Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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141. Paris le 22 Septembre samedi

Vous m'avez écrit une courte lettre, mais bonne, & tendre et aimable. Vous voulez des détails sur ma santé. Certainement les mauvais jours qu'il y a eu entre nous m'ont fait du mal ; je suis très faible, très nervous, et depuis dimanche J’ai des accidents que je croyais qui n’arrivaient qu'aux jeunes filles. Vous voulez tout savoir. Vous voyez que je vous dis tout. Il en résulte que je marche à peine tout me fatigue. Je n’ai pas fait venir le médecin cependant. Lady Granville m’assure que ce ne sera rien et qu'il faut seulement me tenir plus tranquille. Je crois à Lady Granville en toutes choses. Je l'ai vue hier deux fois le matin et le soir. Le temps a été affreux, il n'y a pas un moyen de songer à sortir. Palmella m’aura attendue à Versailles.
J’ai dîné seule, très seule ; je me suis bien ennuyée après car je ne puis pas lire et mon ouvrage est une pauvre ressource. Eh bien, si vous avez raison de dire que la lettre comme le silence sont du fait de l’Empereur, que croyez-vous donc qui s’en suive ? Mon mari continuera-t-il à m'écrire ? Je suis extrêmement curieuse de la première lettre de mon frère et je suis fort étonnée de ne pas l'avoir reçue encore. A propos, mon mari avait menti, il n’a point changé de religion, les journaux allemands disent qu’arrivé à Bayreuth, où il avait fait sa première communion, il est allé droit à la même église et y a commencé après avoir été visiter la veuve d’un vieux précepteur allemand chez lequel il a passé quelques années de son enfance. Tout ceci me fait grand plaisir, et je m'en vais le lui dire.
Il n'y a pas une pauvre nouvelle ici, et je suis peu en train d'écrire, même de vous écrire, c’est beaucoup ! Je suis si lasse, si faible, mes genoux sont si faibles. Marie m'écrit de Rochecotte, Melle Henriette lui fait des confidences sur Mad. de Dino qui font, que Marie aurait grande envie de prendre la diligence et de revenir. J'espère que mon fils Alexandre sera ici à la fin de la semaine prochaine, cela me fera un bon moment, mais il sera court. Je suis bien inquiète de Mad. de Broglie. Hier M. Chomel et le général Lascours sont partis pour Broglie. On disait beaucoup qu'il y avait peu d’espoir. Quelle triste chose ! Adieu. Adieu. Je vais dîner aujourd’hui chez Lady Granville, je croise que c’est un dîner officiel pour Lord Holland. Il a eu deux heures d’entretien avec le roi. Lorsqu’il en est sorti, il a dit a damne fellow. Adieu comment faire pour reprendre des forces. C’est si bête d'être faible adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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144. Paris, le 25 Septembre 1838

Vous m'avez écrit une bien courte lettre de Broglie, j’attendrai mieux demain. Nous nous sommes promenées Lady Granville et moi hier au bois de Boulogne. Elle est très affectée de la mort de Madame de Broglie, comme l’est sincèrement tout le monde. C’était une personne bien aimée, bien admirée. J’ai été passer une heure de la soirée chez Lady Granville. On y recevait lors que j'en suis partie. Je me sens si lasse que je suis toujours pressée d’aller trouver mon lit.
Louis Bonaparte a demandé au ministre d'Angleterre en Suisse si gouvernement anglais lui permettrait de résider en Angleterre. Cela ne peut pas se défendre. Il est décidé à y aller. Cette nouvelle a fait grande joie à M. Molé. Je crois qu’elle n’est pas connue encore. Une dépêche télégraphique annonçant hier une émeute à Genève, & cette émeute dirigée contre les Français. On avait fermé les portes de la ville; Je ne vois pas cette dépêche dans les journaux de ce matin. Quand vous m'écrivez peu il me semble que je ne sais pas vous écrire du tout. Et puis je ne me sens pas bien sans cependant que je sois malade. Aussi je ne vous dis pas cela pour vous inquiéter mais pour excuser mes pauvres lettres.
Je crois que le temps est malsain, l'air ne me rafraîchit pas, & je reviens de ma promenade toujours fatiguée quoique je ne marche point. On annonce quelques anglaises ici ; l’une Lady Burghersh, est une femme d'esprit & qui a une grâce infinie. Je crois qu’elle vous plaira. Je suis bien aise quand il arrive des femmes agréables. Il en manque bien ici. Adieu, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N° 144 Vendredi soir 28 sept.

