Votre recherche dans le corpus : 79 résultats dans 5770 notices du site.
Paris, le 22 septembre [1860], le comte Randon à François Guizot
Alger, le 26 novembre 1856, le comte Randon à François Guizot
Paris, le 8 octobre 1835, le général Allard à François Guizot
Paris, le 1er septembre 1834, le comte Gérard à François Guizot
Paris, le 16 novembre 1860, Hugues-Iéna Darcy à François Guizot
Paris, le 5 novembre 1868, Général Chabaud-Latour à François Guizot
Paris, le 11 décembre [1859], le comte Randon à François Guizot
Claremont, le 25 février 1857, François d'Orléans à François Guizot
Alger, le 17 décembre 1847, Henri d'Orléans à François Guizot
Saint Cloud, le 23 septembre 1847, Henri d'Orléans à François Guizot
Saint Cloud, le 23 septembre 1847, Henri d'Orléans à François Guizot
Saint Cloud, le 1er septembre 1847, Henri d'Orléans à François Guizot
Saint Cloud, le 25 août 1847, Henri d'Orléans à François Guizot
Eu, le 21 août 1847, Henri d'Orléans à François Guizot
Villiers, le 15 août 1847, Henri d'Orléans à François Guizot
194. Bruxelles, Mercredi 20 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Le Prince Gortchakoff a reçu des pleins pouvoirs pour traiter. sur les trois premiers points pas d'objections, sur le quatrième, révision du traité. Si l'on élève les prétentions de la dépêche de M. Drouin de Luys. Il se retire de la conférence. Décidément nous ne céderons pas sur ce point. Nous tenons Sébastopol, qu'on nous le prenne. Meyendorff est très péremptoire sur ce point, aussi, pas de commission de cette nature-là.
La vive opposition au Foreign unlistement bill provient. de ce qu’on croit que le Prince Albert y a le doit dans l’intérêt des Allemands. C’est très impopulaire. Jeudi 21. Je n’ai pas pu continuer hier, je me suis trouvé mal. L'heure de la poste a passé. Je n’ai pas encore écrit. Je flotte entre le direct & l’indirect dirait, ce sera sans doute celui-ci.
Avez-vous lu le Times du 18 ? La correspondance de l’armée. Quel était pitoyable, quel tableau il en fait. Cholera, dénuement, dans l’armée anglaise. misères de tout sortes ! C’est très curieux à lire tâchez de l’avoir. Cela vaut la peine que vous y prendrez. Kisseleff est très malade. comme moi. Cet atroce climat.
Le général Osten Sacken est mort en Crimée à la tête de 36 m grenadiers, corps d’élite après la garde impériale. Je ne vois pas que les opérations avancent. Le Times dit que le Choléra enlève tous les jours 80 hommes dans l’armée anglaise. Adieu, je suis très faible depuis 3 jours dans mon lit. La[ ?] m’y a laissé hier. Adieu. Adieu. Flahaut arrive à Paris demain. Voyez-le et parlez lui de moi. Et puis parlez moi de lui. Tous vos numéros m’arrivent régulièrement.
232. Paris, Mercredi 20 décembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Pourquoi n’ai-je pas eu de lettre hier ? En temps ordinaire, une lacune d’un jour ne m'inquiéterait pas ; mais aujourd’hui tout m'inquiète. Je suis bien pressé de la porte d'aujourd’hui.
J’ai vu hier Montebello, il fera aujourd’hui, de votre lettre, l’usage que vous désirez. J’ai achevé de le mettre bien au courant. Il a encore son fils, le marin, pour quelques jours, et le second fait, ces jours-ci même, ses examens pour entrer à l'Ecole militaire.
On veut avoir un grand nombre de jeunes officiers à sa disposition. On a plus que doublé le chiffre des admissions à l'Ecole. Montebello ne savait rien d'ailleurs, ni aucune des personnes que j'ai vues. La guerre, en se prolongeant ne gagne pas en popularité. On m’a dit hier soir que le projet de loi pour le nouvel emprunt avait été porté le matin au Conseil d'Etat. On n'en savait pas le chiffre.
A en croire les apparences, le cabinet anglais s'est créé une assez grosse difficulté, en demandant à former une légion étrangère. L'opposition à ce sujet est bien absurde. Pour quoi n'épargnerait-il pas les vies et les douleurs anglaises s’il trouve au loin de bons soldats à employer au loin ? J’ai peine à croire du reste que l’embarras soit sérieux.
Une heure
On me dit qu’il sera sérieux. Je viens de voir deux ou trois personnes, et des lettres de Londres qui croient à la chute du Cabinet. Je n'y crois pas. Ce serait trop absurde. Pourtant je ne crois plus qu'aucune absurdité soit impossible. Ce serait l'Angleterre livrée à Lord John et à Lord Palmerston, et à sa passion populaire du moment. Nous saurons bientôt ce qui en est. Mais je suis bien plus pressé d'avoir une lettre de Bruxelles. Pourquoi n'est-elle pas encore venue ?
2 heures
La voilà. Je craignais bien cette attaque de bile. Je vous le demande en grâce, par affection pour moi, ayez du courage, vous êtes bien triste, vous avez bien des raisons d'être triste ; mais il y a des maux bien pires. Et si vous avez du courage les vôtres, les nôtres ne deviendront pas pires. J’attends votre réponse à ma lettre d’hier. Vous aurez vu que j’avais, sur la lettre à écrire, la même impression que vous. Je crois qu’on doit et qu’on peut vous en dispenser. Montebello doit venir me voir ce soir, ou demain matin, après sa visite. Nous verrons ce qu’on peut attendre de ce côté. Adieu. Adieu. G.
231. Paris, Mardi 19 décembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Quand je vous dirai que vos quelques lignes d’hier m’ont désolé, je vous dirai bien peu. Les paroles sont si peu. Et des paroles de loin. Je trouve que vous avez raison de ne pas faire une démarche directe pour un demi-résultat. Je vous aime fière dans votre tristesse. Je ne puis pas ne pas croire que si vous voulez accepter le demi-résultat, vous l'aurez sans le demander directement. C'est bien le moins qu’on vous doive, après vous avoir promis tout autre chose. Je tiens pour impossible que M. et F. ne s'y emploient pas efficacement. Maintenant faut-il insister auprès d'eux. Voulez-vous de ce demi résultat, obtenu sans la demander directement. Voulez-vous aller passer l'hiver à Nice, ou à Pau, en traversant la France et en vous arrêtant quinze jours à Paris pour consulter votre médecin ? Je tourne et retourne dans mon âme cette question-là. Si votre santé continue à souffrir du climat de Bruxelles, si l’hiver, qui n’a pas encore commencé, devient rude, si vous ne parvenez pas à vous défendre là du froid et de l'humidité, assez pour ne pas être vraiment malade, il n’y a pas à hésiter ; il faut aller passer l'hiver dans le midi et agir indirectement pour l'obtenir. A votre ennui. Le climat vaudra beaucoup mieux cela, une chance est toujours attachée, une bonne chance qui sait ce qui arrivera quand vous passerez par Paris, pendant les quelques jours que vous y passerez ? Sébastopol peut être pris pendant ce temps-là, et alors ! … Vous voyez que je ne compte pour rien le triste plaisir de nous voir un moment pour nous séparer sitôt. C'est votre santé qu’il faut consulter ; si elle a absolument besoin du midi, le midi à tout prix. Je dis à tout prix, car je ne me dissimule pas qu’à Nice ou à Pau, vous aurez comme société, comme conversation, moins de ressources qu’à Bruxelles. Point de diplomates, ni petits, ni grands ; point d'atmosphère politique, point de passants. Des indigènes qui vous ennuieront, des étrangers malades qui ne vous distrairont pas. Paris plus loin. Je résume en quelques mots ce qui nous fournirait d’interminables conversations si nous causions. L'affection remplit de charme le rabâchage, et on n’a tout dit que lorsqu’on a rabâché. Mais enfin, pesez, comme je le fais tous ces pour et ces contre votre santé avant tout. Seulement, pour votre santé, tenez compte de votre ennui. Le climat vaudra beaucoup mieux dans le midi, l'ennui y sera plus grand. Mais ne vous permettez pas le laisser aller désespéré, les sentiments sinistres. Puisque vous savez combien je vous aime, vous ne pouvez pas vous les permettre. Ceci est un défilé détestable, déplorable, avec de la patience et du courage, nous le passerons ; nous arriverons à la paix ; et la paix revenue, vous n'aurez plus besoin de la bonté, ni peur de la timidité de personne. J’ai eu ce matin, indirectement des nouvelles de Hübner ; il est plein de confiance dans la paix, convaincu qu’on la désire ici, que votre Empereur la désire vivement, et qu’il faudra bien que l'Angleterre l'accepte. Mais je vois bien, sans qu’il le dise, que c’est toujours sous la condition de Sébastopol pris. On croit généralement à une grande attaque prochaine, bataille contre l’armée Russe, assaut contre la place. Nos troupes le demandent à grands cris l'immobilité dans la boue leur est insupportable.
J’ai passé hier chez Montebello sans le trouver. Je viens de lui écrire pour le prier de venir me voir avant dîner, ou demain matin. Il faut qu’il cause avec M. Mais dites-moi votre dernier mot en réponse à mes questions. Je n'irai revoir M. et lui dire que vous vous refuserez à la démarche directe pour un demi résultat, que lorsque je saurai positivement. Si vous voulez, ou non, du demi-résultat. J’ai dîné hier chez le chancelier ; Noailles, Villemain, Cousin, duc de Fésenzac, Flavigny, Vitet & Pure conversation académique. J’ai pourtant causé de vous avec le Duc de Noailles. Je suis rentré de bonne heure pour me coucher, et j'aurais mieux fait de ne pas sortir. Je me renrhume. Pour ma santé, le Val Richer vaut beaucoup mieux que Paris. Adieu, dearest, Adieu. G
Mots-clés : Absence, Amour, Armée, Conversation, Diplomatie, Femme (diplomatie), France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Nicolas I (1796-1855 ; empereur de Russie), Politique (Angleterre), Politique (Russie), Portrait (Dorothée), Relation François-Dorothée, Réseau académique, Réseau social et politique, Salon, Santé (Dorothée), Santé (François), Tristesse
225. Paris, Mercredi 13 décembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Votre lettre ne m'est arrivée hier que tard, et j’ai reçu hier aussi seulement les livres que vous m'avez envoyés, et dont je vous remercie. Les préoccupations sont toujours les mêmes. Votre Empereur veut-il réellement la paix ? L'Empereur Nap veut-il réellement la paix ? Personne ne sait répondre positivement. Pour mon compte, je suis disposé à dire, ou pour l’un et pour l'autre ; car à mon avis, ils ont l’un et l'autre un grand intérêt à la paix. Votre Empereur en a besoin, car il ne peut résister à toute l'Europe, et pour l'Empereur Nap ce sera un succès capital de rétablir la paix après avoir fait la guerre avec éclat. Mais à quelles conditions ? Si Sébastopol était pris, tout serait bien plus facile, car les Anglais disent toujours : we must have Sébastopol, et pour eux, l'[?] est là. Mais Sébastopol n’est pas pris et ne le sera probablement pas avant le printemps prochain. Comment suppléer à ce fait ? On dit que la limitation, pour tous les Etats du nombre de vaisseaux de guerre que chacun d'eux pourra entretenir, ou faire entrer dans la Mer Noire devenue libre, serait considérée à Londres, et ici comme une des garanties les plus efficaces, et que votre Empereur pourrait l'accepter. Tenez pour certain que, tant que Sébastopol ne sera pas pris, on me déplait beaucoup. J’ai peur que Mad. exigera beaucoup plus de vous. On parle d’un arrangement qui assimilerait la libre navigation du Danube et de ses embouchures à celle du Rhin, en lui donnant pour garantie l'établissement d’une commission mixte et permanente qui veillerait incessamment au maintien de cette liberté, et à l'abolition de tous les obstacles que vous pourriez lui susciter. Vous accepteriez sans doute aussi cela. Bref, dans notre public, on cherche, et on cherche sincèrement car on désire de plus en plus la paix, tout en étant décidé à faire la guerre tant que les conditions de la paix ne seront pas telles que l'Angleterre s'en contente comme nous. Le discours de la Reine Victoria est bien guerrier dans sa simplicité brève. Pas un mot sur les chances de paix. Je n'attendais pas plus de paroles sur le traité autrichien. Le texte sera public dans deux jours. Ceux qui s’en félicitent le plus n'osent pas s'en vanter. Le courage manque là au bon sens.
