Votre recherche dans le corpus : 5377 résultats dans 5377 notices du site.
3. Bruxelles, Lundi 27 février 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Vos lettres sont ma seule joie. Continuez-les je vous en prie. Je n’ai pas bougé depuis mon arrivée, ma toux est beaucoup augmentée, mes yeux aussi me font mal. J’ai beaucoup de courants d'air dans mon appartement. Je ne parviens pas à m'en garer. On vient assez me voir, beaucoup même mais cela ne me plait pas. Montalembert seul me plait & il part ce soir. Van Praet est toujours ma préférence et est vraiment très agréable.
Les nouvelles Allemandes nous sont très défavorable, nous aurons tout le monde contre nous. Je crains qu’au lieu d’intimider cela n’aggrave l’obstination. Clarendon a fait un remar quable discours.
Mardi 28 Le duc de Saxe Cobourg arrive aujourd’hui. Il se rend à Paris où sa visite annoncée fait plaisir. Khiva est décidément pris. Et mon Empereur décidement bien en colère contre les Allemands. Je vous remercie de me dire l'emploi de vos journées. Je veux pour vous de la distraction mais point d'habitude. Mes soirées éparpillées. Ah que je pense à tout cela ! & si on me regrette, jugez comme je regrette à mon tour ! Avant hier je me suis pris à pleurer. J'en ai encore mal aux yeux. aujourd’hui. Quelle chute !
Pourquoi le journal des Débats me fait-il faire des visites à Chreptovich & Kisseleff ? Imaginez, débarquant & courant tout de suite ? Le fait est que je n’ai pas encore bougé de ma chambre et quand je bougerai ce sera pour prendre l’air. S'il y en a jamais de prenable. à Bruxelles, mais certainement je ne ferai visite à personne. Il fait très froid et tout a l’air si triste ! Adieu. Adieu.
4. Bruxelles, Mercredi 1er mars 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Ecrivez moi demain jeudi par Hatzfeld. Il envoie un courrier. Portez la lettre vous même avant cinq heures. Je suis bien plus malheureuse que je ne croyais l’être. Mes yeux sont en grande souffrance, & l’ophtalmie règne ici dans la troupe. Si cela augmente, mon mal s’entend, que faire ? Retourner ? Que devenir ? à Paris est ce possible ? Perdre mes yeux, bien obligé. Pensez un peu au ridicule de retour à la fâcherie chez nous. Mais d’un autre côté mes yeux ! Je suis dans une grande perplexité. Pensez, consultez. On me défend d'écrire, car j’ai déjà vu un médecin. Je suis plus malheureuse que je ne puis le dire. J'étais si bien à Paris. A mon dieu ! Dites à Duchatel ma connaissance de sa lettre et l'impossibilité où je suis d’y répondre. Je souffre. même en écrivant ce peu de mots. Vous allez bien me plaindre. Je suis triste, à mourir. Adieu. Adieu.. On me dit qu’à Vienne encore on ne veut pas croire à la guerre.
5. Bruxelles, Vendredi 3 mars 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Voilà votre N°6. Je la reçois au moment où il me faut envoyer celle-ci. Mes yeux allaient mieux hier, moins bien aujourd’hui. Le journal de St Pétersbourg. contient la réponse de mon empereur, vous allez la lire à Paris sans doute. Vous m'en direz votre avis. (sans prévention & vous savez bien que je n’en ai pas.) Moi, je la trouve très bien.
Van Praet m’a fait lecture hier soir du discours de l'Empereur Napoléon. J’ai toujours besoin de réflexion, et mes yeux m'ont empêché de le relire moi-même. Il me semble qu'il y a bien à éplucher. L’Allemagne bien engagée, l’intérêt français en relief. Le discours plaira aux masses. Le pain y joue un plus grand rôle que la guerre. Que ne suis-je à Paris pour vous entendre tous sur le discours, sur la lettre, sur toutes choses. Ah que le pluriel me manque ! Je vous laisse à penser si je regrette le singulier !
J’ai vu hier soir le prince de Ligne & M. de Brouckère m'ont empêché de le relire. Il a de l’esprit, et agréable. Van Praet est chez moi tous les soirs. Il me soigne et me plait bien. Le ministre de France est venu sans me trouver, j’ai pris l'air hier quoiqu'il fait bien froid. Lord Howard aime à venir causer avec moi, il est intime et facile. Le ministre de Prusse est ma meilleure pièce. Kisselef est celui de tous que je vois le moins. J'en reste très étonnée. Chreptovich très soigneux mais que d’heures de solitude et d'ennui & de soupirs. Adieu. Adieu. Ecrivez-moi je vous prie, je n’ai de plaisir que vos lettres vous le savez bien. Adieu.
6. Bruxelles, Samedi 4 mars 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Votre lettre d’hier reçu à mon réveil m’a fait du bien. Un coeur ami pense à moi aujourd’hui. Triste, triste jour, et lorsque tout est si triste ! Le vide autour de moi. Ce que vous me dites sur mon compte est bien vrai. Je suis surprise que vous m’aimiez puisque vous me connaissez si bien. Ah que je me sens malheureuse et aujourd’hui avec redoublement.
Je ne sais aucune nouvelle de l’extérieur, Van Praet n'en avait pas hier soir. Il est très soigneux de moi, et voudrait me distraire. Il m’a amené hier le général Charal. Belle figure, bonne tenue & bonne conversation. Je vous ai dit que Brokham le prussien est mon favori. Tous les autres le mien inclus sont bien peu de chose. Je suis prés de Paris voilà tout le mérite de Bruxelles.
4 heures. On m'annonce. une occasion Prussienne. Je voudrais avoir quelque chose à vous mander, mais il n’y a rien. Je ne sais si vos journaux donneront la lettre de mon empereur ; dans le doute je vous l'envoie. Elle me semble bien modérée, et attestant encore le dîner de la paix ; c'est beaucoup après le ton provocateur de la lettre de l'Emp. Napoléon.
M. Barrot est venu chez moi aussi, c’est le dernier diplomate qui me manquait. Il me plait parce que c’est un français. Ah que j'aime les Français ! mes yeux ne vont pas bien. Le roi Léopold voulait me voir chez lui au Palais. J’ai refusé, ce n’est pas dans nos mœurs. J’irai à Laken un matin. Dans ce moment il est dans son château des Ardennes. Il ne peut pas de son côté venir dans une auberge. Pourrez-vous me dire ce que vous pensez de la lettre de mon empereur ? Je la trouvé vraiment bien faite, mais j’en serai plus sûre si vous me le dites. Hélène vous dit mille souvenirs. Adieu. Voici aussi le manifeste.
Mots-clés : Conditions matérielles de la correspondance, Diplomatie, Discours du for intérieur, Guerre de Crimée (1853-1856), Napoléon III (1808-1873 ; empereur des Français), Nicolas I (1796-1855 ; empereur de Russie), Portrait, Relation François-Dorothée, Relation François-Dorothée (Politique), Réseau social et politique, Tristesse
7. Bruxelles, Dimanche 5 mars 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je vous écris un mot pour vous prévenir que Madame Hatzfeld aura à vous remettre une lettre. Je la croyais partie hier & j’apprends que ce n’est que demain qu'on vous l’envoie. J’ai vu des lettres de Berlin selon lesquelles la Prusse nous reste très fidèle. Quant à l’Autriche, il y aura plus à la surface qu’au fond, et on aurait tort de se trop fier [à] l'exaltation de Hubner. L'air est bien froid ici. J’ai passé ma soirée hier seule avec Van Praet. Je me couche de bonne heure. Hélène se promène avec moi en voiture. Mon fils va et vient. Les diplomates viennent tantôt le matin, tantôt le soir. Il n'y a pas de quoi composer un salon ici et jusqu’à présent je n’y ai pas goût. Adieu. Adieu, tous les jours mes regrets sont plus grands, plus profonds. Adieu.
Je crois que je me suis trompée de N° & que ceci est 7.
8. Bruxelles, Mardi 7 mars 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Mes yeux me condamnent à l’obscurité. On me défend d'écrire, de lire, de sortir. Quelle misère, quel désespoir. J'ai eu un homme de lettre de Pétersbourg. Evidemment on eût désiré que je restasse encore à Paris. Quel regret pour moi. On ne le dit pas, je devine, peut être je me trompe, c’est que je suis si malheureuse je perds la tête. Ecrivez-moi. Adieu. Adieu.
La Prusse se rapproche de nous.
Mots-clés : Eloignement, Guerre de Crimée (1853-1856), Santé (Dorothée)
9. Bruxelles, Jeudi 9 mars 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Jeudi
Je vous prie écrivez-moi toujours où vous allez le soir. Je pense sans cesse à tout. Voici mes nouvelles. Nous avons envoyé à Vienne des propositions sur lesquelles on délibère là, & qui ont en attendant fait ajourner l’envoi de l’ultimatum anglais français. Vous savez que l’Autriche & la Prusse étaient invitées à s’y joindre. La Prusse ne le fera pas, l’Autriche, oui mais avec des modifications. On n’a donc pas envoyé cet ultimatum encore. Il est venu hier un courrier de [Pétersbourg] : nous désirons fort éviter la guerre. Comment cela sera-t-il possible après tout ce qui s’est fait et dit ?
Je fais mal à mes yeux en vous écrivant. Quel désespoir que mes yeux. Quel horrible climat que ceci, et quel ennui de toutes sortes. Kisseleff a l'ordre de rester indéfiniment ici, & Brunnow d'y venir pour y rester aussi. Nous ne voulons pas encore entendre parler de guerre. Adieu. Adieu.
