146. L' année Alakabon

Auteur(s) : Sassine, Williams

Les folios

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Sassine, Williams, 146. L' année Alakabon, 1995/01/02

Claire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

Consulté le 21/08/2025 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/francophone/items/show/3488

Texte de l'article

Transcription

N° 146, 2 janvier 1995 : « L'annee Alakabon »

Chers compatriotes, concitoyens et qu’on sort.

Avant de souhaiter une bonne année aux animaux, aux arbres et aux hommes, les femmes et les enfants ont eu leur fête l’an dernier, donc je ne les compte pas. Revenons à la ligne. Point. Une bonne année d’abord aux survivants des déflatés. Ils ont marché l’an passé sur les pieds. Pour changer je les ferai marcher cette fois-ci sur les mains. Le monde change autour de nous. Pourquoi pas eux ? Hein ? À Fakoudou ! Chers déflatés, je décrète que je vous aime jusqu’à la mort. Enfin, je veux dire votre mort. Parce que moi, si je suis mort, ça n’arrange personne, surtout pas moi. Chers compatriotes, dites aux déflatés et aux chômeurs que je les aime. Je regrette le temps où ils envahissaient les ministères, avant que les bérets rouges ne les dispersent à coup de bâton et de gaz. Je connais un anti-gang. Il passe sa journée à pleurer. Il m’a dit un jour : « Patron, ça ne va plus continuer. Mes muscles ramollissent. Même ma femme ne me traite plus comme un homme. Patron ! Pardon fabrique nous des déflatés, beaucoup, ou des étudiants insatisfaits. Beaucoup encore. Il y a longtemps que je n’ai pas tapé sur quelqu’un…

Chers compas, chers concis. Ce que j’ai raconté là n’est qu’une partie de la vérité, et deux parties d’un songe. Regardez-moi bien en face pour ceux qui ont le courant. Ceux qui n’ont pas la télé, allez achetez des piles pour notre Rétégé. Je vous donne cinq minutes. En attendant, je vais me griller un mégot et causer un peu avec mon ministre de l’insécu.

Bon, on reprend. La Gomme, mon ministre de l’insécu, vient de m’annoncer que cette année, l’insécu sera encore plus musclée. L’insécurité est bonne. Elle fait rentrer tôt à la maison les maris infidèles. N’est-ce pas ? Cette année, l’insécurité va chasser de notre cité même les brigands. L’insécurité c’est comme l’alcool. Pour soigner une gueule de bois, il faut encore boire. Tous les alcooliques savent ça. Je vous parle en connaissance de cause. En tout cas, si ça ne suffit pas, je vais vous ouvrir toutes les prisons. Si ça ne suffit pas encore, je vais faire débarquer des lions, des serpents venimeux, des cracheurs de feu, des sidéens, des Hutsis et leurs ennemis, le choléra, du riz pourri…

Bon, cette fois je m’adresse aux gosses, Noël est passé, vous n’avez pas eu de cadeaux. Si vous n’êtes pas content je vous botte. Trouvez d’abord du travail pour vos parents. Moi je ne peux pas tout faire. Faire marcher vos vieux et vous donner un bonbon en juin. Vous me prenez pour quoi et pour qui ? A Fakoudou ! Formez votre parti politique mais ne me tendez pas après, la main. Vous avez la chance. Vous allez mourir avant 40 ans, sans être un jour président, le métier de président, c’est pas bon. Quand tu prends un peu d’argent, on dit que tu as volé. Quand tu ne prends rien, on dit que tu es con.

L'opposition veut qu'on vote maintenant. Elle est complètement folle. Si elle croit avoir beaucoup de députés pour m'emmerder, elle sera dépitée, décapitée même. Elle oublie que les ministres, c'est pour moi, les préfets, c'est pour moi, les gouverneurs, c'est pour moi. La Mine de la Basse Cour, c'est pour moi, l'armée c'est pour moi, la radio et la télé, c'est encore pour moi. Les députés seront pour moi. A Fakoudou. Opposition ! Opposition. Elle n'a même pas d'argent pour payer 100 « pajero».

Chers tous et toutes. L'année qui commence sera longue pour ceux qui m'insultent.Parce que je vais continuer à couper la circulation, à couper le courant et l'eau, à couper les salaires, à couper tout. Ceux qui pourront trouver le prix d'un bol de riz, le prix d'un médicament, le prix d'un litre de carburant, n'auront qu'à remercier Dieu. Allakabon !

A Fakoudou ! Je ne suis pas pressé. J’ai le temps pour moi. Je vais m’occuper du sport. On ne sait gagner qu’en match amical. Je vais remédier à ça. Désormais, si on doit recevoir des étrangers, je vais envoyer des caterpillars sur les terrains pour y creuser des trous partout. Après, est-ce qu’ils peuvent nous battre, s’ils se cassent les pieds ? Moi je n’ai pas de problème. Je n’ai que des solutions. A Fakoudou.

Pour la santé aussi, pas de problèmes. On raconte que dans nos hôpitaux, il n’y a pas ça, il n’y a pas ceci. Si les gens disent tout ça, c’est parce qu’il y a des hôpitaux. Alors je vais déplacer les hôpitaux jusqu’au Liberia. Quand les malades verront Charles Terreur, ils seront guéris sans rien payer.

Chers parents, j’ai beaucoup à vous dire encore. Mais j’ai sommeil, je ne dors pas la nuit à cause des voleurs. Ils se promènent partout dans le palais, comme si ce sont eux le prési. Mais Allakabon, A Fakoudou ! N’éteignez pas vos appareils, je reviendrai un jour.

Williams Sassine.

Billet

« Un chat m’a conté »

Je connais le Q et le cul

Le K et le cas
Le M et je t'aime

La fin et la faim

Des caresses et la presse

Des os et des hauts

Des B avec bébés

Des zéros sans Z

Mais Conakry sans cris ?

Mais Conakry sans crimes ?

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 146

Présentation

Date1995/01/02

GenreDocumentation - Presse

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Éditeur de la ficheClaire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

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Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022

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