Lettre de E. Mettey à Émile Zola datée du 27 janvier 1894
Auteur(s) : Mettey, E.
Transcription
Texte de la lettreMonsieur,
L'auteur du Rêve daignera-t-il accepter les félicitations sincères d'une compatriote obscure et exilée ? C'est avec joie Monsieur que j'ai lu dans ma revue que vous veniez d'être appelé à l'académie. J'ai lu votre discours et j'ai été frappée de l'opinion exprimée sur les critiques. Quel est le but du roman moderne en France monsieur ? Cette question m'a été posée bien souvent et je dois avouer que je ne saurais y répondre. Ainsi que la suivante :
"Pourquoi dépeindre de telles obscénités ?"
_ Sans doute afin de représenter le vice sous ses formes les plus repoussantes.
_ Je ne vois pas comment de tels livres vont améliorer la société. Puis conclusion générale :
"Je ne voudrais pas que mon fils ou ma fille lussent de tels livres."
J'ai lu il y a quelques temps que vous aviez conseillé à une jeune dame de consulter ou son père ou son mari avant de lire vos romans. En craignez-vous l'influence ?
Le but de la littérature n'est-il pas de divertir, d'instruire, d'éduquer, d'émanciper l'esprit et j'ajouterai même d'édifier ? Certes monsieur les scènes de sensualité comme il y en a dans la "Reine Pédanque" par exemple, n'édifient ni celui qui les peint ni celui ou celle qui les lit, je doute si elles les divertiront, je suis sûre qu'elle ne les éduqueront pas, quant à les instruire le lecteur ou la lectrice saura quelque chose obscène (sic) de plus voila (sic) tout.
J'ai fait allusion à la Rôtisserie de la Reine Pédanque parce que je viens d'en lire quelques chapitres. Pardon, Monsieur, je m'oublie au point de critiquer un des quarante "Immortels" je ne sais pas si ce nom est connu de Messieurs les académiciens mais je l'ai remarqué il y a quelques semaines dans un journal Américain quelque temps auparavant une de mes élèves m'avait demandé qui étaient les quarante Immortels de France. De telles scènes sont-elles indispensables au roman moderne ? Mes goûts ne me portent pas à la lecture des romans, la fiction n'a aucun attrait pour moi. L'année dernière je n'en ai lu que quatre : Notre-Dame de Paris, La Débâcle, Le Rêve et le Pêcheur d'Islande" mais toutes (sic) les quatre avec gain. Esméralda et Angélique m'ont beaucoup troublée, j'ai beaucoup réfléchi sur ces deux études et après toute réflexion, la conclusion que j'en ai tirée ne me satisfait pas encore. Un jour je veux les étudier de plus près encore. Toutes les deux n'ont éveillé dans mon esprit que des idées nobles et admirables et je vous dois, Monsieur, ainsi qu'à Victor Hugo bien des heures de paisibles méditations.
Victor Hugo a dû posséder, il me semble, ce merveilleux don qui permet de découvrir quelque chose de noble dans tout caractère, même s'il paraît des plus bas aux yeux du monde. Le monde, il est vrai n'est pas un bon juge. Le Rêve a été beaucoup lu à New-York surtout par les jeunes artistes.
Pardonnez-moi, Monsieur, de vous avoir occupé aussi longtemps. J'aime la France de tout mon cœur, je ne peux pas rapporter qu'on l'attaque sans que je puisse la défendre. Il faut s'éloigner de son pays pour savoir combien on l'aime. Je puis apprécier les vers de Joachim du Bellay écrits de Rome Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage etc, sans doute vous les connaissez Monsieur, lorsqu'on lit à l'étranger ils vont droit au cœur. Osé-je espérer, Monsieur que vous attacherez assez de valeur à ma lettre pour m'éclairer sur les quelques questions que je vous ai adressées ? Je cherche la Vérité. Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de ma haute considération et de ma reconnaissance.
