Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Londres, jeudi 5 mars 1840, 8 heures du matin

Je me lève. Comment aurez-vous dormi cette nuit ? Hier était un triste jour. J’ai le coeur plein de remords d’être loin de vous. Je ne vous ai jamais fait le bien que j’aurais voulu. Vous ne savez pas, vous ne saurez jamais tout le bien que je voudrais vous faire, mon ambition infinie, insatiable, avec vous. Je vous aime trop pour me résigner jamais à me sentir impuissant et désarmé quand je vous vois un chagrin, n’importe lequel, n’importe de quelle date. Non, je ne me résignerai jamais à ce que cela soit, jamais à le croire; je m’en prendrai toujours à l’imperfection de notre relation, à la séparation de nos vies, à l’impossibilité où je suis de vous donner tout ce que j’ai en moi pour vous, d’exercer auprès de vous, sur vous, toute cette puissance d’affection et de tendres soins, le seul vrai baume que Dieu ait mis à notre disposition pour les blessures de l’âme. Dearest, vous avez beaucoup souffert, et il vous a toujours manqué du bonheur à côté de la souffrance. Il n’y a pas moyen de supprimer la souffrance dans la vie humaine; elle en est inséparable ; mais le bonheur aussi peut s’y placer; et la destinée le plus rudement frappée, le cœur le plus déchiré peuvent contenir en même temps les joies les plus intimes et les plus douces. C’est ce mélange de bien et de mal, cette compensation de l’un par l’autre que je voudrais du moins vous donner. Près de vous, je faisais déjà si peu! Quoi donc de loin?

6 heures

Vous avez raison. Je suis faible quelquefois avec mes amis. Mais dans cette occasion, ma faiblesse était bien embarrassée, car elle avait à choisir : le Duc de Broglie, MM. de Rémusat et Jaubert d’un côté, MM. Duchâtel et Villemain de l’autre. Evidemment il fallait chercher ailleurs que dans mes amitiés le motif de décision. Je ne vous redirai pas ce que vous aurez vu dans ma lettre à Duchâtel et dans celle du Duc de Broglie. Il ne m’est resté, il ne me reste aucun doute. Je ne sais ce qui arrivera. Je penche à croire qu’au fond ce Ministère fera à peu près comme le précédent. Je suis sûr qu’il le voudra; je présume qu’il le pourra. Je ne lui vois ni des amis bien exigeants, ni des ennemis bien intraitables. S’il en était autretrement, si le pouvoir allait réellement à la gauche, je n’hésiterais pas un instant. Ils le savent. Voici ce que m’a écrit Thiers :

 « Mon cher Collègue, je me hâte de vous écrire que le Ministère est constitué. Vous y verrez, parmi les membres qui le composent, deux de vos amis, Jaubert et Rémusat, cl dans tous les autres, des hommes auxquels vous vous seriez volontiers associé. Nos fréquentes communications depuis dix-huit mois nous ont prouvé, à l’un et à l’autre, que nous étions d’accord sur ce qu’il y avait à faire, soit au dedans, soit au dehors. Nous pouvons donc marcher ensemble au même but. Je serais bien heureux si en réussissant tous les deux dans notre tâche, vous à Londres, moi à Paris, nous ajoutions une page à l’histoire de nos anciennes relations. Car aujourd’hui comme au 11 octobre, nous travaillons à tirer le pays d’affreux embarras. Vous trouverez en moi la même confiance, la même amitié qu’à cette époque. Je compte en retour sur les mêmes sentiments. Je ne vous parle pas d’affaires aujourd’hui. Je ne le pourrais pas utilement. J’attends vos prochaines communications et les prochaines délibérations du nouveau Cabinet. Ce n’est qu’un mot d’affection que j’ai voulu vous adresser aujourd’hui, au début de nos relations nouvelles. » Je lui ai répondu ce matin : « Mon cher Collègue, je crois comme vous qu’il y a à tirer le pays de graves embarras. Je vous y aiderai d’ici, loyalement et de mon mieux. Nous avons fait ensemble, de 1832 à 1836, des choses qu’un jour peut-être, je l’espère, on appellera grandes. Recommençons. Nous nous connaissons et nous n’avons pas besoin de beaucoup de paroles. Vous trouverez en moi la même confiance, la même amitié que vous me promettez et que je vous remercie de désirer. Nous nous sommes assurés en effet, dans ces derniers temps, que nous pouvions’ marcher ensemble vers le même but. Rémusat m’écrit que le Ministère s’est formé sur cette idée : Point de réforme, point de dissolution. C’est le seul drapeau sous lequel je puisse agir utilement pour le Cabinet, honorablement pour moi. Si quelque circonstance survenait qui me parût devoir modifier nos relations, je vous le dirais à l’instant et très franchement. Je suis sûr que vous me comprendriez, et même que vous m’approuveriez. » Vous voilà au courant, comme on peut l’être de loin. Misérable communication ! Pendant que je vous écris, mon âme, mes regards, ma voix vous cherchent. Adieu. Je vous quitte pour aller m’habiller et dîner chez la Reine.

Vendredi 6 mars, 5 heures

J’ai diné à la droite de la Reine qui avait son mari à sa gauche. Elle a été très aimable pour moi. Soyez tranquille ; pas la plus petite allusion aux Affaires. La famille Royale, la Princesse Marie, Melle Rachel, Paris, Buckingham-Palace ont défrayé la conversation. La Reine a eu pour moi les mêmes bontés que Mme la Duchesse d’Orléans ; elle a lu mes ouvrages. Elle a un joli regard et un joli son de voix. Dans son intimité elle a supprimé la retraite des femmes avant les hommes. Hier les vieilles mœurs ont prévalu. J’avais à ma droite Lady Palmerston, puis Lord Melbourne, le Marquis de Westminster, Lady Barham etc, 28 en tout.

Après le dîner, on s’est établi autour d’une table ronde, dans un beau salon jaune qui m’a fait frémir tout le cœur en y entrant. C’est presque la même tenture que votre premier salon. Deux ou trois femmes se sont mises à travailler. Nous avons causé, sans trop de langueur, grâce à Lady Palmerston et à moi jusqu’à onze heures un quart que la Reine s’est retirée.

 J’ai découvert au-dessus des trois portes de ce salon trois portraits... Je vous donne à deviner lesquels! Fénelon, le Czar Pierre et Anne Hyde, Duchesse d’York. Je me suis étonné de ce rapprochement de trois personnes si parfaitement incohérentes. On ne l’avait pas remarqué. Personne n’a pu en trouver la raison. J’en ai trouvé une. On a choisi ces portraits à la taille. Ils allaient bien aux trois places.

On disait hier matin une nouvelle. La Reine n’avait pas paru la veille à dîner, elle était souffrante ; elle est grosse. Lady Holland a apporté cela le soir chez Ellice où j’avais dîné. Mais la Reine a dîné hier et ce matin elle a tenu un lever qui a duré deux heures. C’est beaucoup si elle est grosse. Cependant on ne retire pas la nouvelle.

Ce lever, m’a ennuyé et intéressé. C’est bien long et bien monotone. Pourtant j’ai regardé avec une émotion pleine d’estime le respect profond de tout ce monde, courtiers, Lawyers, Aldermen, Officers, passant devant la Reine, la plupart mettant un genou en terre pour lui baiser la main, tous parfaitement sérieux, sincères et gauches. Il y faut cette sincérité et ce sérieux pour que tous ces vieux habits, ces perruques, ces bourses, ces costumes que personne, même en Angleterre, ne porte plus que pour venir là, ne fassent pas un effet un peu ridicule. Mais je suis peu sensible au ridicule des dehors quand le dedans ne l’est pas. J’ai vu le Duc de Wellington, triste vue, presqu’aussi triste que celle de Pozzo; rapetissé de trois ou quatre pouces, maigre, chancelant, vous regardant avec ces yeux vagues et éteints où l’âme qui va s’enfuir ne prend plus peine de se montrer, vous parlant de cette voix tremblante dont la faiblesse ressemble à l’émotion d’un dernier adieu. Il n’est point moralement dans l’état de Pozzo, l’intelligence est encore là, mais à force de volonté et avec fatigue. Il s’est excusé de n’être pas ecore venu chez moi : «  J’étais à la campagne ». Je crois que je dinerai avec lui chez le Sir Robert Peel.

M. de Brünnow n’est pas encore venu chez moi. C’est le seul. Il était au lever de la Reine, très empressé, auprès des Ministres, busy-body 2 et subalterne dans ses façons.

Lady Palmerston m’a parlé de Paul. Il ne va absolument nulle part, si ce n’est à Crockford à 9 heures pour dîner. Il passe sa journée chez lui, en robe de chambre et à fumer. M. de Brünnow, dans les premiers moments, l’a vu deux ou trois fois et a essayé de le voir davantage. Paul n’a pas voulu. M. de Brünnow ne le voit plus.

Le mariage de Darmstadt n’est point certain. Le Grand Duc y retourne pour voir s’il pourra se décider. On doute qu’il se décide. Il est toujours amoureux en Russie. M. de Brünnow reviendra ensuite ici comme ministre en permanence, en attendant, fort longtemps peut être, un ambassadeur.

Samedi, 8 heures du matin

Hier, à dîner chez Lord Clarendon, M. de Brünnow s’est fait enfin présenter à moi. Il est bien remuant, papillonnant, aimable. Ce dîner m’a plu, Lord Clarendon est plus continental, plus de laisser-aller. Nous avions le Marquis de Douro et sa femme, la plus belle personne de l’Angleterre, dit-on, et vraiment très belle. Point d’esprit du tout. Comme lui. Entre nous il en est étrangement dépourvu. Plus que cela, car il parle beaucoup & se met en avant. Je vous étonnerais en vous répétant les pauvretés qu’il m’a dites. Toujours Lord Melbourne, Lord & Lady Palmerston. Après dîner, j’ai été à Devonshire House, où j’ai trouvé la Duchesse de Cambridge et un très select party, Lady Jersey, La Duchesse de Montrose, &, &. On dansait, le Duc de Devonshire autant que personne. On me parle beaucoup de vous, et je suis sûr que je réponds très bien.

10 heures

Voilà le 319. Mon remords de n’être pas auprès de vous redouble. Je me reproche l’agrément que je trouve ici, le plaisir que je prends à regarder, à être bien reçu. Je ne supporte pas la pensée d’être gai quand vous êtes triste, entouré quand vous êtes seule. Et pourtant cela est et je l’accepte en fait au moment même où mon cœur s’en indigne. Ah !Pardonnez-moi dearest, pardonnez-moi cette faiblesse de notre nature, à laquelle il n’y a peut-être pas moyen d’échapper et qui n’empêche pas que dans toutes les situations, à toutes les heures du jour, je n’aimasse mille fois mieux être auprès de vous que partout ailleurs, et partager votre tristesse plutôt que toutes les joies du monde. N’est-ce pas que vous me le pardonnez? N’est-ce pas que vous savez bien tout ce que vous êtes pour moi? La mer qui nous sépare est bien profonde, mais mon affection pour vous l’est mille fois davantage. Et j’aurais ici tous les succès imaginables que je leur préférerais mille fois le succès de vous donner un jour, une heure de bonheur.

Vous voulez que je vous parle des affaires. M. de Brünnow est évidemment en panne, attendant que les embarras, les obstacles au progrès de la négociation viennent de nous, pour se saisir tout à coup de ce fait, se faire un mérite de l’empressement, de la facilité de son maître, pousser peut-être cette facilité plus loin qu’il ne l’a fait encore, et enlever brusquement le succès. Je tâcherai de ne pas le servir dans cette tactique. Evidemment il y a ici un désir sincère, vif, de ne pas se séparer de nous ; on fera des sacrifices réels à ce désir. Il y a des dissidences marquées, à cet égard, dans le cabinet ; quelques-uns tiennent beaucoup plus à nous que d’autres. Mais tous y tiennent, et je n’entends pas le moins du monde me prévaloir des dissidences, ni chercher seulement à m’en servir. J’ai commencé à traiter et je traiterai jusqu’au bout l’affaire avec la plus entière franchise, m’appliquant uniquement à convaincre tout le monde de l’intérêt supérieur des deux pays au maintien de l’alliance, et de la nécessité d’une transaction, entre le Sultan et le Pacha, qui puisse être acceptée par le Pacha comme par le Sultan, par la France comme par l’Angleterre et qui mette fin à cette question-là en ajournant toutes les autres.

M. d’André n’a apporté de Pétersbourg que des lettres assez vagues, plutôt l’idée que l’affaire ne marchait pas, et un redoublement de colère de l’Empereur qui avait espéré, dit-on, que la dépêche, inspirée par lui, de M. de Nesselrode à Médem, amènerait une réponse qui amènerait une rupture. Je n’en crois rien. Pourtant, je n’en sais rien.

Adieu. Adieu. Continuez de me tout dire. Vos lettres me font un peu vivre à Paris, et cela m’est très utile. Soyez tranquille. Je n’oublierai pas vos recommandations. Mais répétez les moi toujours. Adieu encore.

 Continuez de m’écrire les lundi et jeudi par les Affaires Etrangères, et le samedi par la Poste. Et si vous vouliez quelque chose de plus indirect, envoyez votre lettre à Génie.

 

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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322. Paris, Mardi 10 mars 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot

Paris, mardi 10 mars 1840,

Lord John Russell a été ma seule visite du matin hier. J’en ai fait une à Mad. de la Redorte qui est bien malade. Elle est inquiète pour le ministère. On jase beaucoup, il y a assurément une grande incertitude dans les esprits et la situation du nouveau ministère n’est pas triomphante. Cependant on croit qu’il aura les fonds secrets. Je me suis promenée avec Marion au bois de Boulogne, j’ai dîné seule. Le soir j’ai vu Lady Granville et sa fille, la famille Poix, les Durazzo, Brignole, Aston, M. d’André, le hanôvre. Je ne sais ce qui prend à Modem, mais il ne vient plus. Lady Granville sortait du salon du Maréchal Soult où la diplomatie s’était donné rendez-vous. Aujourd’hui sera le tour de M. Molé. J’ai fort mal dormi encore. Je ne me porte pas bien, sans être absolument malade ; si ce malaise dure cependant il me faudra M. Verity. Le vent d’Est ne me va pas du tout.

Il me semble que vous dînez chez le duc de Sutherland aujourd’hui. On ne sera plus embarrassé où vous placer à table. Je vous vois à côté de la Duchesse tournant le dos au jardin ; moi je serais à l’autre extrémité bien loin de vous ; mais dans la même chambre ; aujourd’hui dans un autre pays !

6 heures

Lord John Russel et Appony sont venus me voir. Le premier a tout bêtement de l’esprit et une bonté de cœur parfaite. Il me raconte peu à peu tout, avec beaucoup de finesse, de vie. A propos, il vous conseille de vous défier de notre ami Ellice ; la plus grande commère de Londres. C’est bon pour dîner et mille petits services, mais pas bon pour des confidences ; au reste celles-là, vous aurez soin de n’en faire à personne. Il me semble d’après votre lettre que M. de Brünnow se met en grande froideur avec vous. A propos, Appony me dit qu’on a envoyé l’ordre à Barante de rester à Pétersbourg jusqu’à la dernière extrémité. C’est drôle!

J’ai vu Granville chez sa femme. Il croit que le ministère tiendra. Au moins cela n’a pas encore grand air. Médem se donne les apparences d’être moins lié avec Thiers qu’il ne l’est en effet. Voilà les observations de la diplomatie. Tout ceci aujourd’hui  fait un spectacle curieux à observer. Granville aussi m’a parlé du grand succès de votre dernière dépêche. A propos il dit que les difficultés du mariage Nemours sont aplanies et qu’il se fera après Pâques. Il me semble que je vous raconte tout ce que vous devez savoir par d’autres.

Mercredi 11 –

M. Jaubert est venu me voir hier un moment avant mon dîner ; il est très poli, et n’a pas l’air très soucieux. Il parle de  vous avez grand respect. M. de Pogenpohl a dîné avec moi ; mon monde m’est venu de bonne heure. Pahlen, Médem, Caraffa, Brignole, le Duc de Noailles, Bacourt, Mad. de Contades. Cette petite femme me plait tout à fait. Je n’ai pas causé avec le duc de Noailles. Médem est resté tard. Il m’a répété que Barante restera à Pétersbourg, quand même. L’Empereur regardait à sa montre pour calculer l’arrivée des réponses de Paris aux gesticulations. Médem est le seul diplomate qui n’ait point dîné hier chez Thiers, il dinait avec M. Molé chez M. Greffulhe. Il y a été le soir. Un monde énorme. Rien des 221 que le Gal Bugeaud. M. de .Broglie y était, Odillon, Barôt. Voilà !

Ce que vous me dites du lever de la Reine est très original et très vrai. Je suis curieuse de l’effet que vous aura fait le Drawing room, et de ce que vous mettez comme pendant à : Sérieux, sincère et gauche.

J’ai fait venir Verity hier au soir. Je ne suis pas bien, et je ne sais pas dire ce que j’ai . J’ai de l’ennui, de la tristesse, un gros gros poids sur le cœur, et je me sens malade.

1 heure. Voici le 321 que je vous remercie du plaisir que vous me faites ! Car vous ne savez pas avec quel plaisir je reçois, je lis vos lettres ! Je suis charmée que Lord Melbourne vous plaise, parce que je suis sûre alors que vous lui plaisez aussi. Il me semble que Londres vous plait en général beaucoup. En tous cas votre journée est bien remplie, vous êtes bien heureux.

Jeudi 12 mars, 9 heures

L’infaillible Lord William est encore venu hier pendant mon luncheon. C’est une excellente et douce créature, avec un esprit d’observation très fin. En général vous ne concevez pas combien les Anglais ont de cela, rien ne leur échappe. Il pense que vous vous arrangerez mieux de Lord Melbourne ou d’autres que de Lord Palmerston, mais il ajoute que celui-ci est assez jaloux des relations des Ambassadeurs avec ses collègues. Cela n’est cependant pas une raison pour n’en pas avoir, car en définitive, s’il s’agit d’une résolution à prendre, c’est le Cabinet et non Lord Palmerston qui décide. Que je voudrais causer avec vous! Car vous m’écrivez beaucoup, mais vous ne dites pas tout. Il n’y a de vraie confiance que dans la parole.

J’ai fait visite à votre mère. Je l’ai trouvée seule. Je ne sais pourquoi cela m’a saisie, et dès le premier moment la disposition a tourné à l’attendrissement. Je sentais tellement les larmes me monter aux yeux que pour échapper au ridicule, j’ai dit quelques paroles qui pouvaient les légitimer ; cela est venu naturellement après qu’elle m’eût dit qu’hier était un triste anniversaire pour vous. Ah, il y en a pour d’autres de plus cruels encore ; j’ai fondu en larmes. Votre mère m’a regardé avec plus d’étonnement que d’intérêt ; du moins c’est ce qui m’a semblé. En général je ne suis pas sûre que je lui plaise. Pour elle, elle me plait beaucoup ; si simple dans tout ce qu’elle dit et tout ce qu’elle fait ! Elle donnait quelques ordres pour des chemises ; elle a tiré de son armoire des gâteaux pour les enfants ; tout cela s’est fait comme si je n’y étais pas. J’ai été charmée de me trouver tout à coup initié aux détails du ménage. Je suis restée une demi-heure. Vos enfants vont à merveille, et très aimables pour moi. De là, j’ai fait la visite à Mad. Durazzo, et la petite princesse. J’ai dîné seule. Le soir la princesse Lebkowitz est venue jouer chez moi avec M. Durazzo, Fullarton et Greville. Moi, j’ai causé avec le Duc de Noailles, lord Granville & Arnim. Granville croit plus fermement tous les jours que le vote sera en faveur du nouveau ministère. Décidément toute la gauche est venue au premier mardi. M. de Broglie y avait dîné. Les légitimistes n’ont pas encore décidé ce qu’ils feront ; ils se réuniront samedi pour cela. Thiers est inquiet de l’apprendre. J’ai eu ce matin une lettre de mon fils de Naples. Il sera ici à la fin d’avril. Lord Brougham m’écrit de Cannes. Il ne parle pas de revenir. Les Clanricarde seront en Angleterre au mois de mai.

Le mariage Darmstadt se fait décidément.

Verity vient, mais mon mal ne s’en va pas.

Adieu, adieu. Ecrivez-moi beaucoup. J’aime tant vos douces paroles ! Adieu.

Génie est chez moi dans ce moment et m’assure que je fais mieux de lui remettre ma lettre.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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326. Paris, mercredi 18 mars 1840, 3 heures

J’ai eu une longue visite d’Appony. Il a été hier au Château. Il ne devine pas,à la physionomie et au langage du Roi ce qu’il croit de la semaine prochaine. Il pense que le Roi s’est trompé en nommant Thiers, s’il a cru que tout serait dit au bout de quinze jours et que c’est la conviction contraire qui le frappe aujourd’hui et imprime de l’embarras à son langage. Cependant, il pense encore qu’il ne faut rien préguger. Le Maréchal à été une heure en conférence avec le Roi hier au soir. On dit toujours que s’il s’arrangeait avec Molé tout s’arrangerait. Mais tout cela à un air de complot et de tripotage qui me parait mauvais, pour tous ceux qui s’en mêlent le Prince Metternich écrit à Appony au moment où il venait de recevoir la nouvelle de l’avénement de Thiers. Il lui dit simplement son profond étonnement et qu’il attendra le manifeste du nouveau ministère; jusque là il n’a rien à dire ou à communiquer à ce nouveau gouvernement.

5 heures
Mad. de Boigne sort d’ici ; elle est restée deux heures ; nous étions seules. Elle est inquiète; combattue. Elle voit danger à tous les côtés, danger à renverser, danger à laisser vivre. Elle ne sait trop ce qui arrivera. Elle n’admet pas cependant que la situation se soit améliorée pour le Ministère dans ces derniers jours. La circulaire de M. de Rémusat a au contraire beaucoup exaspéré les 221 elle doute qu’il y ait des défections. Elle n’est pas d’opinion que si l’on vote les fonds secrets cela éternise le ministère comme beaucoup de monde le croit. Elle pense au contraire qu’on fera fort bien de les voter et de faire tomber le Ministère un mois après. Elle ne comprend pas M. de Broglie cela me plait assez parce que j’aime à avoir raison et vous avez vu que depuis le commencement de ceci je n’y ai rien compris.
En résumant bien tout ce qu’elle m’a dit et tout ce qu’elle ne m’a pas dit, il me reste qu’elle ne croit pas à la durée de Thiers au delà de quelques semaines.

Jeudi 10 heures.
Je n’ai pas bougé hier de tout le jour, et après avoir vu Madame de Boigne, je n’ai plus vu personne à 9 1/2 le désespoir c’est emparé de moi ; tout le monde était à une grande soirée chez Appony. Je n’avais pas un chat à attendre et quoique le Médecin m’eut défendu de sortir j’ai mieux aimé risquer une maladie que mon ennui. Je suis allée chez Lady Granville que j’ai trouvée en pleurs ainsi que son mari pour la mort de Lord Morley. Nous sommes restés à causer une heure, et puis je suis revenue me coucher. Cette sortie ne m’a pas fait de mal. Lord Granville sait de Vienne, que Metternich se dit fort content de l’avènement de Thiers, attendu qu’ils sont fort bien ensemble depuis Côme !
Arrangez cela avec le dire d’Appony hier ! Je reconnais mon Metternich. Granville devient tous les jours plus vif pour le Ministère actuel il n’admet plus une seule mauvaise chance. Mad. de Flahaut m’écrit dans toutes les joies du changement de ministère. Elle ajoute : " I suppose that M. Guizot will not remain as ambassador, far he will hardly condiescend to be under the orders of his reval and represent opinions and principles so diametrically opposite to those  he has lately professed." et plus loin : " I shall arrive in Paris en June, where in spite of the absurd reports in the news paper I hope to find you establisbed in your pretty appartement."
Autant de lignes, autant de méchanceté, ce qui n’empêche pas que je suis très fâchée qu’elle ne soit pas ici, parce que j’aime tout mieux que la solitude voir même Mad. de Flahaut. Le diable aurait avec moi de bonnes chances. Voici Génie qui m’a pris une bonne heure et m’a distraite. Il vous dit tout, quelles drôles de choses. Vous devez être impatienté, Vingt fois le jour d’avoir à attendre 22 heures pour regarder ce qui se passe ici. Et quand vous lisez ce qui s’y passe, vous devez être si sur qu’il arrive dans ce moment là tout à fait le contraire.
Adieu, je vous prie de croire que vous ne m’écrivez jamais assez souvent ; que vous ne m’envoyez jamais d’assez longues lettres que je n’aime que vos lettres, que je ne pense qu’à elles
Adieu. Adieu, Adieu.

2 heures
Lord Granville m’a dit qu’il trouvait la conduite de Brünnow à votre égard très impolie. Il ne la savait pas de moi.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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327 Paris, vendredi 20 mars 1840,
11 heures

Ellice m’écrit que M. Guisot has had a success here, almost egual to his merit. He has won every body, by his cordial and frank manner and power of making himself agreable. I think he si satisfied and pleased himself with his reception.
Je vois par sa lettre qu’il est de ceux qui ne favorisent pas le succès de la mission de Brünnow; Cela m’explique pourquoi L. W Russell me parlait mal d’Ellice. Il est dans la politiquede son frère, qui me parait ne pas être la vôtre. Il ne faut donc pas prendre à la lettre ce que je vous ai mandé dans le temps sur Ellice. Cela serait injuste et impolitique. Ellice me promet de venir ici le 10 du mois prochain, confirmez le dans ce bon projet. J’ai été passer une heure hier matin chez Lady Granville. Son mari est bien animé pour Thiers.

De là j’ai été faire une visite que vous ne divinerez pas. Rue de la Borde 21, la plus misérable chaumière sale délabrée. Là demeure une Anglaise avec quatre enfants tout en haillons. Ils ont de la viande deux fois la semaine. La femme n’a pas l’air triste comme moi, les enfants sont joyeux. Tout cela ne parle qu’Anglais. Ma visite leur a fait du plaisir et du bien. J’y retournerai. C’est Marion qui m’a envoyée là; je l’ai chargée de me faire de ces découvertes. J’ai rendu à Mad. d’Armmberg ses nombreuses visites. J’y ai trouvé quelques Carlistes, grands noms et sottes gens. De là, la petite Princesse.
Dîner seule. Et puis à 9 heures l’opéra Italien où j’avais donné rendez-vous au Duc de Noailles et sa fille, et Arnim.
Le Duc de Noailles avait la confirmation des bruits d’arrangement entre le Maréchal et M. Molé, par M. Salvandy et autres de ce parti qui le lui ont dit. Les légitimistes ne se décideront que lendemain du rapport. Berryer sait que Thiers a dit de lui : S’il parle contre moi , il a dans son sac de quoi me perdre. M. d’Armin avait vu le Roi la veille. Il l’a trouvé trisite et soucieux. La musique était ravissante les Puritains de Bellini. Musique triste et qui m’a presque fait pleurer. Si nous avions pu l’entendre ensemble ! Elle m’a un peu empêchée de dormir, mais au total je suis mieux.

1 heure
Voici le 325, cher 325 ! Je devrais les appeler tous comme cela. Ils me donnent tant de plaisir ! J’aime à vous suivre partout, et vous ne sauriez me donner assez de détails. Je connais tout le monde. Votre petite Lady Mahon est gentille en effet. C’est une nièce d’Ellice fille de sir Ed. Kerrison. Elle n’était pas très fashionable, mais je l’invitais quelques fois à mes bals parce que je lui trouvais une jolie petite tournure. Là elle était isolée mais son mariage l’a mise, dans l’élégance. Vous faites bien d’aller chez les Berry, et de réfuser Mad. de Salis. Je vois que vous commencez à être au courant. Je vous remercie de la copie de lettres que vous m’envoyez, Les dates font tout ; le 15 on devait ignorer ce qui se concluait, dit on, le 16 au soir. Au surplus bien des choses contradictoires peuvent se placer entre ceci et le vote.
On me dit que les billets du Maréchal Soult pour la tribune ne valent plus rien, et qu’il en faut de nouveaux de Thiers. Je lui écris pour changer le mien.

5 heures
Je rentre. Il fait trop froid pour marcher, j’ai été voir Lady Granville et Bulwer. Je ne l’avais pas vu depuis six semaines; quel changement ! Il a une mine effroyable. Le genou toujours malade. Il a beaucoup de lettres de Londres qui toutes ont le même ramage sur votre compte. Lord Granville me dit qu’on ne se rappelle pas d’un succès aussi général. Il fait beaucoup de voeux pour vous. Il voudrait tant qu’on restat bien ensemble ! Il me dit que l’ambassadeur Turc qu’on vous envoie pour négocier est une bête. Il blâme beaucoup Brünnow, il parait que tout le monde à Londres le blâme de son impolitesse envers vous. Granville a vu Thiers ce matin, il l’a trouvé ces good spirits. Il croit que 80 de la droite ont passé à lui ; mais qu’il en a perdu 30 de la gauche. Il n’a pas l’air inquiet du complot Molé Soult. Granville dîne aujourd’hui chez Thiers avec M. de Sainte Aulaire un petit dîner. Les Granville ne reçoivent pas ce soir à cause de la mort de Lord Morley.
Je reçois une réponse de Thiers. Il m’envoye un nouveau billet pour la Chambre, il me dit qu’il veut venir tous les jours, qu’il viendra. Je ne le crois pas ; et il a vraiment trop à faire.

