Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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318. Paris, le 1er mars 1840, dimanche

10 heures

Après avoir fermé ma lettre hier, je suis allée chez votre mère. Le cœur m’a battu en entrant. Elle m’a reçue avec bonté. Vous ne sauriez croire comme elle me plaît. C’est un visage si serein, un regard si intelligent et si doux, et même gai.

 Je l’ai beaucoup regardée. Quand je ne la regardais pas, il me semble qu’elle me regardait aussi. Le Duc de Broglie y était, et y est resté. Il a parlé de la situation tout le temps. Pourquoi le Duc de Broglie a-t-il cet air moqueur et désobligeant ? Je conçois qu’il ne plaise pas. Moi, je l’aime assez malgré cela, et malgré autre chose que je déteste et que j’ai découvert en lui hier. Il a commencé par dire qu’il ne savait absolument rien ; que depuis trois jours il n’avait vu personne du tout ; et puis il nous a raconté son entretien avec le Roi, la veille, et un long entretien avec Thiers le soir, et puis, et puis, tout ce qui se passe. Pourquoi commencer par mentir ? Vous savez l’horreur que j’ai de cela. Si jamais je commence, moi, je continuerai. Mais il me semble que je suis trop fière pour commencer. Les Français ont décidément l’habitude du mensonge ;  je ne connais pas d’Anglais dans lequel j’aie surpris ce défaut. Voyez bien et vous trouverez si je dis vrai!

 Mais je reviens à la rue de la Ville-l’Evêque. Vos enfants ont couru à ma rencontre dans la cour, cela m’a fait plaisir. Ils ont une mine excellente, surtout Henriette. J’ai demandé à votre mère de me les envoyer ce matin pour voir passer le bœuf gras, elle ne le veut pas à cause de leur deuil. Votre mère a été bien polie et affectueuse pour moi.

Delà je fus chez Lady Granville qui est bien malade ; elle n’avait pas dîné ni assisté à la soirée la veille. Nous avons causé pendant une heure, elle et son mari, du nouveau ministère, de votre situation ; il ne sait trop qu’en dire. Moi, je ne me permets pas d’avoir une opinion devant les autres ; j’attends que vous ayez pris votre parti.

J’ai été rendre visite à Mad. Sebastiani sans la trouver. De là chez les Appony qui sont consternés. Appony ne conçoit pas le Roi, et il ajoute qu’il n’aura certainement aucune affaire à traiter avec Thiers, et qu’il entre en conséquence en vacances.

J’ai dîné seule. Le soir la diplomatie est venue. Granville croyait savoir que la nomination du ministère avait été mal accueillie à la Chambre. Médem est enchanté de n’avoir plus Soult et d’avoir Thiers. Il est tout remonté. Brignoles n’a pas d’opinion.

Quand aurai-je mes lettres ? à propos notre correspondance ! Cela ne sera plus très commode. Cela prouve bien votre situation naturelle vis-à-vis de ce ministère.

Bulwer est très malade, je ne puis pas le voir. Il m’écrit ce matin ce matin & me dit qu’Odillon Barot est très piqué contre Thiers qui ne l’aurait pas même consulté pendant la crise. Cela n’est pas trop d’accord avec d’autres avis.

Midi

Génie sort d’ici, il a un peu ébranlé mes opinions d’hier, par les récits qu’il m’a faits de ses entretiens avec vos amis. Il faut attendre ; mais si on tire à gauche, revenir sur le champ : voilà ce qui me paraît ressortir des avis les plus sages. En attendant, la puissance de Thiers me paraît établie dans tous les départements du Ministère.

J’attends votre lettre , car on me dit qu’il y a un gros paquet au bureau de l’hôtel des Capucines.

1 heure

La lettre n’arrive pas. La voilà. Je vous en remercie.

Lundi 2 mars, I heure

Je ne sais pas trop comment vous envoyer cette lettre. Cependant, jusqu’à nouvel avis, je ferai comme vous me l’avez indiqué. Lundi et jeudi au bureau des Affaires étrangères et samedi par la poste.

J’ai été voir hier les trois malades, la petite Princesse, Lady Granville & Mad. Appony. Même fureur chez ceux-ci. Il veut aller au château ce soir.

J’ai eu à dîner M. de Pogenpohl. Ah! mon Dieu, Dimanche passé c’était autre chose! Le soir j’ai été faire visite à Mad. de Castellane; mais quoique j’aie tenu bon jusqu’à onze heures, M. Molé n’y est pas venu, je le regrette. Mad. de Castellane est fort opposition. En bonne catholique, elle a une sainte terreur de M. Vivien. Outre ces faits là, je n’ai rien relevé dans sa conversation.

Lord Palmerston mande à Lord Granville que dimanche il devait avoir un long entretien avec vous. Vous voilà lancé dans les affaires, les dîners et les fêtes. Je crains que, pour commencer, le Duc de Sussex ne vous ait fait longtemps rester à table. Je vois tout cela, et un peu tout ce que vous en pensez. Votre première impression de Londres m’a divertie. Elle est vraie; je n’oublierai pas vos colonnettes et vos figurines.

J’ai fait venir mon petit brigand et l’ai envoyé chez votre mère avec des nappes de Saxe. Elle choisira ; il a tout ce que vous demandez. Les services ordinaires pour 12 personnes, étonnamment bon marché, 129 francs.

Je n’ai de lettres de personne.

Le temps est  toujours brillant et froid. Ceci ne me plait pas ? Je crains la grippe des ambassadeurs. Je ne marche pas.Adieu, il me semble que je vous ai tout dit, tout ce que peut porter une lettre. J’aurais mieux dit à la chaise verte. Ah! que cette chambre est vide! Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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410. Stafford house samedi 8 août 1840
8 heure du matin

Je ne puis pas dormir, je me lève et j’ai été au jardin. Il y a un brouillard épais et froid un temps anglais bien triste, triste comme moi. J’ai vu hier lord Harry Vane longtemps. Homme sensé voyant les choses comme elles sont sans passion. Il regrette la querelle de personnes et trouve que les journaux français ont été maladroits sur ce rapport. Le discours de lord Palmerston avant-hier a eu du succès à la chambre du commerce. On l’a trouvé clair et satisfaisant. Lady Clauricarde prétend que M. de. Brünnow n’en est pas content quant à la partie qui nous regarde. J’ai vu Munchhausen, des bêtises. Lady Palmerston, très sereine, très contente. Les Russes ne disant et ne sachant rien. J’ai dîné trois avec lord & lady Clauricarde. Le soir la promenade en calèche avec elle, et je me suis couchée à 10 1/2. J’ai pu dormir. J’ai oublié hier, la duchesse de Bedford (régnante) et lady William Russell. La première était évidemment venue pour me sonder et apprendre si je connaissais la Reine des Belges. Ils arrivent ce matin, Il y a une soirée pour eux lundi, et mercredi la cour s’établit à Windsor. Lady William Russell dit qu’on est de bien mauvaise humeur à Holland house. Depuis que je sais Louis Bonaparte arrêté je suis plus tranquille.
Personne ici ne croit à votre retour. Moi je ne crois à rien dans le monde qu’à une seule chose.
Midi. Je me sens bien nervous aujourd’hui, plus que de coutume. Le brouillard est dissipé la chaleur est venue, elle ne me réchauffe pas.

1 heure
Je viens de recevoir votre petit mot de Calais. Je serais bien curieuse, bien anxieuse de celui que vous m’écrirez d’Eu. J’ai eu une longue visite de Benckhausen. Mes fils sont en règle. C’est la loi. Je suis charmée, Benckhausen affirme qu’à la cité personne ne croit à la guerre et qu’on pense que le Général français a fait toutes ces démonstrations pour pouvoir en jouir plus dignement. S’il en était autrement nous avons 28 vaisseaux de ligne à Cronstadt qui peuvent être ici dans 8 jours, et 14 à Sébastopol qui peuvent aller rejoindre la flotte anglaise dans le Levant, voilà les dires de la cité, et on est parfaitement tranquille. Je voudrais être calme et me bien porter, mais cela ne va pas M. de Bourqueney n’est pas venu me voir, je le regrette. Je suis assez seule et cela ne me vaut rien. Adieu. Adieu. J’ai une horreur d’écriture. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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12. St Germain dimanche midi
Le 20 août 1843

Hier un gros orage, point de visites de Paris. J’ai été voir madame [Svétehein] qui a une maison à St Germain. Elle est trop pédante, cela ne me va pas. Je crois l’avoir déroutée un peu, car pour le plaisir du contraste je suis plus que jamais restée simple. Cependant à tout prendre nous ne nous sommes pas ennuyée. Madame de Nesselrode ne vient pas. C'était un conte. Savez-vous qui ne m’ennuie pas et ne m’ennuiera jamais ? C'est la jeune comtesse. Sa bonté sur [?] tellement qu'on se sent le cœur tout réjoui avec elle, et mon esprit, je l'oublie.
Le N°8 m'arrive dans cet instant ; c'est donc à mercredi, pas plus tard je vous en prie. Je suis frappée de ce que vous me dites que les Espagnols pourraient vouloir un grand mari. Dans ce cas là, et s'il n’y avait pas d’autre alternative, il faudra bien que vous soyez le grand mari, better you would or not.
Nous attendrons Kisseleff à dîner aujourd’hui. L'air est fort rafraîchi mais il fait beau. Je griffonne mais la jeune comtesse entre et sort. Je ne sais pas ce que j'écris. Qu’est-ce que cette nouvelle aventure avec l'Angleterre ? Un français tué. On va vous donnez encore bien de l'ennui. Albert Esterhazy arrive après demain. Cela fait de grandes joies et de grands chagrins, car au fond les parents en pleurent. Toute la famille Kotchouby mère & tous les fils arrivent aujourd’hui au Havre. Hélène y arrive aujourd’hui aussi, de sorte que l’à propos est complet. La comtesse Strogonoff sera ici dans quinze jours. La mauvaise chair qu'on fait ici m’a un peu dérangé l’estomac. N’était cela je me porterais parfaitement bien, car certainement l’air me convient. Adieu. Adieu.
Je ne vois point de nouvelles dans les journaux ! L’arrivée d’Espartero n’est pas confirmée est- elle vraie ? Adieu. C'est long encore jusqu’à mercredi ! Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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10 Du Val Richer, Lundi 21 août 1843

Voici mon dernier numéro. Mercredi sera charmant. Il me semble que je viens de passer dix jours absolument seul sans voir personne, sans parler à personne et que je retrouverai Mercredi, ma société à moi, toute ma société.
J’ai pourtant beaucoup écouté et beaucoup parlé hier soir. Salvandy a passé deux heures dans mon cabinet. Il est toujours bien perplexe. Le Roi ne l’a pas décidé. Je crois avoir un peu plus avancé hier. Mais ce n'est pas sûr. Par malheur pour lui, plus je l’entends, plus ma conviction qu'il ne peut pas retourner en Espagne s'affermit. Soyez tranquille. Il n’y a point de chance de faiblesse. Et en même temps je dois le dire, je le trouve plus honnête, plus touché des bons motifs que je ne le croyais. Il me demande de marier sa fille. Si je marie sa fille, il ira où je voudrai, n’ira pas où je ne voudrai pas. Il sera parfaitement content. Elle a vingt ans, de l’esprit, pas jolie, fort peu d’argent, quelques espérances et elle lui dit : " Mon père, prenez garde ; se brouiller avec le Cabinet, c’est se brouiller avec le Roi, et le parti conservateur." Je crois qu’en définitive. il prendra Turin. Il me revient de Madrid qu'Aston laisse voir quelque envie d'y rester. Il a fait donner par le Chargé d'affaires du Danemark, M. d'Alborgo, un dîner au Duc de Baylen. Tout le corps diplomatique y était. Aston a été fort poli, et presque caressant avec tout le monde. En même temps pourtant il parle mal du nouveau gouvernement. A propos du départ de Prim comme gouverneur de Barcelone il disait : " Il va se faire fusiller, ou bien il bombardera Barcelone, ou bien il se mettra à la tête d’une nouvelle insurrection. " Prim répond bien qu’il ne fera rien de tout cela. Il est tout-à-fait dans la main du Général Serrano qui me parait de plus en plus, l'homme de tête et de cœur de l’évènement. Narvaez se conduit plus sagement et avec moins de prétentions que dans les premiers jours.
Il a plu hier au soir par torrents. Ce matin le soleil reparait. En tout ces dix jours ont été très beaux. J'en ai joui à St Germain autant qu’au Val-Richer. Avez-vous fini par vous arranger avec les gens d'écurie comme avec les coqs de Beauséjour ? Je sais bon gré à la jeune Comtesse de ses soins pour vous. Je chercherai quelque manière de lui faire plaisir.
Je commence à croire tout-à-fait que le général Oudinot n’a pas été à Pétersbourg. Il y serait depuis longtemps et d'André me l’aurait écrit. Nous aurons fait de la sévérité en l’air. Il n’y a pas de mal. Il en saura quelque chose, l'Empereur aussi, et l'effet en sera bon. J’espère que d'André aura eu l’esprit de ne pas tenir absolument caché ce qu’il était chargé de faire en cas. Je vous quitte, selon ma coutume, pour ma toilette.
Je vous reprendrai tout à l'heure. Adieu. Adieu.

10 heures Je ne vous reprends que pour deux minutes. Il m’arrive une foule de dépêches que je veux lire avant de les renvoyer. Elles me conviennent en général. Celles de St. Domingue sont très bonnes. Je ne vous ai jamais parlé de cette affaire-là. J'y mets de l’importance. Le Prince de Joinville et le Duc d’Aumale vont en se promenant en mer, faire une visite à Woolwich, et de là à Windsor. Je suis toujours bien aise qu’on les voie. Adieu Adieu. A après-demain.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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2. Au château d’Eu Vendredi 1 sept 1843
9 heures

Je me lève. J’ai très bien dormi. J'étais fatigué hier soir. Je dors dans ma voiture comme il y a vingt ans et ma voiture est beaucoup meilleure qu’il y a vingt ans. Mais j’ai vingt ans de plus. Je suis très reposé ce matin. La Reine ira-t-elle à Paris ? That is the question. Personne n’en sait rien. Sebastiani qui est arrivé hier de Londres dit oui. La Reine des Belges persiste à dire non. En tout cas, le Roi le lui proposera et insistera. C'est mon avis comme le sien. Nous en tremblons pourtant. Des cris de polissons, un coup de scélérat, Tout est possible en ce monde et de notre temps. Nous avons fini hier le Roi et moi, par nous troubler beaucoup l'un l'autre en en parlant. Cependant la conclusion est restée la même. Il faut proposer et insister convenablement si elle ne veut pas, c’est bien. Si elle veut, nous ferons comme si nous ne craignions rien, et tout ira bien. Si elle veut, le Roi lui offrira deux logements, St Cloud ou les Tuileries à son choix. Aux Tuileries l’appartement de la Duchesse de Nemours en y joignant celui de la Reine des Belges, qui touche. Ce sera bien. St Cloud serait mieux, plus beau, plus gai et plus sûr. Comme elle voudra. Je suis ravi qu’elle vienne. Je serai très heureux quand elle sera partie. Elle est très aimable, car elle veut l'être beaucoup. Elle a dit aux Princes que depuis longtemps, elle était décidé à mettre le pied sur un bâtiment Français avant tout autre et à entrer dans le palais du Roi avant tout autre.
Les récits de Sebastiani sur son gouvernement sont aussi bons que ceux de l’intérieur de la famille sur elle-même. Peel, Aberdeen et le Duc de Wellington excellents, parlant de l’épreuve qu’ils viennent de faire de nous et de notre politique en Espagne comme d’un fait décisif. Peel parlant de moi, en termes qui font dire à Sebastiani : " C’est un ami que vous avez là. " Et puis autre chose encore que je vous dirai, et qui ne vient pas de Peel. L'opposition est bien et veut être bien sur le voyage de la Reine. Palmerston dit qu'elle a raison. J'ai deux longues lettres de Chabot. Il a encore un peu tort, mais moins que je ne pensais. Ce n’est pas du tout lui qui a demandé à venir ici ; c'est le Roi qui de lui-même, ou plutôt sur la provocation du Prince de Joinville, l’y a engagé, et l'a fait en me le disant.
Je tiens ceci du Roi à qui j'ai dit que je gronderais un peu Chabot ; et la lettre qui m’est venue hier de Chabot est parfaitement d'accord. Je suis bien aise d'avoir dit ce que j'ai dit. Ceci bien entre nous. Je ne sais pourquoi je vous dis cela. Mais on parle souvent vous le savez ; sans raison aucune, pour se satisfaire soi-même. Autre question qui nous préoccupe fort. Le Roi, ira-t-il en mer au devant de la Reine, pas loin, mais enfin en mer, en rade du Tréport ? Il le veut, et il a raison. On s'y oppose beaucoup autour de lui ; on me demande de m'y opposer. La Reine des Belges m'en a conjuré hier. On a l’esprit frappé des accidents. L’entrée du Tréport est difficile ; il y a peu d'heures dans la journée, où elle soit possible. Le Roi pourrait se trouver retenu dehors avec la Reine Victoria. Ses deux souverains hors de chez eux, et ne pouvant rentrer chez eux, ni l’un chez l'autre. Il y aurait à rire. Pourtant je suis de l'avis du Roi. La prudence est bonne, et aussi la crainte de faire rire. Mais on ne ferait rien, si on ne savait pas courir la chance de faire rire et pleurer. Et puis vraiment, il n’y aura lieu ni à l’un, ni à l'autre. En soi, la chose me parait simple et convenable. Le Prince de Joinville a un autre petit ennui. Ses deux steamers, le Pluton, et l'Archimède, ne marchent pas aussi bien que le steamer de la Reine qui est un bâtiment fort léger sur lequel on a mis une énorme machine de la force de 450 chevaux. Il craint de ne pouvoir la suivre de Cherbourg au Tréport.
La Princesse de Joinville est bien gentille ; grave comme un bonnet de nuit, en l’absence de son mari, elle ne peut par s’y accoutumer. Elle a quatre heures de leçons par jour, histoire géographie, littérature, français, dessin etc. Je vous quitte pourtant. Il faut que je fasse ma toilette. Le Roi déjeune à 10 heures et demie. J'aurai votre lettre dans une heure. Je ne sais pourquoi Versailles me semble plus loin que Beauséjour
10 heures Oui, Versailles est plus loin que Beauséjour. Vraiment, si cela ne vous contrariait pas trop je vous aimerais mieux à Beauséjour et à Paris pendant ce voyage. Vos idées, vos avis me sont nécessaires, et nécessaires à mon monde de Paris. Par Génie, tout ce que vous penserez ira à qui il faudra. Et la promptitude est tout en ce moment. J’ai bien envie de vous séduire. Je vous écrirai plus souvent si vous êtes à Beauséjour. Mes lettres vous arriveront plus vite et auront un effet s’il y a un effet à avoir. C’est abominable ce que je dis là. Je vous écrirai aussi souvent quoiqu’il en soit, pour mon plaisir et pour le vôtre. Mais il est sûr que Beauséjour est plus utile. J’écrivais ce matin à Duchâtel pour le télégraphe.
Molé a de l’esprit. Je le savais. Mais l'humeur le lui ôte quelque fois. L’humeur de tous les autres m'amuse infiniment. L'enfantillage m'étonne toujours un peu. Pourquoi avoir de l'humeur quand on ne peut et ne veut rien faire ? Soyez tranquille ; je ne serai pas trop orgueilleux. Mais je vois bien tout ce que ceci vaut. Je sais bon gré au duc de Noailles. Je vais déjeuner. Merci de ce N°1, bon et long. La longueur est ici la mesure de la bonté. Adieu. Adieu. A tantôt. La poste ne part qu'à 2 heures

Midi et demie. Je viens d'avoir un rare honneur. J’entre dans la salle à manger. La Reine prend la Princesse de Joinville à sa droite, et me fait signe de me mettre à côté d’elle. Mad. du Roure à qui je donne le bras, et qui n’a pas vu le signe, me dit : " à côté de la Princesse Clémentine. Je n’en tiens compte et je me mets à côté de la Princesse de Joinville. " Mais non, non. " me dit mad. du Roure. - Mais si, dit avec un peu d'impatience la Princesse de Joinville, la Reine l'a dit. " Je m'assieds donc. Mad du Roure se penche vers moi et me dit : " C’est qu'en général on ne met personne à côté d'elle ; elle ignore tant toutes choses ! Et en effet, je ne l’ai jamais vue qu'entre deux Princes ou Princesses. On a fait une exception pour moi, la Reine l'a voulu et la Princesse en avait envie. J’ai causé. Parfaitement naïve, ignorante, vive, se tenant bien droite, le ton un peu brusque. Elle attendait que je lui parlasse et se tournait vers moi un peu impatientée quand j'étais quelque temps sans lui parler. A tout prendre j'en ai reçu une impression agréable. On a trop peur de ses ignorances. Pour le coup, ceci pour vous seule. Décidément la Reine des Belges insiste pour qu'on ne presse pas la Reine de venir à Paris. Elle en aurait envie, mais elle ne peut guères. Elle a promis de ne pas s'éloigner des côtes. On se croirait obligé de nommer une espèce de Conseil de Régence si elle s’enfonçait bien loin. L’insistance l'embarras serait. Elle craindrait que le refus ne fût une maussaderie. Voilà le dernier état de la question. Adieu. Adieu. Adieu. G.
Voici la lettre de Lady Palmerston. Evidemment gracieuse à dessein, quoique de loin. Cela est fort d'accord avec le dire de Sebastiani. Dites, je vous prie à Génie ce qui est de nature à lui être dit dans ce que je vous écris, pour que je ne sois pas obligé de l'écrire deux fois. J’ai et surtout j'aurai bien peu de temps.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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3 Château d’Eu, Samedi 2 sept 1843
6 heures et demie du matin.