10. Bruxelles, Samedi 11 mars 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
La Prusse envoie à Paris le prince de Hohenzollern Sigmaringen pour expliquer la conduite qu’elle adopte. Elle appuie jusqu'à un certain point la demande d'Évacuation immédiate des [principautés] mais elle ne va pas si loin que l'Autrice & l’Autriche pas aussi loin que Londres & Paris. Berlin veut rester neutre et en démontrer la nécessité pour elle et l'utilité pour les autres, Le général Gracben est envoyé à Londres avec une semblable mission. Le parti anglais & libéral, le prince de Prusse en tête est fort mécontent de cette résolution, & Berlin reste très agité entre tous les partis. Ce petit congrès russe qui va se trouver réuni à Bruxelles fait l’étonnement de tout le monde, le mien aussi, & le désespoir de Creptovitch, & peut être de l'embarras pour ici. Je ne comprends pas ce que nous voulons, & faisons. Il y a longtemps que je n'y comprends plus rien. On me dit que nous poursuivons l’idée de la paix. Que vous ne voulons pas nous croire en guerre. Est-ce de la comédie ? de la vérité ?
Je n’ai pas des yeux pour lire notre memorandum ; l'avez-vous lu ? Qu’en dites-vous ? La Reine d'Espagne a rappelé de Londres son ambassadeur parce qu’elle ne veut pas qu'il réside dans un pays où la presse injurie sa personne royale. C’est les articles du Times qui sont cause de cette incartade. Je vous étonnerai bien quand je vous raconterai les procédés de [Kisseleff]. pour moi. Une magnifique ingratitude. Je suis comblée de politesses ici de tous les côtés. Adieu. Adieu.
Mots-clés : Diplomatie, Guerre de Crimée (1853-1856), Réseau social et politique
11. Bruxelles, Dimanche 12 mars 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je vous en prie ne m'écrivez pas sur du petit papier. Cela m’attriste. Voilà l’émancipation des Chrétiens consentie par les Turcs, c.a.d. plus que nous n’avions demandé pour les Grecs. Comment mon Empereur laissera-t-il échapper cette occasion de se déclarer content & de finir cette misérable querelle ? Vous devriez bien m'écrire ce que vous pensez de cela. Greville est très animé si le congrès russe de Bruxelles pouvait venir à la paix l'Angleterre seule n’en voudrait pas. Elle veut l'humiliation, l'abaissement de la Russie. Il y a eu une vive scène entre Clarendon & Brusen (ce n’est pas de Gréville que je le tiens) le prussien annonçait la neutralité résolue de la Prusse. On en est venu aux gros mots, il voulait chasser Brusen d'[Angleterre]. Walewski a apaisé l'orage. L’Autriche sans être aussi explicite que la Prusse, ne sera pas non plus féroce. Elle ne nous fera pas la guerre. Je crois, mais je prends cela de ma seule tête que la première opération navale sera une attaque sur l'île d'Aland. Cette position commande Stockholm. Nous y avons fait de grands travaux. Dans huit jours la flotte Anglaise sera dans la Baltique.
Je me sers de mes yeux comme vous voyez, mais j’ai tort. L'ultimatum anglo-français a dû arriver à Pétersbourg hier. Adieu. Adieu. Tâchez de savoir comment Castel bajac a été reçu et s'il a été reçu ? Le premier venu diplomate vous dira cela. J'oublie qu'ils ne se trouvent plus sur votre chemin.
12. Bruxelles, Mardi 14 mars 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Vous avez bien de l’esprit, et j'en ai aussi. Votre critique de nos deux dernières pièces est précisément ce que j'en ai pensé et dit. J’aime bien ces rencontres. J’enverrai votre lettre plus loin, il est bon qu’on entende chez nous la vérité. Ah que tout cela a été mal conçu et mal conduit.
Mes yeux vont un peu mieux, mais ma tête, mon cœur, et toute ma santé générale ! Avec quelle tristesse je me réveille et je m’endors. Dans une vie si avancée retrancher tant de mois de jouissance, de bonheur ! Meyendorff a dit à Vienne : " Si la porte accorde l'émanci pation des Chrétiens, il n'y a plus de question d’Orient. " That is sensible. Qu'ils accordent donc il paraît trop qu'on s’était pressé ici de croire que c'était fait, ils n'ont obtenu encore que l'égalité devant les tribunaux et encore cela n'est pas tout à fait complet. Morny me mande que St Arnaud va à Vienne. Le sait-on ? On prend à Paris très bien la nouvelle attitude de la Prusse. Elle nous est favorable en tant que tout-à-fait neutre. Le temps ici est magnifique, mais je ne jouis de rien. Comment jouir quand on pleure. Adieu, des lettres, des lettres. Adieu.
13. Bruxelles, Mercredi 15 mars 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Portez demain votre lettre chez Hatzfeld, il envoie un courrier, il recevra votre lettre jusqu'à 6 heures. J’ai vu hier le roi. Bien bonne & longue conversation. Plein de raison, & sachant se placer au point de vue de chacun. Il n’y a rien de nouveau. Si la négociation pour l'émancipation des Chrétiens réussit à Constantinople (Je vois qu'on s'était trop pressé de la regarder comme faite) tout devrait finir. Adieu. Adieu.
Priez mes amis de ne pas m'oublier. Votre rencontre avec Thiers m'amuse.
14. Bruxelles, Vendredi 17 mars 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Il se fait un grand travail pour disposer mon empereur à se reconnaître satisfait, le cas échéant de l'émancipation religieuse et civile des Chrétiens à laquelle la France & l'Angleterre travaillent activement à Constan tinople. Il serait fort utile que vous m'en disiez un mot dans votre prochaine lettre. De ces paroles qui frappent et comme vous seul savez les dire. Beau rôle à jouer que de rendre la paix au monde, et d’attester par là que ce n’est ni son ambition ni son amour propre dont il recherchait la satisfaction. S’il dit " Je suis content & je le prouve en sortant des principautés", tout est fini, tout le monde est heureux, & si l'Angleterre osait ne pas être satisfaite c'est contre elle qu'on se retournerait. Voilà l’opinion de mon long tête-à-tête l’autre jour. Le Roi a reçu une excellente lettre de mon empereur. Elle atteste son désir à présent, toujours de faire la paix. J'y vois ainsi une grande confiance dans les opinions du roi.
Je vous prie causez avec moi familièrement sur le texte que vous dis. Grand à propos. Voici votre lettre et vous me dites tout juste ce que je vous demande. Cependant je veux encore ; même familiarité de style, et puis du stimulant sans rien de blessant. J’ai envoyé votre N°16 qui était bon et utile, la critique de nos prières. Il faut que nous écoutions la vérité. S’il n’y avait pas des sifflets j'enverrai celle-ci aussi. Les autographes font toujours meilleur effet que les copies quand il n'y a rien de préparé, ainsi pas de princesse.
Votre projet de visite m'enchante ! Barrot vient me voir souvent, & me prie de vous offrir ses hommages. Vous le confondez avec son frère. Il n’a jamais été député. Il s'appelle Adolphe et a longtemps servi sous vos ordres, il parle de vous avec beaucoup de respect et de reconnaissance. Lord Howard vient beaucoup aussi, je suis très bien avec tous les deux. Ils ne voient plus du tout Chreptovitch & Kisseleff. Celui-ci a fini avec moi complètement ; c’est incroyable. Vely Pacha est ici logé sous le même toit que moi et toute la Russie car il y a K. Hélène, mon fils & deux autres familles Russes. Lady Palmerston m'écrit de bonnes lettres affectueuses. Ah que je vais me réjouir de vous recevoir. Comme je me sens triste du présent, de cet avenir si incertain si sombre, car je n'ose rien espérer, les proportions de cette guerre peuvent devenir énormes. Cela fait frissonner. Brunnow n’est pas arrivé encore. Dépêches et lettres s’attendent. Adieu. Adieu. Merci mille fois de Cromwell.
15. Bruxelles, Samedi 18 mars 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je vous ai écrit hier par une occasion. Au fond les occasions sont des bêtises c’est toujours plus incertain et plus lent que la poste, et comme je ne me compromets pas en disant ce que je pense, parce que je pense très bien, on me dit quelquefois trop bien, j'en resterai à l’ordinaire. Rien de nouveau. Mon neveu a reçu l’ordre de rester à Berlin, cela me fait plaisir. Il est évident que le rappel était de la bouderie pour la cour de Prusse, & que l’ordre contraire prouve que nous sommes content d’elle. L’Empereur est allé à Sveaborg. Je crois vous avoir dit cela. Une énorme activité dans nos préparatifs maritimes. Je crois qu'on se fait des illusions à l’Occident. Nous sommes & nous serons très forts et très persistants, et toujours plus forts à la longue. Ah mon Dieu qu’on fasse donc que cela soit court.
Pas de Brunnow encore ce qui est drôle. Votre empereur me disait " quelques coups de canons & tout sera fini." Que je voudrais qu’il eût dit vrai ! Van Praet tous les jours. Brouckère souvent. Tous les diplomates presque quotidiens, voilà mon régime. Pas de conversation comme était mon habitude, ah que je ferais des coquetteries à la moitié des derniers de ceux que je voyais tous les jours ! Je pense même à Chasseloup Laubat. Adieu. Adieu.
16. Bruxelles, Dimanche 19 mars 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je pense que ma lettre vous trouvera encore avant votre départ. Cela m'ennuie que vous soyez plus loin de moi pendant 4 jours. Ah que les jours sont longs pour moi. Quel supplice que cet exil, et quand finira- t-il. Nesselrode écrit : " la lutte sera longue. Les préparatifs chez nous sont énormes, il n’y aura pas moyen de nous entamer." Qui se lassera le premier ? Je doute que ce soit nous. Entêtés, éloignés et barbares. Il ne me paraît plus qu'il puisse être question d’arrangement. L'Angleterre veut l'annulation des anciens traités. Jamais nous n'accorderons cela à moins que le nouveau nous vaille mieux et cela n’est pas possible. J'ai beaucoup de doutes sur les Allemands. La Prusse nous donne des bonnes paroles qui déplaisent beaucoup à Londres & à Paris. Elle ameute les états secondaires, la Saxe, la Bavière, le Wurtemberg, et voudrait qu'avec l’Autriche, l’Allemagne fédérale déclarât sa neutralité ; c’est bel et bon, mais si l'[Angleterre] va ravager les côtes de la Prusse, & la France fait avancer ses bataillons, je doute qu’on reste neutre. Tout cela est une énorme affaire, et qui se présente vraiment comme la fin du monde. Je suis bien triste.
