendra pour morte par impossibilité de vivre. Et elle mourra infailliblement de cette conviction générale. Les commencements de scènes, de démentis d’assertions aggravantes que je vois dans le Times d’hier confirment mon instinct. Je suis frappé aussi qu’on ait renoncé dans l'Assemblée à porter, comme on l’avait annoncé, M. de Lamartine à la Présidence, en envoyant M. Marrant au Ministère de l'Intérieur. En présence du rapport, on a senti que cette apothéose du Père de la République était impossible. J’attends impatiemment mes journaux français. Je serais étonné si cette semaine ne nous ferait pas faire un pas. Vous avez surement lu le spectateur de Londres de Samedi. Evidemment l’Autriche sortira de la Lombardie, et n'en sortira pas pour Charles-Albert. L’événement me donne plus complètement raison, dans la question Italienne que je ne l’avais espéré. J’ai soutenu que les peuples d'Italie, ne devaient faire que des réformes légales, de concert avec leurs gouvernements, que ni les gouvernements ni les peuples ne devaient songer à des remaniements de territoire ; que le Pape ne devait pas se brouiller avec l’Autriche ; que toute tentative, en dehors de ces limites, échouerait. C'est dommage que ce soit souvent un grand obstacle d'avoir eu raison.
Les nouvelles d’Espagne me plaisent. Les Carlistes de plus en plus nuls, et mon ministre des finances. C'est l'union rétablie dans les Moderados et leur concours assuré à Narvaez. Il n’est pas plus question à Madrid de Bulwer et de la rupture des Rapports avec l'Angleterre, que s'il n’y avait point d'Angleterre. Nous verrons comment lord Palmerston emploiera de ce côté ses vacances.

Une heure
Très intéressante lettre. Vous ne savez pas combien j’aime votre langage si naturel, si bref, si topique. Je m'inquiète peu de votre inquiétude sur ma lettre du 16. Je veux bien que vous me montriez, mais il me convient que vous me montriez tel que je suis, pensant librement et parlant comme je pense. Sans compter que, pour plaire beaucoup, il est bon de ne pas plaire toujours, et surtout de ne jamais chercher à plaire. II y a deux choses indispensables pour être pris au sérieux par les Rois, en leur agréant, beaucoup de respect et à peu près autant d'indépendance. Je vous écrirai demain ce que vous désirez. Demain seulement parce qu'il faut que, cette fois aussi, vous envoyez la lettre même. Elle vous arrivera jeudi matin. Je vous renverrai aussi demain la lettre de Paris. Je veux la relire, et je suis écrasé ce matin de correspondance. Plus une visite aux écoles de Lowestoft qu’on me fait faire à 2 heures.
Je crains beaucoup toute démonstration légitimiste. Non seulement elle échouerait ; mais elle gâterait l'avenir en compromettant, contre toute combinaison en ce sens, beaucoup de modérés. Le nom est peut-être dans ceci, ce qu’il y a de plus embarrassant. Il ne faut pas le prononcer. Que la réserve du langage soit en accord avec l'immobilité de l’attitude. N'oubliez jamais que les péchés originels du parti légitimiste sont d'être présomptueux et frivole, gouverné par les femmes et les jeunes gens. L'émigration. Voici les nouvelles que je reçois ce matin: « J'ai vu les Montesquiou qui reviennent d'Allemagne. Ce qu’ils disent est, à tout prendre, satisfaisant quant à la santé et au bonheur domestique. La résidence est très convenable et confortable, au milieu d’une jolie ville. Mais point de jardin. Seulement une terrasse au haut de la maison, où l'on prend le thé dans les belles soirées. Les environs et les promenades charmants. Beaucoup d'affection et de respect témoigné par tout le monde. Une existence paisible retirée et raisonnable. Mais les regrets de France bien vifs. Ils déjeunent à 11 heures, dinent à 4, le thé à 8, la conversation jusqu'à 10 : " Parlons de la France. " Elle se promène beaucoup et écrit beaucoup. Elle a reçu dernièrement beaucoup de visiteurs. La Maréchale de Lobau y est à présent, et les enfants de M. Reynier. Correspondance quotidienne avec Bruxelles." Ce ne sont que des détails sentimentaux. Vous voyez par votre lettre de Paris, que Pierre d’Aremberg se vantait, et qu'on est bien loin d'avoir pris là l'initiative. Je suis bien aise que vous ayez rencontré M. de Beaumont. Sa conversation avec vous est ce que j'aurais attendu. Et votre jugement de lui excellent. Je n'irai point au-devant de lui ; mais s'il vient au devant de moi, j'accepterai sa main. Il est du nombre des hommes envers qui je deviens chaque jour, au dedans plus sévère, au dehors plus tolérant. [...]

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 23 août 1848

J’ai été hier prendre mon luncheon chez Lady Palmerston. Rien de nouveau. Toujours bienveillance pour l’Autriche. Désir d’aboutir, assez d'espérance, (j'espionne les bases) on jette des mots en l'air, et l’idée la mieux accueillie est la mienne : doubler la Toscane par la Lombardie. En grande moquerie de l’Allemagne. En éloges de Beaumont que de son côté est très courtisan pour Palmerston surtout. J’ai rencontré [?] en sortant on me l’a présenté. Je lui ai dit deux mots, il a beaucoup vanté l’accord du Prince & du peuple à Cologne & partout. Il parlait de son roi qu'il a accompagné là. Les Standrish ont dîné chez moi hier. Elle est un peu parente de Madame Beaumont. Elle avait appris que G. de Beaumont s’était beaucoup félicité d'avoir fait ma connaissance.

2 heures
Bonne lettre et bonne nouvelle. Le 1er au lieu du 2. Vingt-quatre heures dégagées. C'est donc Samedi que je vous verrai quel plaisir ! Je suis bien aise de voir que vous attendez du décisif ressortant des pièces. Elles sont terribles. Un grand pays gouverné pendant 5 mois par un set of scoundrels quelle honte ! Et depuis un mois, je ne sais si c’est beaucoup mieux. Je trouve que Cavaignac est un peu compromis. Constantin est appelé à Pétersbourg. Il y est allé avec sa femme pour revenir bientôt à Berlin. Il me dit que Brunner est parti de Berlin l'oreille bien basse. L’affaire danoise s’arrange, Francfort n’est plus si arrogant avec Berlin. Les journaux français ne sont pas là encore. La tempête ces deux jours a été terrible, il y a retard. Il me semble bien difficile qu'il n'y ait pas un éclat à Paris. Adieu. Adieu. J’ai le cœur plus réjoui depuis que les jours sont réduits à mes dix doigts tous les jours j’en couperai un. Adieu. Adieu. Aggy va mieux quel miracle. Adieu. Voici un petit fragment de Marion. Drôle.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond lundi le 28 août 1848

Voici quelques nouvelles sans compter l’arrestation de Louis Blanc & Caussidière que vous apprennent les journaux. Montalivet a passé à Londres quelques jours, il repart ce soir. Le travail monarchiste est plus grand et plus avancé qu'on ne croit. L’union des partisans des deux branches se produit partout. Le parti est bien prié de marcher en semble. Berryer mène tout cela. Son langage excellent. Il a vu Montalivet. Sur la question de fortune, c'est Berryer qui s'opposera de toutes ses forces à la spoliation. Molé est là aussi, Thiers aussi, enfin tout ce qui n’est pas républicain. [Berryer s’oppose à toute démonstration prématurée. Elle allait éclater dans le midi, il l’a empêchée.] Montalivet a causé avec Cavaignac. Très républicain mais il croit de lui, que s’il était acculé à la nécessité de choisir entre la monarchie & la république rouge, il n’irait pas à celle-ci, il se retirerait de la scène. Montalivet ne pense pas qu'il y ait si prochainement une lutte dans la rue. Mais Il est persuadé qu'il faut encore quelques batailles avant d'arriver à la monarchie. Tout ceci m’a été dit par mon voisin de Petersham, qui a vu Montalivet hier matin.
J’ai rencontré hier M. de. Beaumont à Holland house. Je l’ai trouvé causant très intimement avec Dumon, et je les ai laissé comme cela aussi. On me dit que la reconnaissance a été une explosion de joie de la part de Beaumont. Celui-ci ravi de la séance de l'Assemblée et de son résultat. Cela va donner de la force au gouvernement. Il a parlé de Thiers, de son langage, qui est ceci : je ne suis plus un homme politique, je ne me mêle pas de cela. J’ai fait Cavaignac Colonel, je n’irai pas me faire son ministre. Je ne pense être que président de la république & probablement je ne le serai pas. Beaumont ajoute, certainement pas, car Thiers est l'homme le plus impopulaire de Paris . Beaumont blâme Molé de se faire porter à l’Assemblée. Il n'y jouera aucun rôle. C’est manquer à sa dignité. Il devait rester tout-à-fait à l’écart. J’ai vu Lord John hier matin. Il part jeudi prochain pour l’Irlande. De là il ira rejoindre la Reine en Ecosse. Elle s’y rendra le 6 après avoir prorogé le 5 le parlement en personne. C'est pour la première fois qu’un premier ministre manque à cette cérémonie. Il m’a fait lire la lettre qui accrédite M. d'Andréau ici comme ministre du Vicaire. Long, un peu diffus, ce que j’y ai relevé de plus remarquable est le respect aux traités. Du reste les attributions que vous connaissez du Vicaire. Diplomatie, commandement de toutes les armées, & & &. Le tout cependant qualifié de gouvernement provisoire. Lord John a rencontré M. d’Andréau. Samedi soir chez Lord Palmerston Il ne s’est pas soucié de faire sa connaissance. Normanby parle aussi du travail légitimiste sans y attribuer autant d'importance que nous. La France est pressée de la médiation italienne car elle craint des interpellations à l’Assemblée. De son côté l'Autriche n’a pas encore répondu à la proposition de la France & de l'Angleterre envoyée de Paris, le 9 août ! Les diplomates ici sont très convaincus que Palmerston travaille à faire donner Milan au Piémont & que la France le veut aussi. Tout le monde trouve le retour de l’Empereur à Vienne très intempestif. Il fallait y rentrer avec Radski à la tête de 30 m. Voilà tout mon bulletin de hier. Comme je le trouve un peu intéressant. Je n’ai pas des yeux pour recommencer, je vous prierai de l'envoyer tel quel à Lord Aberdeen. Mettez ceci simplement dans une enveloppe à son adresse.
Haddo House Aberdeen. N. B.

