Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Collection : 1852 (1er juin-13 novembre) : Guizot historien, liberté de ton et d'analyse (1850-1857 : Une nouvelle posture publique établie, académies et salons)

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Bruxelles Mercredi 2 juin 1852

Ma dernière nuit à Paris a été assez bonne. Je suis arrivée ici à 5 heures mon fils arrivait de Londres en même temps. Il reste avec moi aujourd’hui.
Trubert est très bien. Kalerdgi est arrivée cette nuit, je ne l'ai pas vue encore. Collaredo est dans le même hôtel que moi depuis hier aussi. Van Praet est venue me voir. Le tête-à-tête n’a pas réussi. [Kontornoff] & notre consul l’ont empêché. Je le reverrai ce matin. J'ai redormi cette nuit, et je suis moins fatiguée que vous ne m’avez laissée. Voilà tout ce que j’ai à vous dire et Adieu. Adieu.
Voici votre lettre merci, une aussi d’Aberdeen, très rude pour Lord Derby, & peu obligeant pour Paris. Adieu encore et le M. [?] raconte mon dîner. Evidemment il y avait un gentleman of the press dans mon salon vendredi soir. Je suis très vexée.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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2 Bruxelles le 3 juin 1852

Je n’ai pas bougé de chez moi hier. J’ai vu deux fois Van Praet. Le roi avait voulu venir, il a pris un accès de bile. Il sera dans huit jours à Wiesbade.
J'ai causé un peu avec Collaredo, bien content de retrouver Londres, & de ne plus trouver Palmerston. J'ai bien parlé à Van Praet sur la nécessité de réprimer la presse. On ne peut pas vivre avec un voisin comme celui-ci. Ce sera une grande faute si un motif pareil poussait la France à sortir de chez elle, mais en définitive et malgré toutes ses protections, la Belgique serait abîmée. Elle deviendrait le théâtre de la guerre. [Van] Praet dit qu'on fera aussitôt les élections passées dans huit jours. Il faut modifier la législation, on le fera.
On est ici très fusionniste seulement on voulait attendre, et on croyait que tel était le conseil de Paris. Moi je n’y comprends rien. Si non que ce qui est fait et fait, & que ce qui se fera peut ne pas se faire. Voilà un raisonnement de [portier] ce qui veut dire good sense.
Trubert a vu hier Changarnier. Il fait son plan pour quand il sera dictateur. Comme Broglie fait sa Constitution ! Du reste tranquille & convenable & très solitaire dans son trou de [Malines]. Adieu. Adieu.

Je pars dans une heure. L'[Impératrice], est arrivée hier soir à Schlangenbad moi, je n’y suis annoncée pour Samedi. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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3. Cologne Vendredi 4 Juin 1852

Notre petit ami m'a remis votre lettre hier matin, et m’a raconté le reste c’est assez d’accord avec ce que m'a dit Van Praet. J'ai fait la route très agréablement dans une excellente voiture. Au débarcadère hélas je me suis séparée de mon fils avec chagrin très réciproque.
À Malines, j’ai aperçu Changarnier je l'ai appellé, il est venu très empressé. La vue de Madame |Kalerdgi] l'a contrarié. Il l’a appelée scélérate. A moi Il m’a fait compliment de mon nouvel ami Persigny. J’ai dit, ami, non, c’est trop fort, mais bonne connaissance. Il a parlé du serment d'amour qu'on avait voulu lui faire prêter après l’avoir traité comme il l’a été. Il a parlé de sa tranquillité, de sa philosophie. Il a bonne mine & l'air aussi arrangé qu'à Paris.
D'ici je serai escortée par le comte Goly et des amis de Mad. [Kalerdgi] Je coucherai à Coblence.

6 heures Coblence. J'arrive, journée très orageuse et ma malle, celle qui contient toutes mes parures, perdue, égarée entre Bruxelles et Cologne. Grande consternation et impossibilité d'avaler jusqu'à ce que je la retrouve. Cela me contrarie horriblement. Voilà comment je suis servie, vous voyez ma colère ! Je n’ai littéralement, absolument rien à mettre. Je me soulage en vous contant ma misère.

Samedi 5. 9 heures. La malle est retrouvée, à force de télégraphes & de protection prussienne elle m’est arrivée cette nuit. Je ne pars cependant qu’à midi. Cela convient ainsi à Mad. [Kalerdgi] et je lui dois de faire un peu sa volonté. Je coucherai sans doute à Biberich, et je serai rendue à Schlangenbad demain matin.
Pas la moindre nouvelle à ramasser en route, beaucoup de curieux, petits renseignements à recueillir de ma compagne. Elle a beaucoup d’esprit mais sans suite aucune. Elle sait assez bien observer. Elle amusera son oncle. Adieu. Adieu.
Je suis très impatiente de Schlangenbad. Je crois que l'[Impératrice] y restera plus longtemps qu'on n’avait dit. Le temps est assez froid, et toujours à l'orage. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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4. Schlangenbad Dimanche le 6 juin 1852

J'ai trouvé à Biberich, les voitures de la cour qui m’attendaient. Il a bien fallu en profiter. Je suis arrivée tard ici.
L'Impératrice était allée au devant de la [Grande Duchesse] Olga. Meyendorff est accouru et m'a tenue jusque près de onze heures & si agréable, si curieux que je n'avais pas sommeil.
J’ai mal dormi. Je ne suis pas logée auprès de l’[Impératrice]. Les jeunes grands ducs sont venus à [Schlangenbad] & deux jeunes Princesses de Dessau nièces de l’Imp.. Il a fallu mettre dehors les autres je suis dans la maison vis-à-vis. Le duc de Leuchtenberg avec moi, à 9 h ce matin le G. D. Nicolas est venu me voir, je n’étais pas à moitié prête. Un quart d'heure après la G. D. Olga et son mari, puis l’Impératrice avec le G. D. Michel. Voilà toute la famille impériale dans mes bras. J’ai été très émue en voyant entrer l'Impératrice, elle a été charmante, gracieuse, affectueuse. J'ai été lui rendre sa visite tout à l'heure, elle m’a gardée longtemps questionnant avec intérêt, intelligence.
Le Prince de Prusse arrive ce soir. Le roi de Wurtemberg demande à venir faire sa cour. On n'a pas envie de le recevoir. On ne veut voir personne. Le roi de Prusse sera ici le 24.
Meyendorff m’adore, & je l’adore aussi, nous allons passer notre temps ensemble. Que de choses nous nous sommes dites déjà. Je lui ai montré votre lettre car il est très avide de vous, il me dit que vous êtes dans l'erreur. Nous n'isolons pas la France du tout. Au contraire nous avons besoin d’elle pour toute affaire européenne. Elle est et restera dans ce concert. Seulement sous une autre forme, elle n'y sera pas aussi agréablement. C’est très exact ce qu’il me dit là & que je vous redis. Il est notre Cabinet. C’est ce que K. a l'ordre de dire et c'est parfaitement notre pensée.
Je suis très lasse j’attrape un petit moment avant le dîner. Je dînerai chez moi tête-à-tête avec Meyendorff. L’Impératrice dîne seule. Le soir j’irai auprès d'elle. Je ne l'ai pas trouvée aussi changée qu'on me l’avait dit. Olga superbe. Mes jeunes G. D. charmants. Le duc de Leuchtenberg arrive mourant dit-on. On l’attend ce soir. Personne ne croit à la fusion. On l’a trop souvent annoncée. Adieu. Adieu.

Voici votre N°3 du 3 juin. Merci. Le duc de Leuchtenberg a l’air d'un mort qui tâche d'avoir l’air vivant.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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5. Schlangenbad Lundi le 7 Juin 1852

J’ai passé la soirée en grande compagnie. La nuit assez tranquille, dans mon lit. Ma matinée aujourd’hui chez l’Impératrice. Rentrée pour me reposer, j’ai eu la visite du duc, de la duchesse de Nassau, de trois autres princesses dont je suis encore à apprendre le nom. S'il me faut prendre tout cela je serai morte, j'aime mieux passer pour avoir perdu les traditions de la plus vulgaire politesse, pas un mot de nouvelle. Des audiences démandées & refusées.
Le roi Léopold arrive à Wisbade. L’Impératrice ne le recevra pas, elle ne voit que sa famille. Meyendorff toujours chez moi. nous dînons tête-à-tête, l’Imp. dîne seule. Le matin, le soir elle est en train, dans le milieu du jour il lui faut du repos. Son frère le Prince de Prusse vient d'arriver à l’instant.
Le duc de Leuchtenberg est une lampe qui s’éteint. Je n'ai rien vu de plus effrayant.

6 heures. Pas de lettres, pas de journaux. Voilà les plaisirs de l'absence. Je n’ai pas une nouvelle à vous dire. Le temps est très beau aujourd’hui. J'ai vécu dehors. Adieu. Adieu. Je vais me reposer. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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6. Schlangenbad le 8 juin 1852
Onze heures

De 10 à 1 on se rassemble à l'ombre de superbes tilleuls à la porte de l’appartement de l’Impératrice. Là Meyendorff vient de faire lecture du testament du duc d’Orléans, (que j’avais apporté). Cette lecture a produit un effet prodigieux. Le Prince de Prusse qui partage beaucoup les idées de sa femme en est resté stupéfait. L’Impératrice vous concevez !
Vous ne me donnez aucune nouvelle. Je crois que le monde veut rester tranquille pendant mon éclipse. De ce côté rien ne se passe non plus. Les Princes et princesses se croisent ici sans ajouter à l’élément de la conversation. Meyendorff est un trèsor très abondant, et si naturel. L’Impératrice prend intérêt à tout sans se fixer à rien. Mais elle n'oublie rien non plus. Et je vois avec plaisir que mes lettres vertes lui restent dans la mémoire. La grande duchesse Olga est charmante et bien belle. La suite de l’Impératrice est bien composée hommes & femmes.

