Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Dumon, Pierre-Sylvain (1797-1870)

Auteur : Dumon, Pierre-Sylvain (1797-1870)

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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70 (je ne me souviens pas bien) Paris, Jeudi 18 mai 1854

J’ai vu assez de monde hier, Broglie, Duchâtel, Sacy, Mallac, Mornay, & Je trouve tout, les faits et les esprits, exactement dans le même état. Le gouvernement redouble ses efforts pour la guerre, les envois de troupes, de matériel, les préparatifs des camps de St Omer et de Marseille. On croit qu’il va demander au Corps législatif une sorte de pouvoir discrétionnaire en fait d'emprunts dans l’intervalle des sessions. Il l'aura et il en usera. Un nouvel emprunt est indispensable, et assez prochain. C'est dans cette vue qu’on prend tant de peine pour soutenir la Bourse ; on m’a très bien expliqué les moyens ; je ne vous les répèterai pas ; ils sont efficaces en ce moment et le seront quelque temps, pas bien longtemps, mais assez probablement pour que le nouvel emprunt se fasse passablement, sauf à avoir plus tard une baisse générale dont les badauds payeront les frais. Le public se préoccupe peu de la guerre et il en souffre peu.
Morny dit vrai ; les affaires reprennent assez. Il se trouve, à l'épreuve que le commerce avec la Russie est peu important pour la France et pour l'Angleterre. Les progrès de la consommation à l’intérieur et du commerce général rendent ce vide spécial peu sensible.
Quant à la politique de la guerre, personne n'y pense ; personne ne s'inquiète de savoir si Baraguey d'Hilliers sera ou non remplacé. L'Empereur est parfaitement le maître de prendre Lord Stratford pour ambassadeur, et s'il est content de ses services, le public sera content aussi. Les journaux Anglais ont publié de grands détails (et piquants) sur la querelle de Baraguey d'Hilliers avec Reschid et Redcliffe. Il y a eu défense absolue aux journaux Français d'en traduire un seul mot. Baraguey a eu tous ses défauts et quelque fierté. Pour Redcliffe, tous les défauts sont aujourd’hui des qualités.
Je suppose que vous savez tous les détails sur M. Lazareff et la visite de sa femme à M. de Persigny pour le remercier. " Mon mari était assez mal en cour ; vous lui avez rendu un grand service, en le mettant à Mazas ; il aura enfin un trône qu’il désire depuis longtemps sans pouvoir l'obtenir. " J’ai demandé si ce serait [?] André.
Je ne vous ai pas parlé du général Osten Sacken et de la lettre qui lui a été adressée par ménagement pour votre goût du pouvoir absolu. Car on a tort de s'en prendre à votre Empereur en personne pour ces bévues hautaines ; c’est de sa situation qu'elles viennent. La pouvoir absolu y est condamné, et tôt ou tard, les plus grands génies y tombent. Quand on est très puissant, il faut être, à chaque instant, averti et contenu pour ne pas devenir fou à lier, ou à faire rire.
Vous savez probablement que Mad. de Bauffremont est retrouvée ! Elle s’est rendue d'elle-même au couvent des Augustines pour y réfléchir, dit-elle, sur sa situation. Elle a tout bonnement erré dans les environs de Paris, presque sans se cacher. On se moque un peu de la police.
Thouvenel avait et aurait encore envie d'aller à Constantinople. Son chef ne veut pas. Ils sont de plus en plus mal ensemble. Le chef a besoin de l'intérieur, et craint que, si l'inférieur devenait ambassadeur, il ne devint bientôt ministre. Je ne vois pas pourquoi, si l'Empereur voulait faire Thouvenel ministre, il prendrait la peine de le faire passer par Constantinople. Je ne verrai probablement pas Mlle de Cerini.
Si j’ai un moment, je ferai une visite à Mad. Sebach que je prierai de lui redire ce que vous me dites. Je vais m'occuper de Rothschild. Il est bien juif ; mais la chose est très claire. Il vous demande 12 000 fr. de loyer, et une somme de 12 000 fr pour faire remettre l’appartement tout-à-fait en état, comme quand on change de locataire. Il y a à redire sur ceci. Par malheur Génie ne sera ici que dans quatre jours. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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51 Bruxelles le 8 mai 1854
Dimanche

Voilà le 58 retrouvé, il vient de m'arriver mais sans le timbre de Paris. Je me trompe, le timbre y est, mais du 6 au lieu du 4 qui est la date de la lettre, il y aura eu négligence chez vous.
On ne sait rien ici. L'emprunt à Londres ne réussit pas. Il y a beaucoup de faillite dans la cité, tout cela peut servir la paix. Je ne sais que penser d'Odessa. Pourquoi ne donne t-on pas le rapport de l’amiral Hamelin ? C’est évidemment tronqué. Nous allons voir la version Russe. Car encore faut il écouter tout le monde. Meyendorff disait le Palais Woronzoff & la statue du duc de Richelieu détruits. Clarendon annonce que les flottes sont allées à Sevastopol.
Avez-vous remarqué dans l’Indépendance qu’on avait trouvé à Vienne Hubner trop anti russe ? Les lettres le disent bien plus encore que les journaux. Je pense qu'il va bientôt revenir et qu’il passera par Bruxelles. Je n’ai vraiment rien à vous dire mais je pense qu’il vous faut un papier vert au Val Richer. Avez-vous chanté, avez vous froid ? Ici il continue à faire très laid. Il y a quinze jours que je n’ai vu le bois de la Cambre. Adieu. Adieu.
M. de Lazaroff à Masa. Cela divertit toute la Colonie russe. It serves him right. La sortie de M. Bonin du Ministère prussien nous débarrasse du dernier ministre anti russe.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 9 Nov. 1853

