Espace Afrique-Caraïbe

154. Biberons noirs

Auteur(s) : Sassine, Williams

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N°154, 27 février 1995 : « Biberons noirs »

C’est Kankan qui a vu la première, la lune du mois de carême. Je suis sûr qu’elle sera la première à voir la lune annonçant la fin du mois saint. Kankanais, vous avez de la chance. Vous voilà spécialistes de la lune, après votre domination en consommation du petit café noir. Les autorités comptent sur vous dans ces deux domaines. Pour le reste, comptez sur vous-mêmes, en attendant le fantomatique train. Ici à Conakry, notre spécialité c’est de regarder la télé pour voir de jeunes brigands face à leurs accusateurs. C’est à se fendre de rire. Les accusateurs profitent de plus en plus, car ils savent qu’on n’est jamais puni pour avoir fait mourir de rire. De dénonciation en dénonciation, bientôt les 8 millions de guinéens vont se retrouver devant la barre, les bébés et les fœtus compris. Car tout le monde a quelque chose à se reprocher dans le pays. Prenons le cas, par exemple de Agbolo le bandit et de Agboli le procu-rieur. Mettons les une fois de plus, face à face. Toute ressemblance avec des personnes vivantes ou mortes, ne serait que pure coïncidence. Amen !

Agboli : Agbölö, avouez que vous avez quitté le pays à 2 ans. Comment ?

Agbölö : A quatre pattes. Les miliciens me couraient derrière, mais ils n’ont pas pu m’attraper.

Agboli : Vous mentez encore. Chez le juge d’instruction vous avez dit que c’était en brouette. Avouez !

Agbölö : Oui j’avoue.

Agboli : Ah voilààà ! On approche de la vérité. La cour appréciera. Vous avez déclaré ensuite que vous venez de la Haute Guinée. Là bas vous avez des complices qui prétendent avoir vu la chose le 2 février. Pourquoi ?

Agbölö : C’est pour que les fonctionnaires puissent être payés le 19 février.

Agboli : On avance, on avance dans la véri-té. Donc vous voilà à deux ans dans le pays voisin. Pourquoi ?

Agbölö : Ici, il n’y avait plus de lait en poudre. Les miliciens avaient tout volé ! Moi aussi, je voulais apprendre à voler. J’avais entendu parler d’une bande là-bas.

Agboli : Quelle bande ?

Agbölö : Les biberons noirs

Agboli : Silence ! Silence dans la salle. Agbölö continue.

Agbölö : Je refuse, vous avez dit silence dans la salle et je suis dans la salle.

Agboli : Ceux de la salle, vous pouvez reprendre votre rire. Sinon, je ne vais jamais m’en sortir avec ce type. Bon Agbölö, comment ta bande de biberons noirs opérait

Agbölö : On allait dans les marchés à 4 pattes et on se glissait sous les tables des vendeurs.

Agboli : C’est tout ?

Agbölö : Oui monsieur le procu-rieur

Agboli : C’est faux ! Archi faux ! La nuit les « biberons noirs » s’introduisaient également dans les maternités. Avouez !

Agbölö : Notre devise était : débrouiller c’est pas voler. C’est vrai, on allait dans les maternités pour convaincre les bébés malheureux de se joindre à nous.

Agboli : Dites nous à présent les noms de tes complices. Pas de mensonges hein ? Si la justice est aveugle, nous de la cour voyons clair.

Agbölö : Il y avait : Bébé Gordonnet. Bébé Mathialait. Vegasette. Limanain. Andobledina. Bébé Maudit.

Agboli : Quelles étaient vos armes préférées ?

Agbölö : Les peaux d’orange. C’est Mathialait qui était notre tireur d’élite. Un jour, il a tellement raflé dans un marché que lui même ne savait plus qui tirait.

Agboli : Bon ça suffit pour aujourd’hui. On reprend demain et tu nous raconteras ta vie quand tu avais 3 ans.
Nous arrêtons, nous aussi ici, ce mini scénario. Je crois que c’est Malraux qui disait que pour juger un homme, il faut le comprendre. Et quand on le comprend, on ne peut pas le juger.

Finalement ces jeunes bandits ont rendu un grand service à notre cité. Quand ils faisaient la loi, ils obligeaient la population à rentrer à 22 heures. Arrêtés, ils nous obligent encore à regagner le bercail à 22 heures pour les regarder à la télé. Pour le moment, grâce à eux, le temps des infidélités n’est plus ce qu’il était. Neuf mois après le début de ce procès, c’est à dire en septembre ou en octobre il y aura beaucoup de baptêmes. S’ils ont tué ces petits bandits, ils auront permis de donner en compensation, de jeunes vies fraîches et malléables. Pour le reste aux parents de se débrouiller. On chen fout !

À l’heure-là, les Kankanais doivent être en train de se hausser sur les pieds ou de se hisser sur les toits de leurs cases, pour voir la lune. Bonne fête à ceux qui ont rempli leurs obligations religieuses. Bonne fête aussi à ceux qui se cachaient pour boire et manger. Bonne fête, à ceux qui ont retrouvé leur « gastrite » annuelle du mois saint. Bonne fête même à ce gouvernementeur.

Quelqu’un racontait : Moa, retourner là-bas ? Jamais. A Fakoudou !

J’étais obligé de porter des culottes à pattes d’éléphant pour que l’air me ventile les c…Au lieu de chasser un minustre, Fory Coco devrait le muter là-bas. Moa retourner à Gaoual ? Je ne veux pas mourir desséché. La chèvre que j’avais amenée avec moi, n’a pas survécu à la chaleur. Hiii ! J’ai passé là-bas 6 mois tu te rends compte ? 6 mois en enfer.

Il était tant (sic:temps) de fermer ma porte. À cause des moustiques.

Billet

« Un chat m’a conté »

Il y a ailleurs !

- La Guinée Bissau

- La Guinée équatoriale

- La nouvelle Guinée

Ici nous avons :

- La Guinée de Sékou

- La Guinée de l’opposition

- La Guinée de la troisième roue publique

Il nous manque seulement

La Guinée pour les Guinéen

Par Williams Sassine

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 154

Présentation

Date1995/02/27

GenreDocumentation - Presse

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Avec l'aimable autorisation des ayants-droits
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Fiche : Elisabeh Degon, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes, CNRS-ENS ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)

Éditeur de la ficheClaire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

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Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022

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