Samedi, 11 heures
J’ai eu la princesse Walkonski à dîner hier, et puis M. de Luxbourg M. Molé, Appony, les Durazzo, les Pr Rozonmowsky et Lobkowitz. M. Molé et Appony ont eu un long aparté, et puis j’ai eu le mien. Il est bien animé M. Molé. Je lui ai demandé s’il était prêt "Je le suis toujours, et vraiment il serait insensé de faire de la résistance si on n’était pas en mesure de prendre le pouvoir ?" Il doute de la mondre défection dans son parti. Et il ajoute, on verra, on verra. Et bien nous verrons.
Le vent d’Est et du Nord continue. Je n’ose pas m’y exposer. Cela fait que ne faisant pas d’exercice. Je passe de mauvaises nuits. Je dine demain chez le duc de Noailles à moins que je ne fasse comme au dîner Rothschild Je ne suis plus sûre du tout de ma santé.
Pahlen sera ici le 2 avril bien sûrement On mande à la Pr incesse Wolkonsky de Pétersbourg que M. de Brünnow est définitivement ministre à Londres ; il aura pour premier secrétaire le gendre de M. de Nesselrode il a son fils pour attaché. C’est le dédommagement offert à M. de. Nesselrode par le comte Orloff auteur unique de la nomination Brünnow. M. de Ness voulait ce poste pour son beau frère le Comte de Gourrieff. Brünnow ne peut pas aspirer à être Ambassadeur sa femme est une coureuse d’aventures à peine soufferte dans quelques maisons à Pétersbourg et acceptée par aucune. C’est drôle de l’envoyer à Londres ! Mon opinion est que Brünow tiendra ce poste un peu de temps et qu’Orloff ce le réserve à lui même. C’est l’Ambition de toute sa vie et surtout de sa femme. L’Empereur le lui a toujours réfusé. L’Empereur cédera, car l’Empereur cède.
Je mets cette lettre-ci sous une nouvelle adresse, mandez-moi si je fais bien. C’est Génie qui me donne tous ces conseils. Je crois voir ou deviner, dans les propos des anglais ici que vous devez rencontrer des obstacles dans le quartier principal. Je connais la tenacités de ces idées. Il peut en changer brusquement. Mais les adoucir, c’est difficile. Au reste, vous avez, dit-on, tout le reste de la boutigue pour vous.
Adieu. Adieu. Il me semble que je vous dis tout. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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329. Londres, mardi 24 mars 1840

Je vous ai écrit hier. mais toutes mes lettres de ce matin confirment ce que m’annonçaient celles d’hier. La chute du Cabinet devient probable. Il faut que nous causions à fond. S’il se forme un Cabinet Soult Molé où soient MM. Duchâtel Villemain Gassy et Dufaure, voici les raisons de rester.
1. C’est le parti conservateur qui l’importe, et j’en suis. Je n’ai consenti a rester avec le Cabinet Thiers qu’en faisant mes réserves contre toute dérivation effective vers la gauche et en stipulant formellement : "Point de reforme électorale, point de dissolution" ce qu’on m’a promis.
2. J’aurai dans ce cabinet plus d’amis particuliers que dans celui de Thiers, et les mêmes amis pour le compte desquels je suis venu à Londres.
3. C’est quelque chose de très grave que de me séparer du Roi au moment même, où il remporte la victoire sur Thiers. Si je reste, je reste avec le Roi, le parti conservateur et la majorité de mes amis. Si je me retire, je me sépare, en apparence du Roi du parti conservateur et de la majorité de mes amis pour me trouver seul entre les deux camps car je ne serai jamais de l’autre.
Voici les raisons de me retirer.
1. Mes relations personnelles avec M. Mole. Elles ne sont pas changées. J’ai été dans des relations analogues avec Thiers ; mais la coalition nous a rapproches ; nous avons sans nous confondre parlé et agi en commun. J’ai pu sans le moindre sacrifice de dignité personnelle rester Ambassadeur de son cabinet. Avec M. Molé ma situation est tout autre. Rien ne nous a rapprochés. Nous sommes au lendemain de la coalition.
2. La politique générale de M. Molé au dehors. Elle est plus faible, plus vacillante qu’il ne me convient. Les formes sont dignes ; le fond ne l’est pas. La gravité couvre mal la légèreté. De plus il est particulièrement désagréable et suspect à ce gouvernement-ci. Son avènement, causera, entre les deux Cabinets de la froideur, et pour l’ambassadeur de France, une mauvaise situation générale J’userai ma faveur personnelle à compenser sa défaveur.
3. Le mal éclatera surtout dans l’affaire d’Orient. En soi, il est difficile d’amener le Cabinet, Anglais à l’arrangement qui nous convient. La difficulté croîtra sera peut-être insurmontable. si je ne la surmonte pas, en rejettera sur moi la responsabilité du mauvais succès. M. Molé  excelle dans cette manœuvre. Je serai resté, pour ne pas réussir avec le Cabinet dont la présence m’aura empêché de réussir. Voilà bien je crois, les deux faces de la question. Voyons maintenant, si je me retire dans quelle situation je me trouverai ce que je ferai et qu’il sera l’avenir probable. Je me retirerai en disant, très haut que je me retire à cause :
1. de mes relations personnelles avec M. Molé
2. de la faiblesse de sa politique extérieure,
3. de sa mauvaise position avec le Cabinet, britannique de qui on me demande d’obtenir beaucoup d’obtenir ce qu’il ne fera pas pour M. Molé Le Roi le parti conservateur et mes amis ministres, m’en voudront beaucoup de ce langage ; il n’y a pas moyen d’en tenir un autre.
Arrivé à Paris, rentré dans la Chambre loin de combattre, le Ministère, je l’appuierai dans toutes les affaires intérieures. Je soutiendrai la lutte contre la gauche, qui deviendra très vive. Je la soutiendrai avec grand avantage a cause de ma position indépendante et digne. J’y apporterai toute l’impartialité qui me conviendra. Thiers et la gauche, qui m’auront loue beaucoup de ma retraite me ménageront toujours. Sur les affaires extérieures, je parlerai peu ; à moins que la paix générale, et ma politique personnelle Vis à vis de ce pays-ci ne soient en jeu. Je parlerais alors avec beaucoup d’autorité. Dans cette hypothèse ma mauvaise chance, c’est de demeurer déclassé, isolé en dehors de mon vrai. parti séparé de mes deux points d’appui naturel la couronne et les conservateurs. Ma bonne chance c’est de reprendre peu à peu le Gouvernement du parti conservateur, en le soutenant dans la lutte où il va être engagé, sans répondre des fautes qu’il a faites ni de celles qu’il fera. Il y a beaucoup de mal au début, dans cette situation. Il y a beaucoup d’avenir. En restant, j’échappe aux difficultés du premier moment. Je m’en prépare, dans l’avenir de plus graves peut-être, et sans gagner de la force pour les surmonter. En restant, je reste étranger comme je le suis depuis un mois aux manœuvres aux oscillations ou s’usent, si vite ceux qui y entrent. Je reste en dehors d’une pauvre chambre et d’un pauvre gouvernement.
Si j’ai ici des succès les succès seront pour moi seul. J’agis prudemment. Et pour parler en anglais, je cargue les voiles et je reste en panne, en attendant qu’un bon vent revienne En me retirant, j’agis avec éclat. J’entre par mon propre choix dans une situation, très difficile très périlleuse, qui peut avoir de la grandeur. Je pourrais tout résumer en deux noms propres. Me retirer avec M. Thiers. Rester avec M. Molé. Lequel des deux bassins contient le moins inconvénients. Pensez-y bien, je vous prie. Causez-en avec Génie qui vous dira les petites choses. Il vous mettra au courant de ce que je ne puis bien savoir. L’état d’esprit de mes amis ascendants et de mes amis descendants. Adieu. Je ne vous parle pas d’autre chose aujourd’hui. Ceci peut devenir, très grave. J’en suis frappé Que ne donnerais-je pas pour une matinée avec vous! Peut-être vaut-il mieux que j’aie mon parti à prendre ici hors du brouhaha seul entre vous et moi, car vous me direz tout. Je n’écris sur ce sujet absolument à personne. Je ne m’engage avec personne. Je garde toute ma liberté. Adieu, adieu. A demain.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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330. Londres, Mercredi 25 mars 1840, 866
9 heures

Le 328 m’est arrivé tard hier. Mon homme avait été le matin hors de Londres. Il n’y a pas moyen d’éviter ces petits ennuis là. Je dis petit, par acte de raison. Je le dis plus facilement aujourd’hui. Ce 325 m’a été si doux ! Les œuvres de surérogation sont toujours charmantes. On me l’a apporté en venant me chercher au club de l’Athénoeun où l’on m’avait donné à dîner ; Lord Landsdowne, Aberdeen, Northampton, Mahon, Montègle, Sir Francis Palgrave MM. Milmes, Holland, Hallam, Milman &etc un diner agréable et assez bon en dédommagement de celui du Raleigh Club vrai dîner Anglais, plus ardent que le charbon le plus ardent. Vous ai je dit que j’avais fait là mon début de speech, en Anglais, à la grande joie de mes auditeurs ? Joie morale plus que littéraire, je pense. Mais n’importe ; ni embarras, ni prétention ; n’est ce pas ce qu’il faut ?
Sur la proposition du Chairman appuyée par Lord Prudhor on m’a élu membre honoraire du Raleigh Club, the only Honorary member in the wortd, m’a-t-on dit. De là on m’a mené, à la Royal geographical society, nombreux meeting où nous avons été en exhibition, moi et trois sauvages des bords de l’Orénoque, tatoués et emplumés comme je ne le serai jamais. Pourtant et sans vanité, j’excitais plus de curiosité qu’eux.
Est-ce que je ne vous ai pas déjà conté tout cela ? Non. Je ne vous ai écrit hier qu’une lettre d’affaires. A propos, encore une plainte sur votre façon de procèder par voie d’insimuation et de réticence. Vous me dîtes : " Ce que je ne dis pas, c’est mes commentaires, mes spéculations ; mon opinion n’est guère comptée ; je n’entends rien sans doute aux situations. Je ne m’en mélerai pas."
Il faut bien s’il vous plaît, que vous vous en méliez. Je dis comme Alceste. Pouvez-vous imaginer que votre opinion n’est pas pour moi, la première des opinions, que je n’ai pas besoin de la savoir que j’arrêterai la mienne sans connaître la vôtre? Je vous ai écrit hier avant d’avoir lu toutes vos belles déclarations de réserve. Je ne vous ai pas écrit plutôt parce qu’on s’use l’esprit selon moi, à questionner et à s’épandre longtemps d’avance. Il faut faire ses idées au moment de l’action. Je veux les vôtres toutes les vôtres, autant qu’on peut avoir tout de loin. Je vous ai envoyé hier mon résumé, intérieur sur la situation. J’attends vos spéculations et vos commentaires.

Une heure
J’ai bien raison de vous reprocher vos façons indirectes. Encore : " Je me garderai bien de vous rien dire pour mon compte; vous n’avez pas besoin de mon opinion."
J’ai besoin, absolument besoin de votre opinion. En vous la demandant hier, j’ai calculé que je l’aurai samedi, sachez donc une fois pour toutes, je vous en prie, à quel point j’ai confiance en vous, toutes les confiances.
A cela près, le 329 vaut le 328. Oui, quatre fois par semaine, sans compter le luxe. Je vous écrirai aussi les lundi, mercredi, jeudi et samedi. Nos moyens sont bons. Vous avez raison de supprimer le Secrétaire. Vous pouvez aussi supprimer une enveloppe celle qui porte mon nom, et mettre à la place sur un coin de l’adresse à M. Herbet, la lettre G. Il n’ouvrira jamais une lettre semblable et me la remettra sur le champ. Je viens de voir Rothschild qui m’apportait des nouvelles, moins contraires au Cabinet. Il avait des chiffres aussi ; 200 contre Thiers 225 pour. Je suis las de chercher à voir dans cette nuit. J’attends. Je suppose que vous aurez été à la chambre. Duchâtel a bien raison de dire qu’en partant, j’ignorais le Cabinet. Je suis arrivé ici le 27 février. Voici ce que m’écrivait M. de Rémusat le 29. " Je prends un grand parti le plus grand parti politique que j’aurai sans doute à prendre de ma vie ; et ce qui est cruel, je le prends sans votre aveu...Tout cela est encore hypothétique ; je doute de la réalisation ; hier, je n’y croyais plus du tout ; aujourd’hui, il y a plus de probabilité et je vous écris. "
Si on vous en parle encore, ne répondez qu’autant que vous le jugerez convenable ; mais sachez bien le fait ; et au besoin temoignez que vous le croyez tel.

Jeudi, 9 heures
J’ai dîné hier avec du pur Torysme, Lord et Lady Cowley, Lord et Lady Jersey, Lord et Lady Haddington, Lord Aberdeen, Lord Elliot. Chez Lady Mary Ross fille de la marquise de Cornwallis. M. Ross est un des plus vrais Anglais que j’aie encore rencontré, franc, cordial et obstiné dans pas beaucoup d’idées.
En sortant de là, j’ai été à l’ancien concert où était la Reine, et où Lord Burghersh m’avait instamment prié de venir. Les morceaux étaient très bien choisis, Hayden, Guglielmi, Paesiello- mais l’exécution est un tour de force de Lord Burghersh, et sent le tour de force. L’orchestre est une machine exacte et insensible, qui ne fait point de faute et ne prend point de plaisir à ce qu’elle fait. Le beau quatuor de la Nina, Senza il caro Mio tesoro, l’admirable création de Hayden, le chœur final, tout cela a passé avec un vacarme correct et glacial. Et les auditeurs semblaient prendre, pour s’y plaire une peine qui leur réussissait médiocrement.
Voilà votre petit mot en sortant de la Chambre. Merci Merci. Je reçois deux autres lettres qui s’accordent tout à fait avec votre impression. Je désire cette issue là sans en espérer un bien bel avenir. Mais je ne crois pas le moment bon pour rentrer dans le chaos. Je suppose qu’on aura voté hier et que j’aurai un courrier ce soir vers minuit. Je me donne le plaisir de vous envoyer copie d’une lettre écrite d’ici à Fagel (vous devinerez bien par qui) et qui me revient de Paris. Bien pour vous seule. Pour votre plaisir comme pour le mien.

Une heure
Je rentre. J’ai déjeuné chez Sir Robert Inglis. Je n’ai point vu de conservateur plus ardent, et plus tolérant. J’y ai trouvé Lord John Russell, dont il m’a dit toute sorte de bien. Le vieux Rogers l’appelle, our little giant. Il a certainement fort grandi, et il étonne tout le monde par sa facilité et son infatigable énergie. L’évêque de Londres aussi, qui passe pour le plus capable des évêques et chez qui je dinerai le 11 avril. Je dîne aujourdhui chez Lady Jersey. N’êtes, vous pas lasse de dîner ainsi toujours et partout. Moi, je ne le serais pas et jamais et de rien si vous en étiez. J’ai été interrompu par M. Easthope, le propriétaire du Morning Chronicle et membre pour le Berkshire, puritain politique, qui à 25 000 Louis de rente fort estimé et fort compté. Il a en France une affaire pour laquelle je lui rendrai quelques bons offices.
Adieu. Il faut que j’aille faire quelques visites et puis un moment au Traveller. Je passerai chez Lady Palmerston. Adieu. Adieu. Je recommence comme si c’était vrai. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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331. Paris, jeudi 26 mars 1840,
9 heures

Je suis retourné hier à la Chambre. J’ai entendu M. de Rémusat, il est bien ennuyeux. M. Berryer, il a été superbe et l’effet qu’il a produit est incomparable. Quand il est revenu à sa place, la Chambre presque toute entière est venue, le féliciter. Il était accablé. Il me semble que les deux pensées dominantes de son discours ont été : de pousser Thiers à la gauche, et d’associer la chambre à sa haine de l’alliance Anglaise. Je vous dirai que cette partie de son discours a remué profondement la Chambre ; je ne serais pas étonnée qu’il ait converti bien du monde à son opinion. Il vous a rendu votre besogne plus difficile.
Le duc de Noailles m’a fait des signes d’intelligence qui m’ont prouvé que sa bouderie avait eu son effet de forcer Berryer à parler. Après tout, je ne sais jusqu’à quel point son discours a pu gêner le ministère. Vous me direz cela mieux. On dit que Thiers a empêché Jaubert de parler. Il l’avait empêché avant Berryer et l’a empêché après. Moi, j’étais tellement faliguée, que je suis sortie pour aller me reposer chez la petite Princesse ; je n’ai donc pas entendu la réponse que Thiers au discours de Berryer. Vers 6 heures je suis retournée à la Chambre croyant qu’on voterait. J’ai trouvé M. Piscatori occupant la tribune, pauvrement et son " Je déteste le progrés ", a fait dire derrière moi : " Voilà bien les doctrinaires. " C’était bête aussi, j’en demande pardon à votre disciple.
Il a amené à la tribune M. de Lamartine sur un fait personnel qu’il a expliqué, avec une haute et touchante éloquence. Et puis c’était fini. Malgré mon absence de la Chambre qui m’a empêchée d’entendre les discours intermédiaires, il me reste l’impression générale que la journée n’a pas été favorable aux ministres.
Je suis rentrée chez moi très fatiguée, j’ai trouvé " le gros Monsieur " m’attendant. Avec quelle joie j’ai reçu ce qu’il m’apportait ! Car il faut vous dire que j’étais inquiète et que c’est cela même qui m’a ramenée à la Chambre. Mes idées avaient pris une tournure abominable, lorsque votre mère m’a envoyer de mander si j’avais de vos nouvelles, parce qu’elle en manquait. Alors sont venues les fluxions de poitrine, les accidents dans la rue, les Cavagnac et joueurs de Charivari. Enfin, enfin, je ne voulais pas rester avec moi même. Pogenpohl m’attendait aussi ; je ne l’avais pas vu de longtemps, il avait été malade et il venait savoir ce que j’avais appris de l’affaire de Médem. Il m’a retenue jusqu’à dîner. J’ai pris ma lettre à table et j’ai dîné avec vous. A propos je vous dirai demain ce que je pense des autres dîners, mais décidément celui du 1er de mai doit être comme dit Bourguenay, la crème des ministres, et les chefs des missions Etrangères ; plus, Uxbridge, Albermarle Hill, Sutherland. Le Duc de Devonshire ne sera pas à Londres il vient ici.
J’ai eu une lettre de la Duchesse de Sutherland où elle me dit : " Vous nous parlerez davantage de vos projets. Vous nous direz quand nous pouvons vous attendre. " Ce pourrait être une phrase générale aussi ; comment dois je la prendre ? Je ne vous dis pas d’en parler, mais de me dire votre pensée sur cela.
J’ai été hier soir à un grand raout chez Appony. M. Molé est
venu à moi, en demandant ce que je pensais de la séance. J’ai dit ce que je vous dis. Il parait qu’il croit que je suis veridique, et il me parait que c’est rare. Lui aussi semblait content de la journée; mais le vote est toujours dans la plus grande incertitude. Il me dit que la réunion des conservateurs le matin n’avait pas été aussi nombreuse, qu’il y avait quelques défections ; il se plaint beaucoup des enrôleurs : Vatout, Lardières, de Sébastiani aussi. Au total il ne sait pas, mais il avait un air trop content, pour qu’il n’en sache pas un peu plus qu’il ne me disait. 
Madame de Castellane était là aussi, elle va prendre des jours pour de la musique. Celle de Madame de Poix avait extrèmement réussi l’autre jour. Granville était venu me chercher deux fois hier ; nous ne nous sommes rencontrés que chez Appony. Il était contrarié. Je lui ai redit l’effet du discours de Berryer. Il me dit : " C’est M. de Brünnow qui a préparé tout cela." Savez-vous qu’on commence à penser très mal de l’alliance anglaise et de vous on parle toujours comme d’un succès merveilleux.
Je vous enverrai ceci aujourd’hui. Quoique ce ne soit pas grand chose.
Midi. Voilà une surprise, une bonne surprise. Le gros Monsieur ; et une excellente lettre, excellente, le 329.
Oui, j’y penserai, j’y ai déjà beaucoup pensé. Cette lettre m’y fait penser mieux, me fait regarder bien plus dans les intrailles de l’affaire. Je vous promets pour samedi une réponse, que vous recevrez lundi. Faites comme vous dites à la fin, n’écrivez sur cela à personne. Ne dites à Londres votre opinion à personne. Je vous dirai qu’il est déjà revenu de là, il y a une dizaine de jours que vous avez dit " avec Molé jamais" pour des Anglais c’est grave. Et on m’a dit ici : " He will lower himself in our opinion if he stays after that. " Je regrette donc que vous ayez dit cela, car je ne suis pas du tout d’accord avec moi même encore, sur ce qu’il y a d’utile et avant toute chose de digne pour vous à faire si la circonstance se présente. Aujourd’hui le vote décidera. L’air d’assurance de Molé et du Maréchal laisserait soupçonner que derrière le vote même, il y a des réponses préparées, Nous verrons ! Mais bien certainement jusqu’à ce que nous voyions condamnez vous au silence. Appony est content, il est peut être confidant d’un secret que j’ignore. L’air me semble chargé de mystères.
Adieu. Adieu.
Si nous pouvions nous parler. C’est un moment si grave pour les choses et pour vous. Adieu.
Vous savez que Bacourt part ce matin pour Carlsruhe. Guilleminot est mort la veille du jour où il devait signer la convention avec le Général Bade. On veut que Bacourt le signe. Il devait aller en Amérique demain, partie remise pourrait bien être partie perdue. On plutôt gagnée !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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331. Londres Vendredi 27 mars 1840
8 heures et demie

Je me lève de bonne heure. Je me suis couché de bonne heure hier, quoique j’aie dîné chez Lady Jersey où l’on dîne plus tard que partout ailleurs. J’en suis sorti à 10 heures trois quarts, et j’ai été passer un quart d’heure chez Lady Landsdowne. J’étais rentré à 11 heures et demie Lady Jersey a vraiment trop peu d’esprit pour tant d’activite et de paroles. Elle me lasse sans m’animer. J’ai revu hier chez elle la petite Lady Alice Peel toujours aussi vive et aussi bizarre, dans son parfait naturel. Elle était enfermée dans une petite robe de soie bariolée sans rien sur son cou, rien dans ses cheveux, pas le plus petit ornement, non absolument qu’elle et sa robe. Cela lui allait bien.
Nous avions là Lord Ellenborough qui me convient assez, quoiqu’il ne dise pas un mot de français. Il a l’air d’un esprit exact et sérieux. Peel en fait grand cas. J’aurais voulu aller hier à la Chambre des communes entendre Lord Stanley et
Lord John Russell. Mais il n’y a pas eu moyen. Vraiment la vie n’est pas bien arrangée ici. On laisse beaucoup d’espace vide dans la journée pour tout entasser le soir affaires et plaisirs. On entend très bien le confort matériel ; mais le confort intellectuel, pas du tout.
J’attends mes lettres ce matin avec un redoublement d’impatience J’aurais pu avoir un courrier hier soir. Mais ou le débat n’a pas fini mercredi, ou l’on ne m’a rien envoyé.Lady Palmerston me disait hier matin que je n’avais pas l’air agité du tout. Je lui ai dit que je l’étais très rarement, si peu de choses en valent la peine. Elle m’a exprimé une bien vive rancune contre M. de Talleyrand si cajoleur d’abord, et longtemps avec Lord Palmerston, puis si méchant, et très activement. Voulez-vous que je vous dise au vrai où nous en sommes Lady Palmerston et moi? Nous nous plaisons en nous observant.
Les journaux m’arrivent et je vois que le Cabinet a été battu hier ou plutôt cette nuit, dans la Chambre des communes à 16 voix de majorité. Cela me paraît un gros echec. On comptait sur 14 voix dans l’autre sens. Quand j’aurai vu du monde je vous dirai l’impression.
4 heures
L’impression est que ce n’est rien comme tout aujourd’hui. les amis du Cabinet ont été plus insouciants que l’opposition. Beaucoup se sont absentés, ne mettant pas d’importance et ne doutant pas; par exemple Lord Charles Russell, le frère de Lord John, qui s’en est allé à la chasse. Ils auraient dû venir. Lord John aurait dû parler, mais c’est sans conséquence. L’opposition elle-même n’essayera pas de profiter sérieusement de son succès ; elle s’y pavanera sans le pousser plus loin. Elle sait très bien que si elle voulait poursuivre l’adoption définitive du bill de Lord Stanley, elle ne l’obtiendrait pas. Les choses en resteront donc là. C’est une contrariété, point un danger.
Voilà ce qu’on dit et ce qui me paraît vrai. De Paris, je ne sais rien de Mercredi passé 2 heures. Quatre personnes, vous comprise, m’ont écrit en allant à la Chambre. Aucune n’en est sortie assez tôt pour m’en donner des nouvelles. Je vois que MM. de Rémusat, Berryer Thiers ont parlé !
On aura recommencé hier. J’attends donc toujours. La situation restera bien grave et bien vive, même si le cabinet obtient ses fonds secrets et subsiste.
Mais pourquoi n’aviez-vous pas mercredi à 1 heure, ma lettre de lundi ? La même chose est arrivée à ma mère. Le courrier était donc en retard. Il a fait ici un temps affreux mardi et mercredi. La traversée a pu s’en ressentir. On me dit aussi que la malle estafille de Calais à Paris casse quelque fois, tant elle est légère et va vite. Elle met 18 heures.
Je suis charmé que vous alliez voir ma mère.  Elle ma dit votre troisième visite avec plaisir. Vous avez mille fois raison de trouver bien peu spirituel et bien peu digne de refuser la justice à un rival. J’espère bien que je ne suis pas ainsi. J’en serais honteux. Laissez-moi vous faire toucher au fin fond de mon cœur. Il est aisé d’être juste envers un rival qui mérite ce nom et qu’on accepte comme tel. Le difficile c’est de l’être envers un rival prétendu que le public vous donne et qu’on n’accepte pas. Je n’ai jamais eu un moment d’injustice envers M. Thiers. Quelques uns peut-être envers M. Molé. Au besoin, avertissez-moi. Ellice partira pour Paris, du 10 au 12 avril.
Vous répondez très peu exactement. Vous ne m’avez pas dit que le retard de l’arrivee de votre nièce ne retarderait pas votre départ. Vous voyez que je n’admets pas le doute. Mais je tiens à votre réponse. Je me suppose toujours ici. Autrement, je dirai autre chose.
Samedi, 10 heures
Voilà la question résolue résolue, comme il me convient et je crois, comme il convient. Je l’ai appris hier soir en rentrant de chez Lady Holland, par un soin très obligeant de l’éditeur à moi inconnu du Morning Herald qui venait de recevoir un exprès de Paris. Mon courrier n’est arrivé que ce matin à 7 heures Il a été retardé à Calais. La mer était très grosse. Il a mis cinq heures à passer. Les express des
journaux sont venus par Boulogne. Je suis bien aise de la grosse majorité. Cela repousse beaucoup moins le gouvernement à gauche. Thiers m’écrit:
« Nous voilà établis. Mais nos soucis commencent. Jaubert et Rémusat se sont couverts d’honneur »
J’ai d’autres lettres aussi de Duchâtel et autres ; mais toutes avant le vote. Les 221 n’ont pas été aussi compacts qu’on s’y attendait espérance ou crainte. Je ne suis pas fâché que le parti conservateur se soit cru obligé de recourir à mon nom. Quelque soit l’avenir ceci est un gros échec pour M. Molé et les ultra-conservateurs.
Voilà, le 331, et je vais droit à ce qui m’intéresse le plus. Soyez sûre que ce n’est pas une phrase générale que vous écrit la Duchesse de Sutherland. C’est à Stafford house qu’elle vous attend. Je n’ai rien dit et elle ne m’a rien dit de précis à ce sujet. Mais deux fois ses paroles le tour de sa conversation ont implique très clairement que vous viendriez chez elle, que vous seriez chez elle. Ce qu’elle vous mande confirme tout à fait mon impression. Répondez-lui en conséquence. Elle est pour moi d’une gracieuseté inépuisable. Elle m’a écrit hier pour me demander quel jour je voulais dîner chez elle d’ici au 15 avril. Un célèbre docteur de Cambridge, lui a demandé de le faire dîner avec moi, et veut venir à Londres, à jour fixe, car il ne vient que pour cela. Comme elle avait signé Sutherland tout court en me disant Mon cher Ambassadeur, j’ai cru que le billet était de son mari, et j’ai répondu Mon cher Duc & elle me récrit ce matin: « C’est moi, mon cher ambassadeur, qui vous ai écrit Henriette Sutherland. Je viens de lui répondre en lui demandant pardon de ma familiarité ; mais je la prie de garder l’amitié en y ajoutant le respect. Elle me demande un second dîner en famille, pour Mardi prochain, en attendant le Docteur Arnold qui viendra le 10 avril. J’irai. Je veux que mes habitudes soient prises à Stafford House.
Le vote m’enlèvera probablement votre réponse à mon 329. Je la regretterai. Je désirais savoir bien à fond tout votre cœur dans cette circonstance. Au fait, dites-le moi toujours. La crise est passéé mais la situation reste grave, et j’aurai bien des choses et bien des personnes à ménager, pour un avenir dont on ne peut mesurer la distance. Ici le résultat fait grand plaisir. On tient beaucoup à nous, tous les jours plus si je ne m’abuse. Ne croyez pas beaucoup de votre côté à l’impression des paroles de Berryer. Il y a chez nous de vieilles humeurs, des intérêts froissés ; mais au fond, on sent que la surété est ici, & que l’amitié même un peu onéreuse, vaut mieux que la malveillance cachée même tolérante.
Vous l’avez voulu. Mon rôle ici peut être difficile, jamais embarrassant, ni pendant, ni après.
4 heures
Je rentre après quelques visites. Je viens d’écrire quelques mots à Thiers. Je fais répartir ce soir mon courrier. On est très frappé ici de la majorité. On comptera avec nous. Quel déplaisir que l’espace et la mer ! J’aurais des milliers de choses à vous dire. Je dîne aujourd’hui chez Lord Normanby. J’ai vu sa hemme hier au soir pour la première fois, chez Lady Holland. Elle arrivait de la campagne. J’ai trouvé là aussi Lady William Russell avec qui j’ai un peu plus causé. Je persiste. Il n’y a pas assez de mouvement dans cet esprit si plein. Je viens d’être dérangé par le Ministre de Saxe. Je soigne la petite diplomatie selon votre précepte et il me semble qu’elle s’en aperçoit. J’en ai eu six hier à dîner, entr’autre, M. de Neumann et M. Kisselef qui ont trouvé le dîner excellent.
Neumann avait l’air heureux et recueilli. Il mange avec autorite. Vous ai-je dit que décidément M. de Brünnow n’irait pas à Darvonstadt? Du moins on me l’assuré. Mais les Russes ont l’amour pour du mystère.
Adieu. à lundi. Ne manguez pas de me répondre sur juin. Commencez à fixer quelque date précise. C’est un grand plaisir de marcher vers un point lumineux. Adieu Adieu. Jamais assez.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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332. Paris, vendredi 27 mars 1840,
10 heures
J’ai vu Granville hier matin. Vous ne pouvez concevoir l’inquiètude qu’il éprouvait pour le vote. Lui si calme et froid, Il était très fidgetty. Certainement l’animosité possible de M. Molé lui apparaissait comme la rupture presque immédiate entre les deux pays. Vous jugez dès lors de l’ardeur de ses voeux pour Thiers.
Un nouvel incident politique, votre guerre au Maroc, le préoccupait beaucoup aussi. Si vous faites vraiment la guerre aux autres régences, l’Angleterre ne le souffrira pas. Voilà hier matin. à 4 heures je suis allée à la Chambre. J’ai malheureusement manqué M. Jaubert qu’on dit avoir fait le discours le plus spirituel et le plus excellent possible pour le ministère. Je n’ai plus entendu que des ennnuyeux, et le vote à 6 heures, le vote si triomphant pour Thiers. Granville auquel j’avais promis la nouvelle, n’a pas tenu, il est venu lui même à la Chambre, Médem, toute la diplomatie. La surprise a été grande 103 voix pour Thiers. Granville a couru chez lui le prier de vous envoyer une estafette.
Ce qu’il a fait, et vous saurez ce soir la nouvelle. Voilà donc Thiers qui gouverne tout-à-fait. C’est un évènement !
J’ai eu M. de Pogenpohl à dîner, je suis allée tout de suite après aux Italiens où j’avais donné rendez-vous à Granville, Brignole et le Duc de Noailles, celui-ci fort content. Il dit, redit ce qu’il a toujours dit, que Thiers est le ministre nécessaire de l’époque, le seul qui puisse faire encore durer ceci. C’est donc logique de lui laisser le pouvoir. Il est triomphant du superbe discours de Berryer. Il rit des visages très différents des deux ambassadeurs de la loge. Granville radieux. Brignole furieux ; le discours de Thiers a mis ce côté-là en grande colère, " soutenir les révolutions chez les voisins " ! Pauvre Brignole. Vous avez ma journée. J’ai reçu ce matin une lettre d’Ellice, qui me prouve qu’il est assez mal avec Lord Palmerston, sur l’affaire d’Orient. Il a l’air de croire cependant que ce n’est pas la politique de Lord Palmerston qui prévaudra. Le mariage Sussex ne sera point reconnu. Je vous dis des nouvelles de Londres. C’est bien présomptueux.

