Archives Marguerite Audoux

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Lettre de Marguerite Audoux à Paul d'Aubuisson

Auteur : Audoux, Marguerite

Description
- Paul d’Aubuisson (1906-1990) est l’aîné des trois petits-neveux de Marguerite Audoux. C’est son fils adoptif préféré, celui qui jusqu’à sa mort veille sur la mémoire de la romancière, le flambeau ayant été repris par ses deux enfants, Geneviève et Philippe (à qui Bernard-Marie Garreau doit l’accès au fonds d’Aubuisson, qui se trouve à présent chez lui), ainsi que par son neveu Roger (fils de Roger). Une abondante correspondance entre Paul et sa mère adoptive s’inscrit dans le corpus des lettres familiales et familières (dont l’identifiant commence par le chiffre 0). B.-M. Garreau a rencontré Paul d’Aubuisson en 1987, et réalisé plusieurs enregistrements de leurs entretiens. Ici, l'épistoilère use de surnoms pour la désigner, elle, et son petit-neveu : "Toto" et "grand-père". On a là une marque supplémentaire de la complicité qui les réunit.
- Georges Marielle est instituteur (Le Jean, cité dans la présente lettre, doit être son fils). Après avoir enseigné à Autrecourt, dans les Ardennes, il aurait donc été muté à Bagneux depuis la rentrée d'octobre 1928. Changement de poste peut-être dû à une séparation ou un divorce ("Il est heureux, je pense", écrit la romancière dans la présente lettre ; d'autre part, on apprend ici que Marielle n'a pas revu sa fille depuis un an). Peut-être Marie-Claire est-elle à l’origine de leur relation, littéraire et amicale, probablement favorisée par Werth, puisqu’on retrouve les deux lettres de Marielle à Marguerite Audoux dans le fonds Werth, et que la romancière, dans une lettre à son «animal poilu» du 5 septembre 1919 (identifiant 259), parle de Mme Marielle. Voir aussi les lettres à Lelièvre (identifiants 256, 257, 282), et à Huguette Garnier (identifiant 283), et une lettre de Paul d’Aubuisson à sa mère adoptive, du 14 janvier 1925, dans laquelle le jeune homme écrit à propos de la fille (Loulou dans la présente lettre) :
J’ai reçu une lettre de Louise Marielle, qui me dit qu’elle apprend à danser à son père, qui lui aussi espère te faire pirouetter aux prochaines vacances. Louise met aussi : «Comme ta tante vient passer les trois mois, j’espère que tu viendras l’accompagner.» (Fonds d’Aubuisson). Cependant, on peut se demander si cette amitié ne remonte pas à plus loin, dans la mesure où les Ardennes sont présentes dans le conte «Le Chaland de la Reine», publié dès le 28 décembre 1908 dans Le Matin. Ce n’est qu’une hypothèse ; mais l’on sait que Marguerite Audoux fonde la plupart du temps ses fictions sur des lieux connus (on retrouve le Jura où elle fut avec les Besson dans «Valserine», et l’Île d’Yeu dans «Les Poulains» et Douce Lumière...).
N. B. : Nous n’avons une trace épistolaire que d’un séjour de la romancière chez ses amis ardennais, celui d’août 1921 (identifiant 282).
- Amélie [Perrier] est une amie de Marguerite Audoux.
- Léon W[erth] (1879 1955) représente, de façon moins radicale et plus marginale que Francis Jourdain, l’homme de gauche du Groupe de Carnetin. Après une enfance où il est plus ou moins livré à lui même, il poursuit de bonnes études, mais quitte l’hypokhâgne d’Henri IV pour exercer de nombreux petits métiers. En tant que juif, il est contraint, pendant la Seconde guerre, de se cacher dans le Jura. Ses relations chaleureuses avec Marguerite Audoux demeurent jusqu’à la fin d’une grande fidélité. La romancière apprécie d’ailleurs plus l’ami que l’homme engagé politiquement à gauche et que l’écrivain, trop intellectuel à son goût. Werth, journaliste reconnu (voir la lettre identifiant 29), et secrétaire de Mirbeau, laisse un certain nombre d’œuvres, dont La Maison blanche qui rate de peu le Goncourt en 1913.
Lettres de Marguerite Audoux à Léon Werth : ideentifiants 89, 94, 132, 137, 139, 147, 148, 152, 171, 175, 177, 178, 179, 183, 184, 189, 203, 212, 221 BIS, 223, 225, 229, 255, 258, 259, 264, 272, 292, 342, 375, 388 et 389.
- Suzanne de Bruyker, originaire des Flandres, et secrétaire de Jean Luchaire (comme le sera Simone Signoret), se mariera avec Otto Abetz en 1932. Tous deux auront rendu visite à Marguerite Audoux dans son appartement de la rue Léopold-Robert. Ils mourront dans un accident de voiture (à bord d'une "coccinelle") le 7 mai 1958. Le Gab, souvent cité en même temps que Suzanne, reste à identifier (conjoint avant Otto Abetz ? Fils ?)