Le soir j’ai toujours Van Praet, et quelques diplomates, le mien qui n’est pas brillant. Je suis très au courant de tout ce qu'on sait ici. Et mon rôle est comme à Paris la confidente de tout le monde. Mais la causerie où est elle ? Adieu. Adieu.
Je coupe Cromwell c’est encore tout ce que je puis faire, mais je tombe sur des sublimités toujours.
17. Bruxelles, Mercredi 22 mars 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Quel ennui que ce N°15 égaré ou retardé ! Je crois que j’y répondais à votre charmant projet de me me voir. J’accepte la date avec bonheur. Dites-moi quand vous aurez reçu cette lettre chanceuse. On est très vif ici à propos de la nouvelle de Constantinople. Certainement l'envoi des troupes dépendait des consentements de la porte à la demande d'émancipation des Chrétiens. Si cette émancipation est vraiment obtenue et on y croit, et si mon empereur à la bonne foi & le bon esprit de s'en tenir pour satisfait voilà la guerre évitée, mais c’est trop beau pour croire à ce facile dévouement.
Lord Holland & M. Barrot se sont rencontrés chez moi hier, bien contents & tous deux bien pacifiques. J’ai été très contente du langage de l'Anglais, un grand changement depuis huit jours. Le français avait toujours été convenable et bien. On annonce Brunnow pour aujourd’hui. Quelle curieuse correspondance que celle qu’on vient de produire au parlement. Pauvre dépêche que celle de lord John, mais quel entrain de mon empereur. Dites-moi je vous prie votre avis de tout cela. La publi cation ne me paraît pas une chose bien inventée, pourquoi avons-nous provoqué cela ? à tout instant je me sens le besoin de vous interroger, de vous entendre. Je n’ai pas encore lu cette correspondance jusqu'au bout. Mes yeux sont très capricieux. Je les croyais mieux, ils sont repris. Le temps est froid. Je serai charmée de vous savoir revenu à Paris.
Adieu. Adieu, je suis restée deux jours sans vous écrire à cause de votre absence. J'ai eu peut être tort, mais je croyais que mes lettres reposeraient à Paris. Adieu.
Mots-clés : Affaire d'Orient, Conditions matérielles de la correspondance, Femme (politique), Guerre de Crimée (1853-1856), Nicolas I (1796-1855 ; empereur de Russie), Politique (Russie), Relation François-Dorothée, Relation François-Dorothée (Politique), Réseau social et politique, Salon, Santé (Dorothée)
18. Bruxelles, Vendredi 24 mars 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Hélène Kotchoubey reçoit aujourd’hui de Pétersbourg la nouvelle qu'il y a eu une rencontre entre nos vaisseaux & les Turcs & Anglais sur la côte d’Asie, 3 frégates turques, 4 vapeurs anglais qui nous ont enjoint de nous retirer nous avons attaqué, & coulé bas les 3 frégates & 2 vapeurs anglais. Les 2 autres sont allés en porter la nouvelle à Constantinople notre amiral a été tué & 8 officiers. Voilà tout ce qu’on dit. Le courrier porteur des rapports officiels n’a fait que traverser Pétersbourg pour aller rejoindre l'Empereur en Finlande. Tout ceci est verbal, sans désignation de lieu ni de date, mais nous allons savoir tout cela officiellement. Voilà donc la guerre commencée ! Les publications anglaises sont inconcevables, et déplorables. Nous ne savions pas ce que nous allions chercher qu’allez-vous me dire de tout cela ? Je grille de ne pouvoir dire à personne tout ce que j'en pense. Je n’ai pas eu un mot de vous du Val Richer.
Vous me direz j’espère si tous mes N° sont en règle, et puis j’attends une réponse. Il n’est peut-être pas trop tard. Je ne vois pas que la nouvelle de Constantinople soit confir mée. Vraiment si les Turcs accordent tout ce qu'on leur demande ils sont bien plus annulés qu'ils ne l'eussent été en cédant à nos demandes. De toute façon je crois que c'est un pays perdu. Je reviens aux publications. Ne vous figurez-vous pas en les lisant que vous êtes la postérité. Dans 60 ans à la bonne heure, mais aujourd’hui. Rien de secret, rien de sacré. Enfin c’est incroyable, je ne sais pas encore l'effet que cela produit. à Paris. Dites le moi je vous en prie. Ici l’effet ne nous est pas favorable. Adieu. Adieu. Le temps est mauvais et mes yeux. vont mal. Dites moi un mot pour Barrot. Adieu.
19. Bruxelles, Dimanche 26 mars 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Evidemment la nouvelle donnée à Hélène est fausse mais c’est étrange. Brunnow est venu chez moi à son débotté avant d’avoir vu aucun de ses collègues. Il se disait ignorant de l'objet de sa venue. Chreptovitch qui était à la chasse tenait les dépêches enfermées chez lui. Il sera plus édifié aujourd’hui. Le ministre d'Angleterre n’est pas inquiet. Il ne peut voir dans tout cela qu'une pensée de paix. Mais comment la concevoir aujourd’hui ? Lord Howard. a rencontré chez moi Brunnow, très bien ensemble. L'Anglais est très aimable pour moi. Je suis le dernier fil, car on ne va plus les uns chez les autres.
Vous trouverez votre chambre à Bellevue. C’est rempli mais je me suis assuré de ce qu’il vous faut. Que je serai aise de causer, d'entendre. du bon français d’abord ! N’allez pas vous ennuyer ici, cela n’est pas bouffon. Tout ce que vous me dites sur nos affaires & notre conduite. est admirable de vérité. Je vois bien que même les Russes. pensent comme vous là dessus, mais il n'osent pas se le dire. En attendant l'exaltation est énorme en Russie. L’Empereur en visitant Cronstadt a fait faire en sa présence l’essai d'un nouvelle invention épouvantable comme destruc tion. Cela a parfaitement réussi. Il a ôté son casque ici en disant : " Venez messieurs les Anglais, nous sommes prêts. " Voyez-vous tout cela je le trouve abominable. Décidément je ne suis plus bonne qu'au peace society.
Le temps est fort laid, froid ; mettez-vous chaudement. Au reste les voitures sont chauffées sur le chemin de fer. Vous me direz par quel convoi vous comptez partir. 7 du matin vous amène ici à 2. C’est le plus accéléré. Celui de 11 1/2 n’arrive qu'à 10 1/2. Ne prenez pas celui du soir vous seriez trop fatigué le lendemain. Vous l’étiez tant en venant du Val Richer. Adieu, quel plaisir de m’occuper du bout de la semaine.
20. Bruxelles, Mardi 28 mars 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Voilà donc la guerre déclarée ; et bien qu'on se batte, mais qu’on fasse vite, et que cela finisse. Hélas c’est cela qui sera difficile. L’Empereur retire toutes les promesses d’Olmentz, il ne se gouvernera plus que selon les circonstances. Nous sommes intoxicated. J'ai eu 4 heures de tête-à-tête avec Brunnow. Il a beaucoup d’esprit. Et il est fort triste. Kisseleff rit tout le jour avec tout le monde excepté moi avec qui il ne rit ni ne pense car je ne le vois jamais. Tous les autres Russes sont très soigneux de moi. L’Autriche ne se déclarera que si nous passons le Danube. Je crois que nous ne le passerons pas.
Je suis charmée que vous preniez le convoi de 7 heures du matin. Mais envoyez encore à Paris prendre des informations précises. Je pense avec tant de joie aux bonnes causeries que nous allons avoir ! Je vous écrirai encore un mot demain. Adieu. Adieu.
21. Bruxelles, Mercredi 29 mars 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Voici une commission. Priez votre valet de chambre de la faire et de m’apporter cela & de la payer. Je le rembourserai exactement ici. Qu'il ne prenne pas du carré arrondi ; il faut rond rond. Ma derniers lettre, c’est charmant ! Mais après il faudra recommencer. Ce qui est affreux c’est de n’avoir aucun bonheur tranquille en perspective. Nous ne croyons pas ici au passage du Danube par nos troupes. défensive, défensive, pas autre chose. Brunnow est sur cela très affirmatif. Dieu ! Qu'il est laid. Vous me trouverez mauvaise même. Je suis malade depuis Paris. Ces quelques jours me feront du bien. Adieu. Adieu.
22. Bruxelles, Jeudi 6 avril 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
J'ai eu du courage tout le jour. La nuit, non, mon chagrin est aussi grand que ma joie avait été grande. Je me retrouve plus seule que jamais, et triste, triste. J’ai vu Brunnow longtemps. Il doute de la nouvelle. On a dit me dit que Kisseleff : " Qu’est-ce que nous font les Chrétiens." C'est à Van Praet qu'il a dit cela. C’est un sot. Brunnow convient que si elle est vraie elle peut & doit mener à tout. Le public de ce pays-ci était hier en extase. Le soir Van Praet & Lebeau, un doctrinaire. Certainement de l'esprit et hier en grande coquetterie. Ils sont drôles ici, ils me prennent pour un bel esprit.
Dites-moi je vous prie vos idées sur la nouvelle de Berlin. Brockhausen m'envoie le journal semi officiel qui la contient. Cela a l’air bien vrai, il me semble impossible que cette avance ne soit pas accueillie avec joie mais que de chemin à faire encore avant que cela aboutisse. J’ai écrit à Ellice ; ignorant. qu’il vienne à Paris, je dis quelques paroles qui pourraient toucher Marion. J’attends quelque chose de votre entrevue avec elle. Au fait vous pourriez bien lui rappeler qu’elle a lutté avec ses parents quand il s’est agi de venir chez moi, pour leur plaisir à elles, qu’elle pourrait bien lutter aussi quand cela devient une charité pour moi, et que je ne mérite pas cet abandon. Enfin, je suis sûre que vous direz ce qu'il faudra. Me voilà à cette même. table où nous étions il y a 24 heures. Mais votre place est vide. Cela me serre le cœur, et je suis prête à pleurer. Ah que votre visite m’a fait de joie et laissé de peine. Adieu. Adieu.