Je viens de parcourir, cet immense acte d'accusation contre le complot, de l'opéra comique. Ce sont les mêmes idées, les mêmes desseins, les mêmes paroles que de mon temps. Les noms propres ne signifient plus rien, ni pour le gouvernement, ni pour les conspirateurs. C'est une perversité et une démence permanente, abstraite, qui passe de génération en génération, sans qu’il vaille, la peine de savoir qu’ils en sont les instruments momentanés ; ils ne se distinguent pas les uns des autres, et ils s'attaquent indifféremment à Charles et à Louis-Philippe, à Napoléon III, à Frédéric Guillaume à Ferdinand. Le premier qui trainera réellement ce démon rendra un immense service à l'humanité.
Les journaux ne m’apprennent absolument rien. Sans doute on ne s’est pas encore battu. On ne cache pas longtemps une bataille. Je suis décidé à croire que vous rejetterez les Turcs dans le Danube, et que l'affaire finira par là. J’ai bien des choses à vous dire, mais nous sommes trop près de nous revoir. Nous causerons la semaine prochaine. Je pars décidément. Mercredi soir 16.
J’ai des nouvelles de Broglie, de Piscatory et de Barante qui m’en disent encore moins que les journaux. Barante est frappé de l'apathie universelle, sauf une seule espèce d'homme, la démagogie révolutionnaire : " C'est la seule opinion qui conserve quelque vivacité. De jour en jour, elle manifeste plus de démence et de rage. Elle espère et menace. Les chefs qu’on a ménagés, les envolés des sociétés secrètes qu’on a rappelés du bannissement sont les plus animés. Leur action sur les classes marchandes et sur les gens de la campagne est tout-à-fait nulle ; mais la cherté du pain et surtout du vin, leur donne assez de prise sur les ouvriers de nos villes. " Piscatory ne pense qu’à l'hiver prochain et à la disette.

Onze heures
Adieu, Adieu, à nos prochaines conversations.
Orosmane dit à Zaïre : Mais la mollesse est douce et sa suite est cruelle ; je mets la faiblesse à la place de la mollesse et un politique à la place d'Oromance ; si on n’avait pas été, en commençant, faible avec Lord Stratford, faible avec les Turcs & &, on ne serait pas si embarrassé.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, lundi 10 octobre 1853

Je n’ai encore sur le meeting ou la Taverne de Londres que l'énoncé des propositions qui ont de lui être soumises et qu’il aura sans doute adoptées. C'est bien mauvais. Absolument la politique du siècle en France et du Daily news en Angleterre ; la politique des révolutionnaires badauds et décla mateurs, en attendant celle des révolutionnaires hardis et acteurs. C'est la même situation que chez nous en 1840, seulement l'autocrate russe a remplacé le perfide Albion. Je ne puis croire que tout cela soit réellement populaire et fort en Angleterre. Mais tel est l'état des esprits en Europe que pour résister, même à une popularité uniquement superficielle et apparente, il faut beaucoup de fermeté d’esprit, et de courage, et aussi de talent pour arracher le masque et faire voir le dessous au public. Y en aurait-il assez dans le cabinet anglais ? Gladstone a le talent ; Aberdeen a le bon sens ; Palmerston a le courage. Cette trinité se fera-t-elle Une. Je suis un peu inquiet et encore plus curieux. En tout cas, nous avons du temps devant nous. Il ne faudrait plus croire à rien si, à la fin d'Octobre, les Turcs passaient le Danube et vous attaquaient dans les principautés de manière à vous obliger de le passer à votre tour et de pousser jusqu'à Constantinople. Le Times indique que même si cette guerre là éclatait l’Angleterre et la France ne se presseraient pas d’y entrer.
Le public de province commence à s'alarmer. Il est très préoccupé de la disette. On croit généralement la récolte plus mauvaise qu’en 1846. Il nous manquera près du quart de la nourriture de l'armée. Il faudra au moins 400 millions pour combler ce déficit. D'après les dernières nouvelles du Havre, il y avait déjà, dans les ports des Etats-Unis, 500 navires, en chargement de farine et de grain pour la France. Cela rendra la guerre bien difficile. On ne la fera pas sans faire un gros emprunt, et on empruntera très chèrement au moment, où les capitaux s'emploient à avoir du pain. Embarras énorme, probablement débâcle affreuse à la Bourse. Cela vaudrait bien la liberté de la presse. L'Empereur a raison de vouloir la paix. S’il la veut bien, il l'aura. L'Angle terre ne fera pas la guerre sans le concours de la France. Si l'Empereur ne maintient pas la paix, c’est qu’il ne s'en soucie pas beaucoup.

