La correspondance inédite du géomètre Gaspard Monge (1746-1818)

La correspondance inédite du géomètre Gaspard Monge (1746-1818)


149. Monge à sa femme Catherine Huart

Auteurs : Monge, Gaspard

Transcription & Analyse

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Milan, le 27 pluviôse de l'an VI de la République française
 
Nous sommes arrivés ici hier soir, ma très chère amie, nous allons y passer la journée pour arranger les affaires de nos finances, et nous nous remettrons demain matin en route pour Rome, où j'espère que nous arriverons dans cinq jours, si toutefois mes collègues[1] acceptent de courir trois nuits de suite.[2] Je ne crois pas que je t'écrive en route ; ainsi tu seras quelque temps sans recevoir de mes nouvelles ; mais que cela ne t'inquiète pas, il faudra qu'il se passe douze ou quinze jours après avoir reçu celle-ci avant que de recevoir la suivante.
Nous sommes allés voir Miot en passant à Turin. Il faisait ses paquets pour se rendre à Paris. Si tu avais occasion de le voir, lui ou sa femme, je te prie d'oublier la manière dont tu fus reçue dans la rue des Petits Augustins, et de les traiter l'un et l'autre de ton mieux. Quand ils seront remontés sur le trottoir, tu feras ce que tu voudras ; mais ils sont à terre aujourd'hui et je me reprocherais de les blesser dans la circonstance présente, après en avoir été bien traité moi-même quand ils étaient à Florence. [3]
Nous sommes allés voir hier le théâtre ; on y donnait l'opéra des Horaces et des Curiaces[4] ; dans un entracte on a donné un ballet de la délivrance de l'Italie. Nous avons été contents des applaudissements qu'il a reçus, soit qu'ils fussent donnés à la pièce, soit qu'ils le fussent aux acteurs. Nous avons trouvé le ton bien différent de celui de Lyon[5] où les airs patriotiques sont sifflés, et où l'on fait un bruit infernal de crachements pendant qu'on les joue. Mais nous avons été frappés de ne voir dans le ballet aucune mention de la France. Le génie de la liberté descend du ciel et éveille la belle Italie, opprimée par une foule de tyrans ; et à moins que le ciel ici ne soit la France, il n'en est pas du tout question.
Adieu, nous allons sortir, et je vais porter la présente chez le général Leclerc[6] pour te l'envoyer. Embrasse bien les ménages Eschassériaux,[7] Baur,[8] Berthollet,[9] Monge,[10] etc.
 
[À la citoyenne Monge
à l’Ecole Polytechnique
Palais Bourbon à Paris]

[1] Joseph Antoine FLORENS (1762-1842) et Pierre DAUNOU (1761-1840).

[2] La commission met finalement sept jours et non cinq pour atteindre Rome. Elle arrive le 4 ventôse an VI [22 février 1798­­]. Voir la lettre n°150.