1 heure. Maintenant je ne suis plus si pressée de vous dire ce que je pense sur votre situation. Il faudra voir comme elle s’arrangera de la direction que prendra le ministère. Il est bien puissant à l’heure qu’il est. Où ira-t-il ? That is the question. Pour le moment je suis bien aise pour vous que vous soyiez à Londres. C’est convenable. Le Journal des Débats vous a classé ce matin. J’aurais envie de causer avec vous à tout instant sur toute chose.
Le Roi passe dans ce moment pour aller se promener à Versailles, il a raison de se promener il n’a pas grand chose à faire.

Samedi 28. à 10 heures
Génie est venu hier. Nous avons beaucoup causé. C’est une créature honnête, devouée et intelligenté ; il m’a conté quelques détails qui m’ont intéressée. Après lui, Appony consterné. Il avait eu le plus grand espoir. Thiers le traite avec beaucoup de politesse, mais voilà tout ; il refuse la conversation sur les affaires publiques. Car même jeudi soir l’ayant rencontré chez Lehon et Apppony le félicitant du vote, Thiers a répondu en demandant des nouvelles de Mad. Appony. Après Appony, le Duc de Noailles est venu. Il n’y tient pas ; il a besoin de bavarder, de demander, de savoir, de s’étendre sur tout ceci. La politique étrangère le préoccupe beaucoup; il veut parler à la chambre des pairs sur la situation avec l’Angleterre. Il trouve le moment excessivement grave, on ne peut pas rester dans cette incertitude. La Princesse Soltykoff nous a interrompus. Après sa visite, j’ai été chez la petite princesse où jai trouvé Madame de Castellane, parfaitement furieuse.
C’est drôle de tant montrer. Elle a été à la grande soirée de Mad. Appony. Mercredi, elle ira à la soirée de Sardaigne, dimanche, elle ne veut pas aller chez Lady Granville. "J’ai idée que Lady et Lord Granville ne m’aiment pas. " Cela est vrai.
J’ai dîné chez Lord Granville, il m’a raconté assez. Le Duc de Broglie est dans la joie de tous les triomphes du vote. Mais il se moque de la Chambre et condamne hautement l’élan d’enthousiasme auquel elle s’est livrée pour ce comedien Berryer. Ah par exemple ! Quand un comédien joue aussi bien que cela, il est fort naturel de l’applaudir.
Voyez-vous voilà encore la passion qui l’emporte sur l’équité.
Vous auriez applaudi j’en suis sûre. L’Empereur en apprenant la Chute de Soult a fait de grands voeux pour Molé. Le Roi a exprimé à Granville beaucoup de doutes sur l’arrivé de Pahlen. Le 15 il était encore à Pétersbourg. Granville croit que la négociation pour l’Orient s’évaporera. C’est le plus mauvais cas qu’il prévoit.

Midi, voici le 330. Je n’ai encore fait que le parcourir; je vous en remercie vite. Il faut que j’écrive à mon frère ; Médem envoie un courier ce matin, et ne m’en prévient que tout à l’heure. Mais vite il faut que je vous dise quoique la circonstance me dispense d’avoir une opinion sur votre situation, que si le ministère était tombé j’aurais été d’opinion que vous ne pouviez pas rester avec M. Molé, et cette opinion je la tire de votre lettre même sur ce sujet, (lettre admirable, vrai chef d’oeuvre d’expostion d’une situation) où vous me dites. "Si je ne surmonte pas les difficultés on rejettera sur moi, la responsabilité du mauvais succès. M. Molé excelle dans cette manoeuvre." Cette dernière phrase m’avait décidée. Mais il est inutile d’en reparler dans ce moment.
Je retourne à hier. Il a fallu après le dîner aller passer une demi-heure à un concert chez une compatriote, il faut le dire très bonne musique et très grande et noble compagnie mais un froid abominable, j’ai quitté malgré que la maîtresse de la maison me traitât en Impératrice. Je suis retournée chez Lady Granville. J’y ai trouvé Thiers. Dès qu’il m’a apperçue il a fondu sur moi avec un empressement et une joie extrême. Il est content, triomphant, mais encore inquiet. Il dit " de grandes difficultés ici, de grands grands embarras au dehors. Le sort du monde entre M. Guizot, moi, et Lord Palmerston. Bizarre situation ! le 11 octobre séparé par la mer mais travaillant bien de concert. M. Guizot a un succès inouï.
Nos destinées sont bien liées ensemble. " Revenant toujours sur cela. Plein de vous, et mettant de l’intention à me le bien dire. Il m’a parlé de sa situation vis-à-vis de la diplomatie. Il voulait me parler de tout. On faisait cercle, cela devenait trop éclatant. Je lui ai demandé l’heure et je suis partie. Mais au fond j’aurais bien aimé continuer. Vous savez qu’il me plait. Il me plaisait hier encore un peu plus, et tout bonnement je suis bien aise de le voir là où il est.
Je vous remercie mille fois de la copie de certaines lettres de Londres. Cela me fait bien de la joie. A propos j’ai lu hier une lettre reçue hier de Lord Clarendon, où il dit. "M. Guizot bids fair to be the most popular Ambassador that even was in this country." N’allez pas devenir insolent, restez, restez comme vous êtes, encore une fois, grand, sérieux, cela vous va si bien. Racontez-moi toujours tout. N’est-ce pas que je vous dis tout aussi ?
A propos, le Maréchal Soult causait un jour dernier avec le duc d’Orléans qui trouvait qu’il y avait bien du danger à renverser Thiers maintenant. Le maréchal lui dit : "Il n’y a que des gens pusillanimes qui puissent trouver cela." Imaginez ! Je sais cela de source.
On est inquiet de l'expédition de Vallée. Le mauvais temps est survenu. Je vous parlerai demain de vos dîners. Décidément pas Lord Tankerville. Pourquoi y serait-il le 1er mai ? Il n’est pas votre beau-frère, et il n’a pas un titre pour cela. Ce serait même trouvé très ridicule. J’en ai causé avec Granville qui est tout-à-fait de cet avis.
Adieu. Adieu. Adieu. Que de choses je vous dis et que de choses encore j’ai à vous dire. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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338. Paris Lundi 6 avril 1840,
9 heures

J’avais oublié de vous dire que samedi 4 j’ai été chez mes pauvres. Eh bien, là même, mon guignon me poursuit. Je m’étais attachée à eux, à ces quatre petits enfants. La mère vient à moi bien joyeuse me dire qu’elle part elle et tous les enfants après demain pour l’amérique. Je ne puis pas me chagriner de ce qu’elle regarde comme un bouheur, mais moi, je perds encore cet intérêt au moment où je commençais à m’y attacher. Et voilà comment tout m’échappe. Je vous ai écrit hier, je ne dérange pas pour cela notre ordre établi. M. de Pogenpohl est venu me voir un moment avant ma sortie. Je ne me suis point promenée, le vent était très aigre. Je suis allée chez Mad. de Talleyrand qui m’avait mandé qu’elle était malade dans son lit. J’y ai trouvé ses enfants. Elle me demande si je suis d’un diner chez la Redorte et si je sais qui y dîne. Je dis : "Mad. la duchesse de Talleyrand et M. Thiers. " "M. Thiers !!!! est-il possible êtes-vous bien sûre ? Comment ? M. Thiers, me faire rencontrer Mr Thiers mais c’est trop fort. " Enfin toute la comédie. Comme elle a vu à mon regard que je ne croyais ni à son étonnement ni à son désespoir, elle m’a confié après les enfants partis, qu’elle le savait en effet ; mais qu’on ne l’en avait prevenue qu’après lui avoir fait prendre l’engagement d’y venir. J’ai dit : "Mais c’est bien perfide ou bien sot à votre amie Mad. d’Albufera.
- Mais oui, elle est une sotte. Cependant que voulez vous ? Faire un éclat maintenant, n’y pas aller mais ce serait me brouiller avec Thiers.
- J’ai cru que vous l’étiez depuis deux ans ?
- C’est vrai nous ne nous sommes plus vus depuis la mort de M. de Talleyrand. Mais la Duchesse d’Albufera m’a dit
que vraiment maintenant qu’il est un homme si important. Elle trouvait qu’il valait beaucoup mieux que je saisisse une occasion de me rapprocher de lui. Que lui d’ailleurs le désire vivement. Il a demandé à M. de Bacourt de mes nouvelles enfin il fait toutes les avances & & "
Je ne puis pas continuer. C’est trop shabby, trop pitoyable. Au bout de tout cela, elle me supplie de ne pas parler de ce dîner, de n’en pas faire une plaisanterie de salon. Je lui ai répondu que comme il devait se faire, comme on le saurait, comme on savait le brouille depuis deux ans elle devait se résigner à apprendre qu’on en riât, sans que je m’en mêle. Elle me dit : " Après tout, je puis être malade. je puis être dans mon lit? Je l’ai regardée en riant, et je lui ai dit: "Non ma chère duchesse, vous ne serez pas malade."
Enfin je ne lui ai pas laissé la plus légère espérance de m’avoir donné le change après cela, elle me confia qu’après
son retour d’Allemagne à Paris, elle ira passer l’hiver en Italie, et elle me propose voyage et aménagement commun avec elle l Bien obligée, rien de commun, avec Mad. de Talleyrand. Je vous ai conté longuement cette pauvreté.
J’ai eu à dîner hier la Princesse Wolkowsy pour la dernière fois car elle part pour la Suisse. J’ai été ensuite chez les Appony qui m’avaient beaucoup prié de venir à la suite d’un dîner intime qu’ils donnaient à Thiers, l’idée de lui donner un dîner intime. J’avais dit, mais donnez donc grand dîner officiel, c’est bien plus convenable et commode : [de vibur est loflet éutd]. Vraiment ce sont de droles d’Ambassadeurs
et bien donc voilà, M. & Mad. Thiers, Mad. Caramau, les Brignoles, [Rumpf], Médem, la petite Princesse Solkovitz. Médem s’était échappé. J’ai trouvé la société endormie. Thiers s’est réveillé, il est venu s’établir auprès de moi. Il m’a raconté l’Angleterre, à Naples. Il n’en revient pas. La menace sous huit jours que Stopford s’y présente avec la flotte, c’est bien fort. Nous avons encore parlé Orient, toujours dans le même sens. Il n’y a pas moyen de faire des variantes la dessus, vous ne pouvez pas. D’où vient qu’on ne veut pas comprendre cela à Londres. Il m’a parlé de vous, de tout son contetement. Il va vous envoyer le grand cordon de la légion d’honneur je lui ai trouvé l’air triste. Les convives ensuite m’ont dit, qu’il l’avait été excessivement à dîner. A propos de lui, Mad. de Talleyrand m’a dit qu’elle tenait de M. Cousin le récit de ce qui s’est passé au conseil chez le Roi Mercredi dernier au sujet du départ de M. le duc d’Orléaans. Thiers ne voulait pas qu’il partit ; le Roi soutenait le contraire; et Thiers aurait été si dur et si impérieux et si insolent, que deux Ministres ont eu pitié du Roi, et s’étant rangé de son avis le départ a été arrêté. Cousin était l’un des ministres.
Autre anecdote.
Le Maréchal va assez souvent chez le roi. Thiers en a demandé raison au roi, et le roi aurait nié les visites. Voilà, de Mad. Talleyrand, après Appony, j’ai été chez Lady Granville et après elle [chez] Castellane. M. Molé a vraiment l’air bien déconfit. C’est même drôle. Il m’a demandé si vous voyiez M. de Brünnnow, j’ai dit que je n’en savais rien. Ah, je reviens à Thiers ; sur l’Orient il me dit : " Si on nous pousse à l’isolement, eh bien nous ferons."  J’ai dit : " Comme disait Cousin ? "
"Oui, il faudra bien, mais avec la différence que cela sera tout naturel, et sans le proclamer! "
- Le fait sans la menace ?
- C’est cela. "
Brignoles a été chez le Roi avant hier. Il l’a trouvé excessivement accablé, triste disant : "Vous le voyez je ne suis plus rien, rien du tout." Un ambassadeur là eut l’air bien abatu. Je vous écris énormement ne trouvez vous pas ? Je vous raconte les autres ; si je vous racontais moi ce qui se passe en moi, dans mon cœur, je serais bien plus longue.
Je suis à Londres sans cesse, je n’ai pas cru que j’y serais tant. On ne se connait jamais tout-à-fait.
Adieu, j’attends une lettre. J’attends aussi Verity, je vous l’ai dit, je ne suis pas bien. Ecrivez-moi de douces lettres, cela me vaudra, encore mieux que Verity.
Votre déjeuner de cuisine me parait un peu fort, et quand viendront les grands dîners ce sera bien autre chose. Pourquoi donnez-vous d’emblée un dîner aux Cambridge, avez-vous dîné chez eux ? Je ne me rapelle pas. Les Londonderry ne me paraissent pas devoir y figurer, ce serait bien plus que d’aller chez eux à un bal et puisque vous ne croyez pas devoir faire cela comment les inviter chez vous à dîner, cela est trop fort. Il me semble que vous n’êtes pas encore assez orienté sur la valeur morale d’un diner en Angleterre. Et savez-vous qu’en général il faut une longue pratique de ce pays pour se retrouver dans toutes les nuances des usages, des personnes, apprécier toute la portée et les conséquences de choses qui paraissent très peu importantes au premier coup d’oeil. Je vous aurais été utile pour cela ; Je voudrais bien que vous [m’usiez] à mieux de l’être d’ici ; et c’est facile, quatre jours pour question et réponse. Vous vouliez le faire, vous avez oublié.
Adieu. Adieu, une quantité de fois.
Fini à l’heure. La lettre n’est pas venue.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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341 Paris le 10 avril vendredi 1840,
10 h 1/2
J’ai eu longtemps chez moi Génie ; un moment M. de Pogenpohl une assez bonne promenade au bois de Boulogne, de la causerie. avec Lord Granville et une visite à la princesse ont complété ma matinée. Lord Granville s’anni sur la question des souffres. Je lui ai dit le cri générai de la diplomat ie, de tout le monde. Il combat cela ; cependant il persiste à dire que personne ne lui en écrit un mot de Londres. Cela est peu croyable il m’a répété hier, qu’il ne serait pas surpris d’apprendre que M. Odillon Barrat entre au ministère sous peu de jours, Votre véritable adversaire comme vous l’apelliez un jour dans la Chambre !
J’ai dîné seule ; après le diner la Princesse Wolkowsky est venue me dire adieu un moment, elle partait dans la nuit. Lord Granville, Brignole, Armin, l’internonce, les de Castellane, M. de Maussion, le Duc de Noailles, le prince d’Aremberg. Voilà ma soirée. Dès que Granville fut sorti, il n’y eut qu’un cri sur l’affaire de Naples dont on n’a pas parlé pendant qu’il y était. Brignole prétend cependant qu’une seconde note de Temple était écrite en termes plus doux, mais le fond reste le même et Stopford va agir, or la première partie de ses instructions vise à vous tout juste, parce que c’est sur des batiments Français que se trouvent chargés les souffres. Voilà une querelle engagée tout de suite. Qu’est-ce que cela va dévenir ? Vous êtes bien prudent. Vous ne me dites jamais la plus petite nouvelle politique. Brignole se plaint d’un redoublement de rigueur envers les prisonniers de Bourges, il a même fait des démarches auprès du ministre de l’intérieur, mais sans effet jusqu’ici. Il parait que Thiers a fait quelques avances à Caraffa dans l’intention que Naples demande l’intervention de la France. Mais Caraffa n’a pas relevé l’affaire. Il n’a aucun ordre à cet égard. Vos ministres étaient hier très préocuppés des nouvelles des départements où la cherté du pain cause quelques émeutes, les préfets demandent des troupes et il n’y en a pas. Le parti conservateur est content du dernier vote. Il prouve que la minorité est très serrée et décidée. On juge que la situation du Ministère est toujours très épineuse. Granville par exemple le pense.
Je ne me mèle pas de vous parler de ce que vous mande Génie mais je le sais un peu. Ce qui me frappe c’est la nécessité que vous ne laissiez aucun doute à vos amis sur votre résolution en cas de chances pour M. Molé. Vous leur devez de les éclairer sur ce point que je crois bien résolu dans votre pensée et avec raison.
A propos, hier un ministre a dit à Granville : "Ces conservateurs sont étonnants ; ils croient bien nous embarrasser par leur motion Rémilly. Et bien vogue la galère, que la reforme électorale nous vienne par là. Il faut bien qu’elle vienne un jour nous l’accepterons. Vous savez bien qu’on parle déjà de dissolution. Faut il que je fasse mon voyage en Angleterre ? 

2 heures
Votre N° 337. Je vous en remercie tendrement. Vous vous êtes fâchés un peu. Un peu plus à la réflexion qu’au premier moment. Moi le premier moment a été plus vif, la réflexion a adouci. Voilà mes petites observations d’aujourd’hui. Cependant c’est presque imperceptible et je ne le vois que parce que je regarde à tout dans ce qui nous regarde avec une minutie qui surpasse encore votre bonne vue. Vous me consternez dans ce qui vous me dites de Sully, j’en restait à son austérité pour son maître, car enfin il est bien vrai qu’il condanmait sa conduite, et je croyais dès lors que c’était un Quaker. Jne crois plus à personne. Mais je croirai à vous; j’y crois. Oui, oui tout-à-fait. Il y a de si tendres paroles dans votre lettre, des paroles si pénétrantes. Votre programme me convient tout-à-fait et je suis bien aise de votre dîner le 15 à la société savante. J’en suis bien aise bourgeoisement. Ce sera une espèce de répétition avant la représentation du 1er de mai. Vous voyez que je me préocupe beaucoup de votre ménage.
Ce que vous au dites de l’impression que vous a faite la chambre des Communes me plait parfaitement, car c’est celle que j’ai reçue moi même. J’ai chargé Marion de la découverte de nouveaux pauvres. Anglais, et enfants ; c’est les deux conditions. On dit que le Roi, qui s’était mis sur le ton de la résignation a passé maintenant à l’état de plainte et de propos très amers contre son Ministère. Il se plaint aussi que son salon est désert ; on ne vient plus ! Vraiment il y a peu de dignité à ce langage.
Je vous dis à tort et à travers tout ce qui me revient, mais toujours de bonne source.

Samedi le 11 avril 10 heures
J’ai fait hier le bois de Boulogne seule. La petite princesse. Le dîner chez La Redorte, un moment de la soirée à l’Ambassade d’Angleterre, et le reste chez Mad. de Castellane pour entendre chanter les Belgiojoso. A diner Thiers seul a parlé et moi un peu ; le passé; il répétait son Consulat et son Empire. Il a eu tort et j’ai eu raison sur un point de l’histoire. La guerre de la coalition était en 1798, et il la voulait en 99. Elle a fini en 99. Avant dîner il m’a dit un mot.L’exil du Prince de Cassaro, la mauvaie humeur de Lord Palmerston. Il voulait causer seul avec moi, mais cela n’a pas réussi, Mad. de Talleyrand était là. Avant dîner courte reconnaissance et froide. A diner pas un mot, elle n’a pas ouvert la bouche. Après le dîner un long aparté; après lequel ils sont revenus prendre place au milieu de nous. Et il l’appellait "ma chère amie" en lui serrant le bras en haut en bas. Enfin c’était drôle ! Ce qui était drôle aussi c’est le ton hautain et exigeant de Mad. de La Redorte avec Thiers. Tout comme ferait Barrot. "Vous n’êtes pas assez décidé, vous n’avez que nous, il faut donc franchement nous prendre. Il ne faut pas flatter l’ennemi & &." Thiers avait l’air de se défendre un peu, d’accepter un peu le patronage. On a parlé destitution et il a dit : "et bien le temps de cela viendra aussi." Elle était plus pressée. Mais enfin tout cela m’a donné l’idée que le mariage n’est pas aussi arrêté que je le croyais. On a parlé de M. Molé ; tout le monde Mad. de Talleyrand surtout, affirmait qu’il s’était mal défendu l’année dernière, j’ai seule soutenu le contraire parce que j’étais un peu indignée de cette injustice et cette bassesse Montrond m’a appuyée. Savez-vous que j’ai un parfait mépris pour Mad. de Talleyrand ? il y avait toujours mépris d’une certaine espèce, à présent il y a mépris de toute espèce. Vraiment, peut on ainsi se manquer de respect à soi même ? Il y avait à diner outre ce que je viens de nommer Médem, Pahlen, Brignole, Vandoeuvre,  Rambuteau. A l’hotel de l’ambassade on a appris par moi les inquiétudes à Londres sur le vote de la Chambre, je l’ai su par un mot d’Ellice. Cela les a un peu consternés. Granville dit que M. Temple après une attitude très décidée et énergique. Il parle du Roi de Naples comme d’un fool. Il me semble d’après le dire de Thiers que cette affaire n’est pas en train de s’arranger. Nous nous sommes dit deux mots bien bas et bien intimes avant dîner que je n’ai peut être pas besoin de vous redire et que je ne veux pas écrire.
On m’a dit et de bonne source apparente que M. Molé aurait déclaré au Roi qu’il n’est pas en état de fournir un ministère et qu’il lui conseillait dès lors d’accepter la dissolution si elle lui est demandée. J’ai dit Le soir à M. Molé que j’avais ouï dire ce commérage. Il s’est récrié et m’a dit au contraire : "J’encourage perpétuellement le Roi à y résister, à toute outrance." Ce qui n’empêche pas qu’il ne me dit, un moment après : "Le Roi et moi nous n’avons pas seulement proféré le mot dissolution dans nos entretiens."
Je vous laisse à décider où est la vérité. Il y avait de la musique chez Mad. de Castellane, mais il y avait aussi du courant d’air. J’ai craint l’un plus que je n’ai aimé l’autre, et je suis partie de bonne heure. Appony venait de chez le roi qu’il avait trouvé de fort bonne humeur à sa grande surprise, quel terrain mouvant que ceci !
Voici votre N° 338. y a-t-il quelque nouveau réglement pour les drawing rooms ? Sous les autres règnes jamais les ambassadeurs ne restaient jusqu’à la fin à moins qu’ils en eussent envie. Mon mari, Estorhazy, M. de Talleyrand, tout cela partait quand bon leur semblait. Moi, je restais, parce que le roi et la reine venaient après le drawing room me dire un mot, mais j’ai seule. Les hommes diplomates n’ont jamais tenu jusqu’à la fin. Il n’y avait aucune nécessité de le faire.
Je suis bien aise de penser que vous allez vous trouver à Holland House. J’y ai souvent été. Souvent, surtout dans le jardin, mais pas seule.
Je n’ai pas encore écrit à la Duchesse de Sutherland, je ne sais trop que lui dire. La phrase de sa lettre qui me regarde ne parait pas aux autres aussi directe qu’elle vous semble à vous, et Lady Granville n’a pas eu de renseignement à ce sujet. S’il n’en vient pas décidément c’est que nous nous sommes trompés. Il faudra que je prenne d’autres mesures. C’est un peu ennuyeux parce qu’on est fort mal aux auberges à Londres. Je consulterai Ellice et il me trouvera peut être quelque chose hors de Londres du côté de Holland House. Mais il faut un établissement. Enfin je verrai. Vérity me drogue en effet et cela me déplait. Si le beau temps arrive jamais, je lui confierai le soin de ma santé et je laisserai les drogues.
Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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329. Paris, dimanche 22 mars 1840,
4 1/2 h.

Je viens de voir Mad. de Boigne, elle me parait croire que la combinaison Soult Molé est parfaitement sûre M. Molé n’y fera pas faute. Il accepte moins qu’il n’a en suivant l’exemple de Thiers, qui aussi avait consenti à la présidence de Broglie, de Soult & & ce précédent met à couvert l’amour propre de Molé. Il parait que le Maréchal a plus de regret de se séparer des aff. Etrangères. Cependant cela est convenu 801 et Dufauré c’est fait aussi. Duchatel n’est pas tout à fait aussi avancé mais on a peu de doute. En tout on regarde l’affaire à peu près comme consommée tant on croit ici facilement, aussi les vraisemblances sont bien pour cela. M. de Broglie à qui Mad. de Boigne demandait avant-hier ce qu’il pensait du ministère, a dit qu’il donnerait un an. M. de Broglie est un grand baby. M. de Rémusat dînait hier chez Mad. de Boigne, à elle il n’a pas dit tout ce qu’il pensait de la journée, mais à un autre dans son salon ; il a dit, le rapport est déplorable, C’est une mauvaise situation. Madame de Boigne ne doute pas, si le changement arrive que Messieurs de Broglie, Rémusat, Dumerger d’Hausaine vous somment de revenir. Elle ne doute également pas que M. Molé ne vous demande de rester. Elle ajoute Si M. G. me faisait l’honneur de me consulter ce qu’il ne fera assurement pas, je lui dirai de rester. En revenant il ne mettrait à la suite de Thiers avec trois ou quatre homme de feu son parti. Ce n’est vraiment pas une situation qu’il puisse accepter. Et venir le mettre à la tête du parti Duchâtel pour donner son appui au Ministère, c’est se déclarer trop brusquement l’ennemi de l’homme qu’il vient de servir. Si M. Thiers passe à l’état d’opposition s’y montre dangereux pour le pouvoir du roi alors sera le moment pour M. Guizot de venir le combattre. Aujourd’hui ce qu’il a de mieux à faire est de rester où il est." On dira donc que M. Guizot accepte tout le monde. " C’est ce que diront quatre ou cinq hommes M. de Broglie à la tête ; et voilà tout, et M de Broglie a de la passion contre M. Molé." Mad. de Boigne ne vous acorde de motifs de revenir que si M. Duchatel n’était pas du Ministère. Je crois que je vous ai raconté toute ma visite. Je vous raconterai tout. et je me garderai bien de vous rien dire pour mon compte. Vous n’avez pas besoin de mon opinion d’ailleurs. L’affaire n’est pas faite.
Je passe à autre chose. Voici ce que m’écrit Lady Palmerston en date d’avant-hier . " Je crois vraiment que M. Guizot se plait ici, tout est nouveau pour lui et il regarde à la scène en philosophe. Ce qui est sûr c’est que lui plaît beaucoup. On trouve ses manières très agréables et douces et sa conversation intéressante et instructive. Lord Palmerston l’aime beaucoup, et croit qu’ils feront très bon ménage ensemble. Ses manières tiennent beaucoup plus de l’ancien régime que du nouveau, ce qui est un grand mérite à mes yeux. "
Lundi 11 heures
Je suis arrivée hier chez le Duc de Noailles une heure plus tard qu’il ne fallait. J’ai donc trouvé la compagnie de bien mauvaise humeur. J’avais eu chez moi dabord. le prince Paul et celui-là est vraiment amusant dans ce moment la plus violente fureur, les invectives, les épithètes. C’est M. Molé surtout qui est sa bête noire. Il prétendait savoir que M. Passi ne se joignait pas à lui. Au bout de la crise s’il y a crise. Il croit à un grand ébranlement pour tout ceci, et il ne manquera pas de la prêcher à M. Thiers, selon son dire, s’il tombait, la guerre au roi serait à mort. Après lui, Lord Granville que j’avais vu cependant chez sa femme est venu encore causer. avec moi, on n’apprend jamais de lui grand chose, mais c’est long de causer avec lui. Il m’a retenue pour me dire ses inquiétudes, presque sa certitude. que le ministère tombera. L’attitude, la Chambre, les journaux. l’alliance Soult et Molé, tout l’indigne. A 6 1/2 j’ai commencé ma toilette et je suis arrivée à 7 1/4 au milieu du noble faubourg un peu fâchée. Cela n’empêche pas que l’hôte n’a fait que causer et d’une seule chose avec moi pendant le dîner. Il avait vu M. Molé la veille. Il a cherché à le detourner de porter le coup si tot, vu que cela rendrait Thiers trop redoutable. M. Molé réplique toujours "cela est possible ; mais si on ne le tue pas de suite il est sûr qu’on ne les tuera plus, et voilà pourquoi il faut se presser. " Il a conté à M. de Noailles l’affaire Bugeaud telle que la dit le Journal des Débats, et que cela a fait un effet prodigieux sur la droite Les légitimistes se sont réunis hier matin chez le Duc de Noailles. Il est possible encore qu’ils votent pour Thiers Berryer parlera, ce sera assez curieux de voir comme il s’en tirera. Au reste on ne prendra de parti positif que selon la discussion. Appony était du diner bien content. Brignole ditto, mais avec plus de réserve les dames du fauboug parlaient de toute autre chose. De là j’ai passé chez la Duchesse de Poix, de la musique chermante M. Molé y était. Nous avons causé. Il est préoccupé et content. Il rit de la résultante. Il dit que Thiers a fait une grande faute en prenant le ministère comme cela. Il compte son monde exactement comme me l’a compté Berryer. Il dit " j’aurais une rude tâche, et les affaires extérieures vont prendre, tout-à-l’heure une grande importante Il y a des partis à prendre. au fond il eut été plus commode de laisser ce premier feu sur le épaules de Thiers, mais il n’y a pas à reculer. " Il a parlé de vous en termes généraux : "jamais on ne me fera croire que M. Guizot puisse, aller à la gauche jamais je ne croirai qu’il a connu ceci au moment de son départ. " C’est le lieu de vous dire qu’on dispute beaucoup sur ce point. Duchatel soutient que vous l’ignoriez, tous les autres affirment le contraire. Il n’y a que Duchâtel qui dise vrai. Il va sans dire que moi je ne m’en mêle point. Je dis seulement que comme vous n’êtes pas olbligé de me tout dire j’ignorais ce que vous saviez ou ne saviez pas.
Voici le 324. Autant de prevenances autant d’.... que moi. Mais merci d’avoir songé au dimanche. Il me semble que ce bon dimanche nous met à la ration de 4 lettres par semaine. Tant mieux. Vous m’apprenez l’affaire de Médem. Il me semble qu’on a pris à Pétersbourg, un très sage parti pour ceci. Envoyer Pahlen et renvoyer Médem, vraiment il est trop cassant ; il a trop de présomption. Pour Londres, je regrette l’atitude que Brünnow a pris vis-à-vis de vous et qu’on le comprends pas trop Le chreptovitz, gendre de Nesselrode, qu’on lui donne n’est rien du tout ; et sa femme est parfaitement ridicule, avec un peu d’esprit, bonne personne au fond quant à Mad. Brünnow, je ne sais ce qu’elle est, si non qu’elle a été belle. Il est clair que lui n’a jamais été beau. Je voudrais bien entendre ce que vous pensez de tout ceci. Quelle bagarre ! Moi, ma crainte c’est la rue. Je crois savoir que M. Sacy, l’un des redacteurs des Débats ne veut pas qu’on renverse Thiers sur les fonds secrets. L’autre rédacteur le veut. M. Molé m’a confirmé l’autre jour ce que me disait Berryer, qu’on proposera un amendement & 100 francs. Adieu. Adieu. N’est-ce pas que je vous dis tout ?

