Votre recherche dans le corpus : 431 résultats dans 5770 notices du site.Collection : 1854 (1er janvier-21 décembre) : Dorothée, une princesse russe, persona non grata à Paris (1850-1857 : Une nouvelle posture publique établie, académies et salons)
156. Bruxelles, Mercredi 1er novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
D’abord une observation sur Votre 187. Il commence dimanche 4 heures. Plus loin midi il est clair que ceci est lundi. Hier grande joie dans l’église Russe. La dépêche du 25. Nous avons battu les Anglais. Mes demi douzaines de Russes chez moi bavardant, la nouvelle était arrivée à Crept, depuis un quart d’heure. Tout à coup Lord Howard entre, il n'y avait pas d’à propos. Les Russes s’en vont tous. L'Anglais m' a dit très simplement qu’il venait d’apprendre la nouvelle. Nous sommes restés deux heures à deviser.
2 novembre jeudi
Nouveau bulletin de Sébastopol du 26. Quatre batteries anglaises enlevées, c’est le détail de la journée du 25. Onze canons pris, 500 hommes tués. Une redoute Française détruite. Est-ce vrai tout cela ? Il est difficile de douter il parait que nos forces sont très considérables, au delà de 100 m h. Il est vraisemblable que nous livrerons une bataille avant d’attendre l’assaut. Nous nous essayons à la petite guerre, à Pétersbourg il n’y a pas l'ombre d'inquiétude pour Sébastopol. Je vous dis tout ce que j’entends dire aux Russes. Je croirais quand je verrai en attendant, votre silence est bien extraordinaire, rien d’officiel depuis le 13 !
Je crois les Américains très bien disposés pour nous. Je le sais même, mais je ne crois pas que cela nous serve, à moins que Soulé ne vous brouille avec ceux. On dit que le duc de Brabant ira passer l'hiver en Italie, cause de santé. Il tousse beaucoup comme sa mère. Nous avons eu trois journées superbes ici. Depuis hier un épais brouillard tout pareil à celui de Londres. Cerini ne sait par lire encore. Je doute qu’elle y arrive. Adieu. Adieu.
157. Bruxelles, Vendredi 3 novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Lisez en entier les rapports du P. Menchikoff. Ce n’est ni d'un barbare, ni d'un Charlatan. Je suis frappée du caractère de vérité, d’équité de ces rapports. Ils sont d'une convenance parfaite. C'est là mon impression vous me direz si je ne trompe. Vous savez que je ne suis pas disposée à trouver bien le Menchikoff. Ne croyez pas à Sébastopol emputée par le nombre de cadavres. Il est bien clair qu'on les aura jetés à la mer, elle est là. Une peine au talon & c'est fait. Nous en étions hier au 27. Le siège continuait mais plus mollement. Comment n'avez vous encore rien ? Rien depuis le 13, ici à Londres non plus ? Avez-vous remarqué l’épisode Dampierre dans le Moniteur de l’armée ? Je suis charmée de la mention ; l’action était simple.
Quand arriverons-nous au dénouement de Sébastopol ? à Londres & chez vous on croit fermement qu'il tombera. Chez nous on croit qu'il résistera. Quelqu’un aura tort. Mais comme cela tarde. Lord Howard commence à être inquiet. Je ne vous dis rien de nouveau, mais puisque ceci est écrit, je vous l’envoie. Adieu. Adieu.
158. Bruxelles, Dimanche 5 novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Lord & lady Palmerston arriveront aujourd’hui à Paris. On peut tout conjecturer. Rothschild a passé ces deux jours. Il avait dîné à St Cloud dans la semaine. Il dit que l’Empereur était de très bonne humeur et l’Impératrice embellie et engraissée. Une nouvelle dépêche du P. Menchikoff dit que " depuis le 27 au 29 les positions respectives n’avaient point changé. Les travaux de siège continuaient, mais en général le feu de l' ennemi était devenu plus faible. que par le passé. " Personne à Paris ne doute que Sébastopol ne soit pris. Constantin me parait le croire aussi. Nous avons cependant maintenant 85 m h. Là, c’est lui qui me le mande, pourquoi ne pas livrer bataille ?
Je commence à souffrir du froid. Il y a beaucoup de courants d'air dans mon appartement. Les rhumatismes vont arriver par dessus les autres maux. Fine [?].
Je n’ai pas un mot du nouvelle à vous dire. Brokhausen n’est attendu qu'aujourd’hui. Je n’ai point eu votre lettre ce matin. Adieu. Adieu.
159. Bruxelles, Mardi 7 novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Lord Howard m’a fait une longue visite. Son langage me prouve que l’opinion de Lord Lansdowne aura prévalu dans le conseil anglais à savoir que Sébastopol finit tout, si, comme on le croit là, il tombe au pouvoir des alliés. Il m’a beaucoup parlé de la paix, mais avec de grands doutes que nous nous y prêtions. Lord Clarendon venait de lui écrire une lettre fort triste sur les pertes énormes essuyées par les Anglais dans la rencontre du 25. C. Gréville m'écrit aussi sur le même ton de désolation, et l’incertitude où l’on est encore sur le nom des victimes ajoute beau coup à l’inquiétude générale. En même temps on ne connait pas le chiffre de nos forces. Mais du côté des alliés il n'y avait pas 50 000 hommes (les Turcs non compris).
La Prusse vient de faire une dernière démarche à Peters bourg pour demander l'acceptation des quatre points et conjurant de le faire avant le dénouement de Sébastopol ce qu'en effet ôterait tout caractère d’humiliation à cette acceptation si la place tombait. La réponse peut arriver à Berlin aujourd’hui. Je doute que nous cédions. L'Autriche est dans une détestable position. On ne se fis pas encore tout à fait à elle de votre côté, et chez nous vous concevez aisément le sentiment qu'on lui porte. Si Sébastopol ne tombe. pas, Bual et Bach tomberont, & c’est le parti russe qui arrivera au pouvoir. On persiste à dire que tous les généraux sont de ce parti. L’Allemagne est dans un complet désarroi. C'est un grand moment que ce moment ici. Et Sébastopol un siège mémorable. A-t-il son analogue dans l’histoire ? Je ne crois pas. Je viens de voir le roi passer à cheval pour se rendre à la Chambre. Cerini a une fenêtre qui donne de ce côté. Brokhausen est revenu & intéressant. Il parait que mon Empereur est bien changé et dans un mauvais état de santé.
Moi j’ai un rhume de poitrine effroyable. Voilà deux nuits que je ne dors pas. Je ne bouge pas de chez moi. Mon fils est allé se promener en Hollande, Adieu. Adieu.
160. Bruxelles, Mercredi 9 novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Quelle lettre ! Les rapports de Canrobert & de Raghan n'en annoncent pas encore le terme. Ils sont tristes plutôt. On m'écrit d'Angleterre que les rapports du 27 confiés à un officier anglais, ne sont pas arrivés. Il les a perdus ou oubliés. Jugez la désolation des familles, c'est là où se trouvait la relation du combat meurtrier du 25.
On dit à présent que c’est le 4 qui tous nos renforts devaient être arrivés. Le 2 La place n'était pas prise, ils arrivent peut être à temps pour livrer une bataille. Il faudra bien un avant ou après Sébastopol. N'êtes-vous pas épouvanté de ce sacrifice de vies humaines ?
On dit que nous n’avons pas voulu écouter les dernières dispositions de la Prusse. Cela décidera l’Allemagne. Elle ne joindra toute entière à l'Autriche si cela n’est pas fait déjà. L’Autriche a brûlé ses vaisseaux, il lui faut la guerre avec nous, car l’occasion ne lui sera jamais si belle. En attendant sur la demande de la Prusse nous avons arrêté la marche de la garde impériale & l’Autriche par représailles a retiré ses troupes de la frontière. Mais ce n’est qu’un sursis. Le Prince Gortchakoff à Vienne a demandé des explications sur les félicitations adressées à Paris & Londres à propos de la bataille de l’Alma. Bual a répondu qu’il n’avait pas d’explications à donner. Ce n’est que demain que Lord
Pal[merston arrive à Paris. On dit à Londres que c’est en décembre que l’Empereur ira en Angleterre mais l’affaire de la Crimée devrait être éclaircies avant. Or, elle peut être longue concevez-vous comme je grille en attendant. Ma santé va mal. Je reste au lit la moitié du jour, je ne suis plus sortie du tout depuis samedi ; rhume, rhumatisme, great despondancy. Adieu. Adieu.
161. Bruxelles, Samedi 11 novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Personne n’est plus impatient que moi du siège de Sévastopol. Je n’en comprends plus la fin. Si la place n’a pas été prise avant l’arrivée de nos renforts, le sera t-elle après ? Est-il vrai que Naples ne veuille pas de l’assaut ? Après avoir été très fanfarons je trouve le ton des Russes devenu très modeste. Ils n’affirment rien, ils espèrent dans tous les cas ils sont contents car la résistance est & sera bonne. C'est une grande lutte, un grand spectacle, qui fait honneur à tout le monde. Les savants seulement donnent tout aux combinaisons militaires des deux parts. Mais le courage est superbe. Le mien est fini. Je ne sais pas comment supporter les mille petits maux qui m’assiègent. C’est évidement & le mauvais climat et le mauvais gite. Il faut me tirer de là, et quand ? Je n’ai point de nouvelles à vous donner. J’ai lu les deux derniers bulletins de Menchikoff du 1er & du 3 au soir. Même situation. Attaques défenses. On répare tous les jours le mal fait la veille. Les renforts étaient attendus le 4.
Je ne sais pourquoi Crept. ne donne plus ces bulletins à l’indépendance, il a parfaitement tort. Les Allemands attendent Sébastopol. Jamais le roi de Prusse ne marchera contre nous. Il pourra être détrôné, il s’est fait cette religion-là. Voilà une lettre de la G. D. Marie du 5. On pensait que ce jour là l’assaut serait donné et qu'on le saurait à Pétersbourg le 10 ou le 11 aujourd’hui. Aucune certitude sur l’issue, mais quelqu’espérance. " nous sommes toujours en possession des redoutes prises. Elles sont postées sur les hauteurs dominantes de la principale ligne de retraite de l'ennemi (je copie.) C'est une position si importante qu'il est à supposer qu'il fera tous les efforts pour les reprendre. "
Des amitiés de père & mère pour moi. Le duc de Sutherland m’a écrit une très triste lettre sur la mort de son fils, 16 jours sans médecin sans secours. Quand il les a eus il était trop lard. Il est mort le lendemain.