[3] André-François MIOT (1762-1841). Monge décrit l’accueil chaleureux du couple Miot lors de son séjour à Florence en juillet 1796 lorsque Miot y est ambassadeur de la République française. Voir lettre n°14. Miot en désaccord avec la politique du Directoire dans le Piémont doit quitter Turin. Le 8 février le Directoire nomme un nouvel ambassadeur de la République française, Pierre-Louis GUINGUENÉ (1748-1816) ancien directeur général de l'Instruction publique (voir lettres n°143 et 144.) Miot fait le récit de sa rencontre avec Monge et Daunou avant qu’ils ne prennent leur poste à Rome. « […] le directoire exécutif […] s’était empressé de désigner des commissaires chargés d’organiser la future république romaine. Son choix tomba sur Monge et Daunou, deux hommes d’un rare mérite, mais plus accoutumés aux spéculations politiques qu’éprouvé par l’expérience du monde, et, par conséquent, moins propre à manier les hommes. Je les vis à la fin de pluviôse (vers le milieu de février), à leur passage à Turin où ils vinrent me faire une visite, accompagnés de M. de Saint-Martin, ancien aumônier de la garde nationale parisienne et qui devait remplir les fonctions de secrétaire de la commission. La visite fut purement d’étiquette. Ils ne s’ouvrirent que fort peu sur l’objet de leur mission, ne cherchèrent de moi aucun renseignement sur l’état présent de l’Italie et ne voulurent même pas accepter le dîner que je leur offris. Ils allaient faire une révolution, rétablir l’ancienne république romaine, et je ne croyais pas à ces miracles. […] Plus promptement détrompé, je n’ai eu sur eux que le triste avantage de prévoir qu’avec les instruments que nous étions obligé d’employer, avec des généraux et des agents également corrompus et avides de richesses c’était une chimère que de prétendre régénérer une population ignorante et fanatique. Du reste je dois à tous les deux la justice de dire que les vues les plus pures les guidaient et qu’aucune ambition personnelle de fortune ne les faisait agir. » MIOT A.F. (1858), Mémoires […], pp. 203-204. Selon Godechot, le chef de la commission est Daunou. Ami de la Révellière, un des fondateurs de la théophilanthropie. Il est d’origine protestante. Ces éléments lui font dire qu’il est alors la personne adéquate pour mener à bien cette mission à Rome. Comme Miot, Godechot souligne que Daunou est plus un théoricien qu’un homme habitué à la pratique et que cela détermine les difficultés qu’il rencontre à Rome. Après avoir indiqué pour Monge sa formation chez les Oratoriens, son expérience de professeur à l’école du Génie de Mézières, sa Géométrie descriptive, Godechot dresse le portrait traditionnel de Monge en violent révolutionnaire et en farouche anticlérical.[3] Son expérience d’examinateur est reliée à son ministère de la Marine.[3] La raison qui est donnée au choix de Monge pour cette mission est sa première expérience de commissaire en Italie au cours de la Première campagne d’Italie.[3] Si Monge est commissaire au cours de l’une et l’autre mission, la première mission en Italie est au sein d’une commission dont le caractère culturel et scientifique marque bien une différence avec cette deuxième mission dont la couleur est plus politique et diplomatique. Godechot insiste sur le fait que c’est Daunou et Florent les meneurs de la commission à Rome.[3]Le troisième commissaire Florent, contrairement à Monge, est présenté comme modéré.[3] Diplomate, chef de section du ministère des Relations extérieures et ami et protégé de Daunou.[3] C’est surtout Florent qui passe le plus de temps à Rome. GODECHOT J. (1941), t. II, pp. 19-20

[4] Les Horaces et les Curiaces, Gli orazi e curiazi dans cet opéra, le compositeur Cimarosa s’inspire de la légende sur l’origine de Rome. La première représentation a lieu à Venise le 26 décembre 1796.

[5] Voir la lettre n°147.

[6] Victor-Emmanuel LECLERC (1772-1802), chef d'état-major de l’Armée de Rome.

[7] Louise MONGE (1779-1874)  et Nicolas-Joseph ESCHASSÉRIAUX (1753-1824) qui se sont mariés en novembre 1797. Voir les lettres n°136, 137 et 138.

[8] Anne Françoise HUART (1767-1852), son mari Barthélémy BAUR (1752-1823) et leur fils Émile BAUR (1792- ?).

[9] Marie-Marguerite BAUR (1745-1829) épouse de Claude-Louis BERTHOLLET (1748-1822) et leur fils Amédée BERTHOLLET (1783-1811).

[10] Louis MONGE (1748-1827) et Marie-Adélaïde DESCHAMPS (1755-1827).

Auteur(s) de la transcriptionDupond, Marie
AnalyseLettre non signée sur laquelle figure une deuxième indication de date et de lieu "le 14 ventose à Rome"
Auteur de l'analyseDupond, Marie

Relations entre les documents


Collection 1796-1797 : Première mission en Italie, La commission des sciences et des arts Prairial an IV - vendémiaire an VI

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14. Monge à sa femme Catherine Huart
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Notice créée par Marie Dupond Notice créée le 08/11/2016 Dernière modification le 11/02/2022