Je croyais vous avoir parlé de ma mère. Elle a été un peu souffrante. Elle est bien aujourd’hui, quoique très, très affligée. Mad. de Broglie était avec elle filialement. Mais je suis sûr que je vous en ai parlé. Ma mère d’ailleurs a une attitude admirable envers la douleur ; elle la supporte sans s’en défendre. Je n’ai jamais vu personne qui l’acceptât plus complètement sans s’y abandonner, qui en parût plus rempli et moins abattu. Elle y est comme dans son état naturel. Il n’y survient rien de nouveau pour elle et le plus ou le moins ne change pas grand chose à sa disposition, toujours triste mais toujours forte. Je l’ai fait beaucoup promener ces jours-ci. Je l’ai fatiguée. Et puis mes enfants ne la quittent guère. J’ai beaucoup travaillé ce matin. J’avais besoin aussi de me fatiguer. J’en suis convaincu comme vous. On ne comprend que les maux qu’on a soufferts. A ce titre, j’ai bien quelque droit à vous comprendre, pas assez peut-être. Il est vrai que je suis moins isolé. Que ne puis- je vous guérir au moins de ce mal-là ! L’autre resterait. Je l’ai vu rester. Mais ce serait celui-là de moins. Je ferai mieux de ne pas vous écrire ce soir. Je suis si triste moi-même que je ne dois rien valoir pour consoler personne, pas même vous que je voudrais tant consoler, un peu !

Samedi 7 heures
Je suis frappé du peu que nous pouvons, du peu que nous faisons pour les autres, et pour nous-mêmes. Dieu m’a traité plusieurs fois avec une grande faveur. Il m’a beaucoup ôté mais il m’avait beaucoup donné et souvent il m’a beaucoup rendu. J’ai reçu le bien, j’ai subi le mal. J’ai très peu fait moi-même dans ma propre destinée. Nous ne réglons pas les événements. Nous sommes pris dans les liens de notre situation. Nous oublions cela sans cesse. Nous nous promettons sans cesse que nous pourrons, que nous ferons. C’est notre plus grande erreur que l’orgueil de nos espérances. Voilà Louis Buonaparte éloigné. C’est une grande épine de moins dans le pied de M. Molé. La marque, en restera, mais pour le moment, il n’en sent plus la piqûre. Entendez-vous dire que la session soit toujours pour le 15 Décembre ?
Vous êtes bien bonne d’attendre mes lettres avec impatience. Qu’ai je à vous mander ? Point de nouvelles. Mon affection n’en est pas une. De près, tout est bon, la conversation donne une valeur à tout. De loin, si peu de choses valent la peine d’être envoyées !

9. 1/2
Je ne comprends, rien à cette incartade. Est-ce en effet une intrigue cosaque ou bien seulement quelque commérage subalterne qui sera monté haut, comme il arrive souvent aujourd’hui ? Je penche pour cette dernière conjecture. En tout cas, vous avez très bien fait d’aller droit à M. Molé. Il est impossible qu’il ne comprenne pas l’absurdité de tout cela et n’empêche pas toute sottise, au moins de ses propres journaux. Ne manquez pas de me dire la suite, s’il y en a une. Quelles
pauvretés !
Je suis bien aise que vous ayez un N°2. Je vous renverrai demain la lettre de Lord Aberdeen. Adieu. Adieu. Je reçois je ne sais combien de lettres qui me demandent des détails sur cette pauvre Mad. de Broglie. Est-il possible qu’on soit contraint de rabâcher, sur un vrai chagrin. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°146 Lundi 1 Octobre- 6 heures et demie