Les Holland ne viendront que quand Sébastopol sera pris. Ils veulent jouir de mon humiliation et pas de mon triomphe. Vous savez bien qu’il n’y aurait pas de triomphe. Je suis toujours renfermée dans ma chambre toute la tête prise. Je me fais tapissier. Tous les jours quelque nouvelle invention pour me garer des courants d’air. Le M Port. dit que les Palmerston sont priés pour résider à St Cloud. Adieu. Adieu.
162. Bruxelles, Lundi 13 novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
J'ai eu hier des lettres de tous les coins, et de toute espèce. Morny était revenu à Paris, je vais lui écrire une longue lettre de Constantin en grande espérance. Je n’en tiens pas grand compte de Lord Havard qui est à Paris demandant protections pour la lettre de Clauricarde à son fils. La G. D. Marie me mande que de Sébastopol à Kalonga il n’a fait que manger comme un affamé tout ce qu’il trouvait. Les officiers Français avaient passé à Pétersbourg quelques jours très bien traités. On les a entourés à Paroslaff, je ne sais ce qu'on fera des anglais.
Kisseleff m'a annoncé hier qu’il retournerait probablement à Pétersbourg. Il est très triste. Pas de perspective pour lui. Et on lui retire les deux tiers de ses traitements. Ditto pour Brunnow qui, lui, arrive à Pétersbourg dans quelques jours.
Chaque minute doit nous apporter une grande nouvelle. L'assaut devait être donné ; Menchikoff n’aurait donc pas attaqué avant, à quoi bon alors les renforts, car ma fois à Sébastopol il sera bien plus difficile de vous en déloger, et quel matériel immense vous allez y trouver ! Les jeunes grands ducs sont allés à Sébastopol dit-on. Pauvre impératrice comme elle va trembler ! J’apprends les combats du 5. De la tuerie sans résultat. C’est affreux. Pas de lettre de vous aujourd’hui. Il fait bien froid ; mon rhume dure. Adieu. Adieu. Je suis triste.
163. Bruxelles, Mercredi 15 novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Comme l’approche du 20 9bre m’aurait fait battre le cœur de joie si nous n’avions pas cette maudite guerre ! Cependant vous serez plus rapproché de moi, vos lettres seront plus fraîches ; voilà de quoi me réjouir. Vous ne savez pas comme vos lettres sont charmantes. Comment peut on avoir tous les jours tant d’esprit, sur tant de sujets variés et dire si bien.
Le combat du 3 semble être resté stérile. Beaucoup de victimes surtout de notre côté, s'il faut en croire vos rapports. Le célèbre capitaine Velde ici prétend qu’il ne s’agit plus de siège, mais de guerre. On se bat, on se battra, nous ne voulons à Balaklava et nous sommes en position de le menacer, c’est un point très fort par sa situation, par la nature, et par les travaux que vous y avez faits. Vous ne pouvez pas vous en passer.
Au bout de quelques batailles encore vous serez bien réduits, nous avons toujours les moyens de nous renforcer ! Quelle horreur ce sacrifices d’hommes ! Constantin me mande que L'Empereur renvoie à lady Clauricarde son fils. J’espère que la nouvelle est vraie. Il y a de la grandeur et de la malice dans cette vengeance. C’est accablant pour Clauricarde. Morny m’avait mandé il y a quelques jours l'insistance de l’Empereur pour lui faire accepter la présidence. Il l’a accepté, parce que dit-il les temps ne sont pas à l’eau de rose. Je trouve qu'il a très bien fait. Il se loue bien de l'amitié de son maître. Il n’est pas content encore de sa santé. Schlangenbad a été bien passager.
Quel chagrin. Je lis dans ce moment la mort de notre pauvre Ste Aulaire. J'en suis renversée. Quel aimable et charmant homme. Quelle tragédie, ces trois générations dans un si court espace de temps. Je perds un bon ami. Et vous plus que moi. Adieu. Adieu. Je tousse beaucoup, je ne sors pas Il fait très laid.
164. Bruxelles, Vendredi 17 novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
3 h.
Si vous saviez combien j’ai été occupée ce matin et de quoi vous ne vous fâcheriez pas de ne recevoir de moi qu’un mot aujourd’hui. J’ai eu une bien bonne lettre de Morny ce matin à laquelle il a fallu que je réponde. Je suis malade. aussi. Je crache le sang depuis huit jours. J’espère que ce ne sera pas serein mais j’ai bien besoin d'Andral.
Greville m'écrit. Doyon believe the Emperor is ready to treat on the basis of the 4 points ? The french say that is not non enough. I think it would satisfy us, if we dare be satisfied.
On me dit de toutes parts que mon empereur accepte les 4 points comme base, je ne sais si c’est vrai, je suis assez portée à le croire. Nos renforts sont considérables. Vous serez obstinés, nous aussi. Ah mon dieu quand cela finira-t-il ? Adieu je n’en puis plus il me faut du repos. Adieu.
Je crois que je ne vous adresserai plus de lettre qu’à Paris. Adieu.
165. Bruxelles, Dimanche 19 novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Dans mes deux dernières lettres je voulais vous parler de Verny et vous demander si la situation où il a laissé sa famille, me permettait de lui offrir un secours. Voici votre lettre qui me devance. Je veux donner 500 Francs et puisque vous jugez qu'il est convenable que je m’associe à la souscription, c’est dans cette forme que je ferai parvenir mon offrande. Faut-il que j'écrive à M. François Delessert ne lui en voyant mon chek sur Rothschild ? Dites-moi son adresse. Ou bien voulez vous tout simplement inscrire mon nom pour cette somme ? et c'est à vous que j’enverrais la traite.
Je suis toujours malade et je crache le sang. Ah qu'il est temps de me tirer d'ici ! Je ne sors plus du tout, on me défend même la voiture. J’attendais quelque chose. aujourd’hui, une bonne chose. Cela n’est pas encore venue. C'est de moi que je parle. Crept. attend aussi, et il s’étonne fort de ne rien savoir de Sébastopol depuis le 8. Je trouve cela mauvais signe pour nous. Quant à vous, vous vous êtes arrangé de telle sorte que vous êtes toujours en retard des nouvelles. C'est une chose extraordinaire ! J’ai eu le plaisir de voir arriver Verner de Mérade ; il reste ici pour le moment. Montalembert viendra plus tard, je voudrais que ce fut trop tard. Adieu. Adieu.
166. Bruxelles, Lundi 20 novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Puisque vous voilà si près il faut que je vous écrive encore aujourd’hui, quoique je n'ai rien à vous dire. S'il faut ne croire les journaux 3 généraux anglais auraient péri dans le combat du 5 outre les cinq blessés. 8 généraux c'est beaucoup, c’est énorme. Nous avons ici des nouvelles de Sébastopol du 12. Menchikoff dit qu’il ne s'était rien passé depuis le 5. Les Anglais se fortifient à Balaklava. Les travaux de siège n’avancent pas. Les dommages causés par le bombardement sont réparés chaque nuit. Voilà rien de plus.
Ces pauvres anglais qui couchent encore en plein air, et il neige ! Ils me font une pitié profonde. Je suis bien attristée de cette guerre pour tout le monde. Je suis chrétienne et je ne m’inquiète pas de ma nationalité. Pierre l’hermite s'en allait prêchant la guerre, pourquoi n'y a-t-il pas une peine l’hermite qui aille prêcher la paix ?
Ma vilaine toux continue, et ma réclusion aussi. Quand est-ce que la porte de ma prison sera ouverte ? Ne parlez de moi à personne. S'il en est besoin je vous donnerai avoir d'une promenade aux Champs Elysées. Jusque là laissez couler l’eau. Adieu. Adieu. Mon ami de Schlangenbad est excellent pour moi.
167. Bruxelles, Mercredi 22 novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
La poste n’est pas venue. La neige empêche l’arrivage du train. Quelle fatalité ! Tous les jours j’attends ma délivrance, elle tarde quoique j’ai la promesse. Allez-voir Morny, quoique j’ai promis de ne pas parler de mon affaire, il est bien naturel que je vous l'ai dite. Il pourra vous dire où elle en est. Malgré les très mauvais auspices il ne m’est plus possible d’attendre. Je suis trop malade, plus tard je ne pourrais plus peut être, & vous voyez bien que Sébastopol est l’éternité. Je ne puis pas croire à des soupçons efficaces s'il y en avait à Londres ; l’Empereur est le maître et il est excellent pour moi. Je place toute ma confiance dans Morny. Parlez et redites-moi. Je me suis très malade et quel temps, & quels courants d'air chez moi !
J'ai été frappé de l’article de St Marc Girardin sur la Pologne. Il est bien fait. Quant au subside anglais je n’y ai pas cru un instant. Vous êtes plus fier que cela. " et la France est assez riche pour payer sa gloire. " Quelle lutte, quel carnage et quel courage. Les géants se sont atteints et comme ils se battent.
1 heure
Je vous prie allez chez Morny. Je le préviens de votre visite et je le prie de vous mettre au courant afin que vous puissiez me redire. Je suis pressée de savoir, & lui est peut-être ou malade ou trop occupé. L’Empereur est parfait pour moi, mais il peut craindre les soupçons anglais ; c’est ce qui fait le retard, demandez, apprenez et redites-moi sans perdre un moment. Je vous prie allez chez Morny tout de suite. Adieu. Adieu. Laissez là votre académie, je vous assure que je suis plus précise qu'elle.
168. Bruxelles, Jeudi 23 novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Une longue lettre de Greville. En détestation croissante de la guerre. Il vient d'y perdre un neveu chéri. L’Autriche sait notre disposition à traiter sur la base des 4 points. Bual ne veut attacher aucune valeur à cela. Palmerston est allé à Paris pour y faire adopter toutes ses vues et idées politiques. Voilà la lettre de Greville. Mon neveu me mande de Berlin que nous avons actually accepté les 4 points par défiance pour la Prusse. Que veut-on de plus ? Je viens d'écrire à M. Delessert des nouvelles de votre causerie. et de lui envoyer mon chek avec Morny. Adieu.
Je reste prisonnière. Je n'ose pas sortir. Je recrache le sang aujourd’hui, j’avais eu deux jours de relâche. Le 15. Les travaux du siège n'avaient pas avancé. Le bombardement. continue. Le 14, huit bâtiments de transports ennemis ont été jetés sur la côte. Une frégate. & une corvette ont coulé bas. Voilà notre bulletin ce matin Je trouve bien charmant de pouvoir tous les jours avoir de mes nouvelles respectives. Il y aurait quelque chose de plus charmant encore.
Adieu. Adieu, pour aujourd’hui. J’attendrai avec impatience.
