152. Le pays à la barre ! S.Vépé !

Auteur(s) : Sassine, Williams

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Sassine, Williams, 152. Le pays à la barre ! S.Vépé !, 1995/02/13

Claire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

Consulté le 21/08/2025 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/francophone/items/show/3494

Texte de l'article

Transcription

N° 152, 13 février 1995 : Le pays à la barre ! S.Vépé !

L'IPN, vous connaissez ? C'est avant d'arriver au cimetière, avant d'arriver à la mosquée, avant d'arriver à la morgue...L'IPN c'est avant d'arriver à tout. Je me suis contenté de m'arrêter dans la salle des cérémonies. On devait distribuer des prix, résultat d'un concours littéraire sur la jeune fille. Malheureusement dans la salle, je n'ai vu qu'une jeune fille. Quelques occasions « peinturées », de vieux sympas, d'antiques beaux restes...

Et puis des vieilles dames charmantes et increvables, « anciennes de ceci et de cela... » d'après le présentateur. On se serait cru dans un cimetière vivant ou devant des momies à ne pas toucher, de peur de les effriter. La statistique avait dû les oublier parce qu’il paraît que le Guinéen en bonne santé meurt avant 40 ans. Ce sont les malades qui survivent, pour pouvoir trouver l’argent de leurs ordonnances kilométriques. A Fakoudou !

J’ai vu Jeanne Martin Cissé, Mme Sultan, la femme du docteur ITN (Intérieur Thoracique Normal)…De vieux souvenirs agréables, car ce n’est pas la beauté qui est chère, mais c’est ce qui est cher qui est beau.

Le directeur de l’IPN lui, a son bureau juste avant d’arriver au Camp Boiro, juste avant d’arriver à l’hôpital. Dynamique, effacé, mais on peut le voir sans loupe. Si efficace qu’on risque de l’oublier longtemps encore derrière sa table de travail. Bon il y avait aussi ABD du ministère des prématurés. C’est bizarre, il y a un ABD à la Radio, une ABD à la télécoco, une ABD minustre du premier ABD cité. Donc cet ABD avait remplacé une fois de plus sa patronne. Un secrétaire capable de rendre toutes sortes de service et son sourire est gratuit. Si tu as soif, il peut boire pour toi. Si tu as faim, il peut manger à ta place. Si tu es édenté, il s’arrachera une dent pour être avec toi. Un secrétaire dangereux, comme le patron de l’IPN. Ils sont toujours à l’heure, et ça c’est mal vu à notre Ponction Publique, le ministère des « Pépés ». On chen fout ! Obligé de partir. Chacun avait eu son petit cadeau. Bonne chance au prochain concours ! Toujours pas de jeune fille dans les couloirs ni dans les escaliers. Heureusement que Pécos baptisait sa fillette Mariam Ciré. Pécos, il te faudra prendre tes responsabilités pour son éducation. Car le procès d’aujourd’hui des jeunes brigands est en réalité le procès de nous les parents. C’est nous qui devrions passer à la barre. Mais nous sommes tellement irresponsables que nos enfants préfèrent se cacher sous une identité, une image de la force de la réussite ou de la violence. Les « Bill Clinton », le « soldat maudit », les « Gordon » et autres surnoms, ne sont pour eux qu’un masque pour rentrer dans l’histoire contemporaine dont ils se sentent exclus. Ils savent que jamais n’a été plus intense, ni plus légitime, le sentiment de vivre une mutation sans précédent. Un enfant haï ne sera jamais beau. Qu’est-ce qui nous dit que l’histoire ne détruit que pour regagner ? Qui nous dit que les pertes ne sont pas définitives ? Les « amputés » très tôt de notre société, à force d’attendre la réponse, vivent leur existence comme un « pourrissement de l’histoire » selon l’expression de Maurice Merleau Ponty. Il me semble parfois que notre époque a fermé le cercle de tous les monstres autour de notre abandon. Du dieu mort, de la raison récusée, des cités poubelles, des défaites de l’intelligence politique, surgit une ombre où surgit notre néant : l’homme s’éprouve dans l’angoisse de sa déréliction, qui n’est plus que vide. Vide-liberté-pour-la-mort. Pourtant ce vide n’est pas vide. Il est hanté par nos monstres. Des enfants que personne ne nous oblige à enfanter. Souvent le courage nous manque d’imaginer l’avenir conforme aux espoirs de la raison : république des personnes, société sans classes, moment de l’esprit absolu, salut à nos morts. Perdus dans la foule sans âme des grandes villes, écrasés par une concurrence masquée, ayant perdu son identité dans un milieu social organique et la base des traditions sans rites, sans mythes, sans illusions, la jeunesse vit et meurt de froid avec une conscience névrosée, une conscience malheureuse, la conscience de Caïn, le signe de Caïn sur le front, afin qu’on ne la tue pas. Cette jeunesse est notre conscience et on ne peut pas tuer une conscience. La lucidité et la volonté restent nos seules armes. Mais malheureusement nous nous voyons trop bien pour nous aimer nous-mêmes. Ce que nous croyons, pensons, faisons, contredit souvent ce que nous sommes. Aussi bien ce que nous enseignons à nos enfants. Car cet enseignement s’acharne à perturber un ordre de choses qui n’a de sens qu’en fonction des limites et de l’unité, que l’extension et la transformation du savoir font justement éclater, c’est un enseignement qui prolonge par une gymnastique désespérée, la culture générale dans les eaux du nouveau déluge économique et social. Pourtant autour de nous, devant nous, et en nous, à travers nos enfants, tout est changé. On leur apprend encore une pensée d’Occident qui ne dialogue qu’avec elle-même. Platon avec Aristote, Saint Thomas avec Guillaume d’Occan (sic : d’Ockham ou d’Occam), Descartes avec Spinoza. Kant avec Henry. Avec quelques gouttes des pensées de Hampaté Ba, de Tierno Monènembo, de Saïdou Bokoum, de Kanté Cheick Oumar, de Kiridi Bangoura. À la limite, ces domaines sont ceux du choix : libre à nous d’écarter ceux qui nous semblent sans résonnance. Mais les jeunes, appelés devant la barre, ont-ils eu la possibilité de lire un de ces auteurs, ou de bavarder avec un Kaba 41 ? Leurs seuls centres culturels ont toujours été les maquis ; leurs dortoirs, des bordels ; leur terrain de sport, des « fumoirs » ; leur famille, la solitude.