J’ajoute que les nouvelles de Naples sont bonnes. Personne n’y veut plus de la Constitution. Le Roi veut cependant maintenir ce qu'il a octroyé et promis, mais si la montagne demandait davantage, il retirerait tout. En Sicile la réaction est très prononcée partout, moins Palerme et là seulement les grands Seigneurs encore récalcitrants. Ludolf a fait beaucoup d’efforts pour tirer de Lord Palmerston ce qu’il fait là de sa flotte, & s’il compte s'opposer ou non à l’expédition napolitaine. Palmerston a constamment éludé, & dit qu'il n’avait aucune réponse à donner sur ce point. Disraeli fera après demain une revue générale de la session pour attaquer le ministère. Lord John reste pour y répondre. Il part le lendemain. Deux heures. Voici votre lettre pleine d’excellents raisonnements. Je reçois aussi les journaux et je vois que l'Assemblée n'a pas voulu poursuivre les deux membres accusés sur les événements de Juin. Quelle poltronnerie ! Pas évidemment Cavaignac allait jusque-là. Que pensez vous donc de ce dénouement ? Je trouve que c’est lâche. Le jury est capable de les absoudre. Je viens de lire le passage du discours de Ledru-Rollin qui s'adresse à Thiers, Odillon Barrot, & & C'est très bien, et cela pouvait une même être encore plus fort. Envoyez, je vous prie mes deux premières feuilles à Lord Aberdeen. Je trouve parfait ce que vous avez envoyé à d’Haussonville. Je le garde soigneusement.
Quel plaisir de penser à Samedi. Dites-moi à quelle heure vous viendrez. Sera-ce le matin ? Pour dîner ? Je veux savoir d'avance pour me réjouir d’avance Adieu. Adieu. J’ai écrit au duc de Noailles pour lui dire que vous seriez de retour le 1 ou le 2. Morney va aujourd’hui en Ecosse pour chasser. Flahaut reste à Londres. La femme part pour l'Ecosse aussi. J'essayerai d’apprendre quelque chose her [?]. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft, Mardi 29 août 1848

Il se peut que le résultat pratique de la séance de l'Assemblée soit bon. Mais l'effet est pitoyable. Mon impression est que de la part de tout le monde, c’est une comédie, et que gouvernement, commission, opposition, insurrection, modérés, rouges, tous se sont entendus ou mutuellement tolérés, pour se tirer tous ensemble d'embarras. Voici les trois faits qui me frappent. L’intervention soudaine et évidemment concertée du Gouvernement pour couper court au débat politique, en y substituant une poursuite judiciaire. Le silence absolu de la commission, et de tout le parti modéré dans le débat politique. La poursuite judiciaire elle-même réduite à rien par le vote qui met Caussidière hors de cause pour le 23 Juin. Personne n’a voulu d’un vrai combat. Les modérés ménagent Cavaignac. Cavaignac ménage les Républicains. Les Républicains se ménagent eux-mêmes. Ce n’est pas grand. Il n’y a que deux grandes choses en politique, le bon gouvernement ou la passion forte. Ni l'une, ni l’autre n'est là.
Le voyage de Montalivet me frappe beaucoup. Il est évidemment venu pour dire à Claremont ce que vous me dites des progrès de la fusion. Je suis curieux de ma première conversation avec le Roi. Si le mal dure et s’aggrave, si les légitimistes ne se perdent pas par une explosion prématurée, cette solution qui n'a d’autre défaut que d'être chimérique, pourrait bien devenir la suite possible et arriver un jour naturellement, comme une chance unique et nécessaire. Je ne me lasse pas d’y penser. Votre bulletin est très intéressant, et je vais l'envoyer à Lord Aberdeen. J’ai eu des ses nouvelles hier au soir. Infiniment amical. Pas un mot de sa lettre dans le Times.
Assez préoccupé des couches de Madame la duchesse de Montpensier et du débat qu'elles ramèneront à la prochaine session du Parlement. Je reviens à Paris. Je parie que Louis Blanc et Caussidière ne seront pas arrêtés et qu’il y aura, à la promulgation de la Constitution, une amnistie où ils seront compris, comme moi. Le débat, sur la constitution commence après-demain. C'est l'affaire de quelques semaines. On m'écrit de Paris que l’ordonnance de non lieu pour notre procès est rédigée et remise au gouvernement qui la garde. J’ai toujours cru et je crois de plus en plus à la conclusion par l’amnistie générale.
Les bravades Italiennes recommencent. Ils n'en seront pas plus braves si on en revient à la guerre. Mais ce sont des embarras de plus pour la médiation. J'admets les hypothèses les plus favorables, l’ordre rétabli en France, en Italie, en Allemagne, la banqueroute (je veux dire the failure) de toutes les révolutions ; il n'en restera, pas moins de tout ceci, un grand mouvement en Europe, et de grandes difficultés, de plus pour les gouvernements.
Que de choses à nous dire en attendant ! Et après ! J’aime mieux aller dîner avec vous samedi. Nous aurons plus de temps. J’arriverai à 2 heures si les heures du chemin de fer ne sont pas changées. Cela vous convient-il ? Il y a un temps d’arrêt et une attitude générale d’hésitation en Allemagne. Je rabâche. Les hommes sont toujours assez fous pour commencer toutes les folies. Plus assez pour les pousser jusqu'au bout. Je n’en entrevois pas mieux la solution de la question allemande. On n'ira pas où l’on dit. On ne reviendra pas où l'on était. Cet avenir-là est plus obscur que menaçant. Adieu. Adieu.
Demain je dirai après-demain pour partir. Après-demain je dirai après demain pour tout de bon. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 30 août 1848,

Reconnaissez-vous cette date ? Toujours nous sommes séparés ce jour-là, Et toujours par votre faute. Enfin vous revenez après demain, & cela me fait tout pardonner. Neumann m'a fait une longue visite hier. Italie & Autriche pas d'autre conversation sur la médiation. Il ne comprend aucune des trois alternatives. Si on fait de Milan un duché séparé, fut [?] un archiduc, c'est un second Cracovie. Un foyer d’insurrection où se donnent rendez-vous tous les révolutionnaires de l'Europe. Polonais & & Le donner à la Toscane ? Cela n'a pas de sens, il n’y a pas contiguïté. Modène et Parme sont là debout et veulent le rester. Et la Sardaigne ? C'est une monstruosité. Jamais l'Allemagne & l’Autriche n'y consentiront. En définitive Milan doit rester à l’Autriche. Neumann arrive d’Autriche et vient de causer avec Wessenberg à Francfort. A Vienne situation déplorable. L’Empereur est revenu trop tôt. Il devait rentrer avec Radsky et 30 mille hommes. Il n’y a que cela pour faire tout rentrer dans l’ordre. A Vienne comme à Paris, gouvernement militaire. Il faut y arriver! Le Ministère Autrichien pitoyable, tous des gens qu'on peut payer, il n'en excepte pas même Wessenberg. Cela me parait trop fort.
Lutterotte écrit à Montebello que toute l’affaire à Paris a été une comédie, tous les rôles étaient appris. Cela n’a pas grand air et cela fera du tort à la réputation & rigide droiture de Cavaignac. Le fait est qu’il est gouverné par la coterie du National, & il subira ce joug jusqu’au bout. J’attends votre lettre après quoi j’irai peut être à Londres for a change, et pour quelques emplettes. L'opéra italien rouvre à Paris le 3 octobre. J’ai bien envie de reprendre ma loge pour ne pas perdre mon droit. Je la sous-louerai. L'idée de renoncer là à ce que j'y ai eu m’est insupportable. Quant à mon appartement nous en causerons. Vous ai-je dit que Lutterotte croit qu'on le donnera pour 800 francs ?