169. Bruxelles, Vendredi 24 novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Votre lettre est triste. Elle m’a rendue bien triste. Triste à pleurer je sais que je suis en bonnes mains. Vous, M. et plus haut aussi. Mais il parait que c'est peu de chose.
L’intimité serait donc bien frêle, si mon souffle pouvait l'endommager, mais c’est vraiment ridicule d’admettre ce motif, reste le mauvais caractère. Or, du côté puissant le cœur est bon et la disposition bonne. Je veux espérer, et cependant je pleure.
Je ne sais pas vous parler d’autre chose. Et cependant les quatre points acceptés par nous. Parlez de moi et de toute l’affaire à personne.
Les renseignements sur l’effet de notre réponse sont très variés. Vous saurez sans doute comment cela est pris à Paris, à juger sur le Times, on ne veut pas tenir compte à Londres de notre acceptation des quatre points. Alors je ne sais pas ce qu’on veut, sinon une guerre éternelle.
Persister à dire qu'on ne veut pas croire à la sincérité de l’Empereur Nicolas, c’est établir qu'on ne fera jamais la paix avec lui. Lui, veut la paix, je vous en réponds. On dit que notre Ministre à Vienne. dit : nous sommes las de faire la guerre pour des ingrats. (la race grecque).
Je vous ai dit que je vois Lord Howard souvent très intimement. Du reste van Praet & Brokhausen. Creptovitch est à la chasse. Sa femme à Stuttgart. Dites-moi toujours qui vous voyez et ce que vous faites de vos journées. Je suis inquiète de la soirée. Vous avez eu Broglie, mais vous ne l'avez plus.
Ma toux allait mieux hier mais les mauvaises nouvelles sur mon compte m'ont donné une attaque de bile. Vous savez comme tout agit sur moi. Il y a deux ans j’étais du du passeport de mon fils ! même cause même mal Adieu. Adieu.
Apprenez c’est pure curiosité de ma part, s'il est vrai qu'on paye le Moniteur juste le double de ce qu'il s'annonce. Ainsi 20 fr par trimestre au lieu de 10. Et moi on le fait encore payer 23. C’est drôle.
Mots-clés : Affaire d'Orient, Diplomatie, Discours du for intérieur, Femme (diplomatie), France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Napoléon III (1808-1873 ; empereur des Français), Nicolas I (1796-1855 ; empereur de Russie), Politique (Angleterre), Politique (Autriche), Politique (France), Politique (Russie), Réseau social et politique, Salon, Santé (Dorothée), Tristesse
170. Bruxelles, Samedi 25 novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Pas de lettres de vous aujourd’hui ! Mais ne m’abandonnez donc pas au milieu de mes angoisses. Vous ne savez pas comme je suis désespérée. Comme je tourne & retourne chacun des paroles de vos deux dernières lettres Comme j’y trouve peu de motifs d'espérance. Depuis le 20 novembre mon ardeur de Paris est devenu plus grande et c’est tout juste de là que datent les obstacles.
Vous avez des sujets de distraction, vous parlez & pensez à d’autres choses. Je n'ai qu’une chose, moi, et personne auprès de qui m'épancher. Je ferme quelques fois ma porte tant je me sens triste. Je ne sais de quoi je parle. Que puis-je faire que faut-il faire ? Mes maux s’aggravent avec ma tristesse. Je ne sais que vous dire il n'y a pas un mot de nouvelle Adieu. Adieu.
171. Bruxelles, Dimanche 26 novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Vous avez des sujets de distraction, vous parlez & pensez à d’autres choses. Je n'ai qu’une chose, moi, et personne auprès de qui m'épancher. Je ferme quelques fois ma porte tant je me sens triste. Je ne sais de quoi je parle. Que puis-je faire que faut-il faire ? Mes maux s’aggravent avec ma tristesse. Je ne sais que vous dire il n'y a pas un mot de nouvelle Adieu. Adieu.
172. Bruxelles, [Lundi 27] novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
2 heures
Si vous trouvez bon de lire cette lettre à Morny ou bien de la lui envoyer, faites-le. Je n’ai rien de lui depuis le 16, il me disait alors "l’Empereur va m'envoyer de suite un passeport pour vous." & plus loin "prévenez- moi du jour de votre arrivée. J’irai vous chercher au chemin de fer moi-même. Je donnerai des ordres pour votre appartement pour faire préparer votre diner." Voilà où j’en étais ici le 17. Je suis bien loin de là aujourd'hui. Comprenez-vous ma joie alors, ma tristesse aujourd’hui. Je suis sûre que Morny est un peu triste aussi. Il a mis bien du cœur à tout cela. Mais je ne veux pas l'ennuyer.
4 h.
Lady Pal. est hors de question. Je lui avais écrit une lettre qui la mettait bien sur la voie, elle vient de m'écrire, elle parle de tout hors de moi. Vous savez qu’elle avait voulu venir ici, et me l’avait fait dire par les Howard. J’ai remercié & dit que c’était moi qui avais besoin de Paris. Médecin, lit & & et j'ajoute "je me laisse dire qu'on en concevrait des soupçons" et sur cela je brode comme il convenait de faire, pas un mot de réponse à cela. Dans sa lettre du 16 Morny avait promis à l’Emp. que j'écrirais à Ly P. et à Aberdeen pour écarter les soupçons. Je n’ai pas écrit à celui-ci & ma lettre à Lady P. et passe sous cachet volant par Morny qui devait brûler, on envoyer comme il voudrait. Il a envoyé & 7 heures.
Voilà Je me ménage ici un excellent ami dans Lord Coward, ami intime de Clarendon, il vient de me dire que le Gt Anglais accepte notre acceptation, pourvu qu’il n’y ait pas de commentaires.
173. Bruxelles, Mardi 28 novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Comment pas de lettre ? Voici la seconde fois depuis votre retour à Paris (huit jours!) que vous m'oubliez. Et dans le moment où j'ai un si grand besoin de soutien. Je vous en prie ne me donnez pas ce chagrin de penser que je suis moins pour vous à Paris que je ne l’étais au Val Richer.
J’ai passé ma journée couchée et j’ai vraiment fait pitié à mes visiteurs. Le dernier qui était Lord Howard m’a paru être touché de me voir dans cet état. Il est très lié avec Clarendon, ils s'écrivent deux fois la semaine. Il peut me devenir utile. Il trouve qu'on est dans un moment de crise. de ce côté là j’ai cependant peu d'espérance. Voilà la bonne entente rétablie entre les deux grands allemands c’est très bon pour tous les cas. Vous ne m'aviez déjà pas écrit Samedi. Voici lundi qui me manque je m’afflige de cela comme d'un grand malheur, mes nerfs sont en bien mauvais état depuis votre visite chez M.
Ce pauvre Mouchy, je suis bien fâchée pour sa veuve. Molé m'écrit une longue lettre bien pressante pour revenir à Paris. Hélas. Kisseleff est très malade du climat de Bruxelles. (Jugez pour moi.) et il est trop malade pour se mettre en route dans cette saison. Madame Chreptovitch était partie il y a quinze jours pour Stuttgard. Au lieu de cela, elle a pris le train de Paris, et elle y est depuis ! C'est un peu fort. Son mari en est bien embarrassé, il est en même temps bien content d’être débarrassé d’elle.
Ah que je suis malheureuse. Vous me connaissez, vous devez vous figurer l’état où je suis. Je vous prie ne passez pas un jour sans m'écrire. Personne ne viendra-t-il donc me voir. Montebello a eu tort de tant promettre. La mort de Mouchy va empêcher le duc de Noailles, car pour lui je suis sûre de son amitié. Adieu. Adieu.
La pluie, la neige, le vent. Ma chambre, et ma tristesse.
174. Bruxelles, Mercredi 29 novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Votre lettre est venue, tard hier soir. Avec quel soin je dévore & je pèse chaque parole, cherchant un sens qui aggrave mon désespoir ou le soulage. Je vois bien que vous êtes résigné à prendre patience. longtemps. La résignation ne peut pas m’entrer dans le cœur, et je crois quelque fois que dans trois jours je succomberai. Le fil électrique vous le dira à temps, car je ne veux pas mourir sans vous avoir revu. Encore une nuit toute entière sans sommeil. Ah que d'images affreuses occupent la pensée et mon impuissance ! Car comment agir contre cet obstacle quand j’éprouve.
Midi.
Voici une lettre de Morny de hier. L’Empereur lui a dit la veille. Je ne changerai pas je l'ai promis. C'est la promesse à moi dont il est question. Ah voilà une parole qui me fait pousser un soupir d’allègement ! Reste le quand. Rien ne m'aide à le devenir. Mais d’après cela il me semble qu’il ne faut rien tenter de l’autre côté. En attendant voici Aggy qui est à Paris & qui me dit que tout le monde parle de mon retour. Cela doit venir de l'amb. Anglaise. Elle me questionne, je nie, mais je raconte ma santé, et le propos de mon médecin de Bruxelles que je vous ai redit je crois ? et qu’ici tout le monde connait. Je voudrais vous parler d’autre chose que de moi, mais je ne pense qu'à moi, et j'ai peur de vous ennuyer. Le nouvel engagement de la Prusse avec l’Autriche est ceci. Si l’Autriche est entraînée dans des hostilités contre nous, chez nous, on la laisse faire, sans s'en mêler. Si en retour nous la poursuivons sur territoire Moldave, la Prusse soutient l’Autriche là comme partout ailleurs. Voilà, ce n’est pas amical pour la Russie.
Je n’apprends rien du sort des quatre points, ni des théâtres de la guerre. Mon théâtre c’est Paris. J'y pense nuit et jour. Au Val-Richer vous appartenez à votre famille. A Paris vous m’appartenez à moi, et vous savoir là sans moi est un supplice.
3 h. Une lettre de Greville. Tout réjoui. On lui dit que je vais à Paris, que j'y suis peut-être. Il me demande s'il doit encore m'écrire ici ou là. Voyez comme le commérage a marché ! Est-ce bon, est-ce mauvais. Je ne sais. J’aurais mieux aimé le silence, mais il est de plus en plus évident que c’est les Anglais qui ont propagé la nouvelle. Adieu. Adieu.
Mots-clés : Conditions matérielles de la correspondance, Diplomatie (Angleterre), Famille Guizot, Femme (diplomatie), France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Politique (Autriche), Politique (Prusse), Politique (Russie), Relation François-Dorothée, Réseau social et politique, Santé (Dorothée), Tristesse
175. Bruxelles, Jeudi 30 novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’ai répondu à M. Sa lettre était excellente. Je suis frappée de ce que me dit C. Greville du peu d'importance de Lord Palmerston dans le Cabinet anglais. Il me dit en parlant de ce qu'on pense de lui à Paris et du cas qu'on en fait. "They would be surprised if they could know how comparatively [?] his political influence is now, and how diminished his power is for good et for evil."