Il fait toujours très beau, et bon vent d'ouest. La Reine, la nôtre, avait grand peur que l'autre Reine n’arrivait cette nuit. Le danger est passé. Les Cowley sont arrivés hier à 3 heures. J'ai été les voir sur le champ en revenant du Tréport où j'étais allé avec Mackan m’assurer de tous les préparatifs. Ils ont l'air bien contents. Mais Lord Cowley, qui avait d'abord cru le contraire, dit que la Reine n’ira pas à Paris, qu'elle ne le peut pas cette fois. Nous verrons bientôt. Je crois quelle n'ira pas.
Chabot est arrivé aussi. Je lui ai fait mon admonition. Le tort était petit, à part ma facilité naturelle et ma bonté particulière pour lui. Il m’a écrit que le Roi le mandait à Eu le lendemain du jour où il l’a su ; et ce n'est pas sa faute si je le savais déjà depuis plusieurs jours, le Roi me l'ayant mandé tout de suite. Il est d'ailleurs fort agréable à entendre sur notre et ma bonne situation à Londres. Il y a évidemment un parti pris de s’entendre avec nous sur toutes choses et de reprendre en même temps le fond et les dehors de l’intimité.
Lord Aberdeen a assez mal reçu Neumann sur les propositions de M. de Metternich en faveur du fils de D. Carlos. Il les aimerait assez en principe, mais il ne croit pas au succès et ne veut pas s'en mêler du tout. Neumann à écrit qu’il n’y avait rien à faire du foreign office sur cette question là. M. de Metternich avait écrit partout, à Berlin entr'autres, qu’il était sûr de l'Angleterre et n'attendait plus que la France. La vanterie n’est pas un défaut des seuls Français. Le gouvernement représentatif en corrige beaucoup. Le ridicule ne peut pas s’y cacher.
Le corps diplomatique de Londres ne voulait pas croire au voyage. Là aussi on pariait, Brünnow comme Kisseleff. Lord Aberdeen y a été très favorable quoi qu’il souffre beaucoup en mer. Je crois toujours que l’espoir Cobourg y est pour quelque chose. Le Prince Albert et le Roi Léopold ont évidemment beaucoup contribué à la résolution. Votre recommandation est donc bien placée, mais point nécessaire ; soyez sûre.
L’appartement de la Reine est bien arrangé. Un bon salon avec un meuble de beau Beauvais, fond rose et des fleurs d'un travail admirable. Un bon Cabinet pour le Prince Albert en velours cramoisi. La Chambre à coucher, (j'oublie la couleur) grande et très pleine de meubles. Un lit immense. (jaune, je me souviens) en face de la cheminée. Au fond du lit un grand portrait de la grande mademoiselle à plus de 50 ans, grosse, forte, le nez en l’air, quoique long, l’air hautain et étourdi, bien comme elle était. Des portraits dans toutes pièces, et dans tous les coins de toutes les pièces. En face du lit de la Reine à droite de la cheminée, le père de l'Empereur Napoléon, Napoléon et M. de Lafayette. A gauche, trois Princes de la maison de Bourbon anciens, je ne sais plus lesquels. Après la Chambre de la Reine, son cabinet, pas grand, fort joli. Beaucoup de petits comforts inspectés par le Roi avec un soin incroyable. Il était bien en colère hier parce que les serrures n'avaient pas bonne mine. Elles auront bonne mine.
J'ai vu hier Madame la Duchesse d'Orléans. bien triste. Je la trouve un peu engraissée, mais fatiguée et le teint échauffé. Bon et beau naturel. Soyez en sûre Elle viendra un peu le soir, dans le salon de la Reine. Ce sera sa rentrée dans le monde. Le Comte de Paris est à merveille, gras, gai, l'œil ferme et tranquille. Le duc de Chartres bien grêle et bien vif. Je l'ai vu hier au Tréport. Le comte d’Eu sur les bras de sa nourrice, un superbe enfant.
Le camp de Plélan va très bien. Parmi les légitimistes bretons, l'ébranlement est général ; et la masse de la population accourt au camp avec avidité. Les curés très puissants là, se rallient tous. Le Duc leur convient. La Duchesse plait. Et les soldats aussi plaisent au peuple. La Bretagne n'avait rien vu de pareil depuis on ne sait combien d'années. Les comédiens de Vannes sont venus s'établir au camp. On s'amuse utilement. A propos de comédiens nous aurons ici lundi, l'Opéra comique et le vaudeville. Jean de Paris et les deux voleurs ? Qu’est-ce que les deux voleurs ? Arnal y est-il ? Il faut pourtant que j'écrive à d'autres. Nous serons probablement convoqués, tout à coup, après le déjeuner, pour nous rendre au Tréport. Dès que la flottille de la Reine sera en vue, trois coup de canon l’annonceront. Nous endosserons notre uniforme, nous monterons dans les calèches; et Dieu sait quand nous reviendrons; à quelle heure je veux dire. Les approches, la marée, le débarquement, les cérémonies, rien ne finit. Cette lettre-ci partira donc sans que j’y puisse rien ajouter, par le courrier de 2 heures. Mais je vous écrirai ce soir par l'estafette. Il n’y avait rien à faire du télégraphe. On n'aurait pu aller le rejoindre qu'à Boulogne 28 lieues d’ici. Mad. Angelet (vous savez qui c’est, elle a élevé la Princesse Clémentine) m'a fait les plus agréables rapports sur ce qu’on disait de moi, à Windsor, la Reine et tout le monde autour de la Reine. Je me suis trompé, c’est miss Lisdle et non pas miss Leeds ; une sœur de Lady Normanby. Adieu. Adieu. Je vous dirai encore adieu après le déjeuner, avant de monter en voiture.

9 heures. Voilà du canon. Le Roi me fait demander. Je pars. Adieu. Adieu. G.

Onze heures Je reviens. Ce n’était pas la Reine, mais un petit steamer anglais envoyé devant pour annoncer qu'elle arrivera vers 2 heures. The Ariet, Captain Smith. Il a quitté la Reine à Portsmouth. Elle a dû partir de Falmouth hier au soir à 6 heures, pour passer dans la nuit devant Cherbourg. Le Prince de Joinville, averti aussi, a dû quitter hier soir la rade de Cherbourg pour aller rencontrer la Reine en mer. Tout cela est arrangé, calculé avec une précision admirable. Nous venons de déjeuner et nous rentrons chez nous jusqu'à l'heure.
Que le n° 2 est amusant ! Je répète avec vous : " C’est trop bête. " Ne trouvez-vous pas que quand on n'a pas naturellement beaucoup d'esprit il ne sert à rien, dès que la passion arrive, d'être bien élevé et de bonne condition ; on tombe au plus bas, on devient grossier et subalterne, comme si on avait passé sa vie dans l’antichambre.
Vous avez mis Andral pour Arnal. J'en ai ri. Mon pauvre Andral a failli perdre tout à l'heure sa femme d’une fluxion de poitrine, la fille de M. Royer-Collard. Elle est un peu mieux. Je déjeunais à côté de Lady Cowley. J’ai fait avec elle ce que vous auriez fait avec son mari. Je lui ai soufflé l'humeur d’Appony. Je ne savais pas que Georgina eût le cœur si français. Au point, me disait sa mère, qu’elle trouve à tous les Anglais en France, l’air vulgaire. C’était à propos du Capitaine Smith ; et pour lui, il y a du vrai. Mais pas du tout en général. Adieu. Adieu. Je dis comme tout-à-l'heure. Il faut pourtant que j'écrive à d'autres. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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3 Versailles, Samedi 2 Septembre 1843
6 heures du matin

Me voici bien véritablement à Versailles, mais cela ne me plait guère. L’appartement que j'occupe est au midi. J’étouffe. J’ai passé une nuit détestable. J’ai fait hier un mauvais dîner qui me dérange l’estomac. Enfin cela commence très mal. Je commence à me croire bête. Je ne sais pas les arranger. Kisseleff est venu hier à Beauséjour avant mon départ. Je voulais lui dire que le corps diplomatique se conduisait très sottement et lui insinuer par là la convenance de faire et dire autrement. Il s’est avoué coupable du pari, il les regrette extrêmement. Je l’ai rassuré, j’ai dit que quoiqu'on les sût on n’y ferait pas attention mais il faut qu'il règle son langage ou il a affirmé et je le crois qu’il dit à tout le monde en parlant du voyage " c’est un très grand événement ", & lorsqu'on lui jette à la face la petite fille. Il dit une petite fille qui est un roi, qui arrive flanquée de ses vaisseaux de ligne ; et accompagnée de son ministre, c'est le gouvernement, c'est l'Angleterre. Je l'ai loué et exhorté à continuer. Quand on a de l'esprit c’est comme cela, qu'il faut faire. Je voulais sérieusement rendre service à Kisseleff, et je suis sûre de mon fait en faisant ressortir que tous ses collègues sont des sots.
Ce pauvre Fluihman que j’attends qui est venu a été renvoyé brutalement par ce sot de Stryboss. Pauvre homme dans cette chaleur. Je lui ai écrit pour l’inviter ici aujourd’hui mais il ne me croira plus.
J’ai quitté Beauséjour à cinq heures, seule. J’ai dîné un peu tristement et mal. J'ai marché sur le pavé dans les ténèbres suivie d’Auguste. Comme c’est gai. Je suis entrée un moment chez Mad. Locke dont l'appartement touche au mien. Elle est très bête, sa fille a un ton de village, le mari ne dit plus un mot. Ce trio n’est pas soutenable si l'on ne vient pas me voir de Paris cette solitude sera intolérable.
J’attends votre lettre. Je voudrais bien savoir cette reine arrivée. Si elle tarde c’est autant de jours de pénitence de plus pour moi, et je les trouve déjà bien longs. Serra Capriela donne demain une soirée diplomatique au comte de Syracuse. Appony devait venir passer la journée chez moi, ceci l’en empêche.
Une heure. Voici votre lettre. Je vous en prie pas de galanterie en mer. Que le Roi n’aille pas au devant. La bonne grâce serait quand elle approchera et lorsque son bâtiment sera en rade. C'est-à-dire en parfaite sécurité, que le Roi monte en bateau ouvert pour la recevoir. Il est clair qu'il faut un bateau dans tous les cas. Je ne connais pas votre Tréport mais s’il est fait comme d'autres ports le bateau à vapeur n’arrivant pas jusqu’au bord il faut toujours se mettre en chaloupe pour aborder. C’est donc chaloupe que je voulais dire, et encore j'ai bien envie de m’en dédire. Je ne suis pas le moins du monde de votre avis sur ces sortes d’entreprises. " Là où il y a la plus petite chance d’un très grand malheur il faut s’abstenir ! " (traduction littérale d'un dicton Anglais.) Que le Roi reste chez lui. Et surtout pour Dieu que vous y restiez. Je n’aime pas toutes ces aventures. Ah que je voudrais qu’elle fut déjà là ! Votre lettre me fera trembler jusqu'à demain. Et puis je recommencerai. Vous me rendez très nervous par cette chance d’une promenade en mer si la Reine n’est pas arrivée demain quand vous lirez ceci, suivez-mon conseil. Je vous en conjure ; écoutez-moi.
Je vois que vous me voulez à Beauséjour. J’y retournerai puisque c’est votre volonté. Je coucherai encore ici aujourd’hui. Vous ne savez pas comme vous venez de m’inquiéter, et puis quand je me rappelle que nous nous sommes quittés si gais j'en reviens à un pressentiment triste. Je vous demande à genoux de ne pas vous embarquer, de ne pas embarquer le Roi. Adieu, adieu.
J'écris à Génie pour le prier de venir ici. Peut-être viendra t-il. Madame Narychkine revenue de Bade me rapporte la nouvelle que les trois filles du Grand Duc Michel se marient. L'ainée au Duc royal de Wurtemberg. La seconde au Duc régnant de Nassau. La troisième au Prince héréditaire de Bade. Tout cela d’excellents mariages. Et l’Empereur qui ne parvient pas à en faire de bons pour ses filles. Qu’est-ce que je vous dis là ! Je n’ai plus autre chose dans la tête que cette navigation du roi. Abominable idée jetez la par terre je vous en supplie. Adieu. Adieu. Adieu. Non pas gaiement du tout mais avec une horrible inquiétude. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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5. Château d’Eu Dimanche 3 sept.1843
8 heures et demie

Il faut croire à la puissance des idées justes et simples. Ce pays-ci n’aime pas les Anglais. Il est Normand et maritime. Le Tréport a été brulé deux ou trois fois, et pillé, je ne sais combien dans nos guerres. Rien ne serait plus facile que d'exciter ici une passion qui nous embarrasserait fort. On a dit, on a répété : " La Reine d’Angleterre fait une politesse à notre Roi ; il faut être bien poli avec elle. " Cette idée s'est emparée du peuple et a tout surmonté, souvenirs, passion, partis politiques. Ils ont crié et ils crieront Vive la Reine, et ils applaudissent le God save the Queen de tout leur cœur. Il ne faudrait seulement pas le leur demander, trop longtemps. Ce n'est pas qu'une autre idée simple et plus durable, la paix, le bien de la paix, ne soit devenue et ne devienne chaque jour très puissante. On la voit au dessus du peuple, parmi les petits bourgeois, et parmi les réfléchis, les honnêtes du peuple. Elle nous sert beaucoup on ce moment. " Quand on veut avoir la paix, il ne faut pas se dire des injures et se faire la grimace." Cela aussi était compris, hier de tout le monde sur cette rive de la Manche. Il y avait vraiment beaucoup de monde.
Voici le N°3 ! Qu'il me plaît malgré, votre peine, à cause de votre peine ! Je me le reproche. Pardonnez-moi ; mais aimez-moi comme vous m’aimez. C’est tout ce que j’aime au monde, tout ce à quoi je tiens vraiment au fond. Vous avez vraiment eu tort d'être si inquiète. Je n’aurais pas risqué César et sa fortune, et bien plus que la fortune de César. Nous n'avons fait d'ailleurs que ce que vous même jugez nécessaire : Un mille en rade, dans le canot royal ; c'était charmant, dix huit rameurs, tous beaux jeunes gens, en chemise blanche, pantalons blancs, l’air si gai sous la sueur qui ruisselait de leur front, la mer aussi sereine aussi bleue que le ciel. Et vous étiez inquiète à ce moment là ! Je pensais à vous ; je vous plaçais dans ce canot ; je vous faisais monter avec moi à bord du yacht de la Reine. Vous aviez un peu peur, peur pour vous. Moi, je n’avais pas peur je tenais votre bras, et j'étais heureux. Que tout ce qui se passe dans la vie extérieure est peu de chose à côté de ce qui traverse et remplit l'âme !
Vous ai-je dit hier soir que décidément il n’y aurait pas de Paris. Je le crois. Je vous répète peut-être souvent les mêmes choses. C’est bien long d’ici à jeudi ! Je vous aime réellement mieux à Beauséjour. A Versailles, vous êtes à la merci des autres. Ils vont ou ne vont pas vous chercher. A Beauséjour, vous pouvez aller chercher quelqu'un, faire vous-même quelque chose pour vous.
Midi . Je reviens du déjeuner. Hier, j'étais en uniforme, en grand uniforme. J'y avais fait mettre Mackan, Lord Cowley, Lord Aberdeen, Lord Liverpool. Le Roi et les Princes, et tous les autres sont venus dîner en frac. Et le Roi ma dit après dîner que la Reine l’aimait mieux. Pour la commodité du Prince Albert, je présume. Ils ont tort. Quand on ne peut plus se gêner en haut, il ne faut pas s'étonner qu'on ne se gène plus en bas. Hier, à dîner à côté de Lady Canning moins jolie qui je ne l’avais laissée ; des sourcils trop noirs et qui se rejoignent. Ce matin, à déjeuner, Lady Cowley. Elle m’a dit qu’elle allait vous écrire pour vous dire ce qu'on (moi) ne vous disait pas, les toilettes, les bêtises. Est-ce que je ne vous en ai pas dit ? Elle m’a parlé de vous avec un intérêt assez vrai et un vrai respect. La reine la traite bien. Elle me paraît très contente.
Les Anglais qui entourent la Reine se préoccupent, en ce moment même, à ce qu’on vient me dire, du lieu et de la manière dont se feront aujourd'hui, pour elle et pour eux, les prières. Le lieu, ils n'en manqueront pas, on arrangera une salle du château ; mais la manière, je ne sais ce qu’elle sera si la Reine n’a pas amené de chapelain. Je suis ici, je crois le seul Protestant, et point chapelain. Je vais causer avec Lord Aberdeen à une heure, et il ira chez le Roi, à 2.
Vos préceptes sont excellents et je les mettrai en pratique. Demain, pendant la grande promenade de la forêt, je m’arrangerai pour l'avoir près de moi et lui vider mon sac. Je le trouve fort enclin à comprendre que le Prince de Metternich ne veut plus avoir d'affaire et que tout le monde ne peut pas être aussi fatigué que lui. Adieu. Adieu.
Il faut que je ferme mes dépêches, quelques mots à Génie, et puis que j'aille chez Lord Aberdeen. Il y a deux mois que la Reine était décidée à ce voyage et en a parlé à Lord Aberdeen et à Sir Robert Peel qui l’ont fort approuvé, en lui demandant de n'en point parler jusqu’après la clôture du Parlement. Voilà leur dire. Il ajoutent que l’opposition, Palmerston surtout, y était contraire et eût travaillé à le faire échouer, si on en eût parlé. Adieu, encore. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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6. Versailles Lundi 4 Septembre 1843
9 heures

Quel charmant récit ! Votre N°4 est une peinture vivante de cette magnifique rencontre. Je suis ravie. La Chaloupe est bien à la bonne heure. Et puis quand elle partira la Chaloupe encore s'il fait beau et pas plus et pas autre chose, je vous en prie.
J’ai eu votre lettre à 5 heures par un spécial que m’a envoyé Génie. Il s’offrait à venir lui même après son dîner, mais je lui ai mandé le principal de ce que vous me dites pour l’en dispenser.
Avant cela, à 3, est venu Fleichman. Bon homme et même pas sot mais trop peu au courant. Ainsi ébahi quand je lui dis qu’Aberdeen était du voyage. Il a ouvert ses plus grands yeux, c'est alors seulement qu'il a compris que ce voyage était quelque chose, au reste il parle bien, et il n'a jamais mal parlé car il n’était même pas à cette fameuse soirée de mardi chez Appony qui a fourni de si curieuses observations à Molé. Il trouve que c’est immense. Il croit que son Roi rira de ce que cela vexera les autres. C’est tout-à-fait dans le caractère du Roi de Wurtemberg.
La jeune comtesse est arrivée ici avec du monde russe, elle m’a amusée et m’amusera encore jusqu’à ce soir. Elle retourne à Paris. Mes voisins les Locke m'ennuient moins. Ils sont bonnes gens. Je les ai vus hier plusieurs fois. Je suis un god send pour eux avec mes nouvelles sur leur reine.
Je trouve les premières paroles d'Aberdeen excellentes, vous aurez soin que le remplissage ressemble au cadre. J'espère bien que vous lui parlez Français. Un Anglais s’offense quelque fois quand un étranger lui parle autrement. Pour le Roi c'est autre chose, c'est sa coquetterie et il fait bien. Fleichman nie fort et ferme le mariage de son prince royal avec une fille du grand duc Michel. Porte-t-on à dîner la santé de la reine d'Angleterre. Je crois que vous aviez oublié de mettre cela sur votre mémorandum. On dit que les deux voleurs sont très ennuyeux. C'est de l'opéra comique.