5 heures J’ai pris mon premier bain avec plaisir & frayeur. Je ne sais jamais si ce que j’entreprends me réussira. Je commence déjà à m'inquiéter de ce que je deviendrai après ceci, & puis avec qui m'en retourner, car plus que jamais j’ai vu qu'il me faut quelqu'un. A propos quand je vous reverrai j’aurai quelque chose de drôle à vous raconter. L’Allemagne se brouille. On ne parvient pas à l’arranger, la presse veut avant tout reconstruire le Zollverrein et cela ne va pas. Adieu. Adieu.
J’espère que votre fille va bien. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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7. Schlangenbad le 9 juin 1852

Je vous envoie l’épitaphe fait par Meyendorff sur le tombeau du D. Schwarzenberg. Cela vient à propos de votre discours sur celui de Morny. Les journaux ne nous le donnent pas encore dites-moi un mot sur ce que je vous envoie là.
Meyendorff est bien sensible à votre opinion. Je suis sûre qu’il vous plairait extrêmement si vous le connaissiez. A mon gré il est charmant seulement il sait trop de choses et moi je n’en sais qu’une c’est encore comme cela ! En faisant ma toilette hier soir pour aller chez l’Impératrice je me suis trouvée mal. Tout simplement une excessive fatigue. Au lieu de sortir, je me suis couchée. Je n’ai pas dormi ou très mal. J’ai l’esprit tracassé de deux choses mes fils, c’est la plus grosse et puis que devenir, où aller, avec qui ? Qui me ramènera à Paris ? Qui prendra pitié de moi jusque là ? Pour toute ressource Emilie, Jean & Auguste.
Pauvre femme d'esprit, comme je sais arranger mes affaires ! Et bien voyez-vous tout cela m'empêche de dormir. Je m'agite, & je crois fermement que je suis venue mourir à Schlangenbad. Ecoutez, à toute extrémité, si suis absolument privée de toute ressource pourrez-vous m'envoyer votre petit ami ? Vous comprenez les inconvénients, mais j’aime tout mieux que l’abandon total absolu et c'est là où je vais être plongée dans 18 jours. Ceci est un tourbillon, après le néant.
Je viens de causer avec quelqu’un qui a parlé avec l’Empereur il y a 3 jours à Varsovie. L’Empereur très content du Président souhaitant vivement qu'il continue comme il fait.

8 heures. J’ai été couchée tout le jour, quoique toujours en causeries. Je me relève pour aller chez l’Impératrice. J’espère ne pas tomber comme hier. Vos lettres m’arrivent bien, mais les nouvelles, vous n'en faites pas. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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8 Schlangenbad le 10 juin 1852

Après une journée de repos j’ai pu finir ma soirée chez l’Impératrice. Au moment de se séparer le Prince de Prusse est arrivé, il avait fait une absence de deux jours. Aujourd'hui reviennent les jeunes grands Ducs qui ont fait une pointe aux petites cours du Midi, & qui repartent demain pour la Hollande, tout ce mouvement est fatigant à regarder.
Saztinsky est ici. L’Impératrice. est bien gardée. Elle vient de m'envoyer son médecin Maudt. Je ne sais s'il est bon médecin, mais je sais qu'il a bien de l’esprit, & que cela me fait une précieuse et utile connaissance. Vous savez que quand je parle d’utilité c’est de mes fils qu'il est question.

2 heures. Voici votre lettre. Tout m'arrive plus régulièrement cette année. Je reçois votre lettre du 8, le 10. Cela ne peut pas être mieux. Je suis bien fâchée de ne pas avoir les Débats. Je viens de lire votre discours dans le Galignani, en Anglais par conséquent. Quel dommage. Ce doit être si beau !
J’ai passé ma matinée couchée, beaucoup de visites, une longue du Prince de Prusse. J’ai été dîner chez l’Impératrice, rien que la famille. Elle me dispense de la soirée aujourd’hui, mes forces ne suffisent pas. Je suis bien plus faible qu’à Paris. Léopold arrive demain à Coblence. Il dîne et couche chez le Prince de Prusse. Mes jeunes grands ducs y seront aussi et passeront la nuit sous le même toit ; c'était une visite arrangée. Le roi Léopold s’est invité depuis. La rencontre est imprévue mais cela se passera bien. Tout est difficile dans ce genre. Je doute que l'Impératrice puisse recevoir sa visite. Elle pourra le rencontrer.
L'affaire du Constitutionnel est bien curieuse Adieu, je sens que je n’ai absolument pas une nouvelle à vous dire. Je voudrais vous en donner de meilleures sur ma santé. Je voudrais aussi avoir une meilleure mémoire. Je fais ici une grande confusion de princesses. Il y en a trop. Ma grande Duchesse Olga est vraiment charmante. Naturelle, fine, bonne & si belle. Son mari m’intéresse, car il est un peu délaissé par tout le monde. Le roi de Wurtemberg viendra la semaine prochaine, cela a couté de la peine de le faire admettre. Adieu, adieu, encore.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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9. Schlangenbad le 11 juin 1852

Je me suis couchée à 9 h. hier soir, et levée à 9 ce matin j’ai beaucoup dormi & je ne suis pas reposée. Il me faut du repos & des soins. Il est clair que si je dois rester seule je n’aurai ni l’un ni l’autre, & que dans ces conditions là les bains les plus efficaces seront sans efficacité pour moi. Si donc je n’ai la certitude ici de Marion, ni d'Aggy, Je finis l’Allemagne en même temps que l’Impératrice c’est-à-dire le 1er Juillet, & je retourne à Paris avec un blanc, un bleu, un rouge, tout m’est égal pourvu que ce soit un homme qui me protège en route. Je le cherche pourriez-vous écrire encore un mot à Marion. Clothal, Mad. Baldoux Herti. L’une d’elle pourrait elle venir ici avant cette date ? La soeur ne mourra pas, le médecin du lieu le dit. Elles ont pris l’alarme inutilement et m'ont fait à moi un mal bien grand. Elles pourraient réparer. Si elle vient je reste et je fais quelque chose pour cette pauvre santé. Si non, Paris et là Dieu sait quoi.
J’ai écrit à Beauvale aussi sur cela, mais vous pouvez davantage. Tous les soirs en m'envoyant coucher l’Impératrice crie Marion, Marion. Dites lui cela. Mad. Narichkin a passé quelques heures ici. Elle est partie. L’Empereur envoie tous les deux jours un courrier. Je voudrais bien que Constantin fut le prochain.

5 h. J'ai essayé mes jambes soutenue par Meyendorff. J’ai eu une longue visite du général Philosofof gouverneur des grands Ducs. Ceux-ci n'ont donné au Comte de Chambord que le Monseigneur. Le grand duc Constantin avait été plus loin, mais jamais devant un témoin étranger, ce qui explique que les autorités autrichiennes interrogées sur cela ont répondu néga tivement. L'Empereur en apprenant que le [grand duc Constantin] avait dit Majesté, a dit de son fils, il s’est émancipé. Meyendorff averti par moi en temps utile à empêcher les cadets d’imiter leur aîné.
Voici votre lettre d’avant hier. Je suis mieux traitée que vous ne l'êtes par les facteurs. Le temps est laid depuis deux jours froid et pluvieux. Je suis fâchée que vous ayez manqué Fould & Noailles. J’espère que vous me donnerez des nouvelles de l’un et de l'autre. Adieu, adieu.

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10 Schlangenbad samedi 12 juin 1852

Mes conversations avec Meyendorff sont interminables. Il est curieux, abondant sur tous les sujets, esprit très universel, plein de science, & simple. & naturel, & de bon sens par dessus tout. Quel dommage que vous ne le connaissiez pas. Il vous plairait bien.
La soirée hier était plus nombreuse que de coutume. Les jeunes grands ducs d’abord & puis Oldembourg, Nassau les jeunes avec la jeunesse à une grande table ronde. La grande Duchesse Olga, Meyendorff et moi auprès de la couchette de l’Impératrice. Beaucoup de liberté de mouvements & de conversation, pas de gêne du tout, et elle toujours de bonne & gracieuse humeur.
Aujourd’hui grand baptême à Biberich. Les grandes toilettes y vont. L’Impératrice tient sur les fonds. Il n’y a pas eu de rencontre à Coblence. Je crois vous avoir dit que l'Impératrice a retenu ses fils ici un jour de plus, et Léopold a dû en répartir ce matin pour venir à Wisbade.
Plus je vois l’Impératrice, plus j’entends parler d’elle, ses dévoués qui ne sont pas des courtisans, & plus je me confirme dans l’opinion que je vous ai dite que c'est un esprit juste, profond, une âme très élevée et un coeur excellent. Peu démonstrative mais n'oubliant rien. On se sent en sûreté avec elle et je la quitterai l’aimant encore plus que je ne faisais en arrivant. Je crois.
Je fais cette réserve, car l’expérience m'apprend à ne plus rien croire d’avance. Je vous dis. Adieu sans un mot de nouvelle à ajouter. Adieu.
+ Il fait ici très froid, je n’ai pas le côté du soleil de sorte que j'ai recours aux cruches d'eau bouillante. Le beau temps est nécessaire à Schlangenbad. +

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11. Schlangenbad le 13 juin 1852

La journée a fini hier presque seule avec l’Impératrice, il n'y avait chez elle que la grande duchesse Olga et son mari. C'était confortable et agréable. Cependant je n’ai pas dormi la nuit. Marion, mes fils. Voilà ce qui me tourmente l’esprit. Vous me connaissez, vous savez ce que ces préoccupations là me font, comme elles m'envahissent.
Ce matin le Prince Charles de Prusse & le prince Frédéric de Hesse sont arrivés. L’un pour moi, l'autre à côté de moi. Tout de suite chez moi. Le prince Charles a beaucoup d'esprit, l'esprit gai, très bien fait, très bien pensant. Pensant comme moi sur toute chose très bonné découverte. Quand je suis chez moi je reste couchée et je ne me gêne pas pour la qualité de mes visiteurs. Je ne me gêne que pour l’Impératrice. Je ne servirai pas à Schlangenbad si je faisais autrement.
La grande duchesse Stéphanie a demandé à venir faire sa cour, l’Impératrice décline, sa règle est absolue. Elle ne veut recevoir personne elle a besoin de repos & de ne se gêner pour rien et pour personne. Moi qui connais les douceurs de cela je trouve qu'elle a bien raison.
Maudt est encore revenu, nous ne parvenons pas à parler de ma santé, il m’entretient de choses bien plus curieuses, il a de l’esprit extrêmement, & doit gouverner là où il prend la peine de le faire.
Sa conversation vous plairait, et quoique très philosophique je marche avec lui, cela m'étonne.
Le roi Léopold vient de m'écrire pour me demander une entrevue. C’est fort embarrassant. Je ne vais pas à Wisbade. J’ai refusé de rendre visite à la duchesse de Nassau qui est venue exprès me voir. Je ne puis pas la recevoir chez moi, c’est trop près de l'Impératrice, & il y aurait de l'inconvenance pour lui d’être venue jusqu’ici sans la voir. Question à débattre. En attendant adieu. Il pleut Il fait très froid. Je fais du feu, je me couvre et je ne me chauffe pas. Adieu. Adieu.

