Texte analysé : s.d. Denis de Harsy Contes amoureux Conte 7

Auteurs : Flore, Jeanne

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TitreTexte analysé : s.d. Denis de Harsy Contes amoureux Conte 7

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Analyse thématique

Thème(s) abordé(s)

Amour malheureux
Fortuna labilis
Glorification du parfait amour
Jalousie
Vengeance

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Compte septiesme par Madame Briolayne Fusque : touchant les maulvaises fortunes de messire Guillien de Campestain de Rossillon.
Or sur l'issuë du soupper va dire en ceste maniere madame Briolayne Fusque, belle & (K 8 r°) amoureuse Dame au possible, & laquelle pour avoir la possession du cœur d'ung vray & loyal sien Amant, se tenoit toute heureuse & toute riche en Amours. Attentifvement j'ay les poinctz notez du compte de la jeune Cassandre. Laquelle chose m'a incitée, mesmement pour augmenter les terreurs au cœur de celle horride & froide femme, que voyez là seoir pasle & en silence versant en son coeur ne sçay quelle chose de cruel, de y adjouster encores : & dire pleinement que la cruelle vengeance prinse de la mort de Guillien de Campestain peult rendre tesmoingnage en quelle reverence, & honneur estoient soubstenus & emparez les loyaulx Amants : Cestuy Guillien de Campestain estoit ung Gentilhomme du pays de Rossillon, de bonne & grosse maison & parentée. Dont les excellentes vertus & bonne grace, de quoy à sa naissance par madame nature il avoit esté amplement pourveu & enrichy, n'admoindrissoient en rien le lieu de sa dicte naissance, mais l'augmentoient tres grandement, de maniere qu'il estoit de chascun, qui le cognoissoit aymé, & chery. Il estoit beau à merveilles, droict, & advenant en toutes ses actions : & jamais de chose ne se mesloit qu'il n'en sortit avec son grand honneur : fut à manyer tout genre d'armes à pied & à cheval, fut à se trouver avec les Dames & damoiselles : desquelles invisiblement à peu de peine il sembloit desrober les cœurs. Quand il chantoit quelque motet qu'il eust composé nouvellement (car il fut tres excellent poëte de son temps, & encores en restent (K 8 v°) ses eloquentes & doctes oeuvres, ou la perle des Italiens Poëtes Messire Francois Petrarche a es puisé subtilement plusieurs sonnetz on eust proprement dit qu'il n'estoit possible trouver en tout le monde voix si harmonieuse & sonante. Et à vray dire on pense que Orpheus & Linus tous deux engendrez de Apollo Dieu de la Musique, ne furent oncques à comparager à cestuy cy. Davantaige il estoit tant beau parleur tant estoit sa loquence necte & expediée, que rien plus. Au faict de danser & baller on l'estimoit sans faveur le paragon & le vray patron à tous qui s'en vouloient mesler. En son habit il n'estoit aulcunement superflu, ny rustique, ains y tenoit ung louable & honneste moyen. Mais surtout il prenoit gros deduict à la chasse, & là joyeusement la plus part du temps il se occupoit.
[Illustration]
Comment la Duchesse de Rossillon fut Amoureuse de Guillien de Campestain. (L 1 r°)
Doncques messire Guillien fut par son honnesteté & beaulté tant recommandé envers tous, mesmement envers les belles Dames, que le plus souvent sortoient entre elles plusieurs griefves contentions à qui l'auroit pour sieur & amy : & estoient les pauvretes en continuel soucy pour luy, mais gaigna les pris la Duchesse de Rossilon belle & jeune princesse aultant que aultre de son temps. Si eussent esté les Amants plus que heureux. Mais Fortune, qui ne laisse jamais en paix ceulx, qui sont en bonheur & joye trop longuement, qu'elle ne leur mesle quelque brouet de son amaire & tres aigre Cuysine, eust envie sur messire Guillien en telle sorte que je vous diray. Icelle Dame n'avoit pas demeuré encorez demy an avec Raymon de Castel son mary, qui n'estoit de beaucoup si gentil en toutes facons, quand elle devint à l'instigation de celle beaulté & bonne grace (ou plustost, pource que Amour, qui s'esbat à remettre tousjours quelqu'ung soubs sa domination) amoureuse de Guillien : voire en telle sorte qu'il n'est possible de le plus estre. Tout son bien & solas reposoit en la veuë & compaignie de son jeune & nouvel amy : & toute sa tristesse se retrouvoit en l'absence d'icelluy mesme. Ne passa doncques guieres de temps qu’elle par malheur de fortune, & pour autant aussi qu'elle n'estoit assez experte au faict d'aymer, s'entroblia au dissimuler. (L1 v°)
Raymon de Castel se courrousse à sa femme pource qu'elle ayme aultre que soy, la menassant de s'en venger.
[Illustration]
Parquoy Raymon assez facillement eust congnoissance de l'amour alienée. Il en eust bien (mes Dames) en son cœur telle melancolye, raige, & jalouzie, que presque il en mouroit. Si ne se peult oncques tenir de s'en complaindre mortellement à sa femme en la menaceant de la tuer, s'il la rencontroit en la compaignie de Guillien. Mais bien peu de compte feit de telle deffense: Car comme vous congnoissez (mes dames) là n'est le moyen plus court aux mariz pour nous garder d'aymer, & plustost diray je, ce sont incitemens davantaige à porter amour plus eschauffée en la chose deffenduë & prohibée. Or Raymon de Castel appercevant qu'il n'y avoit ordre ne voulut neantmoins refuir au remede, qui est commun à nos jaloux: c'est de battre & tormenter la Dame, ains delibera de tuer Guillien, esperant que luy mort seroit aussi estaincte celle constante & ferme Amour. (L 2 r°)