1 heure. Voici le N° 5. Merci toujours merci car au milieu de tant de distractions et d’affaires vous m'écrivez de bonnes lettres. Dites-moi quand vous revenez. Quel jour, quelle heure. Je ne m’ennuie pas ici, mais je ne me porte pas bien, je ne sais ce que c’est, peut-être la chaleur ne m’a-t-elle pas convenu. Aujourd'hui il fait frais. J’attends Appony et Armin. Comment trouvez-vous l’adresse de la fête à Espartero ? Adieu. Adieu, j’irai voir Trianon avec la jeune comtesse. Adieu tendrement, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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8 Château d’Eu Mardi 5 Sept. 1843
6 heures et demie

Enfin j'en sais le terme. La Reine part jeudi par la marée du matin. Je ne vous ai peut-être pas conté, tout M. Salvandy. Je n’en ai pas eu et n’en ai pas le temps. Mais nous étions convenus qu’il reviendrait ici pendant mon séjour et que nous y viderions ce qui le regarde. Il n’est pas venu, quoiqu’il ait fait pour cela, la Reine étant à Eu. J’ai prié le Roi de l’inviter à dîner pour jeudi, la Reine partie. Et jeudi après le dîner et Salvandy réglé de 8 à 10 heures, je partirai pour être à Auteuil de 10 heures à midi vendredi. Quel long temps ! Pas perdu pourtant.
La Reine m'a reçu hier. Le Prince Albert d'abord ; la Reine s'habillait pour la promenade. Avec l’un et l'autre conversation parfaitement convenable et insignifiante. La Reine très gracieuse pour moi, je pourrais dire un peu affectueuse. Elle m’a beaucoup parlé de la famille Royale qui lui plaît et l’intéresse évidemment beaucoup.
Je venais de recevoir un billet de Duchâtel qui regrettait qu'elle n’allât pas à Paris où l'accueil serait excellent, brillant. Elle en a rougi de plaisir. Ceci m'a plu. Un seul mot de quelque valeur : " J'espère que de mon voyage, il résultera du bien. - Madame, c’est à vous qu'on le rapportera. "
Le soir, Lord Aberdeen s’est fait valoir à moi de n'avoir pas assisté à mon audience de la Reine. Elle l’en avait prévenu : " Notre règle voulait que je fusse là, mais j'ai dit à la Reine qu'avec un aussi honnête homme je pouvais bien la laisser seule. " Je lui ai garanti l’honnêteté de ma conversation. Sous son sombre aspect, Lord Aberdeen est, je crois, aussi content que la Reine de son voyage : " Il faudrait absolument se voir de temps en temps, me disait-il hier ; quel bien cela ferait ! " Nous avons causé hier de Tahiti et de la Grèce. Tahiti n’est pour lui qu’un embarras ; mais les embarras lui pèsent plus que les affaires. C’est un homme qui craint beaucoup ce qui le dérange, ou le gêne, ou l'oblige à parler, à discuter, à contredire et à être contredit. Il voudrait gouverner en repos. Evidemment la session n’a pas été bonne à Peel. Aberdeen m'a dit que sa santé en était ébranlée. " Pauvre Sir Robert Peel m'a dit le Prince Albert il est bien fatigué. " On en parle d’un ton d'estime un peu triste et d’intérêt un peu compatissant. Comme d'un homme qui n’est pas à la hauteur de son rôle et qui pourtant est seul en état de le remplir.
La promenade a été belle ; quelques belles portions de forêt, quoique très inférieure à Fontainebleau et à Compiègne. Mais les forêts sont nouvelles pour les Anglais. Un beau point de vue du Mont d'Orléans où le luncheon était dressé ; et là autour des tentes comme sur la route, beaucoup de population, accourue de toutes parts, très curieuse et très bienveillante.
De la musique le soir, Beethoven, Gluck, et Rossini, très peu de chants ; quelques beaux chœurs. On n’avait pas pu venir à bout de s'entendre sur l'opéra Comique. Au vrai, les acteurs voulaient jouer Jeannot et Colin, et n'avaient apporté que cela. Le Roi n’a pas voulu et il a eu raison. Mais il fallait qu'ils eussent apporté autre chose.
L’amiral Rowley à dîner. Son vaisseau, le St Vincent était venu saluer le château. Bonne figure de vieux marin Anglais ; bien ferme sur ses jambes et très indifférent. Le Duc de Montpensier a beaucoup de succès auprès de la Reine. Hier, pendant le dîner, il la faisait rire aux éclats. Il est le plus gai et le plus causant, de beaucoup. On voit que tout l'amuse. Mad. la Duchesse d'Orléans était de la promenade, et au luncheon, à la gauche du Roi. Avec M. le comte de Paris qui a infiniment gagné. Il a une physionomie sereine et réfléchie. Son précepteur m'en a bien parlé. La grande lettre n’est pas encore venue. Cela me déplait. Je n’aime pas à rien perdre.
Décidément Mad. la Princesse de Joinville est charmante. Tout le monde, vous le dira. Charmante de tournure et de physionomie. La mobilité d'un enfant avec la gravité passionnée d’un cœur très épris. Elle prend, quitte et reprend les regards de son mari, vingt fois dans une minute, sans jamais, s'inquiéter de savoir si on la regarde ou non, sans penser à quoi que ce soit d'ailleurs. Et cela avec un air très digne, ne paraissant pas du tout se soucier, si elle est Princesse et l'étant tout-à-fait.
Le Roi fait aujourd’hui présent à la Reine de deux grands et très beaux Gobelins (15 pieds de large sur 9 de haut) la chasse et la mort de Méléagre, d'après Mignard, e& d'un coffret de sèvres qui représente la toilette des femmes de tous les pays. C’est un présent très convenable. Une heure Le présent vient d'être fait et vu de très bon œil. Les deux tableaux sont vraiment beaux. Ils ont été commencés il y a trente ans encore sous l'Empire.
Le N°4 est enfin venu avec le 6. A ce soir ce que j’ai à vous répondre. Je vous quitte pour aller chez Lord Aberdeen. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Fontainebleau Dimanche 7 heures
Le 16 juin 1844

J'ai reçu votre lettre ce matin. Je ne sais encore à quelle heure je partirai demain. Je dis dix heures. Mais je ne sais pas si ma voiture sera prête. J’ai donné à refaire tout ce que Constantin m’a cassé, et j’ai peur de Dimanche dans tous les cas vous passerez chez moi en sortant de la Chambre. Si je n’y étais pas, ce serait parce que je n’aurais pas pu partir et il faudra attendre mardi. J’ai passé une nuit atroce. Je ne me suis endormie qu'à 7 heures ce matin. Toute la nuit j'ai fait des plans. Ce qu'il y a de sûr c’est que je ne retournerai pas à Beauséjour, c’est trop triste. Je ne puis pas avaler cela. La vue constante de mon jardin. Mais où aller ? Versailles. St Germain. Il n’y a que cela, car prendre une maison, la chercher d’abord. C'est trop d'embarras car c’est à moi a prendre tous les embarras. Rester en ville, impossible si Fontainebleau n'était pas si loin. On y est très bien, & des roses & un joli jardin sous ma fenêtre. Je vous assure que je me sens très malheureuse de tout cela.
J'ai oublié de vous dire que la Comtesse Moltke est fille d'une comtesse Grégoire Razoumofsky. N’est-ce pas celle que vous avez connue ? La comtesse Léon l’a élevée. Elle est charmante au dire de tout le monde. Depuis dix ans elle habite Florence avec son mari. Sa mère était d’une famille autrichienne. Je crois qu'au fond elle était la maîtresse & pas la femme du comte Grégoire.
J’ai vu le Palais c’est très curieux et très beau. J’ai vu les belles parties de la forêt, j’en suis enchantée. Le temps aussi est superbe. La société ne m'amuse pas beaucoup. Il n y a que Rodolphe, le cousin, pour moi. Il a plus d’esprit que je ne croyais. Adieu. Il me semble que je suis d’assez mauvaise humeur, vous ne savez pas mon adoration pour un brin d herbe, pour une fleur et n'en pas posséder une seule, ne pas avoir la jouissance la plus vulgaire, passer un été, peut-être mon dernier été sans ce bonheur là, j'en pleure. C’est vrai, j’ai pleuré cette nuit. Adieu, adieu. A demain, j'espère. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°11 Samedi 10 août 1844 Auteuil
10 heures

Je comptais passer ma journée ici tranquillement. Mais nous avons conseil à Neuilly, au lieu de demain. Cinq ministres seulement au conseil, qui va tout de même. Je jouis tous les jours d'avoir un vrai Ministre de la marine. Il n’est plus malade. J’envoie le Duc de Glücksberg à M. le Prince de Joinville pour négocier, conclure et signer avec le Maroc, les arrangements auxquels donnera lieu le rétablissement de la paix si, comme je l’espère, la bonne dépêche est bien vraie & bien définitive. Nous aurons là, pour la délimitation des frontières, une négociation assez longue.
Decazes est charmé pour son fils. Je l’ai pris comme le plus capable parmi ceux qui étaient disponibles, et à portée. Bresson ne sera pas si content. Il est très jaloux et n'aime que les gens bien subalternes bien dépendants de lui seul. Grand signe d'infériorité, quoique j'aie vu cela à des hommes de beaucoup d’esprits, de bien plus d’esprit que Bresson. Mais j’ai toujours trouvé le coin par où ils étaient subalternes eux-mêmes. On dit que sa femme est avare et sans esprit. Je le connais bien à présent, lui et sa position. Il est descendu dans mon opinion, mais il reste capable. Il jouit petitement de la petite position de Bulwer. Et son inquiétude, son humeur viennent de ce qu'elle n'est pas encore aussi petite qu’il le voudrait. Elle est vraiment très petite, du fait de Bulwer lui-même encore plus que du fait des événements. Il a pourtant donné l’idée qu’il était homme d’esprit et bon enfant. Cela le relève par moments un peu ; mais il retombe toujours par manque de tact, de tenue, par les velléités d’intrigue, et ses pitoyables relations. La considération est d’autant plus nécessaire en Espagne qu’il y a fort peu d'hommes considérés.
La Reine Christine a enfin revu le Duc de Riansarès, bien en cachette, bien peu de jours ; mais enfin elle l’a revu ; ils ont réglé leur marche à venir. Leurs confidents sérieux en sont d'accord. Cela lui a remis un peu de joie et de repos dans l'âme. Toute sa vie est là. Elle part, décidément avec ses filles, le 18 pour être à Madrid du 22 au 24. On peut espérer que rien n’arrivera avant l'ouverture des Cortés. La petite Reine commence à être lavée et propre, presque aussi bien qu'Hennequin.

Midi.
Il n'y a point eu de note échangée sur Tahiti. Rien du tout d’officiel. Des conversations particulières d'Aberdeen avec Jarnac et de moi avec Cowley. Si on m'adressait quelque chose d’officiel, je prendrais du temps pour répondre. Je fais dépouiller tous mes documents sur Pritchard. Je veux mettre toutes ses manières en lumière, et j’enverrai cela à Lord Aberdeen, avec ma réponse s’il y a lieu à réponse. Soyez tranquille : elle sera bonne. Ne vous ai-je pas dit que, très cordialement, très amicalement je saisirais cette occasion de montrer que je sais aussi dire non ? Génie est revenu. Il est impossible de n’être pas touché de tant d'affection. Il se désolait d'être loin, de penser que je pouvais avoir besoin de lui, et qu’il n’était pas là. Il a repris son service avec une joie tendre. Vous avez raison ; adressez-lui quelquefois les lettres.
Je viens d'avoir des nouvelles de Duchâtel, d'Ems, le 7. En très bonne humeur. Il a rencontré sur le bateau à vapeur du Rhin Lord Clarendon qui lui a tenu, un bon langage, fort ami de la France et de moi. Mais Lord Clarendon veut toujours plaire. Perpétuel mensonge. Mardi 30 Juillet à notre dernier bon moment, Lady Cowley m'a prié de lui demander quelquefois à dîner. Je l’ai fait hier pour lundi. Cela me plait. Adieu. Adieu. Je vais au Conseil. G.
P.S. 3 heures Je reviens du Conseil. La Princesse de Béna est malade. Don Carlos a écrit au Roi une lettre convenable, pour demander la permission de la conduire aux eaux de Neris. Le Roi le lui permet. Je suis charmé que votre frère soit un peu moins mal. Je désire bien qu’il puisse partir. Adieu Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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J’ai peine à me persuader que je ne vous verrai que ce soir. Vous avez dans ma vie la place d'une charmante nécessité.
Je ne sais pas comment se passera votre matinée. Cela me déplait. Je n’ai de nouvelles que de Madrid. Assez curieuses. Mes instructions pour nos nouvelles ouvertures à l'Empereur de Maroc seront arrivées à Cadix le 7.
J’espère qu’avant un mois la question sera vidée. Avez-vous une réponse du Duc de Noailles ? Mon dîner d’hier était assez amusant. Le beau fils de M. Planta me convient. Très anglais et très français. Il était charmé de mon accueil. M. Ahlenschläger ne pouvait se rassasier de ma conversation et de mon dîner. On dit que c'est le plus grand poète de l'Allemagne d'aujourd’hui. Il veut faire jouer cet hiver une tragédie au théâtre français, par M. Ragel. Mad. de Sainte Aulaire a gagné son cœur. Elle a été créée et mise au monde pour les poètes Allemands. Elle m'a quitté pour aller à Neuilly. Ils retourneront à Londres, le 1er Octobre. Adieu. Adieu. à ce soir, 8 heures et demie. Soignez-vous bien d'ici là. Adieu. G.

Auteuil, Vendredi 13 sept. 1844
10 h un quart.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris mercredi 9 octobre 1844
9 heures

A 6 heures hier au moment où je m’apprêtais à faire ma toilette pour dîner chez les Cowley, l'ambassadeur d’Autriche est venu m'annoncer la mort de mon pauvre frère. Je ne puis pas dire que j’en ai été saisie, il y a si longtemps que je suis préparée à cet évènement, mais j'en suis fort triste. Votre absence ajoute beaucoup à cette tristesse. Et quand Appony m’a eu quittée j’ai senti profondément mon isolement absolu. Je me suis regardé avec un vrai serrement de cœur, quelle solitude, quelle impuissance. Je suis restée comme cela une heure et puis il a fallu songer à mon dîner. Personne n'était à la maison, j’ai envoyé prendre quelque chose chez un restaurant, je n’ai pas que manger à huit heures je suis allé chez Annette. Pauvre fille elle sanglote sans pleurer. Elle se reproche d’avoir quitté son père. Et elle ne sait pas tout encore. On dit qu'il est mort dans la traversée, ainsi sans sa femme, sans ses enfants. Le bon Constantin tout seul auprès de lui. Toutes ces nouvelles sont venues par des correspondance russes. Personne ne nous a écrit encore ni à Annette ni à moi. Je suis restée auprès d'elle jusqu'à 10 heures. J’ai mal dormi encore. J’ai beaucoup rêvé de vous. Je me suis levée de bonne heure dans l’attente d'une lettre, d'une nouvelle. Il n'y a ni télégraphe ni lettre. Je sens qu’il n’y a pas de quoi m’inquiéter, et je m’inquiète. C’est votre santé qui me trouble l'imagination. Le temps est devenu très froid. Vous avez été fort exposé à l’air. Comment tout cela vous va-t-il ? Par pitié pour moi soignez vous extrêmement. Si vous avez dit vrai c’est d’aujourd'hui en huit que je vous reverrais. Ah que le ciel m’accorde ce bonheur. Et puis je jurerai que vous ne m'échapperez plus.
La pauvre Marie Tolstoy selon ces nouvelles russes aussi, est très près de sa fin. Ce pauvre excellent Constantin quel chagrin pour lui. Il ne lui reste plus rien. Je suis sûre qu'il se rappelle & cherche mon amitié. Il n’a plus que moi pour l’aimer. Je crains qu’il me demande à aller au Caucase cela me désolerait. Voilà encore qu'aujourd’hui ma lettre est demandée pour 11 heures vite je finis. Je vous prie je vous supplie portez-vous bien & ne me dites que cela. Adieu. Adieu.
Mille fois adieu dearest.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°6 Château de Windsor. Jeudi 10 oct. 1844,
11 heures