2h1/2 Voici Appony qui sort d’ici. il doute encore de la chute immédiate cependant il est convaincu que le Roi la veut. Il est enchanté d’avoir Molé, mais il ne pense pas que la question orientale y gagne comme solution pacifique, Il sera beaucop plus égyptien que Thiers, dès lors il s’entendra moins avec l’Angleterre.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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330. Paris le 29 mars 1840. Mardi 9 heures

Il y a trente huit ans aujourd’hui de la mort de l’Empereur Paul. Comme toute cette scène est présente à mon esprit. Quelle ivresse à Petersbourg et comme on avait raison d’aimer et de tout attendre de l’Empereur Médem ne sait pas un mot de sa nomination. Je l’ai rencontré chez Lady Granville hier soir. Je l’ai dit à Nicolas Pahlen qui en a été renversé. Il est bien clair aux yeux de tous que c’est une promotion et une punition, je vous l’ai dit dans le temps, on ne laissera pas Médem à Paris. Pahlen voulait le lui annoncer hier j’ai été voir votre mère. elle m’a dit qu’on vous conseillait de rester à Londres, quand même. J’ai donc beau espérer des chaines Il n’y en a plus de bonnes pour moi. Vos filles étaient à leur leçon de piano. Guillaume m’a lu un peu d’Anglais, j’ai demandé la permission de le corriger lorsqu’il prononçait mal votre mère à été très bonne pour moi Je n’ai fait que cette visite hier matin Je ne me sentais pas bien. J’ai dîné chez les Granville avec des Anglais.

à 9 heures je suis allée chez la Maréchal Soult. Elle et son mari ont fait de grands frais de politesse pour moi. Il y avait beaucoup de monde, et pas une figure que je connaisse excepté M. Bandrand. J’ai pris son bras pour sortir; il m’a dit qu’il avait de vos nouvelles, qu’il est charmé que vous soyez à Londres, qu’il faut y rester. Je n’ai rien dit du tout. Je n’ai jamais d’opinion. à dire sur ces choses là. J’ai été faire cette visite parce qu’après tout. Je ni’ai pas de bonne raison de refuser une invitation. S’il redevient ministre, c’est des réceptions, Je n’y vais pas. De là je suis retournée chez Lady Granville où j’avais donné rendez-vous à M. de Noailles et Armin. On disait hier que la combinaison Soult Molé avait manqué par le fait de Duchâtel, dès lors que Thiers avait la majorité, tout cela s’éclaircit aujourd’hui. Thiers ouvrira la séance, je compte y aller. Sa situation me semble bien difficile, car s’il ne parle que comme le Constitutionnel cela ne peut pas être brillant.

Midi. Je viens de marcher sous les arcades, il neige. Mais la privation de mes promenade me fait du mal. Je vais donc chercher le seul point abrité.

Mercredi 25 mars, 9 heures
Vous aurez rien un mot que je vous ai écrit hier en sortant de la Chambre, Je vous l’ai adressé directement par la poste, j’ai été ensuite faire visite à la petite Princesse, M. Molé y est venu. Il était transporté de joie d’apprendre que je venais de la chambre. Racontez, racontez. J’ai raconté le discours de Thiers avec une grande fidélité, sans commentaire, mais peut-être. avec animation car c’est ma manière quand quelque chose me plaît. Vous auriez dû voir la figure de M. Molé s’allonger !!

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Mardi 24 mars 1840,
3 heures

Je rentre de la Chambre. J’ai entendu Thiers et je ne veux plus rien entendre depuis votre discours du 5 mai 1837. Je n’ai rien entendu de si beau, si élogieux, si puissant. Il a été contenu en même temps qu’animé pas un mot de plus qu’il ne fallait pas un mot de moins. L’effet me parait avoir été très grand, et quand il a terminé en admettant qu’on allait le renverser il me semblait que tout le monde devait se demander : " pourquoi ? ".
Sur la réforme électorale, il a défié la chambre de dire qu’il n’en fallut jamais, ni qu’il la fallait tout de suite. Sur la question de l’Orient il a défié qu’il pût y avoir une autre politique que maintenir l’Empire ottoman et soutenir l’intérêt du Pacha parce que le Pacha à son tour est le plus sûr soutien de l’Empire ottoman. Je cite comme cela au hasard, je n’ai pas entendu la première partie du discours ; je suis arrivée trop tard. Du Moniteur je n’ai entendu qu’approbation, et je le répète l’effet de ce discours a été très grand et je crois très favorable à Thiers. J’ai voulu vous dire encore ce petit mot, par la poste. Lord Granville vient de recevoir par Venise des ordres de Bdiche Pacha à Rauthapadier ici pour qu’il se rende à Londres de suite.
Adieu cette lettre ne compte pas. Mais dites-moi que vous l’avez reçu. Celle commencée ce matin partira demain. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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342/ Paris, dimanche 12 avril 1840
10 heures
J’ai eu Génie hier matin. après lui M. de Bourquenoy qui m’a beaucoup intéressé. Je l’ai fait parler de tout. Il me plait tout a fait, il a de l’esprit, de la finesse et me parait fort bien connaitre Le terrain de Londres. Je l’ai beaucoup prié de revenir. Il me semble qu’il est à vous. J’ai vu Lord Granville; rien de nouveau. Quelle bonne inspiration vous avez eu. En me levant, je me suis dit triste journée. Et voici votre N°339 que je vous remercie de cette bonne pensée, et de tout ce que vous me dites! Ce sera de la joie pour toute la journée.
Mettez 40 à mes deux derniers n° je me suis trompée. Je retourne à hier. Thiers m’avait dit la veille mille bien de Lord Granville. Celui-ci est enchanté de Thiers a son tour. certainement l’envie de rester bien, est grande de part & d’autre, & vous par dessus le marché ! Il est difficile de croire que cela puisse s’ébranler. J’ai marché au bois de Boulogne, avec Marion. J’ai eu à dîner M. Pogenpohl. Le soir Appony. Capellen, Berryer, le Duc de Noailles, la Pcesse d’Haubersaert, Soltykoff. Appony m’a raconté la note de l’ambassadeur Turc à Londres et la colère de Thiers en conséquence Berryer nous a un peu dépeint la situation de la Chambre sans y trouver encore aucun élément de vraie force pour le gouvernement il a fort déclamé contre l’Angleterre dans l’affaire des souffres. le Duc de Noailles nous a répété le discours du Duc de Broglie, la majorité de la Commission votant parce qu’elle a confiance, la minorité votant pas prudence. Il ne m’a pas dit assez de bien du discours. Je le trouve très bien à la lecture et je crois que vous devez en être content. Vous savez sans doute qu’il y a eu un délai de 24 heures parce qu’on avait trouvé d’abord le rapport, trop favorable à l’opinion de la minorité. Je vous raconte des choses que vous devez savoir la discussion appellera sans doute tous les hommes importants la Tribune. Le Duc de Noailles, me parait décidé à parler. il dit que son discours qui ne sera que sur l’Orient. doit plaire au ministère et le servir, en ce qu’il mettra bien en lumières l’opinion Égyptienne dans le pays. Il voudrait forcer Thiers à s’expliqué un peu nettement sur ce point. J’ai été si frappée de votre gouvernement représentatif à vous la représentation, aux Anglais le gouvernement » que je l’ai raconté hier au soir, c’est la première fois qu’il m’est arrivé de citer un mot de ce que vous dites. Ai-je fait une grande indiscrétion ? j’en serais désespérée. Ce que c’est la vanité ! J’en ai pour vous extrêmement et quand vous dites bien, j’ai envie de confidence, peut-être ai je eu tort hier ? Cela me tourmente. Je ne crois pas avoir jamais autant vécu hors du lieu où je me trouve qu’à présent. Je vous assure que je crois quelques fois que je suis à Londres, tant je vous suis partout partout, et dans tous les instants de la journée et dans toutes les situations. Merci du drawing room. Vous avez bien choisi les plus belles, surtout bien choisi la plus jolie, car certainement Lady Ashley est ravissante. Mais vous ne me dites pas assez que cette masse de belles personne vous a frappé. Convenez au moins que vous n’avez jamais vu autant de beautés réunies qu’à un drawing room. Je vous attends à Paris. Après un peu de séjour en Angleterre, vous ne trouverez pas une femme jolie. Vous leur trouverez à toutes plus d’élégance, plus de grâce, mais de la beauté non. Il n’y en a vraiment qu’en Angleterre. Enfin une laide est une merveille. Vous savez que M. Etienne Marnier est mort ; cela fait beaucoup de sensation dans le monde élégant de Paris. Je ne me souviens pas de l’avoir jamais vu. Il passait pour le fils de M. Molé, et on a été choqué de le rencontrer le même jour à la musique chez Mad. de Castellane. Cependant il affichait un peu la mère s’il n’y était pas venu.
M de Pahlen arrive ce matin. Le temps se radoucit. J’ai pris la calèche hier, je la prendrai encore aujourd’hui. Ma femme de chambre Charlotte est venue me voir ce matin pour la première fois, elle est bien changé, et encore bien faible. Mais je l’ai bien frappée. Elle m’a trouvé très maigrie et très mauvaise mine; elle ne m’avait pas vue depuis la mi février. Certainement j’ai maigri encore depuis votre départ, et je commence à être en grande défiance de Vérity. Je ne peux plus rien prendre. Connaissez-vous un remède qu’on appelle. Salsaparilla ou quelque chose comme cela. Il me dit ce matin que si j’avale cela, j’engraisserai, je me porterai bien. N’est-ce pas des bêtises. Conseillez moi. A propos, M. de Bourqueney me dit que l’Angleterre convient à votre santé parfaitement et que vous avez bien bonne mine.

Lundi 13, onze heures
Voilà le 340. Vous me dites tout fois ce que je voulais savoir. Prenez garde. A moins que le ciel tombe il faut que vous soyez ici en octobre et même dans les premiers jours d’octobre, car vous le dites. Je m’en vais répondre à tout. L’ espoir d’avoir une lettre jeudi était bien fugitif. J’y ai pensé un peu, si peu, si peu que rien ; comme je fais quand je crains un désappointement et de porter malheur à ce que souhaite. Ainsi vraiment je mentirais en disant que je ne l’ai pas espéré un instant, mais je mentirais aussi si je disais que cet espoir valut la peine de vous le dire. Et puis, j’ai idée que l’exigence est une mauvaise manière. J’ai si peur de rien risquer. J’aime tant ce que j’ai, je craindrais d’y porter atteinte en demandant plus. J’ai horreur de l’idée de vous ennuyer. Le jour où je découvrirais cela, je me trouverais si malheureuse. Voila pour cette insaisissable idée du jeudi, ce petit nuage imperceptible et que vous avez cependant découvert.
Il y a un peu de cela aussi dans le "je ne veux pas que votre première pensée soit pour moi ?" Mais au fond ; je ne veux pas signifie seulement "Je n’ose pas vouloir, car vous n’accorderiez pas." Et je connais ma place. Elle vient après beaucoup d’autres. Votre mère vos enfants. Vos devoirs publics. Je comprends tout cela, j’approuve tout cela. Ai je répondu? Et bien je suis triste.
Je vous remercie de la promesse de ne plus me tromper. Vous ajoutez "je commence à vous aimer trop pour cela." Ah vous m’aimez donc plus que vous ne m’aimiez. Cela me plaît parfaitement, cela doit être ainsi. Cela est pour mon compte. Le temps compense, ce qu’il emporte Dieu merci. Et comme rien ne reste parfaitement semblable à ce qu’il était si vous ne m’aimiez pas plus, vous m’aimeriez moins.  Ainsi plus, plus, tous les jours davantage. Allons voilà votre lettre suffisamment répondue.
Voici ma journée hier, Lady Granville chez moi le matin, en suite promenade en calèche au bois de Boulogne. Après la visite du Duc de Devonshire et du Prince Paul de Wurtemberg. Dîner chez Mad. de Tallyrand avec le duc de Noailles, et le Prince de Chalais. Visite de Pahlen avant dîner que je n’ai pas pu recevoir parce que j’étais à ma toilette. 
Au sortir du dîner j’ai été chez lui. Grande joie de nous revoir, grande joie d’être à Paris, de se trouver bien dans une bonne maison. Pas de conversation politique, des amitiés de la famille impériale pour moi, moins l’Empereur. Voilà le premier moment. J’ai passé un instant chez Lady Granville, et une demi-heure pour finir chez Mad. de Castellane. M. Molé fort content du discours de M. de Broglie appuyant beaucoup sur ce que M. de Broglie n’irait jamais à la gauche. Riant un peu de l’embarras que son rapport pouvait donner à Thiers. Voilà le ton. Assez d’abattement et d’aigreur. Je trouve aussi que la gauche pourrait bien n’être pas aussi contente du langage tenu par Thiers dans la Commission. Nous verrons.
Le prince Paul trouve la situation de Thiers très précaire. Le Roi ourdit toujours quelque trame. Il n’y a aucune sécurité de ce coté là. Il n’y en a aucune dans la chambre. Les deux extrémités donnent la majorité voilà tout. Le jours où elles ne la donneront plus, il tombe. M. Molé a dit au duc de Noailles : "Si le ministère tombe par le fait de la Chambre, je suis prêt à le remplacer. Si le roi le renvoie dans l’intervalle des sessions. Je ne me charge pas de prendre le ministère et je l’ai dit au roi. "
J’ai été interrompue par M. de Valcourt. Il est midi. Je n’ai pas fait encore ma toilette. Adieu. Adieu. Adieu. Quel plaisir que des lettres! Quel bonheur que le mois de juin ! Adieu.
Voici la première fois que vous me dites que vous pouvez recevoir de lettres le Dimanche. J’en userai. Il me paraît de cette façon que nous nous écrirons à peu près tous les jours. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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343. Londres Lundi 16 avril 1840, 933
9 heures

Je vous ai quittée hier ayant encore je ne sais combien de choses à vous dire. Pourquoi vous quitter jamais ? Mais voilà qui est convenu. Nous nous écrirons tous les jours, sauf le dimanche.
Seulement, je vais chercher un troisieme conmissionnaire pour ne pas écraser les deux premiers. Nous pourrions, je crois, nous écrire une fois la semaine par la poste directement à notre adresse. Nous aurions soin de nous écrire discrétement ce jour-là. Vous m’écririez ainsi le vendredi et je recevrais votre lettre le dimanche, car je ne puis avoir le dimanche que les lettres à mon adresse directe. Je voudrais bien qu’il fût convenu aussi que lorsque
vous ou moi, nous désirerons quelque chose, l’un de l’autre, nous nous le dirons tout simplement sur le champ avec la ferme confiance qu’à moins d’impossibilité matérielle ou morale cela se fera, se fera avec joie, et que s’il y a vraiment impossibilité, nous la reconnaitrons tous les deux. Est-ce convenu ? Si vous étiez là, je vous dirais bien autre chose.
Vous avez raison. Le rapport du Duc de Broglie excellent. Je ne m’étonne pas que le duc de Noailles ne vous en ait pas beaucoup parlé. Il n’y a pas entre eux grande bienveillance. Le Duc de Broglie m’écrit : « Le rapport a eu succès dans la chambre. Elle était curieuse à regarder. C’était la première fois qu’elle se trouvait à pareille fête, c’était pour la première fois qu’une commission lui donnait son avis sur la question de savoir, s’il convenait de soutenir un ministère ou de le renverser. En m’écoutant, chacun en avait la chair de poule ; mais la chambre s’est sentie assemblée délibérante ; elle s’est comptée pour quelque chose. C’est le sentiment qui a prévalu en définitive, et qui a fini par faire explosion. J’ai reçu des félicitations des plus timides et des plus mécontents. Je crois avoir réussi, à tenir très haut et très ferme le drapeau de la coalition et celui de la conservation. Et ce n’était pas une petite affaire que d’entraîner toute une commission à professer nettement le gouvernement parlementaire dans toute sa rigueur. Quant au ministère, il n’est content qu’à demi ; les conditions du pacte sont si nettement posées, les paroles ont été recueillies et enregistrées, avec tant de solennité qu’il craint que cela ne le compromette avec la gauche. La est le mal pour ce qu’il a de mauvais et le bien pour ce qu’il a de bon. »
Il doit y avoir beaucoup de vrai dans cette impression. Si j’en juge par ses journaux la gauche elle-même ose à peine se plaindre du rapport et proteste bien timidement contre ce qui lui déplaît.
Mon dîner savant s’est très bien passé, Excellent et bien servi de l’avis général. 18 convives. Mon surtout est trouvé charmant. On n’en a employé hier que la moitié. J’ai prodigué les lumières. Ici, on ne sait pas éclairer. Décidément nous causons amicalement et avec plaisir, Lord Aberdeen et moi. Lord Jeffrey, grand juge en Ecosse, est un des hommes les plus spirituels que j’aie rencontrés ici.

4 heures
J’ai reçu ce matin de Thiers une dépêche qui m’a obligé à une longue réponse. Toute ma matinée a été prise. Ce n’est pas commode de traiter de loin des affaires où une parole dite à propos ou hors de propos peut donner ou ôter le succès.
Ma petite Pauline, à un rhume qui n’en finit pas ; des bouffées de fièvre dans la journée. Mon médecin me mande qu’il lui met un vésicatoire volant. Je crois qu’il a raison ; mais cela me tourmente. Ah, que la vie est elle-même une fièvre sans cesse rénaissante ! On s’en défend, en s’en guérit, on y retombe. Il n’y a de repos que dans l’éternité. Je suis trés actif encore, mais très fatigué.
Bourqueney ira vous revoir. Certainement il a l’esprit juste et fin. Il est à moi autant qu’il peut être à quelqu’un. Il est à moi par sa raison et par son goût. Mais ni la raison, ni le goût ne gouvernent toujours les hommes. Il faut se contenter de cette possession incomplète et précaire. Je m’en contente partout, excepté...
Tout le monde part pour la campagne. Lord Lansdowne et Lord Mahon seraient partis hier s’ils n’avaient dîné chez moi. Je profiterai de ces vacances pour courir un peu pour voir. Je n’ai encore rien vu Westminster, St Paul, la Tour, les Archives, les Collections. J’ai chez moi depuis avant-hier le neveu de Mad. Récamier, M. Lenormant qui vient passer à Londres ses vacances. Je verrai pour lui montrer. Les journaux Anglais de ce matin me donnent de petits extraits du duc de Noailles, et de Thiers à la Chambre des Pairs. Je suis impatient de lire le tout. Ce n’est pas sans importance pour moi.
Je dîne lundi, chez le lord Maire, à Mansion-house et le 2 mai à un grand dîner que la Royal Academy donne au Cabinet et au corps diplomatique le jour d’ouverture de l’Exposition des tableaux. On dit qu’il faudra un petit speech aux deux endroits. Si je parlais pour mon compte et en mon nom cela ne me déplairait pas. Je dirais quelque chose. Mais au nom du corps diplomatique, pour tous, cela m’ennuye et j’ennuierai.
Adieu. J’ai à écrire encore à ma mère. Souvenez-vous que vous avez me répondre sur votre santé et sur autre chose aussi. Parlez de moi, je vous prie à M. de Pablen. Je voudrais qu’il sût que je suis charmé de le savoir à Paris. Adieu, Adieu. G. 

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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344.Londres, Vendredi 17 avril 1840

Je ne vous ai rien dit en me levant. J’étais dans une disposition horriblement triste. Inquiet de ma petite Pauline, me reprochant d’avoir quitté mes enfants, en demandant pardon à leur mère à la mienne. J’ai passé la nuit avec ce cauchemar me reveillant sans cesse, ne me rendormant que pour retrouver mes enfants, ma mère, vous, vos enfants à vous, tout ce que j’aime ce que j’ai perdu, ce qui me reste tous malades, inquiet pour tous. Je suis sorti de mon lit fatigué, agité. Je n’ai rien fait. Je me suis mis tout de suite à ma toilette. Je l’ai fait traîner jusqu’à l’arrivée de la poste. Enfin, elle est mieux ; elle a bien dormi ; elle n’a pas eu de petit retour de fièvre. Ma mère est tranquille. Mon petit médecin veut que je le sois. Je le suis. Je suis plus content que tranquille. On a toujours tort d’être tranquille. Je vous le disais hier. Je le répèterais toujours. Quelle fièvre que la vie ! Je ne suis point d’un naturel agité. J’ai de la sérénité et de la force. Et pourtant
que d’agitations intérieures. Que d’inconséquences et de faiblesse ! Que de résolutions prises, pour être cent fois regrettées, déplorées, et qu’on reprendrait  également en pareille circonstance, malgré l’épreuve des regrets passés et la prévoyance des regrets futurs ! Trop heureux encore quand l’épreuve se borne à des craintes à des tourments, quand les regrets ne vont pas jusqu’à l’irréparable. Ah nous sommes de bien lègères créatures ! nos sentimens même les plus profonds, les plus puissants cèdent bien souvent à des considérations, à des intérets bien secondaires. Et puis nous nous étonnons, nous nous indignons des inquiétudes et des peines qui nous arrivent, comme si nous n’avions pas dû les prévoir, si nous n’avions pas pu les éviter! Enfin Dieu soit loué ; ma petite fille est mieux et je puis vous parler d’autre chose. Je ne l’aurais pas pu ce matin. Et je ne voulais pas vous parler de mon mal. Cette petite fille est vraiment bien délicate. Elle est née délicate. Elle a été malade, en naissant ; elle a eu dans les six premières semaines, une maladie qu’on appelle le muguet, des aphtes dans la bouche et la gorge. Elle avait les jambes très faibles, près de tourner. Elle a porté deux ou trois ans des petites bottines avec une mécanique. Les bains de mer, en 1835 lui ont merveilleusement fortifié les jambes et les reins. J’espère qu’on qu’on trouvera quelque régime qui fortifiera aussi le fond de sa santé. Certainement, je ne ferai pas venir ici mes enfants et ma mère contre l’avis des médécins. Je vais bien penser à cela écrire, m’informer. Si on ne me donne pas pleine sécurité, au lieu de les faire venir, je les enverrai au Val Richer où ils passeront l’été en bon air, en plein repos, dans leurs habitudes, et j’irai, les y retrouver vers la fin de septembre. Ne parlez de cela à personne. Mais, pour rien au monde, je n’ajouterai un risque de plus à tous ces horribles risques, de la vie humaine. Il n’y a point de privation que je ne préfère. Je suis charmé que décidément les Sutherland vous attendent chez eux. Cela vous épargne tout embarras. Je ne doute pas qu’ils n’aient moyen de vous mettre au rez-de-chaussée. La maison est si grande ! Quel degré de liberté aurons-nous là ? Comment arrangerons-nous nos heures ? Pensez-y d’avance pour que nous ne perdions pas un jour à le chercher.
Je trouve Thiers fort bon à la Chambre des Pairs, convenable et habile pour ici ; son langage ne me génera en rien et me servira. Pour l’Intérieur, il a été plus faible, plus vague, toujours dans sa position d’équilibriste. Il y est condanmé. Il y restera jusqu’à ce que quelque évênement, quelque crise le force à se brouiller avec la gauche ou le pousse à s’y plonger Quel sera son choix le jour de cette épreuve ? Je ne le prevois pas du tout. Il a en lui de quoi prendre le bon et le mauvais parti. Bien entouré, sontenu encouragé, gardé, il prendrait le bon. Livré à lui-même, il y a beaucoup de chance qu’il prenne le mauvais. Ce qu’il y a de bon autour de lui suffira-t-il à le garder, à le soutenir ? Je ne sais pas. C’est comme votre Empereur. Il faut quelque évènement, quelque grande necessité pour le faire
changer dans un bon sens. Il n’a pas en lui-même assez de force, et d’esprit pour se décider, pour s’éclairer seulement. Il se livre à son humeur, car ce n’est pas de la politique. Il n’a point de politique puisqu’il est modéré en fait et violent en paroles. Il ne changera que quand il plaira à Dieu. La conversation de M. de Pahlen n’y suffit pas. Je suis curieux de la lettre que vous me promettez. Elle a vraiment de l’esprit ; ne tardez pas à me l’envoyer, je vous prie. Les dépêches de M. de Brünnow doivent être longues. Il a l’esprit long. Je ne m’étonne pas que l’Empereur s’y plaise. Il (M. de Brünnow disait l’autre jour, à quelqu’un qu’il écrivait en ayant toujours devant lui le portrait de l’Empereur. Il écrit beaucoup, beaucoup ; assez pour que le Time parlât avant-hier de la singulière activité de la chancellerie Russe. M. Dedel va partir pour passer quelque temps en Hollande. J’en suis fâché. C’est celui qui me convient le mieux dans le corps diplomatique. Monde bien médiocre en soi et ici bien obscur. On compte sur le Prince Esterhazy pour les premiers jours de mai. Adieu. Je vous quitte pour aller au sermon Trinity Chapel, une petite église Anglicane où prêche, dit-on, un homme de talent. Après j’irai me promener un peu, seul. J’ai besoin de prendre l’air. Je ne suis pas sorti du tout hier soir. Je suis remonté dans ma chambre à 9 heures et demie, et j’étais dans mon lit à 4 heures. Mauvais lit.
Adieu. Adieu. A Stafford house le 3 juin !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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353. Londres, Mardi 28 avril 1840,

Une heure
Le 352 et le 353 sont arrivés ensemble ce matin. Le premier avait sans doute été mis à la poste trop tard. Je ne m’arrangerais pas des correspondances qui me causeraient un tel ennui. Avez-vous au moins écrit de bien belles choses ?
Moi, je ne vous écrirai rien de beau aujourd’hui. J’ai une dépêche à faire, et je vais à 6 heures dîner à Holland house, avec Lord Melbourne. En très petit comité cette fois, m’a-t-on promis. On commence à rentrer à Londres. Avant-hier
Lady Jersey, est venue m’avertir elle-même de son retour, et m’engager à aller la voir le soir. Je n’y suis pas allé. Je m’étais
arrangé pour aller à Holland house jouir de l’esprit de M. de Brünnnow.
Je ne sais si la mort de Lady Burlington fera revenir plutôt, la Duchesse de Sutherland. Ce sera un vrai chagrin, pour elle, et pour toute la famille. Etait-elle aimable ? J’irai m’écrire ce matin à Stafford house, chez Lord Carlisle et chez Lord Morpeth.

Je suis tout à fait de l’avis de lord Granville. Le speech at the royal academy très court, un simple remerciement. Mais je suis fâché qu’il soit d’avis de l’Anglais. Le Français me serait là, plus agréable. A la cité, on n’a vu que m’a bonne volonté. Là on verra surtout mon mauvais accent.
Vos deux conversations sur l’état des affaires à Paris m’arrivent de plusieurs côtés ; la seconde surtout. Evidemment les hommes senses sont fâchés et inquiets. Ils ont bien mal mené leur barque depuis quelque temps. Quand pourrons nous causer à notre aise ?  Il y a ici des gens qui ont peur d’avoir perdu le Prince de Capoue et qui le cherchent avec anxiété. Il est allé à Brighton avec sa femme, il y a quelques jours. Il y a laissé ses enfants. Puis on l’a vu toujours avec sa femme à Palmouth, à Phymouth, à Portsmouth. Puis on dit qu’on ne le voit plus nulle part. Je crois que s’il va quelque part, les gens chez qui il ira seront
bientôt aussi embarrassés de l’avoir reçu que ceux-ci le sont de l’avoir perdu.
L’Autriche me paraît bien préoccupée de l’affaire de Naples. 
de notre médiation que de l’affaire même. Elle a tort. Nous désirons autant qu’elle la paix de l’Italie. Mais si la paix nous présente quelque occasion d’influence, nous la saisissons. Au moins faut-il que notre sagesse soit quelquefois ; un peu récompensée.
Savez-vous quand revient le Duc de Devonshires ? Je donnerai mon second dîner, le dîner Whig le 16 mai, et je désire qu’il y soit. Ma liste est: Sutherland 2 - Devonshire-Palmerston 2 - L.Fanny Cowper - Clarendon 2 - Lansdowne 2 - Minto 2 - Holland 2 - Normanby 2 - Albermarle 2 -Lichfield 2 - Lord Melbourne-Morpeth, Leveson, M. Labour - M. Ellice- Prince Esterhazy s’il est ici. Est-ce bien ? Je n’ai point de devoir, quant aux Albermarle et aux Lichfield. C’est pour la part de la Cour. Vaudrait-il mieux Lord et Lady Carlisle ? Mais la mort de leur fille les empêchera. Et peut-être les Sutherland aussi. Faudrait-il retarder ? Combien de temps? Pourrais-je en ce cas donner le dîner Tory ? Hier et avant-hier, j’ai été me promener seul dans l’intérieur de Regents Park dont Lord Duncannon m’a envoyé les clefs. J’y ai été tristement. Je voyais courir sur ces belles pelouses mes enfants... qui n’y viendront pas. Il faut du reste bien prendre garde aux enfants qu’on mène là. Il y a tant d’eau, et pas le plus petit grillage autour. On a tort. On
devrait aux parents cette sécurité. On leur doit toutes les sécurites qu’on peut donner. C’est si peu? Adieu. Je vous quitte pour ma dépêche. Je ne suis pas sorti hier soir. Le temps est toujours admirable. Je suis fâché que vous n’ayez pas vu M. Andral. S’il revient arrangez mieux les heures. Adieu. Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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354. Londres, Mercredi 29 avril 1840
9 heures

Le petit comité de Holland house s’est transformé hier en 14 ou 15 personnes. Toujours au grand déplaisir de Lady Holland dit-elle ! Elle continue de me soigner comme un enfant favori. J’avais Lord Melbourne et Lord John Russell. Nous avons causé. La conversation est difficile avec Lord John ; elle est très courte. Je vois que M. de Metternich est extrêmement préoccupé de Naples de notre médiation autant que de ce qui a fait notre médiation. L’Angleterre et la France sont bien remuantes. Il n’y aura jamais de repos, en Europe tant qu’elles y seront. En sortant de Holland house, j’ai été un moment chez Lady Tankerville. Elle avait déjà vu Lady Palmerston arrivée à 5 heures. Leur intimité est grande. Elle croit au mariage de Lord Leveson et de lady Acton. En savez-vous quelque chose ?
La mort de Lady Burlington afflige bien du monde. On dit que la Duchesse de Sutherland est désolée. Voilà sa maison fermée pour quelque temps. Mais plus sa maison sera fermée, plus elle sera heureuse de vous y avoir. Dites-moi positivement ce que vous ferez, le jour. Je n’abandonne rien de ce qui est convenu. Je n’ai pu encore renvoyer à Clapham et à Norwood. Demain ou samedi, on ira. Mais répétez, répétez.