Les quatre points n’avancent nulle part. Je ne comprends pas. On m'affirme cependant qu’ils sont sans réserve. Les Prussiens le soutiennent. à propos de Prusse rappellez- vous que Hatzfeld fait toujours partir son courrier le 2 et le 16 de chaque mois. Bonne occasion pour m'envoyez les livres.
Ne pourriez-vous pas charger quelqu’un de s’informer en passant au bureau du Moniteur pourquoi on me triche. Voici le reçu. Cela me paraît singulier. Je ne sais à qui demander de faire cette vérification.
J'ai fait pour la première fois hier un tour en voiture. La toux a augmenté. Déci dément c’est un air brutal celui de Bruxelles, il faut que je m'en prive tout à fait. J'ai fait hier la connaissance du ch. d’aff d'Amérique. Très Russe, très contre l'Angleterre. On ne prendra pas Cuba, on négociera pour de l’argent. Je suis si triste, que je laisse entrer qui veut pour me passer le temps. Ainsi un Duc de Mirepoix, l'homme le plus ennuyeux du monde. Ah mon Dieu être réduite à cela !
N'ai-je jamais inspiré autant de confiance que de défiance ? Ce serait long d’avoir à répondre à cela. J’ai fait mon chemin dans le monde et les gens qui me connaissent bien, m’aiment bien. Je n'ai jamais fait de trahison, j’en ai rencontré. Je devrais écrire mon histoire en matière de politique. Quand nous nous reverrons reparlez-moi de cela. Adieu. Adieu. Et adieu
176. Bruxelles, Vendredi 1er décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
177. Bruxelles, Samedi 2 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Lord Raghan a écrit (me dit-on de bonnes source) une lettre au Prince Menchikoff où racontant que de pauvres blessés Anglais auraient été massacrés par des officiers Russes, il lui dit ces mots : "Je désire savoir si vous êtes un Chretien et un homme, ou, un païen & une brute." Brute est fort. Voyez où l'on en vient dans une guerre aussi affreuse que celle-ci. On mande de Berlin que ma cour va envoyer une acceptation encore plus explicite et plus nette des quatre points, de sorte qu'il est difficile de concevoir comment on pourra repousser mais les Anglais répètent. We must have Sébastopol. Vos lettres sont pleines d’intérêt. Merci de me tout dire. Je n’ai que cela pour me faire prendre en patience mes misères de toutes sortes. Adieu. Adieu.
178. Bruxelles, Dimanche 3 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’ai toutes vos lettres inclus celle de hier. Tout ce que vous me dites, je me le dis mais je me sens si malade que je crains que le remède n’arrive que lorsque je ne pourrai plus m'en servir. Au reste j’ap prouve que vous ne pressiez pas M.
J’ai eu une longue lettre de Meyendorff, en grande irritation contre les Anglais. En grande douceur pour les Français ; maître et public, et soldat tous sont doux. Il ne me dit pour vous. pas un mot d'espérance de paix. On est triste à la cour mais bien résolu à tous les sacrifices pour continuer la lutte.
Greville m'écrit une énorme lettre, révolté des atrocités que nous commettons sur les blessés. Il a raison si c’est vrai. Raglan & Canrobert ont réclamé au près de Menchikoff, il n'a répondu qu'à Canrobert. Sans doute parce que la rédaction de celui-ci lui aura semblée plus civilisée que celle de l’autre. L'Angleterre ne demeure, voulant tout donner, hommes & argents ne craignant qu’une chose, que le gouvernement n'en dépense pas assez. Enfin on est fou. Les quatre points c'est de l'eau claire. Il n'y a que le roi de Prusse qui puisse avaler cette plaisanterie. Voilà la lettre.
J’apprends la triple alliance offensive & défensive avec l’Autriche. Comme cela devient gros ! Il y a des jours où je ne vois personne, comprenez-vous ce que devient ma pauvre tête alors ? Je regrette mon bonheur de huit jours, passé. Si je l’avais à présent. Si j'avais un ami. Remerciez bien M. Guillaume de la peine qu'il a prise. J'en suis confuse. Adieu. Adieu.
Nous croyons avoir tout prévu le 20 oct. quand vous m'avez quittée.
Mots-clés : Circulation épistolaire, Conditions matérielles de la correspondance, Correspondance, Diplomatie (Russie), Femme (diplomatie), France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Politique (Angleterre), Politique (Autriche), Politique (France), Politique (Prusse), Réseau social et politique
179. Bruxelles, Lundi 4 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’ai vu beaucoup de monde hier. Conversation peu satisfactory. Wring l’Autrichien très content & très glorieux. Il faut non seulement Sébastopol, mais garder la Crimée toute entière, & Ismail à l'embouchure du Danube. Si on nous avait battu dans 10 batailles. On ne serait pas plus arrogant. Le prussien est renversé de l'accusation de l’Autriche à l'alliance occidentale. Il ne s’y attendait pas si vite après l’arrangement de la Prusse avec l’Autriche. Il y a des gens qui s'obstinent à voir dans tous ces dénouements diplomatiques des acheminements à mes négociation de paix. Si on la veut à la façon de Wring cela n’est pas possible. Mais Lord Howard aussi me parle d’Ismail par dessus Sébastopol. (la forteresse d'Ismail commande l'embouchure du Danube).
On est fou en Angleterre ; j’ai vu hier le comte Caroli revenant de Londres. Il dit que c’est de la démence et dans toutes les classes. Haine & vengeance. Les seules paroles douces & convenables que j’entends me viennent de votre Ministre, à Pétersbourg même langage, pour tout ce qui est France & Français.
Ici on me parait charmé de voir l’Allemagne tellement engagée avec l’occident. On va dormir tranquille. Quand dormirai-je, moi ? Vous ne vous figurez pas mon désespoir par moment. Ma tristesse toujours. Adieu. Adieu.
Mots-clés : Conversation, Correspondance, Diplomatie, Diplomatie (France), Diplomatie (Russie), Femme (diplomatie), France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Politique (Angleterre), Politique (Autriche), Politique (Prusse), Réseau social et politique, Salon, Santé (Dorothée), Tristesse
180. Bruxelles, Mardi 5 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Mardi
Je suivrai toutes les directions, je vais m’y mettre.
Je me sens tous les jours plus mal et plus triste, & si vous voyez ce ciel !
Encore une lettre d'Angleterre c'est la maison des aliénés. L’officier anglais qui a écrit le récit de bon accueil que lui a fait l’Empereur & Le grand duc Constantin, ce lieutenant de Tzar n'ose plus se montrer, on veut le lapider. Que faire de ces fous ! Vous me le disiez il y a un an & demi. Une fois l'Anglais décidé, il va sans s’arrêter jusqu'au bout. Aujourd’hui c'est un bull dog enragé. Que seront les discours au parlement ?
J’ai les mêmes données que vous sur l’Autriche. Elle va faire une dernière proposition à Pétersbourg. On me dit aussi qu’elle se réserve sa neutralité pendant 3 mois ? Est-ce vrai ?
Je n’ai rien à vous dire mais je n’ai pas voulu manquer de vous dire ces peu de mots. Adieu. Adieu. Le sentiment Russe est bien monté contre l'Ang.
Bruxelles, Lundi 3 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je suis bien malade. Je vois et vous me dites qu’à Londres, on se fait un monde de mon retour à Paris. Certainement je n’aime pas les Anglais autant que vous et je n’adore pas votre alliance, mais je vous aime, j’aime votre empereur et je ne voudrais pas lui créer le moindre ennui. Quand à mon salon, pourrais-je en avoir ? Et si j’en avais un il serait encore plus ce qu’il était quand j’étais libre c.a.d. une influence favorable à l’Empereur et à l’Impératrice. Elle peut se le rappeler mais que je suis loin de ces deux sauveurs. Seulement l’Empereur attend un succès. Que veut-il de plus que la gloire de ses armes et le traité avec l’Autriche. La prise de Sébastopol. Mais je ne serai plus de ce monde. Je crache le sang.
Je voudrais revenir me soigner, voir mon monde, retrouver mon lit, des portes qui ferment et fermer une porte même à mes amis s’il le faut. Et puis si je pars de suite on en pensera ce qu’on voudra, l’escapade sera faite mais si on apprend a Pétersbourg ma démarche et qu’on me demande d’aller à Paris, alors je deviens en état de vraie révolte et ma situation pour moi et ma famille peut en être très changée.
181. Bruxelles, Mercredi 6 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Votre lettre d’hier est des plus intéressante et sage. C’est un charme de les recevoir. Vous avez raison l'annexion de l'Autriche c'est un grand et bon événement. Après tout elle se sera conduit habilement et il peut en ressortir la paix. Je la désire tant que je ne puis pas y croire.
Si j’attends ce que j’attends et désire si ardemment pour amortir l’effet au loin je dirai que je vais consulter mon médecin, & que s'il juge le cas pressé & que j’en ai la force j’irai à Nice Il n’y aura pas moyen de se mettre en grosse colère.
Ce serait ce que je dirais à tout le monde. Approuvez-vous et dans ce cas ne trouveriez-vous pas bon que ce fut dit à Paris aussi. Cela mettrait plus à l’aise. Vous me répondrez à cela. J'écris aujourd’hui à mon ami de Schlang. Je vous enverrai copie si j’ai la force de copier. Je suis vraiment faible extrêmement. J’ai fait comme vous m’avez dit. Merci, merci de vos longues et bonnes lettres. L’affaire de l’Autriche fait un énorme effet, plutôt un effet d'espérance. On trouve que la France a été très habile & votre Empereur heureux, selon son habitude. On ne saura rien jusqu’à la réponse de Petersbourg, et nous ne savons pas encore si la sommation de Vienne est partie. La Prusse se dit contente. Puisque tout le monde est content, nous devrions bien l’être aussi. Adieu. Adieu.
182. Bruxelles, Mercredi 6 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Quand vous avez quelque chose de plus intime à m'écrire écrivez-moi sous l'enveloppe de Mademoiselle Cerini. Hotel Bellevue. Et intérieurement Mad. de L.
Je resterai dans une grande anxiété de savoir si ma lettre d’aujourd’hui à M. a été bonne à quelque chose. J'ai si peu l’assurance du bonheur pour mon compte ! Il me semblait que ma lettre était bien mais j’aurais mieux aimé vous l’avoir montré avant. Si cela ne va pas, j’ai envie d'écrire à l’Emp. lui-même. Qu’en pensez vous ? J’ai toujours mieux réussi à la source.