Onze heures
Je suis fâché que la guerre soit déclarée si elle l'est, et bien aise que le cabinet anglais reste entier. Pourvu que la guerre ne devienne pas générale, et que l’Angleterre et la France gardent le caractère de médiateurs, l'affaire s’arrangera tôt ou tard, et en attendant vous êtes en dehors de la question. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, samedi 17 sept. 1853

Je trouve les lettres bien fades après nos longues conversations. Savez-vous que nous avons passé six ou sept heures ensemble chaque jour ? Qu'est-ce qu’une petite feuille de papier, et une demi-heure de monologue après cela ?
Je n'ai comme de raison, rien de nouveau à vous dire. De près on peut redire sans cesse ; de loin, c’est ennuyeux. Je me suis ennuyé en route ; j’ai peu dormi. La nuit était claire et douce, une lune magnifique. Vous souvenez- vous de la jolie cavatine mira la vaga luna ? Qui donc chantait cela ? Mario au Grisi ? Personne ne chante plus.
J’ai trouvé ici la population très émue de la cherté du pain et des perspectives de renchérissement. A part le désordre matériel, ce sera une source de grand désordre moral, une recrudescence des plus mauvaises passions démagogiques. Le bruit se répand, et on le répand, que ce sont les propriétaires, les riches, les légitimistes qui causent le renchérissement, en gardant leur blé pour le rendre plus cher encore plus tard. Si c’est là une manoeuvre pour repousser l’idée que c’est la faute du gouvernement si le blé est cher, elle est aussi bête que coupable ; le peuple en voudra aux riches et au gouvernement tout ensemble. Dupin a fait à son comice agricole, un bien mauvais discours, s’il a envie de rentrer à la cour de cassation, qu'avait-il besoin de flatter les plus bas préjugés populaires, en même temps que le pouvoir ? Ce n’est pas la populace qui nomme les procureurs généraux. Je méprise, mais je comprends, les platitudes utiles. A quoi bon les inutiles. Du reste, ce luxe de bassesse des espèces est un petit plaisir que Dieu donne aux honnêtes gens ; il veut qu’on puisse se moquer de ceux qu'on méprise. Je vous quitte pour faire ma toilette. Votre lettre m’apportera peut-être quelque nouvelle. Petite nouvelle probablement ; nous n'en aurons de grandes que quand le refus de votre Empereur et les résolutions des cours d'Occident seront arrivées à Constantinople.

Onze heures
Je n'aurai de vos nouvelles que demain les journaux ne me disent rien de tout. Adieu et Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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17 Val Richer, Mardi 14 Juin 1853

Je ne vous ai pas écrit hier. Vous ne m’avez pas dit si vous partiez dimanche ou lundi. J'enverrai ma lettre à Paris, et elle sera à Ems aussitôt que vous, ou bien près. Je suis pressé de vous savoir arrivée. J’espère que vous m'aurez écrit, ou fait écrire, par Marion, quelques mots de la route.
Il me paraît qu’on commence à se calmer à Paris. La hausse reprend à la bourse. Les joueurs intelligents auront fait de bonnes affaires, et les badauds de bien mauvaises. La politique et les libertés de la France sont là, entre les fripons et les badauds. Ce que les journaux me disent de la dernière dépêche de votre Empereur est sensé et rassurant. Je regrette de n'avoir pas ici sous la main mes collections de Traités. Je suis assez curieux de savoir s’il a raison de dire qu'aux termes des traités avec la Porte, il a le droit, dans son débat actuel avec elle, d'occuper temporairement les Principautés. J’ai des doutes sur cette question là. Il n’y a du reste, pas grand chose à répondre à tout ce qu’il dit, sa seule faute, c’est de ne l’avoir pas dit complètement, hautement, tout de suite et à tout le monde. Il l'aurait fait plus aisement, et avec moins d’inconvénients pour lui en Europe qu’il ne le fait aujourd’hui.
Les journaux Anglais aussi se calment soit qu’ils y voient plus clair, soit qu’ils se résignent. Aberdeen ne sera pas plus compromis que la paix. Je n'ai point de nouvelles d'ailleurs, et je n'en aurai pas souvent à vous envoyer. Tous mes correspondants possibles sont partis avant vous, ou avec vous. Vous n'aurez de moi que des bribes, et des bribes rares.
Il fait ici aujourd’hui un temps superbe. Je vous le souhaite pour votre arrivée à Ems. La première impression dans un lieu qu’on va habiter est quelque chose, elle se répand sur tout le séjour. La vallée de la Lahn est charmante par un beau temps.

Onze heures
Voilà votre lettre de Bruxelles qui me fait grand plaisir. Pour vous d’abord, ni aussi pour ce qu’elle contient de nouvelles. Je suis pour la paix, par conscience parce que je la crois bonne par amour propre parce que j'y ai toujours cru. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 26 oct. 1852

Il m’est revenu hier que le roi Jérôme avait de nouveau repris grande confiance. L'examen attentif des anciens Senatus consultes rend difficile, le système de l'adoption. L'Empereur Napoléon l’a formellement interdit à ses successeurs. On ne veut pas s'écarter de sa volonté. J’ai peine à croire à une superstition si jeune.
Il me revient aussi qu’on parle d’une protestation du comte de Chambord. Vous m’avez dit que ses amis, le Duc de Noailles entre autres, le niaient tout-à-fait, et conseillaient le silence. Il y a du pour et du contre. Le silence est peut-être le plus sensé et le plus probable.
Entendez-vous dire que la bourse est inquiète et que malgré le discours de Bordeaux et l'hymne de Mlle Rachel, les idées de guerre roulent dans des têtes qui ne sont pas sans importance ?
Je persiste à croire à la paix prochaine. Je suis convaincu que l’Europe y aidera jusqu'à la dernière limite de la possibilité.
Mes hôtes Anglais sont partis hier. J’ai fini des visites. J'en ai eu cette année au moins autant que j'en désirai. Certainement si je n'étais pas pressé d'aller vous voir je resterais ici plus tard. J’ai peu de curiosité pour les petites choses, et peu d’espérance, pour les grandes.
Le mouvement et le bruit de Paris ne conviennent guère à cette disposition. Mais je veux vous voir. Je compte décidément partir le 12 et vous voir le 13. Ma fille aînée part le 2.