- Menette est une amie qui apparaît régulièrement dans la correspondance Paul-Audoux. Les renseignements les moins imprécis sur cette femme se trouvent dans le Journal de Romain Rolland en date du 22 mars 1921, jour où il mentionne sa première rencontre avec Marguerite Audoux, accompagnée d’une autre femme, Madame Menet, plus jeune, couturière elle aussi. Un exemplaire de La Fiancée qui se trouve au Musée Marguerite-Audoux de Sainte-Montaine contient un envoi à Émile et Henriette Menet. Il est donc plus que probable qu’il s’agisse de la même personne que celle mentionnée dans la présente lettre. Ces transformations de patronymes sont monnaie courante rue Léopold-Robert (la mère de Léon-Paul Fargue ne devient elle pas « Farguette » ou « Farguinette » ?...).
Texte
                                                                        Dimanche
Tu as dû te raser, pauvre grand-père, de rester si longtemps dans la gare. Pour une fois que tu étais parti de bonne heure de la maison, il fallait bien que ton train soit plus tard. Tant pis ! L’essentiel c'est que tu sois arrivé là-bas assez tôt pour dormir un peu. - C'est vrai que j'ai oublié de sucrer le café ! À peine étais-tu parti que j'y ai pensé : "Oh ! Qu’est ce qu'il va dire, grand-père ? Toto a oublié de lui sucrer son café ! "Il était bon tout de même", dis tu ? Ça, c'est chic ! - Pour tes sabots trop grands, il me semble que tu peux les faire changer. Quand le diable y serait, il n'y a pas que des pieds de 56 dans ton escadrille. Mais je te connais, tu bougonneras pendant 3 mois après tes sabots ! Tu risqueras à tout instant de te casser une jambe, mais tu ne feras rien pour changer tes sabots. Ah ! Si Toto était là ! Ça pourrait s'arranger vite. Mais Toto est ici, et grand-père est là bas.
Je ne suis pas encore allée chercher ta montre. Le froid qu'il fait ici m'a empêchée de sortir, à cause surtout, d'une petite rupture de veine dans l'oeil. Je ne souffre guère et la tache s'efface, mais j'ai mal à la tête, comme chaque fois que ce petit accident m'arrive. Je ferai ce que tu m'as dit, pour le thé aux alentours. Pleure pas, grand-père, pour les bosses de ta thermos ! Elle en verra d'autres ! Sers-t-en surtout le plus possible, car ici, elle n'est pas nécessaire. Je dirais même qu'elle est inutile puisque nous avons le gaz.
Marielle est venue hier soir. Et ce qui est plus drôle, Amélie, qui ne vient jamais le samedi, s'est amenée un moment après lui. Ils se sont fait bon visage. Marielle a une mine superbe. Il est heureux, je pense. Nous n'avons pas eu le temps d'en parler parce que Léon W[erth] est arrivé presque en même temps que lui. Il n’a pas de nouvelles de Loulou depuis plus d'un an. Il est instituteur à Bagneux depuis le mois d'octobre, et il fait tous les jours le trajet de la Varenne à Bagneux. Il a promis de m'amener Jean aux vacances de Pâques.
J'ai vu Suzanne, Gab va mieux, mais je ne sais rien de Menette. J'attends de pouvoir sortir pour aller jusque-là.
Bonsoir, bonne nuit, bonne garde et bonne thermos !
Je t'embrasse.
                                                                                M.A.
Notes
La transformation de Paul en "grand-père" et de l'épistolière en "Toto", autrement dit l'inversion des âges, est chez la romancière un procédé récurrent, qui s'inscrit dans un ensemble plus large comprenant les différents transferts de ce type (entre les sexes, l'humain et l'animal, les liens familiaux...). Cette thématique (lisible dans la correspondance) touche aussi bien la vie  que l'oeuvre (voir sur ce sujet précis : Garreau, Bernard-Marie, La Famille de Marguerite Audoux, Presses du Septentrion, 1996, tome 2, p. 653-673).
Nous n'avons pu déterminer ce qu'est le thé aux alentours à la dernière ligne de la première page. Une allusion qui, vraisemblablement, n'a de sens que pour les deux correspondants (ce que confirmerait le soulignement par l'épistolière). Peut-être un problème de thé qui laisserait un dépôt dans la thermos ?
Nous n'avons pu, non plus, situer la Varenne. Peut-être la rue de Varenne à Paris ?
Lieu(x) évoqué(s)Paris, Strasbourg, Bagneux, La Varenne
État génétique
Gribouillage dans le premier § de la première page, au début d'une ligne après 56 (un autre chiffre, apparemment, a été biffé)
Le soulignement est de l'épistolière.
Notice créée par Bernard-Marie Garreau Notice créée le 16/02/2025 Dernière modification le 14/03/2025