Votre nouvelle sur l’avis qu'a reçu Barrot me déplait beaucoup. J’ai peur que Mad. Chrept ne soit la cause de la mesure. Elle a passé et repassé ici sous un nom supposé. Je n'entends pas dire qu’il soit question de renvoyer Mad. Kalergis. J’attends bien impatiemment de savoir si vous avez écrit à M. sur Nice. Vous me le direz probablement aujourd’hui.
Une heure.
Décidément, on ne m’apporte vos lettres que tard. Je vais à l'Académie faire et entendre des lectures pour la séance que je dois présider samedi prochain. Adieu, Adieu. G
Mots-clés : Académie des sciences morales et politiques, Armée, Conditions matérielles de la correspondance, Femme (diplomatie), France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Marine, Napoléon III (1808-1873 ; empereur des Français), Nicolas I (1796-1855 ; empereur de Russie), Politique (Angleterre), Politique (Russie), Salon, Victoria (1819-1901 ; reine de Grande-Bretagne)
224. Paris, Mardi 12 décembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je n'ai guère vu hier que les candidats aux Académie, ni la guerre ni la paix, ni Pétersbourg, ni Sébastopol n'existent pour eux ; ils font un autre siège. C'est curieux à quel point chacun peut s'adonner exclusivement à ses préoccupations personnelles.
Salvandy dit beaucoup de bien du discours de Berryer qu’il a entre les mains. C’est maintenant lui, Salvandy, qui fera attendre. Cette réception n'aura pas lieu avant le milieu de Janvier.
Le public a bien envie de la paix, plus d'envie que d'espérance. L’idée qu’il faut que Sébastopol soit pris est entrée dans les esprits ; sans cela, la paix semblerait un échec. Il y a des officiers, et des officiers de rang qui écrivent ici que c’est plus aisé qu’on ne croit, que Sébastopol serait pris depuis longtemps, si l’on avait voulu, que les Généraux hésitent trop à entreprendre et veulent trop faire mousser leur succès. Je ne crois pas du tout à ce reproche ; on est encore plus pressé d'avoir le succès que de le faire mousser En tout, on se plaint des généraux, surtout de Lord Raglan. On lui attribue les pertes cruelles du régiment des gardes à la bataille d'Inkermann, comme celles de la cavalerie légères à Balaklava. On dit qu’il aurait pu soutenir les gardes et qu’il ne l’a pas fait, disant toujours que c'était une affaire d'avant postes. Ce sont les blessés de retour qui propagent les plaintes.
On m’apporte les journaux. Le dernier. rapport de Canrobert donne à croire qu’on restera longtemps immobile, si la pluie dure. Je ne vois rien de plus.
2 heures
Je n’ai pas de lettre. Elle me manque. Il m’en faut une tous les jours. Dumon sort de chez moi. Je lui ai dit vos bonnes paroles pour lui. Il en a été vraiment touché. Il parle de Nice comme tout le monde trouvant cela parfaitement naturel, nécessaire, disant que vous devrez consulter et vous reposer à Paris aussi longtemps que votre santé l'exigera, et ne comprenant pas que d'aucun côté, il puisse y avoir la moindre difficulté à vous donner les autorisations dont vous avez besoin. Aucune nouvelle. Nous attendons le discours de la Reine Victoria. Nous l'aurons dans deux heures. Adieu, Adieu. G.

Mots-clés : Académie (candidature), Académie des sciences morales et politiques, Académie française, Armée, France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Politique (Angleterre), Politique (France), Politique (Russie), Presse, Santé (Dorothée), Victoria (1819-1901 ; reine de Grande-Bretagne)
187. Bruxelles, Mardi 12 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Voici encore une occasion sure j’en profite. Quand vous m'écrirez sous couvert de Cerini faites faire l'adresse par un autre et n'employez pas votre cachet. J’attends, et j’attends. Je ne vois pas le terme. Voici l’histoire. Le 10 Nov. M. revient à Paris et me le mande, en me demandant de lui écrire de suite une lettre qu'il puisse montrer. Il la montre le 15 fête de l’Imp. On est touchée de ma lettre. On veut que je revienne. On me fait la promesse seulement comme j’ai affaire à un allié ombrageux. Laissez-moi la lettre pour que je la montre à Lord Cowley." Morny me dit l'Emp. va de suite m'envoyer le passeport. Dites-moi le jour, j'irai vous chercher au chemin de fer. Je ferai préparer votre dîner. & &. Vous savez mieux que moi le reste. La seule lettre que j’ai eu depuis de Morny est du 28. " hier 27 l’Impératrice m’a dit diabolique effet en Angleterre, mes affaires d’état, mais c’est égal je ne changerai pas, je l’ai promis. Si sur cela M. heureux & moi plus que lui. Il me dit au revoir ici. Seulement il ajoute "attendez patiemment". C’est ce petit mot qui me jette dans le désespoir. Y a-t-il un terme. Le [?] me tue.
J’ai écrit le 6 ce que vous m'avez dit d'écrire. Pas un mot. Est-ce que je com promets M. ? Je me tâte je voudrais bien savoir si je suis moi. L'objet aujourd’hui des soupçons de tout le monde ! Ah que j'espère cruellement l'importance que j’ai pu avoir, ou plutôt qu'on m’a cru.
Je demande mon repos ma santé, mes amis ; je dis volontiers adieu à toutes les correspondances à tout, pourvu qu'on me rende Paris.
Depuis le 20 Nov., le jour où vous y êtes rentré, je ne tiens plus d'impatience jusque là ma résignation était douce.
Il y a eu quelque chose de mal heureux l’arrivée de Palmerston va était prévenu cependant qu'il n'était pas de mes amis. Enfin je ne veux pas chercher les toutes. Je suis touchée de l’amitié, mais je crains qu’elle ne se fatigue ou qu’elle perde sa puissance. Je vous ai demandé si Fould était bien pour moi. Je le crois. M. se fâcherait-il si jefFrappais à cette porte.
Voici votre lettre d’hier sur ce & j’y ai répondu sujet entre autres & par ma lettre ce matin.
Je crois que chez nous on veut décidément la paix, mais il n’y aura pas moyen si on nous la rend trop dure. Nous sommes extrêmement forts du côté de l’occident. Que je voudrais que Sébastopol tombât (ne répétez pas cet horrible propos) tout serait plus facile. Mais on dit que ce sera imprenable. N'oubliez pas que le 16 Hatzfeld envoie son courrier.
Ah que je voudrais que Montebello veut me voir. Qu'il m’amène son fils. Un jour de causerie avec lui. Des paroles de vous intimes quelque direction. Ou bien le duc de Noailles ou Dumon ferait-il cela ? Mon Dieu quelqu’un à qui parler, me confier. Je suis bien malheureuse. Adieu. Adieu. Adieu. Que cette semaine en octobre a été charmante. Quel inépuisable bavardage. Quel impensable plaisir. Adieu. Vous connaissez le mot de Thiers pour chez vous. J’aime la cuisine. Je n’aime pas le cuisinier. Je ne conçois pas que ma lettre du 6 à Morny soit resté sans réponse.
6 heures
Il est peu utile, il est même dangereux de se plaindre. mais comment ne pas me plaindre au fond du cœur de la publicité donnée à tout cela lorsque M. savait à quel point je tenais au secret. Cela devait rester entre lui l’Empereur et moi. Au lieu de cela, voyez ? Quand on m'en parle, je nie que j'ai fait une démarche. Bavardage provenu de ce que je parle de mon ardent désir d’aller à Paris et que je l'écris à tout le monde. Je vous écris à toutes les heures. J’ai la fièvre. Ah si vous étiez au Val Richer comme je me soucierais que de Paris. Adieu. Adieu.
Il me semble entrevoir dans vos lettres que vous avez peu d'espoir. Au fond je ne comprends pas l’Empereur. C’est montrer trop sa subs[?] à l'Angleterre. Je lui croyais plus d'orgueil que cela. Moi à Paris qu’est-ce que je puis faire. Ne suis je pas en son pouvoir ? Enfin je ne comprends pas. Encore et toujours Adieu.
8 heures Encore un mot. Je vous ai parlé ce matin de Montebello. Il est excellent et peut être très utile. Il voit souvent Fould, ils ont souvent parlé de moi depuis mon départ. Son amitié & son témoignage ont une grande valeur parce qu'il est plein d'innocence et de sincérité. On l’aime là. Il pourrait dire bien des choses qui me seraient très utiles car j’ai toujours causé bien librement avec lui. Mettez-le au fait et je parie qu’il trouvera moyen de me servir.
Mots-clés : Armée, Conditions matérielles de la correspondance, Conversation, Correspondance, Diplomatie, Diplomatie (Angleterre), Enfants (Guizot), Femme (diplomatie), Femme (maternité), France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Nicolas I (1796-1855 ; empereur de Russie), Politique (Angleterre), Politique (Russie), Réseau social et politique
221. Paris, Vendredi 8 décembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
L’amiral Hamelin revient Bruat prend le commandement de la flotte Française. Aussi bon marin, et plus entreprenant. Vous aurez vu, dans le Moniteur, qu’il était à terre le 14, au moment où le grand ouragan a éclaté, et qu’il s'était sur le champ mis à la mer, dans un canot, pour aller rejoindre son vaisseau, ce qu’il a fait avec la plus grande peine et le plus grand péril. Le récit de cet ouragan, par un officier à bord du Napoléon, est très dramatique. Vous ne l'aurez peut-être pas remarqué.