Ah que j'ai besoin d’être tiré d'ici ! Depuis le jour où vous m'avez quitté le 20 octobre, je n’ai pas eu un instant de tranquillité d’esprit, ni de repos de corps, plus de sommeil. Mes pensées. auprès de vous sans cesse. Ceci vous arrive par une occasion sûre. Dites-moi que vous l'avez reçu en me disant que vous avez reçu des livres. Adieu.
Le 9 Décembre Voici l’adresse extérieure. Mademoiselle la Baronne de Cerini. Hotel Bellevue. Adresse intérieur rien qu'un D au coin de l’enveloppe.
183. Bruxelles, Jeudi 7 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Dimanche
Je n'ai absolument rien à vous mander. La preuve est que ce commencement de lettre est restée sur mon bureau. jusqu’aujourd’hui 8. Mais j'ai à vous dire depuis une heure, et bien mal ! Mad. Sebach a traversé Berlin ; à l'heure qu’il est, elle est à Pétersbourg et raconte qu'aux Tuileries on annonce mon arrivée à Paris. Constantin sur cette nouvelle me dit que je dois me préparer à ce que l’on me renvoie de Péters. les lettres que j'écrirai de Paris à ce que l’Impératrice me redemande son portrait et à ce que je me brouille avec lui Constantin & mes fils, ce qui veut dire sans doute qu’ils me retireraient toute la pension qu’ils sont tenus à me faire. Voilà donc la préface de la bombe. J'avais bien raison de la craindre.
Maintenant où en suis-je ? Je n’en sais plus rien. Mon premier mouvement est la révolte. Est-ce le bon ? Ah, que n'êtes vous auprès de moi. Il y a des termes moyens. Mais il me faut des conseils, de l’esprit. Je ne sais prendre aucun parti. Je mourrai de cette angoisse, cela coupera court à tout. Il y a longtemps que je prévois cette fin là à mes misères.
C’est de la tranquillité, du repos qu'il me faut pour vivre au lieu de cela voyez-mon agitation. Ah, vous n'en avez aucune idée. Dans tous les cas tenez ce langage-ci : " Si Mad. de L. vient à Paris ce sera pour consulter son Médecin, et s'en aller à Nice s'il le lui prescrit et qu’elle en ait encore la force. Elle crache le sang, elle est bien malade. "
Le climat de Bruxelles doit être trop rude pour moi. & puis vous me conjurez de prendre mon parti vite & de ne pas attendre qu'il soit trop tard. Soyez très inquiet et très pressant, j’ai besoin de cela & j’y compte. Du reste votre lettre ordinaire, seulement pas de sentences désobligeantes pour nous & je suis vraiment bien misérable et assez intéressante pour motiver que je l'envoie. Adieu. Adieu, je perds la tête.
Ah que le passeport est pressant. Il faudrait que Je l'eusse avant que l'écho de Mad. Sebach ne me revienne de Petersbourg. Ce sera au plus tard dans huit jours, peut être plutôt car la grande duchesse Olga savait cela à Stuttgart. Jusqu’à présent il n'y a que Constantin. J’ai le droit de n'y pas faire attention.
183. Bruxelles, Samedi 9 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’ai envie d'écrire à votre Empereur lui-même. Qu’en pensez-vous ? Dernier moyen qui m’a toujours été bon. Naturellement, je ne pense qu'à moi. Dans ma lettre à l’Impératrice hier j’ai dit que je songeais à Nice, voilà tout. Aujourd’hui j'écris à Meyendorff même thème sans autre développement que ma santé. Espèce de paratonnerre contre la foudre. Rien de M. encore. C'est bien long !
Certainement l’alliance avec l'Autriche c'est une énorme affaire traité de Vienne, Sainte Alliance tout détruit. La Prusse a été jouée. Elle est prise, elle ne peut pas se tirer de là. Il y a des gens qui craignent pour le roi. Evidemment nous n’accepterons pas la démarche de l’Autriche. En attendant et comme prévoyant on me dit que Brunnow est l’homme qui aurait à se mêler d’une négociation, mais il n’y a aucun moyen de croire qu’on en vienne là. Je ne vous redis pas l’état d’esprit, de corps où je suis. Dans toute ma vie je n’ai rien éprouvé de semblable. Adieu. Adieu.
Mon ami de Schlangenbad sera-t-il encore heureux ? Comme c’est long !
184. Bruxelles, Dimanche 10 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Votre lettre est désespérante. Je ne reçois plus de vous pour ce qui me regarde que des paroles de soupçons et de découragements. Comment ai-je mérité cela ? Je me croyais des amis dans le monde. Qu’ai-je donc commis ? Nous sommes en guerre ; Dieu sait que je ne suis tout au plus qu’Européenne dans mes vœux. Je n’ose pas dire tout ce que je sens. Mais enfin dans mon vœu d’aller à Paris, vous savez à quel point c’est le cœur, l’esprit, les besoins de ma santé qui m’en poussent. Je veux bien prendre le solennel engagement de ne plus écrire une ligne. Prescrivez-moi ce que je dois faire. Au fond je suis indigne d’avoir à me défendre. Qu'on vienne me parler je saurai répondre.
Et comment votre empereur se méfierait-il de moi ? Qui sait mieux que vous combien il se trompe ! A Pétersbourg on m’accuse de Napoléonisme ; chez vous, je prie encore qu'on m'explique de quoi on m'accuse, à Londres c'est la rancœur de Lord P. rancœur personnelle, car vous savez que j’y ai des amis et des amis puissants. Mon grand défaut est de compter sur ma parfaite innocence à voir tout ce qui m’arrive aujourd’hui. Je suis certainement bête.
Envoyez-moi Montebello ; je voudrais tant ouvrir mon cœur à quelqu’un. C'est un si honnête homme. Quel bonheur s'il venait. Je suis sûre qu'il pourrait ensuite. Mon ami de Sch. s'est-il refroidi dans son amitié, ou a-t-il perdu de sa puissance ? Ce n’est qu'à lui cependant que je puis me remettre et me fier. Je renonce à l’idée d'écrire plus haut. Il y aurait inconvenance. Comment n’ai-je pas un mot ? Vous m'avez dit de ne pas trop frapper à la porte. Fould est-il mon ami ? Je l'ai toujours pensé, y aurait-il inconvénient à me tourner vers lui aussi. Il a l’accès quotidien, il pourrait rappeler. M. trouverait-il cela mauvais ? Pourquoi ne pas chercher secours auprès de tous ceux qui pourraient me secourir. Je cherche à penser à nulle ressource mais je n'ose rien faire de si loin, sans avis.
Vais-je vous ennuyer aussi ? Ah mon Dieu, il me manquerait Plus que cela. Je ne vous parle que de moi. Quel grand moment dans l’histoire de l’Europe ! Tout est changé. Cela a été bien mené chez vous ; bien pitoyablement chez nous, ah mon Dieu ! Comme la presse a été mortifère. Que de réflexions curieuses à vous communiquer si nous étions ensemble & dans un moment pareil personne à qui dire mes impressions ou de qui en recevoir ! Je suis touchée du bon souvenir de Dumon. Il me semble que je l’entends trouvant sur tout ce qui se passe des réflexions et des mots si piquants & si vrais. Que vous êtes heureux de vivre. avec des gens d’esprit. J’ai toujours ici Mérode, mais ce n’est bon que pour rire avec, & je ne sais plus rire. Adieu. Adieu.
Savez-vous que Thiers est fort. consulté par Vaillant & par Thouvenel. Il a dîné avec celui-ci chez Hubner et il y a huit jours chez Rémopf. outre les autres rencontres.
185. Bruxelles, Lundi 11 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Votre lettre est excellente. Je vous remercie. Je reste toujours sans réponse d’autre part. Vos conseils sont très sensés. J’ai besoin qu’on m’en donne car je me livre à des amis de désespoir et je ne comprends pas que je vive encore.
Lord Howard vient plus souvent et nous causons beaucoup et à fond. Il croit que nous pouvons accepter de commencer à parler, admettre la discussion. Dans ce cas, il y aurait suspension d’hostilités. Il a été charmé d’apprendre que Brunnow serait employé dans cas qu’on se parle mais comment espérer, avec les exigences anglaises, ce que dit le Times au moins & qui est surement la vérité. Je suis de votre avis l’adhésion de la Prusse faciliterait.
2 heures.
J’apprends que Barrot a reçu tout rement avis qu'on ne permette plus à aucun Russe d’entrer en France. Jusqu'ici il y avait tolérance après examen. C'est une mesure toute nouvelle. On me parle vaguement du renvoi de Mad. Kalergis. Je saurais tantôt si c’est vrai. Mad. Creptovitch est revenu hier de Paris.
Imaginez que je ne dors pas du tout c.a.d. Trois ou tout au plus
4 heures dans la nuit & point de tout le jour. Quelle chose, étonnante que je continue à exister. Je n’ai pas parlé à M. de mon projet de Nice. parce que je ne lui ai pas écrit depuis que j’y songe. Adieu. Adieu et encore merci.
186. Bruxelles, Mardi 12 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Mon Dieu, moi vous accuser ! Mais comment ai-je pu si mal exprimé ma pensée. C’est par vous que me viennent de tristes lumières voilà tout ce que j’ai voulu dire. Je suis si faible que je ne puis pas entrer en raisonnements. Je vais aux aujourd’hui faits. J'écris à M. pour lui dire le projet de Nice. Je frémis cependant à la seule mention de ce projet mais il faut vivre. Je lui demande aussi s'il serait bon que j'écrivisse à F. Pauvre innocent Montebello qui me conjure de venir à Paris où je serais reçue par tous à bras ouverts. Parlez lui dites lui. Il est excellent, il peut-être utile, très utile. Ne négligez pas cela et tout de suite. Hélas il n’y a plus d'amitiés. Cependant ce que vous lui direz à lui ne doit pas être dit à d'autres. Molé est parfait, mais sans doute impuissant. Mes protecteurs sont des puissances morales qui devraient compter.
Les jeunes grands ducs sont toujours à Sébastopol, & y restent. L’Impératrice a été très mal, en grand danger. Elle allait mieux. Que va-t-elle devenir quand elle verra la Prusse se joindre à l’alliance. tournez.
Mon empereur doit être dans un état d’esprit terrible je ne me le figure pas réduit à cette extrémité. Hélas il ne se rendra pas. Et on a bien soin en Angleterre de lui dire. Si vous cédez - vous êtes déshonoré.
Je suis curieuse du diner de la Reine aujourd’hui. Ah cent fois le jour, je voudrais vous avoir auprès de moi, pour moi, pour tout ce qui se passe. Adieu. Adieu. J’ai écrit Je suis lasse. Ma faiblesse est grande. Adieu. Adieu.