De faict (que je le vous face court) advint que au retour de la chasse il va lui sixiesme rencontrer Messiere Guillien tout seul fors seullement d’ung paige menant deux levriers en laisse, il portoit ung oiseau sur le poingt & s’en revenoit à Rossillon joyeulx à merveilles, & chantoit un sonnet qu’il avoit composé ce jour là à la louenge de sa mieulx aymée. Raymond appercevant de loing son ennemy ressembloit au Tyrans du temps passé qui faisoient martyriser les pauvres Chrestiens, desquelz la crualté, l’ire, & courroux surpasse l’indignation des Lyons. Soubdain il brusle d’ire ardante, & s’esmouvant à la maniere des Titans, s’escrie horriblement. Certes traistre meschant icy vous comperrez vostre tresor de luxure, que vous avez en ma femme long temps exercée. A celle voix cruente & de mort, messire Guillen fut esperdu oultre mesure & gemist pour non avoir lieu de refuge. Assez se veult excuser, mais le Duc qui avoit juré la mort de luy, ne le voulut oncques ouyr, il gette ung grand coup d’espée que Guillen receupt sur son manteau.
Comment le pauvre Guillien fut mis à mort cruelle par le Duc de Rossillon & ses gens.(L 2 v°)
[Illustration]
Alors les gens du Duc à son exhortation commencerent à l'assaillir à la façon des chiens qui assaillent le cerf aux bois. Guillien se deffent de toute sa puissance, leur reprochant trop leur lacheté d'assaillir ung homme seul : imploroit tres piteusement les Dieux à son aide. Longuement dura la meslée par ce que l'assailly se deffendoit comme pour saulver la vie, mais ennemys estoient trop. Combien qu’en troys coups qu'il rua cheurent mors le cousin du Duc et deux aultres. Quoy voiant Raymond comme homme enraigé s'escria Seigneurs, nous eschappera ainsi ce ribault ? A ce cry eulx troys ensemble se ruerent sur luy. Ainsi restat mort en la place le meilleur, le plus beault, le plus honneste, le plus gratieulx, le plus aymé et debonnaire Chevallier qui se trouva pour lors. Dont fut grande pitié : & par le Duc commise une des plus meschantes trahisons, qu'on pourroit pourpenser : & certes en celluy trop funeste, trop malheureux jour digne d'estre merché à tous temps de croye noyre, les Muses perdirent l’ung de leurs (L 3 r°) meilleurs enfans. L’execrable Duc non encores content de veoir son ennemy occis, duquel la dignité des beaulx cheveulx dorez au paravant surpassants la beaulté de ceulx de Euphorbus Troyen: estoit deturpée & soillée par le sang méslé de pouldre, luy va fendre l'estomach, & en tira le cœur dehors, qu'il emporta avec soy : si le feit mettre apres en potaige & menger à sa femme. Quand elle l'eust mengé : Qu'en dictes vous, dit il, Dame, de celle viande ? est elle bonne ? Pour vray mon seigneur, respond elle, ouy, & est de moult bon goust.C'est le cœur de vostre amy Guillien, dit le Duc.
Comment la Duchesse fut marrye d'avoir mengé le cœur de son amy Guillien.
[Illustration]
A celle parolle devint la Dame toute pleine de douleur, qu'elle resembla le petit enfant qu'on ne oyt au commencer ses pleurs, apres s'esclata en tant amere lamentation, que quiconques fut lors (L 3 v°) present, en print pitié. Hai meschant & cruel homme tu m’as presentement faict menger une si delicieuse viande que je n’en gousteray jamais de plus savoureuse. Ce dit, se serrant le cœur par incroiable detresse, cheut sur le pavement : & l’esprit d’elle, qui ne pouvoit rester seul sans l’ame de Guillien, s’envola vers le ciel, abandonnant son corps froit & sans couleur. Or fut tantost la nouvelle par tout espandue de la cruaulté de Raymon : si que le Roy Alphonse d’Aragon adverty incontinant alla à main armée contre le cruel, & tant luy fit il forte guerre qu’il le print en ung fort chasteau : & pour punition de son mesfaict le feit mourir en prison perpetuelle. Apres ce, feit eslever les corps de Guillien & de son amye en une riche chasse d’or sus quatres colonnes de ambre moult richement tout au devant du grand temple de Rossillon : où les dames de la Province par longue espace de temps continuerent d’aller faire leurs oblations, y respandans chapeaulx de fleurs en l’honneur & reverence du sainct Amour. Si doncques dame Cebille les roys & peuples ont tant estez offensez par le mesfaict & cruaulté de Raymon, pensez vous que l’Amour és dames soit chose improbe & digne de reprehention ? Quant est de moy : je n’estime de si haulte divinité aulcune maulvaise chose : j’en suis toute resolue, vous signifiant que si le myen amy estoit icy present, luy monstreroys cette nuyct quelle est mon affection envers lui, assez laissant celle miserable gemir & plaindre eternellement. Alors qu’elle eust achevé de dire, (L 4 r°) tous se leverent de table, & [après] avoir dansé quelque piece, sur l'heure de deux heures apres minuict se retirerent pour dormir. (L 4 v°)
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Transcripteur.riceTranscription élaborée par les étudiants du Master Ca' Foscari 2020-2021