Midi.
Voici votre lettre comme vous jugez bien ce qui s’est passé à Paris ! C’est merveilleux. Adieu. Adieu. Dernière lettre à Lowestoft. Vous trouverez la suivante à Brompton. Si vous pouviez encore me dire que vous irez surement par Putney, j’irais vous chercher moi-même au port de Putney samedi, c'est une promenade. Je serai là à 4 h. 1/2. Vous savez que je suis exacte.
Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond jeudi le 31 août 1848

Ceci va à Brompton, quelle victoire. Je viens de recevoir votre lettre. Combien nous aurons à nous dire ! Je persiste à me trouver Samedi sur le port de Putney à 4 1/2 ne le dépassez pas si par hasard vous étiez là avant moi, car il y a deux routes, je vous trouverai près de l’Eglise, ou bien c’est vous qui m'y trouverez. J’ai été voir Lady Palmerston hier. Elle est malade. Elle m’a dit : " M. de Beaumont est très agréable nous l’aimons bien, & puis il dit une chose bien vraie, c’est que la république peut être mille fois plus facile ou docile pour l'Angleterre que ne le serait jamais une monarchie. Ainsi pour le moment mon mari trouve aussi que c’est très bon. " Sur l’Italie. " Mon mari dit qu'après tout Charles Albert est très injustement accusé. Les Milanais se révoltent, chassent les Autrichiens et l’appellent lui à leur secours ! Pourquoi ne l'aurait il pas donné ? " Vous voyez l’indulgence & la disposition. Pas de réponse encore de l’Autriche le National a vu cela aujourd'hui un article très menaçant. Je viens de lire dans le Times votre discours à Yarmouth, extrêmement bien, & évidemment exact parce qu'il y a même quelques fautes de langue. Never mind. Il n’y en a qu’une positive. C'est le mot awfull. Vous voulez dire solennel ou imposant, et vous avez dit effrayant. Mais au total c'est un discours qui a dû faire beaucoup d’effet & de plaisir et qui est d'une grande connivence.

6 heures.
Je vous écris au milieu d’un orage effroyable. Voici deux heures qu'il dure. J’étais rentrée heureusement une minute avant d’une visite faite chez la Duchesse de Cambridge. J’y ai rencontré la prince Metternich. Quel ton ! C'est de plus fort en plus fort. Rien de nouveau. Elle annonce au nom de son mari que Septembre sera horrible, du massacres par tout. Enfin l’apogée de la révolution en Europe. Nous bavarderons bien sur tout cela. C'est bien long encore après demain. S’il pleuvait lorsque vous arriverez à Putney bridge vous savez que l’entrée des ponts est à couvert, & que vous pouvez vous abriter chez le turnpike keeper. Mais j'y serai avant vous. Je vous écrirai encore demain. Adieu. Adieu. Comme Samedi est loin. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Mercredi 13 Sept. 1848
Midi

Avec votre lettre ce matin, deux longues lettres de Brougham et d'Ellice. Brougham dans un accès de tendresse. Il voudrait m'envoyer son manuscrit, et que je le lusse pour y ôter, ajouter ou changer ce que je voudrais. Comme de raison, je ne refuserai. Enorme dissertation d’Ellice qui regarde la guerre et la banqueroute française comme infaillibles, et veut que l'Angleterre se retire tout-à-fait de l’Europe. Convaincu de la vertu et de l’impuissance de Cavaignac. Charmé d'avoir chez lui Duchâtel qui chasse et s’ennuie. " The patience of that ardent chasseur is beginning, to be sorely tired with our storms and torrents of rain. Amiable and interesting as he is from his knowledge of men and of affairs, how entirely he is homme d'affaires! If it was not for his engouement now for the chasse. I dearely know how I should employ his time for him in the Country. He will miss his old avocations and interests. much more than you will do."
Ellice me paraît avoir un plan pour le gouvernement de l'Irlande, et il espère que Lord John l'adoptera pendant sa visite à Dublin. J’ai ce matin quelques nouvelles d'Italie. Les chances en Sicile sont pour le Roi de Naples. Non pas pour soumettre l’intérieur de l'île, mais pour reprendre possession des villes et des points importants de la côte. Le Prince Gramatelli, qui est ici de la part des insurgés, est très abattu furieux, comme toute l'Italie contre l'Angleterre qui a laissé tout espérer, et ne tiendra rien. Dans l’intérieur de l'Italie dans les Apennins, de petits démembrements se font, de petites républiques indépendantes se proclament. Déjà crois ou quatre en Toscane et dans les légations. Anarchie complète impuissance, complète des gouvernants. Le Pape travaillant à temps, sans bruit, son épingle du jeu. De concert avec les cardinaux qui se concertent avec Vienne. Gènes à peu près perdu pour Charles-Albert. Conviction générale que l’Autriche ne veut que gagner du temps. Elle fait la police sous main en Italie comme elle la faisait ouvertement jadis. Le parti républicain, Mazzini et tous ses petits éclateront un de ces jours, et ce sera le coup de grâce de l'Italie. L’Autriche, se croira, en droit de tout faire contre eux et l'Angleterre de tout laisser faire. Et la République française dira qu’on a dérangé sa médiation qui allait réussir, et elle n'empêchera rien. Voilà les pronostics des Italiens gens d'esprit.
Je fais du feu. Il faisait froid hier chez Lady Cowley que j’ai trouvée. Elle cherche une maison. Georgine m’a paru de très bonne humeur. Il paraît que cette pauvre Aggy est mourante. Adieu. Adieu. Oui, jeudi n’est que demain. Hébert et Dumon viennent dîner avec moi aujourd’hui. Je serai demain au railway comme à l’ordinaire, avant 5 heures trois quarts. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Vendredi 15 sept 1848
Une heure

Je rentre de ma promenade. Je la placerai tous les jours à cette heure-là, et je serai toujours chez moi à 2 heures. Brouillard général, mais léger et pas froid. Il faisait bon marcher.
Je viens de lire le discours de Thiers, en conscience. Comme toujours spirituel, naturel, utile, long et pas grand. L'appréciation des Débats est juste sans bienveillance. Ce qui me paraît d’une bien petite conduite, c'est de parler solennellement sur toutes ces spéculations insensées, et de se taire absolument dans tout débat qui serait un combat. C’est un évènement que la flotte sarde s'en allant de Venise, et laissant à la flotte autrichienne toute liberté de la bloquer. Venise tombera comme Milan, Toutes les révolutions ont eu fair play l'Italienne comme la française, comme l'allemande. Aucune ne gagnera la partie. Vous avez raison, quel spectacle à décrire pour un grand esprit qui saurait tout voir, et pourrait tout dire. Jamais Dieu n'a donné aux hommes une telle leçon de sagesse en laissant le champ libre à leurs folies.
Un homme que je ne connais pas vient de m’envoyer de Paris un volume de 1184 pages, intitulé. Recueil complet des actes du Gouvernement provisoire (Février, mars, avril et mai 1848). Complet en effet ; les petites comme les grandes sottises. Monument élevé à une Orgie. Ce volume vaut la peine d’être regardé, et gardé. Toutes ces sottises passent comme des ombres, et on les oublie. On ne sait ni s’en délivrer, ni s’en souvenir. Précisément ce qui arrive d’un cauchemar, dans un mauvais rêve.
On travaille à monter un coup pour que le Président de la République soit nommé par l'Assemblée nationale et pour que l'Assemblée nationale actuelle vive quatre ans comme le président qu’elle aura nommé. Si cela est tenté et échoué, l’échec sera décisif. Si la tentative réussit, elle amènera une explosion. On n'acceptera pas ce bail. Voilà, un ancien député conservateur M. Teisserenc qui vient me voir, et part le soir pour Paris. Je vais écrire pour affaires. Adieu. Adieu.
J’espère que vous n'aurez pas oublié d’écrire à M. Reboul. Vous n'oubliez guère, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Samedi 16 sept. 1848
2 heures