Une heure
Ce que vous a dit M. Molé me revient de bien des côtés. On me l’écrit. On me le fait écrire. Il faut laisser dire et écrire. Je suis étranger à toute rancune envers mon parti ; mais je ne me hazarderai pas légèrement. Ma position actuelle est bonne, bonne en elle-même, bonne pour tous les avenirs possibles. J’attendrai une nécessité criante, si elle doit venir. Et je tâcherai de faire, en attendant de la bonne politique, au profit du Cabinet, comme au mien.
Ne croyez pas à la guerre pour Naples, en dépit des fous ou du fou, s’il n’y en à qu’un. Je n’ai jamais vu tout le monde si loin de la guerre si effrayé d’en entendre parler. Elle n’est ni dans la nécessité des choses, ni dans le penchant des personnes. Elle ne reviendra pas encore Génie ira vous voir un de ces jours.
Tout ce que je vous dis la n’empêche  que je ne trouve la séance sur la réforme des éligibles bien mauvaise. Les mesures proposées, et les paroles dites sont peu de chose. Ce qui est grave, c’est la rupture de plus en plus profonde entre le Cabinet, et le parti qui a été, est et sera toujours, au fond, le parti de gouvernement.
Il n’y a pas en France deux partis de gouvernement. On peut bien faire osciller le pendule du pouvoir mais seulement dans de certaines limites. S’il penche tout à fait vers la gauche, la machine se détraque. Je regarde et j’attends non sans inquiétude.
Ce soleil est vraiment miraculeux. Je n’en jouis pas. Je ne vous redirai jamais assez que je ne sais jouir de rien seul. Quand je pense au soleil, quand je trouve l’air doux la verdure charmante, à l’instant mon désir d’en jouir avec vous devient si vif que la jouissance se change en souffrance. Regents Parh est joli ; mais le bois de Boulogne vaut mieux.
Ma mère n’a dû recevoir qu’aujourd’hui la lettre où je renonce à son voyage. Elle pouvait s’en douter ; mais elle ne m’en a pas encore dit un mot. Je suis heureux qu’elle le prenne bien. On m’écrit et elle m’écrit elle-même qu’elle est un peu fatiguée. Elle a marché jusqu’au Tuileries, et a trouvé que c’était trop. Elle ne marche qu’au Val Richer, en passant la journée dehors. Je l’ai engagée à y aller vers le 15 mai. Mes enfants prendront le lait d’ânesse jusques là. A la rigueur, ils pourraient le prendre au Val-Richer ; mais ce serait un peu difficile à arranger, et j’aime mieux qu’il n’y ait pas d’interruption.
On fait prendre des bains à Henriette. On me dit qu’elle avait un peu d’échauffement sur une joue. L’avez vous remarqué? Adieu. J’ai un rendez-vous à 2 heures pour voir un télégraphe par l’électricité. On dit que c’est merveilleux. Une nouvelle serait le tour du monde en deux minutes ; à la lettre le tour du monde. Adieu. Adieu. Comme en revenant de Chatenay.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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360. Paris, samedi le 2 mai 1840
9 heures

J’ai eu votre lettre après le départ de la mienne. Je suis toujours fâchée quand je ne puis pas répondre de suite. Cela abrège la distance lorsqu’on n’a que quatre jours entre soi. Savez-vous que le télégraphe électrique sort de ma famille. Ce gros M. de Shilling que vous avez vu chez moi en 35 (je ne sais si vous vous souvenez de lui). Il était l’inventeur, il y a quelques quinze ans de cela. Mais je crois que vous vous trompez sur la célérité, il fallait cinq ou 6 secondes entre Pétersbourg et Moscou. Midi Voici votre lettre. Ce que vous dites du melange d’affectation et de naturel dans les Anglaises est très juste. En général elles manquent de grâce, cela est sûr. Et puis elles cherchent à s’en donner; ce qui ne va jamais. Je suis fort aise du grand cordon. Je ne suis pas. tout à fait au dessus de ces petites vanités là. Il y a des choses qu’il faut avoir et puis alors c’est fini des petites vanités. J’ai pensé à votre dîner hier beaucoup. Je penserai à celui d’aujourd’hui.
Le duc de Noailles est venu causer pendant longtemps hier matin, Berryer trouve la chambre très occuppée, très animée, non pas sur quelque chose de spécial, mais enfin une disposition à faire ou à voir faire quelque chose. La séance sur les éligibles a classé les partis, cela a plu, et cela a donné le goût d’arriver à quelque chose de plus clair encore. Berryer croit que la Commission fera éclore cela, et que la discussion se développera plus encore. Enfin il voit ressortir une dissolution de la Chambre par le fait de la Chambre elle-même , et non pas par le ministère ce qui mettra la cour dans l’impossibilité de la refuser. Car si même les pairs rejetaient une loi d’incompatibilité, cela ne rendrait pas de nouvelles élections moins nécessaires, les députés fonctionnaires ne pouvant pas rester sous le coup de précautions. La session ne finira donc pas sans quelque chose d’éclatant. Voilà l’opinion de Berryer. Je n’ai vu hier personne à peu près, la fête absordant tout le monde.
Le soir M. Jaubert est venu pour rencontrer Ellice, mais celui-ci a tardé et jamais ils ne feront connaissance. J’ai lu à Jaubert le passage de la lettre de Lord Aberdeen où il parle de vous. Cela a semblé lui faire un grand plaisir. Nous avons causé assez familièrement ensemble. Il me plait. Il me parait être fort content de Thiers, et de la situation en général. Pahlen est entré, je les ai introduced to each other, mais mon ambassadeur a reçu cela bien froidement, trop froidement. Ellice plus tard, rabâchant sur la Chine.
2 heures
Lady Pembroke est venu m’in terrompre avant ma toilette. me voici bien en retard. Je cherche vite si j’ai quelque chose à vous dire je ne trouve pas. Les fontaines sont admirables, Le soleil va toujours. La chaleur aussi, c’est même ennuyeux.
M. Andral m’a écrit pour me dire qu’il ne pouvait pas venir me voir, parcequ’il est trop occupé. Le Duc de Noailles prétend qu’il n’y a que moi à qui pareille avanie arrive. Sur cela j’ai envoyé cherche Chermeside. Ne pouvant avoir le meilleur, je reviens au plus mauvais médecin, mais c’est que je me souviens que de son temps j’allais mieux, peut être fera-t-il encore ce miracle. Je n’ai pas vu Lady Granville à la façon Anglaise elle ferme sa porte à tout le monde mêne moi puisqu’il y a eu un mort dans la famille. Elle peut le faire elle est entourée. Adieu, adieu. J’aurai une lettre demain, et puis lundi ; mais je ne saurai le dîner de l’Académie que mercredi ; c’est bien long. Adieu mille fois. Le Duc de Noailles trouve que votre position à Londres est superbe et qu’elle vous prépare à tout.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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359. Paris, vendredi 1 mai 1840

Je n’ai vu personne hier matin, J’ai fait ma promenade habituelle. J’ai dîné chez mad. de Boigne le chancelier, M. Molé. Mes. de Pahlen, d’Appony, les Durazzo Mad. de Castelane, M. et Mad. Girardin. (Il me semble que lui est bête), je vous dirai de ce dîner ce que je vous ai dit d’une soirée chez Mad. de Boigne. On n’est pas poli pour les étrangers. Les Français s’escriment entre eux ; hier ce n’était pas les jésuites ou les jansénistes C’était des tours d’esprit sur des romans, des pièces de théâtre. Les Ambassadeurs n’ont pas ouvert la bouche, moi pas non plus, et moi d’autant plus que j’avais commencé par dire que je n’allez jamais au spectacle, et que je ne lisais jamais de romans, ce quei réhaussait la politesse de passer tout un dîner sur ce sujet là. Vraiment cela n’est pas des égards, et mes deux collègues et moi /vous voyez que je persiste à me compter dans la diplomatie/ nous en avons très spontanément et simultanément fait l’observation après le diner.
Une fois j’ai essayé de causer avec mon voisin le Chancelier cela a été court mais étrange. " Je regarde le ministère comme très établi." Il me répond : " Jusqu’à la fin de la session." - Cela veut dire jusqu’au commencement de l’autre ? - Non car le Roi a renvoyé M. Thiers, une fois en été. - Mais il me semble difficile qu’il puisse y songer une seconde fois ? - Et pourquoi pas ? Nous verrons." Voilà. Faites-vos commentaires. J’ai été passer une heure chez La Duchesse de Poix, les Belgioioso dont je suis éprise, vraiment C’est ravissant de les entendre chanter. M. Molé était le aussi en grandre chuchoterie avec tous les ultas du Faubourg. Lord William Russell me mande que la santé du Roi de Prusse donne de l’enquiétude. Il est faible sans appétit et l’entourage montre des alarmes.
Lord Aberdeen m’écrit une fort longue lettre. Voici sur vous. " You may be assured that the French minister could not have met with a greater piece of good fortune, than to have M. Guizot here as Ambassador at this time. If is not the talent and reputation of M. Guizot that ensures his influence and succes in this country ; but the respect wich is duc to his character. trusting to your having favorably predisposed him, l have made a greater exertion to obtain his acquaintance than is usual with me, and I have been will repair by all. I have been able to observe, although an Ambassador, the features of his character wich are most impressed upon me are honesty and rectitude."
Savez-vous que tout cela est beaucoup pour Lord Aberdeen. Je voudrais bien que vous fissiez la connaissance de Lord Grey demandez quand on trouve sa femme ; ils réçoivent quelque fois le soir. Ils seraient bien sensibles à une avance, et vous ne dérogez pas en faisant une avance à une femme.
Je viens de lire les journaux, voilà votre médiation acceptée par le Roi de Naples. J’en suis bien aise il est 10 heures. Je m’en vais porter moi-même ceci à la poste, car les bureaux se ferment avant midi. Adieu monsieur. J’espère une lettre ce matin. J’attends M. Andral. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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363. Paris, Lundi 4 mai 1840,
10 heures

Je viens de vous écrire par Ellice. Vous avez cette lettre là quelques heures après la présente. Les Appony m’ont fait une longue visite hier et puis le prince Paul, et puis Ellice que j’ai mené au bois de Boulogne pour causer. Malgré les assurances d’Appony que Naples restera tranquille on commence à craindre des soulèvements. Quelle énorme complication, si cela arrivait. On dit que vous venez de découvrir un complot trâmé à Bourges. pour empoisonner la petite reine d’Espagne et sa soeur. Quelle horreur ! Le prince Paul croit fermement que la proposition Rémilly sera discutée dans cette session même. L’autre jour chez Mad. de la Redorte où je faisais visite, M. de la Redorte disait non, et M. Piscatory soutenait oui. Vous le saurez mieux. J’ai dîné seule ; après le dîner pluis allée faire ma cour aux Tuileries pour la fête du Roi, mais tout le monde était à Versailles. J’ai été chez Lady Granville que j’ai revue pour la première fois depuis la mort de lady Burlington. Granville est couché, il a la goutte, Ensuite je suis allée courir après les rossignols chez Mad. Locke. Vraiment ces Belgioioso, c’est charmant, et je vais partout où je puis les entendre. Au fond la passion de la musique me revient.
A propos la petite de Contades est fort éprise de l’un de ces rossignols, le plus gros. Elle est une petite personne un peu étrange. à onze heures j’étais dans mon lit, mais la chaleur m’ote le sommeil depuis quelques jours.

2 heures
Vraiment je suis bien fatiguée. Je vous écris, j’éris à mon fils, j’ai eu une longue séance avec votre petit ami. J’ai répondu à Alexandre ceci. " M. de Brünnow ne m’empichèra pas de faire ce qui me plait. Je ne reconnais ce droit à personne." Ma lettre adressée à Ashbrurnham house. Je vois que ceci figurerait mieux dans une lettre que vous porte Ellice. Mais elle est déjà fermée. Je viens de recevoir 357. Cela me servira jusqu’après demain. Si vous saviez l’horreur que j’ai du mardi ! J’ai envie de remplir toute cette page d’adieux. Vous seriez bien content de moi si vous saviez tout ce qui se passe en moi. Adieu. Adieu. Je viens de vous envoyer la lettre de Metternich par votre bureau. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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359. Londres, Mardi 5 mai 1840
9 heures

Lady Palmerston m’a parlé hier de votre voyage. Elle vous attendait pour le 15 juin. C’est sans doute ce que vous lui avez dit. Mais elle a de l’incertitude sur les dispositions des Sutherland. Elle craint qu’ils ne veuillent être seuls assez longtemps. Ils sont désolés. Le Duc n’a encore vu personne. De plus on lui a dit (à Lady Palmerston) que Lord Burlington devait revenir avec eux à Stafford house et y rester quelque temps. Tout cela me préoccupe beaucoup. Que ferez vous ! Quand viendrez-vous ? Où serez vous? On me dit qu’il y a un très bon et très agréable hôtel, à Blackheath, plus près que le Park-hôtel de Norwood. J’y enverrai M. Herbet, après-demain. Mais cela ne serait bon que pour quinze jours ou trois semaines, en attendant que Stafford-House, vous fût ouvert. Quand vous recommencerez à voir Lady Granville, vous saurez quelque chose de plus. Je suis dans une grande perplexité. Mon désir de vous voir, de vous avoir ici, est extrême, bien plus profond, bien plus de tous les instants que je ne saurais le dire. Et ma crainte que, venue ici, vous n’y soyez pas bien, pas assez commodément, pas assez agréablement, est grande aussi. Mon affection pour vous est pleine de sollicitude, et de complaisance. Je voudrais rendre l’air constamment doux sur votre tête, la terre parfaitement unie sous vos pieds. Je me sens près de m’attendrir en pensant à vous, comme à ma petite fille malade.
Je suis seul, très seul, et au fond très triste d’être seul ; personne ne sait à quel point ce que je supporte me pèse. Mais je pense comme Orosmane, et je ne veux pas que, pour venir ici, ou quand vous serez ici : Il en coûte un souper qui ne soit pas pour moi.
En attendant pensez bien, regardez bien, je vous prie, à l’état des affaires. Il m’inquiète et chaque jour davantage. Les éléments de la situation ont été mis sous vos yeux. En
apparence et en elles-mêmes, toutes les questions sur le tapis sont misérables. Mais elles couvrent la dissolution, à laquelle si rien ne change la pente on peut être fatalement poussé. Or la dissolution au milieu de ce qui se passe, sous l’influence de la gauche prépondérante. C’est un mal et un
danger que personne ne saurait mesurer. Rappelez-vous sous quels auspices le cabinet s’est formé dans ses rapports avec moi : "Point de réforme, point de dissolution." Ce sont les paroles qu’ils m’ont écrites et dont j’ai pris acte. On m’écrit beaucoup, dans des sens fort contraires. Mais ce qu’on m’écrit m’importe assez peu, ce sont les faits qui me frappent. On ne me précipitera pas dans la réforme et la dissolution, je le sais très bien. Je ne veux pas qu’on my fasse glisser. Je ne veux pas me tromper sur le moment de reprendre le gouvernement de mon parti. Je ne veux pas non plus le laisser échapper. Mon honneur y est engagé comme le bien de mon pays. Encore une fois regardez bien à tout. Faites venir Génie. Causez à fond avec lui. Il est fort au courant et plein de sens. Pour les choses même pour moi, pour tout, ce qui vaut le mieux ce que je désire c’est que mon séjour ici se prolonge, se développe. J’y grandis pendant que mon avenir se prépare ailleurs. Je tiendrai donc ici jusqu’à la dernière extrémité. Mais il ne faut pas dépasser la dernière extremité. 

4 heures
Vous êtes aussi dans l’incertitude. Vous me promettez positivement le 15 juin, et probablement plutôt. J’attendrai désormais toutes les lettres avec un redoublement d’impatience. J’ai été hier chez Lord Grey, pour lui et pour Lady Grey. Je sais déjà qu’il en a été charmé. Il le désirait beaucoup. Il passe chez lui presque toutes les matinées à compter les gens qui viennent et ceux qui ne viennent pas. Je ne l’ai pourtant pas rencontré. Il est venu chez moi ce matin. J’étais sorti un moment pour mener M. Lenormant voir les tableaux de Sir Robert Peel. Je dîne Jeudi à Holland house, samedi chez Peel, le 16 chez Sir Gore Ouseley, le 17 chez lord Minto. Qu’est-ce que Sir George et Lady Philips qui m’invitent à dîner pour le 14 ?
J’ai bien envie de refuser. Hier soir un bon concert chez Mad. Montofiore, les Juifs. Ce soir, un bal chez la Comtesse de Falmouth. Lady Jersey me presse d’y aller. Lady Jersey
m’accaparerait volontiers. Elle est exigeante. Elle me fait la mine quand je ne vais pas chez elle assez souvent. Mais j’ai un grand courage contre les indifferents. 
Adieu. J’ai une dépêche à écrire. Si je ne me trompe le médiation marchera à travers ses embarras. Les affaires qui commencent ne peuvent pas être finies. Les hommes sont paresseux et pressés. Ils veulent être arrivés et ne pas prendre la peine de marcher. Adieu. Adieu. Promenez-vous beaucoup. Je crois que le temps va changer ici. Je suis à Londres depuis plus de deux mois. Je n’ai encore vu pleuvoir que deux fois tout le monde dit que c’est inouï. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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365. Paris, Mercredi le 6 mai 1840
10 heures

Dieu merci le mardi est passé. Je le déteste. J’ai eu hier une longue visite de Montrond. Toujours la même chanson, l’amour du Roi pour M. Thiers. Il ne lasse pas, quoique de mon côté je ne me lasse pas non plus de lui dire que je n’en crois pas un mot. J’ai été au bois de Boulogne, mais le froid m’a saisi je suis revenue. J’ai été faire ma cour à Madame. Elle m’a reçue. Le roi y est venu. Il a beaucoup parlé, avec beaucoup d’esprit comme de coutume. Il a parlé de toutes choses, mais il n’a pas promoncé un nom propre. Je lui ai fait compliment sur sa prodigieuse fécondité dans ses réponses le 1er de mai. J’ai pris la liberte d’applaudir à ce qu’il a dit, et à ce qu’il n’a pas dit. Il a paru très sensible à cette dernièrs observation.
"J’ai eu ma satisfaction sur messieurs les députés, je suis charmé que vous l’ayiez remarqué.’ En parlant de toutes choses le seul individu désigné, quoique pas nommé a éte M. Molé. " Ces messieurs après avoir mis tout en œuvre pour tuer la loi de dotation, afin de tuer mon ministère arrivent deux heures après me faire visite et se confondre en regrets de ce qui venait d’arriver." !!
Il s’est dit content pour le moment. Je n’ai vu percer aucune amertume marquée, je n’ai point remarqué en lui l’énorme changement que signalent les diplomates. Il était in spririts, parfois très drôle, content de l’affaire de Naples, très décidé pour la paix de tous côtés, parlant très bien sur l’affaire de l’Orient, relevant avec satisfaction le beau Débat à la Chambre des Pairs, du raisonnement sur la direction des esprits en France. Voilà à peu près comme la demi-heure a été remplie.
J’ai fait une courte visite à Lady Granville. Son mari est souffrant et couché. J’ai dîné seule. Le soir j’ai vu Appony, Brignoles, mon ambassadeur, Médem, Escham, Carreira, l’internonce, le duc de Noailles. Celui-ci raconte qu’il y a beaucoup d’intrigues ou du moins beaucoup de bavardages ; on fait de nouveaux ministères dont vous êtes, on clabaude. M. de Lamartine a des conciliabules chez lui. C’est le plus animé, et le moins compatible. M. Molé sent que lui, Molé, est hors de question mais il souffle pour qu’on renversa. Le parti conservateur est très raffermi. Le journal des Débats lui donne courage. Le journal des Débats ne serait pas si hostile au ministère, s’il n’avait de bonnes raisons de croire à sa chute prochaine. Voilà le rapport de M. de Noailles, qui finit toujours par "vive Thiers", car il a beaucoup de goût pour lui.
Appony venait de chez le roi. Il était de belle humeur. Le Roi va donner à dîner au corps diplomatique trois diners de suite. Mad. la duchesse d’Orléans tousse beaucoup ; elle est encore au lit. On prend beaucoup de précautions autour du roi qui n’a jamais eu la rougeole. Elle est très générale ici. J’attends votre lettre.

2 heures.
Je l’ai reçue pendant, ma toilette. Le dernier mot de votre speech à l’Académie est charmant. Je vous remercie de me l’avoir envoyé. Au fond vous avez raison d’avoir parlé avec un peu d’étendue surement on eut été désapointé du contraire. Le roi m’a fait des questions sur l’Angleterre, des questions générales sur la disposition des partis. J’ai écrit ce matin à Lady Palmerston, mais ma lettre ne partira que dans deux jours. Adieu. Adieu. Vous ne savez pas combien je pense à vous toujours. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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367. Paris, le 8 mai 1840,
à Midi

Je suis dans les plus grandes angoisses. M. de Brünnow m’écrit un mot pour me dire que mon fils a eu un grand accident qu’il est hors de danger. qu’on m’écrira encore pour me donner des détails de sa convalescence. Mais je ne crois à rien qui me rassure. Je ne pense qu’au grand accident. Vous m’avez écrit, d’autres m’écriront j’espère. Je demande à Dieu s’il veut m’accabler encore ? Je me jette à genoux, je pleure. J’attends ; je veux partir ; je ne sais que faire. Vous m’aurez écrit, vous m’écrivez vous me direz tout. 1 heure. Votre lettre n’arrive pas. Pourquoi ?Je ne puis vous parler que de mon fils. Le seul qui me reste ? Prenez je vous en conjure le informations les plus minutieuses. vous me direz tout.

1 heure.
Votre lettre n’arrive pas. Pourquoi ?Je ne puis vous parler que de mon fils. Le seul qui me reste ? Prenez je vous en conjure les informations les plus minutieuses. M. Beakenson 9 Argyll Street. M. Gale 2 Berkeley Square. Ashburnham-house enfin. Sachez bien la vérité. Dites la moi. Si la convalescence n’est pas rapide, immédiate, je pars ; mais pour cela il faut que je connaisse au juste l’état où il se trouve. s’il se remettait rapidement je sais qu’il préfèrerait venir passer quelques semaines auprès de moi à Paris. Enfin vous me direz le vrai. Les autres me diraient peut être ce qui leur convient.
Voici votre lettre, Dieu merci elle me rassure un peu. Mais je ne reprends rien de ce que je viens de vous dire. Sachez tout le détail que je vous demande. Je vous en supplie. Ce qui vaudrait mieux encore c’est le chirurgien Brodie qui le soigne je crois. Je veux savoir exactement quand il sera en état de se remettre en mouvement. Si c’est long ; je vais de suite à Londres. Votre lettre me remet un peu les nerfs. Il me semble que je ne respirais pas depuis la lettre de Brünnow. Je crois ce que vous me dites, et je suis plus tranquille. Demain vous m’en parlerez encore et tous les jours n’est-ce pas ?
Ce pauvre lord William Russell ! Je l’ai beaucoup conu. Lady Granville dit qu’il n’y a aucune nécessité d’accepter le dîner de Sir G. Philips. C’est de petites gens, sans importance et rien que de l’ennui, vous en avez assez. J’ai été faire visite hier à Mad. de Boigne, j’y ai vu M. Molé. Mais on est bien boutoné dans le salon de Mad. de Boigne. Cependant, on chuchote. Beaucoup de gens croient à la dissolution et tous trouvent la situation critique et grave.
Adieu Monsieur, Je vous conjure de me dire sur mon fils tout ce que vous apprendrez. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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369. Paris, dimanche le 10 mai 1840
10 heures

Je suis comme hier, comme tous les jours, passés et futurs, j’attends votre lettre. Je suis moins inquiète mais j’ai toujours de l’anxiété pour mon fils, et je ne compte que sur vous.
Je me suis promenée seule, je n’ai vu le matin que le duc de Noailles, il avait eu un long entretien avec M. de Montalivet. M. de Montalivet veut que la proposition Remilly soit discutée, parce que repoussée ou adoptée, elle nécessitera une dissolution Et que le Roi ne la laissera jamais faire à Thiers. C’est donc le moyen le plus sûr, et le seul de se défaire de lui. Le duc de Noailles, a représenté le danger, il a dit tout ce qu’il est raisonnable de dire et de penser, il a fait quelque effet mais il croit le projet très arrêté dans certaines têtes. M. Molé qui est venu hier soir, n’a par l’air aussi sur que la discussion s’engage. Il croit que le ministre, parviendra à faire trainer le rapport ou à ajourner la discussion. J’ai eu de plus que lui, Appony et M. de Pahlen, quelques femmes. Je suis triste, malade J’avais tout le jour hier une migraine à pleurer. Je ne me suis endormie qu’à 3 heures du matin. J’ai été très ébranlée par cette nouvelle avant-hier Le temps est au froid. J’en suis bien aise, cela me va mieux.

Midi
Je viens de faire une vilaine chute dans ma chambre, en m’appuyant conte le dossier d’une chaise. le dossier est parti. je suis tombée rudemen à la renverse. Je viens d’envoyer chercher un chirurgien. Votre lettre m’arrive, Dieu merci vous me rassurez tout-à-fait sur mon fils. Ne croyez jamais que j’aille voir Melle Dejazet. Je n’aime pas le mauvais goût, vous avez bien fait de ne pas croire. Jamais. Jamais. Ellice pensait mal du ministère ici. Adieu ma tête me fait mal, adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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373. Paris, le 17 mai 1840,
10 heures

J’ai vu Appony hier matin. Plus tard lord Granville. Le soir mon Ambassadeur et le duc de Noailles. Je tiens ma portie fermée encore à tous les autres ; je suis faible et souffrante. On ne parle que des cendres de Napoléon ! Les ambassadeurs n’admettent pas qu’il soit possible de permettre à sa famille d’assister aux obsèques. L’Europe réunit lui a interdit l’entrée du sol français. D’ailleurs il faudrait un décret de le chambre pour le permettre. Je trouve également difficile de l’accorder et de défendre. Ce qui est bien sûr c’est que Vous vous êtes créé là de très grands embarras pour l’avenir. Les étrangers ajoutent : " les dangers sont pour la France, qu’elle s’en tire. Granville parle comme cela aussi. Il me parait fort content de la manière dont lord Palmerston a accueilli tout ceci. En effet, il y a une une très bonne grâce. On pense généralement que la réhabilitation du Maréchal Ney sera une conséquence inévitable. Appony se prononce avec force contre cela. Le duc de Noailles dit que ce serait grave, en ce que cela casserait l’arrêt de l’un des grands corps de l’état. Je vous envoie le partage. L’affaire Rémilly est noyée pour le moment. J’ai enfin assez bien dormi cette nuit; la lettre de mon fils m’avait calmée, mais après une gande excitation le calme amène la fatigue, ce s’est qu’alors qu’on sent tout le mal qu’on s’est fait ! Il y a des gens qui disent que ces trois jours m’ont fait maigrir beaucoup, et je le crois. Vous recevez aujourd’hui la lettre dans laquelle je m’annonce et demain celle qui la détruit. Je pense à votre plaisir, et puis à votre désappointement. Je pense à tout, à tout ce qui vous passe par le cœur. Mais vous trouverez que j’ai raison, que mon inquiétude devait me faire aller ; que les nouvelles d’hier doivent me faire soumettre mes mouvements à la volonté de mon fils. Je ne veux contrarier en rien ses projets. Je sais qu’il déteste le séjour de Londres, et dès qu’il me dira ce qu’il faut faire, je me déciderai. Je reste prête à partir sur l’heure. Midi. Voici votre lettre. Elle confirme tout ce que vous me disiez hier sur mon fils, demain j’aurai de ses nouvelles plus directes et peut- être même sa décision sur mes mouvenents, car dès lundi je lui avais écrit sur ce sujet. Samedi je n’aurai rien de vous car vous m’aurez écrit à Boulogne. Je suis fatiguée, abimée, encore. un peu inquiète et l’incertitude sur ce que je vais faire dans peu de jours me tournente aussi. Voilà comme on passe sa vie ! C’est à peine vivre. Adieu, adieu. Je vois que Londres vous plait, cque vous vous y amusez. Au fond je ne vous croyais pas si susceptible d’être amusé. Mais c’est une disposition heureuse. Ah mon Dieu que je me tirais vite moi de ces bals de cour, et quand je ne pouvais pas m’en tirer, que je supportais impatiemment cette gêne ! Quelle mine désagréable je faisais au roi. Il y a bien des points sur lesquels nous ne nous ressemblons pas, mais vous avez raison. Et moi, j’ai tort. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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372. Paris le 13 mai 1840

J’ai revu l’écriture de mon fils, j’en ai remercié Dieu du fond de mon âme. Je respire ; je me mets maintenant à sa disposition, je lui ai écrit aujourd’hui. Dans mon inquiétude je faisais ma volonté, et demain je partais. Dans sa convalescence je veux faire sa volonté à lui, afin de ne point contrarier le projet qu’il aurait de venir passer quelques temps encore à Paris. Il me dira donc, si sa convalescence devait durer, il veut se rendre de suite après à Baden, alors je me rends de suite à Londres. Si au contraire il veut et peut venir à Paris passer quelques semaines, Je l’attends. Vous saurez donc mon mouvement par d’autres que, par moi. Car cela va se décider entre Brodie et mon fils. Benkhausen sera instruit de cela aussi ; je lui avais écrit hier comme à vous que je partais demain. Je vous avoue que ce répit me soulage. Mon angoisse, mes tracasseries m’avaient donné la fièvre, je déraisonnais, tant j’étais agitée, il me semble que deux jours de vrai repos seulement me feront grand bien. Je vous conjure de m’écrire tous les jours, de ne pas vous fâcher des reproches que je vous ai faits. Songez un peu à tout ce qui traverse la tête quand on a le cœur vraiment inquiet. Voyez les contradictions entre vos lettres et celles des autres. Vous ne voyant pas mon fils, les autres le voyant. Enfin pardonnez-moi, et écrivez-moi je vous en supplie, sachez me dire tous les jours un mot de lui, mais un mot vrai. N’est-ce pas vous le ferez ? Si je partais demain, je vous verrais dans peu de jours ! Cette pensée un fait tressaillir. Mais enfin ce que je décide, ou plutôt ce que j’abandonne à la décision de mon fils me paraît raisonnable. N’est-ce pas ?
Le coup de théâtre a été frappant hier à la Chambre, mais j’ai cherché votre nom dans le discours de M. de Rémusat sans le rencontrer cela m’étonne ! Le fait a beaucoup d’éclat, en a-t-on bien pesé la portée ? Défendez-vous à la famille Bonaparte d’assister aux obsèques ? Ce serait une inique injustice. En le permettant, cela n’est pas sans danger. Cette cérémonie touchant peut-être dans le moment de nouvelles élections (car vous les aurez) n’est-elle pas un coup monté par la Gauche ? Enfin, enfin, tout est étrange.
Je viens de voir Génie. ce que j’ai lu est parfait mais ce qu’il m’a dit de la séance d’hier de la commission est bien mauvais. L’été ne se passera pas sans quelque événement qui doit influer sur votre destinée. C’est là ce qui me préoccupe beaucoup. Je n’ai vu personne ces deux derniers jours quoique tout le monde. soit annoncé. Je n’ai reçu que lady Granville tous les jours à 6 heures, et mon ambassadeur le soir à 10. Personne ne m’a vue du reste. J’étais dans un état abominable. Le petit mot de mon fils m’a fait un bien immense. Il me semble que je sois d’une grande maladie. J’étais en démence. A propos M. Molé était donc mieux enformé que vous quand il me disait il y a cinq semaines qu’on redemandait les restes de Napoléon ! Vous le niiez alors.
Adieu. Je suis pressée, parce que devant partir demain je me suis mis sur le corps une quantité d’embarras dont je ne puis pas sortir tout de suite. Adieu. Adieu. Adieu. Encore Adieu. N’essayez par de voir mon fils cela le troublerait mais faites encore parler Brodie, c’est infiniment plus sûr. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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377. Paris, lundi 18 mai 1840,
9 heures

Je ne sais ce que je ne donnerais pas pour ravoir ma lettre partie samedi. Je suis sûre que j’ai plus peur que le valet de chambre de lord William Russell lorsqu’il comparait devant le magistrat Je me dis mille fois, plus que vous ne pourrez me dire. je m’accuse de tout, de tout. C’est encore ma disposition de me regarder moi comme l’auteur de tous mes maux, je me fais à moi des sermons, des sermons. Les uns ne profitent pas, je manque aux autres. Livrez-moi à ma propre condannnation, ce serait vous venger assez. Mais je vous le demande à genoux, ne me dites pas une parole dure, pas une qui me laisse croire, ou deviner que vous m’aimez moins. Je vous demande pitié et clémence. Ah, quand nous reverrons-nous ? Tout alors sera bien ! Henriette et Guillaume sont venus me voir hier. Guillaume m’a montré son bonnet écossais et sa canne, il en est ravi. Henriette engraisse, trop selon moi mais enfin c’est de la santé ! On dit que vous aussi vous engraissez. Quand je serai heureuse, j’engraisserai pour le moment je ne puis pas m’en vanter.
J’ai fait tristement, le tour du bois de Boulogne, j’ai dîné tout aussi tristement seule. Le soir j’ai fait des visites, Mad. de Boigne, les Granville, Mad. de Brignoles. Chez Mad. de Boigne le chancelier, M. de Cases, M. Piscatory que je ne regarde plus si désagréablement. Le dire là est que Napoléon c’est peu de chose. Cela ne fera pas le moindre bruit, cela n’a pas la moindre emportance. Mad. de Boigne m’a dit en Anglais, qu’à son grand étonnement on en est ravi aux Tuileries. Si tout ce monde a raison il est bien clair que je radotte.
Granville est toujours couché Thiers y est venu et nous avons attendu seuls dans le premier salon. Il était excédé de fatigue, de mauvaise humeur ! Quand j’ai vu cela je n’ai pas été très aimable non plus. J’ai parlé Napoléon. Il m’a dit que cela se passerait grandement; magnifiquement et tranquillement. La famille ? Elle n’a rien à y faire et si un seul ose se montrer il serait jeté dans la prison. Il a été excessivement vif sur ce point. Il ne m’a pas parlé de vous pour la première fois, je crois.
A propos le Prince Paul de Wurtemberg était venu le matin tout gros des catastrophes qu’il prévoit. Il ne comprend pas la folie d’avoir été chercher de gaieté de cœur une occasion de trouble dans les esprits et de désordre sûrs dans les rues. Il en a parlé à Thiers en lui repré sentant tout cela avec des verres grossissants. Thiers a dit : " Je réponds de tout , mais il n’y a que moi qui le puisse. Sous tout autre ministère, cela pourrait faire une révolution." Si cela était vrai, il aurait donc fait un bail au moins de 6 mois. Et qui sait ? on dit déjà que les obsèques ne se feront qu’en avril prochain. le Prince Paul ajoute : " Thiers se croit le Cardinal de Richelieu, rien n’égale sa confiance, et son audace." Je vous redis tout.
Chez les Brignoles, j’ai rencontré toute la Diplomatie et la société élégante. M. de Pahlen a envoyé un courrier hier matin, ce courrier touvera l’Empereur et mon frère à Varsovie ; c’est à ce dernier que le courriier est adressé. Mon ambassadeur a rendu compte entre autre d’un incident du dîner qu’il a fait à la cour, où les Princes de Cobourg, père et fils ont pris le pas sur lui. Comme Appony y était aussi, et qu’il est le doyen, et qu’il a souffert cela sans souffler, il n’appartenait pas au plus jeune de faire une scène, mais il rend compte et demande des directions. S’il m’avait consultée, j’aurais protesté ici tout de suite après ce dîner, car cela est hors de toutes les règles.
Voici une lettre de mon fils, très bonne, très sassurante, et une longue lettre d’Ellice très intéressante qui me fait voir un peu dans la entrailles de toutes les intrigues Anglaises. Il me semble que les embarras ministériels ne sont pas tous surmontés. Qu’est- ce que veut dire Ellice en affirmant que l’Autriche pousse aux mesures coercitives contre le Pache, et qu’il est pour se vanger de la médiation de la France dans l’affaire de Naples ! Est-ce vrai ?