Onze heures
J’ai toujours un peu craint, je vous l'avoue, que votre faveur n'allât pas beaucoup au delà de l'amusement que vous donnez. L’égoïsme, tantôt sérieux, tantôt frivole, est la vice d'en haut. Quand on a obtenu ce qu’on veut, ou ce qui plaît, on ne pense plus à rien ni à personne.
On pouvait prédire l'apoplexie d’Appony. Ce serait plus singulier si c’était sa femme. Adieu, Adieu.
Il fait bien vilain. Je crois qu’il est certain qu’à propos de l'Empire, on ne fera et ne dira rien à Claremont. La Duchesse d'Orléans avait quelque envie de parler, au nom de la monarchie constitutionnelle. Les Princes sont décidés à se taire.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Dimanche 26 sept 1852

Je ne m'étonne pas qu’on attribue au Président quelques vues d’aggran dissement en Afrique ; c’est là qu’il peut tenter quelque chose de ce genre avec le moins de danger du côté, soit de Tunis, soit du Maroc. Je doute que l’Europe, et peut-être même l’Angleterre lui fissent, pour cela, une guerre immédiate ; mais il en résulterait, pour eux, au dehors, surtout à Londres, une situation très gâtée, et au dedans de graves embarras financiers, car, sur ce terrain-là les guerres ne rapportent rien et coûtent énormément. Et tout docile qu’il est, son Corps législatif ne serait guère disposé à lui donner beaucoup d'argent pour de telles conquêtes. A tout prendre, elle lui seraient, je crois plus nuisibles que profitables, et le Constitutionnel a raison de prêcher deux fois par semaine, comme il le fait, l'Empire pacifique et commerçant. Il ne faut pas pousser l’imitation au-delà du nom.
On vient de prendre un petite mesure que vous n'avez certainement pas remarquée, mais dont l'effet sera mauvais dans les départements, c’est la suppression de l'institut agronomique de Versailles. Pure économie, je crois ; on ne sait où en faire, et on en a besoin. Je n’ai pas la moindre opinion sur le fond de la question ; mais je sais, et je vois, autour de moi, que cet établissement plaisait aux propriétaires agriculteurs un peu aisés, et qui veulent que leurs enfants soient bien élevés en restant agriculteurs. Il était fondé ; il commençait à bien marcher. On trouvera cela léger [?] Sans compter qu’on met ainsi à la porte une douzaine de savants considérables qui crieront.
Cela vous est égal, et à moi aussi ; mais je vous dis ce qui me vient à l’esprit en lisant mes journaux.
Qu’est-ce que c’est que votre belle hongroise ? Sera-ce une remplaçante de Mad. Kalerdgis ?
Le discours de Lord John Russell à Stirling en l'honneur du duc de Wellington m’a plu ; la louange est vrai, et dit avec une simplicité ferme. Il n’y a rien de tel que de mourir pour n'avoir plus d'adversaires.

Onze heures
Pas de lettre du tout, ni de vous, ni d’Aggy. C’est trop peu. Donc adieu et adieu. G.

Auteur : Mirbel, Lizinska Aimée Zoé de (1796-1849)

Auteur : Mirbel, Lizinska Aimée Zoé de (1796-1849)

Auteur : Mirbel, Lizinska Aimée Zoé de (1796-1849)

Auteur : Mirbel, Lizinska Aimée Zoé de (1796-1849)

Auteur : Chevalier, Michel (X1823) (1806-1879)

Auteur : Darcy, Hugues-Iéna (1807-1880)

Auteur : Darcy, Hugues-Iéna (1807-1880)

Auteur : Darcy, Hugues-Iéna (1807-1880)

Auteur : Darcy, Hugues-Iéna (1807-1880)

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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105 Val Richer, Mardi 27 Juin 1854