Vos nouvelles sont de M. Tanski. Bruits de la salle des Pas Perdus qui valent toujours la peine d'être recueillis. J’étais convaincu que le Constitutionnel et les Débats n'avaient accepté M. Adam que pour se concilier avec le général Cavaignac et exclure de concert Louis- Bonaparte. Cavaignac, c’est-à-dire le National, n’aura pas voulu ou n’aura pas pu, à cause de son parti, accepter Roger et Fould, et le concert se sera rompu. Nous le saurons positivement après-demain. Cela pourrait donner des chances au Bonaparte. Et celui-là ne peut pas être élu sans avancer la crise. Il est trop tôt pour se tenir tranquille. J’ai peine à croire aux Légitimistes portant Bugeaud. Ils auraient bien raison. Mais j'ai peur que ce ne soit trop de raison pour eux. Si Paris finissait par nommer Bugeaud, B. Delessort et Fould, cela aussi serait un événement. Désormais, avec la situation qu'à prise Cavaignac, rien ne peut arriver, personne ne peut remuer que ce ne soit un événement. Tout mouvement est contre lui. Même les grandes séditions qui lui faisaient tirer du canon car elles le brouilleraient de plus en plus avec la République rouge, son camp de retraite à mesure que les deux camps monarchiques le presseront davantage. Je le crois acculé dans sa dernière position. C’est vite, et pourtant encore bien long peut-être. Ma raison me dit qu'il ne faut pas désirer que ce soit trop vite. On est toujours ramené à la morale, et contraint d’opter entre sa raison et son désir. Je n’ai vu personne hier. J’ai passé ma soirée à lire, et je me suis couché de bonne heure.
Mad. de Staël écrit à mes filles que le Duc de Broglie est arrivé à Coppet, encore couteux et trouvant Paris si triste, si désagréable à habiter qu’il ne ramènera pas son fils Paul au Collège au mois d'Octobre, et restera peut-être tout l’automne à Coppet. Il se lamente que nous ne nous écrivions pas plus souvent. Ce n’est pas la peine de se porter tout haut de Londres à Genève, à travers Paris. Comme je vous l'ai dit, le Rossi qui a été ministre de la justice du Pape n'est pas du tout le mien. Le Pape a de nouveau envoyé chercher le mien pour le prier de lui faire un Cabinet. Il a de nouveau refusé, quoique nommé député par Carrare sa ville natale. Député au Parlement de Florence, il est vrai. mais cela ne l'aurait pas du tout empêché d'être Ministre à Rome. Il n’y a plus de frontières en Italie ce qui ne fait pas qu’il y ait une Italie. Du reste, ce n’est pas du tout par Rossi lui-même que je sais cela. Il ne m’a pas donné signe de vie depuis le 24 février. C’est un des plus choquants exemples d’ingratitude de pusillanimité. Je m’y attendais à peu près. Si cela ne me regardait pas, je m’attristerais de tant d’esprit joint à si peu de caractère et de cœur. Mais j’ai décidé il y a longtemps que je ne mettrais pas ma tristesse ou ma joie, à la merci de ce qu’on appelle des amis, même des plus gens d'esprit.
Mad. de Broglie disait de M. Cousin : " C’est une grande intelligence perchée sur un bâton." M. Rossi vaut mieux ; mais il y a de cela. 4 heures J’ai été interrompu par un Allemand, homme d'esprit, un M. Erdmann, qui m’avait été recommandé à Paris, il y a deux ans, et qui est venu passer quelques jours à Londres. Prussien, très prussien et point allemand. Il dit que la réaction prussienne devint très vive et l'emportera. M. Beckerath que le Roi se charge de faire un cabinet, est plus anti-francfort, dans la question danoise, que ses prédécesseurs. Le général Schreckenstein (je crois), le ministre de la guerre qui s’en va, est un homme de caractère, en qui les prussiens de bon sens croient assez et de qui ils espèrent, à un jour donné. Pendant, son ministère, une députation d'étudiants est venue lui demander pourquoi il se faisait un rassemblement des troupes à Charlattenbourg. Il leur a répondu : " Messieurs, pourquoi faites vous vos études à Berlin ? Question pour question ; j’ai autant le droit de vous faire celle-là que vous la vôtre à moi. " M. Erdman m’a raconté assez de détails curieux. S'il y a en Allemagne beaucoup d'hommes de ce bon sens à tout n’est pas perdu.
Adieu. Adieu, à demain, Holland house. Je n’irai pas lundi à Claremont. Mais bien dîner à Richmond. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton, Mardi 19 sept 1848
Une heure

Bugeaud commence assez bien. L’armée des Alpes l’a adopté. Pourtant je ne crois pas au succès. Je doute que les débats se fussent compromis comme ils l’ont fait pour la liste de conciliation, s’ils n’y étaient pas poussés par l'opinion d’un grand nombre de conservateurs. Si Bugeaud ne passe pas, outre l'échec, il y aura le mal de la rancune entre conservateurs. Je ne comprends pas la manœuvre des Débats. On les accuse d'être trop bien avec Cavaignac. On nomme des intermédiaires. Qu'ils aient fait ce qu’il faut pour n'être jamais en péril, cela se peut, et je ne m'en étonne pas, quoique je ne crois pas, que, pour eux ce fût nécessaire. Mais je ne pense pas qu’ils soient allés plus loin. L’Assemblée nationale est très irritée et jalouse contre eux.
C’est l’Autriche qui est un curieux spectacle. Vienne près d'échapper au moment ou Venise est près de tomber. L'impuissance anarchique au centre, la victoire monarchique aux extrémités. Avec quoi paie-t-on l'armée et combien de temps la payera-t-on ? D'après mes journaux français. Messine n’a point été repris et on n'a point égorgé 20 000 Autrichiens sur 10 000. Je n'ai pas encore vu le Times. Ni personne. Point de nouvelles donc, et je vous ai donné hier toutes mes réflexions. Je crois bien que si nous étions ensemble, nous ne resterions pas court. Mais on n’écrit pas le quart de ce qu’on dirait.
Je suis assez curieux de votre visite à la Princesse de Parme. Et plus encore de ce qui nous viendra de Paris à son sujet. J'ai peur que la cour de ce parti-là ne soit ce qu’elle a toujours été, ingouvernable pour les chefs du parti et mettant à cela sa dignité et sa vanité. Tant pis pour la France certainement ; mais tant pis surtout pour le parti. Il a déjà manqué bien des chances de se remettre en France, là où il aurait toujours dû être. S’il manque encore celle-ci ce sera grand dommage. Mais après tout, la France, tant bien que mal, s'est déjà tirée d'affaires bien des fois sans lui et malgré lui. Elle en viendra encore à bout, s’il le faut Adieu. Adieu.
Je viens de me promener une heure et demie Je vais travailler. Ce que je fais me plaît. Adieu. Vous aurez songé n'est-ce pas à me donner des nouvelles de vos yeux. Il ne vous font pas mal certainement après dîner, dans la chambre obscure. J’aime la chambre obscure. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Vendredi, 22 sept. 1848
Une heure

Je n'ai de nouvelles que de M. Hallam et de Mad. Austin. Je me trompe ; j'ai trouvé hier en rentrant une bonne lettre de Lord Aberdeen. Je ne vous l'envoie pas pour ménager vos yeux. Je vous la lirai dimanche. Rien de nouveau. Très autrichien. Regardant toujours l'Angleterre comme possible parce que l’Autriche ne cédera pas et ne doit pas céder. Il ne parle de revenir que dans le cours de Novembre. Les journaux modérés sont abasourdis du résultat des élections. L'Assemblée nationale soutient énergiquement son parti. Evidemment tout le monde est inquiet et tâtonne. Vous aurez vu à quel point l'élection de M. Molé a été contestée. Encore n’est-elle pas positive ? Le Communisme est en progrès effrayant. Aura-t-on assez peur et pas trop peur ? Je m’attends à quelque explosion rouge qui donnera aux modérés, un coup de fouet. M. Ledru Rollin se met à la tête des Montagnards croyant à leur victoire. Je parie que, dans son esprit, il dispute déjà à Cavaignac la présidence de la République. Nous sommes tellement hors de ce qui est sensé que tout est possible.
Lisez attentivement le récit de la prise de Messine qui est dans les Débats. Curieux exemple de l'absurde manie révolutionnaire qui est dans les esprits. Il est clair que les Messinois sont insensés, et ont été les plus féroces. On assiste à leurs atrocités. On tient leur défaite pour certaine. On rend justice à la modération du général Napolitain. N'importe c’est pour les Messinois [?] la sympathie. Uniquement parce que c’est une insurrection et une dislocation. Et le Roi de Naples, qui a offert aux Siciliens dix fois plus qu’ils n'espéraient d'abord est un despote abominable parce qu'il ne cède pas tout à des fous qui sont hors d'état de résister. La raison humaine est encore plus malade que la société humaine. Adieu.
Je vais me remettre à travailler. C’est bien dommage que je ne puisse pas dire tout ce que je voudrais. Je supprimerai de grandes vérités, et peut-être de belles choses. Adieu. Adieu. A demain.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Samedi le 23 Septembre 1848
Onze heures

J’ai vu Koller hier soir. L’Autriche est bien décidé à garder Lombardie, Venise, enfin tout ce qui est à elle. On a accepté la médiation du bout des lèvres. On traitera peut-être du sort de Modène et Parme. On parlera d’institutions à donner aux Lombards voilà à quoi se bornera le congrès. Autriche, France Angleterre, Piémont. Palmerston reçoit tout les envoyés d’Istrie, de Venise de partout, il les écoute, il discute. Et puis il dit à Koller, qu'il pourrait voter à la main, prôner qu'on a le droit d’intervenir entre l’Autriche & tout ce monde-là. Blaguerie, car il ne songe pas à s’armer de votes pas plus que de canon.
Koller craint que nous verrons encore du pire en Allemagne. Francfort n’est pas fini. Quelle horreur que la mort de ce pauvre Lichnowsky ! à Berlin certainement il y aura une crise violente tout à l’heure. Et Paris, comment échapper à du très gros aussi. Je trouve que partout on est trop porté à dire et à laisser la révolution s'user. Si la troupe y passe, tout est perdu, et en temporisant ou s'expose à cette chance. à Berlin, à Paris le soldat commence à être ébranlé. Comment perdre du temps alors ? Voilà mes réflexions sagaces. Peel est délivré du plus ardent de ses ennemis. Adieu. Adieu, à demain, mais là, la causerie va mal. C’est égal, il faut y venir. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Lundi 25 Sept. 1848
Une heure