Midi. Voici votre lettre de Samedi qui me fait enore plus rougir de ma lettre de samedi. Je vous remercie de vous être ennuyé à un bal où je croyais que vous vous étiez amusé, et je suis prête à me battre de l’avoir cru ; & plus encore de vous l’avoir écrit. Traitez-moi comme un enfant, mais un enfant qu’on aime. Oui je vous en prie, qu’on aime.
Le portrait de Pauline ne vous trompe pas elle a bien bon visage et elle est jolie, très jolie. Je vous dis qu’elle sera bien belle. Je comprends fort bien le très grands embarras pour les très petites affaires, et votre votre affaire à Ste Hélène en est. D’abord le cérémonial entre des gens qui ne reconnaissent que le général, et ceux qui reconnaissent plus que le Souverain légitime (car M. de Rémusat l’a classé comme cela), car St Denis est trop peu pour lui, le cérémonial sera fort difficile à établir. Je suis bien aise que Lady Palmerston vous plaise et vous soit utile. C’est une personne qui applique toujours son esprit à rendre tout simple et facile. C’est une charmante qualité. J’aime aussi que vous aimiez Ellice. En général, il me semblerait étonnant que vous n’aimassiez par les gens que j’aime.
1 heure
Je viens de faire un tour aux Tuileries, je perds l’habitude de marcher et je me fatigue tout de suite. Je reviens à vous comme avant, comme toujours, avec répentir et tendresse, et celle-ci si vive, si vive. Adieu. Adieu. Je vous remercie de ce que vous me dites de mon fils. Il me trompe un peu je crois sur l’époque de son départ. Il ne faut pas qu’il se hâte ; maintenant que j’ai le cœur tranquille sur son compte ; je l’aurai attendu. Adieu. Adieu. On dispute sur le lieu de la sépulture. Pasquier veut le Panthéon. Beaucoup vont pour la Madeleine. Molé pour St Denis.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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380. Paris jeudi le 21 mai 1840

J’ai eu hier matin une longue visite d’Appony. Il a eu enfin une longue conférence avec Thiers, il parait qu’ils se sont dit beaucoup de choses obligeantes, et plus encore de choses aigres. Ainsi sur la question d’Ancône.
"- Si j’avais été ministre jamais la France n’aurait rendu Ancône.
- En ce cas vous aurez eu la guerre.
- La guerre ? Vous n’auriez pas où la faire.
- Comme nous ne voulons pas nous brouiller, finissons cet entretien."
Voilà un spécimen de la désobligeance. Voici pour les politesses. " Le prince Metternich est certainement le premier homme d’état en Europe. Il n’a surement pas pas besoin de mon suffrage, mais enfin je reconnais tout son mérite."
Le Roi a parlé à Appony de la translation des restes comme d’un acte de son invention. "Tôt ou tard, cela aurait été arrachée par les pétitions. J’ai mieux aimé octroyer. Il n’y a pas de danger ; la famille est sans importance. Le discours de M. de Rémusat n’a pas le sens commun je lui ai demandé ce que voulait dire sa dernière phrase, la comparaison de la gloire avec la liberté. Il m’a répondu qu’au fond il n’en savait rien, mais que cela avait fait un bel effet."
Croyez ou ne croyez pas, comme il vous plaira. Appony n’a pas inventé. Le temps est au froid. Pas de promenade au bois. J’ai dîné chez mon ambassadeur. plus de 30 personnes, toute la société blanche. Le soir il est venu chez moi, cela a été court, car je n’étais sortie de chez lui qu’après 10 heures.
J’attends ma lettre ce matin sans palpitation, avec impatience, avec joie, car elle sera bonne, elles seront toujours bonnes, n’est-ce pas ?
J’ai un chagrin de ménage. depuis l’assassinat de lord William Russell je n’ai plus foules qu’Eu génie reçût son mari chez moi. Le mari s’est fâché et me reprend sa femme, et je l’aimais beaucoup, car elle est jolie et alerte, & intelligente. Je cherche ; je veux de l’esprit, une jolie figure et pas de mari.
M. de Noailles, qui était hier mon voisin à dîner me dit que M. de Lamartine veut parler, contre la proposition du retour de Napoléon et qu’il s’arrange avec M. Garnier Pagès qui parlerait contre aussi dans ce cas, Berryer s’en mêle. Mais il est vraisemblable qu’on fera comme pour la loi de dotation en sens inverse. Vote silencieux. Logiquement et légalement on soutient que la loi contre la famille doit être reportée du moment qu’on réhabilite le chef. Quitte à faire une nouvelle loi qui les exile pour leurs méfaits. Ce qui est sûr c’est qu’on n’évitera pas du parlage sur ce point. midi Voici votre lettre bonne tendre, mais puisque vous avez continué le sujet, moi aussi je me force de revenir pour me défendre. Encore une fois voici vos paroles.
Mercredi 6 mai. " Alexandre a eu hier un accident, rien de grave & & dans deux ou trois jours il n’y paraîtra plus. "Vendredi 8 Mai. " Alexandre continue à aller mieux, c’est-à-dire qu’il va bien Samedi 9 mai. Alexandre va très bien. Je suppose qu’il ne tardera pas à partir." Voilà les nouvelles reçues de vous aux deux premières, croyance implicite. A la troisième, étonnement car Cumming disait ce que je vous ai mandé, et le silence total d’Alexandre confirmait plutôt Cumming que vous. Vous voyez bien que jusqu’à lundi 11 où je reçois votre lettre de Samedi à celle de Cumming, il n’y avait pas de quoi songer à partir je dis songer raisonnablement, car j’y avais bien songé dès la première minute et vous retrouverez surement cela dans ma première lettre après avoir appris l’accident. Et là c’était pour vous que j’allais, avec l’accident pour prétexte. Il n’y avait que votre phrase "dans deux ou trois jours il n’y paraîtra plus" qui me tenait perplexe, car je pouvais me croiser avec lui en route et le manquer. Lundi donc en recevant les deux lettres contradictoires, j’ai cru Cumming. Mon angoisse est devenue horrible, j’ai fait à la hâte mes préparatifs de voyage. J’y allais en dépit de vous, oui en dépit de vous ; et regardez-y bien, j’ai raison de dire cela. "Je suppose qu’il ne tardera pas à partir " était m’engager indirectement à rester. Vous ignoriez l’état où était mon fils et j’étais blessée de cette négligence ; ou le sachant, vous vouliez m’empêcher d’arriver en me disant "il ne tardera pas a partir". Et voici ce que j’ai cru : tout ces embarras diplomatiques vous ont amené à penser qu’en effet il serait plus commode pour vous que je ne vinsse pas. Je ne doutais pas de votre droit mais je pouvais croire à un excès de prudence, et c’est ainsi que j’avais fini par traduire votre phrase ; vous en retrouvez des traces dans la question que je crois vous avoir adressée il y a deux ou trois jours. Si je me suis expliquée clairement, il est impossible que vous ne me donniez pas raison et j’ai trouvé confirmation de mes conjectures dans l’absence totale de plaisir ou de regret lorsque vous avez su que je venais & puis que je ne venais plus. Je courrais donc vers mon fils, vers mon seul enfant, mon fils en danger ! Je songeais bien, je songeais beaucoup au bonheur de me retrouver auprès de vous, mais votre réserve, votre manière détournée de m’empêcher de venir me glaçait un peu. Dites ? Y a-t-il tant d’injustice à avoir cru entrevoir cela ? Je vous ai tout dit. Si cela n’est pas clair c’est que je n’ai pas su le rendre tel, mais j’ai compris comme cela, absolument comme cela. Voilà donc partie du 11 et tout le 12 employés à des préparatifs fatigants, odieux, car vous ne savez pas tout ce que j’avais à faire. Trouver un courrier pas un de mes gens ne pouvait aller avec moi, ils ne savent pas un mot d’Anglais ! Trouver quelqu’un pour m’accompagner dans ma voiture. Arranger ce que je laisse, ce que j’emporte. Pas un petit détail, pas un embarras m’a été épargné par personne. Je tombais de lassitude, je tremblais pour mon fils, j’avais la fièvre, ah quelles horribles journées ! Enfin mercredi 13, je reçois la première lettre de mon fils et une excellente, détaillée de Burkhausen, qui me rassurent complètement. C’est en devenant tranquille que j’ai reconnu toute ma faiblesse. L’inquiétude me soutenais. le calme de cœur m’a enlevé toutes mes forces factices et dans cet état j’aspirais à un peu de repos. J’ai remis mon départ de 4 jours, pour avoir les réponses d’Alexandre. Je subordonnais mes mouvements à ses volontés. C’était parfaitement naturel, parfaitement juste. Avant même sa réponse à ma demande, il m’a supplié de ne pas venir, de l’attendre, parce qu’il ne tarderait pas à partir. Et hier il me mande qu’il sera certainement ici le 26, pour y passer quinze jours Auprès de moi. Eh bien, dites-moi ; ai-je eu tort ? Aussi tort que vous le dites ? Vous m’expliquez votre réserve, c’est un peu trop subtil. Vous êtes trop fier avec moi ; ce qu’il faut être, c’est franc, toujours franc. Je comprends un peu votre réserve. Et bien moi, comprenez-moi, aussi. Lorsque j’ai tremblé pour mon fils je n’osais presque pas m’avouer qu’à côté de mes angoisses il y avait un plaisir, que j’allais vous revoir ! C’était dans le fond de mon cœur, mais caché ; je réprimais la joie. Elle me semblait un péché, un péché dont Dieu allait me punir. Il me semblait que dans ce moment je ne devais être que mère, n’avoir qu’une pensée, un vœux. Vous le savez bien, il y a des contradictions dans le cœur... ce n’est pas exactement ce que je veux dire. Je crois, et cela vous ne le savez pas, que j’ai l’esprit faible ; quand un malheur m’atteint ou me menace, il me semble que j’ai à expier ; qu’en me châtiant j’obtiendrai mieux grâce ; qu’en ne pensant qu’à Dieu, et à l’être cher pour qui je tremble, Dieu viendra à mon aide. J’écartais votre image, et elle était cependant toujours là, comme je vous dis dans le fond, tout-à-fait le fond de mon cœur. Je ne vous ai rien dit alors je ne sais rien vous dire de direct ; je ne vous ai parlé que de mon fils. Vous en avez été blessé, et voilà où nous nous sommes mutuellement mépris depuis le moment où je n’ai plus tremblé, n’avez-vous pas vu ce que je tenais si caché se faire jour de nouveau avec passion ? Ne m’avez- vous pas vu trembler de nouveau mais pour un bien autre intérêt ! Le doute était venue, les tulipes me dérangeaient. Que sais-je ? Sait-on tout ce qui vient à l’esprit ? Je répète avec vous. Que d’agitations insensées ; que de peines absurdes ! Allons, c’est fini. Adieu et adieu répété tant que vous voudrez. Ah si vous étiez là ! Quelle froide chose que du papier pour répéter un Adieu pareil.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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374. Londres, Mercredi 20 mai 1840
Une heure

Je ne serai content qu’après demain, quand nous serons rentrés tous les deux dans les bonnes lettres. Merci du 377 bien tendre. Une fois pour toutes (s’il y a moyen avec vous de dire une fois pour toutes) ne craignez jamais la franchise. Dites-moi tout et trouvez bon que je dise tout. Il ne peut y avoir de nuages, entre nous qu’à la surface. Perçons-les toujours ; au delà, nous trouverons toujours le Ciel. Savez-vous qu’à mon avis il est ridicule qu’il y ait jamais des nuages entre nous ? Nous sommes au dessus. Nous devrions toujours voir clair, parfaitement clair l’un dans l’autre. Ceci prouve que nous n’avons pas autant d’esprit que nous croyons.
Ayez l’esprit d’être ici avant le 15 juin. J’y compte ; mais j’en parle. Je ne sais pas encore sûrement quel jour part votre fils. On m’a fait dire samedi, mais par approximation. Il n’y a du reste plus de nouvelles à vous en donner.
Ellice m’a dit qu’il vous avait écrit, et ce qu’il vous avait écrit. Je crois qu’il a raison, et que le Cabinet s’en tirera. Mais cela n’a pas grand air. Les conservateurs n’ont pas grand air non plus. Une opposition si forte si bien gouvernée et qui n’ose pas, qui ne peut pas devenir gouvernement ! De son propre aveu ! Elle porte son mal en elle-même comme tout le monde. Ce sont les Newcastle et les Londonderrys qui empêchent l’opposition de devenir le gouvernement. Si tous les conservateurs étaient de l’espèce de Peel, ils seraient les maîtres. Mais tenez pour certain qu’ici comme chez nous il y a des résistances et des arrogances que le pays n’acceptera plus jamais ; il y a des réformes où si vous voulez un mot plus modeste, des changements, faits ou à faire qu’il faut que tout le monde accepte, et qui rendront incapables de gouverner quiconque ne les acceptera pas, sérieusement et sincèrement. Deux choses ici me frappent également, la puissance de l’esprit de conservation et la puissance de l’esprit de réforme. Deux choses sont également faibles, rejetées mortes, quoique l’une fasse du bruit et que l’autre ait encore de l’éclat, le Chartisme et le vieux Torysme. Malgré les apparences et le fracas des paroles, et l’obstination des engagements de parti, ce pays-ci est le pays du juste milieu par excellence. On n’aura un gouvernement fort que lorsque, de part et d’autre on se sera rendu et établi en commun dans ce camp là, qui est un fait accompli quoique pas encore accepté.
Je suis sorti cette nuit à 2 heures de la Chambre des Communes. Débat très médiocre et très ennuyeux. Nul homme important n’a parlé. Sauf lord Howick qui a bien parlé, mais sans faveur et dans une position délicate. J’y ai gagné un torticolli. On est mal assis et j’avais un vent coulis sur l’épaule gauche. Pourtant j’y retournerai ce soir. Je veux voir la fin. On me dit qu’O’Connell parlera ce soir. Evidemment, il n’a pas voulu répondre sur le champ à Lord Stanley. Sur son hardi et puissant visage, il y avait un peu de timidité et d’embarras.
Je ne doute pas que M. Molé ne remue ciel et terre pour nous brouiller Thiers et moi. Il n’est pas le seul. Et il est vrai que Thiers, a laissé entrevoir un défaut à la cuirasse par le puéril silence de sa presse à mon sujet à propos de Napoléon. Je m’étonne que les journaux qui ont envie de nous brouiller ne s’en soient pas déjà avisés. Cela viendra très probablement. Quant à moi, je me suis contenté d’écrire à deux ou trois personnes comme vous : " Cela ne m’étonne pas ; mais je le remarque. " Je ne me brouillerai point. Un moment viendra, peut-être où je me séparerai. Je suivrai exactement la ligne de conduite que vous savez.
Je regrette que vous n’ayiez pas vu ma petite note pour redemander Napoléon. Je crois que vous la trouveriez convenable par la simplicité et la mesure. Je suis pour les Invalides ; une sépulture militaire, religieuse et exceptionnelle. Les places publiques sont impossibles et inconvenantes. Le Panthéon est un lieu commun profane et profané. La Madeleine serait un tombeau grec. St Denis est pour les Rois de profession. Les Invalides seuls vont bien à l’homme, et à lui seul. Adieu.
Cela me déplait de vous quitter. Je voudrais vous écrire toujours. Mais j’ai des affaires. Venez et laissez moi le soin de votre place. Vous serez ma première affaire et mon seul plaisir. Adieu, Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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379. Paris Mercredi 20 mai 1840,
9 heures

A mon réveil dans mon lit, on me remet le 372 venu directement n’aurai-je que cela ? Me punissez- vous en éludant ? Faudra-t-il rester 24 heures encore dans un état d’angoisse abomminable ? Une réponse sur Madame ? Il est à sa place le Madame, mais vous l’aurez jugé à propos. Mais moi, aujourd’hui, j’aurais mieux aimé des coups de bâton que Madame ! Et cependant, je n’ai pas été élevée dans ce qu’on appelle des idées russes. Je vous remercie des nouvelles de mon fils, les plus fraîches et les plus sûres que j’aie.
Vous êtes bon de passer à sa porte, je vois vraiment que son état ne mérite plus cette sollicitude, et cependant jusqu’à son départ faites moi la grâce de me donner de ses nouvelles tous les deux jours.
Montrond est venu hier matin, il m’a trouvée dans une attitude et une mine d’idiote, je crois qu’il m’a dit le mot. Je regardais des allumettes, avec un air égaré. Il m’a demandé ce que j’avais. Je lui ai dit que j’avais envie, de me pendre ou de me noyer. "J’ai bien quelques fois cette envie-là aussi, mais je remets." Et puis il a bavardé, et m’a presque distrait de ma triste disposition.
Nous avons parlé de tout. Je lui ai fait cette question-ci. Entre ces deux versions opposées, celle que Thiers a inventé la translation des restes de [Napoléon], et arraché avec peine l’aveu du Roi ; et celle que c’est le Roi qui l’a imaginé et Thiers obéi.
"Laquelle dois-je croire ?
- Croyez ce qui est le plus vraisemblable. Le fait est de Thiers."
Pour vous expliquer ma question vous saurez que le Roi a dit à Appony que c’était son idée à lui et qu’Appony le croit parfaitement. Je crois que j’ai oublié de vous dire le récit de Granville. Il y a bien longtemps, c’est-à-dire bien longtemps avant le 1er de mai que Thiers est venu lui parler de cela et l’a prié de sonder lord Palmerston sur l’accueil qui serait fait à cette demande. Et puis Thiers lui a dit qu’il valait mieux ne pas sonder et il lui en a fait la demande directe de la part du gouvernement français. Je vous dis exactement, ce que m’a dit Granville. Grandement j’aime mieux qu’on vous ait ordonné de terminer une négociation déjà commencée. Je serais fâchée qu’on vous eut consulté, car c’est à mon avis une impudente affaire. De cette façon vous n’êtes responsable de rien. Je dois ajouter que Bourqueney m’a dit ceci. Le 1er mai lorsque Thiers est venu avec le Cabinet féliciter le Roi sur sa fête, le Roi lui a répondu en lui octroyant les restes de Napoléon. Bouquet pour bouquet. Vous savez maintenant tout ce que je sais sur cela. Vous trouvez que j’y pense beaucoup. C’est que vous verrez que ce sera beaucoup.
Je ne saurais vous dire la mélancolie de toute ma journée hier, Je suis si triste, si triste ! Et seule, seule ! Le soir j’ai eu lord Harrowby qui traverse pour retourner en Angleterre. C’était l’ami de Pitt. Il a été 40 ans ministre, j’étais fort lié avec sa femme. Si vous le rencontrez faites sa connaissance. Pas un Anglais ne parle français aussi bien que lui et il parle de tout. L’automne arrive, le prince de Chalais, Gabriac, beaucoup d’autres je ne sais plus qui. Mais j’étais si peu entraînée ! Je crois qu’on aura trouvé ce que Montrond m’a dit.

Midi. Rien, pas une autre mot !

2 heures
Je viens de remercier Dieu comme je l’ai fait le jour où mon fils lui-même m’a annoncé qu’il était hors de tout danger. Votre lettre a été pour moi cette lettre là, plus que cette lettre là ! Ah je vous dis bien la vérité. J’étais aujourd’hui prête à pleurer à chaque instant. Je suis sortie, non pour marcher mais pour m’appuyer sur la terrasse vis-à-vis mon appartement. Je regardais chaque passant avec envie, j’étais si sûre que chacun d’eux était plus heureux que moi. Mes larmes ont coulé ; un promeneur m’a regardée avec étonnement, c’est le seul qui s’en soit aperçu. Je suis redescendue de la terrasse, j’ai honte de vous dire tout ce qui s’est passé en moi, je ne savais si je tournerai à droite ou à gauche ; à droite pour rentrer chez moi, à gauche vers le pont. Et je me disais. Il ne saura jamais comme je l’ai aimé ! Mes jambes me manquaient ; dans ce moment je vois une jeune figure d’homme devant moi, l’air riant, ôtant son chapeau mettant la main dans son habit, & me présentant une lettre. Ce n’est qu’alors que j’ai reconnu le jeune homme. Ah s’il s’entend en physionomie comme j’espère qu’il s’entend en médecin, qu’il doit avoir fait d’étranges observations sur mon visage. Je la tenais donc cette lettre, et il me semblait que je n’aurais jamais la force d’arriver jusqu’à chez moi pour la lire. Ah que d’émotions j’ai eu ce matin, que de pensées contraires, que d’amour, que de désespoir ! Vous ne comprendrez pas tout ce que je vous dis, cela a l’air de folie, et je crois que cela y touche. Je suis rentrée, j’ai couru au dernier mot, et ce n’est qu’a sa vue que j’ai respiré. Quelle lettre ! Que je vous aime, que je vous bénis. Parlez-moi des tulipes tant que vous voulez, comment avais-je oublié les tulipes ? John Newton, quel brave homme ! Adieu. Adieu. Je suffoque mais cette fois, c’est de plaisir, et d’un tel plaisir ! Je ne serais jamais parti sans voir votre mère et vos enfants. Et j’ai dit à Génie ce que j’avais sur le cœur. parce qu’il est entré dans le moment où je venais de lire les deux lettres contradictoires, mais ne parlons plus de cela. Ne parlons plus que d’.... Je ne sais ce que je dis, mon cœur bondit de joie. Ah, qu’il est jeune mon cœur. Adieu. Adieu, toujours. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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381 Paris le 22 mai 1840,
Vendredi 10 heures

J’ai vu longtemps Lord Granville hier ; il est toujours couché. Nous avons un peu causé de tout. Le détail de l’entretien de Thiers avec Appony est assez piquant. Thiers a beaucoup parlé de la politique isolée que pourrait embrasser la France, et à la question d’Appony ce qu’elle ferait dans cette situation là ? Thiers l’a regardé avec étonnement et lui a dit : " Vous êtes trop curieux à propos d’Ancône, Thiers, lui a riposté par Cracovie. Enfin d’un bout à l’autre il y a eu de l’aigreur entremêlée d’un peu de flatterie. Granville est le plus pénétré du monde que la France ne fléchira jamais sur la question d’Egypte. Mais il m’a cité des paroles de l’Empereur dites à Lord Clauricarde selon les quelles l’Empereur croirait quevous êtes disposé à céder un peu. Ce serait venu à Pétersbourg par des correspondances de Londres. Cela m’etonne.
L’activité de Thiers est prodigieuse, son habileté aussi. Il gouverne la Chambre, les comissions. Il se mêle de tout, il répond de tout. Il est d’une audace et d’une satisfaction inouïes. Eh bien, à la bonne heure. Connaissez vous le " à la bonne heure " de M. de Talleyrand ?
J’ai été passer une demi-heure au déjeuner de la comtesse Appony. Ah mon Dieu, quelle foule, quelle horreur ! Un froid de loup dans le jardin, une chaleur à périr dans la maison. Dieu sait quelles gens ! Des gens décidés à faire là leur dîner. Nous avons regardé cela le duc de Noailles et moi, en nous demandant ce que nous étions venus faire là. Je m’en suis tirée avant 6 heures/ J’ai fait mon solitary meal et passé un solitary evening. Je pense que tout le monde sera resté là. Je me suis couchée ennuyée, mais plus triste.
Le gros Monsieur ma’ annoncé hier matin qu’il partait la semaine prochaine pour Londres, n’avez-vous pas quelque autre gros ou maigre monsieur qui aimerait à y être mené dans la première quinzaine de juin ?

1 heure
Je ne me suis rappelé le vendredi que lorsque j’avais écrit jusqu’ici. Je viens de vous écrire ma lettre officielle, parceque je ne veux pas que vous restiez un jour sans lettre. J’aime bien votre 374 vous prêchez sur le même texte que moi. " Pleine franchise entre nous ", et au fond c’est toujours parce que vous y manquez un peu de votre côté qu’arrivent les nuages. En y pensant un peu vous verez que les péchés viennent de vous. Point de réticence, pas la plus petite. Après le plaisir de n’avoir rien à reprocher, il n’y a pas de plaisir plus grand que le droit de gronder. C’’est si intime ! Est-ce que je dis une bétise ? Il me semble que nous voilà bien remis sur nos jambes. Pour moi au moins je me sens si leste, si confiante, si heureuse. Vous devez être comme moi, car dans ce qui nous regarde nous devons ressentir de même.
J’ai écrit ce matin à Ellice à M. de Barante ; vous allez-voir bientôt lady Clauricarde. Ah cela, je vous en félicite ; c’est tout-à-fait la prima dona en fait d’esprit. Elle en a beaucoup. Vous ai-je dit combien je trouvais votre définition de lady Jersey excellente ? Vos portraits sont toujours admirables. Je vous avais dit cela en mille mots. Vous le dites en deux " l’insignifiance la plsu envahissante."

Samedi le 23, 9 heures
Assez pauvre journée hier. D’abord toujours très froid et puis pas d’événements, pas de nouvelle. Montrond est venu le matin. il venait de chez le Roi ; il y retournait un langage nuageux, toujours drôle. Je crois qu’il vient chez moi parce qu’il me fait rire, cela lui plait, cela le flatte. Il est très frondeur sur le chapitre de St Hélène, il trouve cela absurde. Et puis il y voit mille inconvénients avant même d’abordar les dangers. Entre autres, ces quatre mois d’intimité entre le Prince de Joinville et messieurs les Bonapartistes, Bertrand & &, l’occasion de bien des propos provoquants peut- être. Au fait l’idée d’envoyer le fils du Roi est étrange. Il est cousin germain du duc d’Enghien !

Midi. Je vous remerce beaucoup du 375. Il me donne quelques lumières c’est-à-dire que je vois qu’en Orient on ne fait rien. C’est une étrange obstination de laisser sans solution, ce qui peut embarrasser le monde ! J’ai dîné seule. Le soir mon ambassadeur, Brignoles, le duc de Noailles, Carreira, d’autres insignifiants. M. de Pahlen. parle très bien sur l’affaire d’Orient vous en seriez content, mais il n’est pas poli pour l’Angleterre. Tout cela vous montre qu’il sert son maître sans l’approuver tout-à-fait Je vous enverrai les biographies que vous me demandez. Adieu. Adieu, je me réjouis de vous dire adieu par le gros Monsieur. A propos, il m’est venu une drôle d’idée ; c’est qu’en pensée vous me dites adieu au bout de la dépêche que vous envoyez par télégraphe pour que cela m’arrive vite. Vous voyez que je radotte. Adieu.

Vous vous trompez, vous ne dînez pas avec Lady Palmerston lundi. Les femmes n’en sont pas, à moins qu’on n’ait changé cela.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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383. Paris, dimanche 24 mai 1840

Les angoisses de la semaine passée ont fait explosion, j’ai été très malade cette nuit. J’ai fait venir Chermside. Je suis très faible, il me dit que ce ne sera rien, je l’espère. J’ai le corps malade, mais le cœur bien portant, c’est l’essentiel. Je viens de recevoir votre lettre. En lisant vos perplexités pour vos dames de Paris je m’impatientais, je voulais vous dire de commencer par les inviter pour Samedi ; vous adoptez mon idée à la fin de votre lettre c’est bien. Je crois qu’après ce grand dîner, si vous les invitez une fois, avec Mesdames Dédel et Björstjerna, quelques diplomates, le petit Leveson, Charles Fox, lord Elliot, que sais-je ? quelques autres Anglais, ce sera suffisant. Il n’y a pas de présentation à un birth day! Je doute donc qu’elles aillent à la cour demain, mais lady Palmerston vous dira tout cela. Chez vous hier elles auront rencontré suffisamment de dames pour être lancées à quelques raouts si elles en avaient envie. Voilà il me semble leur Londres expédié. Vous avez eu du plaisir à retrouver du parlage français.
Il ne me parait pas que le vote pour lord Stanley fasse grand événement à Londres. Vous ne m’en parlez plus. Le rapport du Maréchal Clausel hier, mène tout droit selon moi à la restauration de l’effigie de Napoléon sur la légion d’honneur. Et cela je le trouverais très conséquent. Vraiment Henri IV au milieu des drapeaux tricolores, c’est trop ridicule.
Je n’ai vu hier personne d’important que M. Molé pendant une heure de tête-à-tête chez moi. Il trouve que Thiers a été très abondant, très. habile, qu’il soutient merveilleusement toutes les discussions, qu’il a été très conservateur sur la question de la réforme, aussi beaucoup des soldats de M. Molé sont- ils allés dans le salon de M. Thiers. Il affirme cependant qu’il faudra bien qu’il fasse avant le mois de février ou la dissolution ou un esprit de réforme ; ou quelque chose pour les incompatibilités enfin un peu la volonté de la gauche. Il dit que le Roi ne peut pas songer à le renverser s’il n’a pas un ministère tout prêt, que se ministère cependant pourrait se trouver. Le Maréchal, vous Affaires Etrangères, Passy, Dufaure Duchâtel & & que pour lui même il ne se prêterait pas à remplacer Thiers, si Thiers ne tombe pas par le fait de la chambre. Enfin, il dit, et reprend et retourne tout cela vingt fois, et conclut cependant par le permanence de Thiers jusqu’à la session prochaine. Je trouve en lui peu d’aigreur, et peu d’espérance.
J’ai vu Granville, après cela nous avons parlé de Molé ; Ah, il ne l’aime pas ; et d’après quelques scènes qu’il m’a contées il a raison comme anglais de ne pas l’aimer. Mes vertiges me reviennent, j’ai peine à continuer. Il faut que je vous laisse. Adieu, Adieu. Je n’ai de force aujourd’hui que pour adieu.