23. Bruxelles, Vendredi 7 avril 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je vais vous quereller. Vous vous faites meilleur que moi en cas. Vous me dites : " Malgré ce qui me manque, je jouis de ce qui m’est donné. " Faites moi l’amitié de me dire ce qui m’est donné. Mais je sais que vous avez un home, des enfants, et des yeux.
Hier soir, Brunnow, Van Praet, Le prince de Ligne & Mad. Villers qui me raconte son dialogue à dîner avec le Maréchal Vaillant. La promenade au bois avec Hélène a été bien sérieuse. Je me suis fait lire la discussion. Chasseloup a bien parlé. Montalembert a été bien imprudent. Je conçois que tout ceci ait fort animé Paris pour un jour. Je n’ai pas un mot de Constantin. Je ne conçois pas cela. Brockausen attendait encore hier au soir le courrier de Berlin qui devait passer ici le 3. Des lettres de Pétersbourg disent que l’[Empereur] a dit à la table ronde chez sa femme. " Je puis très bien m’arranger avec les Turcs s'ils imaginent les Chrétiens, mais avec les Anglais c’est autre chose." Adieu. Adieu.
Je suis plus triste aujourd’hui qu'hier cela ira comme cela. Adieu & Je vous écris par le Pce de Ligne. Dites moi si vous avez reçu ce N°.
24. Bruxelles, Samedi 8 avril 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
[Brockausen] n’a pas reçu son courrier encore. Cela prouve qu'on veut lui envoyer les choses faites. Ces choses sont un nouveau protocole à 4 plus obligatoire pour les Allemands que les précédents, mais sans aller encore jusqu'à l’action. On commence à douter tout-à-fait des propositions pacifique de mon Empereur. Hélas, que nous avons été enfants de nous réjouir !
Voici votre lettre, bonne longue, intéressante. Constantin m'écrit. Pas un mot des nouvelles propositions. Nous irons jusqu'au rempart de Trajan, pas au-delà. Nous démantelons ou détruisons toutes les places que nous ne pouvons défendre. Nous avons fait cela en Circassie. Nous le faisons dans la Baltique. Alaud ne sera pas défendu, les ouvrages ont été détruits. Que de sacrifices déjà !
Hier le bois de la Cambre. Le soir Brokham, [Chreptovitch], le fidèle Van [Praet], Dalabier. Une journée comme toutes les journées, pesant bien lourdement sur le coeur et sur l'esprit. Ce beau temps m'agace. Paris doit être si beau ! Je voudrais me figurer qu'il y pleut. Mettez donc comme je fais un petit morceau de papier dans l'enveloppe, entre le cachet & la lettre. La vôtre est toujours collée au cachet. Voilà une des choses intéressantes que j’ai oubliée de vous dire ici. Il y en a d’autres meilleures. Si l'on vous parle de Kisseleff et de moi, je vous prie de ne pas vous gêner et de dire la vérité. J’espère bien que vous n'avez pas parlé de ce qui m’a tant occupé les derniers jours. Tout devient clabaudage aujourd’hui. J’aime bien votre forme de gouvernement, le silence. Croyez-vous franchement qu’un français puisse s'empêcher d’être indiscret. Je n’ai presque pas vu mon fils depuis votre départ. Je ne sais ce qu’il devient. Constantin croit à la neutralité arrivée de toute l’Allemagne mais rien n'était signé encore. Adieu. Adieu. Et Adieu.
25. Bruxelles, Dimanche 9 avril 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Le protocole signé à quatre a une grande valeur en ceci, qu'il témoigne l’accord avec les Allemands après là déclaration de guerre. Voilà l'importance de cet acte, car du reste je crois qu'il ne fait que confirmer les précédentes. Nous avons en effet proposé tout ce que vous savez et que disaient les journaux. " Si l'émancipation des Chrétiens est garantie par traité " & & Mais cela ne peut être qu’un acte de Sultan, ainsi pas de traité. Les affaires intérieures ne peuvent pas être réglées par des étrangers, il y aura des firmans, pas de traité. De cette façon notre proposition n’est pas acceptée. Repoussée à Londres, elle le sera à Paris. Reste l’idée d’un congrès tenu à Berlin. On en prend acte pour l’avenir, & c'est un progrès, car nous n’avions jamais voulu entendre parler de cela. Ce serait pour la question religieuse seulement. Voilà où en sont mes nouvelles.
Brunnow, Labensby, Kisseleff le matin. Celui-ci exactement embarrassé, et moi très froide, il n’est pas resté longtemps. Brunnow m’a vu dîner. Le soir Van [Praet], & [Brockhausen] ma promenade au bois, et toujours le beau temps. Il commence ainsi à m'ennuyer. Adieu. Adieu. Avez-vous entendu parler du Pce de Ligne. Adieu.
26. Bruxelles, Lundi 10 avril 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Bual en apprenant nos propositions a dit, il est trop tard. L’Autriche ne se prononce pas encore hostilement mais elle aime à nous laisser dans l’inquiétude. Meyendorff est dans son lit de colère et de vexation. Brouillé tout-à-fait avec son beau frère. Tout a très mauvaise apparence. Ce que vous me dites de votre anglais ne présente pas une perspective passable prochaine. Ah mon Dieu que notre joie aura été courte ! A point seulement pour m'empêcher de pleurer quand je me suis séparée de vous. Mais que de soupires je pousse depuis.
Hier un arrivant russe de Vienne. Mad. Barrot, [Chrepto vitch] [Brockhausen] Van Stratten, je n’ai pas vu autre chose. J'oublie Kisseleff cinq minutes pour une commission indirecte. Même froideur de mon côté. Brunnow m’a parlé de lui, du repentir. Et bien qu'il le montre. La commission c’était Mercier lui écrivant de Dresde à propos d'une dame de compagnie, un écho de Mad. Bilinska. Grand commérage déjà. Seebach passera par ici demain se rendant à Dresde. Ah mon Dieu que les jours sont longs.
Vous ne me dites pas si vous avez reçu tous mes N° avez-vous eu le 23 ? Sans importance mais for regularity's sake.
Le Maréchal Paskevitch a des pleins pouvoirs prodigieux militaires et diplomatiques. Il commande tout depuis la Crimée jusqu’à la Baltique et prendra une résidence centrale d'où il dirigera tous les mouvements. Pétersbourg est trop loin. Nous nous replions sur nous-même abandonnant tous les postes exposés. Je crois vous avoir déjà dit cela. Je me souviens d'avoir l'année 34 proposé à l’Empereur de faire cadeau à quelqu’un des îles d'Ossil et Dago. Habitées par des sauvages, car j'en avais vu à bord du bâtiment où j’étais sur la Baltique. Nous avions pensé échoué là sur des rochers, et ces animaux étaient venus nous porter secours. Une honte d’avoir de pareils sujets si près de la capitale. Adieu. Adieu.
Que deviendrai- je sans vos lettres ! Pas un moment de soulagement pour mon esprit dans toute une longue journée. Et Paris, si beau si charmant, si vert, si animé, l'air si doux, et la causerie ! et vous deux fois le jour, quel paradis. Adieu.
27. Bruxelles, Mardi 11 avril 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Oui, tout est bien triste, ce que vous me dites de la lettre de l'[Empereur] d’Autriche c’est le protocole. Approbation de la guerre. Entente pour la paix, si elle est possible. Aucun engagement actuel de la part des Allemands. Ce qui est sûr c’est qu'ils se mettront du côté du plus fort si on les force à se prononcer. On dit couramment que la Prusse nous a déserté. On travaille la Suède maintenant. Il sera facile de l'entraîner, elle aura cédé à la force, cela ne gâtera pas son avenir. Et voilà comment nous aurons tout le monde sur les bras.
Marcellus aspire à l’Académie et m'écrit une lettre fort bien tournée pour obtenir vos bonnes grâces. Pourquoi pas lui, si l'Evêque d’Orléans n'en veut pas ? Que dois-je lui répondre ? Hier M. Barrot, Labensky, Mad. Pourtalis revenant de Paris, qui m’a conté toute la partie frivole. Mad. Chreptovitch a fait avec moi le bois de la Cambre. Le soir le beau (on dit que je lui plais beaucoup. Je m'étonne, il m’endort.) Van Praet et voilà tout. Vous allez être bien content au jourd'hui du retour de votre fille et de vos petits-enfants. Vous êtes bien heureux. Si j’avais cela et la campagne comme vous ! Mais je n'ai rien. Brunnow vient aussi se loger à Bellevue. Adieu, le beau temps continue pour narguer ma tristesse. Adieu. Adieu.
Barrot m’a dit sur vous d’excellentes paroles, & cité de très bonnes choses que vous lui avez dites, et à d’autres aussi. Le [gouvernement] français aurait à se féliciter de vos bons propos.
28. Bruxelles, Mercredi 12 avril 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Il y a huit jours vous étiez là encore à déjeuner vis-à-vis de moi. Ah mon Dieu quand ? Un nouveau bonheur. Ellice & Marion arrivent à Paris aujourd’hui ou demain. Ils demeureront à l'hotel Windsor rue Rivoli. Le retrait des reform bill par Lord John assure la durée du ministère. J'ai eu hier des nouvelles très intimes de Berlin. Le parti de la guerre l'emportera. Le roi ne résistera pas longtemps & la Prusse nous fera la guerre. On n’en doute pas. Je ne sais si nous savons cela tout-à-fait.