E. Mettey.
« The Oaks » le 27 janvier 94
Lakenwood, New-Jersey
USA.
L'auteur du Rêve daignera-t-il accepter les félicitations sincères d'une compatriote obscure et exilée ? C'est avec joie Monsieur que j'ai lu dans ma revue que vous veniez d'être appelé à l'académie. J'ai lu votre discours et j'ai été frappée de l'opinion exprimée sur les critiques. Quel est le but du roman moderne en France monsieur ? Cette question m'a été posée bien souvent et je dois avouer que je ne saurais y répondre. Ainsi que la suivante :
"Pourquoi dépeindre de telles obscénités ?"
_ Sans doute afin de représenter le vice sous ses formes les plus repoussantes.
_ Je ne vois pas comment de tels livres vont améliorer la société. Puis conclusion générale :
"Je ne voudrais pas que mon fils ou ma fille lussent de tels livres."
J'ai lu il y a quelques temps que vous aviez conseillé à une jeune dame de consulter ou son père ou son mari avant de lire vos romans. En craignez-vous l'influence ?
Le but de la littérature n'est-il pas de divertir, d'instruire, d'éduquer, d'émanciper l'esprit et j'ajouterai même d'édifier ? Certes monsieur les scènes de sensualité comme il y en a dans la "Reine Pédanque" par exemple, n'édifient ni celui qui les peint ni celui ou celle qui les lit, je doute si elles les divertiront, je suis sûre qu'elle ne les éduqueront pas, quant à les instruire le lecteur ou la lectrice saura quelque chose obscène (sic) de plus voila (sic) tout.
J'ai fait allusion à la Rôtisserie de la Reine Pédanque parce que je viens d'en lire quelques chapitres. Pardon, Monsieur, je m'oublie au point de critiquer un des quarante "Immortels" je ne sais pas si ce nom est connu de Messieurs les académiciens mais je l'ai remarqué il y a quelques semaines dans un journal Américain quelque temps auparavant une de mes élèves m'avait demandé qui étaient les quarante Immortels de France. De telles scènes sont-elles indispensables au roman moderne ? Mes goûts ne me portent pas à la lecture des romans, la fiction n'a aucun attrait pour moi. L'année dernière je n'en ai lu que quatre : Notre-Dame de Paris, La Débâcle, Le Rêve et le Pêcheur d'Islande" mais toutes (sic) les quatre avec gain. Esméralda et Angélique m'ont beaucoup troublée, j'ai beaucoup réfléchi sur ces deux études et après toute réflexion, la conclusion que j'en ai tirée ne me satisfait pas encore. Un jour je veux les étudier de plus près encore. Toutes les deux n'ont éveillé dans mon esprit que des idées nobles et admirables et je vous dois, Monsieur, ainsi qu'à Victor Hugo bien des heures de paisibles méditations.
Victor Hugo a dû posséder, il me semble, ce merveilleux don qui permet de découvrir quelque chose de noble dans tout caractère, même s'il paraît des plus bas aux yeux du monde. Le monde, il est vrai n'est pas un bon juge. Le Rêve a été beaucoup lu à New-York surtout par les jeunes artistes.
Pardonnez-moi, Monsieur, de vous avoir occupé aussi longtemps. J'aime la France de tout mon cœur, je ne peux pas rapporter qu'on l'attaque sans que je puisse la défendre. Il faut s'éloigner de son pays pour savoir combien on l'aime. Je puis apprécier les vers de Joachim du Bellay écrits de Rome Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage etc, sans doute vous les connaissez Monsieur, lorsqu'on lit à l'étranger ils vont droit au cœur. Osé-je espérer, Monsieur que vous attacherez assez de valeur à ma lettre pour m'éclairer sur les quelques questions que je vous ai adressées ? Je cherche la Vérité. Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de ma haute considération et de ma reconnaissance.
E. Mettey.
« The Oaks » le 27 janvier 94
Lakenwood, New-Jersey
USA.
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