Que votre affection ne se fatigue pas. Adieu. tournez. Je crains les susceptibilités. Voilà pourquoi je vous envoie la feuille volante. A remettre si vous le jugez bon, si non à bruler.
Mots-clés : Conversation, Correspondance, Femme (diplomatie), France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Nicolas I (1796-1855 ; empereur de Russie), Politique (Prusse), Relation François-Dorothée, Réseau social et politique, Santé (Dorothée), Victoria (1819-1901 ; reine de Grande-Bretagne)
187. Bruxelles, Mardi 12 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Voici encore une occasion sure j’en profite. Quand vous m'écrirez sous couvert de Cerini faites faire l'adresse par un autre et n'employez pas votre cachet. J’attends, et j’attends. Je ne vois pas le terme. Voici l’histoire. Le 10 Nov. M. revient à Paris et me le mande, en me demandant de lui écrire de suite une lettre qu'il puisse montrer. Il la montre le 15 fête de l’Imp. On est touchée de ma lettre. On veut que je revienne. On me fait la promesse seulement comme j’ai affaire à un allié ombrageux. Laissez-moi la lettre pour que je la montre à Lord Cowley." Morny me dit l'Emp. va de suite m'envoyer le passeport. Dites-moi le jour, j'irai vous chercher au chemin de fer. Je ferai préparer votre dîner. & &. Vous savez mieux que moi le reste. La seule lettre que j’ai eu depuis de Morny est du 28. " hier 27 l’Impératrice m’a dit diabolique effet en Angleterre, mes affaires d’état, mais c’est égal je ne changerai pas, je l’ai promis. Si sur cela M. heureux & moi plus que lui. Il me dit au revoir ici. Seulement il ajoute "attendez patiemment". C’est ce petit mot qui me jette dans le désespoir. Y a-t-il un terme. Le [?] me tue.
J’ai écrit le 6 ce que vous m'avez dit d'écrire. Pas un mot. Est-ce que je com promets M. ? Je me tâte je voudrais bien savoir si je suis moi. L'objet aujourd’hui des soupçons de tout le monde ! Ah que j'espère cruellement l'importance que j’ai pu avoir, ou plutôt qu'on m’a cru.
Je demande mon repos ma santé, mes amis ; je dis volontiers adieu à toutes les correspondances à tout, pourvu qu'on me rende Paris.
Depuis le 20 Nov., le jour où vous y êtes rentré, je ne tiens plus d'impatience jusque là ma résignation était douce.
Il y a eu quelque chose de mal heureux l’arrivée de Palmerston va était prévenu cependant qu'il n'était pas de mes amis. Enfin je ne veux pas chercher les toutes. Je suis touchée de l’amitié, mais je crains qu’elle ne se fatigue ou qu’elle perde sa puissance. Je vous ai demandé si Fould était bien pour moi. Je le crois. M. se fâcherait-il si jefFrappais à cette porte.
Voici votre lettre d’hier sur ce & j’y ai répondu sujet entre autres & par ma lettre ce matin.
Je crois que chez nous on veut décidément la paix, mais il n’y aura pas moyen si on nous la rend trop dure. Nous sommes extrêmement forts du côté de l’occident. Que je voudrais que Sébastopol tombât (ne répétez pas cet horrible propos) tout serait plus facile. Mais on dit que ce sera imprenable. N'oubliez pas que le 16 Hatzfeld envoie son courrier.
Ah que je voudrais que Montebello veut me voir. Qu'il m’amène son fils. Un jour de causerie avec lui. Des paroles de vous intimes quelque direction. Ou bien le duc de Noailles ou Dumon ferait-il cela ? Mon Dieu quelqu’un à qui parler, me confier. Je suis bien malheureuse. Adieu. Adieu. Adieu. Que cette semaine en octobre a été charmante. Quel inépuisable bavardage. Quel impensable plaisir. Adieu. Vous connaissez le mot de Thiers pour chez vous. J’aime la cuisine. Je n’aime pas le cuisinier. Je ne conçois pas que ma lettre du 6 à Morny soit resté sans réponse.
6 heures
Il est peu utile, il est même dangereux de se plaindre. mais comment ne pas me plaindre au fond du cœur de la publicité donnée à tout cela lorsque M. savait à quel point je tenais au secret. Cela devait rester entre lui l’Empereur et moi. Au lieu de cela, voyez ? Quand on m'en parle, je nie que j'ai fait une démarche. Bavardage provenu de ce que je parle de mon ardent désir d’aller à Paris et que je l'écris à tout le monde. Je vous écris à toutes les heures. J’ai la fièvre. Ah si vous étiez au Val Richer comme je me soucierais que de Paris. Adieu. Adieu.
Il me semble entrevoir dans vos lettres que vous avez peu d'espoir. Au fond je ne comprends pas l’Empereur. C’est montrer trop sa subs[?] à l'Angleterre. Je lui croyais plus d'orgueil que cela. Moi à Paris qu’est-ce que je puis faire. Ne suis je pas en son pouvoir ? Enfin je ne comprends pas. Encore et toujours Adieu.
8 heures Encore un mot. Je vous ai parlé ce matin de Montebello. Il est excellent et peut être très utile. Il voit souvent Fould, ils ont souvent parlé de moi depuis mon départ. Son amitié & son témoignage ont une grande valeur parce qu'il est plein d'innocence et de sincérité. On l’aime là. Il pourrait dire bien des choses qui me seraient très utiles car j’ai toujours causé bien librement avec lui. Mettez-le au fait et je parie qu’il trouvera moyen de me servir.
Mots-clés : Armée, Conditions matérielles de la correspondance, Conversation, Correspondance, Diplomatie, Diplomatie (Angleterre), Enfants (Guizot), Femme (diplomatie), Femme (maternité), France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Nicolas I (1796-1855 ; empereur de Russie), Politique (Angleterre), Politique (Russie), Réseau social et politique
188. Bruxelles, Mercredi 13 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Comment n'avez-vous pas eu ma lettre du 11. J'écris tous les jours. J'écris aujourd’hui à Montebello et je le prie d’aller vous voir. Dites-lui de montrer ma lettre à F. Il va chez lui souvent, il pourrait bien y aller à mon intention. Il y a là tout ce qu'il faut. Je passe régulièrement deux nuits de suite sans sommeil c.a. d. Trois heures tout au plus. La troisième nuit 6 h. de sommeil, c’est réglé. Imaginez ce qu'on devient à un pareil régime.
J’attends la poste. Votre lettre y est toujours, que Dieu vous en récompense. Mais M. pas un mot. Mon Dieu, on est donc sans pitié et sans souvenir. Lord Howard dit que l'Angleterre va voir en Crimée 55 m hommes, qu’elle en mettra plus s'il le faut. Il faut Sébastopol, à Londres, à Paris, c’est résolu. Si j’étais l’Emp. Nicolas, je laisserais prendre pour que cela finisse. On devient féroce à Londres, la poste n’accepte plus de lettre à l’adresse de St Pétersbourg. Ce que je vous ai dit de Mme Kalerdgi me parait vrai, quoique les Crept. nient. La source des informations est bonne. En tous cas samedi elle quitte Paris.
Adieu bien vite, on m'interrompt.
189. Bruxelles, Mercredi 13 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je vous ai envoyé mon 187 par occasion, le comte Caroly. En voici une autre. J'écris quoique je n'ai rien à dire qu’un nouveau sujet d'angoisse. L’Impératrice est très mal. Elle était très mal avant hier. Si j’ai le malheur de la perdre voilà mon dernier lien avec la Russie rompu ?
Que va devenir l’Empereur, je ne puis pas me figurer sa situation, & dans quel moment !
Le ministre d’Autriche qui est venu me voir ce matin est encore plein d'espérance de la paix. Le 28 Nov.; nous avons adhéré par note aux quatre points simplement formellement. Le 30 Bual exprime par note au Prince Gortchakoff la vive satisfaction de son maître. Le 2 on signe le fameux. traité exige dit-on très rudement par Bourqueney & Westemorland. Bual nous déclare que c’est dans le but de rendre la paix plus facile. Trouverons-nous cela ? Dans les préliminaires qui ont dû nous être envoyé, Sébastopol ne sera pas mentionné. L'Angleterre dit-on est fort désireuse de la paix. Je ne crois pas trop. La Prusse va être forcée de se décider. Adieu. Je n’ai rien de nouveau sur mon compte. Mon découragement s’arcroit tous les jours. God bless you. Adieu. 8 heures du soir.
190. Bruxelles, Vendredi 15 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Voici ce qui fait suite aux notes du 28 & 30 Nov. Autre Gortchakoff et Bual dont je vous ai parlé. Lorsqu’est survenu le traité d’alliance signé le 2 Xbre Gortchakoff est allé exprimer au Cte Bual son profond étonnement.
Il a été vif et a fini par demander ses passeports. A quoi Bual, lui a répondu : demandez plutôt des pleins pouvoirs, car nous allons négocier. Ceci m’a été dit en confidence mais vous pouvez tenir pour certain d’autres côtés tout en confiance dans l’idée que la paix ne dépend que de l’Empereur et qu'on ne la lui rendra pas trop dure.
10 heures. Voilà votre lettre avant tout, que je vous félicite du petit garçon. Félicitez votre fille de ma part. Je m’associe bien à toutes les joies de famille. Vous n'oubliez pas que Hatzfeld à demain une occasion de me faire passer des livres.
Lord Howard vient me voir souvent. Il connait les heures de tête à tête. Je suis très contente de lui. Vraiment l’idée de la paix possible. Toute l’apparence belliqueuse est nécessaire pour inspirer confiance & flatter. La passion populaire. On en sera plus libre d'aboutir à la paix. Je crois donc moi à la sincérité du [gouvernement] Anglais dans ce but. Mais là on doute de la nôtre. On a tort. L'Empereur désire la paix ardemment, et la maladie mortelle de sa femme doit bien augmenter le désir. Il y avait quelque mieux avant hier. C’est toujours ses inquiétudes pour ses fils, mais comment les rappeler tant qu'on se bat ?
Pas un mot de M. Mes souffrances & mon chagrin augmentent. Adieu. Adieu.
191. Bruxelles, Samedi 16 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
On entre ici dans la saison des dîners, ce qui me prive. de la seule ressource que j'avais le soir, van Praet Il ne sort de là qu'à 10 h. C’est trop tard pour moi. Je ne sais plus que devenir.
Je fais la patience, je tricote ! Quel emploi de mon temps ! Je ne peux pas Cerini ne sait pas lire. Auguste lit quelques lire. fois. N'avez-vous pas pitié de moi ?