On raconte que la Princesse Mathilde passant sur le quai des Tuileries, et apercevant un homme de sa connaissance, le duc Blanchot à qui elle avait quelque chose à dire, a fait arrêter sa voiture. Elle avait à la main en lui parlant, un petit portefeuille, et elle lui a dit : " Vous ne devineriez pas ce que j’ai là dedans ? - Quoi donc ? - Vingt cinq mille francs que l'Empereur vient de me payer. - Et pourquoi ? - J’avais parié contre lui que, quand on se battrait à l’armée, mon frère n'y resterait pas. Il a reconnu que j’avais gagné et il m’a payé."
On raconte aussi beaucoup de paroles, de colère de votre Empereur contre l'Empereur d’Autriche ; trop violentes pour que je vous les redise.
2 heures
Je reçois votre lettre trop tard pour y répondre. aujourd’hui comme vous le désirez. Je le ferai demain. Il y faut le ton et la mesure, justes. Vous avez trop d’esprit pour croire que les foudres de Constantin, quand elles éclateraient, dissiperaient les préventions dont vous êtes l'objet, les préventions résisteraient à de bien autres témoignages. Ce ne serait pas le premier exemple d’un souverain se brouillant. avec son serviteur et le maltraitant pour le mieux accréditer. Tenez pour certain que ce serait là ce qu’on dirait et ce qu’on croirait. Il faut toujours voir les choses comme elles sont Adieu, Adieu.
219. Paris, Jeudi 7 décembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Ce n’est pas un délai de trois mois qui est donné à l’Autriche pour vous amener à la paix, ou se décider elle-même à la guerre. Vous devez avoir répondu définitivement à ses nouvelles ouvertures, avant le 1er Janvier prochain. Ce terme passé, si vous n'avez pas accédé, les trois puissances alliées se concerteront immédiatement, sur les mesures militaires à prendre en commun. C'est le sens positif d’un article secret joint au traité. Les articles publics confirment ce qui a été fait ou dit jusqu'ici dans les protocoles de Vienne maintiennent les quatre bases, en réservant aux trois Puissances. La faculté de les étendre selon les événements de la guerre, déterminent avec plus de précision la portée de ces quatre bases, surtout de la dernière, chargent l’Autriche de la nouvelle sommation à vous adresser, et la lient en tous cas, aux puissances occidentales qui lui garantissent en cas de guerre, toutes ses possessions actuelles. On ne doute pas ici, dans le gouvernement que si votre réponse n’est pas favorable, l’Autriche n'entre en campagne contre vous sur le Danube, aussitôt que la France et l'Angleterre y entreront elles-mêmes.
Le délai du 1er Janvier a été assez brusquement substitué à celui de trois mois qui avait d'abord été à peu près convenu.
On a donné de Vienne à Berlin, avis de ce qu’on faisait, 48 heures avant la signature, assez tard pour qu’on n’est pas le temps de faire des objections.
La Prusse s'était décidé à se mettre d'accord avec l’Autriche parce qu’elle avait vu qu’elle serait en grande minorité dans la Diète.
Les dernières nouvelles de l’armée alliée en Crimée sont bonnes, les lettres particulières voudraient bien se combattre sans se brouiller. comme les rapports officiels. L’arrivée des renforts a rendu à nos troupes leur entrain. On s’arrange pour l'hiver. La gaieté des Français gagne et soutient les Anglais. Le Duc de Cambridge est réellement malade, malade du cerveau ; il s’est très bravement. conduit dans la journée du 5 ; mais le spectacle de la lutte et du carnage lui a frappé l’esprit au point de le déranger. Il a absolument besoin de repos.
Mon rhume va mieux, sans être tout-à-fait fini. J’ai recommencé hier à sortir. J’ai rendu une visite au Ministre des Etats-Unis d’Amérique, homme de sens qui m’a paru bien convaincu que son pays ne se mêlerait d'aucune façon, des affaires de l'Europe. Bien pour vous et décidé à être bien, sans sympathie. Le soir chez Mad. de Boigne, le chancelier, le général de la Rue, les Salvo, Mad. Mollien, Viel Castel. J’y dîne dimanche.
J’ai eu hier une longue lettre de Molé, sur les élections de l'Académie. Il appartient, corps et âme à M. de Falloux. L’intervention du nom du Duc de Broglie l’embarrasse fort. Grande confusion dans cette affaire. Les hommes voudraient bien se combattre sans se brouiller. Si le Duc de Broglie ne dit pas formellement qu’il n'en veut pas, c’est lui qui sera nommé. Molé me demande beaucoup de vos nouvelles. Une heure. J’approuve tout-à-fait votre idée. Vous venez consulter votre médecin pour aller ensuite à Nice s’il le juge nécessaire et si vous en avez la force. Cela est bon à dire partout, et ici encore plus qu'ailleurs. L’autorisation en sera plus facile à donner et à justifier auprès de ceux qui en prendront de l’humeur. Il y aurait de la barbarie à vous la refuser.
Vous me direz positivement si vous voulez qu’on réponde dans ce sens, aux questions faites à votre sujet.
Adieu, adieu. Dumon sort d’ici et me demander de vous présenter ses respects vraiment affectueux. Duchâtel arrive demain ou après-demain, pour cinq ou six jours. Adieu. G.
215. Paris, Dimanche 3 décembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Voilà donc le traité d'alliance avec l’Autriche signé. Quels en sont les termes ? Nous verrons. Mais le fait seul est capital. On s'efforce souvent d'éluder ce qu’on fait par les paroles dont on se sert ; mais on n'y réussit que bien peu. C'est le fond des actions que décide de leurs conséquences. Mon ami Bourqueney ne fait pas mal ses affaires. Sa femme doit être bien contente. Elle était beaucoup moins perplexe que lui.
Ce traité facilitera beaucoup à Aberdeen la session qui va s'ouvrir. Ne vous attendez pas à sa retraite. En faisant la guerre, il se promet toujours de faire la paix, et la Reine veut qu’il reste pour la faire en effet le jour où elle sera possible sans un grand effort d’énergie et de courage. Je ne crois pas au succès de l’intrigue Palmerstonienne ; elle est trop publique, et elle mènerait trop évidemment à la guerre révolutionnaire. Si ce que vous dit Ch. Greville est vrai, il n’y a pas là grand danger.
Les marins n'auront plus d'humeur. Ils en avaient un peu et trouvaient qu’on exigeait d'eux ce qu’ils ne pouvaient pas faire, et qu’on ne leur rendait pas justice pour ce qu’ils faisaient. M. Ducos avait plus d’une fois, porté les plaintes à l'Empereur. Les décrets du Moniteur de ce matin y mettront fin. Hamelin a bien gagné son bâton d’Amiral et Parseval Deschênes, qui ne l’a pas autant gagné, le mérite autant. Je connais la plupart des officiers qui reçoivent de l'avancement. Ce sont des hommes vraiment distingués. On ne sait pas assez à quel point le corps d’officiers de notre marine est bien composé.
A tout prendre, je trouve le discours du Roi de Prusse bon. Avec des paroles entortillées il dit franchement sa politique. Ses Chambres, le pousseront un peu, mais pas bien vivement je crois, ni de manière à l'embarrasser. Elles lui savent gré de sa loyauté envers elle-même, et elles ne veulent pas faire grand bruit.
Hier l’Académie des sciences morales et Mad. Mollien en en revenant. Longue conversation sur Claremont intéressante pour moi. La Reine ne tarit pas en éloges sur sa belle fille l'Infante Fernande vertueuse, sérieuse, pieuse, occupée de son mari, de ses enfants, de sa dévotion et de bonnes œuvres, respectée et aimée de tous. Quand faisaient. M. Ducos avait plus d’une fois, le Roi Léopold a été de Calais, il y a eu, dans la famille, un vif mouvement d'humeur ; on a eu quelque envie de quitter Claremont ; les trois Princes se sont réunis pour en délibérer. Mais le bon sens, la justice et l'opinion de la Reine ont prévalu. La Reine Victoire est toujours extrêmement bien pour eux, soigneuse avec affection. Le soir, j’ai dîné chez ma fille Henriette, et je suis rentré à 9 heures et demie pour me coucher. Je suis très enrhumé ; je tousse beaucoup. Mais j’ai bien dormi cette nuit, et j'espère qu’en restant deux jours sans sortir, je m'en débarrasserai. Quand donc vous soignerai-je aussi ?
1 heure
J’ai peine à croire au mot brute. On peut et il faut, en pareil cas, être très sûr ; mais à quoi bon être grossier ? Je vous ai envoyé hier par la voie indiquée, les livres que vous désirez. On est très content de Bourqueney pas précisément dans le cabinet des affaires étrangères, où l’on n'est jamais content que quelqu’un réussisse, mais plus haut. Je viens d'en avoir des nouvelles. Rien de précis sur le traité ; seulement, qu’il est surtout conçu dans la prévision d’une campagne des alliés. sur le Bas Danube. Adieu, Adieu. G.
Mad. Kalergis part des quelques jours ; elle avait annoncé qu’elle passerait l'hiver à Paris ; mois elle y renonce.
Mots-clés : Académie des sciences morales et politiques, Armée, Diplomatie (Angleterre), Diplomatie (France), Femme (politique), France (1852-1870, Second Empire), Marine, Politique (Angleterre), Politique (Autriche), Politique (Espagne), Politique (Prusse), Salon, Santé (Dorothée), Victoria (1819-1901 ; reine de Grande-Bretagne)
213. Paris, Vendredi 1er décembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
208. Paris, Dimanche 26 novembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je vous en conjure ne vous découragez pas ne vous abandonnez pas à une tristesse bien naturelle. Nous en viendrons à bout. Il y a bonne volonté. Bonne volonté de cœur et bonne volonté de réflexion. Mais vous savez qu’on n'aime pas à discuter et à avoir des embarras en face. Un peu de temps, pas beaucoup j'espère, et point de bruit ; les obstacles seront surmontés. Je dis point de bruit et j'insiste, car on commence à parler de votre retour. Hier soir, chez Mad. de Boigne, le nonce et Mad. de Boigne. m'ont demandé si c'était vrai ajoutant que l'Empereur Napoléon vous en avait donné l'autorisation. J’ai répondu que vous en aviez bien besoin, que vous étiez malade, qu’il vous fallait absolu ment du repos et Andral, mais que je ne croyais pas que rien fût fait. On trouve très simple que l'Empereur Nap vous autorise, et personne n'en doute. On demande ce qu'en pensera votre Empereur. Mad. de Boigne m’a dit en se penchant vers moi. " Sa position ici sera délicate." à quoi j’ai répondu : " Elle verra certainement très peu de monde si elle revient ; seulement ses amis particuliers. Je ne sais qui a mis ce bruit dans l’air. Je n'ai ouvert la bouche à personne. Est-ce un bien ou un mal ? Je ne vois pas bien. Mais Morny m’a paru désirer qu’on n'en parlât pas. Faites lui savoir qu’on en parle un peu, et que cela ne vient ni de vous, ni de vos amis. Les ennemis parleraient-ils dans l'espoir de nuire, c’est possible.