Je suis encore fort enrhumé. J’ai la gorge prise, et la poitrine chaude. Cela s'en ira en me tenant tranquille et en évitant les changements de température. Je doute que je puisse aller dîner demain à Richmond. Le retour le soir dans l'omnibus est toujours frais. Triste ennui. Mais je ne peux pas m'établir dans un rhume du commencement de l'automne. Je ne m'en débarrasserais plus au milieu de ce brouillard qui sera toujours là, plus ou moins épais.
Le Général Cavaignac a ajourné son choix entre les partis. Et tout le monde l’y a aidé Tout le monde ajournera tant qu’il y aura la moindre possibilité d'ajourner. Je plains les gens d’esprit qui vivent dans cette atmosphère là. Ils s’y atténueront et s’y amoindriront de jour en jour. Rien n’est pire que d'avoir une position d'acteur et de n'agir point. Voilà Rossi premier ministre à Rome. J’en suis curieux. Il a beaucoup d’esprit beaucoup de savoir-faire, et il prend très naturellement de l'influence sur les hommes. Mais l’énergie et la présence d’esprit lui manquent dans le danger. Tout ce qui se pourra faire par la conciliation, il le fera. Au-delà, je doute. Pour qu’il ait accepté il faut qu’il croie à des chances de succès. Il n'est pas homme à s'embarquer dans une trop mauvaise barque. L’amiral Baudin me paraît avoir assez bien saisi le joint pour avoir l’honneur de ce qui se serait fait sans lui, du retour de la Sicile sous la domination du Roi de Naples aux conditions que le Roi de Naples a, dès l'abord offertes. Encore une médiation de comédie, ou une comédie de médiation.
J'ai des nouvelles de Bretagne, sures. Là aussi l’idée de la fusion fait son chemin, quoique le chemin, soit plus difficile là qu'ailleurs. C’est le pays où les deux partis sont le plus aigres l’un contre l'autre. Pourtant, la nécessité se fait sentir. Rien de Paris. Adieu. Quel dommage que la conversation nous manque ! J’ai assez de gorge pour causer. J'ai quitté hier Holland-House, de bonne heure parce que je ne voulais pas attendre la fraîcheur du soir. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Mardi 26 sept 1848
Une heure

Je suis hors d'état de sortir. Je tousse pas mal, c’est-à-dire très mal. Il me faut un peu de confinement. J'ai bien dormi mais en me réveillant pour tousser. Je me coucherai ce soir de bonne heure. Et de tout le jour, je ne quitterai mon cabinet. Que je voudrais qu’il fit beau demain. J’espère que je pourrai aller vous voir. Peut-être le matin, à 1 heure, si je me suis encore trop pris pour me mettre en route le soir. Ceci est un grand ennui. Et j’ai bien peur que cela ne nous arrive plus d’une fois cet automne. Je me porte très bien au fond ; mais je m'enrhume aisément, et je suis aisément fatigué. Je me résignerais, très bien à n'être plus jeune si je n’avais jamais à sortir de chez moi. Ce qui vaut et ce qui sied le mieux quand on n’est plus jeune, c’est la tranquillité.
J'ai les mêmes nouvelles que vous de Paris. Si Louis Bonaparte se conduit passablement, et s’il n’est pas forcé d'attendre longtemps, il pourra bien avoir son moment. Agité et court car il ne peut pas plus supporter la liberté de la presse que Cavaignac, et il n'aura pas, comme lui, pris la dictature au bout de son épée. Son nom, qui le sert de loin, l’écrasera de près. Mais il vaudrait infiniment mieux éviter cette parenthèse de plus. Je crois encore qu’on l'évitera, que Louis Bonaparte se compromettra avant d'arriver au pouvoir et que l’armée comme l'Assemblée. soutiendront Cavaignac contre lui. Que la République et l'Impérialisme s’usent bien contre l’autre ; c'est notre meilleure chance, et à mon avis la plus probable.
Je ne comprends pas ce que votre correspondant demande à votre oncle. Il le sait prêt à la transaction. Ce n’est pas à lui à aller la chercher. Ce n’est pas à lui qu'on peut s'adresser pour qu'elle marche et se conclue. On désire quelque fait extérieur qui prouve qu'elle peut se conclure, qu'elle se conclura, le jour venu. Qu'on aille donc au-devant de ce fait ; qu'on lui fournisse l’occasion de paraître. L’occasion semblait trouvée ; on semblait même l’avoir cherchée. Tout le monde devait le croire. Non seulement on ne l'a pas saisie ; mais on s'est montré disposé à la fuir. Quand on est pressé, il faut se presser. Je n'ai jamais pensé que votre oncle pût ni dût prendre aucune initiative ; mais je suis encore bien plus de cet avis depuis le dernier incident. Je répète que lorsque la transaction ira à lui, elle le trouvera prêt ; mais il n’a rien à faire qu'à l'attendre dans l’intérêt du succès comme dans la convenance de son honneur. Il disait encore avant-hier à l’un de mes amis qu’il n’avait reçu de sa partie adverse, aucune avance, aucune insinuation qu’il pût sensément regarder comme un pas vers lui.
De Rome et de Florence, mauvaises nouvelles. Les républicains sont furieux de la petite réaction romaine et du peu de succès de l’insurrection de Livourne. La population ne veut pas les suivre, mais comme le gouvernement ne sait pas les chasser, ils sont toujours là, et et commencent, et recommenceront toujours. On dit que Charles Albert meurt de peur d'être assassiné par eux. Il mourait de peur autrefois d'être empoisonné par les Jésuites. Il ne sera probablement pas plus assassiné qu'empoisonné. Mais son succès n’ira pas plus loin. Adieu. Adieu.
Pour Dieu, ne soyez pas malade. Je veux bien être enrhumé, mais pas inquiet. Je vous renvoie votre lettre. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Dimanche le 1er octobre 1848
6 heures

Malade cette nuit. Des crampes d’estomac, grande frayeur du Choléra. Le Médecin ce matin, qui me rassure, mais qui me défend de bouger & de manger. Me voilà donc dans ma chambre par un très beau temps.
Bulwer, C. Greville, Lord Holland. Le précieux. Sans nouvelles sur son compte. Attendant Paris ou Rome épousant quand il aura un poste, & disposé à convenir des arrangements que propose Lady C. Parlant très mal de la conduite de l'Angleterre dans toute l'Europe. C. Greville en grande critique aussi de Lord Palmerston, pas de nouvelle, ne sachant rien de Holland house. Enfin Lord Holland un peu embarrassé, disant que sa femme est malade d’un rhume de poitrine, qu'il ne sait pas s'il part, s'il ne part pas. Une grande incertitude ; tout son langage de nature à confirmer les soupçons autant qu'à les détruire. Je reste flottante. Je ne sais pas. Est-ce des embarras de fortune ? Impossible de rien démêler. En grande critique de lord Palmerston. Selon ces trois messieurs la Sicile est-ce qui lui fait le plus de tort. Labouchère est allé chez C. Greville pour gémir & se plaindre et interroger, car il ne comprend rien, et il trouve très mal.
La Reine a couru des dangers vendredi, une tempête effroyable. Elle a été jetée sur la côté. Elle revient par le chemin de fer. Voilà toutes mes nouvelles. Adieu. Je prendrai un bouillon, voilà tout. Adieu Adieu.
Le médecin dit que ce ne sera rien du tout. Je l'espère.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Samedi 11 nov. 1848
7 heures

Je me lève. Le jour commence. Je viens d'allumer mon feu. Puis à vous. Je vais déjeuner ce matin chez Macaulay, avec Lord Mahon et quelques oiseaux de passage à Londres. Avez-vous froid à Brighton ? Il faisait froid hier ici, par un beau soleil. J'espère qu’il ne faisait pas froid à Brighton.
J’ai vu du monde hier chez moi, car je ne sors point. M. Vitet, très longtemps. Il était venu la première fois avec Duchâtel, son ami d’enfance, et son patron politique spécial. On ne cause librement que tête à tête. Je l'ai trouvé hier très intelligent et très sensé. Convaincu qu’il n’y a de bon et d'efficace que la fusion. Parce que cela seul peut être fort, et que cela seul est nouveau. Il n’y a pas moyen, de part ni d'autre, de ne faire autre chose que recommencer. Mais la fusion est horriblement difficile. Les nôtres y sont les plus récalcitrants. Ils croient plus que les autres qu'ils peuvent s’en passer. Quoiqu'on ne parle pas des Princes, ni des Orléanistes, au fond, c’est là ce qui est dans la pensée de la grande majorité. Il faut plus de temps et plus de mal pour leur faire accepter la raison. Elle n’a pas encore la figure de la nécessité.
Les derniers venus d'Eisenach rapportent un mauvais langage. Sémiramis ne veut pas partager ses grandes destinées. D'un autre côté, le duc de Noailles a parlé à Mad. Lenormant en homme assez découragé, qui rencontrait parmi les siens, bien peu d’intelligence et beaucoup d'obstacles. Vous avez vu que sa lettre est pourtant pressante. Evidemment tout est encore loin, par conséquent vague et obscur. L'avenir le plus prochain et le plus pratique est l’élection d’une nouvelle Assemblée. C'est à cela qu’il faut penser et travailler dès aujourd’hui. Elle videra la question. Pour ces élections-là, les deux partis monarchiques sont très décidés à agir de concert. Je vous envoie là pêle-mêle ce qu’on me dit et mes réflexions.
Hier soir, Lavalette et sa femme qui repartent aujourd'hui pour Paris, et de là pour une terre qu'ils ont près de Bordeaux. Et près de Bugeaud chez qui ils vont passer deux jours. Lavalette revenait de Richmond. Il avait trouvé le Roi bien, la Reine mieux, le Prince de Joinville, malade, le Duc d’Aumale repris et dans son lit. Il avait été content du dernier. Le Roi triste parce qu'on ne lui envoie pas d’argent de Paris. On ne veut lui donner de l'argent ni sa vaisselle, que lorsqu’il aura fait son emprunt pour payer ses dettes. Et l’emprunt n’est pas encore fait. Un brave amiral, que le Roi a connu jadis et dont Lavalette avait oublié le nom, était venu le matin à Richmond, offrir au Roi dix mille louis, avec toute la franchise et la shyness anglaises.
Je n'ai point eu de lettres. Merci de celle que vous avez pris la peine de copier pour moi. Amusantes. Quels subalternes ! Je ne les ai montrées à personne. Montebello m’a écrit hier matin. Il me donnera tous les jours des nouvelles du Roi, tant qu'ils seront là. Vous n'aurez peut-être pas remarqué dans les Débats d’hier un petit article sur les élections du Calvados, emprunté à un Journal de Caen. Ce que j’ai écrit a fait son effet. On ne me portera point. On portera un légitimiste que je connais un peu, honnête homme et assez distingué.
J’ai eu des nouvelles de Turin et de Florence. Charles Albert persiste à regarder un conflit entre lui et les Autrichiens comme inévitable. La république le talonne plus que jamais. Gênes est de plus en plus menaçant. Il est tout seul. On le laissera tout seul. Mais on le poussera sur le champ de bataille. Tout son désir, c’est que le premier boulet y soit pour lui. Il disait tout cela il y a huit jours. A Florence, le grand Duc a été sur le point de s'enfuir, et n'y a pas renoncé. L’anarchie est au comble. On a de la peine à écrire d’une ville à l'autre. Il faut des occasions. Adieu. Adieu.