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14. Schlangenbad le 17 juin jeudi 1852

Pardonnez-moi la lacune d'un jour. J’ai été vraiment malade et quand hier j’ai trouvé la force & le moment pour vous écrire la grande Duchesse Olga est entrée et il n'y a pas eu moyen de trouver 3 minutes de liberté.
Ce n’est que hier que j’ai vu la princesse de Prusse. Je lui trouve certainement de l’esprit mais pas le moindre naturel. Elle n’a pas beaucoup cherché à me plaire, mais cela c'est égal. Pour juger quelqu’un c’est même plus commode.
Quand elle a vu que je n’étais pas forte en littérature moderne elle n’a parlé que de cela. Son mépris pour moi a été énorme quand je lui ai dit que je n’avais pas entendu parler des Causeries du Lundi par Ste Beuve. Je lui ai promis que je demanderai raison à mes amis de Paris de l'ignorance où il m'ont laissée sur ce point, et très sérieusement je vous demande de me dire si vous connaissez cela, & si cela à quelque mérite. J'aurai votre réponse à temps pour en faire usage. Ne vous gênez pas, et si cela valait la peine d’être lu & dites que je ne valais pas la peine qu’on m’en parle. Ma place est fort bien prise déjà sur ce point.
Nous nous passons des billets, le roi Léopold et moi sans parvenir à nous voir. Il faudra bien pourtant que cela aboutisse. Je regrette les embarras qui se sont glissés là, il était mal renseigné et a employé des intermédiaires mal choisis, cela a gâté l’affaire. Mon petit favori le Prince. Nicolas de Nassau, vient me voir quelques fois. Il est vraiment bien gentil on l’invite quelque fois mais c’est rare. Quand il y est c’est avec la jeunesse. Il n'y a à la table de l’Impératrice que ses frères, la grande duchesse Olga, Meyendorff et moi, quelque fois un [comte Sch] de Paris qui a bien de l'esprit & dont je ne me doutais pas à Paris.
Il pleut à verse c’est un déluge depuis 3 jours. Je ne bouge, quand je puis bouger, que pour aller en chaise à porteur chez l’Impératrice. Les montagnes sont enveloppées dans un épais brouillard. Adieu. Adieu.
Dites moi ce que je deviendrai après ceci Je n’en sais pas le premier mot. Ah si Marion, Aggy avaient pitié de moi Adieu. Adieu, voici votre première lettre du Val Richer, mais au moment où je suis forcée de fermer la mienne. Adieu.

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15 Biberich Vendredi le 18 juin 1852
Midi

J'ai enfin donné un rendez vous ici au roi Léopold, et en attendant qu'il vienne, je vous fais ma lettre, lettre blanche ce qui m’incommode beaucoup. Je viens de voir l’Impératrice à son déjeuner, elle m’a reconduit chez moi, & m'a emballée pour mon expédition. Vous ne concevez pas à quel point, elle est naturelle, charmante, simple, et tout ce qu’elle a d'esprit et de raison, et de sentiments élevés. Il n’y a dans ce que je vous dis là rien d'exagérer, rien de ce qui tient à ce que vous appelez mon amour des princes. Il n'y a que des sots qui puissent l’appeler une femme frivole. Hier elle était souffrante un peu. Elle n'a vu que sa famille, Meyendorff; et moi, soirée très agréable.
Je suis un peu mieux. Si j’avais Aggy, ou Marion cela pourrait bien ou à peu près. Ellice me mande que la confusion des partis augmente tous les jours, la dissolution aura lieu le 26. Je rentre de mon expédition.
Le roi Léopold très sensé et préoccupé seulement de son voisin, il modifiera les lois sur la presse, il le tentera au moins, et changera quelques uns de ses ministres. Anvers est mis en bon état. 1000 canons vont le garnir. Si besoin en est le gouvernement sera là. Il n’en aura pas besoin que le [gouvernement] actuel de France. Le président a trop d'esprit pour ce coup de tête, amis s’il n'y était pas, quand il n’y sera pas ! Qui peut deviner quoi ? J’ai trouvé le roi un peu en réserve, il n'a pas parlé du tout des partis en France, pas un mot de Claremont, pas un mot de Frohsdorff, pas nommé un seul homme important passé ou présent en France. Je crois qu’il me croit très Elyséenne.
Meyendorff est flatté de ce qui s’adresse à lui dans votre lettre. Il me l’a prise. Adieu. Adieu. Je suis bien fatiguée, il faut me reposer pour la soirée, & voilà Meyendorff qui veut encore de la causerie. Adieu. Adieu.

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16 Schlangenbad samedi 19 juin 1852

Si vous voyez ma vie ici vous seriez inquiet pour ma santé & mes forces & très satisfait pour tout le reste.
On me rend plus qu’il ne me revient en soins, en égards, pas plus qu'il ne n’est dû en amitié, car je m'attache à l’Imp., tous les jours davantage.
Mon retour à Paris est assuré je n’ai plus d'embarras ou d'inquiétude à cet égard. Elle veut que je l’accompagne à Cologne. De là elle me donne le comte Schouvaloff. et me [?] pour me ramener à Paris si c'est là que je vais et je crois que c'est là qu’il faut que j'aille à moins que je n’ai Marion ou Aggy ce qui est peu probable.
J’ai passé toute la matinée chez l'Impératrice une lecture allemande sérieuse (M. Haxthamen) Meyendorff lecteur. L'Impératrice a l’esprit plus serein que moi cela l'a intéressée beaucoup, moi pendant une demie-heure pas davantage. Après cela beaucoup de visiteurs chez moi, je suis à la mode à Schlangenbad. J'aurai de quoi vous intéresser quand je vous conterai mon séjour. Il m'intéresse moi beaucoup. Mais comment survivre à toutes les fatigues encore ? & cependant je ne fais avec l'Impératrice pas une promenade. Rien d'extraordinaire. De la causerie le matin au jardin. Diné quelques fois et vite sans cérémonie aucune. Le soir très agréable causerie & souper où je ne mange pas, et bien rien que cela est trop. Je reste couchée chez moi tout le jour pour me refaire. Je crois que je n'échapperai pas à Stolzenfeld. L'honneur sera grand, le plaisir aussi, je le sais, mais la fatigue ! Adieu, adieu.
L'Impératrice veut partir le 29. Maudt veut qu'elle reste jusqu'au 2 juillet. Nous verrons. Adieu encore.

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18 Schlangenbad le 21 juin 1852 Lundi

Je passe avec Meyendorff des heures charmantes, c’est une communauté charmante de souvenirs, d’intérêts, d’opinions. Nous cherchons sans le trouver le sujet sur lequel il pourrait y avoir dissentiment entre nous. Il faut absolument que je vous le montre, il en a bien envie aussi non pas de se faire voir car il est très modeste, mais de vous connaître vous & d’autres. Il faut que ce plaisir me soit donné. Hier l’Impératrice a été très fatiguée de la visite du roi de Wurtemberg C’est trop pour elle. Il lui faut de la distraction sans gêne. Je comprends cela, je l’apprécie & je le pratique comme vous savez. Elle s’est reposée & couchée hier soir et j’ai fait ma soirée chez ses dames. Toutes quatre sont très bien. (Mme Nélidoff la plus distinguée entre elles, une personne intéressante.) (Ne répondez pas à ceci.)
Les princes se succèdent et se relèvent ici. Il n'y a que cela de visiteurs. Tous sont polis pour moi et ne manquent jamais de venir chez moi malgré les rencontres deux ou trois fois le jour chez l’Impératrice. Il en résulte que j’ai extrêmement peu de loisir, quelques fois pas le temps de m'habiller car on commence dès 10 h. le matin. Pas de promenade du tout aujourd’hui, une pluie incessante.
Il me semble qu'Aggy viendra certainement me rejoindre, dans ce cas je n’irais pas à Paris, mais l’incertitude m’est bien désagréable. Il me parait difficile d'échapper à Stolzenfels. Si je retourne à Paris rien de plus simple, mais si je n’y vais pas, voilà qui sera encore bien fatigant. Enfin tout ceci doit compter pour une campagne. J'en rapporte des passeports, je serai biens payée, par dessus le plaisir de cœur qui est grand je vous assure. Adieu. Adieu.
Je suis un peu mieux de santé. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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19 Schlangenbad le 22 juin1852

Aujourd’hui la reine de Wurtemberg que je n’avais pas vue depuis 31 ans, pas changée du tout. Les bénéfices d'une vie uniforme, sans grand plaisir, sans grande peine, sans affection vive, sans intérêt, sans curiosité. Si elle n'était pas reine, je dirais le bénéfice de n'être pas incommodée par trop d’esprit. La pluie continue et abondante. Les palpitations sont revenues à l’Impératrice. C’est une saison mauvaise pour faire usage des bains. Je me fais traîner mais en voiture fermée, il fait trop froid pour la voiture ouverte. J’ai toute sorte d’équipages ici entre autres une chaise à porteurs. J'en ai demandé le soir de mon arrivée, le comte Schouvaloff m’a vite fait venir par télégraphe électrique de Dresde, & le roi de Saxe envoie ses hommes & sa chaise. Le plus grotesque équipage avec les plus étranges couleurs. Cela fait mourir de rire l'Impératrice.
Vous voyez que je n’ai pas un mot de nouvelle à vous écrire. Ce qui fait cependant que j'aurai beaucoup à vous dire si je vous voyais quand je vous verrai. Depuis dimanche prochain le 27 adressez vos lettres à Francfort, sur le Main Légation de Russie.
C'est le 30 que l'Impératrice quitte ceci & moi aussi. Adieu. Adieu.
On me demande ce qu'on pense, ce que vous pensez de l’attitude de l’Empereur. Je dis mais pas si bien que vous savez dire. Je cite le duc de Broglie, comme le grognon qui se rend. La duchesse d’Orléans a passé un jour auprès de son amie la princesse de Prusse à Coblence. Certainement Thiers va la trouver en Suisse pour viser son passeport pour Paris Adieu. Adieu.
Jusqu’à présent j'aime mon Impératrice tous les jours davantage. Vous trouverez que c’est trop, vu que vous en saviez déjà.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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20. Schlangenbad le 23 juin 1852

Petite soirée fort agréable chez l’Impératrice. Abominable nuit ; des crampes d’estomac ; levée tard. Maudt, Meyendorff à 11 1/2 chez l'Impératrice pour lui faire lecture du séjour de l’Emp. Alexandre à Londres. Il me semble que cela l’a amusée.
Il pleut à verse toujours. C’est désespérant. Décidément on part le 30 et décidément il faudra que j’accompagne l'Impératrice jusqu’à Cologne. De là, où nous arriverons le 3 juillet, j'irai à Paris escortée par le comte Schouvaloff, ou bien je retournerai à Francfort avec Meyendorff. Cela reste flottant parce que j'ignore si j'aurai ou non Aggy.
On me fait bien languir, et je me sens un peu humiliée de cette dépendance de la volonté de deux jeunes filles qui ne calculent pas le mal. qu'elles me font et me font surement le besoin que j'ai d'elles. Ce qui bien certain est que je ne puis pas vivre seule, cela n’est pas tolérable. Je péris de cela.
Le Prince Albert de Prusse est arrivé, le quatrième frère de l’Impératrice. Pas la moindre nouvelle à vous donner. Ellice me mande que le parlement sera dissous le 3 juillet. 8 heures. Je ferme je suis toute seule. Tout le monde est à une grande promenade dans les environs. Huit voitures. Quarante personnes toutes occupées à plaire à une seule ! C’est charmant d’être impératrice. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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21 Schlangenbad le 24 juin 1852 Jeudi