J’ai trouvé là hier soir le Chancelier. Le nonce, le général de la Rue, les Salvo, Boislecomte & &. On ne savait rien, sinon le départ de renforts vraiment considérables. Les deux divisions Dulac et de Salles forment 20 000 hommes. Avant ce gros envois, il est parti 10 ou 12 000 hommes en petits paquets, entre autres 3000 zouaves pris encore en Algérie. On est certainement décidé à prendre Sébastopol et à faire là une campagne d’hiver. Les militaires, en parlant avec une vive admiration de la bravoure indomptable des Anglais, se désolent qu’ils sachent si peu faire la guerre ; il ne se gardent pas ; ils se mettent dans de mauvaise situations ; il faut toujours venir les en tirer." Ce n’est pas le général Canrobert, c'est le général d'Alconville qui disait, à propos de la charge de cavalerie de Lord Cardigan : " C'est magnifique, mais ce n’est pas là la guerre."
Le matin, l'Académie des sciences morales, et politiques, François Delessert et d'Haubersaert. Le premier avait reçu votre chèque et en était très reconnaissant. Il m’a demandé votre adresse pour vous en remercier au nom de la famille et de la commission. On aura à 60 mille francs de souscription d'Haubersaert m’a demandé de le rappeler à votre souvenir. Toujours très sensé et très hardi dans son bon sens. C'est probablement le Duc de Broglie. qui sera nommé à l'Académie Française, en remplacement de Ste Aulaire. Il consent à être porté et il a grande faveur dans l'Académie.
2 heures
Je viens de voir quelques personnes ; mais je n’ai rien appris. On va décidément envoyer 20 000 hommes sur le Danube, pour exciter et soutenir Omer Pacha dans une campagne agressive. On avait dit que Lord Palmerston repartait demain ; mais on assure que la revue de la Garde impériale aura lieu demain et qu’il reste pour y assister. Adieu, adieu. Je n'ai rien de vous ce matin. Adieu. G.
206. Paris, Jeudi 23 novembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je n’ai vu hier que Mad. Mollien et le Duc de Broglie ; l’une ne ne racontant que Claremont, l'autre, que ses inquiétudes. Le Chancelier aussi est très noir. Il n’y a du reste encore personne ici. Avez-vous remarqué un article du Times, sur les généraux anglais tués le 5, particulièrement sur sir George Catheart ? Vraiment très beau ; une noble oraison funèbre. J’y vois le symptôme d’une profonde émotion en Angleterre. Quoique vous soyez plus durs et moins excités par la voix publique, on doit être ému aussi à Pétersbourg. Vous perdez aussi bien des généraux.
Paris était hier couvert de neige, et très sale. J’ai passé rue St Florentin. Je passe plus vite là qu'ailleurs. Quand m’y arrêterai-je ? Décidément la place Louis XV n’a pas réussi ; la complète suppression des fossés et la multiplication des passages. pour les voitures ont agrandi l’espace outre mesure et lui donnent un aspect illimité qui est désagréable. Le Palais de l’industrie et ses immenses annexes placés, après coup réussissent encore moins ; c’est tout un côté des Champs Elysées converti en un vaste hangar. Quand ce sera plein de choses et de personnes ce sera beau. Mais il faut la paix à l'Exposition de 1855 si elle se fait au milieu de la guerre, elle sera belle encore mais d’une beauté triste. La tristesse est fatale même à la beauté.
9 heures
Je reçois votre 167. Je vais m'habiller et passer chez M. avant le déjeuner. J’espère que je le trouverai. Si je ne le trouve pas je lui laisserai un mot pour lui demander à quelle heure dans la journée, je puis le rencontrer. J’ai toujours craint quelque anicroche de ce côté surtout à cause de la visite de Lord P. Mais j’espère bien que ce ne serait qu’un ménagement momentané.
1 heure
J’ai passé trois quarts d'heure avec M. L'obstacle. est bien ce que je pensais. Obstacle actif. On a parlé de vous deux ou trois fois. Des rancunes, et encore plus de méfiances. On ne saurait prendre trop de soins pour maintenir l'alliance intime et pour écarter ceux qui auraient envie de la rompre. Tout sur ce thème là. Les dispositions plus, les intentions ne sont point changées. Mais il faut un peu de patience. Il faut laisser partir. M. Plein d'amitié et de dévouement, demandant qu’on le laisse faire et assurant qu’il fera. Il ne perd aucune occasion. Il a réponse à tout. Fould est bien. J’ai dit tout ce qu’il y avait à dire, tout ce qui se pouvait dire pour soutenir, pour exciter pour presser. Mais évidemment, pour le moment, il faut attendre. On retarderait en brusquant pour avancer. Je vous répète que je crois à la sincérité du zèle et au bon résultat définitif. Je n'en suis pas moins sorti triste.
On envoie au Prince Napoléon l’ordre de retourner au siège, malade, ou bien portant. Adieu, Adieu. G.
205. Paris, Mercredi 22 novembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je trouve plus convenable que vous envoyiez directement votre bon de 500 fr. pour Mad. Verny à M. Français Delessert, (176 rue Montmartre) ; ils seront très bien reçus. J’ai oublié de vous le dire hier. Le Duc de Broglie est revenu passer la soirée avec moi. On rabâche partout. Il paraît que sur la dépense des nouveaux renforts que nous envoyons, on prend un moyen terme ; l'Angleterre se chargera du transport, et d’une partie des frais matériels la solde des troupes restera purement Française. On dit que cela a été arrangé dans un conseil d'avant hier lundi.
Ce qui revient de Crimée, rapports officiels et lettres particulières, Anglaises, ou Françaises est très favorable au général Canrobert ; on le trouve pratique, résolu, simple, actif. On dit qu’il a pour tout ce qui touche à la santé et au bien être des soldats, quelques unes des qualités bienveillantes et vigilantes du Maréchal Bugeaud. C'est le sentiment général que le mal St Arnaud est mort à propos, pour l’armée comme pour lui-même. Nos officiers admirent extrêmement la bravoure des Anglais ; ils en sont émus ; mais on trouve qu’ils ne savent pas faire la guerre. Le général Ferey, le gendre de Bugeaud, écrit qu’on prendra certainement Sébastopol que l'assaut donné et les murs emportés, il y aura, dans les rues, un siège de Saragosse, mais qu’on viendra à bout de tout, et que les troupes ont une ardeur inépuisable. Sa lettre à lui-même est pleine d’entrain. Il commande une brigade de cavalerie légère.
Le trouble était grand hier à la Bourse. Plus à cause des perspectives de l'emprunt que des nouvelles de la guerre.
Berryer sera reçu à l’Académie, le 7 ou le 14 du mois prochain.
Dans le monde littéraire et surtout théâtral (ceci n'est guère Français en ce sens) l’interdiction de la Médée de M. Legouvé fait assez de bruit. Les amis de Mlle Rachel, et de M. Fould se récrient contre un auteur qui veut se faire jouer par force et arrêt de justice. Ceux de M. Legouvé demandent pour quels nouveaux crimes on chasse du théâtre cette pauvre Médée qui en est en possession depuis tant de siècles. Pures querelles de foyer et de coulisse, auxquelles le public est très indifférent. Le public est très sérieux.
10 heures
Je viens de lire les rapports de la bataille. du 5. J’ai le cœur serré. Que de braves gens. Je connaissais sir George Catheart, et le général de Lourmel. Le Prince Gortschakoff a très bien fait de dire : " Nous sommes des Chrétiens ", mais il aurait mieux fait de ne pas dire : " C'était une attaque bête." On peut être Chrétien, et poli. Evidemment on est resté de part et d'autre un peu stupéfait de cette journée ; on a eu besoin de se reposer.
3 heures
Je n’ai rien appris de nouveau ce matin. Adieu. G. Adieu. G.
204. Paris, Mardi 21 novembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Merci du N°165 que j’ai trouvé hier soir, en arrivant, et du 166 venu ce matin. J'en attends bientôt de meilleurs encore ; mais je suis tout à fait de votre avis ne rien dire et laisser couler l'eau. J’ai déjà vu quelques personnes, ce matin. On est triste et inquiet. Le Ministre des finances, M. Bineau s'en va. Il est très malade, la poitrine attaquée, ne pouvant plus parler. Il donne ses ordres à ses employés en écrivant sur une ardoise. Il va à Hyères ou à Pise. Il aura pour successeur, M. Magne, ou M. de Germiny. Le premier est l'homme de Fould et un homme capable. Le choix est important, car il est de plus en plus question d’un nouvel emprunt. On en a débattu le chiffre dans l’un des derniers conseils 300 millions pour minimum, 600 pour maximum. Le Ministre de la guerre a voulu donner sa démission. Il s'est opposé à toute nouvelle levée d'hommes par décret impérial seulement. On a reconnu qu’il avait raison et il reste. Le corps législatif sera convoqué pour le mois de Janvier. L'Empereur a écarté absolument toute idée de faire payer par l’Angleterre les nouveaux envois de troupes. Il a dit : " Les Français ne sont pas des Suisses. Il a eu raison. Lord Palmerston passe, pour très pacifique, et cherchant plutôt des moyens d’arrangement que des chances de grandeur dans de nouvelles complications.
3 heures
Le Duc de Broglie et Vitet me sont arrivés, et s'en vont seulement à présent. Je ferme ma lettre en hâte. Ce pauvre Ste Aulaire est mort tout à coup contre l’attente des médecins, quand on ne lui croyait qu’une indisposition sans gravité. Je trouve mes amis plus tristes et plus inquiets encore que le public ; criant comme vous la paix, la paix. Mais il n’y a plus d'hermites. Vous n'en trouverez point ni Pierre, ni autre. Adieu, Adieu. G.
166. Bruxelles, Lundi 20 novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Puisque vous voilà si près il faut que je vous écrive encore aujourd’hui, quoique je n'ai rien à vous dire. S'il faut ne croire les journaux 3 généraux anglais auraient péri dans le combat du 5 outre les cinq blessés. 8 généraux c'est beaucoup, c’est énorme. Nous avons ici des nouvelles de Sébastopol du 12. Menchikoff dit qu’il ne s'était rien passé depuis le 5. Les Anglais se fortifient à Balaklava. Les travaux de siège n’avancent pas. Les dommages causés par le bombardement sont réparés chaque nuit. Voilà rien de plus.