Hier Brunnow, Vilchonsky [Chreptovich], [Brockhausen], Howard le matin. Le soir Van Praet, [Brockhausen] encore & Labensky, un temps superbe. Lord Howard me dit que c’est parce que notre ouverture est venue par l’entremise de la Prusse qu’elle n’a pas pu être accueillie en [Angleterre]. Mauvaise excuse, ce qui a plus de valeur, c'est que la forme de traité avec la porte ne peut pas être admise ce serait du protectorat et on nous l’a dénié à nous. Or, nous affirmons que la porte n’est tenue à rien tant qu’elle ne se lie que par firmans. Howard dit que l’émancipation complète sera obtenue aussitôt les troupes débarquées à Constantinople. Adieu. Adieu.
Toujours le soleil ! Adieu. Le ministère danois a été obligé de se retirer parce qu'il était Russe.
29. Bruxelles, Jeudi 13 avril 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Le protocole n’a pu être signé que le 9. Il a fallu en référer à Paris. Dans la conférence, Bual a été le plus vif contre nous, plus que Bourguenay. Les quatre sont d’accord sur le principe de la guerre, et le but l'évacuation des principautés. L'Autriche et la Prusse approuvent l’action des puissances maritimes. Comme vous dites l’action suivra de près l’approbation. Cependant nous sommes toujours contents de la Prusse, c’est-ce que me dit encore une lettre reçue ce matin.
Meyendorff dit qu’aujourd’hui que Canning a obtenu ce qu'il voulait à Constantinople, il est très possible qu’il veuille la paix et qu'il la fasse. Redshid veut garder les étrangers il n'y a de sûreté pour ses oeuvres et pour lui- même que dans leur présence. Le pauvre Meyendorff est dans son lit et très malade. Il n’a pas pu m'écrire ici, à Brunnow à qui il a cependant envoyé un courrier.
Savez-vous comment s’arrange le commandement de l’armée entre St Arnaud & Raglan ? Ni moi je ne puis croire à la saisie des meubles de Seymour. Ils peuvent ne pas lui être arrivés encore mais les prendre, c’est impossible. Quel article dans le Times sur cela ! Quel grossier langage, bon pour l'écurie. Je pense avec plaisir au plaisir que vous donnent vos enfants et petits enfants. Je ne suis pas selfish. Adieu. Adieu.
Mots-clés : Diplomatie, Enfants (Guizot), Guerre de Crimée (1853-1856), Presse
30. Bruxelles, Vendredi 14 avril 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Bunsen a un congé de 6 mois, ce qui équivaut à un rappel. J’ai bien peur qu'on ne m’enlève Brockhausen ce qui serait pour moi un vrai chagrin. J’ai vu votre lettre à Hélène, et si well as far as it goes. Merci mille fois d'avoir pris la peine de cet examen. Je crains les susceptibilités Allemandes, et une personne susceptible ne m’irait pas du tout. Je vais encore causer avec Sebach & voir à me décider. C’est grave après les sottes épreuves que j’ai faites à Londres.
Ah Marion ! Pourquoi ne se déciderait-elle pas à passer avec moi 6 mois par exemple ? Rien de nouveau. L’arrangement entre les deux Allemands n’est pas signé encore. Où est Montebello ? Je lui ai écrit deux fois, il ne me répond pas. Hier Brunnow, Sebach, [Chreptovitch] Van Praet. Adieu. Adieu pauvre lettre qui ne dit rien qu’adieu. Samedi le 15 Elle est restée par bêtise. J'ajoute sans avoir cependant rien à dire. Il y a eu à Londres presque catastrophe. John s'entêtait. Aberdeen a montré beaucoup d'énergie & de volonté, on le porte aux nues là & ici. Et tout danger est conjuré. Hier longtemps Lord Howard. Très sensé et clever. Il aimerait à rencontrer Brunnow, mais le hasard ne sait pas. Je suis rendue de chaleur et de fatigue d'écriture. Un courrier à Pétersbourg and no help. Ah si vous pouvez me rendre Marion. Adieu. Adieu.
Mots-clés : Diplomatie, Guerre de Crimée (1853-1856), Réseau social et politique, Salon
31. Bruxelles, Dimanche 16 avril 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Voici que j'ai bien besoin de vous. Et vite. Andral avait ordonné Ems à Melle de Offenberg. Ici, un médecin le déconseille, & veut l'envoyer à Spa. Elle consulte Andral aujourd’hui par lettre, lui soumettant le motif du changement, mais attendant qu'il décide par ce que sa confiance est à Andral tout-à-fait. Je vous en conjure décidez Andral à persister dans son premier jugement. Je suis perdue s'il fléchit, car tout ce voyage est pour la santé de cette jeune personne & Hélène y subordonne tous ses mouvements.
Voyez comme c’est pressé et comme c’est grand pour moi. Je suis curieuse de votre rencontre avec Marion. Ah que de choses frappantes à lui dire. M’abandonner, parce que je suis dans le malheur ? Avoir de la résolution et de la volonté pour s'amuser, en manquer quand il s'agit de charité. Je ne suis pas un Cosaque, elle le sait bien et vous encore mieux. Tout ceci me tracasse beaucoup et m'empêche de dormir. Ni embarquer avec une étrangère, grande dame, car on me dit qu’elle l'est quoique ce soit une affaire d’argent. Les mouvements de la dame de compagnie avec l’obligation de faire des cérémonies. Les alle mandes tiennent à cela. Il faudra peut-être que je lui porte sa chaise. Voyez-vous. tout cela se présente à moi sous un jour peu engageant. Ah Marion ! A propos si son père lui refusait de l’argent vous savez bien avec quelle joie je lui livrerais tout ce que j'ai. Je me souviens qu’elle me disait à Brighton : " Si vous me donniez comme à Miss Gibbon 100 £ comme je vous servirais mieux qu’elle ! " Enfin je rabâche avec moi- même, & je vous envoie en rabâchant avec nous. Dans ce moment le pressé, très pressé c’est Andral, car il est capable de répondre dans la journée. Hélas il n'y a donc pas une minute à perdre. Le ferez-vous ?
Hier Brunnow, Van Praet, Van Straten, Brockhausen, celui-ci deux fois par jour régulièrement. Vous ai-je dit qu’ici on a envoyé promener une fois pour toutes les insinuations à propos de la réunion russe. Jamais on ne dit rien de Paris. Les tracasseries venaient de Londres. On dit que la Prusse tente des nouvelles propositions auprès de nous, pour que nous en fassions à notre tour. Tout ce que vous me dites aujourd’hui est plein de good sense. Brockhausen a dû recevoir son courrier régulier ce matin, il ne m'a rien apporté. Sans doute oubli. Adieu. Adieu.
32. Bruxelles, Lundi 17 avril 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Merci des efforts infructueux au près de Marion. Certes il n’y aura pas ici de votre faute. Cette manière de voir est bien étroite, je dirai bien bourgeoise. J'espère que vous réussirez auprès d'Andral, car je me figure que le changement est une fantaisie des médecins d'ici.
Brunnow a rencontré hier Lord Howard chez moi. Celui-ci a dit entre autres choses qu'il ne à aucune impression. se fierait jamais ou opinion de Seymour. Voilà qui est Drôle. La conversation avait commencé très banale & froide. J'ai chauffé cela et c’est demain piquant & bon du côté anglais. Seymour va venir passer quelque jours ici. le soir Van Praet & Lebeau. [Brackhausen] cela va sans dire. Pas l'ombre d'une nouvelle aujourd’hui. On dit ici que l'accueil du public pour le duc de Cambridge a été froid, et que les Anglais se plaignent des lenteurs des Français. Ah si tout cela pouvait n'être pas nécessaire. Adieu. Adieu.
Mes yeux ont la fièvre intermittente, aujourd’hui le mauvais jour. Adieu.
33. Bruxelles, Mardi 18 avril 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Merci de tout ce que vous faites pour moi. Quelle révélation que tout ce que vous me dites sur Marion. Je m'interroge et je vous jure que je ne me trouve d’autre tort que de l’avoir trop aimée, et de l’avoir trouvé trop indis pensable à mon bonheur. Oui égoïste comme cela et sans réflexion, car une fois la parole donnée j'ai cru que ni elle ni sa soeur n’y manqueraient et j’avais arrangé ma vie sur cela et je me suis donc trompée, que de déception dans la vie ! J’ai appris que la lettre pour Andral n’est partie que hier, je serai bien inquiète jusqu'à la réponse. Vous avez été bien exact et bon. Vous ne me tromperez pas vous !
M. Ozeroff notre Ministre à Lisbonne est arrivé se rendant à son poste, et ne sachant comment y aller. On croit que je pourrai l’y aider. Il faut traverser ou l'Angleterre ou la France et on ne communique plus avec l'un ou l’autre. On écrit d’Italie de grands éloges sur la Duchesse de Parme elle montre beaucoup de tête et d’énergie, elle vient de faire un emprunt pour lequel elle a offert la garantie de toute sa fortune privée. Montessin est allé la complimenter de Florence. Pas de nouvelle. Tout le monde dit Cronstadt imprenable. Sweaburg ditto. Si cela est, cette grande expédition navale fera peu de chose, et c’est cependant de ce côté qu’on porte le plus de forces, et qu’on fait le plus de fracas comme tout ceci peut devenir ridicule. Adieu, Adieu.
34. Bruxelles, Mercredi 19 avril 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Vous vous trompez de N° ou bien j’aurai encore une lettre. Vous mettez 41. Lundi 17 et 43. Mardi 18. puis je n’ai absolument rien à vous dire. Vous savez sans doute que Richer a été appelé subitement à Vienne. Je ne sais s'il passe ou a passé par Bruxelles ou Strasbourg. Le beau temps s’obstine, et il fait si chaud dans mon salon que je serai obligée de décamper. J’espère trouver un coin au nord à Bellevue mais moins élégant que ceci qui ne l’est guère. C'est bien de l'ennui, petit ennui à côté du gros chagrin. Je ne sais ce qui fait dire de tous côtés que toute cette aventure sera courte. Ah si c'était possible.