Et ce qui est grave, par maladresse média-tique, ces jeunes brigands sont en train de devenir des idoles. Beaucoup de jeunes désœuvrés pensent en effet que, quand on n’a rien à perdre, on a tout à gagner. Nous vivons. Nous vivons sur une crise d’identité. Même en sport. La plupart de nos grands footballeurs par exemple ont des noms d’emprunt.

Nous ne cherchons à défendre personne, surtout pas un criminel, puisque Dieu lui-même n’a pas eu pitié du premier assassin, l’assassin d’Abel. Tout le monde est en colère contre nos bandits. Mais il faut faire attention. Les conséquences de la colère sont plus graves que ses causes. Il nous faut approfondir et élargir au niveau national, le débat sur l’insécurité. Car le chemin battu est plus sûr.

Dans la rue, quelqu’un racontait : « Je suis vraiment fatigué. Je n’arrive pas à dormir en paix. Tous les matins un petit vieux se plante devant ma porte pour gueuler :

L’adultère, c’est pas bon.

L’alcool, c’est pas bon.

Le vol, c’est pas bon.

Il faut penser à l’enfer

L’enfer c’est pas bon.

A cinq heures du matin. Et tous les matins, il ne me connaît pas, je ne le connais pas. Mais s’il continue, il va me connaître. A Fakoudou ! J’ai déjà trouvé un lance-pierre. C’est comme ça qu’on devient un criminel. Je vais prévenir le chef de quartier. A cause de ce salopard, les voisins n’osent plus m’approcher. S’il revient demain matin me crier des saletés devant ma porte, je lui rentre dedans wallahi ! Je suis déjà énervé d’avoir été traité comme cornard dans leur fesconart. On ne se fout pas de moi. J’ai des fétiches. Je viens de Faranah… » Je passai mon chemin. Dans le pays, chacun a son problème.

Sassine

Billet

« Un chat m’a conté »

Sékou s’est fourré

Siad s’est barré de Somalie

Mengistu de l’Ethiopie s’est tu

Modibo du Mali ne fait plus le beau

Diawara de la Gambie s’est fait cire

Et bien d’autres sont devenus autres

Quant à nous, il nous reste un prési

Un prési, qui un jour, se fera conter

Une histoire à ne pas raconter

Aux nouveaux et anciens enfants

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 152

Présentation

Date1995/02/13

GenreDocumentation - Presse

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Éditeur de la ficheClaire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

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Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022

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