C'est mardi que j'espère aller vous voir. Pour revenir mercredi matin. J'attends une lettre de Sir Robert Peel. Mais je compte toujours aller vendredi à Drayton. Adieu, Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton Dimanche le19 Novembre 1848

Votre lettre de Drayton d'hier matin, m’est arrivée hier soir. C’est être très bien servi. Je suis charmée que vous abrégiez d'un jour ; je l’espérais. Cette lettre va donc vous attendre à Londres. Quand vous me direz le jour où vous voulez penser à Brighton, souvenez-vous que Lundi le 27 je ne serai pas libre le soir, car c'est un jour de fête dans la famille royale.
Andrieu est arrivé et demeure aussi au Bedford. Je le verrai sûrement. On dit que l'Angleterre l'ennuie à périr. Kielmannsegge me dit que Bruxelles est choisi pour le lieu des conférences italiennes. Le plénipotentiaire anglais est Lord Minto !! Et le Français Toqueville. Je ne sais qui sera l’Autrichien et l’Italien. Je trouve assez étrange ce choix de Bruxelles. Dans toute autre résidence il y aurait un ministre de Russie, qui pourrait prendre une part officieuse aux conférences. Là il n'y en a point. Il est possible que cela ait fait pour Palmerston un motif de préférer Bruxelles. Au reste je n’attache aucune valeur à ce congrès. C'est de la pure comédie. Il n’aboutira pas. C’est bien gros d’avoir fusillé Bluhen à Vienne. Comment Francfort s'arrangera-t-il de cela ? A Berlin la conduite n’est pas assez énergique, ou bien elle l’a été trop. Comment laisser siéger l'Assemblée ?
J’ai vu hier un Rothschild Antony, il pense très mal de Berlin, & dit que rien ne pourra aller tant qu’il y aura le roi. A Paris l'on commence à croire que ce sera Cavaignac qui l’emportera, et on accuse entre autre le journal des Débats. Rothschild est convaincu qu'on lui a donné de l’argent. Un bel ami que vous avez là. Les propos de Beaumont de viennent beaucoup plus républicains et surtout Cavaignac. Voilà tous mes commérages.
Hier les Hollands chez la Duchesse de Glocester, c'était un peu plus animé que de coutume. On dit que Melboune est fini par la tête. Cela c’est bien triste. J’ai écrit à Lady Palmerston pour avoir de ses nouvelles. En attendant son fils William se marie après demain.
8 heures. Andrin est venu mécontent de Berlin, de ce que le gouvernement n’a pas assez de courage. Très content de Vienne. Disputant un sur Bluhen. Rien de nouveau. Tansky écrit en date du 17 que les chances sont toujours pour Bonaparte. Thiers sera bien président, Barrot à l’Intérieur, Bugeaud gouverneur de Paris et de toutes les troupes aux environs. Drouyn de Lhuis affaires étrangères. Walesky ambassadeur à Londres.
On fait beaucoup la cour à Jérome. Les grandes dames y vont. Madame de la Redorte joue. La duchesse de Mont[?] elle ne veut pas rencontrer les dames du nouveau régime. Mad Roger Ditto Mad. Thiers approuve. Tout cela est fort amusant. Tansky n’explique pas le journal des Débats. Quand me l’expliquerez-vous ? Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton-Mercredi 22 Nov. 1848
Midi

Je suis toujours sans nouvelles de Paris à vous envoyer. Il est impossible que je n’en aie pas bientôt. Je sais que Duchâtel n'en a pas davantage. Je crois qu’il viendra dîner aujourd'hui avec moi. Je viens de recevoir un billet de Lady Lovelace qui me presse d’aller les voir dans le Surrey. Dumon y va. Comme de raison, je refuse. Je ne veux plus aller nulle part avant Noël, où j'irai passer quelques jours chez Sir John Boileau.
J’irai vous voir Mardi. J'aurai complétement terminé ce que j'écris. M. Lemoinne emportera, le manuscrit à Paris pour que le Duc de Broglie, le lise. Je l’apporterai mardi à Brighton. Je vous en lirai quelques fragments après l'élection du Président, quelle qu’elle soit, et à moins qu'on n'en vienne immédiatement aux mains, il y aura un moment opportun pour la publication. Les chances vont croissant pour Louis Bonaparte. C'est la conviction des Débats qui sont croyables sur ce point.
Je suis de plus en plus inquiet de Berlin mais pas étonné que de Francfort, on abandonne le Roi de Prusse après l'avoir poussé. C’est exactement ce qui arrivait en 1790 et 91 avec le pauvre Louis XVI. Du dedans et du dehors, on l'excitait, on le compromettait ; puis on ne le soutenait pas. Berlin ressemble extrêmement à notre première révolution. La Cour et la nation. Les idées et les façons d'agir. Et je crains que le Roi de Prusse, qui a plus d’esprit, n'ait encore moins de courage, et n'inspire encore moins de confiance que Louis XVI. Moralement, à coup sûr, il ne le vaut pas. Ni politiquement peut-être. Il y a là de plus l'ambition de la Prusse qui veut prendre l'Allemagne C’est vraiment là l’incendie. Le rétablissement même de l’ordre en France ne l'éteindrait pas. Mais il donnerait bien de la force pour le combattre.
Je suis vraiment triste du bruit qui est venu de Rome sur M. Rossi. Je cherche et ne trouve nulle part des détails. On dit que l'ordre n’a pas été troublé. Mais Rossi lui-même qu'est-il devenu sous ce coup de poignard pauvre homme? Quelle surprise pour lui et pour moi si, quand je l’ai envoyé à Rome, tout cet avenir s’était dévoilé devant nous ! J'espère que l’assassin a manqué son coup. Ce n'est peut-être pas vrai du tout. Il manque bien les choses à M. Rossi. Le cœur n'est ni tendre, ni grand. Mais l’esprit est supérieur ; si juste, si fin, si actif dans son indolence apparente, si prompt, si étendu ! Des vues générales et un savoir faire infini. Très inférieur à Colettis par le caractère et l’empire. J’ai pleuré Colettis. Il m’aimait et je l’aimais. Je regretterai M. Rossi, si le fait est vrai, comme un allié utile et un homme très distingué. L’un et l’autre est rare. Il ne m’a pas donné signe de vie depuis Février. On me disait, il y a quelque temps, qu’il disait qu'il ne retournerait jamais en France. S'il a été assassiné, c’est que le parti révolutionnaire de Rome, le considérait comme un obstacle, sérieux. Ce serait un honneur pour son nom.
J’ai vu hier Charles Greville à dîner, chez le Baron Parke. Il ne savait rien. Parlant toujours très mal des affaires de Sicile. Le Roi de Naples me paraît décidé à laisser trainer cette médiation anglo-française, comme on fait à Milan. On se rejoint ici de la nomination à peu près certaine, du Général Taylor comme président aux Etats-Unis. Cass est très anti- anglais.
Puisque vous prenez votre dame assez à cœur pour en être malade, vous ferez bien de vous en débarrasser, à Brighton, tel que Brighton est à présent, vous pouvez vous en passer. Il y aura tel lieu et tel moment où même cette maussade personne vous manquera. Mais après tout, vous en trouverez une autre. Nous aurons le temps de chercher. Marion vous a-t-elle reparlé ? Adieu. Adieu.
Mardi est bien loin. Je ne puis vraiment pas plutôt. Je suis très pressé. Par toutes sortes de motifs. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton jeudi le 23 Novembre 1848