Pendant que j’étais chez l’Impératrice ce matin, à trois, elle la grande Duchesse & moi, on m’a apporté un billet de votre petit ami qui était venu me voir. J'ai fait attendre longtemps. mais je l’ai vu à la fin. Je ne lui ai pas donné de lettre. Vous le verrez mardi et vous recevrez ceci je pense dimanche ou lundi. Il vous dira verbalement quelque détails de la vie que je mène & de la mine qu'il m’a trouvée. Elle n’est pas belle. Je suis bien fatiguée, quand tout ceci sera passé & que je pourrai me reposer c’est alors que je me sentirai abattue et faible car à présent encore l’intérêt de la situation, the excitement. me soutiennent. Pas l'isolement, l'excès contraire.
Pourvu que Aggy m'épargne cela, ici à Paris n'importe. J’attends de Clothall demain une lettre qui me fixera sur mon sort.
L’Impératrice prend goût aux choses que je lui lis, cela nous mène à des conversations très intéressantes. Elle sait bien des choses, & sa mémoire est prodigieuse, & son bon sens aussi. Ces séances du matin, me plaisent beaucoup. La soirée se passe bien aussi très bonne conversation. En tout l’Impératrice dont vous savez que je pense si bien, surpasse encore l’opinion que j’avais de son esprit, de sa bonté de son tact délicat et fin. C’est une personne très supérieure. Comme le mérite modeste est rarement connu et comme c’est celui-là que j’aime.
Aujourd’hui se fait à Bibérich la rencontre entre l’Impératrice et le roi Léopold. Je n’y vais pas car je ne vais nulle part et je crois que Meyendorff n’en sera pas non plus, je le regrette. Il a une migraine affreuse.

5 heures. Voici votre petit 21 qui me désespère. Vous ne recevez pas mes lettres. Que puis- je y faire ? Je ne conçois rien à cela. Les vôtres m’arrivent très régulièrement. Aujourd’hui j’ai eu votre lettre du 16 sans N° très curieuse, très intéressante. Merci merci, et Adieu mille fois.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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22. Schlangenbad Vendredi le 25 juin 1852
3 heures

Encore séance chez l’Impératrice. Elle a l'air d'y prendre goût. Nous sommes seules avec la grande duchesse Olga en rentrant j’ai trouvé chez moi Van Praet, causant avec Meyendorff, c'est une bonne connaissance réciproque. Ils se promènent ensemble dans ce moment. Je crois qu'ils seront contents l'un de l’autre. La duchesse d'Orléans a passé deux jours à Liège ! Quelle idée ! Quatre grandes conversations avec Changarnier. Celui-ci très fusionniste, elle peu disposée à cela se déclarant cependant ébranlée. Elle a voyagé de là à Aix la Chapelle avec Lamoricière. Tout cela est jugé par le roi Léopold trés inconvenant. Il n'y a eu de sa part aucune manifestation. comme il ignorait son passage. Il n’y a eu personne pour la recevoir pas même les voitures royales, (pas si bien traitée que moi à qui on les a données. Excellentes voitures avec lesquelles j’irais si on veut en Russie. Non, pas si loin) L’Autorité militaire, & le bourgmestre ont inventé de leur propre chef de lui faire fête. Elle leur a donné à dîner, après le dîner sur le balcon où elle a été saluée par la foule. Tout cela est bien ridicule dans sa situation, & Van Praet en rit. Changarnier a refusé de dîner.
Tout ce que vous me dites dans votre lettre du 16 est vrai sur Claremont. Seulement il n’y a pas encore de démarches ou correspondances. Les Princes & leur belle soeur ne s’entendent point. Mais les Princes passeront outre. La Princesse de Prusse en causant avec le roi Léopold s’est montré fusionniste. Il me paraît que la Duchesse d'Orléans reste seule avec Lasteyrie. La rencontre hier entre l’Impératrice & le roi Léopold a fort bien réussi. Elle m’a tout raconté, elle a été fort contente. Elle n’avait voulu prendre personne avec elle. Il n’y avait que la grande duchesse Olga, son mari & les deux princes de Prusse. Point de témoins donc & je n'ai que le récit de l'Impératrice. Van Praet me dit que de son côté [Léopold] & a été très content.
Le roi de Prusse a envoyé ici hier son grand Maréchal. Il m’a formellement invité de sa part à venir à Stolzenfels. C’est le 30 ou le 1er que je pars avec l’Impératrice. Nous coucherons deux nuits là et puis à Cologne, où je me séparerai d’elle, ce sera tout-à- fait du chagrin de cœur. Quant à mon corps il a besoin de repos, grand besoin. Je n’en puis plus mais où aller me refaire ? Et avec qui ?

5 heures. Voilà un courrier & rien de vous, à mon tour l’étonnement & tout à l'heure l’inquiétude. J'ai une longue lettre de Fould intéressante, racontant la séance du C. législatif où assistait le Président. " Montalembert a fait un discours modéré dans la forme, plein d'éloges pour la personne pour l’acte qui a sauvé la France & l’Europe du danger qui la menaçaient, mais où perçaient au milieu d'assez piquantes critiques sur les institutions un dépit personnel assez vif. " Autre passage. " Sans doute il pourra être reconnu nécessaire d’apporter quelques changements dans les institutions, mais elles s’y prêtent vous le savez et le Prince y avisera dans sa sagesse. "
Pas question pour Fould de rentrer dans le gouvernement. Si je relève autre chose dans sa lettre, je vous le donnerai demain. En attendant. Adieu, & adieu.

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23. Schlangenbad le 26 Juin 1852
Voilà vos quatre lignes N°21 où courent donc mes lettres ? Est-ce que pas hasard, elles mériteraient la confiscation ? Je ne me souviens pas d’y avoir donné lieu. Je pense bien & je parle bien de votre gouvernement. Les derniers jours de la session me paraissent un peu orageux pourquoi avoir fait un [gouvernement] représentatif quelconque ? Du moment qu’on permet de parler voilà des velléités d'opposition. C'était inutile. poser le moins.
Voici les 2 passages de la lettre de Fould qui méritent encore de vous être rapportés. " La popularité du Président est toujours la même. Il a vraiment rétabli la pyramide sur sa base comme il l’a dit le 29 mars ; mais il y a entre la base et le sommet un espace qui doit se garnir pour que l’édifice se consolide, cela sera l'œuvre du temps. "
" Les bonnes dispositions dont vous me parlez sont précieuses à recueillir et à conserver, j’y veux croire non seulement pour le présent mais pour l'avenir. quelque forme qu'il prenne ce qui se passe peut bien mener à reconnaître que le mal n’est pas guéri et que le dernier mot n’est pas dit. "
Ceci me paraît assez clair. Je le regrette. Cela doit se rapporter à un changement de titre. Je n’ai plus rien de nouveau à dire sur ce point. On en connaît les conséquences. L’Impératrice me demande. Adieu. Adieu.

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24 Schlangenbad Dimanche le 27 juin 1852

Je suis horriblement enrhumée. Je tousse beaucoup, cela me désespère, les derniers jours vont être bien gâtés par là. Vous ai-je dit hier que Kolb est arrivé ? C’est une grande sécurité pour moi. Il reste à mon service pour tout le mois de juillet. Maintenant si Aggy pouvait arriver ce serait complet. Je doute parce que je le désire tant. Il y a là quelque chose que je ne m'explique pas. J’ai écrit au Médecin du lieu. Il m’a répondu que [?] allait beaucoup mieux. Ellice & Marion m'écrivent que les parents veulent qu'Aggy m'arrive, qu'elle-même le désire ardemment. Mais que c'est la soeur malade qui s'y oppose. Est-ce la vérité ? On pourrait bien vaincre cet obstacle. Enfin que faire !
Nous avons dîné aujourd’hui en plein air avec l’Impératrice ; grande musique, nombreux public pour nous voir manger. Magnifiques ombrages, les plus beaux arbres du monde, & le plus beau temps, malgré cela, comme ma toux m'inquiète j’aurais préféré la chambre.
Van Praet est revenu me voir aujourd’hui m’apportant une lettre de son roi. Toujours bien bonne conversation avec lui. L'Empereur a envoyé à Kisseleff 13 décorations de ses ordres pour des militaires Français en retour des politesses faites à ses fils à Rome par les autorités françaises.
Décidément le roi Léopold n'a pas vu la duchesse d’Orléans à son passage sur le Rhin, et décidément il n'ap prouve pas sa conduite. C'est Lasteyrie qui la gouverne souverainement. Ce que disent les journaux sur Frohsdorf est-il donc vrai ? Est-il vrai que le comte de Chambord persiste à interdire le serment.

2 heures. J’ai essayé une petite promenade. Elle ne m’a pas réussi. Je rentre plus malade. Je crois qu'il me faudra mon lit au lieu de la soirée chez l'Impératrice. Adieu. Adieu.

Le 1er Juillet je m'embarque avec l’Impératrice. Nous dînons sur le bateau, nous arrivons de bonne heure à Stolzenfels, Vendredi la journée se passe là. Samedi je me séparerai d'elle soit à Stolzenfels, soit à Cologne si je devais aller jusque là. J'en doute, je suis trop fatiguée. Je penche beaucoup pour le retour ici. J'ai si besoin de repos que je ne songe plus à l'ennui de ce lieu quand toutes les magnificences l'auront quitté. Adieu. Adieu.

