Archives Marguerite Audoux

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Lettre de Marguerite Audoux à Paul d’Aubuisson

Auteur : Audoux, Marguerite

Description

Paul d’Aubuisson (1906-1990) est l’aîné des trois petits‑neveux de Marguerite Audoux. C’est son fils adoptif préféré, celui qui jusqu’à sa mort veille sur la mémoire de la romancière, le flambeau ayant été repris par ses deux enfants, Geneviève et Philippe (à qui Bernard-Marie Garreau doit l’accès au fonds d’Aubuisson, qui se trouve chez lui), ainsi que par son neveu Roger. Une abondante correspondance entre Paul et sa mère adoptive s’inscrit dans le corpus des lettres familiales et familières (dont l’identifiant commence par le chiffre 0). B.-M. Garreau a rencontré paul d’Aubuisson en 1987, et réalisé plusieurs enregistrements de leurs entretiens.

- « Grand-père » est le surnom que, dans les lettres qui lui sont adressées, la romancière attribue souvent à son fils, selon son habitude d’inverser les âges et les sexes. Voir la lettre 55 de la romancière à Jeanne Gignoux (l’épouse de Régis), qu’elle appelle « mon petit Jeannot »…

- Menette est une amie qui apparaît régulièrement dans la correspondance Paul-Audoux. Les renseignements les moins imprécis sur cette femme se trouvent dans le Journal de Romain Rolland en date du 22 mars 1921, jour où il mentionne sa première rencontre avec Marguerite Audoux, accompagnée d’une autre femme, Madame Menet, plus jeune, couturière elle aussi. Un exemplaire de La Fiancée qui se trouve au Musée Marguerite Audoux de Sainte-Montaine contient un envoi à émile et Henriette Menet. Il est donc plus que probable qu’il s’agisse de la même personne que celle mentionnée dans la présente lettre. ces transformations de patronymes sont monnaie courante rue Léopold‑Robert (la mère de Léon‑paul Fargue ne devient‑elle pas « Farguette » ?...).

- Roger est l’un des frères cadets de Paul.

- Le père des trois petits-neveux (« Le père D[‘Aubuisson] ») est présenté, dans la correspondance comme un homme fat et prétentieux ne s’étant jamais occupé de ses enfants. Paul‑Ambroise d’Aubuisson est né à Paris le 7 mai 1880 et s’est éteint au Kremlin‑Bicêtre le 14 octobre 1952. Son petit‑fils Roger (lui‑même fils de Roger), que nous remercions vivement pour le précieux arbre généalogique qu’il a patiemment élaboré et dont il nous a fait une copie, nous a précisé que paul‑Ambroise d’Aubuisson, après son divorce, a trouvé plus de stabilité dans un second mariage, et qu’il conviendrait de relativiser l’image dépréciative qui avait été faite de lui dans la famille, les torts étant inévitablement partagés.

- pas de précisions sur Liba, ni Marie K, citée dans le P.S., ni sur la nature de cette fameuse « rentrée en mai »

- Pour Tcheng Cheng, voir les lettres 330 et 0333
Texte

Vendredi soir, I0 heures

 

Je ne te dirai pas grand-chose ce soir, grand-père, parce que je viens d'écrire à Menette et que mon zieux (1) me fait salement souffrir. Elle va bien, Menette, mais tu le sais peut‑être déjà car elle a dû t'écrire en même temps qu'à moi. Elle me parle du soleil et des fleurs de là‑bas avec l'espoir que je me laisserai tenter et que j'irai la rejoindre. 2 mille francs pour un mois, c'est pas de mon rayon. J'attendrai, pour faire ce voyage, d'être devenue riche. Ce n'est pas pour demain encore, comme tu t'en doutes. Donc, j'écris à Menette que je préfère garder ma galette pour les vraies vacances. Je pense toujours à des vacances qui nous réuniraient tous quatre, soit à Saint-Pierre-de-Quiberon, soit à Fromentine. Ce sera, certainement, les seules vacances qui nous verront groupés comme une famille unie. Les années qui suivront, chacun ira où ça lui plaira, ou bien n'ira pas, faute d'argent. Cette année, je suis à peu près sûre d'avoir la somme nécessaire. C'est moi qui régale, profitons-en.

Écoute ce que fait Roger pour déjouer les emmerdements du père D. Ce vieux singe, parce qu'il couche une fois par semaine rue S.M., prétend vouloir connaître l’heure de rentrée de Roger. Roger, qui comprend très bien que cela ne l’intéresse nullement, avait déjoué, je ne sais plus comment, des combinaisons de serrure pour que le vieux ne l'entende pas rentrer, mais comme ce vieux chien galeux ne lâche pas son os, il a imaginé de mettre une cuillère en équilibre sur le pêne, de sorte qu'elle tombe et fait du bruit quand on ouvre la porte. Alors, Roger glisse sous la porte un journal déplié, et ainsi, la cuillère tombe sans bruit. Et la vieille pourriture renâcle car il n'a pas encore éventé le truc.

J'ai vu cette semaine Liba. Elle était jolie et affectueuse. "Ché petit madame"… Elle m'a priée de te dire bien des choses. C'est elle qui connaît Cheng Tcheng le Chinois qui a écrit Ma Mère. Elle a bien ri quand je lui ai dit que j'avais peur des chinois. "Celui‑là n'est pas effrayant", m'a‑t‑elle dit. Et elle viendra un jour avec lui. Je n'y tiens pas, car j'ai eu depuis des renseignements sur ce type. C'est, je pense, un arriviste à tout crin. chinois ou autre, je n'aime pas ce genre.

Bonsoir grand-père, je vais me coucher. Je t’embrasse un coup avant

Toto

P.S. Dis donc, ne te fie pas à ce que disent les journaux pour votre rentrée. Dernièrement, une note très sérieuse du ministère a démenti tous ces bobards et fixé votre rentrée en mai.

Marie K. n'avait pas pu te parler de l'affaire en question. C'est tout récent, et la maison est aux Champs élysées.

 

(1) Allusion à ses problèmes ophtalmologiques, qu’elle traîne depuis l’enfance
Lieu(x) évoqué(s)Paris – Côte d’Azur – Saint-Pierre-Quiberon - Fromentine
État génétique

« prétend sav vouloir connaître l’heure de rentrée de Roger »

Tous les soulignements sont de l’épistolière
Notice créée par Richard Walter Notice créée le 26/04/2024 Dernière modification le 14/03/2025