Chargé.e de la révisionTranscription relue par les étudiants du Master Ca' Foscari 2020-2021

Analyse de la nouvelle

Analyse des personnages-types

La mal mariée
Le chevalier-poète-amant parfait
Le mari jaloux et cruel
Le rétablisseur de l'ordre
Les loyaux amants

Analyse des personnages

Guillien de Campestain représente l'amant parfait, à la fois chevalier loyal et vaillant et poète. Il réunit toutes les qualités courtoises, chevaleresques, poétiques et galantes. Noble de naissance et d'esprit, il est doué d'une beauté sans égal et incarne un modèle de raffinement et d'élégance sans excès. Il est aimé et apprécié par tout le monde et surtout par les dames, incapables de résister à son charme. Poète de grand talent, imité par Pétrarque lui-même, il a une voix magnifique et harmonieuse.
La figure topique de la mal mariée est représentée par la Duchesse de Rossillon, épouse de Raymon de Castel. Jeune et belle, mais malheureuse en raison de son mariage avec un homme jaloux et violent, elle tombe éperdument amoureuse de Guillien de Campestain, mais leur amour, découvert par le mari jaloux, les amène à une mort tragique. Avec Guillien, elle forme le couple des "loyaux amants", voués au "service d'Amour". Leur amour malheureux et tragique sera célébré après leur mort par tous les "loyaux amants": le cercueil qu'ils partagent devient le symbole de leur union immortelle et un lieu de pélerinage en l'honneur d'Amour.
Le personnage topique du mari jaloux et cruel est représenté par Raymond de Castel, Duc de Rossillon. Sa fonction d'antagoniste déloyal et la description de son caractère et de sa conduite marquent une opposition très forte par rapport à la figure idéalisée de Guillien.
Le roi Alphonse d'Aragon rétablit l'ordre de la loi après la mort des amants. Il punit le mari et glorifie les amants morts en faisant ériger leur tombeau en l'honneur d'Amour.

Lieu(x) du récitLe "pays de Rossillon"

Formulation explicite d'une moraleLa morale est énoncée à la fin du conte dans le discours délibératif de la devisante, Mme Briolayne Fusque : il faut s'opposer à l'impareil mariage, même par l'adultère. L'amour hors mariage entre 'loyaux amants' est tenu "en honneur et révérence".

Présence d'éléments descriptifs

Adjectifs qualificatifs caractérisant les personnages et regroupés le plus souvent en des binômes synonymiques
Adverbes
Superlatifs évoquant les qualités de Guillien et créant un effet d'hyperbole

Analyse de l'extrait

Modalité(s) du tragique

Commentaires et déploration de la part du narrateur qui souligne l'horreur du meutre de Guillien et le tragique de la scène du déchirement de son corps.
Lexique fortement marqué par la présence d'éléments évoquant la violence, la cruauté et l'horreur, surtout dans la scène de l'assassinat de Guillien.
Silence tragique et inhibition de la parole chez la Duchesse à l'acmé de sa souffrance.
Sur le plan narratif : enchaînement de situations qui, d'une condition de bonheur, même si fugace (l'amour partagé entre Guillien et la Duchesse) évoluent vers un dénouement sanglant e tragique.
Tension dramatique de la scène de la prise de conscience de la part de la Duchesse d'avoir mangé le cœur de son amant.
Thème de la Fortuna labilis dont les amants sont victimes: c'est une force qui les dépasse et qui "ne laisse jamais en paix ceux qui sont en bonheur et joie trop longuement".

Informations sur la notice

ÉditeurÉquipe Tragiques Inventions, Magda Campanini (Univ. Ca' Foscari-Venezia), Anne Réach-Ngô (UHA, IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

Mentions légalesFiche : Équipe Tragiques Inventions, Madga Campanini (Université Ca' Foscari), Anne Réach-Ngô (UHA, IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)

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Notice créée par Anne Réach-Ngô Notice créée le 01/03/2021 Dernière modification le 09/04/2024