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25 Schlangenbad Lundi le 28 juin 1852

Le dîner en plein air hier ne m’a pas réussi du tout. Je suis en plein rhume si ce n’est pire. Une toux violente. Je n'ose pas bouger, pas parler, c’est affreux. Je serais désolée de manquer Stolzenfels.
Dernière réponse de Clothall. Elles se sont un peu moqués de moi. Après m'avoir promis le Rhin, Aggy se refuse à y venir, elle viendrait à Paris. Je n'ose pas montrer tout ce que je pense de cela. Je le répète elles abusent du besoin que j'ai d'aller. Il résulte de tout ceci que je retournerais à Paris sans savoir ce que je pourrais faire de mon été. Je vous demande cependant une dernière faveur c’est de dire que comme c’est pour Aggy que je renonce à l’Allemagne elle me doit de ne pas me manquer de parole pour Paris. Je crois que ceci dit par vous avec amitié et un peu d’autorité ferait bon effet.
Voilà donc où j’en suis ; à moins de toucher sérieusement malade, et je suis un peu en train de cela, je pars avec l'Impératrice. Je me sépare d'elle à Cologne le 3, & je serai à Paris le 6 juillet. Il est possible que je change encore d'avis, mais aujourd'hui voilà le projet.
L'Empereur a fait une chute & s'est blessé à la hanche ; il a été couché deux jours. L’Impératrice ne s’inquiète pas mais Maudt s’en préoccupe. Point de nouvelles. Vous êtes arriéré au Val Richer. Adieu. Adieu.

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26. Schlangenbad le 29 juin 1852

L’Impératrice est venue chez moi ce matin. Elle y a passé une heure et davantage. Long tête-à-tête où nous avons causé de tout. De son côté tant d’intimité, de bonté, de confiance, d'abandon. Un esprit si sérieux, une âme si élevée, si adorable. Je ne puis assez-vous dire combien j'ai pour elle de tendresse & de respect sincère. Si vous aviez pu écouter. Vous auriez été frappé & charmé de ce naturel, cette grâce d'esprit et de coeur rare dans toutes les conditions, unique dans le rang qu’elle occupe, moi je n’ai pas l’honneur de connaître une femme qui ressemble à l’Impératrice s'il y en a qui lui ressemble.
Au milieu de tout cela l’intérêt de ma vie n’a pas été négligé, & j'ai toutes les garanties possibles. Je suis bien contente d’être venue. Précieux souvenir & sincérité pour l’avenir.
Mais mes forces ! Pauvre, pauvre santé. Enfin, je retourne à Paris ; c’est là que vous allez m’adresser vos lettres. Constantin est arrivé aujourd’hui. Le roi vient chercher l’Impératrice après demain. Outre Stolzenfels où nous passons deux jours, nous irons dans un autre château Barath. C'est le 4 que je me sépare de l’Impératrice. Adieu. Adieu.
Toute la journée j'ai du monde je n’ai pas. un moment de repos, & j'ai tant de besoin d'en avoir. Adieu.

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27 Schlangenbad le 30 Juin 1852

Ma dernière lettre d'ici. Hier j’ai pu aller à la soirée de l’Impératrice, nous étions seules. Son frère, Meyendorff, Constantin et moi. Elle m’a raconté des choses curieuses, ménageant ma poitrine et ne me faisant pas parler. Elle est charmante dans l’intimité. Je suis fatiguée encore de ma toux & de mon estomac. Mauvaise campagne pour ma santé, très bonne pour tout le reste. Il faudra chercher à me refaire et je ne sais pas où ?

4 heures Les Londonderry sont arrivés ce matin & toutes les cours de Nassau pour prendre congé. Je n’ai vu rien de tout cela. Je reste couchée aujourd’hui pour me préparer à demain qui sera fatigant.
J'ai été interrompue par la Duchesse de Nassau qui est venu me relancer chez moi. L'Impératrice m’a grondé tous les jours pour ne pas lui avoir rendu ses visites. Je n’y ai pas été une fois vraiment Je suis trop vieille pour être polie ; et quand je me consacre à mon Impératrice, il ne me reste plus rien pour personne. Je ne sais si je trouverai un moment pour vous écrire demain et voici une pauvre lettre aujour d’hui. Lady Londonderry a été reçu dans le jardin, bonjour et adieu rien de plus. Elle était arrivée avec force toilettes & diamants, elle sera repartie mécontente et elle venait de Hambourg, un voyage de 8 heures. Adieu. Adieu
Comment pourrai-je survivre à ces trois jours de fatigues ! Je n’ai pas eu de lettre de vous aujourd’hui. Elle sera peut-être allée à Francfort déjà.

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28 Château Stolzenfels Vendredi 2 juillet 1852

Vous ne sauriez vous figurer la fatigue que j’éprouve. Je suis rendue. J’attrappe un moment pour vous dire deux mots.
Hier le roi est venu nous prendre à Eltville. Grand concours, grandes embrassades, belle navigation. Dîner à bord, marche lente pour jouir de la vue, des applaudissements de la foule, le canon incessant. Le temps fort beau. Une petite partition sur le pont pour l’Impératrice. Le roi, les Princes. Bonne conversation. J’étais de ce petit cercle. Le roi très agréable, spirituel. et gai. La soirée ici, décousue ; illumination de toute la contrée, toutes les ruines. Moi plus ruine que tout cela ; j'ai été chercher mon lit à dix heures. J’ai dormi et beaucoup aujourd’hui. Il faut que je mange.

1 heure. Je rentre d'une longue séance chez l'Impératrice. Votre lettre m’a été remise à mon réveil, celle où vous me parlez de mon empereur : je l'ai lu à l’Impératrice qui en a été charmée. Adieu. Adieu.
Demain à Brumath après-demain à Cologne. ou même Aix la Chapelle. Adieu. Adieu.

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30 Cologne Dimanche le 4 Juillet 1852
Midi

Quelle journée que celle d’hier, quel tapage, quelle fatigue ! Elle a commencé à 9 h. du matin pour moi, par une longue visite du roi de Prusse. Une heure de causerie intime aussi confidentielle que possible de sa part. Ensuite l’Impératrice. Puis on s'embarque pour arriver à travers le canon, les feux de joie, les drapeaux, les cris, les cloches tout le long des deux rives à Cologne. Halte d'une heure pour traverser triomphalement la ville à la cathédrale, arrivée à Brumath à 9 h. Abîmée, mourante. Car tout ce temps je l’ai passé en causerie avec [l'Impératrice] le roi dans un petit boudoir séparé sur le pont. Chaleur étouffante. Le château de Brumath superbe. A 6 h. du matin sur pied, au déjeuner de l’[Impératrice] à 7 h coupé à 8 des Larmes des deux parts. Revenue à Cologne avec la princesse de Prusse et Meyendorff.
Je me repose un moment. Je dînerai & j’irai coucher à Aix la Chapelle. Et je n’en puis plus. Demain Je serai de bonne heure à Bruxelles. Là je verrai selon mes forces. Si je puis j'irai Mardi à Paris. Et maintenant. Adieu. Adieu.
Quel besoin j’ai de me reposer. Si Aggy pouvait venir, j’ai encore écrit tendrement sans rancœur. C’est elle qui me force à revenir à Paris. De là je ne sais ce que je ferai. Vous viendrez me le dire. Adieu.

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31 Paris Mardi le 6 juillet 1852
6. 1/2

Me voilà pourrez-vous venir ? Je le voudrais bien, mais remarquez que je ne veux pas vous déranger. C’est mes amis que je ménage, les autres il faut qu'ils se fatiguent, je ne veux pas vous fatiguer. Je ne sais rien sur mes mouvements. Je sens qu'il me faut du repos, beaucoup de repos. D'Abord ici plusieurs jours certainement. Et puis je ne sais où aller ? Je suis arrivée il y a une heure à peine. Je n’ai vu personne. Je pense qu'il n’y a personne à voir. Quel contraste ces deux jours avec mes quatre semaines ! Choyée, entourée par les Impératrices & rois ; voyageant pendant deux jours avec des juifs et la [?] ".
Non, c’est trop fort. Je n’avais que Kolb. Schouvaloff appelé à Berlin par une sœur mourante. Tous les guignons. Pas d’Aggy vous le savez. Une lettre de Beauvale aujourd’hui me la promet. Elle allait venir à Coblence tout cela a été une suite de maladresse de la part de ces filles, & mon été & ma santé sont gâtés par là ! Bruxelles a été intéressant pour moi.

Le 7 midi. Voici vos lettres et mon avenir gâté. Il faudra renoncer aux Ellice à l'avenir cela me paraît si cruel que je ne puis pas y croire. Si je vous voyais je crois que nous y porterions remède. J’apprends que Duchatel & Montebello, sont ici. Fould aussi. Je verrai tout cela. Mais je n'ouvrirai ma porte qu'à 4 h. Je viens de prendre un Bain. Cela repose & moi cela m’affaiblit. Que j’ai besoin de repos & de forces ! Quelle campagne j'ai fait là. Adieu. Adieu.
Comme je ne sais rien d'ici, & que tout ce que je sais de là ne peut pas s'écrire, il en résulte une pauvre lettre qui ne vous porte que des soupirs et Adieu.

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33. Paris le 9 juillet 1852 jeudi

Je n’ai pris à Schlangenbad qu’un seul bain. Je n’avais pas le temps. Voilà la vie de cour. Ils ont fait du bien à l’Impératrice. Je les aurais pris avec grand bénéfice après son départ pendant 15 jours, si Aggy était venue. Voici qu’elle s'annonce pour le 14 c’est encore bien long.
Paris est étouffant. Je vois tout le monde. Fould, Caumont, voilà pour la Cour. Toute la diplomatie. Duchatel, Dumon, Noailles les indépendants. L’Empire ne se fait pas encore, on n’en parle pas ; pas du tout. Il faut une femme, elle n'y est pas encore. Le Prince se porte à merveille & se repose à St Cloud. Il ira à Strasbourg le 17. 3 jours d'absence.
Je vous répète que j’ai beaucoup à vous raconter et rien à écrire. Je cause avec vos amis, je les écoute & je leur apprends. Je suis trop paresseuse pour aller à Champlatreux. Je n’ai pas eu une minute de solitude de puis mon arrivée. Je me lève à 7. Je me promène jusqu'à 8 1/2 alors je me renferme. Je dîne à 3, à 6 h. je sors pour rentrer à 8 1/2 & je me couche voilà ma journée.
De 10 à 6 on vient me voir. Kisseleff part demain pour Vichy. Hatzfeld est bon d’affaires. Hubner n'est pas revenu. L’Impératrice s’est bien trouvée de Schlangenbad, mais il eut fallu quinze jours encore & l’Empereur ne lui a pas accordé. Je n’ai pas encore eu le temps d'écrire un seul mot à l’Impératrice. Adieu. Adieu.
On me dit que je ne trouverai rien à Dieppe. C'est là que je veux aller, mais j’ignore si je réussirai. Je le saurai demain Adieu.
Drouin de Lhuys va avoir les aff. étrangères. On changera aussi M. Duruflé. Lord Mahon & Cardwell ont perdu leur élection.