M. le Persigny a évidemment de l'humeur ; son départ immédiat pour la Suisse le dit. S'il est encore très amoureux, cela le consolera. Je ne me doutais pas que son long rapport fût un adieu, singulière préface pour congédier un ministre que de mettre au Moniteur le panégyrique de son administration. Les journaux de l'opposition si ce mot existe encore ont mieux parlé hier du ministre en retraite que ceux du gouvernement ; leur ton de regret était plus sincère.
Deux maréchaux en Autriche ! Rien n'indique plus l'approche de la guerre. Ces grands avancements sont toujours, ou un encouragement, ou une récompense. Et chez vous encore un général mort, et l’un de vos plus estimés, si je ne me trompe. Dans le temps de nos grandes guerres, quand nous voyions beaucoup de généraux très, nous disions que les troupes avaient peu d'entrain, et que les officiers étaient obligés de se compromettre pour les enlever. Voilà Napier devant Cronstadt, et avec toutes les forces réunies. Il semble impossible que dans la Baltique et dans la Mer noire, nous n'ayons pas bientôt quelque grosse affaire ; ou bien nous n'en aurons point du tout cette année.
J'avais deviné juste sur la petite duchesse de Melzi. C'est donc dans la jeunesse que les femmes sont folles et les hommes dans la vieillesse. Au reste votre panégyrique des vieilles femmes à propos d’Ellice est mal tombé, et je suis obligé de ne pas l'accepter. Je lisais ces jours-ci qu’entre 60 et 63 ans, la Reine Christine, que le Pape Innocent XI avait d’abord fort bien traité à Rome, est grand peine à obtenir de lui une audience d'un quart d’heure, à cause d’un nouveau galant Français dont elle s'était amourachée. Est-ce qu’il n’en serait pas arrivé autant à votre impératrice Catherine si elle avait eu besoin d’une audience du Pape ?
Nous n'avons pas ici d’aussi fortes variations de température que vous ; il fait beau et chaud depuis quatre jours. Je fais mes foins. A tout prendre les symptômes de la récolte sont bons, et si ce temps-là dure quinze jours, elle sera assurée. En attendant, le pain renchérit toujours, et j’ai eu ce mois-ci, plus de 400 pauvres qui sont venus chercher à ma porte un morceau de pain, et un son ; et je suis dans un des meilleurs pays de France, et mon plus prochain village est à vingt minutes de ma maison.

Onze heures.
Il m'est impossible de ne pas mettre de l'importance à l’annonce du Moniteur que vous avez levé le siège de Silistrie, et que vous vous retirez, au-delà du Pruth. Il n'adopterait pas cette dépêche télégraphique sans en être sûr. Et une foule de détails viennent à l’appui. Si, après cela, vous acceptez un congrès pour traiter du rétablissement de la paix en Europe, sans spécifier à l'avance aucune question, ni aucune solution, les gens qui ne veulent pas de la paix seront bien embarrassés. On peut négocier et disputer des années, dans un Congrès ; on ne recommence pas la guerre. Témoin, le congrès de Münster.
Vous me demandez quand aurons-nous du bon ? En voilà peut-être. Adieu, Adieu, G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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94 Val Richer, Jeudi 15 Juin 1854

Je ne vous ai pas écrit hier ; j’avais besoin d'avoir de vos nouvelles. Votre N°77, le premier d'Ems, m'est arrivé le cinquième jour. L’Espace et le temps, tout s’aggrave. Enfin nous voilà rentrés dans l’ordre. Quel ordre ! J’espère que le soleil quand il viendra, vous amènera à Ems un peu de société ; mais quand viendra le soleil ? Ici le temps est affreux. Depuis deux jours il tombe des torrents. Grand mal pour les récoltes et pour mes allées. Le pain a renchéri encore au dernier marché de Lisieux, et plus de la moitié des ouvriers sont sans ouvrage.
On a beau dire que la guerre n'est pas sentie, quand je regarde dans mon petit cercle, je trouve qu’elle se fait très bien sentir ; les affaires sont fort ralenties et la confiance ne reprend pas. Je vous ai dit il y a quatre jours, ce qu’on me disait du Prince Napoléon, et de ses amis à Constantinople. Le journal de Francfort n’a donc pas tort. Lord Stratford aura raison de celui-là comme des autres. S'il est orgueilleux, il doit être content. On ne parle plus, ce me semble, de sa santé. Je suis de mon mieux, sur ma carte, les opérations de la guerre, mais je ne les comprends guère plus qu'elles n'avancent. Je vois seulement que vous n’avez pas pris Kalafat, ni Silistrie, pas plus que les alliés n’ont détruit Sébastopol et Cronstadt. On dit que nous avons tort de trouver qu’on va lentement et que si nous y regardions bien, nous verrions qu’on n’a jamais été si vite. Confirmez-vous ou démentez-vous l’explication qu’on donne des derniers mouvements du Maréchal Paskévitch, et de son quartier général transporté à Yossi ? Est-ce vraiment pour se mettre en garde contre l’Autriche dont on prévoit la prochaine hostilité ?
Maurocordato refuse de faire partie du Cabinet imposé au Roi Othon. Il faudra se contenter d’un plus petit personnage grec. Quelle que soit leur opinion, ceux qui sont un peu gros ne se soucient pas d'être ministres à ce prix. Peu importe aux événements.
Montalembert part cette semaine pour Vichy. Son affaire est donc abandonnée, ou à peu près. On m'écrit que M. Molé a été appelé et M. Villemain rappelé devant le juge d’instruction. Cela a dû contrarier Molé. J’ai des nouvelles de Barante. Complètement seul, avec sa femme, au fond de son Auvergne. " J’y suis témoin de l’apathique indifférence qui d’année en année, s'assoupit davantage. On ne s’intéresse à rien ; on n'est ni content, ni mécontent ; on ne regrette point le passé ; on ne forme pas de désir pour l'avenir ; cette guerre qui commence, l'Europe qui peut la mettre en branle n'éveillent pas même la curiosité. Ces gens-là se contentent de la vue à meilleur marché que vous. Pourtant, c’est vous qui avez raison. Mais je voudrais que vous ne souffrissiez pas de votre ambition non satisfaite."
Adieu jusqu'au facteur. Où loge la Princesse Kotschoubey, car vous ne pouvez pas l'avoir à Bauernhof ? Midi Voilà votre N°78. Je me porte bien quoique j'éternue encore. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Chabaud-Latour, François-Henri-Ernest, baron de (1804-1885)