Mad. de Broglie est morte samedi matin. Mardi matin son mari a réuni, selon l’usage, dans la bibliothèque, toute la famille, maîtres et gens, s’est assis dans le fauteuil de sa femme, a ouvert l’évangile à la page où on était resté quand elle était là, et a fait à sa place, comme elle, la lecture et la prière. Il en fait autant tous les jours. Le culte domestique était l’habitude de le maison. Personne n’est protestant dans le village dans le pays. Mad. de Broglie, avait découvert à grand peine deux ou trois suisses ou allemands qu’elle faisait venir au château. Le curé du lieu, prêtre exact et respectable est d’un esprit court, étroit et fanatique. Il surveillait avec inquiétude Mad. de Broglie, et ne doutait pas qu’au fond, elle ne travaillât à rendre tout le pays protestant. Jamais un Ministre, un sermon, une prière de couleur protestante n’est sortie de l’intérieur du château. Tout s’y renfermait. Un prêtre protestant venu de Paris, parlant et priant au milieu de cette population toute catholique, dans ce cimetière catholiquement béni à deux pas de la petite enceinte réservée, en droit cela se pouvait; en fait cela se fût passé très paisiblement ; la population eût écouté avec approbation et respect, mais pour les dévots du lieu, pour le clergé, le trouble eût été grand. Je ne sais ce qu’ils auraient dit. On n’a pas pensé à tout cela, pas du tout. Mais on a agi sous l’influence de ces faits là. On s’est conduit selon les habitudes. La religion s’est renfermée dans la maison. On a prié, en famille, auprès du lit de mort; on a prié pour elle comme elle eût prié elle-même, comme si elle eût pu entendre. Je suis persuadée que l’idée n’est pas venue de faire autrement. Elle m’est venue à moi, et je vous l’ai dit. Mais je me suis expliqué qu’elle ne fût pas venue aux autres, et je vous l’explique comme à moi-même. Soyez sûre que c’est la vérité, et que le duc a le cœur parfaitement tranquille, qu’il croit sa femme bien et dûment reçue au sein de Dieu qu’il n’a pas cessé un instant d’être en rapport pieux avec elle. Il n’est pas léger du tout, ni d’esprit, ni de cœur.
Je ne veux pas que vous soyez blessée. Je veux que vous compreniez ce qui mérite d’être compris de vous. Mais je vous aime de votre impression, de votre colère, de votre franchise. Restez comme vous êtes et dites-moi toujours tout. Même vos intrigues politiques, quand vous en ferez. Je serais très choqué que vous en fissiez sans moi. Je vous dirai les deux ou trois petites choses qui, peut-être ont pu donner prétexte à ces ridicules commérages. A force de regarder où il n’y a rien, on finit par découvrir je ne sais qu’elle ombre qu’avec beaucoup de bonne volonté quelque passant curieux, léger, malveillant, bête, a pu transformer en un corps. Je suis persuadé qu’il n’y a rien de plus.
Je parie que le redoublement d’humeur contre l’Empereur vient de Munich. Il y est resté longtemps. Les grandes Duchesses aînées sont venues à Weymar, de là à Berlin. Le Prince Royal de Bavière y va. Il y aura là une entrevue, puis un mariage. Celui qu’on recherchait d’ici est manqué. L’Empereur aura dit et fait, à ce sujet, beaucoup de choses désagréables, offensantes. Voilà, ma conjecture. Je n’ai jamais cru que les grandes Duchesses fussent sérieusement laissées à Pétersbourg. On n’a pas voulu qu’elles vinssent, du premier saut chercher elles-mêmes des maris. On a ménagé les convenances. Mais on a cherché, les maris pour elles. Et puis elles sont venues. Et puis, et puis... Je suis fâché de deux choses ; que notre mariage soit manqué, s’il l’est et qu’il vous vienne de là quelque ennui. Mais j’espère que ce ne sera rien.

9 h. 1/2.
Ma mère est bien depuis deux jours. Elle m’appelle pour aller voir je ne sais quoi dans le jardin. Je sors avec elle autant que cela lui plait, Adieu. Adieu. Les Débats que je viens d’ouvrir ne guériront pas le chagrin de M. de Pahlen. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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148. Paris Samedi 29 Septembre