Mon courrier de Paris n'est pas encore arrivé, et j'apprends que celui que j'ai expédie hier a manqué, le train de Londres à Brighton et a été obligé de s’en aller par Douvres, ce qui aura retardé mes lettres de douze heures. Voilà des ennuis par dessus les ennuis de l'absence. Vous avez bien raison : l'absence est odieuse, et de plus absurde. Il vient un moment dans la vie ou les intérêts et les affections intimes devraient être seuls écoutés. Mais on est lancé, et on roule. Je roule fort dans ce moment-ci. Tout se passe à merveille. Pour le dehors et la population, je n'ai rien à ajouter aux journaux, sinon qu’ils disent vrai. Faites-vous donner par Génie, le Times et le standard.
Dans l’intérieur, l'accueil est vraiment éclatant et fraternel. On voit que la Reine prend plaisir à déployer sa magnificence et son amitié. Nous avons commencé hier les grands dîners de 100 couverts dans St George Hall et ensuite cercle & musique dans les state apartments. Nous aurons cela tous les jours jusqu'à lundi. Vous verrez la liste du dîner. J'étais à côté de Lady Peel, bien gracieuse et bien timide. J'ai bien employé ma soirée. J’ai beaucoup causé avec Peel, Aberdeen, Sir James Graham, Lord Wharncliff. J’ai été très content de Sir James Graham, et j’ai appris que, dans nos dernières difficultés, il avait été constamment l'un des meilleurs. Avec Peel, je n’ai encore abordé point de question spéciale, et je ne sais jusqu'à quel point je les aborderai. Je suivrai le conseil de Lord Aberdeen. Mais la politique générale la paix et la guerre, les relations avec les divers Etats. Il est très, très pacifique, convaincu que sa force tient à la prospérité des intérêts commerciaux qu’il a fort soignés et qui ne prospèrent que par la paix.
Il m’a fort bien parlé de M. de Nesselrode distinguant expressément son langage de celui de l'Empereur. J’irai chez lui ce matin à une heure. Ni lui, ni moi, ni Lord Aberdeen ne sommes de la course du Roi et de la Reine à Twickenham. Nous en profiterons pour causer à fond. Avec Aberdeen, j’ai entamé hier, et assez avant l'affaire du droit de visite. Je ne puis rien dire encore. Avec ses excellentes dispositions, Lord Aberdeen n’aime pas les changements, les discussions, les entreprises. Mais j’espère le rassurer, et le mettre en mouvement. Je ne puis m'empêcher de vous dire que je suis comblé, comblé par tout le monde. Evidemment l'estime et la confiance sont complètes. Peel a fait un vrai discours au Roi, à mon sujet et le Roi me l’a redit avec plaisir.
Hier avant le dîner, une assez froide promenade, moitié à pied, moitié en calèche. Visite minutieuse du château depuis la chapelle jusqu'à la vaisselle et aux cuisines. Visite de la basse cour et de la ferme. Enfin visite à la petite maison de la Duchesse de Kent. Il pleuvait de temps en temps. Aujourd’hui, il fait assez beau.
Votre paquet pour Paul est à Londres. Mon courrier de Paris n’arrive toujours pas. Cela m'ennuie bien. Voilà qu’on m’apporte quelques journaux de Paris, une lettre de Duchâtel pour le Roi, et rien de plus. redoublement demain. Adieu. Adieu. Mille fois, adieu. G.
Je vais bien.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°7 Château de Windsor, Vendredi 11 Oct. 1844
4 heures

Votre pauvre frère est donc mort. Tristesse ou joie, toute chose m'est un motif de plus de regretter l'absence. Loin de vous ce qui vous afflige me pèse ; ce qui me plaît à moi, me pèse. Je ne puis souffrir cette rupture de notre douce et constante communauté. Je suis vraiment triste que votre frère n'ait pas eu la consolation de mourir chez lui, dans sa chambre au milieu des siens. Il semble qu’on ne meure en repos que là. Et cette pauvre Marie Tolstoy ! Je ne lui trouvais point d’esprit. Mais elle a un air noble et mélancolique qui m’intéressait. Non, vous n’êtes pas seule, car je vais revenir.
Nous partons toujours lundi 14, pour nous embarquer à Portsmouth vers 5 heures et arriver au château d'Eu mardi 15 à déjeuner. J’y passerai le reste de la journée du mardi et je serai à Paris mercredi soir. Bien profonde joie.
Le voyage est excellent et laissera ici de profondes traces. Mais cinq jours suffisent pleinement. Je sors de la cérémonie de la Jarretière. Vraiment magnifique et imposante, sauf toujours un peu de lenteur et de puérilité dans les détails, 14 chevaliers présents. Le Roi, très bonne mine, très bonne tenu ; point d'empressement et saluant bien. Lord Anglesey a failli tomber deux ou trois fois en se retirant. Je ne vous redis pas ce que vous diront les journaux.
Hier à dîner entre la Duchesse de Mecklembourg et la Duchesse de Norfolk. La première spirituelle, et gracieuse ; la seconde pompeusement complimenteuse. Après dîner, Lord Stanley. Longue et très bonne conversation. Il m'a dit en nous quittant : " Je vous promets que je me souviendrai de tout ce que vous m'avez dit. " Je crois avoir fait impression. Le Roi en croit autant pour son compte. Quel dommage de ne pas voir les hommes là tous les trois mois ! Qu'il y aurait peu d'affaires. Lord Stanley m’a fait à moi l'impression d'une grande franchise & straightforwardness. Le tort des Anglais, c'est de ne pas penser d’eux mêmes à une foule de choses, et de choses importantes. Il faut qu'on les leur montre.
Outre Stanley, un peu de conversation avec M. Goulburn. Je les ai soignés, tous. Voilà deux soirées où je vous jure que j’ai été très aimable. Hier trois heures avec Aberdeen. Parfait sur toutes choses. Nous sommes de vrais complices. Nous nous donnons des conseils mutuels. Il est bien préoccupé de Tahiti et bien embarrassé du droit de visite. Ce matin deux heures et demie avec Peel. Remarquablement amical pour moi. Les paroles de la plus haute estime, de la plus entière confiance. Il a fini par me tendre la main en me demandant mon amitié de cœur. A un point qui ma surpris. Du reste très bonne intention ; plus d'humeur. Le voyage en effacera toute trace : mais des doutes, des hésitations et des inquiétudes dans l’esprit qui est plus sain que grand. Il m'a répété deux fois, qu’il s’entendait parfaitement et sur toutes choses avec Lord Aberdeen. Se regardant comme brouillé avec une portion notable de l’aristocratie anglaise, & le regrettant peu.
L'Empereur et M. de Nesselrode ont pris plus d’une demi-heure de notre temps. Les choses sont parfaitement tirées au clair. Il a fort approuvé ma conduite de ce côté depuis trois ans. Que de choses j'aurais encore à vous dire. Mais il faut finir. Mon courrier part dans une demi-heure et j’ai à écrire à Duchâtel. Adieu. Adieu. Dearest ever dearest.

J'oublie toujours de vous dire que je vais bien. Un peu de fatigue le soir. Je suis toujours charmé de me coucher. Mais je suffis à chaque jour, et mieux chaque jour. Je mange, quoique je ne puisse pas avoir un bon poulet. Demain, la Cité de Londres envoie à Windsor son Lord Maire, ses douze Aldermen et 18 membres de son common council pour présenter au Roi une adresse excellente pour lui, excellente pour la France. N'ayant pu obtenir le banquet à Guildhall ils n'en ont pas moins voulu manifester leurs sentiments. Ici, cela fait un gros effet. J’espère que chez nous, il sera très bon. Je n'écris pas à Génie dites-lui je vous prie ceci et quelques autres détails pour sa satisfaction. Adieu adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris, dimanche 13 octobre 1844, 9 heures

Quelle excellente lettre que celle de vendredi ! Evidemment vous êtes content ; cela me rend toute heureuse. Cela aura été un bon et utile voyage. Pour beau, c’est clair. Les journaux anglais sont dévorés par moi, je lis tout. Je suis ravie, et la Cité par dessus le marché. Tout cela se fait grandement, royalement. Il est impossible que cela n'impose pas un peu ici, et beaucoup sur le continent. Dans tous les cas cela sert plus que de compensation aux mauvaises manières du continent. Enfin c’est excellent. J'espère que vous lirez cette lettre-ci tranquillement à Eu. Non, je me trompe, elle ira sans doute vous chercher a Portsmouth. C’est donc décidément Portsmouth. Je regrette. Je vais encore passer une nuit blanche, c’est-à-dire noire car toutes les idées de cette couleur assaillait mon esprit. Vous avez vent contraire et du vent trop fort, aujourd’hui cela ne vaudrait rien. Fera-t-il mieux demain ? Comme je serai dans l'anxiété mardi !
J’ai vu longtemps Génie hier, & puis la jeune comtesse, revenue depuis une heure seulement et qui est tout de suite accourue. Mad. de Strogonoff, quelques autres indifférences. Je me suis promenée dans le bois mais un moment seulement, j'avais des crampes d’estomac. J’ai été dîner chez le bon Fagel, personne qu’Armin, Bacourt, Kisseleff. Je les avais nommés. A huit heures je les ai envoyés dans ma loge aux Italiens, et je suis allée comme de coutume chez Annette. En rentrant à 10 heures j’ai trouvé Marion m’attendant sur le perron. Elle venait d’arriver avec ses parents. Joyeuse, charmée et charmante.
J’ai assez mal dormi, mais mes douleurs sont un peu passées ce matin. une heure. Je rentre de l’église. J'ai bien prié, remercié, demandé. Génie était venu avant dans la crainte de ne pas me rencontrer plus tard. Il est content aussi du voyage. Il parait que l’effet est excellent. Mon avis est que vous preniez à l’avenir votre politique sur un ton plus haut. Oui, la paix. Oui, l’alliance de l'Angleterre ; la seule bonne, la seule possible. Que vous dédaignez toutes les misérables chicanes que vous défiez vos adversaires, que vous les réduisiez ainsi ou à se taire ou à vous renverser. Prenez grandement votre parti là dessus. Vous en aurez l’esprit plus tranquille et le corps mieux portant. Tout le monde est venu me faire visite ces jours-ci, ( non pas que j'ai vu tout le monde ) Salvandy même ; mais pas de mad. de Castellane. Adieu. Adieu, que le ciel vous protège et vous ramène en bonne santé. Adieu.
Génie me dit cependant que cette lettre va vous attendre à Eu. Adieu encore dearest.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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17 Val Richer. Vendredi 15 août 1845

Ceci vous trouvera à Boulogne. Je pense avec plaisir que la mer n’est plus entre nous. Quand je nagerais aussi bien que Léandre, le Pas de Calais est plus large que le Bosphore. Et ce pauvre Léandre n'est pas arrivé.
Guillet a écrit à Page de passer à la rue St Florentin et d’y donner son adresse. Je vous engage encore à passer quelques jours à Boulogne avec les Cowley. Vous n'aurez personne à Beauséjour, surtout le soir. Le Roi de Prusse a beaucoup d'humeur de ce que la Reine comme elle le lui a fait savoir ne reste à Stolzenfels que jusqu’au 14 et veut en partir le 15 pour être à Cobourg le 17. Il avait fait de plus longs préparatifs. Il s’est écrié, sur cette nouvelle : " Ah, c’est trop fort. Il y a de la part des Princes allemands et des hommes considérables, fort peu d'empressement pour se présenter chez le Roi de Prusse & lui rendre des devoirs pour lui-même, avant l’arrivée de la Reine d'Angleterre. On va au contraire beaucoup au Johannisberg. On peut évidemment se montrer froid pour le Roi de Prusse et confiant dans M. de Metternich. Le Roi en est choqué. Et comme il est surtout homme d'impressions et d'amour propre, cette petite manœuvre n’aura probablement pas l'effet qu’on s’en promet.
La Reine d’Espagne et même la Reine Christine ont été très bien reçues à St Sébastien et dans les Provinces basques, en général ; mieux qu’on ne s’y attendait. Voilà encore des conspirations qui échouent. Ce ne sont pas les conspirations que le général Narvaez a à craindre ; c'est l'opposition dans son propre parti. Les prochaines cortes seront orageuses. Le grand Duc de Modène a décidément et pour la seconde fois refusé sa fille à M. le Duc de Bordeaux. On a donné un bal à Schönbrunn dans cette vue. Il a déclaré que si le Duc de Bordeaux y allait, ses filles n'iraient pas. Le Duc de Bordeaux a été indisposé. Le parti est très chagrin, très déconfit de cet échec. Ils disent qu’ils n’ont plus d’espoir que dans la seconde fille du Prince Jean de Saxe, 15 ans, bien laide & pauvre ; et que si cela aussi échoue, il faudra que le Duc de Bordeaux épouse une française de bonne maison, car il faut absolument qu’il se marie. La Dauphine a fort essayé de causer politique et France avec l’Electrice douairière de Bavière qui s’y est refusée. Elle (la Dauphine) s'est montrée parfaitement découragée et résignée. On lui a demandé si elle passerait l’hiver à Vienne ou à Frohsdorf : " Je n'en sais rien et cela ne me fait rien, avec le peu de jours qui me restent à vivre, et ce que j’ai à en faire, qu'importe ? " Voilà mon bulletin. Le calme est profond.
Le Roi et tout le château d’Eu ont été charmés de mon discours à St Pierre. Il m'écrit avec effusion. Henriette est décidément très bien. Mais le temps redevient mauvais, froid. Quel été ! J’ai écrit à Charles Greville. Adieu. Adieu.
Vous avez déjà passé où vous passerez après-demain. Il n'y a pas de vent aujourd’hui. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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28 Val-Richer Lundi 25 août 1845

Vous me faites trembler avec votre : " Je serai à Beauséjour avant vous si Dieu le permet. " C’est bien vrai, toujours vrai ; et on a grand tort de n’y pas penser toujours. J'ai donc raison de trembler, pourtant samedi prochain, c’est bien près. Oui, vous y serez avant moi, et j’y serai samedi. Et nous ne nous quitterons plus. Mais, je n’aime pas que vous attendiez un compagnon de voyage, je ne sais lequel. Je n’aime pas que vous soyez à la merci de ces incertitudes. Pourquoi n'avoir pas écrit à Génie ? Ma recommandation est tardive. Vous ne l'aurez qu’après demain. Et j'espère bien qu’après demain, Mercredi, vous seriez à Beauséjour, ou tout près d’y être. Certainement vous ne rencontrerez pas une trombe en route. J’ai beaucoup pensé à celle de Monville. Je vous en ai peu parlé parce que je n'aime pas à arrêter votre imagination sur les choses tristes et effrayantes. Vous vous en laissez trop saisir.
Si vous aviez des yeux, je vous enverrais une lettre de Barante, assez intéressanite. Il a quitté la Suisse et m’écrit d'Auvergne où il est allé pour son Conseil général. Il me dit : " Mon inutilité me pèse moins ici qu'à Paris." Je le comprends. Sa position est vraiment désagréable. Et il n'y a pas moyen qu’elle change.
Je suis fort sensible à la bonne intention de lord Cowley sur Tahiti. Il a raison, & j'y comptais. Je l’ai toujours trouvé excellent, plein de sens et de bon vouloir. Et je compte aussi beaucoup sur Lady Cowley, à qui j’ai toujours trouvé bien de l’esprit, et qui en a, j’en suis sûr plus qu’elle n'en montre. Elle est très franche & ne cache jamais ses sentiments ; mais elle n’en fait nul étalage. J’aime bien cette manière là.
On dit que le Roi de Prusse a dépensé, pour recevoir la Reine 400 000 thalers. C'est le compte de Berlin. L’émeute de Leipzig l’a frappé. Il est rentré à Berlin, en veine d'humeur et de répression contre la liberté religieuse. Il a fait défendre à Uhlich, Ronge et Czerski, toute promenade prosélytique. Mais personne ne le craint huit jours de suite.
Je me suis promené hier pendant quatre heures dans un pays charmant, tout autour du Val Richer, avec tout ce qui se peut d’escortes à cheval et à pied, d'arcs de triomphe de fleurs, de discours, de coups de fusil. J’ai rendu beaucoup de services à cette population. Ses affaires vont bien. Elle me trouve bon et de facile accès. Il y avait hier un sentiment de bienveillance vrai et général, et un désir vif de le manifester, et de s'amuser en le manifestant. Mes enfants étaient charmés. Cela m’a plu. Ce qui est assez remarquable, c'est l’empressement du Clergé. Jamais tant de curés ne sont venus me voir, et avec autant de témoignages de déférence et de dévouement. Evidemment ce que j’ai fait quant aux Jésuites ne m’a fait aucun tort parmi les prêtres. Au contraire. Mais on a peur des Jésuites et ces prêtres, qui sont plus constants que fâchés de les voir un peu battus, se seraient bien gardés de s'en laisser soupçonner auparavant.
Le chancelier est malade. Il devait venir passer un jour chez moi, en allant à Trouville où Mad. de Boigne a acheté une petite maison. Il est resté à Paris avec la fièvre. Duchâtel le trouve frappé et m’en paraît lui-même assez inquiet. Adieu. Vous ne me dites pas si toute bile est passée. Vous me direz ce qui vous convient en attendant Page. Adieu. Adieu. Dans six jours, un meilleur adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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1 Château d’Eu Samedi 6 septembre 1845,
10 heures et demie du soir

J’aime mieux causer avec vous que de me coucher. Mesurez tout ce que cela veut dire. Je suis peu fatigué et fort peu enrhumé. Moins qu’hier. Temps charmant. Beau soleil, pas assez chaud. Trop de vent ; mais, je ne sais comment peu de poussière. Si l'employé du télégraphe électrique s’était trouvé là au moment où je l'ai demandé, vous auriez su à 10 heures dix minutes que je venais d’arriver à Rouen, à 10 heures cinq minutes, et que j'en repartais à 10 heures un quart. Je suis arrivé ici à 5 heures un quart. Le Roi était à la promenade, en mer, avec tous ses petits enfants dont un seul, Philippe de Wurtemberg, a eu le mal de mer. La Reine m’a accueilli tendrement. J’ai eu le temps de faire, ma toilette complète avant le dîner.
J'ai dîné à la gauche de la Reine, le Prince de Salerne à sa droite. Ne dites ceci à personne, car tout revient ; mais je ne plus résister à vous le dire. La Blache Don Pasquale, moins la belle figure de La Blache. Très bon homme du reste et très empressé pour moi. L’archiduchesse, vrai portrait de sa fille ; assez de ressemblance avec la Reine ; sourde à ne pas entendre les 400 tambours du roi de Prusse. L’air doux et fort polie. Madame la duchesse d’Aumale inconsolable de l'absence de son mari. Madame la Duchesse d'Orléans pas à dîner. Ce soir dans le salon de la Reine. Soyez tranquille; le Prince de Joinville sera ici demain matin. Le Roi l'a appelé et il vient de bonne grâce. Il reconnait que c’est convenable au point d'être nécessaire. On fait toutes sortes de calculs pour savoir quand la Reine arrivera. Les plus vraisemblables la font arriver Lundi, à 5 heures du matin. Trois bâtiments croisent pour venir nous avertir à temps. Le séjour sera court. On croit comme vous qu’elle veut être sur terre Anglaise mardi soir.
La galerie Victoria n’était pas finie. Depuis six jours tous les peintres sont arrivés de Paris, et tout sera prêt demain. Prêt du moins pour l’apparence et l'éclat. C'est fort joli. Toutes les scènes des deux voyages, la Reine au château d’Eu et le Roi à Windsor. Lundi soir, spectacle ; l'opéra comique, Richard cœur de Lion et un petit opéra gai.
En attendant, je viens de passer deux heures assis auprès du Roi, à passer et repasser en revue, tout ce qu’on peut nous dire et tout ce que nous devons dire. Mes thèmes de conversation ont été tous adoptés. Adieu pourtant. A demain le reste. Il n’y a pas de reste, car je vous ai dit tout ce que je sais ce soir. Demain, il y aura autre chose. Salvandy couvert de gloire de se trouver à Eu un tel jour. Je suis logé dans mon grand appartement. Lord Aberdeen sera près de moi Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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3 Château d’Eu Lundi 8 sept. 1845
7 heures du matin

La Reine est signalée. On entrevoit sa petite flottille. Je viens de faire, en toute hâte, une toilette un peu incomplète. J’ai été plus expéditif que le Roi. Je sors de chez lui. Il lui faut encore vingt-minutes. Nous partons immédiatement pour le Tréport. Le temps est superbe et la mer parfaitement calme. Nous serons de retour, ici, je pense vers 10 heures. Nous avons fait hier en mer, à la découverte, une charmante promenade de deux heures. Pas la moindre apparence d'indisposition.
Toute la famille royale était là, même le comte de Paris et le petit Philippe de Wurtemberg. Sauf les personnes indisponibles. Madame la Duchesse de Cobourg, qui vit encore chez elle et Madame la duchesse d’Aumale qui a l’air encore plus fatiguée d'attendre son mari que ses couches. Le soir pas grand chose ; un peu de dépenaillement général ; on allait et venait du salon, dans la galerie Victoria qu'on arrangeait, encore. Pas assez de candélabres. Les lampes pas encore arrivées de Paris. Des impatiences Royales. Des serviteurs empressés et embarrassés sans inquiétude. Il y a de la bonté et de la confiance dans la bonté. Je suis rentré chez moi, et me suis couché à 10 heures. J’ai très bien dormi. Je sors avec ma grosse redingote et mon cache-nez blanc. Il fait frais. Mon rhume va bien. C’est-à-dire moi non pas lui.