Auteur : Beaupoil, comte de Saint-Aulaire, Louis-Clair de (1778-1854)

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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15 Auteuil. Jeudi 15 août 1844
8 heures

Voilà la guerre commencée au Maroc, bien commencée. M. le Prince de Joinville a attendu tant qu’il a pu. Il a pris, pour la sureté de M. Hay, toutes les précautions et donné tout le temps possible. Nos demandes étaient reduites au strict nécessaire. La réponse n’était pas acceptable. Le canon a dû intervenir. Il ne serait pas intervenu si l'Angleterre avait eu au Maroc, l'empire pour nous faire obtenir ce qu'elle-même trouvait juste et modéré. A défaut de son empire, il a fallu user de notre force. Le début est bon. J'attends les détails. Puis nous verrons. J'espère que les premiers coup suffiront. En tout cas, nous en avons d'autres à porter, & sans nous écarter de ce que j'ai dit. Nous ferons nos affaires en restant fidèles à notre politique. Je suis dans un moment grave et difficile ; mais je vous répète qu’il ne me déplaît pas.
La joie était vive hier soir à Neuilly. Joie paternelle et Royale. C’était l’anniversaire de la naissance du Prince de Joinville. Il a eu hier 26 ans, une fille, et la nouvelle d’un succès. J'ai dîné à côté de la Reine, très heureuse, mais trouvant trop d’émotions dans sa vie. La Princesse de Joinville est à merveille. Mad. la Duchesse d'Orléans était là, en gris et blanc, très bonne contenance, son fils à la main. J’irai causer avec elle un de ces jours.

2 heures
Vous partez donc décidément le 20 au plus tard. Vous serez donc à Paris le 22. Il est bien clair que tant que le Maroc sera ce qu'il est, je ne puis penser au Val-Richer. J’ai pourtant bien besoin de distraction, de mouvement physique. Je suis fatigué en me portant bien. Mon rhume ne s'en va que lentement. Il faut que je fasse provision de force pour la campagne prochaine, Elle sera rude. Les rivaux sont assez émoustillés. Je le comprends quoique je ne m'en inquiète pas.
Thiers a passé par Paris, allant à Dieppe où il sera dix ou douze jours me dit-on, et de là à Lille, Molé devait aller à Plombières. Il n’y va pas. Le temps est affreux et il a ici un procès qui le tracasse pour cette compagnie de chemin de fer dont il s'est retiré ostensiblement, mais où il reste intéressé. On peut préparer les intrigues de Janvier prochain ; mais intriguer à présent, il n'y a pas matière ni profit. Peu m'importe du reste. Ce qui m'importe, c’est que vous reveniez.
Vous aurez une lettre de M. Greterin pour la douane ; lettre générale, bonne pour tous les bureaux. Elle partira demain. C’est drôle que M. Tolstoy vous ramène.
J'ai de curieux détails sur Méhémet Ali, son cerveau me parait un peu dérangé. Il veut, il ne veut pas ; il résiste, il cède ; il pleure, il jure. Il fait venir un de ses fils ; il le renvoie, il en fait venir un autre, vieux et despote cela ne va pas ; pour être Pacha, il faut être jeune. Rien ne m'indique qu’on ait conspiré autour de lui ; loin de là, tout le monde continue d'avoir peur et d'adorer. On s'étonne de ne pas reconnaître l’idole, bien plus qu’on ne songe à la renverser. Bref, il est parti pour la Mecque. Il ne veut plus être que Hadji (pèlerin). S'arrêtera-t-il ? Reviendra-t-il sur ses pas ? Personne n'en sait rien. En attendant, son fils et son petit fils, et 36 de leurs camarades arrivent à Marseille en grande pompe pour venir achever leur éducation en France ; et le Pacha, qui part pour la Mecque fonde à Paris, pour eux, et pour leurs descendants, un établissement d’instruction publique, & nous fait demander, au Maréchal Soult et à moi, d'en choisir les chefs ! Adieu.
Je ne me promène, ni à pied, ni en calèche. Je travaille, je vous écris et je dors. J’ai tous les jours deux ou trois personnes à dîner, aujourd’hui Baudrand et sa femme, demain Broglie et son fils. C'est mon moment de conversation si tant est qu’il y ait pour moi une conversation autre qu'avec vous. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Auteuil Mercredi 26 juin 1844,
9 heures

