Lettre de Marguerite Audoux à Valery Larbaud
Auteur(s) : Audoux, Marguerite
Description
Relation par Marguerite Audoux de son voyage vers le Midi et se son accueil à la gare de Marseille par Francis Jourdain
Texte
Mon cher Valery,
Mon voyage[1] a été parfait, personne n'a fumé dans mon compartiment de fumeurs, et il y a même eu une place de libre. C'est te dire que je n'ai pas été gênée par mes voisins. Tout de même, il faisait si froid, que malgré la bouillotte qui me cuisait la plante des pieds, j'avais les jambes gelées. Nous avons eu un soleil magnifique jusqu'à Lyon, mais là, une sale brume nous l'a caché jusqu'à Avignon. Il faut te dire que j'ai eu bien peur de trouver le même temps à Marseille. J'y pensais tout le temps, car à partir de Lyon, il y avait une couche de neige assez épaisse, et plus nous avancions, plus il y avait de neige. Enfin, passé Avignon, la terre est redevenue noire, et la lune s'est montrée aussi brillante qu'un soleil, et en arrivant dans la gare de Marseille, il faisait un temps doux comme un jour de fin février à Paris quand le printemps se fait sentir. Comme je descendais du train à Marseille, Francis, qui m'avait vue le premier, m'a entouré la tête pour m'embrasser en disant avec l'accent chantant et gueulard des Marseillais : « Adieu, mignonne ! ». J'étais ravie de l'entendre, je me disais : « Il est chic, cet animal-là ! »
[Marseille, mi-janvier 1911]
Mon cher Valery,
Mon voyage[1] a été parfait, personne n'a fumé dans mon compartiment de fumeurs, et il y a même eu une place de libre. C'est te dire que je n'ai pas été gênée par mes voisins. Tout de même, il faisait si froid, que malgré la bouillotte qui me cuisait la plante des pieds, j'avais les jambes gelées. Nous avons eu un soleil magnifique jusqu'à Lyon, mais là, une sale brume nous l'a caché jusqu'à Avignon. Il faut te dire que j'ai eu bien peur de trouver le même temps à Marseille. J'y pensais tout le temps, car à partir de Lyon, il y avait une couche de neige assez épaisse, et plus nous avancions, plus il y avait de neige. Enfin, passé Avignon, la terre est redevenue noire, et la lune s'est montrée aussi brillante qu'un soleil, et en arrivant dans la gare de Marseille, il faisait un temps doux comme un jour de fin février à Paris quand le printemps se fait sentir. Comme je descendais du train à Marseille, Francis, qui m'avait vue le premier, m'a entouré la tête pour m'embrasser en disant avec l'accent chantant et gueulard des Marseillais : « Adieu, mignonne ! ». J'étais ravie de l'entendre, je me disais : « Il est chic, cet animal-là ! »
Voilà, mon cher Valery. Je n'ai pas encore vu Agathe[2] ; elle loge quelque part chez sa sœur qui doit venir me prendre tout à l'heure. Moi et Francis avons couché à l'hôtel. Le garçon a paru scandalisé de nous voir prendre chacun une chambre. Francis file sur Roquebrune ce matin pour nous trouver une maison[3] et je pense que nous filerons demain à notre tour.
Tu diras à Polemon que je l'ai vu arriver sur[4] le quai au moment où mon train filait. Il était lancé lui-même comme un train express mais il s'est calmé en te rencontrant. Tu lui as servi de butoir – un butoir bien élastique, si j'ose dire. J'ai vu ton geste précipité vers mon wagon, et le coup d'œil non moins précipité de Fargue, puis je n'ai plus rien vu, mais j'étais contente, contente de l'avoir vu.
À bientôt. Je vous embrasse tous deux.
Marguerite
Lieu(x) évoqué(s)Paris, Roquebrune, Voyage Paris-Marseille
État génétiqueÀ l'avant-dernier §, sur le quai est précédé d'un dans barré.