Je suis très bien avec Brunnow. Je n’ai plus revu Kisseleff depuis les deux jours de suite qui étaient une commission dont on l’avait chargé. Je suis convaincue que je ne le reverrai plus du tout. Vous savez que le duc de Cambridge est parti hier pour Vienne, sans doute pour assister au mariage, politesse que mon Empereur aurait peut-être faite en personne. Si, j’ignore si la France y envoie quelqu’un de Berlin. Ce sera le Prince de Prusse. Je n’ai plus rien à vous dire. Tous les soirs Van Praet & Brockhausen, quelques fois Lebeau, souvent les autres diplomates qui ne sont pas très amusants. Tous les jours le bois de la Cambre. Ah que j’y pense à vous. Quand est-ce que je n'y pense pas ! Je sais bien que vous me plaignez. Adieu. Adieu.
35. Bruxelles, Jeudi 20 avril 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Vous avez réparé l'erreur des numéros. All right. Je n’ai vu hier que Brockhausen, et Van Praet. Le premier très préoccupé des nouvelles propositions envoyées par son roi à Pétersbourg. Fixer une date pour l’évacuation des principautés ; sortie simultanée des flottes ; congrès, suspension des hostilités en attendant. D’abord mon Empereur acceptera- t-il ? Et puis l'Angleterre voudra-t-elle ? On dit que dans ce moment elle ne veut entendre parler de rien que de coups de Canons. Il n'y a donc aucune vraisemblance. à ce que ceci aboutisse. C’est tout à fait l'avis ici. On ne croit à rien de possible. à présent.
Pardon de la demie feuille. Vous dînez chez Duchatel aujourd’hui. Je voudrais y être. J’aurais accepté s'il m’avait priée. Je me sens capable de tout si j’étais à Paris. Incapable de rien. Un découragement, une tristesse ! Ah mon Dieu ! Vous ne m'avez pas vu dans mon état naturel à Bruxelles. J’étais si heureuse pendant ces cinq jours ! Mais à présent, mais pour longtemps, sans savoir fixer une date ! C'est là ce qu'il y a d’affreux. Voilà l’Autriche bien affichée par la présence du duc de Cambridge à Vienne. Il y a un an Lord Westmorland n'osait pas se montrer dans les rues. Haynau oublié. Que de changements, partout, en tout. Hier Rotensky, Van Straten, et Van Praet le soir. Pas autre chose. Hélène attend avec anxiété la réponse d'Andral, et moi donc ! Il ne manquerait plus que cela. L’isolement à Ems. Mais je crois que ma veine de malheurs n'est pas épuisée. Adieu. Adieu.
Vos lettres font ma seule joie.
36. Bruxelles, Vendredi 21 avril 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Vendredi
Je vous envoie l’article du journal de St Pétersbourg pour le cas où il ne paraîtrait pas à Paris. Vous m'en direz votre avis. à moi il me parait très bien, mais je suis sujette à me tromper. C’est la déclaration dont je suis contente. Je n’aime pas autant l’autre article sur les publications secrètes je n’ai lu celui-ci au reste que très en courant. Mais vraiment l’autre me plait et beaucoup. J’attendrai avec impatience ce que vous m'en direz Adieu.
Pas de réponse d’Andral encore. Je m’inquiète.
J'aurai une grande joie à revoir le duc de Noailles Lundi. Mais quelle différence avec l’autre joie ! On me dit qu'il y a eu une entrevue entre Bual & Meyendorff dans laquelle celui-ci aurait demandé quelles seraient les conditions auxquelles on voudrait traiter de la paix. Bual aurait répondu : " très dures, la mer noire & les bouche du Danube. "
Tout ceci prouve que nous sommes disposés à la paix mais également qu’elle est impossible encore. Si j'étais de l’Empereur je n'essaierai plus rien. Il me paraît que le fils de Montebello, ne courra guère de danger. Je ne vois pas comment on parviendra à se battre. Votre mot : les deux géants avec des épées trop courtes. On dit que la convention entre les deux Allemands est conclue. On dit aussi que Bunsen est rentré en grâces.
Avant de me décider à déménager il m’a semblé que je pouvais faire une tentative directe. Elle a deux buts, avoir l’[appartement] qui me convient & finir la tracasserie. Si cela échoue je n’en serai pas plus mal avec [Kisseleff] car nous ne nous voyons plus du tout. La question est de savoir si cela est digne, car il me semble qui c’est suffisamment marquer le dire de rapprochement est-ce que je l'embarrasse, ou le tire d'embarras ? Je ne ferai rien sans votre avis. Vous corrigerez, ou vous direz non, comme fait mon fils. Voyez comme je suis helpless je ne sais pas me mouvoir sans vous.
Je ne vous envoie que le premier article, le bon. Je n’ai pas l’autre sous la main. Adieu.
Je vous ai cru Monsieur quand vous m'avez dit que vous cherchiez un appartement dans le but de rendre possible, de me céder celui que vous occupez et que vous m'avez offert dans le premier moment avec beau coup de bonne grâce, je me semble qui c’est suffisamment trouve donc autorisée à vous prévenir qu'il y a à l'hôtel Bellevue même un apparte ment complet contenant plus même que le nombre de pièces que vous occupez et où la salle à manger à la quelle vous sembliez tenir surtout est plus grande et meilleure. Le seul motif qui me fait hésiter à le prendre moi même est l'obligation de monter l’escalier je ne puis pas douter qu'il ne vous convienne, et je ne veux pas douter qu’il ne vous soit agréable de me rendre un léger service. Ni vous ni moi ne pouvons renier le passé et j'aurai pour mon compte beaucoup de plaisir à reprendre des relations que je regrette d’avoir vue interrompue depuis notre exil commun.
37. Bruxelles, Samedi 22 avril 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Dimanche 23
Voilà où j’en étais restée hier ; je n’avais absolument pas un mot à vous dire. Aujourd’hui rien non plus que des commérages. On dit que le gouvernement Canrobert n'a rien trouvé de préparé à Galipoli et qu'il est allé s’en plaindre à Constantinople. En Turquie hommes & choses sont épuisés. Tout serait fini si vous n’arriviez.
Le silence d’Andral me parait ominous. Je suis toujours sûre de ce qu'il y a de pire. Ceci serait affreux pour moi. Ni Hélène, ni mon fils, et personne ! Me concevez vous dans cette situation ? Je pense souvent à la cigale & la fourmis. Exacte ressemblance. Comment danser maintenant ? Hier il y a eu ici un orage épouvantable. Trois orages réunis aujourd’hui il fait froid. à quand donc la bataille ? Je sèche d'impatience. Je n’ai pas vu Barrot depuis longtemps. Lord Howardest à la campagne, invisible à tous. Brunnow court les Théâtres. Assis au balcon entre un marchand de toiles & un marchand de bière, causant avec eux de leur industrie, s’instruisant et se rendant très populaire. Si j'essayais cela m'amuserait peut-être. Je suis décidée. Votre lettre m’a décidée. Je ne veux pas que vous me méprisiez un peu plus. Voici des petits papiers. La cire m’a mangé un mot de votre lettre ce matin. Adieu. Adieu.
Savez-vous si Madame. Hatzfeldt est accouchée et de quoi ?
38. Bruxelles, Lundi 24 avril 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Votre opinion est la bonne sur nos pièces. Brunnow en pense de même. Faible, confus. Il est assez en blâme de tout. Je doute qu'il reste ici longtemps d’ailleurs, il n'y a rien à faire. Je ne pense pas que nous soyons mécontents du traité entre l’Autriche et la Prusse. On ne nous attaquera pas du côté de la Pologne. Constantin croit que l’automne amènera forcément la paix. De part et d’autre on verra qu'on ne peut rien se faire. Je ne suis pas aussi optimiste que lui on dit que les Turcs commencent à en vouloir beaucoup à Lord Redcliffe. On fait courir le bruit d’une visite de la reine d'Angleterre à Paris. J’ai peine à y croire.
Andral n’a pas répondu encore et la jeune fille a grande foi dans Ems et désire ardemment qu'il persiste dans sa première ordonnance qui était d'y aller. Il fait très froid depuis l'orage. Hier Brunnow a vu chez moi Barrot, ils ont fait connaissance, mutuellement très polis. Barrot m'a priée encore de vous dire son respect. Adieu. Adieu.
Je trouve notre circulaire sur les troubles en Grèce, assez vive. Qu’en pensez-vous ? Adieu encore. Nous envoyons à Vienne Le gouvernement Greenwald, pas grand chose pour assister aux noces. Voilà le duc de Noailles et votre bonne & longue lettre. Que je n’ai pas lu encore. Ah ! Si c'était vous !
39. Bruxelles, Mardi 25 avril 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Le duc de Noailles me raconte et m'amuse, mais une lettre de Marion m’amuse bien d'avantage. Elle est impayable. Elle a vu tout le monde. L’Empereur deux fois, le soir, le matin. Persigny, Fould, causé avec tous, la tête tonsurée, c'est-à-dire là où elle était, anti russe. Alliance française. Drôle, gaie. Ah que cette fille est charmante ! La comtesse Colloredo passe ici deux jours. Elle me dit qu’on est toujours échauffé à Londres.
32 fils aînés de Paris sont partis pour la guerre. Guerre élégante à la mode. Ils sont exaltés l’orient, les contes de fées. Ils seront bientôt déprimés. On écrit de Paris que Morny se marie. Une Delle de Boutteville légitimiste. Pas possible n’est-ce pas ? Le duc de Noailles a votre appartement. Il déjeune et dîne comme vous, à votre place. Distraction, & chagrin. Il reste jusqu’à vendredi. On m’interrompt. Adieu. Adieu.
Le rappel définitif de Brunsen fait un grand événement. Sacrifié à la Russie.
40. Bruxelles, Mercredi 26 avril 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Voilà Morny arrivé hier soir, il reste ici la journée & me la donne. Complication, car Le duc de Noailles est là. Nous venons de déjeuner à nous trois. Longue et bonne conversation dont moi je suis bien contente. Le roi vient de l'envoyer chercher à Lacken. Moi je viens d'écrire, je suis fatiguée je ne vous dis qu’un mot. Morny me donne le reste. de la journée il part demain matin. Vous aurez demain ou après-demain une longue lettre. Adieu. Adieu.