Je commence à vous écrire d’ici, ne sachant quel temps j’aurai à Paris. Je vais à Neuilly tout de suite après déjeuner. De là au Conseil chez le Maréchal. De là à la Chambre, où l’on discutera aujourd’hui le chemin du Nord. Il faut que j'y sois. Vous n’avez pas d’idée de la passion qu'on met à ces chemins de fer. Boulogne était au désespoir. Calais l'emportait. Aujourd’hui Boulogne est dans la joie sans que Calais se désole. Les deux villes auront chacune son chemin. Qu’est-ce que cela vous fait ? Mais on m'en parle tant que j'en rabache un peu.
Vous prenez plus d’intérêt au Hoheit des Ducs de Saxe. Quelque chance leur vient à Francfort. Le parti pris de la France et de l'Angleterre embarrasse. La Prusse a toujours beaucoup d'humeur. L’Autriche est plus douce. On attend le retour du Roi de Saxe pour négocier, par son intermédiaire. On finira par un remaniement Général de toutes les titulatures allemandes et le hoheit des Cobourg passera dans la foule des changements. Mais l’affaire sera longue. Voilà ce qu’on dit à Francfort. A Darmstadt, on ne croit pas l'Empereur content de son voyage en Angleterre. à Biherich, on comptait sur sa visite. Le Duc et toute sa cour ont passé une journée entière à l'attendre en gala. A Florence, on a pris pour huit jours le deuil du comte de Marne.
A Barcelone, les bains réuississent à la petite Reine. Bresson m'écrit : " Sa mère me disait, il y a un quart d'heure, qu'elle n’était déjà plus reconnaissable, et que toute cette écaille noire qui lui couvrait les bras, les mains, les jambes et les pieds tombait à vue d'oeil. " La politique Constitutionnelle espagnole ne va pas si bien. Narvaez veut se retirer avec le marquis de Viluma. Tous les ministres se rendent à Barcelone.
Quel manque de sens dans tout ce monde là ! Il y en a davantage en Turquie. Le Sultan voyage. A Brousse, où il a passé plusieurs jours, il a reçu également bien tous les notables habitants, Musulmans & Rayas, et les uns comme les autres ont été revêtus de pelisses d’honneur. Bourqueney est charmé. Le Sultan le lui avait promis.
A Jérusalem le Conseil d'Angleterre, qui se trouvait absent, n'était pas venu faire visite au Consul de France le jour de la fête du Roi. Mais l’Evêque Anglican était venu avec son clergé. Le jour de la fête de la Reine Victoria, le Consul de France est allé faire visite au Consul d'Angleterre. Et non seulement, il y est allé, mais il y a fait aller le Révérendissime et tout le Discrétoire du couvent Latin. M. Young a été charmé. La tolérance et l’entente cordiale marchent du même pas. On en a encore plus besoin à Athènes qu'à Jérusalem. Un vieux Chef de Pallicares, le Général Privas s'est insurgé parce qu'il a vu qu’il ne serait pas élu à la nouvelle Chambre des Députés. Il s'est enfermé dans un village, avec une centaine d'hommes. On a envoyé le général Travellor pour le persuader ou le réduire. Cela n'inquiète pas Piscatory. Excellent agent ; point aveugle et jamais découragé. Toujours au mieux avec Lyons. Le Roi Othon leur a donné, à tous deux, sa grand croix. Celle de Pise a causé une humeur enragée à Brassier de St. Simon qui n'a pu s'en tenir et s'est plaint qu'on lui eût fait sauter plusieurs grades. Le Roi Othon s’est fâché : " Quand M. Piscatory n'aurait eu que la croix d’argent, je lui aurais donné la grand croix. Je dois une bonne partie de ma couronne et de notre repos à son influence et à ses conseils. " Voilà mon Journal. Adieu.
Je vais faire ma toilette. Je vous enverrai ceci de Paris en vous disant ce que je ferai ce soir. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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52. Bruxelles Lundi le 8 mai 1854

C'est bien triste deux jours sans nouvelles de vous ! Je n'ai de lettres de personne non plus de sorte que je vis du Moniteur et du Journal des Débats devenu très bon courtisan.
Rothschild est arrivé hier pour quelques heures. Il est guerroyant et croit à la durée de la guerre. Il dit que c’est une expérience à faire mais que jusqu’ici loin d’être ruineuse elle profite à l’industrie du pays. Toutes les actions de chemin de fer montent. L'augmentation de l’armée fait marcher les fabriques. Enfin il est très content et confiant et croit que la guerre ne peut être mauvaise qu’à la Russie. Je suis un peu de son avis.
On m'envoie nos bulletins sur Odessa, je pense que vos journaux n'oseront pas les publier. La prétendue insulte au parlementaire est une fausseté, on n’a pas tiré sur lui, mais sur une frégate qui avait voulu s’approcher après le départ du parlementaire. Le récit de l’affaire ressemble assez à ce que vous dites. Quelques ouvrages détruits, quelques maisons de commerce brûlées. La ville épar gnée. Au fond cela n’a été ni très brillant pour vous, ni très désastreux pour nous. La perte d’hommes insignifiante, 4 tués, 45 blessés.
Rothschild est convaincu que l’Autriche nous fera la guerre ; & la Prusse aussi plus tard. Le temps est affreux et l'ennui est grand. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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396 Londres, Mardi 16 juin 1840
3 heures

