Lettre de Marguerite Audoux à Sophie Rauh
Auteur(s) : Audoux, Marguerite
Sophie Rauh est la mère de Léon Werth et la sœur du philosophe Frédéric Rauh.
Louis est le frère de Léon et Suzanne Werth.
Ami commun de Marguerite Audoux et de Léon Werth, le Docteur Delort est médecin à l’Hôpital Saint-Antoine et dans son cabinet du 26 avenue du Président-Wilson (XVIe arrondissement). Il pratique aussi, comme il était d’usage à l’époque, et comme c’est le cas ici, les visites à domicile.
Louise Roche est l’amie de toujours de la romancière.
Le « petit commissionnaire de 14 ans » pourrait être Paul, l’aîné des fils adoptifs, mais qui n’en a alors que 11.[Paris,] Mercredi [17 avril 1918]
Non, chère amie, je ne suis pas partie. J’ai eu la troisième rechute et ça n’a pas été drôle. J’ai dû faire venir mon petit Delort, derrière un vieux médecin de quartier qui m’avait parlé de congestion pulmonaire. Il ne s’était pas trompé, le vieux médecin. Heureusement, Delort a reconnu que ce n’était pas très grave, mais si je n’ai plus la forte fièvre, il m’en reste un peu, et je ne peux pas sortir, et, naturellement, non plus foutre le camp.
Je voudrais bien vous embrasser, mais je crois que j’aime encore mieux m’en passer que de vous savoir dans mon quartier. La vieille saloperie de Bertha crache tout ce qu’elle veut par ici et ce n’est guère prudent d’y venir.
Je voudrais seulement demander un souvenir à Louis. S’il peut me le rendre toutefois. Ce serait d’aller me chercher un peu d’argent au Crédit lyonnais. Je n’ai absolument personne pour me faire cette course. La pauvre Louise Roche est encore plus malade que moi et sa fille ferme sa boutique beaucoup plus tard que le Crédit sa caisse. Ici, personne [d’autre] que mon petit commissionnaire de 14 ans. Il est un peu jeune pour cette commission-là.
Depuis un mois je ne vis que de dettes. C’est embêtant !
Je joins au chèque toutes les indications pour Louis. Il y a là, je crois, en face du Crédit Lyonnais une poste où il pourra me faire l’envoi en un mandat-carte. De cette façon il n’aura qu’un seul dérangement, et moi, je serai plus vite servie. Car je n’ai plus le sou. Voui madame !
Lorsque je partirai, ce sera pour La Haie-Fouassière. Je me suis arrangée avec mon ancienne logeuse. Je me soigne dare-dare cette semaine avec l’espoir de partir l’autre. Et vous, que faites-vous ?
Si Louis ne peut aller au C. L., vous serez gentille de me renvoyer le petit machin afin que je m’oriente d’un autre côté.
Au revoir. Et si je ne dois pas vous voir avant mon départ, sachez que je vous aime bien tous, et que je vous embrasse de tout mon cœur.
Marguerite Audoux