Vous pourriez donner un petit dîner à Lady Jersey et Lady Tankerville où vous inviteriez vos dames, il me semble que ce serait faisable, et cela plairait également à lady Jersey et à vos dames.
Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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384. Paris, lundi le 25 mai 1840

J’ai passé toute la journée hier, malade et couchée. Je crains qu’aujourd’hui ne vaille pas mieux. J’ai les nerfs et la bile en mouvements. Mes jambes ne me portent pas. Tout cela ensemble me fait pleurer quoique j’aie le coeur heureux. Oui heureux, vos lettres me soutiennent, me donnent de la joie, que deviendrais- je sans elle, sans vous. Je n’ai que vous. Mais vous c’est tout, tout, c’est si beau, et si doux. Oui, je veux avoir une foi immense, je veux remercier Dieu tous les jours de ce qu’il m’a donné, ne m’abondonnez jamais.
Je n’ai vu hier qu’Appony le prince Paul, et Pogenpohl. J’ai employé celui-ci dans les derniers temps à mettre en ordre mes papiers ; il a beaucoup d’intelligence pour cela. C’est Matonchewitz qui lui donne le plus de travail, pas de dates c’est horrible. Alors, il faut lui rappeler l’histoire, et c’est laborieux. Je l’emploie aussi à mes affaires, il faut de nouveau pleins pouvoirs, des tracasseries de détail. Cela ne finira jamais. Je ne vous en ai pas parlé, c’est trop ennuyeux.
Appony me portait la relation de la noce. L’Impératrice a habillé ma nièce. L’Empereur l’a conduite à l’autel. Toute la famille impériale était à la chapelle. De là, dans les appartements de l’Impératrice, les accolades et les santés. Et puis l’Empereur les a menés à l’église Catholique. Il les a ensuite reçus dans l’autichabre de leur appartement ment, avec toutes les, j’allais dire boufforneries des usages russes. L’Empereur avait mis ce jour là l’uniforme autrichien et l’ordre d’Autriche, enfin il n’aurait pu mieux faire pour un archiduc. Il a fait cadeau ma nièce d’une superbe parure en diamants. Les voilà comblés, et j’espère heureux.
Politiquement Appony avait peu à me dire. Il se loue beaucoup des manières polies de Thiers. Le prince Paul n’avait point de nouvelles. Il me dit seulement qu’il s’agit de quelqu’affaire semblable à celle de Fabricius qu’il croit qui se rattache aux prisonniers de Bourges, car prisoniers est le mot aujourd’hui. Thiers les a nommés comme cela en causant avec le prince. Je n’en ai plus entendu parler de longtemps. Mais je vois Brignoles d’assez mauvaise humeur en général. Mad. de Castellane est très malade, M. Molé en est même inquiet.
Mon fils sera ici jeudi j’espère. Il ne fera pas de retard pour moi, je compte toujours partir Samedi le 13. Le cœur me bat quand j’y pense. Ah qu’il me bat souvent. Je trouve le ciel gris. J’ai dans l’âme du bonheur et de l’angoisse. Ma santé est si misérable ! Il me semble quelque fois que je vais finir. J’ai tort de vous dire cela, mais vous traitez cela de bétises. Si je restais calme, tranquille, heureuse, pendant quelques jours, cela me ferait du bien. Mais je n’ai jamais ce calme. Quinze jours ne s’écoulent jamais sans une secousse. Et chaque secousse me trouve plus faible. Ah, il n’y a que vous pour me soutenir ! Votre puissante voix, votre regard, quand retrouverai-je cela ?
J’aime les Américains. Je vous remercie de ce que vous me redites. Le Roi de Hanôvre me mande vos succès à Londres, Il me dit que c’est un suffrage général. Vous ne savez pas comme cela me donne de l’orgueil ! Je crois que vous pouvez accepter Lady Kerrison, c’est la mère de Lady Mahon, du moins je le crois, demandez. Elle est soeur d’Ellice. Je me suis levée très tard, ayant très mal dormi. Il est midi, je n’ai pas encore songé à ma toilette.
Adieu. Adieu. Quel plaisir quand nous ne l’écrirons plus. Adieu.
L’auteur des biographies est un nommé Loménie, très jeune et qui ne connait l’original d’aucun des portraits qu’il trace. Adieu, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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380. Londres, Mercredi 27 Mai 1840
9 heures

Je commence à sentir cette impatience, ce mépris des lettres qui s’éveillent quand on approche du terme. Plus je vous dirais, moins je vous écris. Il fait un temps admirable ce matin; le soleil brille, l’air du printemps souffle. Je voudrais me promener avec vous. On n’écrit pas la promenade. Nous avons dîné hier agréablement. La conversation, vous aurait plu. Vous y êtes venue. M. de Bacourt a raconté une course en calêche que vous aviez faite, vous, la duchesse de Dino Lady Clauricard, lui, Dedel, lord John Russell, je ne sais qui encore ; un orage, une pluie énorme. Les trois dames dans le fond de la calèche, lord John en travers, sous le tablier, sur vos pieds, et aussi trempé en arrivant à Richmond que s’il eût été sur le siège. Cela me plaisait d’entendre parler de vous. Pourtant tout ne me plaisait pas. J’ai gardé et je garderai jusqu’au bout les susceptibilités et les exigences du premier printemps. J’en souris moi-même. Et ce que je dis là est presque un mensonge, car je n’en souris pas vraiment, franchement. Ce qui est vrai, ce qui est franc, ce qui s’éveille, en moi naturellement et tout-à-coup, sans réflexion, ni volonté ce sont les impressions de la jeunesse. Elles ne me gouvernent plus, mais il faut que je les gouverne, car elles sont encore là. La vie est infiniment trop courte. Notre âme a à peine le temps de se montrer. Les choses lui échappent bien avant le goût et la force d’en jouir. Il faut que vos vers de l’autre jour aient raison.
Tout commence en ce monde et tout s’achève ailleurs.

Une heure
Je vous promets du calme ici. J’espère que vous arrangerez votre vie de manière à éviter la fatigue matérielle. Vous ne pouvez pas vous coucher tard. J’en ai repris l’habitude avec une singulière facilité. Non, certainement, je ne traite pas de bétises vos impressions sur votre santé. Je crois, je suis sûr qu’elles sont souvent très exagérées. Vous avez bien plus de vie, bien plus de force que vous ne croyez dans vos mauvais moments. Mais vos mauvais momens m’occupent beaucoup, me tourmentent. Ils seront rares ici. J’y compte. Ainsi, le 13 ; c’est bien convenu. Et vous serez ici le 15. Mais il faudra que vous partiez le 13 de bonne heure. Arriverez-vous à Boulogne, de manière à passer le dimanche 14 ? Ou bien ne passerez-vous que le lundi 15 ? Répondez moi sur tout cela. Je prétends que je suis plus exact que vous en fait de réponses. Ma mère et mes enfants partent pour la campagne, le 4 juin.
Notre affaire de médiation marche. Jai obtenu hier de Lord Palmerston la restitution des bâtiments napolitains détinus encore à Malle. Le Roi de Naples de son côté concède l’abolition du monopole et le principe de l’indemnité. Il ne reste plus que des détails d’exécution sur lesquels on s’entendra. Je suis fort occupé ce matin d’une affaire qui vous touche fort peu, le chemin de fer de Paris à Rouen. On ira alors de Londres à Paris, par Southampton en 20 ou 22 heures. Je serais bien aise que cela se fit sous mon règne. C’est en train. Et les Anglais en sont fort en train. Ils y mettent 20 millions. Croyez-vous comme on me l’écrit, que la session française finira du 20 au 25 juin ? Qu’en dit-on, autour de vous ? Il est vrai que Thiers déploye beaucoup d’activité et de dextérité. Il est fort content, me fait tous les compliments et toutes les tendresses du monde, me promet qu’il n’y aura point de dissolution, qu’il ne s’y laissera point pousser et finit par me dire : " J’espère que notre nouveau 11 octobre, à cheval sur la Manche réussira aussi bien que le premier. " Lord Brougham est arrivé avant-hier. Vous ne l’avez donc pas vu à son passage à Paris, ou bien il n’y a pas passé. Je ne l’ai pas encore vu. Lady Jersey, ma dit qu’il était horriblement triste. Pauvre homme ! Il ne trouvera pas dans le mouvement qu’il se donne de remède à son mal. Il faut que le remède s’adresse là où est le mal au cœur même. Le mouvement extérieur distrait tant qu’il dure, mais ne guérit point. Voilà la grossesse de la Reine déclarée. C’est une grande question de savoir si on proposera dans cette session, le bill de régence. Le Cabinet, voudrait bien y échapper et il l’espère. Si le bill était proposé, la session finirait je ne sais quand. Adieu. J’étais bien tenté de croire que, d’ici au 15 juin, tout me serait insipide. Je me trompais. Le 385 (384) venu ce matin, m’a été au cœur. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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388. Paris, vendredi le 29 mai 1840

Vous êtes jaloux de mon escamotage d’un n° ! Je rétablis ; voici deux 388 pour componser le 381. Je vous prie de ne pas me traiter en abrégé, quoique notre rencontre soit prochaine. Jusqu’au dernier jour j’aimerai les longues lettres et toutes les nouvelles. Il me semble que je n’y faiblis pas de mon côté. Je n’ai rien à vous conter d’hier. J’ai passé beaucoup de temps en plein air, je n’ai vu du monde que le soir. Les Ambassadeurs, la Prusse, le Duc de Noailles. le Duc de Noailles est fort révolté de ce qui s’est passe à la Chambre des députés. Révolté pour Napoléon, honteux pour le pays. Cela, et tout ce qui peut s’en suivre encore. Ces querelles sur le lieu de la sépulture. Cette manière de marchander les frais, les désordes qui peuvent survenir à l’occasion de la Cérémonie, tout cela est à ses yeux des insultes à un grand honme. Il ne méritait pas cela. Il méritait bien tant d’honneur, mais il ne méritait pas autant d’indignité. Il ne fallait pas remuer sa cendre. Il y avait bien plus de grandeur à rester à Ste Hélène. Cette souscription ouverte va être un grand scandale. Scandale si elle réussit. Honte complète si elle avorte. Tout cela est pitoyable. J’ai entendu quelques plaintes hier sur ce que M. Thiers n’a pas le temps de s’occuper d’affaires. Mais il faut que j’ajoute que les affaires qu’on me citait à l’appui des plaintes étaint tout ce qu’il y a de plus infimes. Au fond Thiers ne peut pas s’occuper de détails, c’est trop exiger. Je m’étonne qu’il ne succombe pas sous les affaires en gros. J’attends mon fils aujourd’hui. J’en suis bien impatiente. Ne soyez pas trop impatient pour le 15. Ne me forcez pas à traverser un jour de gros temps. Ne me faites pas courir la poste comme un courier. Je partirai le 13 si mon fils n’y fait pas obstacle. C’est ma volonté et surtout mon désir. Mais je ne puis pas être absolument sûre. Ne vous lassez pas d’écrire. Je vous en prie. Je n’ai pas vu Lord Granville depuis trois jours, je n’ai donc pas pu lui faire votre message encore, mais je ne l’oublierai pas. Adieu. Adieu, mille fois, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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382. Londres, Vendredi 29 mai 1840
Midi

Voilà un peu d’eau froide sur la mousse Bonapartiste et un petit dédommagement au réjet de la dotation Nemours. La chambre a montré plus d’intelligence et de fermeté que je n’en attendais. La forme est mesquine, mais le fond est bon. Gardez mon avis pour vous, je vous prie, puisque je ne suis pas obligé d’en avoir un. Vous me direz votre impression de la séance car j’espère que vous aurez été assez bien pour y aller.
Je n’ai jamais été si préoccupé du temps, de l’air, du soleil, du brouillard. Je vois tout cela sur votre tête. Et je vois tout ce qui se passe en vous sous toutes ces influences. Le beau temps persevère. Je fais beaucoup de courses la semaine prochaine. Ellice me mène Mercredi à Epsom ; je dînerai tout près, chez M. Motteux. Je reviendrai tard. Jeudi, je vais à Eton. C’est une grande solennité du Collège. On désire beaucoup que j’y sois. Tout cela ne me plaît pas beaucoup ; mais je me prête assez facilement à ce qui ne me plaît pas beaucoup, surtout quand je n’ai rien qui me plaise beaucoup. L’indifférence me rend très complaisant. Je ne le serai pas tant quand vous serez ici. Je deviendrai avare de mes chevaux. Et de mon temps.
J’attends mon gros Monsieur. Je sais qu’il vient d’arriver, et qu’il va venir chez moi. Je sais aussi qu’il vous a laissée mieux et meilleur visage que trois jours avant son départ. Il m’a apporté un très joli petit portrait de Guillaume par Mad. Delessert ; rien, une ébauche à moitié ébauchée, mais parfaitement ressemblant, et gracieux. Ressemblant au modèle et au peintre. C’est ce qui arrive souvent. On met du sien partout. Qu’est-ce qu’un comte Woronzoff qui vient d’arriver et que M. de Brünnow m’a présenté ? Il m’a parlé du comte Michel, comme de son frère ou de son cousin ; je n’ai pas bien entendu. Il y avait hier soir un concert chez la duchesse d’Argyll, un bal chez la duchesse de Montrose. Je n’y ai pas été. Je me retire de la frivolité, comme vous dites. Je ne veux pas qu’on dise que je ne m’en retire qu’à cause de vous. Je vais ce soir au concert de la Cour après le dîner de Lord Haddington.

4 heures
Mon bonheur s’est fait attendre longtemps. Enfin il est venu. Il ne faut pas beaucoup de lettres pour faire beaucoup de bonheur. Vous avez déjà mon impression sur la séance où vous étiez. De loin, j’ai été frappé surtout du fond. Vous de près, surtout de la forme. C’est dans l’ordre. Je persiste dans mon impression. C’est un acte de bon sens et de fermeté contre le brouhaha populaire. Je ne crois à aucun évènement prochain où je puisse être intéressé. Vous savez sur quel terrain je me suis placé, et vous m’y approuvez. La proposition Rémilly pourrait seule murir rapidement la situation. On m’écrit de tous côtés qu’elle sera rapportée peut-être, ce qui ne signifie rien, mais point discutée ce qui serait grave, decisif peut-être. En tout cas, j’y regarde beaucoup ; et si j’y voyais quelque chose, je vous le dirais sur le champ. Certainement, un chassé croisé serait déplorable, ridiculement déplorable. J’ai tant attendu qu’il faut que je finisse. Dans trois semaines, nous ne finirons jamais n’est-ce pas ? Je suis assez d’avis que vous arriviez d’abord près de Londres. Adieu, Adieu. En attendant. Cette fois, l’erreur était double. Pour 386, vous avez mis 287. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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387. Paris, Jeudi le 28 mai 1840

En effet, j’ai sauté par dessus le 381 car je ne le retrouve pas dans mes tablettes. Ecoutez ; hier j’ai rencontré Thiers à dîner chez mon ambassadeur en entrant dans le Salon il me dit : " Je viens de recevoir mes dépêches télégraphiques de Londres ". A ce mot télégraphe ma figure s’illumina, elle disait : " Je suis bien contente." J’aime mon invention, elle est bien innocente.
Thiers a été mon voisin à table. Il est fort content des nouvelles de Londres. Il se loue beaucoup de vous, il dit qu’à vous deux vous faites des merveilles. Il ajoute :
" J’arrange les affaires de façon qu’il n’y a que M. Guizot qui puisse être mon successeur.
- Ou plutôt vous les arranger de façon à les garder toujours pour vous ?
- Oh Je vous en réponds ; mais tenez, je suis jeune, je sais bien qu’une fois je les garderai toujours, je ne sais si cette fois là est à présent ; c’est possible, cela n’est pas sûr ; nous verrons, mais si M. Guizot s’ennuyait à Londres, je l’arrangerais ici.
- Il me semble que M. Guizot s’amuse fort bien à Londres et qu’il aimera à y rester.
- Oui , mais allez-y car sans cela bientôt, il vous fera des infidélités ! " Voilà vous.
Après cela il m’a parlé du vote d’avant-hier. Il me dit : " j’ai fait une faute, je devais parler. J’ai eu grand tort de ne pas le faire. Je n’avais pas idée que le Chambre. voterait comme elle a fait. J’étais ennuyé de parler, et puis j’aurais dit des paroles peut être trop excitantes. Enfin, j’ai mal décidé et une fois le vote, je me suis mis dans un grande colère. J’ai dit des choses très dures au président. Je lui ai dit : " Monsieur, vous ne connaissez pas votre devoir, vous ne savez pas présider, ce que vous venez de faire est absurde, je répète absurde. " Je lui ai dit tout cela là à sa chaise. J’ai dit des paroles dures, à Dupin, j’en ai dit au secrétaire de la justice, à tout le monde. J’étais en grande colère." Il a causé de tout, et m’a beaucoup divertie. Il dit des choses très piquantes. A propos de la responsabilité ministérielle, il dit : " C’est l’hypocrisie du despotisme." Au fait hier il était en train ; il n’a fait que causer avec moi. Nous avions commencé par Sauzet, nous avons fini à César. Il dispute tout au duc de Wellington, et plus que jamais il glorifie Napoléon. C’était hier un dîner de 30 personnes. Mad. de Boigne a essayé des agaceries à M. Thiers, à Mad. Thiers. Rien n’a réussi. Ils viennent de louer à Auteuil cette grande maison qu’avaient les Appony. Au sortir du dîner, j’ai été en calèche me rafraîchir au bois de Boulogne. Cela m’a fait dormir.
Je vous préviens que hier je n’ai eu votre lettre que vers cinq heures. Le joli garçon sort de chez lui avant l’heure de la poste. Il y rentre quand il peut, et moi je suis longtemps à attendre. Voici midi. Je n’ai rien encore. J’aime beaucoup Simon, et je regretterai beaucoup le gros Monsieur.
Je suis un peu mieux depuis hier. Ce matin mon fils m’écrit du 26 qu’il partait ce jour là et qu’il serait ici le 29 ou le 30. Brünnow l’a chargé de m’assurer de sa joie de me revoir, et qu’il se mettrait entièrement à mon service. Cela ne ressemble pas au premier message. Je vous remercie tendrement de tous vos enquiries au N°2 Berkley square. Je suis bien heureuse que vous n’ayez plus à y envoyer.
J’ai envie de vous redire les petits mots entrecoupés entre Thiers et moi. " Vous êtes très fine, pas plus que moi, mais je crois presque autant."
(moi) " Vous avez beaucoup d’esprit mais je pense quelques fois que vous en avez trop.
- Cela voudrait dire, pas assez ? non mais vous abusez."  (Thiers) " Il n’y a de véritable ami qu’une femme. Dans les amitiés d’hommes il y a toujours un peu de jalousie."
" J’ai peu à faire avec les étrangers nous n’avons rien à nous dire ! Je suis poli, je pense qu’ils n’ont pas à se plaindre mais voilà tout. "

1 heure
Je viens de recevoir votre lettre des mains du joli garçon. Hier ce n’était par lui, c’était je ne sais qui, car on avait laissé la lettre ici et je l’avais trouvé à mon retour de ma promenade. Tout cela n’est pas en règle, et je m’en vais aller aux enquêtes par Génie. Lord Palmerston n’a pas bu la santé des souverains parce que vous n’avez pas fait à votre dîner du 1er mai ce que je vous avais dit. Je vous avez dit de répondre à la santé du roi par la santé de la Reine. Vous avez voulu faire mieux, vous avez ajouté les souverains. Cela n’est pas correct Granville l’autre jour a répondu à la santé de la reine, par la santé du roi. Barante à Pétersbourg répond par la sante de l’Empereur. Partout cela se fait comme cela, et la raison en est claire. Lord Palmerston c-est-à-dire l’Angleterre porte la santé du roi. Le représentant du roi répond par la santé de la Reine d’Angleterre, les autres souverains n’ont rien à faire la dedans. En revanche vous à la fête de la reine vous portez sa santé non parce que vous êtes la France mais parce que vous êtes doyen du corps diplomatique, c’est donc l’Europe qui parle, et alors il répond à l’Europe en portant en masse la santé des Souverains. Il ne l’a pas fait, il a voulu se venger de votre petit mistake. Voyez- vous, une autre fois lisez mes lettres et croyez. Je vous ai répété la Reine, la Reine. Je vous l’ai dit deux fois, vous deviez bien penser que j’aurais ajouté les autres s’il pouvait s’agir d’eux ; et j’ai été fâchée quand vous m’avez mandé les santés supplémentaires. Rappelez- vous de tout ceci l’année prochaine. Si. J’ai bien envie que vous n’ayez pas à vous en rappeler.
Dès que mon fils sera arrivé, je fixerai l’époque de mon départ pensez de votre côté que je ne puis pas résider longtemps à Londres. Qu’on y étouffe, qu’on y mène une vie abominable, que ce qu’il y aurait de bien, ce serait une quinzaine de jours là, et puis les campagnes. Mais pour cela il faut l’époque où l’on y va. Or cela dépend pour vous et pour les autres du parlement. Ces deuils anglais me déroutent un peu, et pour Londres et pour les châteaux. Chatsworth eût été charmant je devais y passer tout le mois d’août, vous deviez y venir. Il n’y a plus de Chatsworth. Il n’y a plus de Treutham. Je ne sais trois ce qu’il y aura en commun. Middleton chez les Jersey. Broadlands chez les Palmerston. Je cherche, je ne vois pas trop. Bowood est pour vous seul, je ne suis pal assez liée avec eux. Howick, est je le crains trop loin pour vous ; et puis vous ne faites guères connaissance avec Grey. Les Londonbery vous ne es voyez pas du tout. Il faut abandonner au hasard à nous arranger peut-être. J’aimerais bien quelque chose près de Londres. Mais il n’y a plus personne de ma connaissance intime près de Londres. Hatfield, Woburn, Stoke, Pamzhänger, tout cela est mort. Allons à Tumbridge voilà qui est charmant. Je dirais Richmond ! Mais il n’y a plus de Richmond possible pour moi ! Mad. de Boigne va s’établir à Chatenay aujourd’hui, Votre dîner Tory est très bien.
Adieu. Adieu. Le temps est redevenu charmant. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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386. Paris le 27 mai 1840

Voici une lettre presque aussi sûre que la parole et malgré cela je n’ose pas me livrer. Il me serait si doux de le faire cependant ! Mon bien aimé, J’ai si besoin de te redire et d’entendre des paroles d’amour. Cela est écrit, je ne veux pas l’effacer. Mais je veux me contenir et raconter.
J’ai été hier à la Chambre - curieux et pitoyable spectacle. M. de Lamartine a fait un beau discours voilà tout ce qu’il y a eu de beau. Thiers n’a pris la parole que pour dire qu’il épousait le projet de la commission, et la commission et Thiers ont été battus, ou leur a rogué un million. Votre président de la chambre s’est conduit comme un enfant, un enfant sot et fâché. La chambre a fait un tapage épouvantable ; comme des écoliers. C’était vraiment misérable. On n’est pas Bonapartiste, et hier on n’était pas Thieriste. On dit qu’il est resté accablé de cette triste séance, et qu’à sa soirée il était d’une humeur très hargneuse. Il accusais beaucoup M. Sauzet. je crois en effet que la première confusion était dû au Président. Mais pourquoi Thiers n’a-t-il pas parlé ? Cela me reste incompréhensible. La foule était grande dans la Chambre, dans les tribunes comme aux fonds secrets. Sébastiani est sorti sans voter, il m’a dit : "pauvre séance."
Le soir les ambassadeurs sont venus chez moi, beaucoup d’autres personnes tout cela assez amusé. Je crois que le Roi a pu l’être aussi. Il me semble que le grand effet théâtral commence bêtement. Au fond c’est honteux. Tout le monde trouve Thiers bien changé, vieilli, harassé. La faction Boigne dit qu’il donne des signes de folie. Je n’ai cependant entendu cela que là. On dit aussi qu’au Conseil le Roi ne parle plus. Il laisse faire. Au reste son langage sur Thiers avec les ambassadeurs n’a plus rien d’inconvenant. Ils sont assez contents de lui. Il est poli. On va faire les grands changements dans les préfectures quelques révocations, et beaucoup de mutations. Je crois savoir cela de bonne source.
Le roi de Prusse est très mal. Il n’en reviendra pas. Bresson mandait hier de fort mauvaises nouvelles, ce sera un gros événement. Le Roi de Prusse futur a beaucoup d’esprit, mais pas de tête. Il y a quelques années il détestait ceci encore plus que ne le déteste l’Empereur Nicolas, et il le disait beaucoup plus haut que lui. Il peut s’être amendé. En tout cas, on n’aura pas pour lui le respect qu’on a pour son père. Les libéraux espéreront tout de lui beaucoup. Les ultras aussi. Cela a l’air de non sens, et c’est comme cela cependant. Je m’imagine que mon Empereur va courir à Berlin pour voir encore. son beau père. Ce pauvre mourant sera très incommodé de cette visite.
J’ai été hier voir votre mère, elle est parfaitement bien, les enfants aussi, ils étaient au jardin, je suis allée les y trouver. Votre mère veut se mêler de moi, elle veut que je prenne de la camomille. ne crois et n’écoute aucun médecin. Je me sens si malade. Je vois, qu’au fond, je n’ai politiquement rien de bien intime à vous dire. C’est vous qui pourriez m’apprendre bien des choses, si vous aviez un gros Monsieur. Vos opinions sur l’Angleterre et les Anglais, je les devine. Mais sur ce qui se passe ici ; sur la politique européenne vous savez beaucoup, vous savez tout ce que j’ignore ! Je suis curieuse un peu de tout.
Quelques fois je m’imagine qu’un changement ici peut être très prochain, et alors je me dis qu’il pourrait bien arriver tout juste pour mon voyage d’Angleterre, c’est-à-dire aussi gauchement que possible. L’effet de la séance d’hier peut être quelque chose. Le pays sera un peu étonné, et les partisans de la dissolution en feront un argument assez puissant Qu’en pensez-vous ? Eh mon Dieu, je voudrais vous faire cette question sur toute chose ! Vous verrez que l’affaire de Ste Hélène sera une bien grosse. affaire. Elle a tant de faces vraiment c’est de la déraison ou de la trahison de l’avoir commencée. Et le Roi qui se vante d’en être l’inventeur !
Je vous écris tous les jours, et je m’étonne de ne pas vous écrire aujourd’hui un volume. Je suis honteuse de profiter si peu de cette bonne occasion. Je voulais remplir ma lettre d’Adieux sous toutes les formes. Imaginez-vous cela, prenez tout cela comme dans nos meilleurs temps. Dans les temps qui reviendront n’est-ce pas ?
Il me semble toujours que je commencerai pas arrivé auprès de Londres, quand ce ne serait que pour choisir de là l’Auberge où je veux aller à Londres. Mais je n’ai rien arrêté encore. Je crois que Brünnow en désespoir de cause aura écrit en cour pour empêcher ma venue. Ce sera peine perdue, on n’osera pas en dire un mot, et si on le disait je partirai seulement un peu plutôt. Non, je partirai comme j’ai dit. Je ne me fâcherai, ni ne me dérangerai pour personne Il n’y a plus que vous qui ait le droit de me fâcher ou de me déranger, n’est-ce pas ?
Adieu. Adieu, cher bien aimé. Que de choses à nous dire ! Que de doux et longs regards. Ah si nous en étions là ! Avertissez- moi bien au moins des chances politiques possibles. Un chassé croisé serait trop bête. Adieu. Adieu. Adieu, toujours toute ma vie, mon bien aimé.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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390. Paris, dimanche le 31 mai 1840

J’ai reçu 381 hier à 10 heures du soir, et 382 ce matin à 8 1½. Le premier en présence de M. Molé, le second dans mon lit. J’étais impatiente de ce second. C’était une réponse au gros Monsieur. Il y a eu un peu de désapointement. Et j’ai eu un peu de dépit et de regret de quelques unes de mes paroles qui évidemment se sont perdues dans les brouillards de l’Angleterre. Je vous dis ceci en passant, par la simple raison que je dis tout. Vous jugez la semaine dernière autrement que moi et que beau coup de monde. Mais vous pourriez avoir raison. Votre avis sur ce qui s’est passé est conforme à l’opinion de la plupart de un habitué et d’un autre gros Monsieur qu’ils vont voir quelques fois. La suite décidera.
La nouvelle s’est répandue hier que le Roi de Prusse était mort. Le télégraphes de Strasbourg l’a mandé sur un avis de votre ministre à Francfort. Cela me parait un peu sujt à caution, mais en tout cas cet événement ne peut pas tarder à arrivé. C’est une grosse affaire. Il ne résultera que Paris et Pétersbourg seront plus près l’un de l’autre. Deux pièces de porcelaine où on a enlevé le coton.
Vous allez donc voir Epson ! Quand j’étais jeune. J’y ai été une fois, une seule fois mon mari n’a pas voulu y aller, c’est la dernière élégance. Vous y trouverez touta la plus brillante jeunesse de l’Angleterre. C’est un beau coup d’oeil, mais j’en suis revenu plus fatiguée qu’enchantée. Même jeune, le bruit seulement, le bruit ne me plaisait pas. Ensuite, j’ai subi tous les ans les courses d’Ascot à côté de George IV et je puis dire que c’est les moments les plus ennuyeux de ma vie. Il faut êtres fou de chevaux, ou bien oisif pour y aller ; mais je le répète c’est curieux pour une fois, et pour voir tout ce qu’il y a de fous et d’oisif dans le monde ! Vous serez frappé des équipages et des femmes. Je suis charmée que vous voyez Eaton ; je ne l’ai pas vu moi, mais cela a un côté sérieux et important, un peu grotesque aussi.
M. Molé affirme contrairement à mon opinion, que les funérailles de Napoléon ne puissent être faites avec sécurité que par un autre que Thiers. Il est très noir sur tout ce sujet. Son opinion est nécessairement exagérée, cependant aujourd’hui je vous assure que tout le monde est d’accord pour trouver toute l’affaire bien étourdie. Moi, je ne la trouve pas étourdie !! mon fils est vraiment bien. Après Baden, il reviendra à Paris, et compte rester deux ou trois mois auprès de moi. Le nom de son frère n’a pas été prononcé entre nous. Adieu. Je ne trouve pas qu’il y ait une seconde erreur dans nos N°. Je vous ai écrit Mardi 386 selon son tour. J’ai vu hier Montrond fort tranquille aussi, et content : " Tout cela ne sera rien. Il n’y a plus de Bonapartistes en France. " Le Roi a dit aux ambassadeurs : " tout ceci ne me regarde en rien, je ne m en mêle pas."

