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63. Monge à sa belle-sœur Françoise Huart
Auteurs : Monge, Gaspard
Transcription & Analyse
Transcription linéaire de tout le contenu
Tolentino, le 30 pluviôse de l'an V de la République française
Il y a longtemps, ma chère Fillette, que je te dois des réponses. Tu dois me trouver bien négligent, mais je t'avouerai que j'ai compté sur ton amitié et que tu me pardonnerais toutes mes négligences parce que tu ne les croirais pas volontaires.[1] La présente t'arrivera vraisemblablement en même temps qu'une autre que j'ai écrite il y a plusieurs jours au citoyen Marey, qui n'est pas encore partie, et que je vois en ce moment sur le bureau de l'état-major;[2] mais j'espère qu'elle partira aujourd'hui avec celle-ci par le courrier qui doit porter à Paris le résultat de la conférence qui dans ce moment a lieu entre le général en chef et les plénipotentiaires du Pape.[3]
Les affaires ne sont pas encore terminées; rien n'est signé, et quand cela sera fait je n'aurai peut-être pas le temps de t'en informer, mais le résultat sera bientôt répandu à Paris à l'arrivée du courrier et tu le sauras peut-être avant que de recevoir la présente. Il paraît en gros que Rome est encore une fois sauvée ou plutôt que le pape se tirera encore de cet orage. Il laissera à la disposition de la France les légations de Bologne et de Ferrare comme dans l'autre armistice[4], et de plus toute la légation de Ravenne, c'est-à-dire toute la Romagne. Ainsi toutes les côtes de la mer Adriatique, depuis le Pô jusques et y compris Rimini seront à la Cispadane[5] ; la France aura garnison à Ancône pendant tout le temps de la guerre continentale[6] et le pape fournira 30 millions dans un temps très court.[7]
Mais dira-t-on, il fallait détruire[8] ; oui, mais ce qui est plus important encore, il faut que le général Bonaparte soit toujours victorieux, et qu'il n'abandonne pas pendant un si long temps son armée du Tyrol en présence de laquelle est maintenant l'archiduc Charles.[9] Il faut qu'il revole à la tête de cette armée ; il faut que la République soit sauvée, et Rome deviendra ce qu'elle pourra.[10]
Nous étions deux membres de la commission ici. Mon collègue[11] est parti hier pour Foligno et Pérouse. Le général m'a retenu et me voilà seul ; je ne suis pas certain de ce que je ferai dans quelques jours; mais incessamment je partirai pour Rome et rejoindrai vraisemblablement mes collègues en route.
Dis à ma femme que si elle a occasion de rencontrer Saliceti et Garrau[12] qui sont vraisemblablement à Paris de leur témoigner reconnaissance pour les manières aimables qu'ils ont employées à mon égard, surtout Saliceti avec qui j'ai vécu plus longtemps. Ils m'ont rendu l'un et l'autre la vie fort heureuse.[13]
Le général en chef me témoigne encore plus d'amitié de manière, ma chère Fillette, que je suis véritablement l'enfant gâté de la République. Mais rien ne compense l'absence de la famille, et ce sera avec la plus grande joie que nous ferons nos paquets pour Paris, si jamais nous sommes assez heureux pour cela.[14]
Adieu ma chère Fillette. Embrasse ton mari pour moi; caresse de ma part le petit Émile[15] qui ne me reconnaîtra plus quand je reviendrai de l'armée et compte sur le bien sincère attachement de ton frère.
Monge
Mon encre est si blanche que tu ne pourras peut-être pas lire, mais le général n'en a pas d'autre dans ce pays pauvre et où personne n'écrit. Nous sommes dans la neige jusqu'au col.
[1] Anne-Françoise HUART (1767-1852), plus jeune sœur de Catherine. Elle ajoute un court passage dans la lettre écrite par Catherine de Paris le 8 messidor [an IV] [26 juin 1796]. Mais Monge tient ici à répondre à sa lettre envoyée avec celle de Louise le 5 nivôse an V [ 25 décembre 1796].Voir la lettre n°48.