J'ai eu deux lettres, hier soir, & ce matin. Je suis renvoyée à Mardi. C’est bien long, mais puisque vous pouvez rester si longtemps sans me voir. Il faudra bien que je le puisse. Cela fera quinze jours ! Marion a reçu plusieurs lettres de Paris. Je vous en envoie une, renvoyez la moi.
Mad. Roger écrit aussi. Bien choquée des Normanby qui ont donné leur premières soirées depuis un an, le jour de la proclamation de la Constitution. Cela a fait que personne n’a voulu y aller. Ils se sont divertis avec les Marast & C°. Mad. Royer très contre Cavaignac. Bonapartiste sans enthousiasme ; dégoutée, triste de tout. Et moi aussi. Les Neumann & Koller sont ici aujourd’hui. Je les verrai sans doute. Je ne puis m’empêcher de croire que Miss Gibbons est un peu folle. Elle est dehors, c’est fini depuis hier, elle ne me manque encore que par le plaisir que j'éprouve à ne plus subir les attaques de son humeur. C'est comme cela que j’y pense.
Les nouvelles de Berlin sont assez bonnes. Le corps diplomatique y est revenu. Depuis mars. il habitait Potsdam. Mais Potsdam même est devenu un peu mauvais, ce qui fait que la famille royale s’est fortifié dans le vieux château. Ordinairement chacun des prince demeurait dans sa maison de plaisance, & le Roi à Sans souci.
8 heures
Tansky écrit que Mad. Kalergis est de retour à Paris. Molé a couru chez elle. Amoureux fou, et voulant l'épouser. Tout Paris en parle. Thiers le rival, mais pas pour épouser. Les chances égales pour Cavaignac et Bonaparte. Mais on s'anime beaucoup dans les salons, on s’aborde avec le nom du candidat dans quinze jours on le battra et on se tuera. Marseille et environs. Tout pour Cavaignac. Le télégraphe dit que Rossi ne mourra pas des coups de poignard. Dans le nord de la France, on crie beaucoup vive l’Empereur. C’est aujourd’hui la St Clément je ne l’ai appris que tard j’ai été faire ma politesse. Longue visite de Neumann mais rien de nouveau. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Vendredi 24 nov. 1848
Midi

Je sais bien ce que je vous dirais si je répondais à votre reproche que je puis passer quinze jours sans vous voir. Mais je ne veux pas vous le dire. Je vous aime trop pour sentir le besoin d'avoir toujours le dernier avec vous surtout quand vous vous plaignez de ne pas me voir assez. Voici m’a proposition. Je m’arrangerai en allant vous voir mardi, pour passer avec vous le mercredi, et ne revenir à Brompton que jeudi matin. Cela vous convient-il ?
J’ai enfin terminé mon travail. M. Lemoinne que j'ai retenu, l'emportera dimanche à Paris. Je vous l'apporterai mardi.
Je crains bien que ce que vous me dites de ce pauvre Rossi ne soit pas vrai, et qu’il ne soit bien réellement mort. Le Morning Chronicle dit le savoir de son correspondant à Rome comme de Paris. M. Libri, qui sort de chez moi, me disait que le Comte Pepoli arrivé ces jours-ci de Rome, lui avait dit que Rossi réussissait et réussirait plus qu'on n'avait espéré. C'est pour cela qu’ils l’ont tué. Les révolutions de ce temps-ci sont stupides, et féroces. Elles tuent les hommes distingués, et n'en créent point. M. Libri a reçu ces jours-ci une lettre de sa mère qui lui écrit : « Il se prépare dans les états romains des choses abominables. » On s'attend à des massacres dans les Légations. Je veux encore espérer que Rossi n’est pas mort ; mais je n'y réussis pas. Sa mort m’attriste plus peut-être qu'au premier moment. Ce n'était pas vraiment un ami ; mais c'était un compagnon. Nous avons beaucoup causé dans notre vie. Il me trouvait quelquefois compromettant. Moi, je le trouvais timide. Il est mort au service de la bonne cause. Nous nous serions repris très naturellement, si nous nous étions retrouvés.
J’ai dîné hier chez Reeve, avec Lord Clarendon, que je n’avais pas encore vu. Bien vieilli sans cesser d'avoir l’air jeune. Un vieux jeune homme. Toujours aimable, et fort sensé sur la politique générale de l’Europe. Il était presque aussi content que moi du vote de l'Assemblée de Francfort contre l'Assemblée de Berlin. Il me semble que ce vote doit donner de la force au Roi de Prusse, s’il peut en prendre. Lord Clarendon, est très occupé de l'Irlande et la raconte beaucoup. Il y retourne sous peu de jours. Nous avons parlé de tout, même de l'Espagne. Il s'est presque félicité qu'elle fût restée calme et Narvaez debout. J’ai très bien parlé de Narvaez. Et même de la reine Christine. Il n'a pas trop dit non. Ils ont tous l'oreille basse du côté de l'Espagne. Clarendon est allé à Richmond et parle bien du Roi.
Je dîne Lundi chez Lady Granville. Partout Charles Greville, de plus en plus sourd. Et sans nouvelles. Voici vos deux lettres. L’une très sensée. L’autre assez amusante. Moi qui n’ai pas grande opinion de la tête de M. Molé, j’ai peine à croire à son radotage auprès de Mad. Kalorgis. Est-ce qu'elle est revenue à Paris du gré de l'Empereur, et pour le tenir au courant de grands hommes ? La séance de l'Assemblée nationale sera curieuse demain. Ils s’entretueront. Mais Cavaignac seul a quelque chose à perdre. Ce qui l'a provoqué à provoquer cette explication. La lettre de MM. Garnier-Pagès, Ducler & & est une intrigue pour remettre à flot M. de Lamartine et le porter à la Présidence à la place de Cavaignac décrié. Adieu. Adieu. Je suis bien aise que vous n’ayez plus miss Gibbons sur vos nerfs. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Lundi 2 oct. 1848
2 heures

J'espère bien que cette indisposition ne sera rien. Vous avez raison de vous tenir tranquille et de manger très peu. Le repos et la diète. Moi aussi, j’ai été un peu incommodé cette nuit. Mais ce n’est rien du tout. Je viens de me promener une heure par un joli temps. Le voilà qui se gâte. Quel déplaisir que la distance !
Je suis allé hier voir Dumon. Il y a dans ce quartier bien des maisons à louer. Même deux ou trois. Grosvenor Place qui me paraît un très bon emplacement. Dumon restera seul lundi prochain. Sa femme et sa fille retournent à Paris. Il quittera sa maison de Wilton-Street, et se rapprochera de l'Athenaeum, sa ressource contre la solitude. Mais il sera toujours fort à portée de ce quartier-là. Duchâtel revient à la fin d’octobre, et passera l’hiver à Londres. Si on ne peut pas le passer en France. Presque toutes les lettres de France croient à une crise prochaine qui nous y fera rentrer. Personne ne dit bien pourquoi ni comment. Mais tout le monde le dit, les simples comme les gens d’esprit, à mon profond regret, ce n’est pas mon impression. Voici la nouvelle qu’on m’apporte ce matin, tout bien examiné, tous calculs faits, Cavaignac et ses amis en sont venus à penser que si on tentait de le faire nommer Président maintenant il ne serait pas nommé, et que tout croulerait. Ils se sont rejetés alors dans l’expédient contraire qui serait d’ajourner la nomination du président de la République jusqu'au moment de la dissolution de l'Assemblée elle-même, c’est-à-dire après les lois organiques. Jusque-là, on resterait et exactement comme on est, sans toucher à cette machine qu'on ne peut pas toucher, sans la briser. On m'assure que c’est là ce qui sera proposé ces jours-ci. La réunion de la rue de Poitiers s'y opposera. Mais on croit qu’elle sera battue, toutes les autres portions de l'Assemblée, y compris les Montagnards, désirant éviter une crise dont elles ne se promettent rien de bon pour elles-mêmes. C’est un gouvernement de plus en plus convaincu qu'il ne peut pas vivre, et décidé à ne pas remuer pour ne pas mourir. En définitive, il n'en mourra pas moins. Mais cela peut durer encore quelque temps.
Les Italiens affluent ici, en colère croissante contre la France et la République. Cavaignac ne sait pas la valeur des moindres paroles en Affaires étrangères. Il a, lui-même tout récemment encore, donné aux gens de Milan, aux gens de Venise, aux gens de Sicile, des espérances qui sont tombées le lendemain après une séance du Conseil. On les renvoie à Londres, en disant : " Nous ferons comme Londres. " Et Londres ne dit rien du tout. Le Roi de Naples n'attaquera, pas Palerme. Il prendra, ou se conciliera successivement toutes les autres villes, laissant Palerme vivre comme elle pourra dans son anarchie. Le temps est pour lui. A Rome on augure très mal du Cabinet Rossi. On dit que le Pape l’usera et le laissera tomber comme les autres. Et s’il veut résister plus réellement que les autres, les Républicains demain le feront tomber. Les fantaisies républicaines sont en progrès dans tous les coins. L'avocat Guerazzi reste le maître à Livourne et se promet de devenir le président de la République Toscane. Le cabinet du grand Duc va se dissoudre. Son président, le marquis Capponi, capable et honnête, aveugle et impotent, déclare qu’il ne peut plus continuer, par impotence et par honnêteté. La fermentation républicaine gagne Gênes de plus en plus ; à ce point que l’idée y circule de s'annexer à la Lombardie autrichienne. Si l’Autriche doit consentir à accepter Gênes comme ville libre et port franc. L'Empereur d’Autriche protecteur du Hambourg de la Méditerranée. Vous voyez que tout n’est pas près de finir là. Adieu. Adieu.
J’ai trouvé l'adresse de Salvo. Il part cette semaine pour aller passer quinze jours à Paris. Adieu, j'espère que demain matin, je vous saurai bien. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Vendredi 19 Janvier 1849 Brompton
Midi