Vous êtes partie ce matin. Vous marchez en ce moment vers moi. Vous arriverez à Douvres peu après cette lettre. C’est ridicule d’y envoyer un morceau de papier au lieu d’y aller moi-même. Je désire bien vivement que vous arriviez à Londres vendredi, pas tard. Voici pourquoi. Je suis obligé d’aller samedi, par le railroad, déjeuner à Southampton, à un grand banquet donné pour célébrer le chemin de fer de Paris à Rouen. Dire à quel point ceci me déplait c’est impossible. J’avais tant pensé à ce samedi ! Mais il n’y a pas eu moyen de s’y refuser. J’ai négocié ce chemin de fer. Je l’ai fait réussir. C’est la jonction de Londres et de Paris. Le Duc de Sussex y va. Lord Palmerston y va. On tient essentiellement à m’avoir. Je reviendrai le jour même dîner à Londres, chez Sir John Hobhouse et je trouverai bien un moment pour vous voir, entre mon retour et le dîner, ou après le dîner. Mais samedi n’en sera par moins un pauvre jour. Qu’au moins je vous voie bien le vendredi. Je reviendrai de Windsor après le déjeuner. Et puis Dimanche commencera une serie de jours...
Je ne veux pas les qualifier. N’arrivez par trop fatiguée. Le temps est beau. J’épie le soleil. J’épie le vent. Je les interroge. Jusqu’ici, je suis content. Où arrivez-vous ? Vous devriez bien me le dire demain. Car enfin, vous le savez. Vous m’écrirez de Boulogne ou de Douvres.
Adieu. Je ne peux pas, je ne veux pas vous parler d’autre chose, Adieu J’adresse ceci au Ship Inn. Il me semble que vous ne pouvez manquer de l’y recevoir.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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208. Paris, Vendredi 5 Juillet 1839
Midi

Je me suis levé tard ce matin. Je dormais. Je dors assez mal, je ne sais pourquoi, car je me porte bien. Je pense beaucoup la nuit et le jour. J’ai rarement vécu aussi seul. Le monde que je vois ne rompt pas ma solitude. Le Duc de Broglie est tenu toute la journée à la Chambre des Pairs. Nous ne voyons guère qu'en dînant ensemble. Plus je suis seul, plus je vis avec vous seule. Mais je passe décidément à la présence réelle. Il n’y a que cela de vrai. Le procès ennuie tout le monde, juges et accusés. Les Pairs déclarent qu’ils n'en veulent plus de semblable. Les accusés sauf un seul ont l’attitude de gens qui ne recommenceront pas. C'est l’impression générale. Les avocats eux-mêmes sont polis. Cela finira dans huit jours. Il en reste encore près de 200 en prison. On en mettra quelques uns en liberté. Les autres attendront jusqu'au mois de novembre, au plus tard encore, pour être jugés, je ne sais pas bien par qui. Je ne suis pas aussi convaincu que tout le monde que cette échauffourée-ci soit la dernière ; mais certainement c'est une folie, en déclin. Le Chancelier aussi est en grand Déclin out le monde en est frappé. Je n’ai pas encore été dîner à Châtenay. Cela ne me plaît pas.
Madame de Boigne va mieux. Je suis très ennuyé que vos Affaires de Pétersbourg ne marchent pas plus vite, et bien aise que votre fils Paul soit si réservé. Donc il croit sa cause mauvaise. Dans cet état des choses, il me paraît impossible que les lettres de Madame de Nesselrode. Ne vous fassent pas faire un pas. Mais il y a bien des pas à faire avant que vous soyez au terme. Vous avez beaucoup d'expérience des personnes, aucune des choses. Elles sont toutes lentes, difficiles, embrouillées. Elles ne vont que lorsqu'une volonté, active et obstinée s'en mêle. Et cette volonté pour vous. Je ne la vois pas à Pétersbourg. Il y a des Abymes de la bienveillance à la volonté. Je suis donc tourmenté, et pourtant je voudrais que vous le fussiez un peu moins. Je vous voudrais moins confiante et moins impatiente. Si vous vous laissiez complètement gouverner par moi, que vous vous en trouveriez bien !
Mon discours devient très populaire. Tout le monde s’y range. Mais tout le monde est persuadé que je veux être Ministre des Affaires étrangères, et que je n’ai parlé que pour cela. J’admire tout ce qu’on suppose et tout ce qu’on ignore en fait d’intentions. J'ai dîné hier chez le Ministre de l’instruction publique avec trente personnes que vous ne connaissez pas et M. d’Arnim qui m’a demandé de vos nouvelles. De là chez le Ministre de l’Intérieur. Peu de monde partout. Je n’ai trouvé à causer chez M. Duchâtel, qu'avec un officier de marine, homme d’esprit, autrefois aide de camp de l'amiral Rigny, le capitaine Leray. Je l’ai emmené dans un coin, et j'en ai extrait tout ce qu’il a vu de l'Orient. Nous croyons de plus en plus à la sagesse du Pacha. Mais si le Sultan lui déclare une guerre à mort, l’embarras peut commencer.
La Chambre a abrégé hier la session de huit jours. Elle a décidé qu’elle ne s’occuperait pas cette année de la loi des sucres. Votre protégé M. Dufaure, n'a pas de succès dans la discussion des chemins de fer. Plusieurs de ses projets seront rejetés et il ne les défend pas bien. Vous savez surement que Lady Granville ne va pas à Kitzingen. Elle parlait de Dieppe, du Havre. Je crois qu'elle n'ira nulle part, & que Constantinople les retiendra à Paris. Nous sommes très contents de l'Angleterre, et elle de nous. Je suis charmé que Bulwer revienne à Paris. Il a vraiment de l’esprit. On dit qu'il en a eu trop quelquefois jusqu'à la fièvre. Est-ce vrai ? Adieu. Je vais à la Chambre. Que m'importe à présent que La Terrasse soit sur mon chemin ? G.

Auteur : McCulloch, John Ramsay (1789-1864)

Auteur : Duchâtel, Tanneguy (1803-1867)
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