Comment, on n’a pas eu le temps ? ou bien, on n’y a pas pensé. Quand il s'agit d'une dernière prière sur la tombe d'un chrétien, & d’une femme qu'on aime ! Pardonnez-moi ce que je vais dire, mais il n'y a que des Français capables de cela. Et vous, vous-même c’est bien légèrement que vous me donnez ces excuses. Savez-vous que cela me blesse, savez-vous que moi, moi étrangère, arrivée, là à la dernière heure j’aurais demandé à M. de Broglie à genoux d’attendre qu’un ministre de Dieu vient bénir la dépouille de sa pauvre femme. Ah dans mon froid pays, dans ce pays barbare, c’est un prêtre qui recevra tout ce qui reste de moi. Est-ce que je vous dis des choses dures ? Pardonnez moi, pardonnez ce que Lady Granville appelle vingt fois le jour, ma funeste franchise. Vous ne me referez pas. Je dis ce que j'ai sur le cœur. Comment M. de Broglie pourra-t-il jamais avoir un moment de tranquillité ?
M. Molé est venu hier chez moi en sortant du Conseil. Il est convenu qu’il y avait sur mon compte mille mauvais rapportages. Berryer était sur le premier plan de la Reine ! Imaginez ! Vous qui savez ce que j’en fais. Le gros de l’affaire est que mon salon est le rendez-vous des adversaires du gouvernement. Enfin on veut me faire passer pour une archi intrigante. Vraiment c’est trop absurde. M. Molé a été parfait, il dit que lui et le Roi me défendent, mais qu’on est très exalté contre la Russie, & qu'il n’y a pas moyen de faire comprendre que moi je ne suis pas un émissaire chargé de susciter d'embarras au pouvoir existant. Voilà qui est trop fort. Je voudrais en rire, mais c’est difficile. M. Molé dit qu'il a arrêté déjà des articles qui devaient paraître contre moi qu'il y veillera encore, mais il ne répond de rien cependant. J’ai dit tout ce qui était convenable et tout ce qui était vrai. Je n'ai à m’amuser que d'une intimité ; c'est avec vous. Alors il y a eu une grande exclamation. " Oh pour celui-là. c’est tout autre chose, un homme que nous estimons & respectons tous. " Il a dit de vous mille biens et dans le meilleur langage. Mais excepté vous je voudrais bien savoir quels sont donc les Français avec lesquels je conspire ? La police du gouvernement est bien mal informée, et les fonds secrets devraient mieux servir que cela. Au total je ne comprends pas bien sur quoi repose tout ce tripotage, ni de qui j'ai à me garder, mais il me semble que M. Molé est sérieusement désireux de m’épargner tout espèce d'embarras.
Vraiment il ne me manquait plus que cela. Il me parait que l’exaspération contre l’Empereur est arrivée à un haut degré. Il y a quelque chose de nouveau à ce sujet que M. Molé n’a pas voulu me dire, et qui surpasse tout ce qui est jamais venu de mon maître. C'est fort triste. J'ai dîné hier chez Madame Graham avec les Holland, mon ambassadeur M. d’Armin, Fagel, & Villers. Celui-ci est un homme charmant. J’ai peu rencontré d’homme qui m’aient si vite plu. Je cherche à lui faire faire des conquêtes parmi mon entourage, et il faut revenir de tous, car il est en horreur à la sainte alliance.
Hier matin j’ai promené Madame Appony. Le tête à tête n’est pas aussi animé qu’avec Lady Granville. Ce matin votre lettre n'était pas sur la nappe à mon déjeuner, voilà qu’une violente agitation s’est emparée de moi. J’ai vu toutes les catastrophes imaginables et la plus naturelle s'est rencontrée dans un article de journal que j'ai pris en main et où j’ai trouvé qu'il y avait beaucoup de loups aux environs de Caen. Vous aviez été attaquée par un loup, cela ne me sortait pas de la tête, dix minutes après la lettre est venue et j’ai respiré comme si le loup venait de vous lâcher. Ah quelle pauvre tête que la mienne. Mais convenez-vous bien de cela. Un jour passé sans lettre, j'en prendrai la fièvre. Adieu, adieu. Adieu autant d’adieux que vous voudrez.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°150 Vendredi 5 octe, 7 heures