Et en hiver, et à l’auberge, et dans cette époque si abondante en événements dont le plus petit aurait défrayé la conversation de mon salon pendant la semaine, n’avoir personne quel exil pour mon esprit.
L’Impératrice va décidement mieux. Je le sais par le télégraphe de Berlin que j'ai fait interroger ce Comme je n’ai matin. pas répondu un mot à la lettre menaçante de mon neveu, il a cessé de m'écrire. Je ne saurai des détails de l’Impératrice que par Meyendorff. On me dit que la Prusse ne se pressera pas d’adhérer au traité du 2 Xbre. Elle a tort, d'autant plus qu'il faudra bien qu’elle y passe. Je trouve les remarques des Débats sur le discours de Lord John très juste. Adieu, toujours avec tristesse, plus que jamais avec tendresse. Adieu.
Tous mes N° sont ils exactement rentrés ?
192. Bruxelles, Dimanche 17 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
J'ai reçu votre lettre d’hier. Je n’avais pas dormi cette nuit, & je suis trop triste, pour vous écrire. La démarche directe pour n’obtenir qu'un demi. résultat, je ne la ferai pas. Le plus court sera de mourir cela supprimera les embarras à tout le monde. Il n'y a que vous que je plaigne, car vous m'aimez bien.
Mais moi, vous avoir si prés, et ne pas être avec vous ? Voyez-vous cela me déchire le cœur, et ma santé n’y tiendra pas. Il m’en reste si peu de santé. Pardonnez-moi de ne vous dire que cela aujourd’hui. mais ma pauvre tête n'y tient pas. Et mon coeur brise. Adieu. Adieu.
Pourquoi Montebello ne montre-t-il pas ma lettre à F. ? Cela ne peut faire aucun mal, et cela pourrait faire du bien.
Bruxelles, Dimanche 17 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je commence ceci pour une occasion. Je suis frappé. tout à coup de l’idée que M. ne désire plus mon retour à Paris, et voici comment j’arrive à ce soupçon. La bonne volonté de l’Empereur. pour moi s’est arrêtée devant les objections de Lord Palmerston. Il n’a pas que les trouver sérieuses, il a trop d’esprit pour ne pas savoir, que fussent elles fondées, il dépendait de lui d'empêcher toutes mes iniquités et toutes mes trames et que venant dans les C'est bien triste tout cela. Mais j’ai assez d’équité dans l’esprit pour comprendre tout cela & même pour le pardonner. Je voudrais cependant qu'on s'est à quel point je mérite peu ce qu’on peut craindre de moi. Revenue à Paris, ma correspon dance Russe cesse tout à fait, cela m’a été insinué pas intermédiaire car secrétement on n'a rien à en dire encore, je n’y ai pas donné lieu. Le bonheur de retrouver encore mon home & mes amis me fera donner à tous les. ... (C’est affreux ce que je n'ose pas dire là) toute pensée de me mêler de quoique ce soit que puisse donner ombrage. Je veux bien que M. me néglige. Je croirai cependant toujours qu'il m’aime. Et comme je l'aime moi, je serais bien fâchée de lui donner du tracas. Son silence, son impuissance seraient inexplicables, s’ils n'étaient expliqués par tout ce que j’ai dit là.
Midi
Voilà votre lettre 228 triste, triste lettre. Non, pour n’obtenir que le passage, je n'écrirai pas. Pau ? L'ennui me ferait mourir et le divorce avec la Russie serait aussi complet qu’à Paris. Voulez-vous y venir avec moi ? Ah que Je m'y abonnerais volontiers. Je ne sais pas au fond pourquoi je n'essayerait pas mon crédit en Angleterre. Le pire serait de ne pas réussir, mais évidement il n’y a rien à gâter. Je ne sais dans quel état vous aurez cette lettre. Le courrier prussien qui la portera travera ici la nuit. Il faut donc que je la remette le soir. Mais cela peut tarder des jours dans ce cas, j’ajouterai tous les jours. Pour aujourd’hui Adieu.
Le 19. Je n’avais rien de plus à dire, & je n’avais pas la force de dire. J’ai passé toute la journée dans mon lit. Votre lettre m’avait renversée. J’ai eu une attaque violente de bile. Conséquence infaillible de toute émotion. J’ai vu le médecin plusieurs fois dans la journée. Adieu. Adieu.Je crois que je me suis trompée de N° dans ma lettre de ce matin je devais dire 193.
193. Bruxelles, Mardi 19 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je n’ai pas été en état hier de traiter une ligne votre lettre de Samedi m’avait bouleversée. Elle m’a donné mes attaques de bile des plus violentes. J’ai passé hier tout le jour dans mon lit. J'y suis encore aujourd’hui. mais mieux que hier. Ces secousses ne me vont plus. Que puis-je vous dire ? Mon esprit et mon courage m’abandonnent. Tout ce que je perds de ce côté-là, je le gagne en tendresse de cœur, et mon cœur déborde, et mess yeux pleurent. J'écrirai peut-être à l'Empereur. Ce sera mes résolution soudaine, car par réflexion je ne le ferais pas.
Je me suis fait lire votre discours, très beau, mais la fin n’a pas été de mon goût Nous avons sur certaines choses des gouts différents, et j’ai trouvé le moment mal[ ?]. La Prusse ne se joindra pas encore à l’alliance. C’est le plaisir de trainer, car il faudra bien qu’elle y arrive. Je ne puis pas continuer. Je suis trop faible. Adieu.
194. Bruxelles, Mercredi 20 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Le Prince Gortchakoff a reçu des pleins pouvoirs pour traiter. sur les trois premiers points pas d'objections, sur le quatrième, révision du traité. Si l'on élève les prétentions de la dépêche de M. Drouin de Luys. Il se retire de la conférence. Décidément nous ne céderons pas sur ce point. Nous tenons Sébastopol, qu'on nous le prenne. Meyendorff est très péremptoire sur ce point, aussi, pas de commission de cette nature-là.
La vive opposition au Foreign unlistement bill provient. de ce qu’on croit que le Prince Albert y a le doit dans l’intérêt des Allemands. C’est très impopulaire. Jeudi 21. Je n’ai pas pu continuer hier, je me suis trouvé mal. L'heure de la poste a passé. Je n’ai pas encore écrit. Je flotte entre le direct & l’indirect dirait, ce sera sans doute celui-ci.
Avez-vous lu le Times du 18 ? La correspondance de l’armée. Quel était pitoyable, quel tableau il en fait. Cholera, dénuement, dans l’armée anglaise. misères de tout sortes ! C’est très curieux à lire tâchez de l’avoir. Cela vaut la peine que vous y prendrez. Kisseleff est très malade. comme moi. Cet atroce climat.
Le général Osten Sacken est mort en Crimée à la tête de 36 m grenadiers, corps d’élite après la garde impériale. Je ne vois pas que les opérations avancent. Le Times dit que le Choléra enlève tous les jours 80 hommes dans l’armée anglaise. Adieu, je suis très faible depuis 3 jours dans mon lit. La[ ?] m’y a laissé hier. Adieu. Adieu. Flahaut arrive à Paris demain. Voyez-le et parlez lui de moi. Et puis parlez moi de lui. Tous vos numéros m’arrivent régulièrement.
195. Bruxelles, Samedi 23 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Très malade hier. Aujourd’hui. un peu mieux, parce qu’après 3 nuits d'insomnie j’ai un peu dormi, j’ai écrit directement. puisque M. le recommandait. J’ai cru au fond que c’était plus sûr. J’ai conjuré de n'en garder le secret.
" On m’envoie tous les jours le bulletin sur l’Impératrice. Elle va mieux mais l’inquiétude n’a pas cessé. L'Emp. fait revenir ses fils, on le lui a annoncé avant-hier. C’est la comtesse Brandsburg qui me transmet tout cela. Je n’ai pas encore écrit un mot à Constantin. J’ai eu hier de lui une lettre où il emplore son pardon. A la bonne heure. Les nouvelles diplomatiques sont mauvaises. Cette affaire n’ira pas. Comment voulez-vous que nous souffrions qu'on nous parle de Sébastopol ? Qu'on le prenne d’abord, mais on ne peut pas nous demander de nous reconnaitre vaincus quand nous ne le sommes pas. Je doute qu'il y ait même le semblant d'une conférence. La démarche de la Prusse à Londres et à Paris restera parfaitement stérile. Cela ne mène à rien. Je vous prie continuez vos lettres, elles sont ma seule consolation. Je suis bien malade mais je serais encore en état d’aller trouver Andral. Adieu. Adieu.
196. Bruxelles, Dimanche 24 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Il faudra donc finir cette année & commencer l’autre dans l’exil. Jamais je n’aurais cru cela possible, ni possible de le supporter. et je vis encore. Je ne parviens pas à fixer mon attention sur ce qui se passe, quoique ce soit bien grand, bien terrible. Je pense cependant beaucoup à l’Impératrice. On me dit qu'à Berlin, cette préoccupation domine tout à fait la politique. On ne s’inquiète que des bulletins. de Patchina. Le retour des grands ducs me parait une mesure extrême et qui prouve le danger où l’on croit leur mère J’ai vu hier quelqu’un arrivant de Vienne. Tout à la guerre et les préparatifs formidables. Le public très mécontent, très russe. Gortchakoff inquiète. Il y a des gens qui croient qu'il est ou qu'il va devenir fou. C’est très possible tel que je le connais. Et j’ai toujours trouvé qu'on avait fait là un choix malheureux.
De bien grands éloges de Bourqueney, mon rapporteur l’a vu et beaucoup cause avec lui. Tous les jours je me persuade davantage de notre ardent désir de la paix, mais de l'humiliation, nous ne l'endurerons pas. Je le répète, nous ne sommes pas battus. Je vais toujours mal, & pas de sommeil. Quand je cause, je m'anime, mais hors de là je tombe.
Ah si j’avais Marion. Cerini, ou rien, c’est tout un. Adieu. Adieu.
197. Bruxelles, Lundi 25 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Il est superflu sans doute de vous recommander de ne pas dire que j’ai écrit directement. Mais j’aime mieux cependant vous faire souvenir, que ce fait s’il venait à être comme plus loin ne me serait jamais pardonné. Et tous les commérages font leur chemin. Je mène une vie bien triste. Van Praet est maintenant entraîné dans des dîners, il ne vient pas tous les soirs. Quand il ne vient pas, je reste seule. Concevez-vous ce supplice pour moi. Hier, j’ai pris le bras d’Emilie pour faire le tour de mon salon, car je ne marche plus sans un bras. Cerini était en soirée, elle y est beaucoup. Elle ne m’est vraiment bonne à rien. Elle ne s’en doute pas.