Ces pauvres anglais qui couchent encore en plein air, et il neige ! Ils me font une pitié profonde. Je suis bien attristée de cette guerre pour tout le monde. Je suis chrétienne et je ne m’inquiète pas de ma nationalité. Pierre l’hermite s'en allait prêchant la guerre, pourquoi n'y a-t-il pas une peine l’hermite qui aille prêcher la paix ?
Ma vilaine toux continue, et ma réclusion aussi. Quand est-ce que la porte de ma prison sera ouverte ? Ne parlez de moi à personne. S'il en est besoin je vous donnerai avoir d'une promenade aux Champs Elysées. Jusque là laissez couler l’eau. Adieu. Adieu. Mon ami de Schlangenbad est excellent pour moi.
201. Val Richer, Vendredi 17 novembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’ai écrit hier à Madame de St Aulaire, avec une vraie tristesse. Après bien des années d’une simple habitude de société, son mari, depuis que nous avions fait des affaires ensemble, était devenu pour moi un véritable ami sûr, fidèle, courageux et d’un commerce doux et animé. Je regretterai beaucoup de ne pas le retrouver. Je regrette de ne pas lui avoir dit adieu. Je vous ai mandé, je crois, ce qu’il m'écrivait après la mort de sa mère : " Je ne demande plus à Dieu qu’une grace, c’est que personne ne passe avant moi. Le pauvre homme ne l’a pas obtenu. La mort de sa fille l’a abattu et la maladie l'a trouvé hors d'état de résister. Je ne sais encore aucun détail.
Votre pasteur de la rue Chauchat, M. Verny, mort en chaire à Strasbourg, a laissé une femme et une fille qui sont dit-on, des personnes distinguées, et sans pain. On fait une souscription, parmi les Protestants, pour leur faire un petit capital qui bien placé leur donne de quoi vivre. De Strasbourg, on a déjà envoyé 18 000 francs. Ne voulez-vous pas donner quelque chose, par charité d’abord, et puis pour faire acte de présence à Paris, dans votre église, où M. Verny était, parmi les riches très considéré et parmi les pauvres très populaire ? François Delessert et Léon de Bussierre sont à la tête du comité.
J’attends avec une impatience triste et sans grande curiosité, les détails de la bataille du 5. Quatre généraux Anglais blessés, le général Joymanoff tué une journée entière de lutte et tout cela pour rester dans le statu quo. Il est clair que votre sortie a été repoussée, qu’en vous repoussant le général Forest a voulu, entrer dans la place pêle-mêle, et qu’il a été repoussé à son tour. Vous voyez ce que disent les journaux Anglais du vrai motif de la visite de Palmerston à St Cloud ; s'entendre avec l'Empereur pour qu’il envoie 50 000 hommes de plus, que l’Angleterre payerait. C’est très possible, et je suis très porté à y croire. Ce qu’il y a de certain c’est qu’on travaille vivement ici sur terre et sur mer, pour envoyer, non pas quelques mille hommes, mais une armée de plus.
Que signifie cette dépêche du Standard que le Prince Gortschakoff a annoncé officiellement à Vienne que la Russie, était prête à traiter avec l’Autriche sur la base des quatre garanties ? Je ne comprends pas et je ne crois pas.
Vous aurez cette lettre-ci dimanche. Ecrivez-moi lundi matin à Paris. J’y serai lundi soir à 11 heures, et je vous écrirai de là mardi. Une seule chose me plaît du retour à Paris ; nous nous parlerons du jour au lendemain.
Midi
Voilà le 163. L'Empereur fait très bien de renvoyer à Lady Clauricard son fils. Adieu, Adieu. G.
164. Bruxelles, Vendredi 17 novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
3 h.
Si vous saviez combien j’ai été occupée ce matin et de quoi vous ne vous fâcheriez pas de ne recevoir de moi qu’un mot aujourd’hui. J’ai eu une bien bonne lettre de Morny ce matin à laquelle il a fallu que je réponde. Je suis malade. aussi. Je crache le sang depuis huit jours. J’espère que ce ne sera pas serein mais j’ai bien besoin d'Andral.
Greville m'écrit. Doyon believe the Emperor is ready to treat on the basis of the 4 points ? The french say that is not non enough. I think it would satisfy us, if we dare be satisfied.
On me dit de toutes parts que mon empereur accepte les 4 points comme base, je ne sais si c’est vrai, je suis assez portée à le croire. Nos renforts sont considérables. Vous serez obstinés, nous aussi. Ah mon dieu quand cela finira-t-il ? Adieu je n’en puis plus il me faut du repos. Adieu.
Je crois que je ne vous adresserai plus de lettre qu’à Paris. Adieu.
200. Val Richer, Mercredi 15 novembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Ce que je crains beaucoup en ce moment, ce sont les batailles inutiles. Celle du 5 m'en a un peu l’air. Vous n'avez pas été assez battus pour renoncer à vos tentatives de faire lever le siège. Pourtant le rapport du Prince Mentchikoff est court et triste. C'est sans doute en repoussant la sortie de la garnison et en la refoulant dans la place que les alliés ont eu l’air de tenter ce qu’il appelle un assaut qui n’a pas réussi. Le général Canrobert a la une rude opération pour son coup d’essai de général en chef. Les renforts vont lui arriver de tous côtés, Français et Anglais. Combien de temps les flottes pourront-elles tenir la mer. On rabâche. Que faire autre chose ?
Les articles du Times et du Morning Chronicle indiquent qu’on se prépare, si le siège ne finit pas ces jours-ci à le continuer imperturbablement malgré l'hiver, et jusqu'à ce qu’il finisse. Cela doit être possible et si ce n’est pas absolument impossible, on aura raison de le faire, n'importe à quel prix. J’ai trouvé, en écrivant Cromwell, qu'au 17e Siècle avant les amiraux Anglais et Hollandais, Blake et Tromp, on ne croyait pas possible une campagne navale d’hiver, ni dans l’un, ni dans l'autre pays. Ces deux hommes l’ont cru possible, et l’ont exécuté ; ils se sont fait la guerre hiver comme été. La chose ne doit pas être plus impossible dans la mer noire que dans l'Océan. C’est toujours l'alimentation quotidiennement assurée de l’armée qui est la grosse difficulté. Les hommes se font tuer, mais les estomacs n'attendent pas.
L’ardeur pour la guerre est toujours bien grande en Angleterre. Avez-vous remarqué ce petit fait qu’il y a plus de 1200 demandes inscrites par avance pour les commissions qui peuvent vaquer dans l’armée, tandis qu’ordinairement le nombre des demandes ne dépasse pas 100.
Midi
Nous avons toujours la même impression. Pauvre St Aulaire ! Je ne le plains pas ; il était si triste ! On dit que son gendre Langsdorff est atteint d'une tumeur cancéreuse au bras. Adieu, Adieu. G. G. L'Empereur a eu raison de nommer. Morny. J'en suis bien aise.
199. Val Richer, Mardi 14 novembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Quel chiffre ? Quand cela finira-t-il ? La neige tombe à gros flocons. Tout à l'heure les prés et les bois en seront couverts. En avez-vous autant à Bruxelles ? Cela vous fait toujours mal. Si vous étiez à Paris, vous auriez vos amis, des distractions et Andral. Je me reproche presque le courage que j’ai eu en étant d’avis que vous deviez partir. C'est un vrai déplaisir de retourner à Paris pour ne pas vous y retrouver.
J’attends des nouvelles de l'assaut. Le Moniteur disait hier comme votre grande Duchesse, le 4 ou le 5. On dit, en effet que Lord Raglan n'en veut pas. Il est épouvanté des pertes qu’il a déjà faites. Est-il vrai qu’il ait tancé, et même renvoyé Lord Cardigan ? Il paraît bien que la bravoure a été très étourdie. Certainement l'assaut sera terrible. C'est la conviction générale que nos forces sont insuffisantes. Si nous avions eu 20 ou 40 000 hommes de plus, ce serait fini depuis longtemps. Je trouve que cela perce dans les rapports des généraux. Canrobert parle des fatigues des soldats, en homme qui n'en a pas assez pour l'ouvrage à faire. On dit que c'était là le seul motif des objections de l’amiral Hamelin à l'expédition. Il demandait plus de monde.
C'est vraiment une honte pour l'administration Anglaise que l’insuffisance des secours médicaux. Si le fils du Duc de Sutherland a été quinze jours sans médecins, qu’est-ce donc des soldats ? C’est un spectacle assez frappant, au milieu de cette dislocation de l'Europe du Congrès de Vienne que le Roi Oscar élevant à Stockholm la statue du Roi son père et la dynastie Bernadotte maintenant, ouvertement sa neutralité. Les deux dynasties nouvelles, le roi Oscar en Suède, le Roi Léopold, en Belgique, sont les seules qui restent neutres tranquillement, et sans contestation.
Midi
Seconde édition, plus grosse, de la journée du 25 octobre ; une bataille à droite, une sortie à gauche. Vous n'avez pas réussi, et vous avez perdu beaucoup de monde. Mais nous en avons certainement perdu aussi. Toujours la même question : arrivera-t-il assez de renforts, et assez tôt, pour qu’on puisse tenir contre vous la campagne, et continuer le siège jusqu'à ce qu’on prenne la place ? Adieu, Adieu. G.
162. Bruxelles, Lundi 13 novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
J'ai eu hier des lettres de tous les coins, et de toute espèce. Morny était revenu à Paris, je vais lui écrire une longue lettre de Constantin en grande espérance. Je n’en tiens pas grand compte de Lord Havard qui est à Paris demandant protections pour la lettre de Clauricarde à son fils. La G. D. Marie me mande que de Sébastopol à Kalonga il n’a fait que manger comme un affamé tout ce qu’il trouvait. Les officiers Français avaient passé à Pétersbourg quelques jours très bien traités. On les a entourés à Paroslaff, je ne sais ce qu'on fera des anglais.
Kisseleff m'a annoncé hier qu’il retournerait probablement à Pétersbourg. Il est très triste. Pas de perspective pour lui. Et on lui retire les deux tiers de ses traitements. Ditto pour Brunnow qui, lui, arrive à Pétersbourg dans quelques jours.
Chaque minute doit nous apporter une grande nouvelle. L'assaut devait être donné ; Menchikoff n’aurait donc pas attaqué avant, à quoi bon alors les renforts, car ma fois à Sébastopol il sera bien plus difficile de vous en déloger, et quel matériel immense vous allez y trouver ! Les jeunes grands ducs sont allés à Sébastopol dit-on. Pauvre impératrice comme elle va trembler ! J’apprends les combats du 5. De la tuerie sans résultat. C’est affreux. Pas de lettre de vous aujourd’hui. Il fait bien froid ; mon rhume dure. Adieu. Adieu. Je suis triste.