J’ai mené hier ma mère et mes enfants faire une grande promenade. Nous avons été à St Ouen, ce fameux St Ouen le Paing, dont le nom vous fatiguait tant à écrire. Je ne comprends pas que je ne vous l’aie pas épargné plutôt. Mais notre correspondance essuyait tant d’échecs que je voulais prendre toutes les sûretés possibles. St Ouen est à un quart d’heure du Val- Richer. Mais ma mère marche si lentement que nous avons mis trois quarts d’heure. Mes enfants étaient parfaitement heureux. La joie des enfants est charmante à regarder ; d’autant qu’elle ne fait point d’envie à moi du moins. C’est un bonheur bien complet, bien exempt de regret, d’inquiétude. Mais je n’en voudrais pas, et je ne le regrette pas. Nous faisons comme vous. Nous jouissons avidement des derniers beaux jours. Hier était peut-être le dernier. Ce matin, le vent souffle, le ciel est noir, la pluie va venir. J’entends pourtant des paysans qui chantent à pleine gorge dans la vallée en récoltant leurs pommes. Encore des joies dont je ne voudrais pas.
Ce pauvre, M. de Barante sera presque aussi contrarié que M. de Pahlen. Il le racontera moins. Je comprends toutes les malveillances, toutes les hostilités, pas du tout les maussaderies. On peut se détester et se combattre mais on se salue et on se parle comme si de rien n’était. Viendra-t-il un temps où les gouvernements vivront entr’eux tout à fait en gentlemen, polis et pleins d’égards dans les choses extérieures, et indifférentes, quoiqu’il en soit du fond des choses ? J’en doute : il faudrait supprimer le caprice et l’humeur. La nature humaine ne voudra pas. Vous n’entendez surement pas parler de l’élection du Général Jacqueminot qui doit se faire demain. Ce ne sont pas les affaires de votre monde. Il me revient qu’on en est assez préoccupé. Non qu’on ne la regarde comme assurée, mais l’opposition sera forte, plus forte qu’elle n’ait jamais été. A cette occasion on m’écrit de plusieurs côtés qu’on est frappé du terrain que gagne la gauche, et qu’il se dit assez que, si le Ministère durait, il finirait par lui livrer les affaires.
Je viens de recevoir une lettre de Mad. de Rémusat qui m’a touché. Elle est désolée vraiment désolée de la mort de Mad. de Broglie, avec une vivacité, un abandon d’admiration et de chagrin qui sont rares dans le monde. Il est si froid et si sec ! Il est juste en général, mais de cette justice superficielle et indifférente qui est presque une offense pour des cœurs bien émus. C’est une des choses auxquelles j’ai eu le plus de peine à m’accoutumer. Je l’ai fait pourtant. Je ne puis souffrir de laisser aux indifférents le moindre pouvoir de m’atteindre. M. de Turpin, écrit de Venise à Mad. de Meulan que l’effet de l’armistice est vraiment très grand et que l’Empereur sera vraiment bien reçu. Du reste, Venise se relève, dit-il, non pas seulement pour un jour et par artifice, mais réellement et d’une façon durable. Le port se ranime ; les palais se réparent. Avez-vous jamais lu un peu attentivement l’histoire de Venise ? C’est un gouvernement qui a admirablement compris et exploite deux grands mobiles de ce monde, le secret et le plaisir. On n’a jamais si bien su se taire et s’amuser.

10h
Moi aussi, j’ai mes moments où je vous cherche plus encore que de coutume. Ils reviennent souvent. Vous me manquez immensément. Enfin, nous avançons. N’ayez mal aux nerfs que pour me chercher. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°154 Lundi soir 8 Oct. 8 heures 1/2

Connaissez-vous quelqu’un qui connaisse Mad. de Pontalba ? Le Duc de Palmella la voit-il ? Je voudrais simplement qu’on lui dit qu’elle aura si elle veut le château et la terre de Rosny pour quatre millions, qu’il y a 120, 000 livres de rente bien assurés, en bois, et que le propriétaire actuel. M. Labbey, est un galant homme avec qui on peut traiter en toute confiance. Il est normand et de mes amis. Je serais bien aise de lui rendre le petit service que ces paroles là revinssent à Mad. de Pontalba. Si vous avez quelqu’un sous la main, vous serez bien aimable d’y penser.
Mad. de Talleyrand est donc aussi revenue à Paris. Où en est son procès ? Le Duc de Valencay est très bon pour en faire les honneurs à Marie ! Il me revient qu’un ou deux mariages ont encore manqué pour Pauline. Mad. d’Haussonville est venue de Florence à Genève sachant le danger de sa mère, mais rien de plus. C’est à Genève seulement quelle a appris son malheur. Elle a les nerfs très douloureusement affectés. Le petit Paul de Broglie a été un peu malade, d’un fort rhume. Le Duc aussi a eu de la fièvre et un mal de gorge auquel on a fait quelque attention. Il est bien physiquement. Je suis rentré dans mon cabinet pour être avec vous. J’avais besoin de vous. Mais cette façon d’être avec vous me contente si peu que je vous quitte. Il est huit heures et demie. A cette heure-là, j’irai à la Terrasse. Cela vaudra infiniment mieux.