Il me prend des révoltes de cœur, de raison. Comment suis-je abandonnée ainsi. Comment ai-je mérité d’être traitée aussi. Les événements du jour ne me touchent plus. Comme ils ne mènent pas à la paix, je ne saurais m’y intéresser. Ainsi tout ce qui vous anime à Paris est bien peu de chose pour moi. J’ai pitié de moi-même & je me répète plus souvent ce que je vous ai dit une fois. il serait plus simple de mourir.
Adieu. Adieu.
198. Bruxelles, Mardi 26 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’attends, j’attends et j’attends après avoir dit cela je ne sais plus que dire. Je n'ai jamais manqué de vous écrire que le 20 et le 22.
Je ne sais rien. On croit que Gortchakoff, & les Occidentaux y se rencontreront par hasard et entameront un peu de parlage. De conférences, il n'en est pas question. Tout cela marche aussi pauvrement, aussi gauchement qu’a marché toute l’affaire. Et a propos de cela il me parait que la mienne y ressemble comme deux gouttes d’eau. Chaque pas m'enfonce & me recule. Je fais ce qu'on me conseille de faire. Je n’ai plus ma liberté de jugement. Je ne comprends rien. P. 2. Vous me dites que vous avez lu. Qu'avez-vous pu lire ? Je ne m'en fais pas une idée. Des soupçons oui, mais des faits ? L'Anglais est bien l'animal le plus soupçonneux de la terre.
Je suis curieuse du discours d'aujourd’hui si je suis encore curieuse d’autre chose que de moi. Adieu. Vous et moi nous nous impatientons bien, à quoi sert d’avoir de l’esprit. Adieu. Adieu.
La codéine me gâterait l’estomac dit le Médecin et c’est toujours la partie faible. Remarquez que mes insomnies c’est ma tête. Chez vos filles c’était autre chose. Guérissez ma tête. Adieu. Adieu.
199. Bruxelles, Mercredi 27 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Vous savez mon bonheur, mon passeport & séjour sans terme. Après ma joie je pense à la vôtre. Mais tout de suite après je songe avec effroi aux tribulations qui s’attendent bien loin. Cela sera rude à traverser ! Il me faut quelques jours d’arrangements ici et surtout à Paris. Je vous tiendrai informé du moment, dans ce moment. J’ai la tête pleine, je n’en puis plus. Ecrivez-moi. Je trouve le discours modéré et très convenable. Adieu. Adieu.
1. Paris, Vendredi 24 février 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
J'avais résolu de ne pas vous dire un mot de mon chagrin et de mon vide. Cela ne se peut pas. Il y aurait trop de mensonge dans le silence. Mais je ne vous en dirais pas plus long qu'hier matin, en vous quittant. Que Dieu vous garde et vous ramène. Je reste à Paris et vous êtes à Bruxelles. Sans vous, Paris, pour moi, c’est Bruxelles pour vous.
Hier matin, l’Académie. Tout le monde y était, sauf le Duc de Noailles. Dupin m'a demandé si vous étiez partie, avec des paroles de regret et s'excusant de n'être pas allé vous voir ces derniers jours. Je le soupçonne, un peu de n'avoir pas voulu être classé parmi les complices de la Russie. Peu de conversation politique. L’Académie commence à s'occuper du jugement des prix qu’elle a à donner cette année. C'est son coup de feu. Cela la distrait des autres.
Le soir quelques personnes chez moi, entre autres, le Duc de Broglie et son fils. Broglie était venu me voir la veille, et m’avait touché. Après m'avoir parlé de toutes choses, il m'avait dit, d’un bon d’amitié aussi vraie qu’embarrassée " Vous allez vous trouver bien seul ; venez nous voir plus souvent ; nous sommes chez nous tous les jours, les dimanche et lundi chez moi, les mardi, jeudi et samedi chez Mad. d'Haussonville la mère, les mercredi et vendredi chez ma fille et chez Mad. de Stael ; vous aurez toujours là de quoi causer avec des amis. Et puis, venez dîner toutes les fois que vous voudrez, avec Guillaume." Je lui ai serré la main de bon cœur.
On ne parlait que de deux choses l’entrée de l’Autriche dans l'alliance et le soulèvement des Chrétiens de Turquie. Deux grosses choses. On ne sait précisément et certainement ni l’une ni l’autre ; mais on les accueille l’une et l’autre avec faveur, comme des espérances ou des moyens de retour à la paix qui est toujours l'idée fixe de ce pays-ci. Je me trompe ; on parlait un peu d’une deux jours. Moins nombreuses qu’on ne l’avait dit ; mais on en annonçait d'autres. On dit, aussi que quelques personnes seront engagées à aller à la campagne. " à quelle compagne ? - Oh,à leur propre campagne, chez elles, hors de Paris seulement. "
Je ne suppose elle serait bien superflue ; je n'attends que le retour de ma fille Pauline pour m'en aller au Val Richer.
A onze heures, je suis allé signer le contrat de la petite La Redorte. Une cohue immense ; 1700 personnes invitées ; l’ennui de la queue m’a pris ; il faisait sec et pas froid ; j'ai laissé là ma voiture et j’ai été à pied. En arrivant, sur l'escalier, 2 ou 300 personnes montant, 2 ou 300 descendant ; tout le monde de connaissance, étrangers et Français ; quelques rares légitimistes. J’ai vu la Maréchale et La Redorte qui donnait le bras à sa fille ; très jolie. Il m’avait rencontré dans le premier salon ; il est revenu sur ses pas avec sa fille : " Ma fille veut vous bien voir et vous remercier d'être venu."
J’ai mis dix minutes à redescendre l'escalier. Au bas, j’ai rencontré Thiers qui attendait : " N'est-ce pas, lui ai-je dit, que la patience est la plus difficile des vertus ? - Oui ; pourtant, on l’apprend avec l’âge. - Comme on apprend ce qu’on subit." J'étais dans mon lit à minuit. J'espère que vous étiez depuis longtemps dans le vôtre. J’ai joui pour vous du beau temps de la journée. Adieu, adieu. Pour combien de temps ? Adieu. G.
2. Paris, Samedi 25 février 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Midi.
Je comptais avoir ce matin des nouvelles de votre arrivée. Elles ne sont pas encore venues. Je pars pour l'Académie que je préside le samedi, et de bonne heure. Hier matin, Duchâtel et des Américains, le nouveau ministre. des Etats-Unis à Pétersbourg. M. Seymour. Le soir, chez Mad. de Staël, le Duc de Broglie, Viel-Castel, Langsdorff, Rumpff, Sahune, George d'Harcourt, Mérode. Point de nouvelles du dehors. Les arrestations au dedans faisaient les frais de la conversation. Il y en a eu de nouvelles hier. De plus, M. de Persigny a fait venir les président de trois principaux Clubs, le Prince de Chablais, M. de Biron et un troisième, et leur a, en termes très polis, mais très péremptoires, recommandé plus de réserve dans les propos et les entretiens des Clubs. On a affiché dans les salles : « On ne parle point politique. "
Je doute que l’article du Journal de St Pétersbourg pour justifier l'affaire de Sinope par votre ignorance du texte in extenso de la dépêche anglaise du 27 décembre, produise un bon effet. On n’a pas bonne grâce à dire : « Que ne m’avez-vous montré en détail, et par écrit, toute votre résolution ? Si j’avais su, mot pour mot, combien vous étiez fâchés, j'aurais peut-être agi autrement. " On disait hier soir que l'emprunt n'était pas encore conclu que Rothschild attendait la résolution définitive et complète de l’Autriche. Adieu, Adieu. G.
3. Paris, Dimanche 26 février 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’ai trouvé votre lettre hier soir, en rentrant à dix heures et demie. J'en étais bien pressé. Votre tristesse m'attriste et me plaît. Lequel des deux davantage ? Je n’en sais rien. Le 24 s'est passé très paisiblement. Les précautions du gouvernement ont atteint leur but. On n'est pas venu dans les rues, et on sera plus réservé dans les Clubs. Quoique les préparatifs de guerre soient peu bruyants, ils se font pourtant, et quoique la guerre ne soit pas plus populaire qu’il y a deux mois, on s’y accoutume.
M. de Witt m’écrit d'Hyères : “ Il faut reconnaître que jusqu'ici le retour aux préoccupations politiques ne s'est point tourné contre le gouvernement. On ne le rend point responsable de la guerre. La publicité bonne aux pièces diplomatiques a flatté le public, et il approuve l'Empereur de sang froid et comme par raison. La guerre est pour lui affaire de devoir, non de passion ou de plaisir. Ce n’est plus la gloire de la France, c’est l’équilibre Europe qu’on défend. " Je crois que cela est bien observé, et que telle est réellement, surtout en province, la disposition du public.
Le maréchal St Arnaud va mieux ; il est monté à cheval avant hier. C'est décidément lui, dit-on, qui commandera le corps expédition naire, entonné des généraux Pélissier, Bosquet et d'Assonville. Le général Canrobert reste à Paris pour faire l’intérieur du Ministère de la guerre. En fait de mesures financières, on dit que le message du 2 Mars annoncera le rétablissement de l'impôt du sel et d'un certain nombre de centimes dont la contribution foncière avait été dégénérée, il y a trois ans, quand M. Fould était aux finances. On calcule que ces mesures augmenteront le revenu de 50 ou 60 millions à l'aide desquels on se promet de faire les emprunts dont on aura besoin.
Je ne sache pas quel Rothschild ait encore conclu. Voilà tout ce que je sais. J’ai vu peu de monde hier, Broglie et Dupin à l'Académie, Mad. Mollien en en sortant. Elle avait des nouvelles de la Reine Marie-Amélie que les troubles d’Espagne pourraient bien faire revenir plutôt en Angleterre. Elle ne veut pas se trouver au milieu d’un chaos Espagnol.
J’ai dîné chez ma fille. Le soir, une visite chez Mad. de Rémusat. J'étais dans mon lit à dix heures et demie. Je comprends les préférences affichées de votre Empereur pour M. de Castelbajac. Ces petites habiletés aident à la bonne politique, mais ne la remplacent pas. L'alliance Anglo Française résistera à la mine gracieuse ou disgracieuse pour les deux ministres partants. Je lis les mémoires de St Aulaire sur les affaires d'Orient en 1840. Ils m'amusent beaucoup. Rien de nouveau sous le soleil. Adieu.
J'espère qu’il fait beau à Bruxelles comme à Paris. Parlez quelquefois de moi, je vous prie, à la Princesse Kotschoubey J’ai envie qu’elle pense quelquefois à moi. Vous écrirez un jour à Marion. Il ne faut pas qu’elle croie que vous ne vous souciez plus d’elle. Adieu, adieu. G.