41. Bruxelles, Jeudi 27 avril 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Morny est réparti pour Paris ce matin. Hier j’ai envoyé le duc de Noailles dîner chez un grand ennuyeux le duc de Beaufort son neveu et toute la journée j’ai possédé Morny hors le moment où il a été à Lacken chez le roi. Il a rencontré chez moi tout le monde. Lord Howard, Brunnow, l'Autrichien, Chreptovitch Brockhausen, Les Belges Brockers, Van Praet, Lebeau, tous hors Kisseleff qu’on dit très embarrassé. J'ai été extrêmement content du langage de Morny, et de tout ce qu’il m’a dit de son Empereur. D’abord je me vante qu'il m’a fait porter des paroles gracieuses de sa part. Toujours désireux de la paix, et si elle s'offre convenable bien décidé à poser sur l'[Angleterre] au reste si elle n'était trop obstinée on n’est engagé à rien, c’est très remarquable. Dans la convention d’alliance très content des allemands dans tout les cas on ne s’attend à aucun concours actif, mais dans tous les cas le concours moral donne une grande force à la France pour accepter la paix quand elle sera possible.
Andral a répondu pour se récuser. Il faut encore les avis du Médecin qui traite ; il n’a pas le droit de juger de loin. C’est donc fini, elle va à Spa. Vous concevez comme cela me désole ! Ma nièce Demidoff écrit d'Odessa en date du 17. Quelques bateaux à vapeur croisaient devant le port. Mais il ne s’était rien passé. Voilà qui détruit la destruction d'Odessa le 14.
J'ai eu de curieuses lettres de Londres. Lord Palmerston très bien très tendre, et pacifique. Agréable. toujours la guerre populaire sachant qu’elle ne l’est pas en France.
C. [Greville] me dit ici d'Aberdeen : charmé de notre déclaration, modéré et pacifique. Et si l’Empereur faisait des propositions tant soit peu acceptables " They might send me to the Tower but nothing on earth would prevent me from accepting peace. " On sait fort bien en Angleterre que les Français détestent la guerre & que l’Empereur serait enchanté de la voir finir. Marion a eu une longue conversation avec Persigny. Excellent langage. La France ne veut rien, ne prendra rien, elle veut l’estime de l’Europe. Elle y a déjà fait beaucoup de chemin, elle en fera encore et forcera tout le monde à la respecter et l'honorer. Marion a proposé la Savoie et le Rhin, il l’a envoyé promener en répétant rien rien rien que l’estime des honnêtes gens. Toutes ces lettres vous plairaient fort. J’emploie ce matin le duc de Noailles, M. Grote & Hélène a me faire des copies. Tout cela établi dans mes deux petites chambres. C’est comme une scène de Comédie et moi vous écrivant au milieu de cela. Morny a été charmant et vraiment sa visite ici a fait un extrême plaisir.
Il n'y a pas un mot de vrai à la nouvelle de son mariage. Il n’y a pas moyen de continuer Adieu. Adieu. Adieu.
42. Bruxelles, Vendredi 28 avril 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Le duc de Noailles passe encore la journée ici. Il s’amuse, il y a de la variété & toujours des nouvelles. Il a dîné hier chez Lamoricière avec M. de Rémusat. Avant hier à un bal chez Brockhausen, Morny y a été aussi. Très élégant bal dit-on.
La convention austro prussienne n’est pas tout-à-fait conclue. Le duc George est encore à Berlin. Sebach en arrive, il dit qu'on est peu russe à Berlin et encore moins français.
On écrit ici de Pétersbourg qu'on a fait transporter à Moscou le trésor de la forteresse 400 millions. De tous côtés cependant on doute qu’on puisse attaquer Cronstadt. Lamoricière qui connaît la place a dit au duc de [Noailles] que par mer elle est imprenable, par terre ce serait possible avec un corps de 30 m h. On dit cela aussi de Sevastopol. Mes yeux vont mal depuis hier. Je fais économie et ceci ira par le duc de [Noailles]. Je me ravise. On ne sait pas l’avenir autant vaut vous envoyer toujours ce bout de lettre par la voie ordinaire sauf à écrire encore si je puis. Adieu. Adieu.
43. Bruxelles, Vendredi 28 avril 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Grande haine à Pétersbourg contre les Anglais. Des invectives dans les rues aux passants russes qui ont la tournure anglaise. Pas un mot des Français, au contraire bonne amitié pour eux. Le plus gros juron russe est Palmerston. Les cochers disent cela entre eux. Le duc de Noailles vous répètera que l’Empereur Napoléon est rempli de désir de la paix, et de l'horreur de la propagande révolutionnaire. Morny a été bien vif et décidé sur ce chapitre à aucun prix on ne favoriserait ce parti. On se trouve en grande et bonne compagnie, en grand renom. On veut rester comme cela. On y restera. Persigny a tenu le même langage à Marion. (Elle me le mande.) On croit à une campagne stérile, on souhaite ardemment des propositions acceptables. La difficulté sera l'Angleterre mais on pèsera sur elle ; efficacement si on est à trois, et si non on pourrait bien sans elle se décider Morny a trouvé le roi Léopold assez mécontent de l'Angleterre. Il lui a dit de ne pas faire attention à ces bourrades contre les Russes à Bruxelles. Qu'il les garde, qu’il garde son indé pendance. On ne sait trop ce que ferait les Allemands. La Prusse certainement point d’action contre nous, si l’Autriche s'en mêlait ce serait bien douce ment. La neutralité le plus longtemps possible et toujours en position de négocier la paix. Mon empereur la veut ardemment. En consentant à un congrès c'est bien la plus grande preuve. Lui qui s'obstinait au tête-à-tête.
Mes pauvres yeux, je vous renvoye au duc de Noailles, il a tout entendu tout écouté. Sa rencontre si intime avec Morny l’a bien amusé. Du matin au soir avec lui car on déjeunait chez moi, et la nuit au bal dans ma voiture, mariés pour le quart d’heure. Moi aussi cela m'a bien amusée. Voilà que cela finit ! Pourquoi Montebello, Dumon, d'Haubersaert ne viendraient-ils pas ? Toujours mon château. Que je serais aise. Mais concevez-vous le malheur de me séparer d'Hélène. Et pourquoi Andral ne pouvait-il pas avoir un avis, le [?] Politique de confrère. C’est mal. Adieu Adieu.
N'oubliez par le courrier de Hatzfeld le 1er mai Lundi si vous avez de quoi.
44. Bruxelles, Samedi 29 avril 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Le duc de Noailles est parti ce matin. Vous le verrez sûrement dans la journée. Dites lui ma grande reconnaissance, mon grand chagrin, mon grand ennui. Cette semaine a été bien remplie et bien agréablement. J'ai encore eu une lettre de [Greville]. Très curieux de ce qui se fait entre Vienne & Berlin, n'en sachant pas le premier mot. Espérant bien que le bombardement d'Odessa n’est pas vrai." A sheer barbarity, without any sort of use."
Je n'ai rien à vous dire de nouveau depuis hier soir. J'écris beaucoup, cela fatigue mes yeux. Ce sera bien pire quand je n’aurai plus Hélène pour venir à mon aide. Ah qu'Andral aurait pu faire une autre réponse ! C'était si simple, répéter ce qu'il avait prescrit, peut être est il blessé de ce qu'on ne s'en soit pas tenu à cela. Si c'était vrai ce serait bien bon à dire, et peut-être à défaire encore le mal. Adieu. Vous voyez ma préoccupation de cette affreuse perspective d'isolement. Adieu.
45. Bruxelles, Lundi 1er mai 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je vous écris une lettre ostensible pour être lue par Andral. Hélène est tout aussi intéressée à cela que moi, car elle est sûre pour son compte qu’Ems is the thing. Seulement l’esprit de la malade est troublée, et la sentence nette d’Andral décidera tout. Je vous prie je vous prie, Hélène vous supplie, ne perdez pas de temps. J'ai eu une bonne lettre de Morny mais rien de lui. Seulement il a retrouvé le langage plus accoutumé à la guerre. Il n’avait pas encore vu l’Empereur il allait le voir hier. Il me parle des bombardements d’Odessa comme de quelque chose de sauvage. J’ai peine à y croire. Ici on ne sait pas encore d'une manière précise. Vaudrait et Brockhausen sont toujours mes plus fidèles.
Mad. Salvoy m’a écrit de Vienne tout bonnement une lettre spirituelle. Au milieu des récits de toilettes et de fêtes, il y a des observations. Hubner petit rôle, rien du tout. Bual embarrassé. Le public enthousiaste pour la France. Dans la rue hourah pour l'équipage de Bourguenay. Tous les généraux autrichiens, russes. Il pleut, je ne me promène plus. Adieu. Adieu.
Si Andral faisait encore des façons, il me semble qu’il pourrait pour le moins formuler son opinion comme voici, sur l’autre nuance de vert. Vous voyez comme cela m'occupe, mais Hélène est bien mon compère aussi je vous en réponds. Adieu. Vous dites de belles paroles dans votre discours !
46. Bruxelles, Mardi 2 mai 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je commence par reprendre les chevaux blancs et les acclamations à Bourguenay. J'avais la France pour Fiancée c'est un peu différent. Mauvais griffonnage & des mauvais yeux. C’est très ridicule de vous avoir mandé cela & nous en avons bien ri le soir. Ensuite bonne nouvelle pour moi. Le médecin d'ici a de son propre mouvement (pas trop propre soit dit bien entre nous) renoncé complètement à Spa pour sa malade. & c’est à Ems que nous allons tous. Si vous n'avez rien fait ne faites rien. Si c’est fait tant mieux cela confirme. Merci, pardon, & surtout merci.