Une heure
Je cause avec Lord Aberdeen depuis onze heures un quart. Je suis content. Je crois qu'il l’est aussi. La principale question, l’Espagnole coulée à fond, à sa complète satisfaction. Le Roi l’a abordée sur le champ avec lui, à bord du Victoria-Albert. Plus l’ombre d’un nuage sur ce point. Tahiti et ce qu'on appelle les armements, restent nos deux embarras. Embarras des deux côtés, embarras très ennuyeux. Rien de plus. Il supporte moins bien les embarras que moi. J'ai établi très nettement ce que je pouvais et ce que je ne pouvais pas. Je vous répète que je suis content. Amical au dernier point. Et le Prince Albert beaucoup.
Charmante arrivée. Le temps encore plus beau qu’il y a deux ans. Arrivée au Tréport marée basse. Il a fallu monter dans de petites voitures, pour atteindre le canot royal à travers les sables et les galets. Une demi-heure en canot pour atteindre, le Victoria-Albert. Autant à bord, pour approcher du rivage. Nous sommes descendus dans le canot du Roi, le Roi, la Reine, le Prince Albert, le Prince de Joinville, le Prince de Cobourg et moi. Puis les petites voitures pour atteindre la terre ferme. La Reine gaie comme un entant. Excellent accueil de la population, moins nombreuse qu’il y a deux ans. Presque point de préparatifs : a friendly call between neighbours. Arrivée au château par le grand parc nouveau défilé des troupes dans la Cour. La Reine comme chez elle, reconnaissant les lieux, approuvant les changements. Grand, grand succès de la Galerie Victoria. Les tableaux de quatre jours sauvés par l’intention. On s’est promis qu’ils seraient beaux quand ils seraient faits.
A déjeuner le Prince Albert donnant le bras à la Reine. le Prince de Salerne de l'autre côté. La Princesse de Salerne à la gauche du Roi. Moi à côté de la Duchesse d’Aumale.
J’ai fait vos compliments à Lady Canning, pour elle et pour son mari. Après le déjeuner, établissement dans la galerie Victoria. On s’est écouté successivement. Nous sommes restés seuls, Lord Aberdeen et moi causant toujours. Je viens de l’installer chez lui. A 2 heures, promenade. Tout le monde y va. Ce soir, à 8 heures spectacle. La petite pièce est Le nouveau seigneur. On commence par là. Demain, grande promenade et luncheon dans la forêt, à la Ste Adelaïde. La Reine part entre 4 et 5 heures. Adieu. Adieu.
Il n’y a pas moyen de continuer. L’estafette part. Adieu. G. P.S. Soyez assez bonne pour donner à Génie quelque chose de ces détails.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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2 Château d’Eu Dimanche 7 sept. 1845,
Midi

Je reviens du déjeuner. A côte de la Princesse de Salerne qui a voulu causer beaucoup. J’espère que la conversation a été plus agréable pour elle que facile pour moi. Les sourds feraient bien d’être tous muets. Bonne personne du reste avec cette dignité timide, un peu embarrassée et pourtant assez haute que j’ai vue à tous ce que j’ai connu de la maison d’Autriche. La Reine dit que l'archiduchesse est le portrait de François 2. A ma droite, sa dame d’honneur, la marquise de Brancaccio, sicilienne, femme d’esprit, dit-on, et qui en a bien l’air. Elle m’a parlé de la Sicile avec une verve de colère et d'opposition qui m’a plu. " On néglige toujours la Sicile. On opprime toujours la Sicile. Les ministres changent, l'oppression reste. Nous avons des ministres siciliens mais ils sont en minorité. Prenez la majorité. Venez chez nous nous enseigner comment on s'y prend. " Souvent, chez les Italiens, le naturel et la vivacité des impressions commandent la franchise.
Le prince de Joinville est arrivé ce matin, à 6 heures. Toujours grande incertitude, sur le moment de l’arrivée de la Reine. Ou aujourd’hui, vers 6 heures ; ou demain, à 5 heures du matin, ou à 5 heures du soir. Je parie pour aujourd’hui. D’abord, parce que j'en ai envie, ensuite parce que la Reine des Belges a écrit que c'était fort possible. Ils (le Roi et la Reine des Belges) sont allés la recevoir à Anvers hier samedi entre 1 et 2 heures. Nous nous mettons en mesure ici pour toutes les hypothèses.
J’aurai bien peu de temps pour causer, avec Lord Aberdeen. Je veux pourtant lui dire tout l'essentiel. Je vous promets qu’il passera avant moi. Les peintres sont encore, à l'heure qu’il est, dans la Galerie Victoria. Si la Reine avait le temps de se promener, elle verrait réalisées, aux environs du château, toutes les idées qu’elle a suggérées, les désirs qu’elle a indiqués ; un parc fort agrandi, de belles routes au lieu des mauvais chemins & &. Mais je doute qu’on se promène une heure.
Le courrier Russe qui avait été expédié au Prince Wolkonski, l’a rencontré à Eisenach & le Prince est arrivé à Berlin où il attend l'Impératrice qui a dû y arriver avant-hier au soir et qu’il accompagnera à Palerme. Le Kamchatka après l'avoir déposée à Swinemünde, ira passer le détroit de Gibraltar et l'attendre à Gênes pour la porter en Sicile. On croit, on dit à Pétersbourg que l'Empereur s’embarquera à Sébastopol et ira voir sa femme à Palerme.
Pourquoi me cherchez vous un cache-nez brun ? Le blanc que vous m'avez donné est excellent et m’a très bien préservé. Il est parfaitement convenable.
Voilà M. Royer-Collard mort. Je pense avec plaisir que nous nous sommes séparés en vraie amitié. C’était un esprit rare, charmant et un caractère, très noble. Quatre personnes ont réellement influé sur moi, sur ce que je puis être, devenir et faire. Il est l’une de ces personnes là. Le seul homme. Il a tenu peu de place dans les événements, beaucoup dans la société et l’esprit des acteurs politiques. Il leur était un juge redouté et recherché. Adieu. Adieu. Le Roi me fait appeler en toute hâte. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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4 Château d'Eu Lundi 8 Sept. 1845
5 heures et demie

Au lieu du char à bancs royal et de la forêt, deux heures et demie de promenade à pied, dans le parc, tête-à-tête avec Lord Aberdeen. Très, très bonne promenade, affectueuse, confiante et sensée. Toute utilité à part, j’y ai pris un vrai plaisir. Lui aussi j’en suis sûr. La politique ainsi faite est grande et douce. Il y a plus ; elle semble facile. Ce n'est pas vrai. Les difficultés des choses se replacent bien vite, entre les bons sentiments des hommes. Et les hommes se séparent bientôt. N'importe ; il est impossible que de telles conversations, il ne reste pas beaucoup. Il y a des paroles qui tombent au fond des cœurs, s’y endorment, et se réveillent infailliblement quand le moment arrive où elles sont bonnes à entendre une seconde fois. Nous avons parlé de tout. Nous recommencerons un peu demain ; mais pas avec la liberté et le loisir d’aujourd’hui.
Les arrangements de demain sont un peu changés. A dix heures le déjeuné. A onze heures et demie promenade dans la forêt. pas très loin, et pas de luncheon. On revient à 3 heures dîner à 4, à 5 et demie départ pour le Tréport où la Reine s'embarquera pour être à l’île de Wight Mercredi matin. Et moi je m'embarquerai jeudi avant 7 heures pour être à Beauséjour avant 7 heures du soir. Adieu. Adieu. Je vais m'habiller pour le dîner.

Mardi, 9 sept. 8 heures et demie. Dîner encore à côté de la Duchesse d’Aumale ; Lady Canning à ma droite. Elle a du good sense, de la dignité et de la bonne grâce, mais peu de mouvement et de fécondité dans l’esprit. Lord Aberdeen, à la gauche de la Reine. On le traite très bien et on a très raison. Le spectacle commence trop tard et fini trop tard. Très jolie salle ; sous une immense tente, fort bien ornée et point froide ; au milieu du parc. Le nouveau seigneur a fait rire la Reine. Richard l’a fait pleurer. Nous n'avons ri ni pleuré. Aberdeen, et moi. Nous aurions mieux aimé causer encore.
Je lui demandais hier comment il avait trouvé le Prince des Metternich. Il m’a répété ce qu’il vous a dit, en ajoutant : " Mais vous vous n’avez pas le droit dire que le Prince de Metternich est baissé, car en nous séparant au dernier moment, comme je lui ai dit que j'allais probablement vous voir, il m'a répondu : " Je voudrais bien en faire autant ; il y a bien longtemps qu'on n'a vu en France un tel ministre. "
Je n'étais dans mon lit qu’à une heure moins un quart. Rien n’est changé, pour aujourd’hui aux dispositions d’hier. Voilà votre N°3. Je suis charmé que Verity soit de retour, et qu’il vous trouve mieux qu'à Londres. Nous prendrons les soins qu’il faudra prendre. Je ne fermerai ma lettre qu'entre 3 et 4 heures, en revenant de la promenade, car je crois qu’aujourd’hui il convient d’y aller. Adieu. Adieu jusqu'à 3 heures. Onze heures Je sors de déjeuner. J'envoie une estafette à Génie. Vous aurez ma lettre ce soir. Adieu. Adieu. G.
Pas ce soir. C’est presque impossible. Vous vous couchez de trop bonne heure. Mais demain matin.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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5. Château d'Eu, Mercredi, 10 sept. 1845
7 heures du matin

Hier, à midi, nous roulions très agréablement, six chars à bancs, calèches &,& portant 40 ou 50 personnes dans les longues allées et sous les ombres profondes de la forêt d’Eu. Vers une heure, à un rendez-vous de chasse, nous avons quitté les grands chevaux et les jockeys du Roi pour prendre les petits chevaux de poste. Les postillons en veste couverte de rubans tricolores, poudrés avec d’énormes catogans pas toujours bien attachés et se disputant à qui ferait le plus de bruit avec leurs fouets. C’est un amusement qui n’est pas usé, pour la Reine. A une heure et demie, nous rolions sur la grande route sous un soleil très brillant, caché par d'épais nuages de poussière. Je ne crois pas que le plaisir du fouet des postillons ait suffi pour les dissiper. " Les Rois, dit quelque part St Simon, ont des amusements qui n’appartiennent qu'à eux. " Heureusement celui-ci a été court. Nous étions au château avant 2 heures.
Chacun est rentré chez soi pour se laver. A 4 heures tout le monde était réuni dans le salon de la Reine et la Reine d'Angleterre, en entrant, a trouvé là trois ébauches de tableaux, son débarquement au Tréport dans la petite maison trainée en charrette, sa promenade d’avant hier dans le nouveau grand parc, la salle de spectacle du soir. Trois peintres avaient fait cela dans la nuit. Le premier tableau vraiment joli. Elle l’a emporté. Le dîner a été gai. Tout le monde, était visiblement content. J’étais à côte de la Duchesse de Cobourg, la plus vraiment intelligente des Princesses (Chut!) Son mari l'adore. Il prend son lorgnon vingt fois pendant le dîner pour la regarder. Lady Canning, qui était à côté de lui ne l’en à pas distrait un moment. Reines, Princesses, tout le monde était habillé comme si le bal avait dû suivre le dîner.
A cinq heures et demie, on s'est précipité hors de la salle à manger, et avant 6 heures tout le monde était de retour en habit de voyage, dans le vestibule du château. La marée pressait beaucoup ; nous n'avions qu’un quart d'heure pour nous embarquer, sans charrette. Nous sommes arrivés juste à temps. La Reine d'Angleterre a pu à peine faire à la nôtre ses adieux. Nous sommes entrés, presque tombés dans le canot royal, la Reine, le Roi, le Prince de Joinville, le Duc de Cobourg, Lord Aberdeen, Lord Liverpool et moi. Deux autres canots suivaient. La Reine, Madame le Prince et la Princesse de Salerne restant sur le rivage, dans leur char à bancs, à nous attendre. Quelques minutes après sous l’éclat d'un soleil couchant presque chaud à force de lumière et sur une mer, si calme que le canot vacillait à peine comme une feuille, nous sommes montés à bord du Victoria-Albert. La Reine m’avait dit tout bas en partant : " Je vous en prie, empêchez que le Roi ne nous revienne trop tard. " Ce n'a pas été facile. Le Roi est rentré en conversation avec Lord Aberdeen. Le Prince de Joinville, est allé visiter the Fairy. M. de Salvandy et M. Vatont ont pris du thé. Au bout d'un quart d'heure, je me suis approché du Roi : " Je comprends, je comprends ; mais je veux voir établir, là haut la lune sous laquelle la Reine va voyager. La lune se levait en effet, un petit croissant aussi blanche que le soleil était rouge tout à l'heure, et presque aussi claire. La rade était couverte de bâtiments. Les nôtres saluaient et les batteries de la côte. Ce bruit ne dérangeait pas du tout le calme de la soirée. C’était charmant. J’ai laissé le Roi causer avec la Reine, et j ai recommencé moi-même avec Lord Aberdeen, qui m’a parlé du Prince de Joinville, avec un intérêt presque affectueux. Sa figure, ses manières nobles et un peu sauvages, son air tour à tour mélancolique comme un sourd et gai comme un enfant, tout cela lui plaît. Le Prince est revenu du Fairy. Les derniers adieux sont enfin venus.
Nous avons repris le canot du Roi, et avant 7 heures et demie nous étions remontés dans le char à bancs de la Reine et nous roulions vers le château. Le Roi m'a gardé jusqu’à 8 heures et demie nous promenant en long, point en large, dans sa galerie Victoria, et me faisant mille déclarations de bonne politique, et de tendresse. La Reine d'Angleterre a dû rester en panne dans la rade jusqu'à minuit et se mettre alors en mouvement pour l’ile de Wight où elle arrivera aujourd’hui vers 10 heures. Un de nos bateaux à vapeur l'accompagne, et reviendra annoncer ici son arrivée. J’ai encore eu hier une longue conversation avec Lord Aberdeen. Je suis sûr qu’il part très content et très ami. Mais l’amitié est nécessaire Il faut se voir. Avec cela, tout ira bien.
Je vais employer ma journée à causer avec le Roi, et à faire visite à Madame, Madame la Duchesse d'Orléans, le Prince et la Princesse de Salerne, le Duc et la Duchesse de Cobourg et la Duchesse d’Aumale. Je serai en voiture demain, à 7 heures. Que j’aime Beauséjour ! Salvandy est dans le ravissement. Adieu. Adieu. J’attends votre lettre. Adieu.

10 heures
Oui le N°4 qui m’arrive sera le dernier. Je viens de recevoir des nouvelles de Pampelune. Accueil fabuleux de nos Princes par tout le monde, sur toute la Route, les Reines comme les paysans, les paysans comme les Reines. Cela me plaît. Je tiens à l’Espagne. Je suis d'ailleurs très content de la position bien établie & bien acceptée, sur cette question dans la visite qui vient de finir. Adieu donc, Adieu. Je vais déjeuner. Que je suis bavard ! Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville, Lundi 26 août 1850

Je vous ai dit, il y a déjà bien des jours, que je retournai au Val Richer demain mardi 27. J'espère que vous aurez pensé, depuis deux jours, à m'adresser à vos lettres. Je laisserai ici des instructions pour qu'on me renvoie sur le champ celles qui arriveraient encore. Mais j’aimerais bien à ne pas éprouver de retard.
Le Chancelier m'apporte toutes ses nouvelles. Pas grand chose ; mais il est plein de soin. Barthe va ces jours-ci à Claremont. Son langage n’y sera pas tout-à-fait sans valeur. Le Roi le regarde comme très sincère et bien à lui. Les nouvelles du Roi sont toujours mauvaises.
Voici ce que m’écrit de Colmar un ancien magistrat, homme d’esprit : " Nos tribuns ont mal accueilli notre Imperator. Il s’était hâté de quitter Mulhouse où les ouvriers le regardaient de travers. Cela fait qu’il est arrivé à Colmar plutôt qu'on ne l'attendait. Là, trois officiers de garde nationale, avec lesquels Flocon avait fraternisé, il y a trois jours, ont crié à tue tête avec leurs compagnies : Vive la République toute seule ! Cela a fait au Président un assez long charivari. Il en a eu de l'humeur et n'est pas allé au bal. On le dit fort mécontent. L’absence n’est plus que la patrie d'Emile Girardin. Tel n'est pas cependant l’esprit général, et si un libre scrutin pouvait s'ouvrir, la Monarchie mettrait la république à l'abri du danger de l'Empire. " J’ai vu hier des gens qui craignent un peu que ces explosions démagogiques n'intimident le président, et ne le poussent à se reporter vers le tiers parti républicain, Dufaure, Gustave de Beaumont &, pour apaiser un peu l'hostilité. Cela ne serait grave que si cela se faisait au moment des élections.