Voici deux lettres venues hier ; l'une de mon libraire, l'autre de mon hôtesse. Lisez-les, je vous prie attentivement. J’espère que vous pourrez les lire vous-même sans trop de fatigue pour vos yeux deux grosses écritures. Je n'en persiste pas moins dans ma résolution. Plus j'y pense, plus je suis sûr que c’est la seule bonne. Mais il faut tout écouter. Evidemment le travail sera très actif contre moi. Quelles misères ! Si le bon sens et le courage de mes amis ne sont pas en état de les surmonter, ma présence pourrait bien me faire élire ; mais après l'élection, je serais affaibli de toute la peine que j'aurais prise moi-même pour mon succès. Je ne veux pas de cela ; il faut que j'arrive par une forte marée montante, ou que je me m'embarque pas. Je vais écrire dans ce sens à tout le monde. Renvoyez-moi tout de suite ces deux lettres. Je vous prie. Il doit être arrivé à Brighton encore des journaux pour moi. Le postman par excès de zèle, s'est obstiné à m'en envoyer là quelques uns, sans ordre. Cela cesse aujourd’hui.
Je suis frappé du silence de l'Assemblée et du peu de paroles des journaux sur l'expédition de Toulon. Je doute que l'affaire soit aussi avancée qu’on l'a dit d'abord. Cependant la nouvelle proclamation du Pape, que les Débats donnent ce matin est bien forte. C’est la guerre déclarée aux républicains romains, autant que le Pape peut faire la guerre. Il faut qu’il soit sûr d'être efficacement soutenu. Je n’ai encore vu personne ici. Je vous quitte pour écrire à Paris. J’ai trois ou quatre lettres à écrire. Et longues. Il ne me suffit pas de dire non. Il faut que je persuade ceux qui me demandent de dire oui. Si je ne les ramène pas à mon avis, ils n'auront pas de zèle, et il me faut leur joie. Adieu Adieu. Je n'ai pas encore, ma lettre de vous. J'espère bien qu’elle viendra dans la matinée. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Mardi 23 Janv. 1849

Voici une lettre du Maréchal Bugeaud qui me plaît, malgré un fond de mauvaise humeur, et qui vous plaira. J’ai reçu hier, par deux occasions de Paris et de Lisieux, un déluge de lettres. Piscatory, Mornay, Jayr, Cuvillier Fleury, Plichon & &. Je vous apporterai samedi, celles que je ne vous envoie pas. Pour votre amusement, je joins à la lettre du Maréchal celle de mon hôtesse qui ne contient pas grand chose mais qui vous fera rire. Plus votre lettre de Barante. Mes lettres de Lisieux sont bonnes quant à mon élection. Non que cela doive aller tout seul. J'aurai contre moi, les Républicains les Bonapartistes, des bêtes et des poltrons. Mais mes amis et tout le gros du parti conservateur sont décidés, en train, et se promettent de gagner la bataille, pour peu que les légitimistes les aident. Et les légitimistes promettent de les aider tout haut, Tout ce qui m’arrive me confirme dans ma résolution. C'est l’avis très décidé de Piscatory, à la vérité un peu piqué de son échec électoral à Tours et plus noir que jamais. " J’aurai besoin de le voir, me dit-il, pour croire que dans notre plat pays, il y ait des gens assez braves ou plutôt assez de gens braves pour vous assurer une majorité." Vos extraits des lettres de Mad. Rothschild sont très intéressants. Je crois de plus en plus à la prolongation de l'Assemblée. On grognera, on criera, on finira peut-être par la chasser violemment ; mais on ne commencera pas par là, et en attendant elle durera. C’est tout ce qu’elle veut, par peur et pour argent. J’ai eu tout à l'heure, de bon lieu, des nouvelles du cabinet d’ici. L'orage grossit contre Lord Palmerston. Le vent de Windsor souffle fort. Lord John est troublé. Il y a un cabinet council ce matin. On y parlera beaucoup d'affaires Etrangères. C’est Lord Palmerston qui a essayé de persuader à les collègues que l'expédition de Toulon avait pour but la Sicile, contre Naples. Il voulait. couvrir ainsi sa propre politique. Quelques uns l'ont vraiment cru. Cela tombe et Palmerston baisse. Il a raison de souhaiter le Parlement. Je ne sais si la toile levée lui sera bonne mais l’entracte ne lui vaut rien. Adieu. Que de choses nous nous dirions si nous nous voyions tous les jours? Adieu. Adieu. G. P.S. Mes livres sont arrivés ce matin. En très bon état; les vieux comme les neufs. C’est parfaitement ce que je désirais. Merci et Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton le 24 Janvier 1849

Mercredi Vos lettres sont intéressantes Bugeaud est un peu cross. Votre hôtesse me rappelle Mad. de Sévigné trouvant si bon air à Louis 14 qui lui avait adressé la parole à un spectacle à Versailles. Rien ce matin. Je reverrai Lady Palmerston. Elle critique Thiers. Il veut la régence. Il devrait plutôt aider le Président. Lord Brougham doit être arrivé hier à Londres. Il viendra sans doute ici. N'avez-vous donc pas entendre parler de Thiers depuis votre livre et sur votre livre ?

8 h. Lady Palmerston m’est restée bien longtemps. Si longtemps que j'ai à peine, le temps d’ajouter deux mots. Rien de nouveau. Lord Palmerston terrassera des adversaires. Il fera taire toutes les trompettes de le Europe. C'est vrai que rien n’a été fait, que rien n’aboutit. Mais la Sicile est à la veille de l'arranger. Et quand à la Lombardie, ni les Autrichiens veulent la garder, cela ne regarde pas l'Angleterre. Lord Palmerston croit qu’ils ont tort, mais ce n’est qu’une opinion lord Aberdeen est très monté et parle beaucoup contre son mari. Brunow est à Drayton. Il est venu le dire à Lord Palmerston en riant. Peel est toujours seul, il n’a pas un homme. Les Peelistes ont bien envie d'entrer aux affaires, mais ils n'ont pu de chef. Au demeurant tout va très bien. Les Holland se sont raccommodés. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Mercredi 24 Janv. 1849

Il m’est venu ce matin une bonne occasion pour Paris et j'ai écrit quatorze lettres, grandes ou petites. C’est un grand ennui. Mais je réponds à tout le monde. Il y a telle lettre insignifiante qui, un jour, à son prix. Je crois aussi à de mauvais moments encore dans Paris, et je suis bien aise de n'y pas être. Toutes les nouvelles sont dans ce sens. On m'annonce pour ces jours-ci des lettres détaillées. J'en aurai quelqu'une avant samedi. Louis B. ne peut ni s'établir ni tomber sans bruit. Je persiste à croire qu’avant de tomber, il essaiera et de la République rouge et de l'Empire. Il faut qu’on ait essayé de tout. Pour la première fois, les journaux légitimistes commencent à attaquer. Thiers au nom de la question entre Henry V et la Régence. Lisez l’article ci-joint que je trouve dans l'opinion publique. C’est très grave. Et je crois que c’est absurde à eux. Ils n'ont nul intérêt à faire vider la question d'avance. Il pourraient, un jour, avoir la nécessité pour eux. Le débat préliminaire sera toujours contre eux. L’esprit de parti à tout à la fois des lumières et des aveuglements inconcevables. Je doute que cela finisse sans guerre civile. Et je ne sais pas comment la guerre civile finira. Je suis curieux de savoir si le Constitutionnel relèvera ce gant. L'expédition de Toulon, n'en sortira pas. Et le Pape a raison de rester à rade tant que les Puissances catholiques y compris l’Autriche, ne se seront pas accordées pour le ramener toutes ensemble à Civita Vecchia. Sa présence là, sous une telle escorte, ferait tomber la révolution de Rome. Je conviens que cela ne ferait pas les affaires de Lord Palmerston. Il lui vaudrait mieux que le Pape fût à Rome, impuissant et toujours menacé. Décidément Lord Palmerston est un vieillard. Il ne comprend rien à ce qui se passe et ne sait plus penser et faire que ce qu'il a pensé et fait jadis. Je suis frappé du retour de Lord Aberdeen chez Sir Robert Peel. Certainement il y a quelque chose. On commence à dire assez haut que la Reine se plaint tout haut de Lord Palmerston et s'en inquiète. Savez-vous ce que dit Barante du dîner de M. de Falloux ? " Nous avons eu le banquet du Châteaurouge ; ceci est le banquet du Châteaublanc." Et Dupin après le vote des 48 000 fr. ; pour M. Boulay de la Meurthe, vice président de la République : " 48 est donc le calibre de notre boulet. " J’ai reçu hier un billet pressant de Lady Holland, me priant, au nom de Lord Holland d’aller dîner aujourd'hui à Holland-House. J'y vais. Je serai charmé que Holland House reprît. Je vous dirai les physionomies. Adieu. Adieu. Je voudrais bien que nous fussions seuls quelques heures de Samedi à Lundi. Adieu. G.
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