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34 Paris le 11 Juillet 1852

Il ne faut pas vous fâcher si je ne vous écris pas tous les jours. La tête me tourne de tout ce que j’ai à faire, à dire, à écouter. Je regrette bien de ne vous avoir pas vu. Vous auriez sû. Ma crainte a été de vous déranger. Quand on est loin, on croit qu'il n'y a rien. Il y a toujours mais je ne puis pas écrire.
Fould me prie de vous dire que le Sénat a fait la liste civile & la haute cour. Il ira avec le Président à Strasbourg. Le prince a fait visite à sa femme ce qui l’a beaucoup flatté. La modification ministérielle n'aura lieu qu’à la fin du mois. Il y aura des changements en Belgique donnant satisfaction à la France. Je vous ai dit que Kisseleff est allé à Vichy.
Je pars Mardi à 8 h du matin pour Dieppe. Pas d'Aggy encore. J’espère qu’elle viendra mais ma sécurité n'y est plus, quoique Marion affirme. Jamais je n’aurais cru de sa part à tant d’affirmations déçues ! Votre portrait de L’Empereur est charmant. Je l'enverrai quand même. Adieu. Adieu.
J’étouffe et je me sens mal.

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35 Paris le 12 Juillet Lundi 1852

Un mot, puisque j’ai un moment. Je suis fondue. J’ai oublié de vous dire qu'on rend au duc de Montpensier la dot de sa femme placée en terre, je crois. C’est bien fait, on devrait faire cela pour la Belgique aussi.
Voilà un intercepteur. Mes premières colombes de l’Impé ratrice quelqu'un qui l’a quittée avant hier à Berlin se plaignant que je ne lui ai pas encore écrit. Tendresse, regrets. On dit qu'on ne parle que de moi. Elle, le roi, les princes. Je pourrais être un peu fat. Il n’y a pas de féminin n’est-ce pas ? C'est que nous avons plus d’esprit que cela Je ne vous parle pas fusion. Vous savez ce que je sais. Ce que je sais de plus que vous, c'est qu’on aura trouvé que le Comte de Chambord a grandement raison.
Qu’est-ce que c'est que des capitulations ? De quel droit quand on a un maître ? Or, il est le maître de sa famille. Et si on ne reconnaît pas cela, il faut reconnaître qu'il n’y a plus de Bourbons pour la France now and never. Voilà Claremont bien avancé ! Ils ont plus à perdre car ils sont au pluriel. Adieu vite, car on m'interrompt. Adieu.

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36 Dieppe le 13 juillet 1852

Me voilà et tout seule, et logée loin du peu de personnes qui sont ici parmi mes connaissances. Et un orage épouvantable, des éclairs, la foudre qui tombe à côté. Je suis dans le désespoir la terreur. Toute seule c’est affreux. Triste sort. Aggy pouvait arriver aujourd’hui. Elle l’avait promis. Je suis venue la prendre ici. J’ai envoyé la chercher à Boulogne, toutes les précautions prises. Je vais pleurer, je n'ai que cela à faire.
Hier j'ai vu Fould encore très longtemps. Il a été très intéressant mais vous êtes trop loin. Votre petit ami me dit que d'ici vous n'êtes pas loin. C'est bien dommage que je ne vous vois pas. J’ai une bonne chambre à vous donner. Mais je n’aime pas faire des invitations qui seraient refusées.
Mercredi matin ma lettre n'a pas pu être finie pour la poste. Je l'achève ce matin. Je viens de recevoir la vôtre d’avant hier. Avant de me coucher j’ai encore vu venir tous les Delessert très aimables pour moi. Ils seront ma meilleure ressource. Aggy m'écrit qu’elle sera ici demain. Je le croirai quand je la verrai. Ah que je suis devenue soupçonneuse !
Fould n'était pas encore sûr de partir avec le Président. L’entourage n'aime pas je crois sa faveur. Il attendait qu'on lui répète l’invitation. Il a bien du tact, de la réserve, de la finesse, et de l’esprit. Le changement de [Ministère] qui va se faire en Belgique plaira au Président. On veut de là lui envoyer Ligne comme ministre, j’avais cru que ce serait très bien accueilli. Pas du tout. Des préventions. Il a tort. Mais on peut être un très excellent Président & n'avoir pas toujours raison.
L'air de la mer est excellent. Je suis heureuse d’être sortie de Paris cette fournaise. Adieu. Adieu.
Il y a ici les Cowley, les Mouchy, les Delessert, le duc de Richelieu, les Delmas. Mais on est éparpillé. Adieu.

2 heures. Votre lettre de hier 13 m’arrive à l’instant, c’est bien vite, nous sommes donc bien près ! Inutile.

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37 Dieppe jeudi 15 juillet 1852

Delessert que j’avais chargé de me trouver une maison, m'en a donné une fort commode, sur la rue, un peu loin de tout le monde c’est vrai, mais enfin très bien, seulement je la trouve bien humide et je commence à avoir peur. J’aime mieux les auberges mais il n'y a pas un trou. Il faut donc rester.
J’attends Aggy avec impatience aujourd’hui enfin. Je n’ai pas de nouvelle à vous dire. J’ai écrit à l’Impératrice une longue lettre ce matin. Je puis lui écrire tendrement bien à mon aise. Je lui ai mandé mes observations de Paris, il y a un courrier prussien.

5 heures. Voilà Aggy arrivée. Dieu merci. Bien mauvaise mine, il faut que je raccommode cela. Lord Cowley croit que le parti ministériel aura 300 voix à la chambre, ce n’est pas la majorité, mais c'est un parti très compacte, et dont on pourra toujours tirer de bonnes choses. La grande aigreur est entre les Peelistes & les Derby. Est-il possible ! et Aberdeen en est ! Adieu. Adieu.
Je n’ai rien de plus à ajouter.

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38. Dieppe le 16 juillet 1852

Tout ce que l’Impératrice pourra faire pour moi, elle le fera. Cela elle me l’a dit & je crois tout ce qu’elle me dit. Je crois aussi qu'il y aura plus haut bienveillance pour moi. J'éprouve donc une certaine sécurité. Mais de promesse je n’ai pu en avoir aucune. Mais voici venir une autre aventure. L’Empereur a fait faire des avances à mon fils aîné, il désire le reprendre au service et lui donner un poste convenable. Voilà les premières paroles qu'il lui a fait dire après cela il faut se voir, s'entendre. Paul acceptera un poste diplomatique indépendant et je lui conseillerai de n'être pas difficile, mais il faut qu'on lui dise quoi, & Nesselrode cet absent, & Orloff aussi va l’être. Tout cela est remis à assez loin, en attendant j'aurai à soigner ces préliminaires et c'est assez difficile avec tous ces éparpillements.
La chaleur commence à devenir lourde ici aussi. Je vois les Delessert beaucoup. Lord Cowley tous les jours. Mais on ne se réunit pas et je ne suis pas bonne à cela maintenant car je vais me coucher à 9 heures vraiment avec les poules. Je n’ai pas la moindre nouvelle. Le comte de Chambord ne songe pas à venir à Wisbade, c'est ce que m’a dit le duc de Noailles. Pour Changarnier je crois bien qu'il va à Vienne, on le croyait à Bruxelles. Vous savez que M. Molé est à Trouville.
Adieu, nous n'aurons rien de bien intéressant à nous écrire. Moi je végèterai. Un ennuyeux été à traverser et sans profit pour ma santé. Adieu. Adieu.

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39 Dieppe le 18 juillet 1852

Dimanche Je n'ai eu hier qu’un mot bien shabby et moi je n'ai rien à dire du tout. Au fond Dieppe est parfaitement ennuyeux les Delessert sont ma vraie ressource et encore. On me mande de Paris que le Président rencontrera certainement la Princesse de Wasa à Strasbourg, (il n’est même pas impossible qu'il aille à Bade.) Cette princesse à 18 ans, jolie charmante. Mon [Grand duc] Nicolas est allé la regarder, entre autres et elle lui a plu extrêmement, mais l’Empereur n'en veut pas à cause de vous de Suède. Elle prendra certainement le Président. Elle se ferait probablement catholique, car elle se serait faite grecque. Tous les entours le poussent au mariage. Il n'y a que [Jérôme] et son fils qui y sont extrêmement opposés.
Voilà votre lettre de hier. Mon adresse est Maison Fauconnet rue Aguado et rue descaliers N°11. Malgré toutes ces rues je donne en plein sur la mer et sur la plage. Je serai bien contente de vous voir ; cependant je répéte encore, si cela vous dérange trop ne venez pas. Voyez ma déférence ! Adieu, car je n’ai rien à vous dire. Le temps est rafraîchi et très agréable. Adieu.

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40. Dieppe Mardi 20 juillet 1852

Ce sera donc Vendredi j’espère. Mon plaisir sera grand. J'ai été bien souffrante hier, de je ne sais quoi. Il y a un bon médecin ici, M. Godel, je le conseille. Lord Cowley est revenu hier. M. de Thouvenel lui a dit que le Président irait à Bade. Que va faire la Princesse de Prusse qui y est ? Cela me divertit fort. Elle le déteste, elle est curieuse, elle est précieuse, je voudrais voir cela. Il se pourrait qu'elle s'absentât. Si c'est sous forme d'impolitesse cela déplairait fort au roi de Prusse.
Selon le journal des Débats, le voyage est splendide, j'en aurai sans doute un petit récit par Fould. Je ne sais pas l'ombre d'une nouvelle. Il me semble que Cowley trouve que sa reine est un peu trop intime avec Claremont. Au fond il y a là dedans une certaine inconvenance politique. Morny qui est revenu d'Angleterre a dit au duc de Mouchy qu'ici avait été très bien reçu par la société en Angleterre. Delessert y est allé hier, il reviendra dit-il la semaine prochaine. C'est une partie pour moi. J’avais pris le communiqué du Moniteur comme s’adressant à M. Kalerdgi. Lord Cowley m'apprend que c'est moi à propos d'un article du [Morning Chronicle]. Ce journal-là appartient à Aberdeen. Amis anglais, amis français. J’aime mieux des ennemis. J'en dirai mon sentiment à droite et à gauche. Adieu. Adieu.

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41 Dieppe Jeudi le 22 juillet 1852

Mardi est bien loin, mais je suppose qu'il arrivera un jour. J'ai été tracassée et occupée. J’ai beaucoup réfléchi au Moniteur, je ne puis pas laisser là cette affaire d'un autre côté je ne veux rien faire sans Kisseleff. Je lui adresse donc aujourd’hui. une lettre pour Persigny. Il me dirigera là dedans, je vous dirai ce que j’aurai fait. Je ne sais pas de nouvelle. M. de St Priest a été ici, toujours très fusionniste mais vous savez que je ne le connais pas. Vous parlez très sensibly de l’Empire. A propos vous me deviez 5 Francs au ler Juillet nous ferons un autre pari si vous voulez. Lord Cowley que je vois tous les jours ne sait rien de nouveau d'Angleterre. On m’envoie de là le grand article qui a motivé le communiqué du Moniteur sur moi. On promet entre autre à Marion un mari et une fortune si elle me dispose à servir le président auprès de l’Impératrice. Le tout est de cette force. Comment va-t-on ramasser de ces choses là & y répondre. Est-ce possible ? Adieu. Adieu.
Je ne suis contente ni de la mer ni de ma santé. Adieu.