Midi
Merci de votre rapport sur Fleischmann. Je vous en ai parlé hier. Maintenant il est indispensable de savoir ce qu'aura le fils en se mariant, et ce qu’il peut espérer un jour. La Dame n’est pas du tout laide ; au contraire, plutôt bien ; grande, belle taille, l’air noble, blonde, du yeux bleus grands et doux : beaucoup de sens, un bon caractère, entendue et économe. Dix mille livres de rente, bien à elle, en se mariant, en fonds Hollandais, français et belges et cinq ou six mille livres de rente bien assurées. Je viens de passer quelque temps avec elle. J'en pense vraiment très bien. Le coeur très fier ; elle voudra connaître un peu elle-même avant de rien dire.
Vous aurez vu que le discours du Président à Lyon m’avait frappée comme vous. Il est bien rare que nous ne soyons pas instinctivement du même avis. Le discours à Strasbourg aussi est assez bon. Par contre, j'ai beaucoup causé hier du Président avec un homme d’esprit qui l’a beaucoup vu, et qui en pense très médiocrement.
Décidément Palmerston n'a pas accompagné la Reine à Ostende. La grosse injure est acquise. D’autant plus qu'elle a emmené Baring. Je ferai ce matin votre commission à Mad. de Boigne, et au Chancelier. Adieu. Adieu.
Je vous écrirai encore d’ici demain. Je ne pars qu'à 2 heures pour aller dîner au Val Richer. Adieu.
Ce pays-ci n’est plein que de l'escadre de Cherbourg. On ne pense pas à autre chose. Tout le monde y va. Plus moyen de se loger à Cherbourg. On se loge dans les villes environnantes, à Valogne, St Lô, à plusieurs lieues de distance. Tout le yacht club anglais s'y rend, 80 yachts, dit-on. Je saurai bien comment les choses s’y passeront, M. de Witt, va s’y promener. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris vendredi le 20 septembre 1850

La commission hier a interrogé M. Baroche. Il a nié fort et ferme que la société du 10 Xbre fut autre chose qu'une société d’assistance, très vertueuse. On a cité des faits arrivés au débarcadère. Il a donné un démenti à tout, ou traité quelques unes d’affaires de police qu'on examine. Cela a été long. Personne n’a été convaincu et tous un peu envoyés. Voilà ce qu’on m’a raconté. Il ne manquait que Berryer et Lamoricière.
Le soir, j’ai vu la vicomtesse venue de Mouchy pour me questionner. Elle y était à peine que les visiteurs sont arrivés, M. Fould, le duc de Bauffremont, Kisseleff, Mme de Caraman, la belle lady Claud Hamilton. Tout le monde en extase de sa beauté. M. Fould parle l'anglais comme un Anglais. Il a beaucoup parlé des réfugiés français à Londres de la propagande qu'ils y font de Louis Blanc comme du plus dangereux de tous, persuadé qu'il arrivera à l'Angleterre quelque catastrophe si elle ne chasse pas ces gens-là. M. Molé a le même dire. On avertit Normanby mais les Anglais sont trop fiers pour être inquiets. J’ai été si ennuyée de la polémique entre la Prusse & Le National, que j’ai donné congé à l’un et l’autre journal. Ai-je tort ? Vont- ils se venger peut-être ? Comme je suis poltronne. Dites-moi quelque chose, je suis prête à les reprendre, si c’est nécessaire. Kisseleff reprend ses inquiétudes. Chreptovitch travaille beaucoup à se faire nommer à Paris. Adieu. Adieu.
Rien de nouveau. Neumann vient de perdre sa femme. Elle est morte en couches, & l'enfant aussi.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Lundi le 23 septembre 1850

J’ai remis hier à votre fils une lettre pour vous. Je la tenais préparée mais je n’y ai pas pu ajouter un mot ayant du monde chez moi. Les lettres Barthélemy, & La rochejacquelin font beaucoup de bruit. Tous les légitimistes blâment, déplorent la Première. Nous allons voir si l’union en parlera et ce qu’elle en dira. J’ai vu hier chez moi le Danemark, le Portugal, la Prusse, Kisseleff, Saint-Aulaire, Bauffremont. cela ne fait pas des nouvelles. Le matin j’ai fait visite à Mad. de Sainte-Aulaire. Charmante femme.
A l’entrée de Canning dans le ministère de Lord Liverpool en 1822 je n’ai joué d’autre rôle que de dissuader beaucoup le duc de Wellington de faire l’affaire. Or c’est lui qui l’a faite en forçant le roi à accepter le Ministre. Il n’y avait pas de quoi parler de moi. En 1827 c’est autre chose. Le duc de Parme (le mien) m’envoie une lettre pour la reine Amélie, quelle drôle d’idée ! Lui aussi a passé ici trois semaines à Bade. Tout ce que j'ai manqué d’amusement !
Mon fils Alexandre va en Italie. Encore un désappointement. Il y en a beaucoup dans la vie. Mad. Fleichmann me quitte elle part demain pour Stuttgard. Bien anxieuse de l'affaire & sur l’affaire. Celle-là vous reste sur le dos. Quant à moi je tâcherai de le faire aller vite en chemin de fer. Et quand je me mêle de quelque chose, je ne lâche pas que je ne réussisse. There is a broad hint ! Adieu. Adieu. Jamais le journal des Débats n’a été si vif contre la république que dans son article d’aujourd’hui. Il est bien mauvais sur Wiesbaden.
2 h. Je viens de lire l’Union que je ne lis jamais. Je trouve dans son premier Paris de ce jour un excellent artiste sur la fusion. Et un article embarrassé sur la circulaire Bathélemy.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Lundi 30 septembre 1850

Voici Bruxelles, de première source. Grandissime joie de la Circulaire de Wiesbade. La fusion n’est plus possible. Elle ne l’a au reste jamais été, et personne n'y a sereinement pensé à Clarmont. La mission de Salvandy réduite à un simple remerciement du bon procédé, aucune portée politique. Il faut rester séparé, conserver intactes ses propres chances. Voilà le roi & van Prast. Je vous en réponds. Et très très décidés. M. Guizot a beaucoup faibli. En revanche M. Thiers est plein de vigueur et d'énergie, pleine confiance dans Thiers et d'amour pour lui. C’est toujours le roi et son Ministre dont je vous parle. La Reine mourante, & sans doute morte dans peu de semaines. Immense péril pour le Roi. La population. amuse le roi, la reine meurt du chagrin qu’il lui cause. La maîtresse, une Mme Mayer a été huée l’autre jour comme elle passait en voiture avec son fils, le fils du roi. On est convaincu à Bruxelles que si la reine meurt la populace ira attaquer la maison de cette femme l’émeute grossira. Le roi résistera. Ce sera une seconde édition de Lola Montès, et l’on s’entretient publiquement dans les rues de l'abdication du roi et d’une future régence. Voilà qui est gros, & je vous répète que la source est excellente. Eye witness, et qui a reçu toutes les confidences.
J’ai vu hier deux fois Kisseleff. Le soir une nouvelle dame Baratinsky avec des yeux fascinants. On ne peut pas regarder autre chose, noirs, une forêt de cils dessus, dessous, comme je n'en ai jamais vus agréable avec cela. Elle vient de Bade, elle a été témoin du désappointement. de la grande duchesse Olga, & de son piteux retour de Heidelberg. Elle est très lié avec tout ce monde. Je saurai par elle davantage. Pas de nouvelle ici. Adieu. Adieu.
Brignoles. Bauffremont. Antonini. Durazzo & hier soir.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Mardi le 1er octobre 1850
Midi.

J'ai eu hier par courrier deux longues lettres de Constantin & de Meyendorff. La nomination de Radovitz Un grand & déplorable événement. Mais il ne pourra pas se soutenir. Détesté en Prusse, réprouvé par nous, par l’Autriche. Pas Prussien, Catholique, & quand il a porté les armes c’était contre la Prusse. Enfin c’est détestable, mais Viel Castel me disait hier soir qu'il fait qu'on l’ait pris pour quelque chose et que nous allons voir. En attendant il est impossible. qu'on s’arrange. Il n’est pas vraisemblable qu’on se batte, & cependant on n'en a jamais été si près qu’aujourd’hui. Meyendorff regrette que nous soyons si peu bien avec la France, mais les tendances affichées de l’Elysée pour Lord Palmerston nous ôtent toute envie d'être mieux, c’est très naturel, j'ai vu hier au soir les Ligne, les Kontouzof, jolie & aimable femme, Dumon, Antonini, Viel Castel. Un aimable homme celui-ci, commence très doux. La lettre de Piscatory est curieuse, bonne, il y a de l’étoffe !
Je déteste votre journal des Débats. Au reste il faut que je vous dise que tous les journaux m'ennuient à présent. Ils ne disent rien, ou bien ils disent des mensonges. Qui est- ce qui dit un mot sincère aujourd’hui ? Adieu. Adieu.
Ellice père m'écrit avec des excuses de ce que Marion n’est pas venue me voir. Ils ont à réparer ; je me tiendrai sur ce pied-là.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 14 0ct 1850

On rentre mes orangers, dans l’orangerie. C’est la préface de l'hiver. Moi aussi, je suis un arbre du midi quand l'hiver vient, il faut que je rentre. Je compte partir d’ici le mardi 29 et être à Paris le 30. Pauline et son mari resteront quelques jours après moi. Henriette part vendredi prochain. J'ai besoin de bien employer les quinze jours qui me restent. Il y a cent petites choses que je veux avoir faites avant mon départ. Ma course à Broglie me dérangera ; mais elle est nécessaire. Je tiens à causer avec lui. J’y passerai deux jours.
J’écris aujourd’hui à la Reine et au Roi Léopold. Je voudrais avoir des nouvelles du duc de Nemours. Je vois qu’il a été pris d'une de ces crises nerveuses auxquelles il est sujet, et qu’il a fallu l'emporter dans sa chambre. Quelle tragédie. Et dans les tragédies royales, depuis la maison d'Oedipe jusqu'à la maison d'Orléans, c’est toujours une femme qui est la figure frappante, le type du malheur, et du dévouement. Antigone, la Dauphine, la Reine Marie-Amèlie. La femme de la tragédie des Stuart est la plus obscure, Marie-Béatrix de Modène. Elle aussi a pourtant son originalité et sa grandeur. Grandeur de couvent plus que de trône, si vous aviez des yeux, je vous engagerais à lire son histoire dans les Lives of the Queens of England de Miss Agnes Strickland, livre médiocre et écrit avec une partialité jacobite puérile, mais plein de détails anecdotiques, et de lettres originales qui ont de l'intérêt.
Je reviens à une autre tragédie non pas royale, mais populaire, celle du Holstein. Quel acharnement mutuel devant Friedrichstadt. Je suis sûr qu’il y a eu là des scènes de passion, de courage, de dévouement et de douleur égales à celles des plus célèbres luttes historiques. Les hommes ont quelquefois de l'énergie et de la vertu à prodiguer obscurément sur les plus petits théâtres ; et puis elles leur manquent quand elles auraient tant d’éclat devant le monde entier qui regarde.
J'ai lu attentivement le discours du Roi de Danemark à l’ouverture de sa diète. Remarquable par le ton confiant, sûr de son fait et amical pour son peuple. On y sent que roi et peuple sont d'accord et ne font vraiment qu’un. Il paraît que son mariage à la mode ne l'a pas encore dépopularisé. Pardonnez-moi mon calembour.

10 heures
Je reçois un des principaux journaux de Bruxelles. C'est beau et touchant, et ce sera pour la pauvre mère qui survit, une vraie consolation. Elle a le cœur assez grand pour rester sensible à ces consolations là. J’ai une lettre d'Ostende, d’un de mes amis M. Plichon, qui était là ; il m’écrit ce que disent les journaux, plus ceci : " La Reine Marie Amélie est sublime ; elle est devenue surnaturelle. c’est elle qui console les enfants, l’époux, les frères. Une heure ne s’était pas écoulée depuis le moment suprême que déjà elle était aux pieds de l’autel, environnée de toute sa famille, et donnant l'exemple de la résignation aux décrets de la Providence. Elle m’a fait la grace de me recevoir. Elle ne tient plus à la terre. Depuis Ste Thérèse, je n'ai pas vu une sublimité morale aussi grande. " La comparaison est un peu étrange ; mais mon correspondant est un admirateur passionné de Ste Thérèse comme s’il l’avait vue. Il a dit ce qu’il a trouvé de plus beau.
Votre impératrice ferait vraiment bien d’écrire Adieu, Adieu, Soignez votre estomac. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 22 octobre 1850 Mardi

Je passais la soirée chez lord Grey le jour où lord John Russel portait le bill de réforme à la Chambre des Communes. Lord Howick écrivait de là à son père le billet suivant. the Mountain is in rupture the Tories are in a rage, our friends are astounded. J’ai ce billet. Vous voyez comme cela donne raison à ce que vous me dites de ce bill ? J’ai mené hier Hubner à Champlatreux, grande course en voiture.
[Breguey] a fait son effet à Berlin, la reculade est forte, cependant Hubner ne regarde pas encore la guerre comme impossible. Mais elle est invraisemblable. Il m’a dit si elle commence, nous ne nous arrêterons qu'à la Mer du nord & à la Baltique, il était consterné du régiment prussien donnée à Paskevitch, certainement sa cour n’a pas pensé à cette galanterie là. & elle ira droit au cœur de mon Empereur. L'Empereur d’Autriche a une érysipèle au pied, mais on croit cependant qu'il pourra aller à Varsovie. Nous avons trouvé M. Molé fort peu au courant, il ne nous a rien donné et nous lui avons beaucoup appris. La visite & la rencontre à Ferrières l'ont consterné. Vous l'avez un peu guéri de ses méfiances, il les a reprises toutes. Il m’a questionné sur votre billet à Morny. Je lui ai montré ce que vous m'en dites. Cela l’a parfaitement défié & pacifié.
J’ai oublié de vous dire hier que M. de Montalembert est allé à Rome hier même, il avait passé la matinée. La veille chez le général Lahitte. Je ne sais si c’est en mission, Lahitte un mot disant son voyage ne m’a pas laissé cette impression.
Vous ai-je dit que dans une longue conversation que M. de Heckern a eu avec le roi de Prusse celui-ci lui a dit ces trois choses. Le Prince Schwarzenberg ne connait pas l’Allemagne moi je la connais. La Hesse, voyez-vous, c’est mon nombril. Je ne souffrirai pas qu'on marche dessus. Et sur l'observation de Heckern vous aviez avec vous la Révolution. Bah, il n’y a plus d'électricité. La révolution est finie. Quand je dis que Molé en n'a rien appris. J'oublie Salvandy qui venait de le quitter revenant tout frais d’Allemagne. Dans le ravissement de Frohsdorff, la comtesse de Chambord est même belle, on a menti en disant qu’elle ne l’était pas. Ils étaient à déjeuner lorsque les journaux arrivent avec la circulaire. Le Prince abasourdi. Le duc de Lévis [Ditto] & tous deux prévoyant le parti qu’on en tirerait, & se perdant en conjectures pour deviner comment & qui. Molé crois d’après ce qui lui est revenu que c’est M. de Saint Priest accouchant de cela à Paris. La Comtesse de Chambord questionnant sur le comte de Paris, parlant de ceci avec attendrissement, & attendrissant Salvandy. Il a mandé tout cela à Clarmont.
Antonini est revenu hier de Bruxelles. Je l’ai vu le soir. Il a longtemps causé avec la reine. [Charmante], forte, droite, en train, parlant de tout, de bêtises mêmes dit Antonini, aussi une querelle d’un petit consul Napolitain. Le Roi lui a demandé de rester, ou de revenir, elle a dit qu'il fallait que les ministres le lui demandassent, ils l'ont fait, elle a promis de revenir. Le Prince de Joinville courbé, charnu, un homme de 55 ans. Le duc d'Aumale boitant, le duc de Nemours brillant. Le ménage Cobourg allant mal . Le Prince est retourné en Allemagne. La Princesse Clémentine partie avec la reine. Le roi Léopold très impopulaire. Et le sentant. Il a besoin de la reine Amélie pour le soutenir dans son pays ! Je vous ai tout dit & Je suis fatiguée. Il fait bien froid. Adieu. Adieu.

Encore un mot. Au moment de la mort Léopold a dit : " On a beau être incrédule à cette religion là, quand on voit mourir comme cela, on est ébranlé. " Vilain propos d'un lâche, et d'un courtisan, que n’allait-il à la messe après ? Molé ne croit pas au renvoi des ministres de la guerre, quoique cela lui ait été promis à lui même.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie, Mercredi 23 oct 1850

Votre lettre est très intéressante. J'en ai amusé mon hôte. Il aurait besoin d'être amusé souvent. L’atmosphère qui l'entoure agit beaucoup sur lui. Je suis très aise d’être venu. Le fond est excellent. Il ne s’agit que d’aider un peu le fond à monter sur l’eau. Il est toujours très noir et ne peut pas se persuader que rien de ce qui serait bon, soit possible. Très sensé du reste, et très spirituel sur la conduite à tenir dans le présent. Quand il a le temps de méditer sur les choses, c'est un esprit plein d'invention. Et un cœur toujours très noble. Je n'en connais point qui se soulève avec un dégoût plus fier devant tout ce qui est grossier et bas.
J’ai une lettre du Roi Léopold. Très amicale pour moi, et puis ceci : " Vous avez eu bien des occasions de juger, et apprécier la Reine Louise ; c'était une nature angélique, comme l'on n'en rencontre que bien rarement sur la terre ; et elle était une amie aussi affectueuse et dévouée qu’elle était distinguée comme intelligence et comme possédant un jugement des plus remarquables. Hélas, cet être si bon, si noble, et si distingué, si utile plus, nous est ravi, et mon home se trouve cruellement détruit. J’ai eu à subir de bien cruelles épreuves dans ma vie ; j'espérais que, vers son déclin, je n'aurais pas eu à déplorer la perte d’une amie de tant d'années plus jeune que moi. C'est encore une victime de Février. Ces épreuves sont trop rudes pour des âmes d’une véritable sensibilité. " C'est plus convenable que chaud. Et son dernier mot en parlant de sa femme, si utile en plus ; et en parlant de lui-même, des âmes d’une véritable sensibilité. On a bien raison de ne pas chercher à se montrer autre qu’on n'est. Les plus habiles n'y réussissent pas.
Salvandy est amusant. Il fera bien de rendre ses courses utiles. Il faut que son Wiesbaden serve à quelque chose, car on a dans le parti conservateur bien de la peine à le lui pardonner. Et à vrai dire on ne le lui pardonne pas. Je suis frappé de ce que j’entends dire à cet égard par des gens d'ailleurs fort sensés et point hostiles à la fusion. Du reste, dans tous les partis, et dans toutes les affaires il faut quelqu'un pour faire ces choses là, quelqu'un qui ne craigne ni la fatigue, ni le ridicule. Il a certainement, après tout, de l’esprit du courage, et beaucoup de sens en gros avec point du tout de tact et de mesure en détail. J'attends la dernière nouvelle de la reculade de la Prusse. Comme du renvoi de d’Hautpoul. Je tiens les deux faits pour assurés.
Lisez-vous attentivement dans le Galignani ce qui regarde Lord Stanley et sa manœuvre du moment pour rétrécir le fossé entre les Protectionists et les Free-Traders ? Cela en vaut la peine. Il essaie de prendre envers la réforme commerciale, la même position que prit Peel, en 1832, envers la réforme parle mentaire. Je souhaite fort qu’il y réussisse aussi bien. La reconstitution, en Angleterre d'un parti conservateur intelligent me paraît ce que nous avons de plus important à souhaiter aujourd'hui ; hors de chez nous s’entend. Adieu, adieu.
Ici aussi il fait froid. Et on ne se chauffe bien qu'à Paris. J’y serai d’aujourd'hui en huit jours. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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3. Cologne Vendredi 4 Juin 1852

Notre petit ami m'a remis votre lettre hier matin, et m’a raconté le reste c’est assez d’accord avec ce que m'a dit Van Praet. J'ai fait la route très agréablement dans une excellente voiture. Au débarcadère hélas je me suis séparée de mon fils avec chagrin très réciproque.
À Malines, j’ai aperçu Changarnier je l'ai appellé, il est venu très empressé. La vue de Madame |Kalerdgi] l'a contrarié. Il l’a appelée scélérate. A moi Il m’a fait compliment de mon nouvel ami Persigny. J’ai dit, ami, non, c’est trop fort, mais bonne connaissance. Il a parlé du serment d'amour qu'on avait voulu lui faire prêter après l’avoir traité comme il l’a été. Il a parlé de sa tranquillité, de sa philosophie. Il a bonne mine & l'air aussi arrangé qu'à Paris.
D'ici je serai escortée par le comte Goly et des amis de Mad. [Kalerdgi] Je coucherai à Coblence.

6 heures Coblence. J'arrive, journée très orageuse et ma malle, celle qui contient toutes mes parures, perdue, égarée entre Bruxelles et Cologne. Grande consternation et impossibilité d'avaler jusqu'à ce que je la retrouve. Cela me contrarie horriblement. Voilà comment je suis servie, vous voyez ma colère ! Je n’ai littéralement, absolument rien à mettre. Je me soulage en vous contant ma misère.