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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389. Paris, Samedi 30 mai 1840

Mon fils est arrivé hier, pâle, faible, mais bien portant. Sourd d’une oreille complètement. Le bras gauche en écharpe. Il reste ici une quinzaine de jours, et c’est toujours le 13 que je compte partir. Voilà ma principale nouvelle pour aujourd’hui.
Le duc de Noailles est rencore revenu me voir hier au soir. L’affaire de la souscription préoccupe et échauffe toutes les têtes. C’est une grosse aventure. Comment sera le dénouement ? Que vous denvz ête étonné de ce qui se passe ! On dit que le Roi est très content. Je voudrais bien savoir de quoi ? Génie est venu me voir ce matin, nous avons parlé de mon voyage, d’un compagnon de voyage. Il voudrait que vous lui demandiez de l’être, et dans ce cas que vous obtinssiez pour lui un congès par Thiers. Est-ce possible ? Je n’ose pas vous dire que je le désire beaucoup, parce que alors vous seriez capable de le faire, même, en y voyant quelques petits inconvénients ; et je ne veux jamais que le moindre embarras de cette espèce vous vienne de moi. Je vais me mettre en train de me reposer avant mon départ. Je ne veux plus recevoir le soir. J’aime mieux une promenade avant de me mettre au lit et vraiment les Ambassadeurs ne m’amusent pas assez. Hier j’avais outre eux le Maréchal Paulini, gouverveur de Gènes, une vieille connaissance intime de 30 ans en arrière, plein d’esprit et d’animation italienne. Il a été 25 ans au service de Russie. Il me dit que moi à l’âge 18 aus je lui ai rendu une fois un emminent service auprès de mon mari. Voilà de vieux souvenirs !
M. de Brünnow m’a fait faire les message les plus plats et les plus insolents à la fois. C’est vraiment un sot. Cela ne vaut pas la peine de vous être redit. Les grands inconvénients qu’il avait d’abord vu à mon arrivée en Angleterre étaient ; l’embarras où il allait ce trouver vis-avis de la cour en me recevant bien, et l’embarras vis-à-vis de l’Angleterre en me recevant mal ! Mais vraiment je n’ai pas besoin qu’il me reçoive du tout, qu’ai-je besoin de M. de Brünnow ? Il est pour moi parfaitement imperceptible. Il l’a éte jusqu’ici, et plus que jamais cette espèce le demeure à mes yeux ; car je n’ai plus besoin de personne. Vraiment il y a de quoi rire de toutes les bétises qu’il a dites à ce pauvre Alexandre. Il me fait recommander d’être bien pour lui dans mon intérêt. L’Angleterre aura les yeux sur nous deux pour examiner chaque geste, chaque parole ! Non, c’est trop bête. Ce qui ne le sera pas c’est nos causeries à nous. Imaginez tout ce que nous aurons à nous dire ! Adieu. God bless you. Votre lettre ne m’est point parvenue encore. Il est 1 heure. C’est bien long! Adieu, Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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391. Paris lundi le 1er juin 1840

Voici notre mois, qui redeviendra. nôtre. J’ai vu Granville hier. Vous ne lui avez pas écrit sur M. Rey. Mais il ne s’y attendait nullement il n’y avait pas lieu à une réponse et il sait l’essentiel c’est que vous avez fait bon accueil à son recom mandé. J’ai oublié de vous dire que souvent M. Molé me demande vos opinions sur ce qui se passe ici, les mesures qu’on prend ou qu’on projette. Je réponds invariablement que je n’en sais rien du tout. J’ai été hier au soir chez Mad. de Brignoles. On parle beaucoup du Roi de Prusse. La nouvelle n’était pas confirmée, mais elle est imminente le matin j’ai vu chez moi les Appony et Paulini, qui est très divertissant vrai italien.

1 heure. Je n’ai pas encore votre lettre. J’en ai écrite une longue à mon frère ce matin. Je ne sais où il sera maintenant On ne voudra pas à Berlin que l’Emperatrice y vienne. Elle sera bien accablée de la mort de son père. Qu’en dit Bulow ? Voilà donc la souscription nationale par terre. Quelle inconséquence que toute la marche de cette affaire ! Je crois savoir de bonne source que la session sera terminée avant la fin du mois, qu’on se hâte d’arriver au budget pour noyer ou ajourner toute autre question, Rémilly du nombre. Il fait bien chaud, j’ai mille petites affaires désagréables, et Vous savez que je ne vaux rien pour les petites tracasseries. Elles me font presque l’effet d’un malheur.
Adieu. vous une très pauvre lettre. Mais votre journée mercredi sera bien remplie, et puis vraiment je n’ai rien absolument rien à vous mander. Je trouve qu’Appony a l’air défait et triste, mais il ne dit pas de quoi. On dit que le Roi est de très belle humeur.
Adieu. Adieu. Le comte Woronzoff qui est à Londres, est un grand Seigneur chez nous. Un bon enfant. il était à notre ambassade à Londres et y est resté pendant nos deux premières années. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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384. Londres, dimanche 31 mai 1840
Une heure et demie

Le voilà ce prétendu 388 qui est le 387. Où est-il allé ? Qui l’a arrêté en route? Je n’en sais rien. Je n’y comprends rien. Enfin le voilà, avec le vrai 388. J’ai passé une très mauvaise journée. J’avais l’imagination très noire. J’ai promèné mon mal partout, chez Lady Kinnout à Holland-House, chez Lady Jersey. Vous m’avez suivie partout, malade, mourante, je ne sais quoi. En rentrant, j’ai monté l’escalier quatre à quatre ; j’ai regardé sur ma table, s’il n’y avait pas une lettre quelque oubli de la poste, quelque voyageur. En ne voyant, rien, j’ai eu un mécompte comme si j’avais attendu quelque chose. Par moments, des moments bien courts, je m’en voulais de tant d’anxiète que les spectateurs, s’il y en avait eu, auraient à coup sûr, appelée tant de faiblesse. Ah, que les spectateurs sont sots ! Pour comprendre le chagrin, il faut sentir l’affection ; et l’affection, le chagrin, tout cela est personnel ; on ne le sent que pour soi-même. On passerait pour fou si on laissait entrevoir la millième partie de ces suppositions, de ces émotions innombrables, ingouvernables, qui obsèdent le cœur.
Il y avait dans la lettre du gros Monsieur, 386 une phrase dont je ne pouvais me délivrer : " Je me sens si malade ? " Je lisais cela partout, dans les yeux de mes voisins, dans les journaux du soir. Je n’y veux plus penser. Non, je ne veux pas vous faire courir la poste comme un courrier, ni vous forcer à traverser un jour de gros temps. Mais voulez-vous bien sérieusement que je ne sois pas trop impatient pour le 15 ? Voyons dites ; voulez-vous ? Convenez que j’ai un bon caractère. Rappelez- vous vos colères, vos reproches quand j’ai tardé d’un jour, quand je n’ai pas été parfaitement sûr. J’ai bien envie, pour me venger, de vous conter toutes les coquetteries que m’a faites hier Lady Kinnoul. Je voudrais bien savoir de quel droit lady Kinnoul me fait des coquetteries. Mais droit ou non, elles étaient bien coquettes.
Lord & lady Hatherton, lord et lady Manvers, lord et lady Cadogan, lord et lady Poltiemore, lord Liverpool, M. Leshington. Voilà le dîner. Personne, le soir à Holland house, Si ce n’est au bout de la bibliothèque, lady Essex, l’actrice Miss Stephens, assise au piano et chantant très agréablement pour Lord Holland et M. Allen. 3 heures J’ai été interrompu par la visite de Chekib. Effendi. Celui-là est intelligent. Il est pressant. aussi. Il a raison. Son Empire s’en va. Et si on fait naître là une guerre, quelle qu’elle soit il s’en ira encore plus vite. L’immobilité de l’Orient, l’accord général de l’Occident, à ces deux conditions la Porte peut encore durer. Si l’une ou l’autre manqur, si nous nous divisons ici et si on se bat en Asie, c’est le commencement du grand inconnu. Je dis cela beaucoup, et tout le monde est de mon avis, presque tout le monde. Mais les avis sont peu de chose ; c’est la volonté qui fait.
Ce cabinet-ci est dans une situation bien critique pour élever dans ses chambres et dans le monde, une si grande question. Et je doute que sa situation critique soit de celles dont en sort en élevant une grande question. Je ne crois pas qu’il y ait à s’abstenir définitivement, beaucoup de jugement, ni de prévoyance. Et j’attendrais sans beaucoup de crainte la démonstration des évènements. Votre conversation avecT hiers est charmante. Je suis quelque fois tené de croire qu’il est embarrassé et se déchargerait volontiers de son embarras, pour un temps, sur les épaules d’autrui. Nous verrons jusqu’à quel point la fécondité de l’esprit, la dextérité de la conduite et le talent de la parole suffisent au gouvernemen t! En attendant, il est absurde de se plaindre qu’il ne s’occupe pas des petites affaires. Je suis sûr qu’il s’en occupe plus qu’on n’a le droit de l’exiger dans sa situation. C’est précisément une de ses qualités de pouvoir penser à la fois à beaucoup de choses, grandes et petites, et porter rapidement de l’une sur l’autre son activité et son savoir faire.

Lundi 1 juin
Je trouve en m’éveillant le Roi de Prusse mort de plus grands que lui sont morts. Je le regrette. C’est toujours beaucoup qu’un Roi honnête et sensé. Je me suis intéressé à lui dans ses temps de malheur. La façon dont ils étaient traités lui, sa femme, son pays, m’indignait. Je n‘ai pas à me reprocher d’avoir pris plaisir à à Mexico et à Calcutta comme dans un écho. La place manquera à l’ambition et à la puissance des hommes. Priez Dieu qu’ils ne deviennent pas fous.

2 heures
Je reviens d’un meeting on the slave trade, où le Prince Albert a fait son début in the chair. et je trouve le 389, votre départ pour le 13. Vous ne m’avez jamais donné de si principale nouvelle. J’ai quelques doutes sur un congé à demander à Thiers pour Génie. Sans cela, rien de plus simple que de le faire venir ici pour huit jours en vous accompagnant. Il faut que j’y pense, et que je lui en écrive à lui-même. Cela se pourra peut-être sans inconvénient. Je serais charmé de vous donner ce gardien là. Mais je ne veux pas que Thiers suppose je ne sais quoi. C’est bien intime de faire ainsi passer mon intérêt avant votre agrément. Mais je suis sûr que vous le trouvez bon. Le meeting était très nombreux et intéresant. Le Prince a été fort bien reçu. O’Connell et Sir Robert Peel également bien reçus, également applaudis. Public très impartial, et prenant. plaisir à se séparer de la politique. Grand applaudissement aussi à mon nom et à ma l’arrogance brutale et déréglée que j’ai vu régner. Elle était pleine de grandeur ; mais la grandeur à son tour était pleine de grossiéreté et de folie.
Le rappel de Ste Hélène, c’est juste. Les Invalides c’est juste, St Denis aussi serait juste, quoique moins convenable. L’apothéose serait une impièté. Et aussi une demence. La Prusse elle-même m’intéresse. Il y a en Europe trois pays que j’aime après le mien : l’Angleterre, la Hollande et la Prusse. Je suis très protestant par là. C’est la Réforme qui a fait ces trois pays, qui a fait leur caractère, et en bonne partie leur grandeur. Et l’Europe leur doit une bonne partie de la sienne, sans compter l’avenir. Il n’y en a plus pour la Hollande. Les petits pays sont morts. Deux choses aujourd’hui sont trop grandes pour eux, les idées et les évènements. Ni l’esprit, ni l’activité des hommes ne peut plus se contenir dans un étroit espace sur notre terre, le plus grand espace sera bientôt si étroit ! De Londres à New York, douze jours ; bientôt six jours ; on construit en ce moment à Bristol une machine qui double la force de la vapeur. On se promènera autour du monde. Les paroles dites à Paris retentiront. personne, mentionnés assez éloquemment par le sir Lushington. Mais puisque, vous ne devez ignorer aucune de mes vanités, voici mon plaisir de ce matin. Je suis arrivé un peu tard à Exeter hall. Le Prince était déjà in the chair. On se pressait pour entrer. Sur l’escalier, à la porte de la salle dans la salle, la foule était immense. En abordant la foule, j’ai dit the french ambassador, pour m’aider à avancer. Le premier venu à qui je l’avais dit, a dit à ses voisins. Mr Guizot. Tout le monde, a répété mon nom, personne ma qualité, et tout le monde m’a fait place. Un fils de M. Wilberforce, archidiacre dans l’ile de Wight, a parlé supérieurement avec beaucoup d’éloquence, naturelle et spirituelle. Sir Robert Peel a bien parlé, éternellement bien. Je vous dis que vous ne connaissiez pas M. de Brünnow. Savez-vous comment il était vendredi dernier, à une heure du matin, dans le vestibule de Buckingham Palace, sortant du concert de la Reine et attendant sa voiture au milieu de la très bonne compagnie qui attendait comme lui ? Une sale casquette de voyage sur la tête pour ne pas s’enrhumer. Je suis un peu choqué que vous m’ayez dit que je lui plairais. Du reste, je crois que vous avez eu raison. Il parle très bien de moi Il me semble que l’approche de notre rencontre me rend bien bavard. Vous ne vous plaindrez pas que cette lettre soit courte. J’en ai bien plus long à vous dire. Adieu. Adieu. Quand vous serez ici, il me semble impossible que nous n’arrangions pas tout vous, moi, Londres, et la campagne. Il y a deux choses avec lesquelles on peut tout. La seconde, c’est de l’esprit. Devinez la première. Adieu. Ma mère vous priera peut-être de m’apporter le portrait d’Henriette, dans une boite. J’espère qu’il ne vous embarrassera pas trop. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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394. Paris Mercredi 3 de juin 1840
4h 1/2

Que votre parole est puissante ! Et quand je pense qu’outre cette parole puissante, Il y aura bientôt cette voix, ce regard, qui agissent sur moi si fortement, je me sens bien petite de me laisser aller jamais à des moments de tristesse, de doute, où vous me voyez si souvent. Je rentre et l’on me remet votre 384. Il y a vos inquiétudes. Ah ne les regrettez pas, ne regrettez pas de me les avoir exprimées. Elles m’ont fait tant de plaisir. Je me sens le cœur plus large, plus libre. Le retard de ma lettre vous avait donnée du chagrin, presque l’angoisse. Je suis si contente ! Voyez cet atroce égoïsme. Haïssez-moi bien, car je jouis vivement de vos peines quand c’est à moi qu’elles s’adressent. Nous nous sommes souvent dit que nous ne savions pas rendre tout ce qu’il y a dans notre âme. Jamais je n’ai tant senti l’insuffisance de mes paroles. Mais vous verrez quand vous m’entendrez ! De près, il me semble que je serai bien éloquente Jeudi le 4 de juin.
Voici le 385, et des volumes que j’aurais à répondre, que de choses à vous dire, bien tendres, des reproches, de la reconnaissance. Vous deviez me dire un mot sur le gros Monsieur tout de suite. vous me les dites à présent. Mon cœur allait au devant des paroles de 385. si je les avais trouvées plutôt vous m’auriez épargné quelques jours de peine. Vous avez raison. Il y a bien de la susceptibilité dans l’absence. On remarque tout, cela veut bien dire que nous nous aimons, mais pour cela même il faut que nous nous épargnions mutuellement tous les petites images, car il n’y a rien de petit quand on ne peut que se dire adieu tout de suite après. N’est-ce pas ? Ne faites rien pour Génie si vous y voyiez le moindre inconvénient. Gardez-moi une place à dîner le 26. Cela vous plait, et à moi aussi.
Mes matinées sont très coupées par mon fils et mille bêtises. J’ai à peine le temps d’écrire trois lignes de suite. J’ai dîné hier chez Rothschild à Boulogne. Nous avons beaucoup causé Thiers et moi. Il m’a dit beaucoup de choses qui méritent que je m’en souvienne. Il est très sage, très contenu. La guerre à la toute dernière extrémité, il la reculera plus que ne la reculerait tout autre ! Mais si un jour elle éclate s’il la faut absolument oh alors, par tous les moyens et ravoir ce que la nature indique. Il y a deux forts arguments. L’un pour l’autre contre la guerre. Contre, parce que personne ne la veut. Pour, parce qu’il y a 25 ans qu’on ne l’a faite. Sur l’Orient, sait-on bien, sait-on assez en Europe, que la France sur ce point est in-fle-xible ? Prononçant comme cela et répétant. En Angleterre, il n’y a que Lord Palmerston qui soit de l’avis contraire à tout le monde. La session finit, dans 10 jours tout sera terminé. Odillon Barrot s’est conduit parfaitement. Sa lettre est excellente. On s’est tiré habilement du mauvais pas de la souscription. Les funérailles, qui sait ! Il est vrai que l’épreuve sera forte, car l’émotion sera dans tous les cœurs. Le million de Joseph ? Il na pas voulu me répondre du tout sur cela, il m’a dit simplement : " C’est un vieux fou. C’était une veille créance." Cela confirme sans expliquer ce qu’il veut faire. Je suppose que cela l’embarrasse.
La Prusse. La mort du Roi c’est là révolution. Je suis parfaitement de son avis et vous verrez. Au bout d’une bien longue conversation il me dit que si je ne vais pas en Angleterre, il me jure qu’il viendra deux fois par semaine causer avec moi.
There is a bribe ! I go to England.
Je vois que l’affaire Rémilly est noyée par conséquent rien de grave ou d’immédiat. Il me semble que les rapports de Thiers avec le roi doivent être meilleurs, presque vous. Cela perce dans le paroles respectives. Il me semble que je vous ai tout rapporté. Ah encore, tous les deux lui et moi nous sommes pour une République aristocratique, franchement de tout notre cœur. Je vous assure que nous avons fort bien parlé sur cela, et je crois que vous aurez fait le troisième. Nous nous sommes bien promis de nous garder le secret. Ainsi gardez-le.
Je fais mes préparatifs, et j’ai mille embarras petits et grands, parce que vous savez que je n’ai personne pour me les épargner. Simon m’a dit ce matin qu’il a vu partir toute votre famille en très bonne santé. Il se plaint que la poste lui apporte maintenant les lettres plus tard que de coutume. Je vous en préviens, moi je me plains bien plus que lui. Je suis charmée de ce que vous me dites sur meeting du Slave trade. Vous faites bien de me dire toutes les petites vanités. Cela cela devient bien grand pour moi. de tous côtés j’entends parler de vous, parfaitement J’irez voir. Adieu Adieu, et jamais assez.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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398. Paris, lundi le 8 juin 1840 9 heures

J’ai reçu une bonne lettre ce matin, nous nous renvoyons notre plaisir. C’est une charmante marchandise. Il fait beau, j’ai le cœur léger. J’ai fait beaucoup de bois de Boulogne hier, j’ai dîné seule. Seule ! Cela m’a paru de nouveau bien triste !
Le soir j’ai été un moment voir Lady Granville, et puis Mad. de Castellane. M. Molé, M. Salvaudy voilà ce que j’y ai trouvé. Dans la commission de la chambre des Pairs, M. Molé a été tout-à-fait contre les Invalides, il voulait absolument St. Denis. Il me l’a répété lui-même. Je m’étais laissé dire auparavant que le Roi a été très piqué de cela, et qu’il la regardé comme personnel. Tout le monde s’accorde à regarder la session comme fini. M. de la Redorte sera nommé ambassadeur à Bruxelles. On fait de cela une ambassade de famille. aves Mad. Lehon ambassadrice. Cela vient je crois de ce que le Roi n’a pas voulu qu’on touchât aux autres, et que Thiers avait promis à la Redorte. Rien pour M. de Flahaut ! Ils arrivent dans le courant du mois.
Mad. de Talleyrand écrit de Berlin qu’elle est comblée. Toute la famille royale est pleine de politesse pour elle. On fait là comme si le Roi n’était pas malade, il le veut ainsi, les dîners et les réceptions vont donc comme de coutume. Elle parait charmée de mon grand Duc. A moi, elle n’a pas écrit encore. C’est de Mad. de Castellane que je sais tout ceci.
2 heures je suis sortie ; j’ai vu des gens d’affaires, j’ai fait beaucoup de petites affaires, tout cela chez moi au reste, mais on me mange mon temps, mandez-moi encore des nouvelles. J’ai le temps de les recevoir. Je reste fixé à samedi mais j’ai un tracas intérieur qui pourrait cependant me faire remettre mon départ de 2 jours. Imaginez : changer femme de chambre, me livrer à une inconnue, faire sa connaissance.en route, c’est bien désagréable. Je crois que j’en ai le courage, mais je ne suis pas sûre. Tout ceci vous venge bien des querelles que je vous ai faites jadis, aussi ne manquez-vous jamais de me le rappeler. Mais ne me dites pas encore de gros mots, car Samedi est toujours dans ma tête. Ce qu’il y a dans mon cœur je n’ai pas besoin de vous le dire ! Comme le cœur galope quand on approche du moment ! Adieu. Adieu. Les diplomates ici affirment qu’on ne fait et ne fera rien sur l’Orient. J’ai reçu une lettre charmante de Matonchewitz vous l’aurez, car vous les aimez. God bless you. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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396. Paris, Samedi le 6 juin 1840

J’avais bien raison de détester vos courses. Je n’ai eu que de pauvres petites lettres. Je suis charmée que vous ayez trouvé peu de plaisir à Epsom, aussi charmée que vous l’ayez été sans doute lorsque je vous ai donné l’assurance que je n’irais jamais voir Melle Dejazet. C’est Ellice aussi qui voulait m’y entraîner, lui Lady Granville, la loge était prise, tout leur petit plan fait pour m’enlever par surprise, mais moi, je sais dire non tout de suite. Enfin Epsom c’est fini je n’y veux plus penser.
Je veux penser au mois de juin. Je pense à tous les détails. Décidément vous aurez vos heures où je serai out pour tous les autres. Nous déciderons cela tout de suite, et nos heures seront réglées selon vos convenances. Mais que Londres va me paraître étouffé, étouffant. Certainement, je ne tiendrai pas longtemps à Londres même quand j’y pense bien, assurément, si ce n’était vous je ne ferais pas ce voyage. J’y vois un peu plus de tracas que de plaisir.
J’ai dîné hier chez les Granville Ils étaient seuls. Le soir, j’ai vu chez moi M. Molé, les ambassadeurs, Armin,& & Les nouvelles de Berlin, sont meilleures vous le savez sans doute/ Ainsi mon programme est faux. M. Molé me dit que la gauche est furieuse contre Barrot. 40 des siens le quittent. Il n’apporte dans le camp ministériel tout au plus que 20 adhérents. Il faudra que Thiers le poste à la présidence et les Conservateurs joints aux extrémités le refuseront. Il nie qu’il puisse y avoir de meilleures relations entre Thiers et Le Roi. On me dit qu’il n’est pas vrai que M. de la Redorte aille à Madrid ; cela s’était établi dans le monde. Je ne sais ce qu’on pense ici du discours de Lord Palmerston. Mais la croyance générale est qu’on est assez près de la guerre. M. Molé a été frappé des paroles dites par Thiers à la chambre des Pairs sur la question de la banque. Il a fait entrevoir la guerre comme probable.
Je suis fatiguée, mais je ne suis pas si malade que je l’étais après que vous m’aviez annoncé Epsom. Adieu. Je ne songe plus qu’à Londres, j’écarte les idées de tracas, je m’attends au bonheur. Oui, un grand bonheur. Ah, que de causeries charmantes, quel débordement, Adieu. Adieu, mille fois.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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400. Paris Mercredi 10 juin 1840

Voici vraiment, un gros chiffre, et qui ne prouve pas que nous soyons des gens d’esprit. Trois ans font environ 1100 jours. Plus du tiers de ce temps nous l’avons passé séparés !
J’ai vu hier soir beaucoup de monde ; les ambassadeurs, M. Molé, M. de Poix, M. de Noailles et les diplomates d’été comme il les appelle, c’est-à-dire les petites puissances. M. Molé seul d’abord car il vient de bonne heure. Il n’a pas vu le Roi depuis 6 semaines ; il ne voit pas pourquoi il y irait. Il blâme fort la conduite du Roi, il la trouve très malhabile. Il se préoccupe de l’entrée de Barrot dans le ministère il croit qu’on le nomme à la justice. M. Vivien au commerce, et M. Gouin dehors. Si l’entrée de Barrot faisait sortir les doctrinaires, ah, cela serait un gros événement. Alors le ministère ne peut pas tenir, les conservateurs se retrouvent compactes, forts. Cela lui plait beaucoup. Le maréchal Valée aura pour successeur au commandement de l’armée, le général Bugeaud. Dufaure serait nommé gouverneur civil de l’Algérie. Voilà le dire de M. Molé.
Les ambassadeurs étaient occupés de Berlin. Le Roi était à l’agonie. Ils commencent à trouver que ce sera une immense perte. Les derniers 6 mois de l’année 40 peuvent développer beaucoup de mauvais germes. Il y a longtemps qu’on se sent menacé de tous côtés, ne croyez vous pas que le moment est prochain où l’orage doit éclaté ? On dit que Don Carlos est dans la misère. Les légitimistes se cotisent pour le faire vivre.

2 heures
Votre n°390 me laisse un grand remord de ne pas partir Samedi. J’ai tort de dire remord, c’est regret qu’il faut dire, parce qu’il n’y a pas de ma faute à ce retard. Ma seule faute c’est d’avoir du malheur dans les petites choses comme dans les grandes. Je n’en connais qu’une grande qui ne soit pas entachée de cela. Elle couvre tout.
Vous m’apprenez que les Sutherland me donnent Stafford house, et vous concevez que ce n’est pas comme cela que je dois l’apprendre. Assurément ce serait un grand tracas et un bien mauvais gîte d’épargné. Mais encore une fois, ils ne me l’ont pas dit. J’écrirai à Benckhausen. La veille de mon départ pour qu’il me trouve un appartement convenable. dans l’une des auberges de Londres. Je ne partirai pas sans avoir vu Génie. Je serai à Londres jeudi le 18 au soir ou vendredi dans la journée. Cela dépendra du passage. Je vous écrirai de Douvres si je m’y arrête ; si non, comme je devancerai la poste, vous saurez mon arrivée quand je serai arrivée.
N’ayez pas peur que je perde une minute jusqu’à mon départ vous aurez tous les jours une lettre, et une de la route, pour que vous me sachiez vraiment en route. Adieu. Adieu. Je ne pense qu’au bonheur qui m’attend. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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399. Paris, mardi le 9 juin 1840

Décidément,je ne pourrai pas partir samedi, ce ne sera que mardi le 16. Je vous jure que c’est indispensable que je remette à ce jour-là. Les raisons sont longues et trop multiples pour vous les dire mais elles sont bonnes. Je vous supplie de ne pas vous fâcher, n’est -ce pas vous ne vous fâcherez pas et j’aurai des lettres jusqu’à lundi inclusivement.
J’ai dîné hier chez Granville ; personne, et rien que Pahlen après le dîner, et pas de nouvelles. Si fait, et probablement ce que vous savez, que M. de la Redorte va à Madrid, et que l’ambassade est pour M. de Rumigny. Cet arrangement a coûté à Thiers beaucoup d’efforts auprès du Roi. Mais enfin cela s’est fait selon la volonté du ministre; Il est très vraisemblable que M. Barrot entre dans le cabinet sous très peu de temps. Il veut l’intérieur, il est clair que les doctrinaires sortiront dans ce cas. Tout ceci est exactement ce que m’a dit Lord Granville, et je crois qu’il ne dit pas les choses légèrement. Et bien, si cela arrive, qu’arrivera-t-il à Londres ? That is the question !
J’ai été au bois de Boulogne après dix heures du soir, et comme j’avais, peur j’ai pris Fullarton, qui était ravi de la lune, et de l’invention d’une promenade à cette heure-là.
Midi. Un peu de promenade et ma toilette, maintenant les great and little bores d’un départ ; vous ne sauriez croire comme je suis helpless ! Pogenpohl m’aide beaucoup, et puis un homme que m’a donné Génie. Je cherche toujours un compagnon de voyage. Je suis sur la trace. Il faut que je réussisse. Je ne me vanterai que quand il sera vraiment pris. Je vais et viens, je vais à mes paquets, je reviens à vous.
Je suis curieuse de vous revoir. Ne trouvez-vous pas l’expression ridicule ? Mais c’est cela, il me parait que je trouverai du nouveau ; et si même ce nouveau était mieux, voyons.... Si je vous trouvais 25 ans au lien de 50 ! Et bien cela me déplairait beaucoup. Je veux retrouvez ce que j’ai perdu le 25 février, le retrouver tel qu’il était ce jour-là. Je l’aimais tant comme cela !
Adieu. Je vous en dirai encore quelques uns, et puis nous n’aurons plus à les dire. C’est charmant, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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402. Paris, vendredi le 12 juin 1840

J’ai un grand plaisir. Enfin quelque chose me réussit. Je serai accompagnée, par M.Heneage l’un des secrétaires de l’ambassade d’Angleterre, et je dormirai tranquille. Lady Granville m’a arrangé cela. Il n’est pas ici, mais il arrive demain de Fontainebleau. La question du logement ne sera pas aussi favorable. Vraiment je serai parfaitement mal. J’ai bien plaint souvent les pauvre voyageurs que je visitais à Londres. Mais que faire ! Il faut tacher d’arranger en campagne au plutôt ; pour cela faites finir le parlement.
J’ai vu hier au soir Berryer il y avait bien deux mois qu’il n’était venu. Il a causé avec esprit mais son humeur est grogneuse. Il avait espère quelque éclat, ceci prend une mine trop solide, qui le deroute. Il me dit : " Thiers pouvait le taire plus fort, il a préféré faire la chambre plus faible. Il doute de l’entrée de Barrot dans le Cabinet ; et il ne compte plus du tout sur la dissolution. La gauche est divisée. Et les conservateurs ne sont pas gouvernés. Voilà à peu près l’essence de ce qu’il m’a dit. Montrond est venu hier soir aussi. Ils ont causé. Mon ambassadeur, les Durazzo d’autres.
J’avais chaud. J’aurais préféré le bois de Boulogne d’où je n’étais revenue qu’à 9 heures. Il y faisait charmant. Je jouis de cet air bien pur ; d’un air qu’on n’a jamais en Angleterre. Je reviens un moment à Berryer. Il est frappé du despotisme complet de Thiers et m’a cité à ce sujet des traits assez curieux. Jaubert est un des plus soumis
A propos mon ambassadeur est maintenant en bonne connaissance avec tous les Ministres. Cela est venu à la suite d’un commérage de ma part. Vous savez mon estime pour les commérages. Adieu Monsieur, je n’aurai plus de réponse à cette lettre Adieu.
2 heures
Je réponds encore à votre lettre. Je suis charmée de Windsor. Votre dîner des 15 chez Lady Lovelace en est dérangé, cela ne me déplait pas trop, elle a un trop joli nom. Je vous dis de loin des bétises. Je suis sûre de n’en point dire de près. Mon départ reste fixé au 16 à moins que Heneage ne me prie de le retarder. Ce ne serait que d’un jour il me ferait arriver le 19. Comme vous le dites. Adieu.
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