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42. Dieppe samedi 24 Juillet 1852

J'ai eu une discussion assez vive hier avec lord Cowley sur lord Palmerston. Amusant, il a fini par ne plus savoir que dire. Au reste il faut en prendre son parti. Palmerston reviendra au pouvoir plus puissant que jamais, premier ministre. C’est l'homme le plus considérable et le plus populaire de l'Angleterre dans ce moment. Voilà Lady Allice Palmerston aussi. Je ne sais sur le voyage de Bade rien que ce que me dit Stolham et ce n’est pas grand chose.
Le Prince a fait visite au Margram Guillaume, il n’avait pas vu la Princesse de Prusse encore. Le Régent. de retour à Carlsrohe de Berlin est très embarrassé, il ne sait que faire. Le grand duc de Hesse a envoyé son ordre par son premier ministre. Le Prince en retour lui a envoyé la légion par le colonel Fleury. On regarde tout ce voyage comme une intrigue de femmes finissant par un mariage. Le Prince se promène avec la [Marquise] Douglas entouré de la police française. Voilà la lettre du correspondant de [Stolham]. Thouvenel avait entendu dire que Fould aurait la secrétairerie d'Etat, moi je doute. Quant à Drouyn de Lhuys c'est sûr il a les affaires étrangères.
Vous ne me trouverez pas en bon état, et je ne sais vraiment que faire de ma personne. J’essaye tout ce qu’on me prescrit, & puis il survient des symptômes qui font qu'il faut changer. Cela ne m’inspire naturellement aucune confiance de corps. Le repos, la tranquillité d'âme & la distraction d'esprit. Voilà ce qu'il me faut. Le premier dépend de moi, les deux autres, des autres et là se produit ma misère. Vous m'aiderez au N°2 quant à la troisième condition elle ne peut venir qu'avec l'hiver. A quelle heure serez vous ici Mardi ? Vous pourriez vous dispenser d'amener votre valet de chambre. J’ai tout mon monde ici. Voilà des visites. Adieu. Adieu.

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42. Dieppe samedi 24 Juillet 1852

J'ai eu une discussion assez vive hier avec lord Cowley sur lord Palmerston. Amusant, il a fini par ne plus savoir que dire. Au reste il faut en prendre son parti. Palmerston reviendra au pouvoir plus puissant que jamais, premier ministre. C’est l'homme le plus considérable et le plus populaire de l'Angleterre dans ce moment. Voilà Lady Allice Palmerston aussi. Je ne sais sur le voyage de Bade rien que ce que me dit Stolham et ce n’est pas grand chose. Le Prince a fait visite au Margram Guillaume, il n’avait pas vu la Princesse de Prusse encore. Le Régent de retour à Carlsrohe de Berlin est très embarrassé, il ne sait que faire. Le grand duc de Hesse a envoyé son ordre par son premier ministre. Le Prince en retour lui a envoyé la légion par le colonel Fleury. On regarde tout ce voyage comme une intrigue de femmes finissant par un mariage. Le Prince se promène avec la [Marquise] Douglas entouré de la police française. Voilà la lettre du correspondant de [Stolham].
Thouvenel avait entendu dire que Fould aurait la secrétairerie d'Etat, moi je doute. Quant à Drouyn de Lhuys c'est sûr il a les affaires étrangères.
Vous ne me trouverez pas en bon état, et je ne sais vraiment que faire de ma personne. J’essaye tout ce qu’on me prescrit, & puis il survient des symptômes qui font qu'il faut changer. Cela ne m’inspire naturellement aucune confiance de corps. Le repos, la tranquillité d'âme & la distraction d'esprit. Voilà ce qu'il me faut. Le premier dépend de moi, les deux autres, des autres et là se produit ma misère. Vous m'aiderez au N°2 quant à la troisième condition elle ne peut venir qu'avec l'hiver. A quelle heure serez vous ici Mardi ? Vous pourriez vous dispenser d'amener votre valet de chambre. J’ai tout mon monde ici. Voilà des visites. Adieu. Adieu.

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Dieppe le 2 août lundi 1852

Voici ce que m'écrit Fould. " je ne pensais guère vous écrire. encore de Paris. C’est presqu'au moment de monter en voiture et mes chevaux commandés sur toute la route de Pyrénées que j'ai été appelé à St Cloud. La mission que j’ai acceptée me paraît pleine de difficulté, et ce n’est pas sans quelque préoccupation que je l’ai acceptée. Ce sont des fonctions nouvelles que le début de mon prédécesseur a laissé à peine ébauchées. La bonté du Prince et la bienveillance avec laquelle il m’a promis de m'aider ne m’a pas permis d’ailleurs d'hésiter. "
Je lui ai répondu pour le féliciter et moi aussi Voici Beauvale. Je suis moins bien que hier. Les mouvements plus gênés. Et la marche plus impossible. J'en suis bien triste. On me dit que toutes les épurations, et nominations dans le conseil d’Etat sont à l’adresse des décrets d’Orléans.
Mardi le 3. L'heure de la poste était passée Aggy qui devait terminer ma lettre et la fermer n'était pas là. Je suis bien fâchée. J’étais souf frante. Je le suis encore un peu plus ce matin. Une pauvre nuit, provenant de mon inquiétude sur mon compte. Beaucoup plus que de mes souffrances, car quand je ne remue pas je n’ai point mal. Mais mon imagination va, va & je n'ai personne pour la régler.

2 heures. Le médecin revient aux tous premiers remèdes du premier jour de l’arnica. Reprendre l’alphabet par la lettre a. c’est bien ennuyeux. Je me suis fait traîner en calèche. Tolstoy au lieu de vous ! Stohkansen me mande qu'il payerait cher pour avoir une bonne occasion pour m'écrire. Il la faut bonne. Je ne puis pas deviner, c'est bien dommage. Hatzfeld a dîné à St Cloud. Promenade dans la forêt, navigation sur l'Étang de Villeneuve l'Etang. Le Président menant lui même la barque. Trés agréable journée. Je ne sais rien de plus à vous dire.
Je me soigne, je me tourmente & Je m'ennuie. Au fond je serais mieux à Paris. Tout est si incommode ici. Aggy vous remercie de votre souvenir. Adieu. Adieu.

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Dieppe le 4 août Mercredi. 1852

Je suis comme hier, & le jour précédent. Ni mieux, ni pire. Broutelle veut que j’ai courage et confiance ; c'est beaucoup exiger. Je n’ai pas la moindre nouvelle. Mme St Arnaud est ici. Son mari arrive demain, mais comme je ne les connais pas, c'est inutile.
Je lis dans l’Indépendance votre Cromwell. C’est charmant. j’ai écrit à Meyendorff. Je n’ai plus à qui écrire, pas un mot à dire à l’Impératrice Je m'ennuie beaucoup. Et je serais bien aise de tourner le dos à Dieppe. Il ne vaut guère la peine de vous envoyer ma lettre pour les choses que je vous dis. 5 heures J'écrirai tout exprès à M. Fould pour lui faire votre message. Le duc de Mouchy est reparti pour Paris. J'aime mieux le voir revenir. On est bien seul ici.
Adieu. Adieu, pas un mot pas un seul à vous dire. Au fond j’allais mieux le 4ème jour que je ne vais aujourd’hui le 9ème.

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Dieppe jeudi 5 août 1852

Vraiment votre Cromwell est d'un intérêt énorme. Je le dévore dans l'Indépendance. Je suis au troisième feuilleton. Est-ce que l'ouvrage à Paris, est en vente et où ?
Je suis comme hier. Je saurai tantôt s'il y a une nuance, en essayant de mettre le pied à terre. Je suis bien poltronne. Je n’ai pas de lettre du tout. Je ne sais rien, et je ne saurai rien jusqu'à samedi. Lord Cowley arrive ce jour-là, mais seulement pour une heure. Si je manque cette heure-là c’est fini Aggy a reçu hier une lettre où on lui dit qu'on va transporter Fanny à Brompton. Marion l'accompagnera. Les parents resteront seuls à la campagne. Voilà encore une belle affaire ! Je n’ai pas l'air de croire que cela me regarde, et elle ne m'a rien dit dans ce sens. Mais ne suis-je pas menacée d’une bombe ? Vous savez à quel point ce serait un malheur. Avant ceci j'avais écrit hier matin une lettre au Père, pleine de gratitude et de bonheur de sa présence. Peut-être voudront-ils essayer du tête-à-tête. C'est très anglais, cela.

2 heures Des personnes venues de Paris, inconnues à moi, disent que les nominations au Conseil d'état ont fait beaucoup d’effet. Celle de Cormenin surtout, pas bon. Ensuite on trouve Fould bien compromis. Certainement tout-à-fait, moi je reste charmée qu'il soit rentré aux affaires. Cela le fixe à Paris. Je fais quatre pas, soutenue par quatre bras. Cela va bien pauvrement. Adieu. Adieu.

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Dieppe le 6 août 1852 Vendredi

J’en reste où vous m'avez laissée. Ma patience m'échappe ; il est très possible que je m’en retourne Lundi à Paris. Je vous dirai cela demain. Mad. de Contades est venue. Demain arrive Persigny qui a besoin de se soigner pour son propre compte. Les Delessert partent Mercredi. Le temps est un peu orageux. Tout Dieppe est bien gâté pour moi depuis mon accident. Grande tristesse de ne pas en voir la fin.
On dit que le mariage Wasa ne va pas que le Père n'en veut pas et que même la [grande duchesse]. Stéphanie n’y va pas de grands cœur. C'est de Mad. de Contades que je tiens tout cela. Tolstoy a l'un de ses enfants très malade, il les ramène à Paris et ne m'y ramenera pas moi. Adieu. Adieu, pardon de la demi feuille.
Je vois au reste qu’elle est même de trop. Je n’ai rien, je ne sais rien. Adieu.