10 heures
Je reviens de chez ma mère. Je veux vous dire adieu avant de me coucher. Êtes-vous longtemps à vous coucher ? Quand j’ai le cœur bien disposé, quand mes pensées me plaisent je suis fort longtemps ; je m’assois devant mon feu, je me promène dans ma Chambre ; j’y jouis d’être seul, bien seul, distrait par rien. Quand je ne me plais pas, je suis déshabillé et couché en cinq minutes. Au fait, c’est une vie beaucoup plus saine de se coucher et de se lever de bonne heure. Je crois aux harmonies naturelles. Certainement la nuit a été faite pour dormir. Oui, vous jouiriez beaucoup de la campagne. Vous êtes faites pour jouir de tout, mais surtout de ce qui est simple et grand à la fois. Il n’y a guère que deux choses où ces deux mérites-là se réunissent, la belle nature, et une belle âme. Adieu. Je vais dire bonsoir à M. Saint et me coucher. Adieu.

Mardi, 9 h. 1/2
Oui sans doute de 10 heures à 3 c’est trop peu. N’avez-vous jamais essayé de boire le soir en vous couchant quelque chose de calmant ? Je n’ai jamais vu personne qu’il fût plus difficile de faire un peu sortir de ses habitudes. Ce que vous n’avez pas fait autrefois vous semble impossible, presque étrange. Vous dormiez autrefois. Vos nouvelles du Duc de Broglie sont d’accord avec les miennes. Pauvre homme ! Mais M. Decazes aime les commérages enflés. C’est de son cabinet qu’il ne sort pas. L’arrivée de sa fille lui sera bonne. Il l’attendait avec une grande anxiété. Je suis curieux de la visite de Matonchewitz. Je ne me doutais pas qu’il fût, si près quand je vous parlais hier de lui. Puisque le Pacha d’Egypte s’est soumis, il n’aura à vous parler que de vos propres affaires. Votre diplomatie de second rang me parait bien voyageante, comme votre Empereur. Adieu. Je m’impatiente beaucoup. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 29 août 1850

On a beau dire qu’on s'attend à la mort de quelqu'un. La mort est quelque chose de si grand qu’elle frappe toujours comme un coup imprévu.
Je lisais, il y a quelques semaines à mes enfants un sermon de Bossuet, prêché devant Louis XIV, et qui dit : " C’est une étrange faiblesse de l’esprit humain que jamais la mort ne lui soit présente, quoiqu’elle se mette en vue de tous côtés et en mille formes diverses. On n'entend dans les funérailles que des paroles d'étonnement de ce que ce mortel est mort. Chacun rappelle en son souvenir depuis quel temps il lui à parlé, et de quoi le défunt l’a entretenu ; et tout d’un coup, il est mort ! Voilà dit-on ce que c’est que l'homme. Et celui qui le dit, c’est un homme ; et cet homme ne s'applique rien, oublieux de sa destinée ; ou s'il passe dans son esprit quelque désir volage de s'y préparer, il dissipe bientôt les noires idées ; et je puis dire que les mortels n’ont pas moins de soin d'ensevelir les pensées de la mort que d’enterrer les morts mêmes. " Ce sont de bien belles paroles et bien vraies.
Que feront la Reine et ses enfants ? Je persiste à penser que le parti digne est de laisser le corps du Roi à Claremont, toujours le centre et le lieu de la famille royale, jusqu'à ce qu'elle puisse le ramener à Dreux, comme il y doit être ramené, sans désordre et sans indifférence. Aujourd’hui, il y aurait l'un ou l'autre spectacle. Et toujours quelques uns des Princes à Claremont pendant que les autres voyageraient à leur gré. C’est la conduite que nous avons indiquée à St Léonard le Duc de Broglie et moi. Je viens de lui écrire pour lui demander, s’il est toujours du même avis. Que de sottises seront dites d’ici à huit jours sur ce grand mort ! Sottises de haine et sottises de bêtise.
En France et aussi en Angleterre. J'espère qu’il y aura aussi des paroles convenables. Il y a droit, et il peut supporter la vérité. J’espère aussi avoir enfin des lettres de vous. Le silence dans l'absence est insupportable.