Samedi 5. 9 heures. La malle est retrouvée, à force de télégraphes & de protection prussienne elle m’est arrivée cette nuit. Je ne pars cependant qu’à midi. Cela convient ainsi à Mad. [Kalerdgi] et je lui dois de faire un peu sa volonté. Je coucherai sans doute à Biberich, et je serai rendue à Schlangenbad demain matin.
Pas la moindre nouvelle à ramasser en route, beaucoup de curieux, petits renseignements à recueillir de ma compagne. Elle a beaucoup d’esprit mais sans suite aucune. Elle sait assez bien observer. Elle amusera son oncle. Adieu. Adieu.
Je suis très impatiente de Schlangenbad. Je crois que l'[Impératrice] y restera plus longtemps qu'on n’avait dit. Le temps est assez froid, et toujours à l'orage. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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4. Schlangenbad Dimanche le 6 juin 1852

J'ai trouvé à Biberich, les voitures de la cour qui m’attendaient. Il a bien fallu en profiter. Je suis arrivée tard ici.
L'Impératrice était allée au devant de la [Grande Duchesse] Olga. Meyendorff est accouru et m'a tenue jusque près de onze heures & si agréable, si curieux que je n'avais pas sommeil.
J’ai mal dormi. Je ne suis pas logée auprès de l’[Impératrice]. Les jeunes grands ducs sont venus à [Schlangenbad] & deux jeunes Princesses de Dessau nièces de l’Imp.. Il a fallu mettre dehors les autres je suis dans la maison vis-à-vis. Le duc de Leuchtenberg avec moi, à 9 h ce matin le G. D. Nicolas est venu me voir, je n’étais pas à moitié prête. Un quart d'heure après la G. D. Olga et son mari, puis l’Impératrice avec le G. D. Michel. Voilà toute la famille impériale dans mes bras. J’ai été très émue en voyant entrer l'Impératrice, elle a été charmante, gracieuse, affectueuse. J'ai été lui rendre sa visite tout à l'heure, elle m’a gardée longtemps questionnant avec intérêt, intelligence.
Le Prince de Prusse arrive ce soir. Le roi de Wurtemberg demande à venir faire sa cour. On n'a pas envie de le recevoir. On ne veut voir personne. Le roi de Prusse sera ici le 24.
Meyendorff m’adore, & je l’adore aussi, nous allons passer notre temps ensemble. Que de choses nous nous sommes dites déjà. Je lui ai montré votre lettre car il est très avide de vous, il me dit que vous êtes dans l'erreur. Nous n'isolons pas la France du tout. Au contraire nous avons besoin d’elle pour toute affaire européenne. Elle est et restera dans ce concert. Seulement sous une autre forme, elle n'y sera pas aussi agréablement. C’est très exact ce qu’il me dit là & que je vous redis. Il est notre Cabinet. C’est ce que K. a l'ordre de dire et c'est parfaitement notre pensée.
Je suis très lasse j’attrape un petit moment avant le dîner. Je dînerai chez moi tête-à-tête avec Meyendorff. L’Impératrice dîne seule. Le soir j’irai auprès d'elle. Je ne l'ai pas trouvée aussi changée qu'on me l’avait dit. Olga superbe. Mes jeunes G. D. charmants. Le duc de Leuchtenberg arrive mourant dit-on. On l’attend ce soir. Personne ne croit à la fusion. On l’a trop souvent annoncée. Adieu. Adieu.

Voici votre N°3 du 3 juin. Merci. Le duc de Leuchtenberg a l’air d'un mort qui tâche d'avoir l’air vivant.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°6 Paris, Dimanche, 6 Juin 1852

Beaucoup de monde hier aux obsèques du marquis de Mornay, des légitimistes, des Orléanistes, des tiers parti des républicains, le Duc de Castres, le Duc de Montmorency, tous les La Rochefoucaud, le maréchal Vaillant, le maréchal Reille, Montebello, Duchâtel & &, au moment où le service allait recommencer, quatre soeurs de la Charité ont traversé l'Église, l’une d'elles était Mlle de Mornay ; elle est allée rejoindre sa mère dans une petite tribune d'en haut ; ses trois compagnes se sont placées près du chœur.
Un de mes voisins s'est penché vers moi, et m’a dit " Elle a pris cet habit comme un jeune homme, par un coup de tête, s’engage dans un régiment. " Tout le monde dit que c’est une personne de beaucoup d’esprit et de distinction. Elle n’est pas folle ; mais elle porte très bien, simplement et dignement, la robe de sœur grise. Sa mère, la fille du Maréchal Soult qui n’a pas, je crois, beaucoup d’esprit est une femme de beaucoup de sens et de courage, passionnée et forte, sentant vivement et supportant tranquillement ses chagrins. Son mari, vivant et mourant, lui en a donné beaucoup. Et par dessus les chagrins, des affaires assez dérangées. Elle les arrangera avec sa part dans la fortune de son père. Le Maréchal laisse environ cinq millions, y compris la galerie qui vient d'être vendue. Le majorat attribué à son fils absorbe à peu près un million. Restent quatre millions à partager. Ce n’est pas énorme.
Mon petit discours a réussi. Il y a trois ou quatre paroles que j’ai été bien aise d'avoir cette occasion de dire.
Personne ne disait là rien de nouveau. On parlait de l'article du Constitutionnel sur la Belgique. Vraiment officiel. Vous avez très bien parlé à Van Praet. Il s'est établi en Europe. quant au droit d'asile politique, des idées, très fausses, pleines de péril et qui finiront par coûter cher aux réfugiés eux-mêmes. Cela date de l'émigration Française, à laquelle les gouvernements Européens portaient un intérêt très naturel et auquel ils se sont abandonnés, sans penser aux conséquences. Tous les autres réfugiés ont profité de ce précédent. Il faudra bien que le bon sens rentre là comme ailleurs. On ne sauvera le droit d'asile politique, qu’il faut sauver, qu’en l'obligeant à ne plus être un droit de guerre, avec inviolabilité.
Il paraît décidé que le Président ira en Afrique. Ses entours le disent. J'en discute toujours. Il faudrait qu’il laissât un régent, serait-ce le roi Jérôme ? J'efface une redite.
On ne croit pas que la session du Corps législatif soit prolongée. Chasseloup fera, dit-on. Vendredi prochain le rapport du budget des dépenses. Ce rapport fera du bruit, le bruit qui se peut faire aujourd’hui. Pas beaucoup mais encore trop. C'est le principal défaut de la situation du gouvernement actuel que le moindre bruit est trop gros pour lui. Il l'a pris trop haut, en fait de silence. Je suis convaincu qu’il pourrait faire beaucoup plus de pouvoir qu’il n'en fait, de pouvoir vraiment réparateur et efficace, en permettant un peu plus d'opposition. La mesure, la mesure, c’est le grand secret de l'art de gouverner. On annonce pour samedi prochain, ou pour le lundi suivant, la délibération du Conseil d'Etat sur l'affaire des biens d'Orléans. Toujours même incertitude.
Adieu, Princesse. Je vous ai vidé mon sac.
Je vais dîner aujourd’hui à la campagne, un dîner d'académie des sciences. Je crois que je partirai samedi 12 pour le Val Richer. Je voudrais bien avoir de vos nouvelles ce matin. Je ne l’espère pas beaucoup. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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6. Schlangenbad le 8 juin 1852
Onze heures

De 10 à 1 on se rassemble à l'ombre de superbes tilleuls à la porte de l’appartement de l’Impératrice. Là Meyendorff vient de faire lecture du testament du duc d’Orléans, (que j’avais apporté). Cette lecture a produit un effet prodigieux. Le Prince de Prusse qui partage beaucoup les idées de sa femme en est resté stupéfait. L’Impératrice vous concevez !
Vous ne me donnez aucune nouvelle. Je crois que le monde veut rester tranquille pendant mon éclipse. De ce côté rien ne se passe non plus. Les Princes et princesses se croisent ici sans ajouter à l’élément de la conversation. Meyendorff est un trèsor très abondant, et si naturel. L’Impératrice prend intérêt à tout sans se fixer à rien. Mais elle n'oublie rien non plus. Et je vois avec plaisir que mes lettres vertes lui restent dans la mémoire. La grande duchesse Olga est charmante et bien belle. La suite de l’Impératrice est bien composée hommes & femmes.

5 heures J’ai pris mon premier bain avec plaisir & frayeur. Je ne sais jamais si ce que j’entreprends me réussira. Je commence déjà à m'inquiéter de ce que je deviendrai après ceci, & puis avec qui m'en retourner, car plus que jamais j’ai vu qu'il me faut quelqu'un. A propos quand je vous reverrai j’aurai quelque chose de drôle à vous raconter. L’Allemagne se brouille. On ne parvient pas à l’arranger, la presse veut avant tout reconstruire le Zollverrein et cela ne va pas. Adieu. Adieu.
J’espère que votre fille va bien. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°8 Paris, Mardi 8 Juin 1852

L’avertissement donné par le Ministre de la Police est Constitutionnel et la réponse du Dr Véron feront aujourd’hui encore plus de bruit que n’en faisait hier le premier article du Docteur. Il n'en pouvait guère être autrement ; l’offense était trop rude pour n'être pas ressentie.
On dit que Morny a dit il y a deux mois, quand la loi de la presse a paru : " Vous verrez que le Constitutionnel sera le premier journal supprimé." C’est une question de savoir si le silence de M. Granier de Cassaignac aura pour le président plus d’inconvénient que d'avantage. Il sera moins détendu, et moins compromis. On sera satisfait à Bruxelles. C'est là certainement un témoignage de bon vouloir pour les bonnes relations et un acte de déférence envers la paix Européenne. Je suppose que la Belgique y répondra par quelque mesure un peu efficace pour protéger le Président contre les attaques de la presse Belge ; elle ne peut guère s'en dispenser.
Duchâtel, Charles de La Ferronay, le Général Trézel, Neuvet de Bord, Nisard, Salvandy, tous les Mornay, voilà mes visiteurs d’hier.
Madame de Mornay m'a remercié par quelques lignes d’une fermeté émue et simple qui m’a touché. Elle a autant d’énergie native, et plus de vertu réfléchie que son père. C’est une curieuse chose que la forte et longue préoccupation du Maréchal sur son tombeau. Il y a fait travailler, sous ses yeux, pendant, trois ans. Il n’a pas voulu le placer dans sa terre qui peut passer un jour entre les mains, on ne sait de qui : " Je ne veux pas être vendu avec mon château." Pas même dans l’intérieur de l'Église de sa petite ville de St Amand ; il a trouvé la place trop petite et trop sombre. Il l’a fait construire sur la place publique de St Amand, adressé à l’Eglise et incrusté en partie dans le mur de l'Eglise, pour avoir à la fois la publicité et une sanction religieuse ; puis il a légué une rente perpétuelle aux pauvres de St Amand ; perpétuelle à condition que la commune ferait respecter à perpétuité l'emplacement du tombeau. Si l’on y touchait un jour, la rente cesserait ; en sorte que toute la population de St Amand est intéressée à sa conservation. Le monument est simple et assez grand, en marbre ; il n’y a que deux places, pour lui et sa femme. Il a pris toutes les précautions possibles pour touché. Elle a autant d’énergie native, et leur union dans l'éternité.
Charles de La Feronnay revient de Claremont, disant les mêmes choses. On m’avait mal informé hier. Le Duc de Montpensier et l'Infante en repartent, le 16 Juillet, et non pas après le 26 août. La Reine aurait désiré qu’il attendit jusques là ; il ne l’a pas pu ; l'Infante est grosse et ne peut pas trop retarder son long voyage à travers l'Allemagne. Mad. la Duchesse d'Orléans part, sous peu de jours, avec ses enfants, pour les eaux de Baden, en Suisse ; elle ira de là s’établir pour quelque temps à Interlaken. On dit que ses confidents intimes, M. de Lasteyrie, M. de Rémusat et même M. Thiers iront l’y rejoindre. J'en doute, au moins pour plusieurs.
Mad. de Rémusat, que j'ai vue avant hier, m’a paru avoir d’autres projets.
Adieu Princesse. Je pense avec plaisir que vous êtes arrivée, établie. Je vous désire un beau soleil et un peu de force pour jouir de votre jolie vallée et de vos charmantes conversations, car il y a un grand charme à retrouver les souvenirs et les affections de sa première vie. Ici il pleut et les matérialistes s'en réjouissent. A la bonne heure, pourvu que le soleil revienne quand je serai en Normandie. Adieu, Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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8 Schlangenbad le 10 juin 1852

Après une journée de repos j’ai pu finir ma soirée chez l’Impératrice. Au moment de se séparer le Prince de Prusse est arrivé, il avait fait une absence de deux jours. Aujourd'hui reviennent les jeunes grands Ducs qui ont fait une pointe aux petites cours du Midi, & qui repartent demain pour la Hollande, tout ce mouvement est fatigant à regarder.
Saztinsky est ici. L’Impératrice. est bien gardée. Elle vient de m'envoyer son médecin Maudt. Je ne sais s'il est bon médecin, mais je sais qu'il a bien de l’esprit, & que cela me fait une précieuse et utile connaissance. Vous savez que quand je parle d’utilité c’est de mes fils qu'il est question.

2 heures. Voici votre lettre. Tout m'arrive plus régulièrement cette année. Je reçois votre lettre du 8, le 10. Cela ne peut pas être mieux. Je suis bien fâchée de ne pas avoir les Débats. Je viens de lire votre discours dans le Galignani, en Anglais par conséquent. Quel dommage. Ce doit être si beau !
J’ai passé ma matinée couchée, beaucoup de visites, une longue du Prince de Prusse. J’ai été dîner chez l’Impératrice, rien que la famille. Elle me dispense de la soirée aujourd’hui, mes forces ne suffisent pas. Je suis bien plus faible qu’à Paris. Léopold arrive demain à Coblence. Il dîne et couche chez le Prince de Prusse. Mes jeunes grands ducs y seront aussi et passeront la nuit sous le même toit ; c'était une visite arrangée. Le roi Léopold s’est invité depuis. La rencontre est imprévue mais cela se passera bien. Tout est difficile dans ce genre. Je doute que l'Impératrice puisse recevoir sa visite. Elle pourra le rencontrer.
L'affaire du Constitutionnel est bien curieuse Adieu, je sens que je n’ai absolument pas une nouvelle à vous dire. Je voudrais vous en donner de meilleures sur ma santé. Je voudrais aussi avoir une meilleure mémoire. Je fais ici une grande confusion de princesses. Il y en a trop. Ma grande Duchesse Olga est vraiment charmante. Naturelle, fine, bonne & si belle. Son mari m’intéresse, car il est un peu délaissé par tout le monde. Le roi de Wurtemberg viendra la semaine prochaine, cela a couté de la peine de le faire admettre. Adieu, adieu, encore.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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14. Schlangenbad le 17 juin jeudi 1852

Pardonnez-moi la lacune d'un jour. J’ai été vraiment malade et quand hier j’ai trouvé la force & le moment pour vous écrire la grande Duchesse Olga est entrée et il n'y a pas eu moyen de trouver 3 minutes de liberté.
Ce n’est que hier que j’ai vu la princesse de Prusse. Je lui trouve certainement de l’esprit mais pas le moindre naturel. Elle n’a pas beaucoup cherché à me plaire, mais cela c'est égal. Pour juger quelqu’un c’est même plus commode.
Quand elle a vu que je n’étais pas forte en littérature moderne elle n’a parlé que de cela. Son mépris pour moi a été énorme quand je lui ai dit que je n’avais pas entendu parler des Causeries du Lundi par Ste Beuve. Je lui ai promis que je demanderai raison à mes amis de Paris de l'ignorance où il m'ont laissée sur ce point, et très sérieusement je vous demande de me dire si vous connaissez cela, & si cela à quelque mérite. J'aurai votre réponse à temps pour en faire usage. Ne vous gênez pas, et si cela valait la peine d’être lu & dites que je ne valais pas la peine qu’on m’en parle. Ma place est fort bien prise déjà sur ce point.
Nous nous passons des billets, le roi Léopold et moi sans parvenir à nous voir. Il faudra bien pourtant que cela aboutisse. Je regrette les embarras qui se sont glissés là, il était mal renseigné et a employé des intermédiaires mal choisis, cela a gâté l’affaire. Mon petit favori le Prince. Nicolas de Nassau, vient me voir quelques fois. Il est vraiment bien gentil on l’invite quelque fois mais c’est rare. Quand il y est c’est avec la jeunesse. Il n'y a à la table de l’Impératrice que ses frères, la grande duchesse Olga, Meyendorff et moi, quelque fois un [comte Sch] de Paris qui a bien de l'esprit & dont je ne me doutais pas à Paris.
Il pleut à verse c’est un déluge depuis 3 jours. Je ne bouge, quand je puis bouger, que pour aller en chaise à porteur chez l’Impératrice. Les montagnes sont enveloppées dans un épais brouillard. Adieu. Adieu.
Dites moi ce que je deviendrai après ceci Je n’en sais pas le premier mot. Ah si Marion, Aggy avaient pitié de moi Adieu. Adieu, voici votre première lettre du Val Richer, mais au moment où je suis forcée de fermer la mienne. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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15 Biberich Vendredi le 18 juin 1852
Midi

J'ai enfin donné un rendez vous ici au roi Léopold, et en attendant qu'il vienne, je vous fais ma lettre, lettre blanche ce qui m’incommode beaucoup. Je viens de voir l’Impératrice à son déjeuner, elle m’a reconduit chez moi, & m'a emballée pour mon expédition. Vous ne concevez pas à quel point, elle est naturelle, charmante, simple, et tout ce qu’elle a d'esprit et de raison, et de sentiments élevés. Il n’y a dans ce que je vous dis là rien d'exagérer, rien de ce qui tient à ce que vous appelez mon amour des princes. Il n'y a que des sots qui puissent l’appeler une femme frivole. Hier elle était souffrante un peu. Elle n'a vu que sa famille, Meyendorff; et moi, soirée très agréable.
Je suis un peu mieux. Si j’avais Aggy, ou Marion cela pourrait bien ou à peu près. Ellice me mande que la confusion des partis augmente tous les jours, la dissolution aura lieu le 26. Je rentre de mon expédition.
Le roi Léopold très sensé et préoccupé seulement de son voisin, il modifiera les lois sur la presse, il le tentera au moins, et changera quelques uns de ses ministres. Anvers est mis en bon état. 1000 canons vont le garnir. Si besoin en est le gouvernement sera là. Il n’en aura pas besoin que le [gouvernement] actuel de France. Le président a trop d'esprit pour ce coup de tête, amis s’il n'y était pas, quand il n’y sera pas ! Qui peut deviner quoi ? J’ai trouvé le roi un peu en réserve, il n'a pas parlé du tout des partis en France, pas un mot de Claremont, pas un mot de Frohsdorff, pas nommé un seul homme important passé ou présent en France. Je crois qu’il me croit très Elyséenne.
Meyendorff est flatté de ce qui s’adresse à lui dans votre lettre. Il me l’a prise. Adieu. Adieu. Je suis bien fatiguée, il faut me reposer pour la soirée, & voilà Meyendorff qui veut encore de la causerie. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°18 Val Richer samedi 19 Juin 1852