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Dieppe le 7 août Samedi

Je suis tout-à-fait décidée, je pars lundi. Ceci m’ennuie et ne fait pas avancer mes jambes. Au moins là l'escalier est plus commode pour me porter à ma voiture. J’ai fini Cromwell aujourd’hui. C’est charmant. A propos quelqu’un me priait l’autre jour de vous demander de trouver un titre qui ne serait ni roi, ni empereur, ni président, ceci vraiment est trop petit et commun. Ne pourriez-vous pas inventer ?
Molé m'écrit de Paris pour demander de mes nouvelles Il va au Marais, & puis à Maintenon, & plus tard fin de Septembre Champlatreux. J'ai eu des nouvelles de Paris par Marion, Drouyn de Lhuys a dit à l’un des grands représentants : L’Empire est inévitable, mais il doit être précédé d'un autre événement. A Paris personne ne doute que le mariage Wasa ne se fasse quoique le père s'obstine à refuser. Le Prince l'a trouvée charmante. Adieu. Adieu.

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Dieppe Dimanche le 8 août 1852

Kolb vient d'arriver. C'est lui qui me ramènera demain à Paris. J’ai eu une longue visite du ministre de l'intérieur ce matin. Je l’ai trouvé extrêmement changé. Il a bien mauvaise mine, & il se dit très malade. Il veut rester ici assez de temps. Il m'a beaucoup parlé mariage. Il se figure que l'Europe veut l’empêcher. Il se fait des dragons. Il croit tout-à-fait à la guerre venant des puissances autre dragon. Et puis & puis toute la conversation curieuse. Je regrette de partir lorsqu'il arrive. Les conversations avec lui m’auraient intéressée.
J’ai vu beaucoup de monde aujourd’hui & je suis fatiguée. Voilà donc Thiers, et tout le reste civil rappelé. Persigny ne me l’avait pas dit. Si je le revois je lui en parlerai encore. Adieu. Adieu.

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Paris mercredi le 10 août 1852

Je ne vous ai pas écrit hier. Je n’ai pas trouvé un moment. Du monde, des affaires, & quelle affaire pour une estropiée de s'embarquer pour Paris ! Un train spécial détestable. Je ne suis arrivée qu'à 9 heures éreintée. J'ai reçu à Dieppe encore votre lettre & la revue dont je vous remercie bien, & ce matin encore votre lettre. Je me lève après avoir assez bien reposé.
Je verrai quelques personnes ce matin. Avant hier soir tout Dieppe était chez moi, entre autres Madame de Persigny que son mari m'a amené. Elle est jolie, très jeune, & ils ont l’air fort amoureux. Mais elle est mieux portante que lui. Tout Paris est bouleversé des préparatifs de la fête. Chez moi ce sera superbe.
J’ai trouvée une invitation pour St Cloud pour le 16. Un bal. Cela me va ! Ma conversation le matin avec Persigny était au fond très curieuse quand une [race] a été chassée trois fois, quand de si grand, de si haut, on est tombé si bas, c'est fini archi fini. Il n’y a que cette race-ci pour la France, le monde est gouverné pas des symboles. Ce nom de Napoléon est un symbole. Il restera personnifié n’importe en qui. Celui-ci crée & fonde. L'administration, les institutions survivront à l'honneur et avec [?] père, ou Napoléon fils cela ira. Tout de même quand même on aurait le malheur de perdre celui-ci ou qu’il ne laissât pas d’enfants. L'Europe ne comprend pas la France, & en général la transformation des idées en Europe. [Persigny] a l’esprit frappé qu'on veut empêcher le mariage. Moi je ne le crois pas du tout.
Adieu. Adieu on m'interrompt.

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Paris mercredi le 11 août 1852

Il vient de m'arriver un grand malheur. Mon Maître d'hôtel est mort subitement ce matin. J'en suis toute bouleversée. C'était un excellent homme, et un excellent serviteur et je ne sais comment le remplacer et je suis toute troublée et triste de cette catastrophe. Il y en a trop dans ma maison depuis quelque temps. Emilie vient de perdre sa soeur, il y a quatre jours. Fortunée a perdu son mari, il y a deux mois Auguste voit mourir sa femme. Moi je tombe. Qu’est-ce qui m’est réservé encore ?
J’ai vu quelques personnes hier et j’en ai manqué beaucoup d’autres & les plus intéressants. L'Autriche dînait hier à St Cloud. Je n’ai rien appris de nouveau. Duchâtel est venu encore une heure avant son départ. Kisseleff, bonne mine depuis Vichy. Mad. Strogonoff qui est partie ce matin. Elle est venue hier deux fois. Très aimable femme. Il pleut aujourd’hui. Je marche un peu mieux, mais toujours soutenue et très soutenue. Autre malheur. Tolstoy va perdre son fils le plus jeune. Je suis entourée de tristesse et je suis très triste. Adieu. Adieu.

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Paris vendredi 13 août 1852

Je ne sors pas des émotions. Hier l’enfant de Tolstoy agoni sant. J’y ai envoyé Aggy quatre fois. Le père incapable de rien faire, sanglotant, bon à rien qu'a pleurer. Je ne sais pas aujourd’hui.. Elle vient d'y aller.
J’ai vu hier Fould très longtemps j'ai été très contente de sa conversation. Sa situation est grande, importante ; il le sent et se conduira là avec honnêteté et habileté. Il est de fait et même de forme premier ministre. Les autres lui rendent compte de tout, c’est lui qui règle l’ordre du jour pour le Conseil que le Prince préside deux fois la semaine. L'idée du Prince est qu’il n'a besoin véritablement que de deux ministres. Celui-ci le ministre d’état résumant le travail de tous les autres, & le ministre de la police sachant lui tout et rapportant tout. Les collègues de Fould sont très bien pour lui et acceptent volontiers la supériorité de sa situation. Il voit le Prince tous les jours. Personne aujourd'hui n’a plus que lui des allures intimes. Il n'en abusera pas. Il a certainement l’esprit très bien fait.
Le Prince partira le 10 7bre pour sa tournée du midi. Une absence de 20 jours. On regarde comme moi Persigny comme très malade. Il ne reprendra pas de sitôt les affaires. Il est abîmé. Il rentre les fêtes & voilà tout. pour Dimanche 15 te deum à la Madeleine. Le Corps diplomatique en uniforme y assistera. Revue de la garde nationale sous mes fenêtres. Jeux, joutes nautiques, tout le jour. Grand dîner diplomatique aux aff. étrangères. A 9 h. le corps diplomatique en grand uniforme, viendra rejoindre le Prince à l'hôtel de la [Marine] pour le passage du Mont St Bernard. Les préparatifs sont immenses. Il faut voir ce qu’en dira le bon Dieu. Moi je souhaite bien du beau temps.
On ne parle plus du mariage. On dit sourdement que l’Autriche empêche, je ne saurais le croire Hubner a dîné à St Cloud, avant-hier, très bien traité. Interrompue, Adieu.

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Paris samedi le 14

Vous n’avez pas idée de la grandeur, splendeur, variété, des préparatifs pour demain. C'est immense. Ils coûtent déjà plus d’un million. Je marche un peu mieux, et toujours très mal avec des bras.
Hier soir j'ai vu beaucoup de monde, Hecken entre autre, disant que Fould est premier ministre et s’en réjouissant. On ne parle pas volontiers du mariage. Et on dit qu' on n'y a jamais sérieusement pensé. Je commence à croire qu’il ne se fera pas. La Princesse Schoenbourg est ici, très changée. La Comtesse de Brandebourg amie intime de l’Impératrice est arrivée aussi. Et la princesse Paskévitch, en voilà des princesses !
L'Électeur de Hesse est arrivé que fera-t-il ? On est ennuyé de cela. S'il ne fait pas visite on pourrait l'envoyez promener. S'il la fait que diront ses camarades ? L’enfant de Tolstoy n’est pas mort. Il y a un peu d'espoir. La visite de la reine d'Angleterre, semble être de l’intention, marquer la protection.
Je vous écris à bâtons rompus. Je suis dans les horreurs de maîtres d'hôtel. Ah quels tracas pour une femme & seule sans conseil. Adieu. Adieu.

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Paris le 16 août 1852

Je ne puis vous rien dire d'important de la journée d’hier. Il y avait foule chez moi mais on ne se préoccupait absolument que de la foule, et du feu d’artifice. Le tout superbe et surpassant tout ce que j’ai vu. On dit qu’il n’y a eu aucun mauvais cri le matin dans la garde nationale et que la [?] a beaucoup crié Vive l’Empereur. J’ai eu tout ce spectacle sous mes fenêtres. A la madeleine Fould a pris le pas sur tous les ministres. Persigny assistait, mine effrayante. Il retourne à Dieppe. C'est Magne qui le remplace et très bien. Je n’ai pas vu Morny mais je sais que lui et Fould sont très bien ensemble.
J'ai eu une longue lettre de Lord Aberdeen. Il croit qu’avant octobre même ou pourra juger de la situation du Ministère. En cas de changement il croit à Lansdowne. Jamais Palmerston aux aff. étrangères. Assez aigre sur ici.
Midi. Voilà Auguste qui s'en va à Angers. Sa femme est morte, il faut qu'il aille. Je reste seule avec Jean, joli ménage ! Je n’ai pas encore de maître d’hôtel. J'espère que vous me trouvez à plaindre ! Le petit Tolstoy n'est pas mort encore, & pas à sauver. Adieu. Adieu.

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Paris le 17 août 1852

Dans toute la journée hier je n’ai vu que Stolham, & la Duchesse Decazes. Tout le reste se reposait de la veille et se préparait à St Cloud. Aggy même y a été. Il ne restait rien à Paris pour moi. St Cloud a été brillant, beau ; Aggy très fêté par tout le monde. Le Président gracieux pour elle. Des nouvelles, elle ne m'en a point rapporté. Je serai donc très peu intéressante aujourd’hui car ma lettre part toujours avant que je n'aie vu du monde. L'Électeur ne se présente pas. Il a vu le feu d’artifice dimanche de dessus les plombes dans ma maison à côté des chambres de mes domestiques. Je saurai ce qu'on en pense ici.
Je reçois dans ce moment une lettre de Paul. L’Impératrice l’a fait venir et l’a tenu une heure et demi. C'est énorme et une énorme faveur. Voyez comme elle est bonne & fidèle ! Paul ne peut assez se vanter de sa bonne grâce pour lui, moi j'en suis bien touchée. Mes jambes vont mieux, je marche avec mon parapluie en guise de canne, je ne veux pas de canne. J’espère bientôt être émancipée. Je n’ai pas entendu parler du tout du pamphlet de Victor Hugo. Remarquez que je ne vis qu'avec des diplomates. Meyendorff m'écrit. L'Autriche & la Prusse ne s'arrangent pas (le Zollverein) ce qui n'empêche pas que sur les grandes affaires, les grands principes, on ne soit en complet accord.
Mad. Decases me dit que Thiers va arriver. Son mari ira vous voir au Val Richer. On a été étonné de ne voir personne de la famille Bonaparte auprès du Prince [...]
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