Sir H. Seymour est ici. Il parle très bien de mon Empereur, très mal de tous ses serviteurs. Pour lui plaire on le trompe, et il ne s’étonne que d'une chose c’est qu’il ne soit pas trompé davantage. Il ne veut voir aucun Russe ici excepté moi. Il y a recrudescence d’irritation. Chez nous l’approche du danger excite à ce sentiment. Meyendorff a demandé à Bual si l'évacuation de la petite Valachie ne produisait pas une bonne impression sur son cabinet. Pas le moins du monde. On ne sera satisfait que de la retraite absolu des [Principautés]. J'ai beaucoup écrit hier à Pétersbourg pour le courrier de Hatzfeld qui devait passer cette nuit. Brockhausen m’a dit que ce ne serait que la nuit prochaine. C’est ennuyeux. Brunnow vient de louer ici une maison, il se lance dans le monde. Hier deux heures de tête-à-tête avec lui. C’est drôle ! Si intime avec Brunnow et brouillé avec [Kisseleff] car c'est fini, il ne revient plus. Adieu. Adieu.
47. Bruxelles, Mercredi 3 mai 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Constantin me mande en date d’avant hier qu'en Asie nous allons avancer en Arménie et assiéger Kars. De ce côté-ci nous mettons le siège devant Silistrie tout en conser vant notre position dans la [?] Nous évacuons toute la petite Valachie par égard pour l’Autriche et parce que militairement cette occupation n’est qu’une charge. En juin, nous aurons 700.000 hommes d’infanterie, le reste à l’avenant. Sur lesquels 200.000 en Pologne. [...]
Mots-clés : Guerre de Crimée (1853-1856)
48. Bruxelles, Jeudi 4 mai 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’ai retrouvé quatre de vos lettres commencement de l'année dernière, de juillet. Admirable de jugement, de prévision, et d’actualité comme on dit. Tout ce que vous annoncez s’est fait et se fait. C’est vraiment bien curieux. J'en ai régalé Brunnow qui entre pétrifié. Vous connaissiez l'Angleterre mieux que lui. [?] auquel j’ai donné aussi la joie de lire cela, dit, qu’il vaut bien la peine de rester en exil quand on reçoit de pareilles lettres. Elles sont vraiment frappantes.
Mlle de Cérini est arrivée hier, elle est tout ce que vous me dites et la première vue lui a été toute favorable. Nous verrons. J’apprends de bonne source de Londres qu’on est inquiet de se voir si dégarni de troupes. Il ne reste plus rien. Tout cela s'est fait bien à la légère ; on accuse Palmerston d’avoir poussé à la guerre. La cour lui en veut. On appelle la milice pour avoir une force armée quelconque. En Prusse, haine énorme contre l'Angleterre, le roi, enragé. Il voulait mettre Bunsen sous jugement, des fureurs. Il est très ferme dans son amitié pour nous. Le parti opposé est cependant bien fort.
Manteuffel donne la nouvelle que dans l’attaque sur Odessa, on a démonté deux de nos pièces, brûlé 4 vaisseaux anglais, 3 Français un prussien, après quoi et avec quelques dommages à ses propres navires la flotte alliée a pris le large. Si tout cela est vrai voilà une expédition peu glorieuse. J’attends avec curiosité ce Moniteur. Et les nouvelles étrangères. Adieu. Adieu.
Demain je vous écrirai au Val Richer. C’est ennuyeux de vous voir vous éloigner. Adieu.
49. Bruxelles, Vendredi 5 mai 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Point de lettre ce matin. Pourquoi ? Je m’étonne, je m'inquiète, je m'effraye. Voilà les degrés. Ma journée va être gâtée. C'est si charmant d’être sûr de son plaisir tous les matins.
Une longue lettre de Londres. Mais rien de nouveau. Le duc de Cambridge a rendu compte à Clarendon d'une longue audience auprès de l’Empereur d’Autriche, très satisfaisante pour la politique anglaise. On augmente les forces de terre et de mer, cela est encore populaire. On ne se dégraisse qu’à la fin de l’été si la campagne est stérile. Il parait que vos canons ont fait des dégâts dans la ville d’Odessa. Le palais Woonsore vraiment brûlé. Lui le plus anglomane des hommes. Et boudé par le fait de son propre neveu Sidney Herbert Ministre de la guerre. Seymour retourne à Londres aujourd’hui ; il n’est pas venu me voir quoi qu'il se soit fait annoncer. Je vous ai dit qu’il parle de l’Empereur très bien, de ses serviteurs très mal.
Brunnow a appris qu’on tracasse, et qu'on s’inquiète à Londres de son séjour ici. Il a dit : " si cela continue je prendrai une maison, & si cela continue encore après, je prendrai une maîtresse."
Je vous ai dit que tous les consuls sont rappelés respectivement de partout. Nous avons renvoyé assez rudement les Anglais, très grande politesse pour les Français.
Les vraies nouvelles d'Odessa manquent encore. Le silence du Moniteur est curieux.
Melle Cérini réussit. Cela sera réglé dans la journée. Mais où est ma lettre ? Je ne pense qu’à cela, et en voilà jusqu’à demain matin. C'est bien long. Ah que vous m'êtes nécessaire et cher. Adieu. Adieu.
50. Bruxelles, Samedi 6 mai 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je vous écris encore de mon lit et avant la poste. Je suis dans la plus vive attente de cette poste. Il me faut une lettre, car j’ai passé hier toute la journée dans l’inquiétude.
Pas de nouvelles ici. Le silence du Moniteur sur Odessa étonne. Il y a à Londres beaucoup de faillites cela commence à inquiéter l'insurrection grecque va mal, et l’intervention anglo-franco-autrichien va sans doute l'achever. Car cette intervention parait résolue.
La légion populaire se forme. On recrute partout, & Adam Czartoryski mène tout cela successfully.
Seymour est reparti sans venir me voir. Il a eu peur de rencontrer l'un de nos ministres. Je vous ai dit que son langage sur l’Empereur était trés bon. Il ne trouve pas que son gouvernement fasse assez de cas de lui, le public le comble, mais il n’y a aucun profit à ces démonstrations.
Voilà votre lettre d’hier le 59. Pas de 58. Qu’est-il devenu ? Où le réclamer ? Que concluait-il ? Vous en souvenez-vous, pourriez-vous recommencer, ou du moins vous souvenir un peu ? C’est le jeudi 4 qui me manque. Celui-ci est bien court, & vous voilà bien loin. Cet éloignement me désole. Se parler & se répondre dans 48 heures c’est encore charmant quand on n’a pas mieux.
Mlle Cerini (c’est bien cela famille Italienne de Florence) est repartie ce matin. Nos arrangements sont faits. Elle est tout ce que vous me dites d'elle reste à m’accoutumer à elle et à oublier Marion, ce qui est bien difficile. Elle viendra for good vers le 25 de ce mois. Je compte aller le 6 juin à Ems. Ce sera avec une grande tristesse. M'éloigner de vous encore davantage, c’est à pleurer ! Le Moniteur de ce matin est encore maigre sur Odessa. Il y reste au 22. Je suis curieuse de votre relation, et enfin, de la fin. Brockhausen deux fois le jour, Van Praet une, les Creptovitch, Brunnow souvent, Labensky, voilà sur quoi je roule. La petite Olga me plait bien, elle lit & m’amuse. Adieu. Adieu.
51. Bruxelles, [Dimanche 7] mai 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Dimanche
Voilà le 58 retrouvé, il vient de m'arriver mais sans le timbre de Paris. Je me trompe, le timbre y est, mais du 6 au lieu du 4 qui est la date de la lettre, il y aura eu négligence chez vous.
On ne sait rien ici. L'emprunt à Londres ne réussit pas. Il y a beaucoup de faillite dans la cité, tout cela peut servir la paix. Je ne sais que penser d'Odessa. Pourquoi ne donne t-on pas le rapport de l’amiral Hamelin ? C’est évidemment tronqué. Nous allons voir la version Russe. Car encore faut il écouter tout le monde. Meyendorff disait le Palais Woronzoff & la statue du duc de Richelieu détruits. Clarendon annonce que les flottes sont allées à Sevastopol.
Avez-vous remarqué dans l’Indépendance qu’on avait trouvé à Vienne Hubner trop anti russe ? Les lettres le disent bien plus encore que les journaux. Je pense qu'il va bientôt revenir et qu’il passera par Bruxelles. Je n’ai vraiment rien à vous dire mais je pense qu’il vous faut un papier vert au Val Richer. Avez-vous chanté, avez vous froid ? Ici il continue à faire très laid. Il y a quinze jours que je n’ai vu le bois de la Cambre. Adieu. Adieu.
M. de Lazaroff à Masa. Cela divertit toute la Colonie russe. It serves him right. La sortie de M. Bonin du Ministère prussien nous débarrasse du dernier ministre anti russe.
52. Bruxelles, Lundi 8 mai 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
C'est bien triste deux jours sans nouvelles de vous ! Je n'ai de lettres de personne non plus de sorte que je vis du Moniteur et du Journal des Débats devenu très bon courtisan.
Rothschild est arrivé hier pour quelques heures. Il est guerroyant et croit à la durée de la guerre. Il dit que c’est une expérience à faire mais que jusqu’ici loin d’être ruineuse elle profite à l’industrie du pays. Toutes les actions de chemin de fer montent. L'augmentation de l’armée fait marcher les fabriques. Enfin il est très content et confiant et croit que la guerre ne peut être mauvaise qu’à la Russie. Je suis un peu de son avis.
On m'envoie nos bulletins sur Odessa, je pense que vos journaux n'oseront pas les publier. La prétendue insulte au parlementaire est une fausseté, on n’a pas tiré sur lui, mais sur une frégate qui avait voulu s’approcher après le départ du parlementaire. Le récit de l’affaire ressemble assez à ce que vous dites. Quelques ouvrages détruits, quelques maisons de commerce brûlées. La ville épar gnée. Au fond cela n’a été ni très brillant pour vous, ni très désastreux pour nous. La perte d’hommes insignifiante, 4 tués, 45 blessés.
Rothschild est convaincu que l’Autriche nous fera la guerre ; & la Prusse aussi plus tard. Le temps est affreux et l'ennui est grand. Adieu. Adieu.