Je vous plains, si vous avez autant de pluie que moi. Je ne me promène qu’entre deux déluges. Je me promène pourtant, car je me porte bien. Mais vous vous promenez-vous un peu en voiture ? J'espère que malgré vos mauvaises jambes, vous ne restez pas toujours enfermée. Le grand repos vous est nécessaire, mais le grand air aussi ; vous en avez l'habitude, et le goût. Dites-moi, je vous prie, ce que vous faites chaque jour à cet égard.
Pourquoi le Roi de Prusse refuse-t-il au général Lamoricière les eaux d'Aix la Chapelle ? Je trouve cela dur et d’une dureté inutile. Lamoricière ne conspirera et ne parlera pas plus à Aix la Chapelle qu'à Bruxelles. Je ne sais si les bannis sont incommodes ; ils sont, à coup sûr, bien inoffensifs.
Voilà Thiers qui débarque tout à coup à Gênes, et se rend en Suisse. Sa santé est altérée, comme celle de Madame la Duchesse d'Orléans. Cela me frappe assez. Puisque vous n’avez plus le Journal des Débats vous n'aurez pas lu un article assez intéressant sur Kossuth. Purement de l’histoire, mais de l’histoire dont Kossuth ne sera pas content. C'est à propos des Mémoires de Georgey.
Je voudrais savoir un peu réellement ces affaires de Hongrie. Je n’y vois pas clair. Je sais seulement que Kossuth est un révolutionnaire, et un charlatan, les deux espèces d'hommes qui me déplaisent le plus. C’est peut-être le mérite principal des Anglais de n'être point charlatans. Rien ne l'est moins à coup sûr, que le discours du Duc de Wellington sur la milice. Frappant mélange d’un esprit qui reste ferme et d’un vieux corps impuissant, et chancelant que l’esprit, par un dernier et pénible effort de volonté, fait encore servir à son image.
Le matin de je ne sais plus quelle bataille, M. de Turenne avait un accès de fièvre, et le frisson : on l’entendit qui marmottait entre ses dents : " Tu trembles, carcasse, si tu savais où je te mènerai tantôt ! " Je ne connais pas de parole qui prouve mieux l'immatérialité et l'immortalité de l’âme.
On dit, et ce sont les feuilles du Ministère qui le disent qu’il n’y aura pas de prolongation de la session du Corps législatif. Ils me paraissent, les uns et les autres pressés de se séparer. Je vois que M. et Mad. de Persigny sont rentrés dans le monde, ou plutôt que le monde est rentré chez eux. Le journal qui l’annonce dit que le même jour, M. de Maupas a donné un grand dîner. " Ainsi le faubourg St Germain était en fête. " Voilà M. de Persigny et M. de Maupas représentants du faubourg St Germain. Qu'on dise que le système représentatif est en décadence. Madame de Persigny voilà probablement un nouvel hôte de votre dimanche. Tout le monde la trouve jolie et agréable.
Qu'y a-t-il de vrai dans le travail et les espérances de rapprochement commercial entre l’Autriche et la Prusse ? Les journaux font bruit de la mission de M. Le Bismarck Schoenhausen à Vienne. Je voudrais bien qu'elle aboutît à l'accord. L'accord, l'accord, toute la politique est là. Adieu, en attendant votre lettre. Je ne viens pas à bout de comprendre pourquoi il y a plus loin de Schlangenbad à Paris que de Paris à Schlangenbad. 10 heures Pas de lettre aujourd’hui. C'est bien pis que d’arriver tard. Tant que vous ne vous porterez pas très bien, je ne pardonnerai pas l’inexactitude des courriers.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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18 Schlangenbad le 21 juin 1852 Lundi

Je passe avec Meyendorff des heures charmantes, c’est une communauté charmante de souvenirs, d’intérêts, d’opinions. Nous cherchons sans le trouver le sujet sur lequel il pourrait y avoir dissentiment entre nous. Il faut absolument que je vous le montre, il en a bien envie aussi non pas de se faire voir car il est très modeste, mais de vous connaître vous & d’autres. Il faut que ce plaisir me soit donné. Hier l’Impératrice a été très fatiguée de la visite du roi de Wurtemberg C’est trop pour elle. Il lui faut de la distraction sans gêne. Je comprends cela, je l’apprécie & je le pratique comme vous savez. Elle s’est reposée & couchée hier soir et j’ai fait ma soirée chez ses dames. Toutes quatre sont très bien. (Mme Nélidoff la plus distinguée entre elles, une personne intéressante.) (Ne répondez pas à ceci.)
Les princes se succèdent et se relèvent ici. Il n'y a que cela de visiteurs. Tous sont polis pour moi et ne manquent jamais de venir chez moi malgré les rencontres deux ou trois fois le jour chez l’Impératrice. Il en résulte que j’ai extrêmement peu de loisir, quelques fois pas le temps de m'habiller car on commence dès 10 h. le matin. Pas de promenade du tout aujourd’hui, une pluie incessante.
Il me semble qu'Aggy viendra certainement me rejoindre, dans ce cas je n’irais pas à Paris, mais l’incertitude m’est bien désagréable. Il me parait difficile d'échapper à Stolzenfels. Si je retourne à Paris rien de plus simple, mais si je n’y vais pas, voilà qui sera encore bien fatigant. Enfin tout ceci doit compter pour une campagne. J'en rapporte des passeports, je serai biens payée, par dessus le plaisir de cœur qui est grand je vous assure. Adieu. Adieu.
Je suis un peu mieux de santé. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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19 Schlangenbad le 22 juin1852

Aujourd’hui la reine de Wurtemberg que je n’avais pas vue depuis 31 ans, pas changée du tout. Les bénéfices d'une vie uniforme, sans grand plaisir, sans grande peine, sans affection vive, sans intérêt, sans curiosité. Si elle n'était pas reine, je dirais le bénéfice de n'être pas incommodée par trop d’esprit. La pluie continue et abondante. Les palpitations sont revenues à l’Impératrice. C’est une saison mauvaise pour faire usage des bains. Je me fais traîner mais en voiture fermée, il fait trop froid pour la voiture ouverte. J’ai toute sorte d’équipages ici entre autres une chaise à porteurs. J'en ai demandé le soir de mon arrivée, le comte Schouvaloff m’a vite fait venir par télégraphe électrique de Dresde, & le roi de Saxe envoie ses hommes & sa chaise. Le plus grotesque équipage avec les plus étranges couleurs. Cela fait mourir de rire l'Impératrice.
Vous voyez que je n’ai pas un mot de nouvelle à vous écrire. Ce qui fait cependant que j'aurai beaucoup à vous dire si je vous voyais quand je vous verrai. Depuis dimanche prochain le 27 adressez vos lettres à Francfort, sur le Main Légation de Russie.
C'est le 30 que l'Impératrice quitte ceci & moi aussi. Adieu. Adieu.
On me demande ce qu'on pense, ce que vous pensez de l’attitude de l’Empereur. Je dis mais pas si bien que vous savez dire. Je cite le duc de Broglie, comme le grognon qui se rend. La duchesse d’Orléans a passé un jour auprès de son amie la princesse de Prusse à Coblence. Certainement Thiers va la trouver en Suisse pour viser son passeport pour Paris Adieu. Adieu.
Jusqu’à présent j'aime mon Impératrice tous les jours davantage. Vous trouverez que c’est trop, vu que vous en saviez déjà.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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21 Schlangenbad le 24 juin 1852 Jeudi

Pendant que j’étais chez l’Impératrice ce matin, à trois, elle la grande Duchesse & moi, on m’a apporté un billet de votre petit ami qui était venu me voir. J'ai fait attendre longtemps. mais je l’ai vu à la fin. Je ne lui ai pas donné de lettre. Vous le verrez mardi et vous recevrez ceci je pense dimanche ou lundi. Il vous dira verbalement quelque détails de la vie que je mène & de la mine qu'il m’a trouvée. Elle n’est pas belle. Je suis bien fatiguée, quand tout ceci sera passé & que je pourrai me reposer c’est alors que je me sentirai abattue et faible car à présent encore l’intérêt de la situation, the excitement. me soutiennent. Pas l'isolement, l'excès contraire.
Pourvu que Aggy m'épargne cela, ici à Paris n'importe. J’attends de Clothall demain une lettre qui me fixera sur mon sort.
L’Impératrice prend goût aux choses que je lui lis, cela nous mène à des conversations très intéressantes. Elle sait bien des choses, & sa mémoire est prodigieuse, & son bon sens aussi. Ces séances du matin, me plaisent beaucoup. La soirée se passe bien aussi très bonne conversation. En tout l’Impératrice dont vous savez que je pense si bien, surpasse encore l’opinion que j’avais de son esprit, de sa bonté de son tact délicat et fin. C’est une personne très supérieure. Comme le mérite modeste est rarement connu et comme c’est celui-là que j’aime.
Aujourd’hui se fait à Bibérich la rencontre entre l’Impératrice et le roi Léopold. Je n’y vais pas car je ne vais nulle part et je crois que Meyendorff n’en sera pas non plus, je le regrette. Il a une migraine affreuse.

5 heures. Voici votre petit 21 qui me désespère. Vous ne recevez pas mes lettres. Que puis- je y faire ? Je ne conçois rien à cela. Les vôtres m’arrivent très régulièrement. Aujourd’hui j’ai eu votre lettre du 16 sans N° très curieuse, très intéressante. Merci merci, et Adieu mille fois.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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26. Schlangenbad le 29 juin 1852

L’Impératrice est venue chez moi ce matin. Elle y a passé une heure et davantage. Long tête-à-tête où nous avons causé de tout. De son côté tant d’intimité, de bonté, de confiance, d'abandon. Un esprit si sérieux, une âme si élevée, si adorable. Je ne puis assez-vous dire combien j'ai pour elle de tendresse & de respect sincère. Si vous aviez pu écouter. Vous auriez été frappé & charmé de ce naturel, cette grâce d'esprit et de coeur rare dans toutes les conditions, unique dans le rang qu’elle occupe, moi je n’ai pas l’honneur de connaître une femme qui ressemble à l’Impératrice s'il y en a qui lui ressemble.
Au milieu de tout cela l’intérêt de ma vie n’a pas été négligé, & j'ai toutes les garanties possibles. Je suis bien contente d’être venue. Précieux souvenir & sincérité pour l’avenir.
Mais mes forces ! Pauvre, pauvre santé. Enfin, je retourne à Paris ; c’est là que vous allez m’adresser vos lettres. Constantin est arrivé aujourd’hui. Le roi vient chercher l’Impératrice après demain. Outre Stolzenfels où nous passons deux jours, nous irons dans un autre château Barath. C'est le 4 que je me sépare de l’Impératrice. Adieu. Adieu.
Toute la journée j'ai du monde je n’ai pas. un moment de repos, & j'ai tant de besoin d'en avoir. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Dimanche 13 juillet 1851

Voilà enfin votre récit et très détaillé, très intéressant de la visite à Claremont. Au total c'est très bon. Je n’ai point de nouvelle. Une lettre de Berlin de mon fils Alexandre qui y est arrivé très malade, qui ne peut pas marcher, & qui s'emballait cependant pour la Courlande.
Hier soir le prince George, & Beroldingen, Duchâtel profondément ennuyé mais moqueur, il y a de quoi. Le prince connaît beaucoup Melle Rachel. Il vient à Paris [?] et va chez elle tous les jours. Il la trouve bien belle et une bonne diseuse. Voilà comme il caractérise son talent. Marion et Duchâtel crèvent de rire. Au fait Duchâtel aime mieux les patiences que les princes.
L'accueil à Claremont, & le hint à Berryer vont faire un embarras pour la proposition Creton. Comment s'opposer après cela ? Changarnier était-il prévenu du voyage ? Je crois que non. Je suis bien ennuyé de vous savoir incommodé. Et puis voilà mes lettres qui s’en vont au Val Richer vous l'avez voulu ainsi. Vous me l'avez écrit. J’espère bien que celle-ci vous y trouvera. Le temps est toujours laid. Hier arrive. J’ai été me promener sous la galerie des boutiques, [Flanguin] à gauche par le duc de Saxe Meiningen à droite Le Prince George de Prusse. Devant moi le Landgrave de Hesse. Et puis, néant, pas une âme de connaissance. Duchâtel va être charmé de lire votre lettre. Il vient toujours & à 1/2 après mon bain & puis le soir. Je le renvoie dans ma voiture fermée, car il a peur de l'air du soir. He takes good care of himself. Adieu. Adieu, remettez-vous & écrivez-moi toujours tout. Nous sommes très à sec ici malgré la pluie ! Adieu.
Je me décide à adresser ceci à Paris. Vous pourriez y être encore si votre petite fille était malade et en tout cas Pauline est là pour vous la faire passer. Mes précédentes lettres sont allées au Val-Richer.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 15 juillet 1851, Mardi

Voici du renfort. La duchesse d'Istrie & d’Haubersaert sont tombées chez moi hier soir à ma grande joie. Comme je reçois bien les gens quand je m'ennuie. Le Prince George est venu un moment après, subitement touché de la beauté de Madame d'Istrie. Cela plaît à Duchâtel aussi. Il m’a envoyé ce matin toutes ses lettres de Paris parfaitement conformes aux vôtres. Nous allons être curieux ici comme vous au Val-Richer de la discussion de la semaine. Je ne crois pas qu’elle offre rien de très vif.
Marion me fait certainement une grande ressource. Elle me fait bien rire. Petite républicaine qui ne veut absolument pas dire Monseigneur au prince de Prusse, cela lui reste dans le gosier. Elle se moque de lui pas mal, elle lui trouve l'air d'une bête fauve innocente, mais qui a de l’esprit. Bouteneff est venu me voir. Esprit droit, sensé, & doux. Il vient de Pétersbourg. Il sera bon à l’usage. Grand ami d’Alexandre, qu'il me donne pour un bien bon fils. Cela me fait du bien à entendre. Duchâtel veut faire demain une partie à Stolzenfels avec la duchesse d’Istrie et Marion et d'Haubersaert. Ils vont s’amuser. Le temps est toujours à la pluie, au vent, au froid. C’est détestable. Je bois, & je baigne. Les princes Belges sont arrivés hier avec un grand train. Cela avait très bon air. J'ai beaucoup de goût à tout ce qui a l'air royal. Adieu voyez comme je vous écris des lettres intéressantes.
Adieu encore.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Mercredi 16 Juillet 1851
6 heures

Je me lève. Voilà une vie tranquille et saine. J’écrirai, des lettres ou autre chose jusqu'à 10 heures. La poste arrive. C'est mon événement. Je lis mes lettres. Je descends dans le jardin. Je remonte et je fais ma toilette. A 11 heures, je déjeune. Je me promène. Je remonte dans mon Cabinet, et je lis mes journaux. D'une heure à 7, je travaille et je me promène. A 7 heures je dîne. Après mon dîner, j'arrose mes fleurs une demi-heure. Je rentre et je lis jusqu'à 10 heures. Pas une âme, pas une voix, autre que mon valet de chambre et mon jardinier. On va commencer à savoir dans le pays que je suis arrivé, et on viendra un peu me voir. Nous parlerons de l'assemblée et du Président. Mais je resterai encore en grand repos.
Ma petite fille continue à aller mieux ; mais comme elle continue aussi à être fort délicate, je doute que le médecin d'Henriette lui permette de quitter Paris avant quinze jours. Je mettrai ce temps là à profit pour mon travail et pour mon repos.
Voilà donc la révolution Portugaise qui avorte comme les autres. Etrange temps où les révolutions sont si aisées à faire et si impossibles à poursuivre ! On ne les empêche jamais d’arriver ; mais dès qu'elles sont là, on les arrête. Je voudrais que le comte de Thomas vint à Paris l'hiver prochain. Je serais bien aise de le connaître. Que dites-vous de l'aplomb de Palmerston sur Pacifico ? et du bon sens anglais qui laisse tomber cette sottise sans mot dire, étant décidé à n'en pas renverser l’auteur ? Le vice originel du gouvernement représentatif, ce sont les paroles exagérées, et les paroles vaines tous les pays qui en essayent donnent à plein collier dans ce vice-là. L'Angleterre seule s’en défend ; elle sait parler bas, et même se taire.
10 heures
Je viens de lire mes lettres d'abord ; puis un coup d'œil sur les journaux. M. de Falloux me plaît, et le général Cavaignac m'amuse. Je lirai attentivement. J'en ai le temps. La campagne double la longueur de la vie. Vous allez mieux puisque vous ne m'en parlez pas. Vous ne me dites rien de Marion. Il me semble qu’elle doit être une grande ressource de conversation habituelle. A-t-elle autant d’esprit que de mouvement ? Ce n’est pas tout de remuer ; il faut avancer. Point de nouvelle de Paris. C’est vues qu’il faut dire. A qui se rapporte ce mot vu ? De qui parlez-vous ? De vous et de Marion. Vous êtes femmes, donc le mot qui vous regarde doit être au féminin. Vous êtes deux femmes. Donc il doit être au pluriel. Est-ce clair ?
Adieu. Adieu.
Je vais faire ma toilette. Je la fais pour moi seul comme si je devais passer ma journée à voir du monde. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 16 juillet 1851

Comme de raison je n'ai rien eu aujourd’hui. Vous vous éloigniez. Qu’est-ce qu’un Baron de Renduff qui dit qu’il était ministre du Portugal à Paris à l’époque de la Révolution ? Il tombe chez moi comme une bouche hier soir. Je dis que je ne le connais pas. Duchâtel lui dit la même chose. Il reste un peu, & puis il part et quand il a été parti, il nous est venu un souvenir vague de l’avoir vu.
Nous nous sommes amusés au piquet, au lansquenet à des bêtises, à 9 heures je renvoie tout le monde.
J’ai l’esprit un peu tourmenté sur Paris. Attendu que je n'ai point pris de robes, je crois qu'il arrivera là des choses qui m’empêcheront d’y retourner, excellente raison n'est-ce pas ? Parlez-moi raison je vous prie afin que je sois rassurée.
J’avais passé chez Mad. d’Ust. Elle vient de me rendre ma visite, c'est une aimable personne tout à fait. Elle était accompagnée d'un vieux général. J’irais voir la petite princesse. Je suis bien aise de faire des politesses au roi Léopold. M. van Praet a été parfaitement poli pour moi. Jamais je n'oublierai cette belle et bonne voiture qui m’a conduit à Cologne.
Je ne vous ai pas parlé de ma santé encore. Cela ne va pas si bien que l’année dernière, j’ai un an de plus. Le temps aussi est exécrable. Adieu. Adieu, vous êtes donc seul au Val-Richer ? Je ne vous conçois pas tout-à-fait seul. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 18 juillet 1851 Vendredi

Grand émoi hier. Marion avait reçu un jeune Monsieur envoyé par le Prince Metternich pour l’escorter au Johannisberg. Il apportait une lettre de la fille du Prince. Sotte petite lettre. Le jeune homme veut qu’elle parte de suite la faire coucher à Coblence. Marion dit oui à tout, seulement elle attend que je rentre. J’étais chez les Belges. J’ai trouvé tout cela bien leste. Pas un mot du reste des parents, pas un mot à moi. Un inconnu, des cheveux blonds, très jeune. Cela ne va pas. J’ai refusé. J'ai fait comprendre à Marion qu’il fallait la traiter avec plus d'égards, et puis je ne sais pas quand on me la rendrait. Je trouverai moyen de lui faire faire une visite au Johannisberg quand je serai à Schlangenbad, cela n'est pas loin.
Aujourd’hui j’envoie Marion à Stolzenfels avec la duchesse d'Istrie, Duchâtel & d’Haubersaert. Tout cela était hier ici et le duc de Richelieu, [Bouteneff] et Beroldingen. Je garde un grave quelconque pour le piquet les autres jouent à ce qu’ils veulent, à 9 1/4 je les renvoie tous. Le prince George n’a pas où monter chez moi hier il avait un frac coupé en rond, il a eu peur de moi. C’est trop.
L'indépendance me donne bien vite les nouvelles de la Chambre. Je vois que Berryer a fait un superbe discours. Jusqu’ici tout cela va si tranquillement que je nous trouve très sots d’y avoir attaché. quelque importance. Je fais ici quelques connaissances. Des Prussiens & Prussiennes appartenant à la cour. Le roi sera probablement à Stolzenfels le 15 août. La Princesse de Prusse revient à Coblence dans huit jours.
Adieu votre solitude & mon éloignement ne nous donnent pas beaucoup de sujets à traiter. Vous me direz cependant votre opinion des discours & de l'ensemble de la discussion. J’ai écrit hier au duc de Noailles. Charles Greville me dit que le rising [?] est Lord Granville. Grande popularité & talent à la Chambre des Pairs. Le ministère est très solide. Adieu. Adieu.
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