197. Val Richer, Dimanche 12 novembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Moi aussi j’attends j'ouvre les journaux tous les matins avec précipitation. Je veux voir si nous avons fait un pas. A quoi sert que le temps passe, s'il ne nous approche pas du but. Je retournerai probablement à Paris le lundi 20. On commence à être vraiment inquiet à Paris. On parle, à ce qu’on me dit, de Changarnier, et du Maréchal Vaillant qui en a parlé à l'Empereur. Je n'en crois rien. A quoi cela servirait-il ? Il faut que Sébastopol soit pris avant la fin du mois. Le siège ne peut pas durer tout l’hiver. On parle aussi d’un nouvel emprunt ; les uns disent 600, les autres 700 millions. C’est trop tôt.
Comment un messager anglais perd-il ou oublie-t-il les dépêches de son général ? C'est inconcevable. Que de malédictions sur ce criminel étourdi ! Il y a des douleurs dont la pensée seule, sur la tête d’autrui, me bouleverse, et j’ai trouvé hier dans mes journaux, avec une joie vive, qu’un des jeunes. La Bourdonnaye l’officier de terre n’avait pas été tué à l'Alma et qu’il était revenu en France malade, mais en train de guérison. Quand la vieillesse n'endurait pas, elle affaiblit beaucoup. La séance de l’Académie a été très brillante et l'Evêque d'Orléans a eu un grand succès, grand même dans le public indifférent et plutôt disposé à la critique. On m'écrit : " Il y avait moins de prêtres que je ne m’y attendais, et la société un peu moins aristocratique que les relations de M. Dupanloup ne me l'auraient fait supposer. Cette société est encore à la campagne. J’ai aimé bien des choses dans le discours de l'Evêque, l’esprit général qui est élevé et doux, les élans d’une nature sympathique, la foi Chrétienne sans âpreté ni goût de combat, des idées fines exprimées avec une élégance abondante ; trop abondante, et beaucoup de désordre dans cette abondance. On pourrait en retrancher un bon quart et mettre le commencement à la fin et la fin au commencement, le discours n'en vaudrait que mieux. Je n’ai pas encore lu Salvandy. Il n’a pas eu de succès. Long sur long, c’est trop.
Il y a 22 candidats pour la place vacante à l'Académie. Je trouve le discours de la Reine d’Espagne, convenable dans sa soumission triste et inquiète à la souveraineté du peuple. Il y a du bon goût à Espartero de n'avoir pas chanté victoire par la bouche de la Reine vaincue. Nous allons voir comment se dessineront les Cortés et si le parti révolutionnaire monarchique résistera au parti purement révolutionnaire. Je suis porté à le croire.
Vous avez raison de rester dans votre lit si vous toussez beaucoup. Le lit est le meilleur remède contre les rhumes. Depuis que le Roi Léopold est revenu avez-vous vu son médecin ? C'est surtout de soins assidus que vous avez besoin, et rien ne peut remplacer Olliff, pouvoir exécutif d'Andral législateur. Midi.
Je ne trouve que des bruits vagues de nouvelles batailles d’assauts proclamés, et un fait certain, qu’on fait partir de nouveaux renforts. Adieu, adieu. G.
161. Bruxelles, Samedi 11 novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Personne n’est plus impatient que moi du siège de Sévastopol. Je n’en comprends plus la fin. Si la place n’a pas été prise avant l’arrivée de nos renforts, le sera t-elle après ? Est-il vrai que Naples ne veuille pas de l’assaut ? Après avoir été très fanfarons je trouve le ton des Russes devenu très modeste. Ils n’affirment rien, ils espèrent dans tous les cas ils sont contents car la résistance est & sera bonne. C'est une grande lutte, un grand spectacle, qui fait honneur à tout le monde. Les savants seulement donnent tout aux combinaisons militaires des deux parts. Mais le courage est superbe. Le mien est fini. Je ne sais pas comment supporter les mille petits maux qui m’assiègent. C’est évidement & le mauvais climat et le mauvais gite. Il faut me tirer de là, et quand ? Je n’ai point de nouvelles à vous donner. J’ai lu les deux derniers bulletins de Menchikoff du 1er & du 3 au soir. Même situation. Attaques défenses. On répare tous les jours le mal fait la veille. Les renforts étaient attendus le 4.
Je ne sais pourquoi Crept. ne donne plus ces bulletins à l’indépendance, il a parfaitement tort. Les Allemands attendent Sébastopol. Jamais le roi de Prusse ne marchera contre nous. Il pourra être détrôné, il s’est fait cette religion-là. Voilà une lettre de la G. D. Marie du 5. On pensait que ce jour là l’assaut serait donné et qu'on le saurait à Pétersbourg le 10 ou le 11 aujourd’hui. Aucune certitude sur l’issue, mais quelqu’espérance. " nous sommes toujours en possession des redoutes prises. Elles sont postées sur les hauteurs dominantes de la principale ligne de retraite de l'ennemi (je copie.) C'est une position si importante qu'il est à supposer qu'il fera tous les efforts pour les reprendre. "
Des amitiés de père & mère pour moi. Le duc de Sutherland m’a écrit une très triste lettre sur la mort de son fils, 16 jours sans médecin sans secours. Quand il les a eus il était trop lard. Il est mort le lendemain.
Les Holland ne viendront que quand Sébastopol sera pris. Ils veulent jouir de mon humiliation et pas de mon triomphe. Vous savez bien qu’il n’y aurait pas de triomphe. Je suis toujours renfermée dans ma chambre toute la tête prise. Je me fais tapissier. Tous les jours quelque nouvelle invention pour me garer des courants d’air. Le M Port. dit que les Palmerston sont priés pour résider à St Cloud. Adieu. Adieu.
196. Val Richer, Vendredi 10 novembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
160. Bruxelles, Mercredi 9 novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Quelle lettre ! Les rapports de Canrobert & de Raghan n'en annoncent pas encore le terme. Ils sont tristes plutôt. On m'écrit d'Angleterre que les rapports du 27 confiés à un officier anglais, ne sont pas arrivés. Il les a perdus ou oubliés. Jugez la désolation des familles, c'est là où se trouvait la relation du combat meurtrier du 25.
On dit à présent que c’est le 4 qui tous nos renforts devaient être arrivés. Le 2 La place n'était pas prise, ils arrivent peut être à temps pour livrer une bataille. Il faudra bien un avant ou après Sébastopol. N'êtes-vous pas épouvanté de ce sacrifice de vies humaines ?
On dit que nous n’avons pas voulu écouter les dernières dispositions de la Prusse. Cela décidera l’Allemagne. Elle ne joindra toute entière à l'Autriche si cela n’est pas fait déjà. L’Autriche a brûlé ses vaisseaux, il lui faut la guerre avec nous, car l’occasion ne lui sera jamais si belle. En attendant sur la demande de la Prusse nous avons arrêté la marche de la garde impériale & l’Autriche par représailles a retiré ses troupes de la frontière. Mais ce n’est qu’un sursis. Le Prince Gortchakoff à Vienne a demandé des explications sur les félicitations adressées à Paris & Londres à propos de la bataille de l’Alma. Bual a répondu qu’il n’avait pas d’explications à donner. Ce n’est que demain que Lord
Pal[merston arrive à Paris. On dit à Londres que c’est en décembre que l’Empereur ira en Angleterre mais l’affaire de la Crimée devrait être éclaircies avant. Or, elle peut être longue concevez-vous comme je grille en attendant. Ma santé va mal. Je reste au lit la moitié du jour, je ne suis plus sortie du tout depuis samedi ; rhume, rhumatisme, great despondancy. Adieu. Adieu.
159. Bruxelles, Mardi 7 novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Lord Howard m’a fait une longue visite. Son langage me prouve que l’opinion de Lord Lansdowne aura prévalu dans le conseil anglais à savoir que Sébastopol finit tout, si, comme on le croit là, il tombe au pouvoir des alliés. Il m’a beaucoup parlé de la paix, mais avec de grands doutes que nous nous y prêtions. Lord Clarendon venait de lui écrire une lettre fort triste sur les pertes énormes essuyées par les Anglais dans la rencontre du 25. C. Gréville m'écrit aussi sur le même ton de désolation, et l’incertitude où l’on est encore sur le nom des victimes ajoute beau coup à l’inquiétude générale. En même temps on ne connait pas le chiffre de nos forces. Mais du côté des alliés il n'y avait pas 50 000 hommes (les Turcs non compris).
La Prusse vient de faire une dernière démarche à Peters bourg pour demander l'acceptation des quatre points et conjurant de le faire avant le dénouement de Sébastopol ce qu'en effet ôterait tout caractère d’humiliation à cette acceptation si la place tombait. La réponse peut arriver à Berlin aujourd’hui. Je doute que nous cédions. L'Autriche est dans une détestable position. On ne se fis pas encore tout à fait à elle de votre côté, et chez nous vous concevez aisément le sentiment qu'on lui porte. Si Sébastopol ne tombe. pas, Bual et Bach tomberont, & c’est le parti russe qui arrivera au pouvoir. On persiste à dire que tous les généraux sont de ce parti. L’Allemagne est dans un complet désarroi. C'est un grand moment que ce moment ici. Et Sébastopol un siège mémorable. A-t-il son analogue dans l’histoire ? Je ne crois pas. Je viens de voir le roi passer à cheval pour se rendre à la Chambre. Cerini a une fenêtre qui donne de ce côté. Brokhausen est revenu & intéressant. Il parait que mon Empereur est bien changé et dans un mauvais état de santé.
Moi j’ai un rhume de poitrine effroyable. Voilà deux nuits que je ne dors pas. Je ne bouge pas de chez moi. Mon fils est allé se promener en Hollande, Adieu. Adieu.
193. Val Richer, Lundi 6 novembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
J'étais pressé hier en vous envoyant les nouvelles qui m’arrivaient ; je n’ai pas copié le dernier paragraphe. Après les mots sur le général Bosquet, officier de grand avenir, on ajoute : " Les Anglais ont d'ailleurs pris leur revanche. Dans cette même journée du 27, les assiégés ayant tenté une sortie formidable sur les lignes anglaises, (sans doute en même temps que le général Liprandi les attaquait du dehors) ont été complètement battus, et ont laissé sur le terrain mille morts, dont les corps ont été comptés (on souligne ainsi). Tout cela est glorieux, mais horriblement triste.
Les journaux que vous recevrez aujourd’hui ou demain vous donneront probablement les détails. Je vous les envoie en tous cas comme ils me viennent.
J’ai lu en entier, les rapports du Prince Mentchikoff dont je n’avais vu que de extraits. Ils sont vraiment remarquables par l'absence de forfanterie et pas l’équité. Les journaux Anglais nient que le fils de Lord Clanricard ait été pris. Le sait-on positivement de Pétersbourg ?