[2] Monge écrit à Nicolas-Joseph MAREY (1760-1818) mari d’Émilie, fille aînée de Monge, le 27 pluviôse an V [le 15 février 1797]. Voir lettre n°62.
[3] Entre Napoléon BONAPARTE (1769-1821) et le cardinal Alessandro MATTEI (1740-1820), Luigi BRASCHI HONESTI (1745-1816), Francesco Camilo VII MASSIMO (1730-1801), Lorenzo CALEPPI (1741-1817). Les discussions aboutissent au Traité de Tolentino Le 1er ventôse an V [19 février 1797]. Voir la lettre de Bonaparte en note dans la lettre n°62. Elle éclaire aussi les paragraphes suivants.
[4] Armistice de Bologne entre la France et le Saint-Siège du 5 messidor an IV [23 juin 1796] rompu en vendémiaire an V [septembre 1796].
[5] La Cispadane est constituée des villes de Reggio, Bologne, Modène et Ferrare. Le congrès qui réunit les représentants des villes s’ouvre en décembre 1796. Voir les lettres n°40, 48, 53, 65, 76 et 84.
[6] Voir la lettre n°96.
[7] Par le traité de Tolentino qui sera signé le lendemain, le 1er ventôse an V [19 février 1797], le Pape cède Avignon, le Comtat Venaissin et les légations et s’engage à verser avant le 15 ventôse en V [5 mars 1797], 15 millions dont 10 millions en numéraires et 5 en diamants. Voir lettre n°84.
[8] C’était précisément l’avis de Monge. Voir infra.
[9] Charles DE HABSBOURG (1771-1847), commandant des armées autrichiennes. Bonaparte prépare sa campagne vers Vienne. Voir les lettres n°61, 65, 76 et 81.
[10] Monge préconise après la rupture de l’armistice de Bologne par le pape, de « révolutionner » Rome comme à Modène et Reggio. Voir la lettre n°40. Ses rencontres avec Bonaparte et les conditions diplomatiques et militaires le conduisent à être moins déterminé à ce sujet. Voir les lettres n°44, 51, 53, 62 et 65. Il présente la même explication qu’à Marey (lettre n°62).
[11] Jacques-Pierre TINET (1753-1803). Il rejoint la commission à Rome le 21 ventôse an V [11 mars 1797]. Voir les lettres n°65, 69, 71 et 80.
[12] Antoine-Christophe SALICETI (1757-1809) et Pierre-Anselme GARRAU ( (1762- 1829) tous deux sont commissaires aux Armées durant la campagne d’Italie. En octobre 1796, Bonaparte retire aux commissaires leur tâche de gestion financière des régions italiennes occupées. Le 16 frimaire an V [6 décembre 1796], ces agents sont supprimés et retournent à Paris.
[13] Monge suit Saliceti du 1er au 27 octobre 1796. Ils sont successivement à Ferrare, Florence. Bologne Modène et Livourne. Voir les lettres de Monge écrite à cette période.
[14] Catherine reprend cette phrase et demande des explications à Monge le 12 ventôse an V [2 mars 1797] : « Ta lettre du 30 à fillette est arrivée ici en huit jours, juge comme elle a été reçue. Mais il y a une phrase qui m’a frappée, tu dis que vous ferez toujours avec plaisir vos paquets pour Paris si jamais vous êtes assez heureux pour cela. Que signifiaient ces derniers mots ? Vous redoutez donc quelque chose pour vous personnellement ou pour la chose publique. Je t’avoue franchement que votre voyage à Rome sans l’armée m’effraie. Le pape a bien rompu un premier armistice, il en rompra bien un second, alors vous serez en but à tous les poignards et les stylets italiens. […] Les Vêpres Siciliennes me trottent souvent dans la tête, le moindre revers exposerait tous les Français qui sont dans ce pays à toutes les horreurs possibles. »
[15] Barthélémy BAUR (1752-1823) et leur fils Émile BAUR (1792- ?).
AnalyseL'encre est très pâle et rend la lettre difficile à lire.