Dix heures
Voilà vos deux lettres. J'ai vraiment envie, pour vous, que vous puissiez aller à Bade. Vous y passeriez huit jours agréablement. Qu'avez-vous besoin du Duc de Noailles ? Plaisir, je comprends, mais besoin, non. Kolb suffit pour la sureté.. Les Débats sont très convenables sur le Roi. Les paroles sont justes et le sentiment vrai. Le Constitutionnel très inconvenant. Sec et petit. On dirait qu’il parle pour sa propre justification. Quand viendra le moment où la vérité pourra être dite ? Jamais peut-être de mon vivant. Adieu, adieu.
Vous ne me dites pas de ne plus vous écrire à Schlangenbad. Je continue donc. Je serai bien aise quand je vous en saurai dehors. Votre ennui me déplaît et le froid m'inquiète. Adieu, adieu.
Prendra-t-on à Wiesbaden le deuil du Roi ? Ce serait de bien bonne paroles convenables. Il y a droit, et il peut politique comme de bien bon goût.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 30 août 1850

Trois lettres de vous ce matin entr'autres celle du Vendredi 23 qui m’avait manqué. Où est-elle allée courir ? Quelles postes ! C’est la lettre où [vous] me donniez vos premières indications pour le lieu où vous écrire. Je ne l'ai pas reçue à temps. J’ai donc toujours écrit à Schlangenbad. On vous renverra sans doute mes lettres.
Je ne recommence pas sur la mort du Roi. Je viens d’écrire au Général Dumas : " Quand, comment et où se feront les obsèques du Roi. Je dis les obsèques provisoires les seules qu'on puisse, à ce qu’il me semble, faire en ce moment. C'est mon devoir et mon intention d'y assister. Veuillez me donner à cet égard, les informations nécessaires. Je serais déjà parti pour Londres s'il ne m’avait paru plus convenable de connaître auparavant les désirs de la Reine et de la famille royale. J’attendrai ici votre réponse. C'est là, je crois, tout ce que j'ai à faire pour le moment. Je ne veux pas témoigner un empressement qui serait mal compris. Mais je regarde tout-à-fait comme mon devoir d'assister aux obsèques. J’irai donc bientôt à Londres. Ce sera une occasion naturelle de les voir tous et de causer avec eux. Je me suis mis d'ailleurs complètement à la disposition de la Reine. J’informe de ceci le Duc de Broglie qui m'a écrit pour me demander ce que je faisais. Je le dis également à Dumon et à Duchâtel. Je voudrais que tout mon cabinet se rendit aux obsèques du Roi ; même Salvandy malgré sa visite à Wiesbaden. Je charge Dumon d’en parler à tous ceux de mes collègues qui sont à Paris. Je ne sais si Montebello y est déjà retourné.
Je ne vous envoie pas les détails qu’on me donne. Vous les trouverez et plus à Paris où vous êtes peut-être arrivée hier, aujourd’hui au moins. Il y a deux faits assez graves la répulsion absolue de la candidature du Prince de Joinville à la présidence, et les froideurs du dernier moment avec Mad. la Duchesse d'Orléans. Je ne crois pas beaucoup à ceci.
Je suis frappé du ton des journaux. Les hostiles sont bien timides et les amis ont le verbe bien haut. Cela me plaît fort. On ne change pas de sentiments mais on a où l'on n'a pas confirmé dans les sentiments qu'on garde. Adieu, Adieu.
Demain, je pense, j'aurai une lettre de Bruxelles ou de Paris. Et bientôt nous nous verrons. Adieu, Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 12 octobre 1850 Samedi