Avez-vous lu le discours de Lord John à Mansion house pour provoquer les souscriptions au patriotic fund en faveur des familles des tués et des blessés ? Au milieu des éloges à la bravoure et au dévouement des soldats anglais, il les félicite et il félicite le pays de ce que leurs lettres, publiées dans les journaux, ont prouvé " that our rank and file can express themselves with a degree of intelligence and property which, while it marks their good feeling, indicates how much progress has been made in education, since the last war. " Voilà la passion de la civilisation, et cela a été couvert d’applaudissements.
J’ai une longue lettre de Macaulay. Purement littéraire ; des compliments sur Cromwell. Il me dit qu’il publiera dans quelques mois son Histoire de Guillaume 3. Toute préoccupation politique personnelle du moins l'a évidemment quitté : " My health is not very good. But I do not complain. I have numerous sources off happiness, independance, liberty, leisure, book, kind friends and relations."
Il viendra à Paris, le printemps prochain, pour l'exposition. Il nous faut la paix alors, pour que tout le monde y vienne. Midi Je vais lire les rapports détaillés, sur les affaires du 15. Je commence à comprendre celles du 25 et du 26, et j'en conclus que rien n'est fini. Adieu, Adieu. G.
192. Val Richer, Dimanche 5 novembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je reviens à mon post scriptum d’hier. Tout cela est bien obscur, et c’est un grand ennui que l'obscurité dans un si grand intérêt. Trois choses que je ne comprends pas qu’il n’y ait pas un service de dépêches plus régulier et plus fréquent ; que les généraux et les amiraux n'en disent pas davantage dans leurs rapports que le gouvernement n'en dise pas davantage, si les généraux lui en disent davantage. Tout cela est de la pure malhabileté. Il faut savoir parler au public, même des affaires qui vont médiocrement. Notre public a donné la démission de la politique, mais moins de la politique extérieure que de l’intérieure. Pour la politique extérieure, il reste curieux et redeviendrait aisément animé et difficile. D’autant qu’on a soi-même surexcité plus d’une fois le vieil esprit national. Point de rapport, ou point de publication des rapports de l’amiral Hamelin sur l'affaire du 17 où les flottes, et la flotte Française en particulier, et le vaisseau amiral Français, la ville de Paris entr'autres, ont évidemment jouer le grand rôle et beaucoup souffert ! C’est inconcevable. Je dirai du silence comme du mensonge ; c’est une si bonne chose qu’il ne faut pas en abuser, car on l’use et on le décrie.
Par dessus le marché, mon journal des Débats et mon Moniteur d’hier m'ont manqué. Il n’y avait certainement rien que ne m'aient dit l'assemblée nationale et les feuilles d’Havas ; mais c’est impatientant.
Albert de Broglie, qui arrive de Paris m'écrit : " J’ai laissé Paris un peu inquiet des longueurs du siège auxquelles, on aurait du être préparé. Il n’y a point d’incertitude sur l’issue, mais un sentiment, je crois assez juste, que plus la défense des Russes sera longue, moins le coup sera décisif. pour la paix."
Albert me donne des nouvelles des St Aulaire. " Cette pauvre famille, après trois mois de tortures héroïquement supportées est, je crois à bout de forces. Elle n’a voulu voir personne encore J’ai eu un mot de Mad. d'Harcourt, et vu une lettre de Langsdorff à M. Doudan ; l’un et l'autre paisibles et désolés. " Il ne me dit pas que St Aulaire soit malade.
Serez-vous assez bonne pour remercier de ma part, le capitaine Van de Velde de sa brochure sur la guerre de Crimée qu’il a bien voulu m'envoyer à Paris et qu’on m’a renvoyée ici ? Je l’ai trouvée très claire, très intéressante et très vraisemblable pour les ignorants, comme moi.
A en juger par les extraits qu’on en a donnés à Londres et à Paris, les rapports du Prince Mentchikoff sur la bataille de l'Alma sont écrits avec dignité et convenance.
Midi
Avec les journaux, j’ai des nouvelles de Paris, de très bonne source. Je copie : " La version russe relative à l'échec éprouvé par les troupes anglaises était singulièrement exagérée ; mais peu s'en est fallu qu’elle ne fût exacte. La vérité est que le 25, le général Liprandi, à la tête d’un corps de 30 000 hommes a surpris et attaqué l'aile droite du corps d'observation des armées alliées, composée de la division Anglaise qui a été un moment très compromise. Mais l’arrivée du général Bosquet et de la division française a rétabli les choses et forcé les Russes à la retraite. Les Anglais ont fait des pertes sensibles surtout leur cavalerie. Les rapports de leurs généraux rendent l'hommage le plus complet à la valeur et à la décision de nos troupes qui ont dans cette occasion, sauvé la partie. Cette affaire fait le plus grand honneur au général Bosquet. qui paraît être un officier de grand avenir. Vous voyez que j’ai eu la même impression que vous sur les rapports du Prince Mentchikoff.
Adieu, Adieu. G. G.
158. Bruxelles, Dimanche 5 novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Lord & lady Palmerston arriveront aujourd’hui à Paris. On peut tout conjecturer. Rothschild a passé ces deux jours. Il avait dîné à St Cloud dans la semaine. Il dit que l’Empereur était de très bonne humeur et l’Impératrice embellie et engraissée. Une nouvelle dépêche du P. Menchikoff dit que " depuis le 27 au 29 les positions respectives n’avaient point changé. Les travaux de siège continuaient, mais en général le feu de l' ennemi était devenu plus faible. que par le passé. " Personne à Paris ne doute que Sébastopol ne soit pris. Constantin me parait le croire aussi. Nous avons cependant maintenant 85 m h. Là, c’est lui qui me le mande, pourquoi ne pas livrer bataille ?
Je commence à souffrir du froid. Il y a beaucoup de courants d'air dans mon appartement. Les rhumatismes vont arriver par dessus les autres maux. Fine [?].
Je n’ai pas un mot du nouvelle à vous dire. Brokhausen n’est attendu qu'aujourd’hui. Je n’ai point eu votre lettre ce matin. Adieu. Adieu.
191. Val Richer, Samedi 4 novembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Il paraît que vous dites vous mêmes à Pétersbourg, que les nouvelles du 25 du Prince Mentchikoff, annonçant un grand succès contre les Anglais, étaient fausses. Le Moniteur donne sous la même date des nouvelles très contraires, et bien cruelles pour l’intérieur de Sébastopol. Je suppose que l’amiral Hachimoff, que nous tuons aujourd’hui, n'est autre que l’amiral Kormiloff que vous avez tué, il y a quelques jours. Vos deux amiraux à la fois, ce serait trop. Quand viendra la fin de cette boucherie ?
Il serait curieux que la mission de M. de Beust et von der Pforten à Berlin aboutît à une dépêche Prussienne dure pour vous à force d’insistance pour vous rendre plus traitables. Je trouve cela dans mes journaux d’hier, et je n'en serais pas étonné. Les petits Allemands vous demandent de les tirer d’embarras par la complaisance, comme vous les en tiriez jadis par la force. Si vous ne les en tirez, ni d’une façon, ni de l'autre, ils s'en prendront à vous de leurs embarras.
Je suis porté à croire que cette concession des chemins de fer autrichiens à une compagnie Française est comme on le dit, une grosse affaire qui influera beaucoup sur les relations des deux Etats. Regardez-y bien ; quoiqu’on en ait souvent et sottement abusé, le mot civilisation n’est pas un mot vague, ni vain ; il y a, sous ce mot, une foule d’intérêts puissants qui deviennent aisément des liens puissants entre les peuples. Puissants par le bien être et par l'orgueil qu’ils satisfont également. Le goût commun et l'état semblable de la civilisation jouent, dans l'alliance Anglo-française, un plus grand rôle qu’on ne pense.
Jusqu’où les Etats-Unis feront-ils du bruit pour l'affront fait à M. Soulé ? J'en suis assez curieux. Je ne pense pas que cela aille bien loin. Au fait le gouvernement ici a eu raison ; les origines et l’ancienne vie de M. Soulé, et son affaire à Madrid, avec M. Turgot, et toutes ses allures méritaient cela. Les gouvernements ne doivent être ni susceptibles, ni insensibles aux injures.
Autre petite curiosité ; la Reine Isabelle, ouvrira-t-elle elle-même les Cortés ? Si elle ne le fait pas, cela donnera un grand élan au parti révolutionnaire dans cette assemblée ; l'absence sera une demi abdication. Si elle paraît en personne il n’y aura plus d'abdication du tout. J’ai peine à croire que l’Espagne tente la république.
Midi
Tout cela me paraît très obscur. Rien de plus ennuyeux que le mensonge. Ma conclusion est que les Anglais ont reçu un assez grave échec et que le siège continue avec les mêmes chances. Adieu, Adieu. G.
157. Bruxelles, Vendredi 3 novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Lisez en entier les rapports du P. Menchikoff. Ce n’est ni d'un barbare, ni d'un Charlatan. Je suis frappée du caractère de vérité, d’équité de ces rapports. Ils sont d'une convenance parfaite. C'est là mon impression vous me direz si je ne trompe. Vous savez que je ne suis pas disposée à trouver bien le Menchikoff. Ne croyez pas à Sébastopol emputée par le nombre de cadavres. Il est bien clair qu'on les aura jetés à la mer, elle est là. Une peine au talon & c'est fait. Nous en étions hier au 27. Le siège continuait mais plus mollement. Comment n'avez vous encore rien ? Rien depuis le 13, ici à Londres non plus ? Avez-vous remarqué l’épisode Dampierre dans le Moniteur de l’armée ? Je suis charmée de la mention ; l’action était simple.
Quand arriverons-nous au dénouement de Sébastopol ? à Londres & chez vous on croit fermement qu'il tombera. Chez nous on croit qu'il résistera. Quelqu’un aura tort. Mais comme cela tarde. Lord Howard commence à être inquiet. Je ne vous dis rien de nouveau, mais puisque ceci est écrit, je vous l’envoie. Adieu. Adieu.
190. Val Richer, Jeudi 2 novembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je ne comptais pas vous écrire aujourd’hui ; mais je veux vous dire qu’on a reçu à Paris, du 25, des nouvelles contradictoires, l’une celle des lignes anglaises, forcées et de leur cavalerie abîmée par le général Liprandi arrivé tout récemment avec son corps d’armée ; l'autre que ce même jour, 25 oct. les alliés ont fait, sur Sébastopol une grosse attaque qui a mis la place à bout de résistance. On m'écrit les deux choses ; mais je ne trouve rien du tout dans le Moniteur, et les feuilles d’Havas ne donnent que la première nouvelle la mauvaise pour nous, ce qui me fait craindre qu’elle ne soit la seule vraie. Entre le mensonge et le silence, la vérité est difficile à reconnaître. Il faut attendre. On commence évidemment à être très préoccupé des lenteurs du siège. L'alimentation des armées alliées est une grosse affaire. Il arrive tous les jours à Balaklava, 31 navires chargés, uniquement à cette intention. Il ne faudrait pas que le temps devint trop mauvais.