Le dîner hier, animé. Après le dîner, curieux. M. Fould est venu plein de courtoisie et presque d’intimité pour le général Changarnier, conversation générale ou celui-ci racontait le passé avec vivacité intérêt, & appuyait forte- ment sur ceci. " L'armée m'estime, me respecte & me craint." Avant cela ils avaient passé tous deux dans le salon jaune et ont causé là un quart d’heure. Évidemment il y a quelque chose. La commission se rassemble de nouveau aujourd’hui. On dresse un procès verbal qui rappellera la séance de Lundi, le quasi engagement pris par le général d’Hautpoul d'interdire les cris. La déviation de cette promesse. On blâmera, ce blâme retombe sur l’Élysée. Et cette pièce sera soumise à l’assemblée à sa réunion. Changarnier m’a dit, que la séance avait été vive. M. Dupin très vif contre l'Élysée. J’ai retrouvé dans la Conversation la même impatience que par le passé. M. Molé a été parmi les blâmants.
Du reste Changarnier m'a dit que les nouvelles d’Allemagne étaient bien mauvaises. On s’attend à un éclat. Le Président est fort préoccupé de cela. Il penche pour la Prusse et pour s’en mêler si l’Italie venait à s'agiter en conséquence. Hier on a eu la nouvelle que l’Autriche avait mis à la disposition de l'électeur, un bataillon autrichien qui se trouve sur la frontière. La Reine des Belges est morte hier à 8 heures du matin. Votre pauvre reine !
Marion est venue ce matin la bombe a éclaté. Elle a été très ferme. Deux résolutions de sa part. Rester à Paris auprès de moi. Ou rester à Paris avec sa soeur Fanny malade, s’établir ensemble modestement. Ceci accepté par la mère. Marion est décidée à l’un ou à l’autre parti. C'est sans doute le dernier qui sera adopté. Adieu. Adieu. Il n’a pas été question hier des absents. Adieu. Pas de conversation a parte avec Fould.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 27 Oct. 1850

Duchâtel m’écrit : " La prolongation des pouvoirs du Président me paraît la solution naturelle et à peu près inévitable ; on pourrait même dire la solution nécessaire si l’imprévu ne tenait pas aujourd'hui une si grande place dans nos affaires. La fusion des partis, qui était la seule ressource, a reculé plutôt qu’elle n’a avancé. L’effet de la circulaire légitimiste ne peut être réparé que par le temps, et par beaucoup de temps. Les fautes de tous les partis profitent au président en sa qualité de pouvoir établir, et il n'est pas assez solidement établi pour que ses propres fautes lui nuisent. Le pays veut la tranquillité et il n’est difficile ni sur les conditions, ni sur la qualité. La mauvaise marchandise, le satisfait autant que la bonne ; et en vérité, il n'a le droit ni d'être fier, ni d'être exigeant. "
Aux deux bouts de la France, les hommes sensés observent le même état des esprits et ont la même impression. Les Normands et les Gascons se ressemblent peu ; et pourtant leur politique est la même. Duchâtel me dit qu'il ne compte pas revenir à Paris avant le mois de décembre. Il paraît qu'il prend plaisir à l'agriculture.

10 heures
Malgré le Times et les Débats, je ne crois pas une telle folie. Ce serait mettre le feu au monde pour éteindre un fagot qui brûle dans un coin. Vous en Silésie et nous dans les provinces du Rhin ! Quand en sortirons-nous, nous y entrons ? Je ne vois là qu’un fait certain ; c’est que nous sommes tous décidés à faire finir l'affaire du Danemark. Nous avons raison et l'affaire finira sans un gros effort. Dans ceci comme dans tout, la Prusse fait plus de bruit qu'elle ne veut et ne peut faire d'effet. Politique toute d'étalage et de ruse. D'étalage par complaisance pour l’esprit révolutionnaire dont elle a peur et dont elle voudrait se servir. De ruse, parce qu’elle se dit : " Essayons toujours ; que sait-on ? Nous finirons peut- être par y gagner quelque chose le jour où la France, l'Angleterre et la Russie voudront dire sérieusement : " Finissez. " On finira. Je suis convaincu qu'on dira cela de Varsovie. Le régiment du Maréchal Paskuditch n’y fera [?]
Votre Empereur sait mieux que moi, ce qui lui convient. Mais je trouve ses démonstrations en l’honneur du Maréchal énormes. Cela semble indiquer, ou une importance du maréchal ou une pression de l'opinion publique Russe que je ne supposais pas.
Soyez sûre que le duc de Noailles a tort, lui spécialement de tant regretter ma lettre à Morny. Je serais bien étonné si, quand nous en aurons causé, il n’était pas tout à fait de mon avis. Je n’y ai pas mis tant de préméditation, et je fais mon système après coup, mais plus j'y pense, plus je crois le système bon. Il ne fait que confirmer mon instinct.
Si j'étais là, je vous lirais l'oraison funèbre de la Reine des Belges que le père Dechamps vient de prononcer à Bruxelles. Vraiment bon et beau morceau. Senti et sensé de la lumière religieuse et de l'intelligence humaine Tout ce qui se passe là fait honneur aux acteurs, et aux spectateurs. Adieu. Adieu.
Je vous écrirai encore demain. Et vous aussi à moi. Puis plus de lettres pour longtemps. Adieu. G.
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