L’Evêque d'Orléans, sera reçu à l’Académie d’aujourd’hui, en huit jours, le 9. Il l'a demandé afin de pouvoir partir pour Rome, où il est appelé pour décréter l'immaculée conception de la Vierge.
Mlle Rachel (quel nom à mettre après ce que je viens de dire !) ne veut pas jouer Médée. Elle va en appeler du jugement du tribunal. Elle compte beaucoup, sur la protection de M. Fould.
Il y a du malheur sur les familles de mes amis. Ce pauvre Villemain à sa fille aînée, 19 ans, mourante de la poitrine. Il y a de quoi lui rendre la folie. Adieu, Adieu.
Ne soyez pas malade. Vos indispositions sont en général assez simples ; mais votre force n’est pas grande. Il vous faut un bon climat, une vie monotone. du repos d’esprit et Andral. Adieu. G. Ce que vous me dites de l’Autriche et de M. Bach est d'accord avec toutes mes conjectures. Les souverains absolus sont absolument imprévoyants ; pour se débarrasser de l’aristocratie qui les gène, ils grandissent à ses dépens, la démocratie qui les renversera après les avoir servis. S'ils avaient de l’esprit et du courage, ils feraient, à l’aristocratie comme à la démocratie, leur part dans le gouvernement, et les garderaient soigneusement toutes deux pour les limiter et les contenir l’une par l'autre. Mais qui est ce qui a la sagesse de demain ? Adieu encore.
156. Bruxelles, Mercredi 1er novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
D’abord une observation sur Votre 187. Il commence dimanche 4 heures. Plus loin midi il est clair que ceci est lundi. Hier grande joie dans l’église Russe. La dépêche du 25. Nous avons battu les Anglais. Mes demi douzaines de Russes chez moi bavardant, la nouvelle était arrivée à Crept, depuis un quart d’heure. Tout à coup Lord Howard entre, il n'y avait pas d’à propos. Les Russes s’en vont tous. L'Anglais m' a dit très simplement qu’il venait d’apprendre la nouvelle. Nous sommes restés deux heures à deviser.
2 novembre jeudi
Nouveau bulletin de Sébastopol du 26. Quatre batteries anglaises enlevées, c’est le détail de la journée du 25. Onze canons pris, 500 hommes tués. Une redoute Française détruite. Est-ce vrai tout cela ? Il est difficile de douter il parait que nos forces sont très considérables, au delà de 100 m h. Il est vraisemblable que nous livrerons une bataille avant d’attendre l’assaut. Nous nous essayons à la petite guerre, à Pétersbourg il n’y a pas l'ombre d'inquiétude pour Sébastopol. Je vous dis tout ce que j’entends dire aux Russes. Je croirais quand je verrai en attendant, votre silence est bien extraordinaire, rien d’officiel depuis le 13 !
Je crois les Américains très bien disposés pour nous. Je le sais même, mais je ne crois pas que cela nous serve, à moins que Soulé ne vous brouille avec ceux. On dit que le duc de Brabant ira passer l'hiver en Italie, cause de santé. Il tousse beaucoup comme sa mère. Nous avons eu trois journées superbes ici. Depuis hier un épais brouillard tout pareil à celui de Londres. Cerini ne sait par lire encore. Je doute qu’elle y arrive. Adieu. Adieu.
188. Val Richer, Mardi 31 octobre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Il fait le plus magnifique temps qui se puisse voir clair comme en Août doux comme en septembre. J’ai passé presque toute ma journée dans mon jardin. Ce serait charmant, si ce n'était pas les derniers beaux jours. Autrefois, l'hiver avait aussi son charme. Dieu veuille qu’il le retrouve !
La correspondance de nos généraux, Français et Anglais, ne me plaît pas. Je la trouve vague, molle, écourtée, sans caractère. Les vôtres mentent effrontément ; les nôtres ont l’air de ne savoir que dire. Je suis convaincu qu’au jour de l'action, ils feront leur devoir, et qu’ils le feront avec intelligence ; mais il n’y a évidemment là, ni une idée arrêtée, ni une volonté maîtresse. Bizarre contraste jamais guerre n'a été plus factice, plus engagée par le seul fait des hommes et de leurs démarches, bien ou mal conçues ; et l'événement une fois en train, ces hommes, qui l’ont lancé, se trainent à sa suite, languissamment, à tâtons, comme s’ils n'avaient rien prévu et préparé dans ce que seuls, ils ont décidé. On peut être mal informé et point prêt quand on est pris au dépourvu par quelque brusque et impérieuse nécessité mais il faut mieux savoir et diriger d'avantage, ce qu’on a soi-même amené ! Avez-vous quelque idée sur ce qu’il y a de vrai dans ce qu’on dit de l'activité de votre travail aux Etats-Unis et de ses effets ? On prétend que l'opinion américaine, qui vous était très hostile au commencement de cette guerre, tourne en votre faveur, grâce à vos efforts diplomatiques, financiers, commerciaux. Je ne vois pas ce changement dans le peu qui me revient des journaux américains. Mais certainement, si la guerre se prolonge, elle amènera des transformations, et des complications inattendues. La plus grave de toutes serait celle qui amènerait l’Amérique à prendre parti dans des questions purement Européennes, comme celle-ci.
En fait d’Amérique, je ne lisais pas reste ; mais vous me le ferez lire. Mes filles qui ont lu l'original disent comme vous que c’est plein d’intérêt, et charmant par le naturel, mais bien long. Lisez vous vous-même, ou Mlle de Cerini commence-t-elle à vous lire ? Je le voudrais bien. J’ai beaucoup dit à Mme de Seebach qu’elle devait s'y appliquer, car c'était là sa principale utilité.
Midi et demie
Mon facteur est pressé. J’ai à peine jeté un coup d’œil sur mes journaux. Ils ne disent pas grand chose ; mais mon impression, en les lisant, est d'accord avec ce que vous me mandez ; il n’y a pas de grands renforts et Sébastopol sera pris. Adieu, Adieu. G.
Mots-clés : Armée, Conditions matérielles de la correspondance, Correspondance, Femme (éducation), France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Lecture, Littérature, Parcs et Jardins, Politique (Analyse), Politique (Angleterre), Politique (Etats-Unis), Politique (France), Politique (Russie), Presse
187. Val Richer, Dimanche 29 octobre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
L'ordre du jour de Lord Raglan sur les médecins de son armée est bien rude, et certainement bien mérité. On ne donne pas de telles leçons à son propre monde sans une nécessité absolue. Mais il est beau de les donner. Evidemment l’armée anglaise a souffert et souffre encore beaucoup. Quant au siège même le rapport de Canrobert du 13 suffit pour prouver qu’il est difficile, et qu’il sera long. Rien n’est sûr et tout est possible. Mais je ne me lasse pas de redire que vous êtes en présence d’une obstination au moins égale à la vôtre.
Je suis bien aise que l’amiral Bruat se fasse honneur. C’est un homme d’une intelligence et d’un courage rares. Il m’a très bien secondé dans l'affaire la plus difficile, et la plus ennuyeuse que j’ai eue, celle de Taïti. C'est à lui, militairement, comme à moi politiquement, que la France doit d'avoir conservé cette possession à laquelle la Californie, l’Australie, la Chine et le Japon ouverts donnent chaque jour plus de valeur.
J'admire la promptitude de vos nouvelles, mais je ne m'accoutume pas à la lenteur des nôtres ; je ne comprends pas qu’on n'ait pas organisé un service de bateaux et d'estafettes pour faire arriver les rapports de Balaklava à Vienne aussi vite que vos courriers vont de Sébastopol à Moscou. Il est assez naturel que nos généraux en Crimée n’y pensent pas toujours ; leur action est plus importante que notre information ; mais le gouvernement aurait dû régler cela dès le début et très régulièrement. Il est très intéressé à savoir et beaucoup aussi à parler. Quand la presse n’est pas libre, c’est au pouvoir à l'alimenter. Je suis très contrarié que Morny ne soit pas encore revenu à Paris.
Midi
Je trouve les dépêches du Moniteur obscures ; elles en disent plus en un sens que le Prince Mentchikoff n’en a avoué moins dans un autre sens ; elles détruisent plus de fortifications et moins d'hommes. Du reste, je vois qu’on vient d'organiser un service pour que nous ayons des nouvelles directes tous les deux jours. Il est bien ridicule qu’on ait attendu jusqu'à aujourd’hui. Adieu, Adieu. G.
186. Val Richer, Samedi 28 octobre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Si vous n'avez pas lu tout entière la lettre d’un de nos officiers, du 39e régiment de ligne, insérée dans les Débats d’hier Vendredi, lisez-la malgré la longueur. Elle est amusante, quoique vulgaire, et à travers bien des bouffés de complaisance nationale, le tableau doit être vrai. Il n’y a point de garçonnades qui égalent, celles de Pétersbourg. Ce que je trouve de plus ridicule, dans de tels mensonges, ce n’est pas le mensonge ; c’est l'enfantillage. J’aime les enfants plus que personne. mais les hommes enfants me sont insupportables. Voilà d'abondantes récompenses pour les vainqueurs de l'Alma. Celles des généraux sont peut-être un peu promptes ; mais pour les soldats, je ne trouve rien de trop. Quand on a donné obscurément ses bras, ou ses jambes pour faire son devoir, on mérite bien un peu d’honneur et d'aisance pour ce qui reste de vie.
Les petits Etats Allemands me paraissent bien vivement préoccupés de la chance d’une rupture entre l’Autriche et la Prusse. Ils ont raison. Autrefois, les Allemands pouvaient se faire la guerre entre eux en conservant leur indépendance. Aujourd’hui s'ils se divisaient, ils ne seraient plus que les instruments des uns et des autres. Entre les grandes puissances de l'Est et de l'ouest l'Allemagne n’a pas trop de tout son poids pour rester aussi une grande puissance. Nous nous sommes moqués des puérilités de la patrie Allemande ; il y a au fond de cela une idée juste. Du reste, je ne crois pas à la rupture. L’Autriche fera des politesses et la Prusse des concessions. L'orgueil Prussien a subi bien des désagréments depuis 1848 ; je doute qu’il les repousse maintenant à coups de canon ; surtout quand les coups de canon seraient très contre la pente nationale.
Ce que vous me dites des dispositions expectantes de l’Autriche jusqu'au printemps avec ce qu'on rapporte, n’est pas d'accord de l'avis du baron de Hess qui a demandé, au dernier conseil de guerre tenu à Vienne que l’Autriche ne demeurât plus sur la défensive. Onze heures Le facteur ne m’apporte rien, et je vous dis Adieu. Est-ce que le retour du Roi Léopold ne vous enlèvera pas quelquefois Van Praet ? Adieu. G. Adieu. G.
