Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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208 Bade le 5 juillet vendredi 1839, 8 heures

Je cherche ce que j’ai à vous conter. Il a gelé cette nuit positivement gelé. Ce matin il y a un beau magnifique soleil du mois de janvier voilà le beau pays que je suis venu chercher ! Personne ne se baigne, personne ne boit, tout est suspendu. J’ai mal dormi, j'ai eu chaud, j'ai eu froid. Cela fait une intéressante 2 lettre n'est-ce pas ? Que je voudrais voir ces deux mois écoulés, car enfin je me crois obligée de rester puisque j’ai dit que je resterai, et je suis cependant que ceci ne convient pas à ma santé. Les bains de mer me feraient du bien, ils m’en ont toujours fait, mais où les chercher ? Ah s je n’étais pas seule, tout serait facile. Mais seule, seule, voilà ma vraie maladie. J’attends avec impatience votre discours. Je n’ai pas lu encore la séance de lundi.

1 heures
Je viens de lire. M. de la Lamartine a dû être très brillant. M. Villemain a eu un grand mérite à savoir si bien lui répondra. Je suis curieuse de la suite du Débat. Il n’en ressortira cependant rien de pratique. Cela est évident. C'est une question sur laquelle on peut parler, mais on ne peut pas faire. Personne ne veut faire. le médecin n’est pas content de moi, et je le suis très peu de lui. Il va changer les bains. Demain on y mettra du houblon au lieu d’aromates et toujours du sel. Tout cela sont des bêtises, rien ne me fera du bien. Dites-moi si je dois continuer à faire la volonté du médecin. J'ai bien envie de ne plus rien faire. Mon pouls est fort affaibli. Vous voulez la vérité et je vous la dis. Mad. de Talleyrand me conseille de partir. Elle a bien raison. Ma vue seule est de l'ennui pour tout le monde.

5 heures
Voici le N°206. C'est le premier c’est le seul bon moment de ma triste journée. Je vous remercie de me le donner. Je serai bien avide de lire votre discours demain matin ; ce n’est que le matin qu'on me l'apporte. Adieu. Adieu mille tendres adieux.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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209 Bade Samedi 6 juillet 1839 1 heure

J’ai lu et relu votre discours. Relu surtout le passage sur l’Empereur dans l’intention de bien me rendre compte de l’effet qu'il peut produire chez nous. Le personnage principal ne peut pas en méconnaître la vérité, mais elle ne lui plaira pas. Ceux qui après lui comprennent seront contents. Moi je suis très contente de tout votre discours et soyez sûr que je suis difficile. J’ai voulu commencer ma lettre par vous dire cela.
J'ai mal dormi, mes forces m’ont manqué pour la promenade du matin, j’ai pris mon bain de houblon quelle idée ! J’ai dormi depuis il me semble que je suis un peu mieux que ce matin. Vous voyez que je vous dis minutieusement tout. Le temps redevient beau mais je crains que cela ne dure pas.

5 heures
Votre lettre m’attriste, j'y répondrai demain. Je vaux mieux que je ne parais. Je vous aime plus, mille fois plus que vous le pensez. Si vous pouviez voir tout ce qu’il y a dans mon cœur ! Mais on ne voit jamais la dedans. Ah mon Dieu que vous aimeriez y regarder. A présent dans ce moment. Et ce moment, et sera toujours. Adieu. Je ne me sens pas bien, je ne puis pas continuer. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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210 Baden Dimanche le 7 juillet 1839 8 heures

Il faut convenir que vous prenez bien mal votre temps pour douter de mon cœur, pour douter que mon cœur ma vie sont à vous, pour croire que vous ne suffisez pas à mon âme. Et mon Dieu qu’est ce qui occupe mon âme ? Où trouve-t-elle du repos, de la douceur, si ce n’est en vous. Je suis bien accablée de mes malheurs passés, de mes peines présentes, je le suis plus ici que lorsque j’étais auprès de vous, et cependant avec quel bonheur je pense à vous, comme je retrouve de la joie de la sérénité dans le fond de mon âme en arrangeant le reste de ma vie pour vous, avec vous ! Vous êtes bien le reste de ma vie. Si je ne vous avais pas, je n’aurais plus rien. Dites-vous cela, dites-vous que je le pense sans cesse, sans cesse, et voyez si je ne vous aime pas plus que vous ne pouvez m'aimer ? Car vous, vous avez du bonheur sans moi. Et moi je n’ai plus rien sans vous.
Dites-moi si je dois me baigner ; si je dois rester à Baden. J'ai besoin qu'on me dirige. Je ne sais pas me décider. Je suis certainement plus malade qu’en arrivant, faut-il que j’attribue cela au temps ou aux remèdes. Jamais je n’ai été accoutumée aux bains, ils m'ont toujours affaiblie. Il n’y a que les bains de mer qui me conviennent. Dois-je faire à ma fantaisie c.a.d. ne plus rien faire. J'ai si besoin de vos conseils. Et après tout, ce que je fais ou ne fais pas, c'est pour vous. Il m'importe peu d’engraisser, de maigrir. Mais vous voulez me revoir autre que vous ne m'avez quittée, et je n'oserais pas revenir à Paris si je n’ai fait votre volonté.
J’ai été interrompue par Mad. de Nesselrode. Elle vient quelque fois causer de mes affaires. C’est de la bonté, mais il n'y a rien à dire il faut attendre. Paul va se trouver dans un grand embarras. On ne doute pas là-bas qu’il ne fasse un arrangement convenable, car le droit serait trop peu, et jamais on ne s’en est tenu au droit. Lorsqu'il s’est agi d'une mère. Voilà ce que Mad. de Nesselrode crie sur les toits en vantant à cet égard la supériorité des Russes sur tous les autres. Si elle a raison, encore une fois, le dilemme sera grand pour Paul. Que fera-t-il ? Et moi dites-moi ce que je ferai ? Puis-je accepter son au delà du droit après ce qui s’est passé ! Mon instinct me dit que non. Aidez-moi. Je vois votre réponse ; " Votre fils ne vous mettra pas dans cet embarras." Cependant répondez comme s'il m'y plaçait. Si je mettais mon acceptation au prix d’un retour de sa part, il n’aurait garde de revenir à moi. Répondez, répondez.

11 heures
Je pense beaucoup à votre discours c'est au fond le vrai discours politique dans cette discussion. Il est fort remarqué. Et en général on pense que l’Empereur doit être content de ce que vous avez dit de lui. Je le pense aussi sauf un point, le véritable, et que vous avez traité avec une grande habilité, ne lui imposant des devoirs qui pourraient ne pas rencontrer ses intérêts. Somme toute vous avez fait un beau discours et qui sera fort remarqué chez nous. On me dit que le mariage Dormstadt n'aura pas lieu. On ignorait la naissance lorsqu'on s'est embarqué si étourdiment dans cette affaire. C’est une grande étourderie d’Orloff. Mon mari en eut été incapable. Il est vrai que la bâtardise ne pouvait pas être un grand pêché aux yeux d’Orloff. A Berlin on s’est fort ému de ce choix et on a éclaté. Je ne sais au reste ceci que par des voies détournées. Voici votre lettre, je n'ai plus que le temps de vous le dire, et de vous dire adieu, et bien des adieux.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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211 Baden lundi le 8 juillet à 1 heure

Je ferais bien mieux de ne pas vous écrire aujourd'hui. Vous ne sauriez concevoir combien je me sens malade. Voici quatre jours que je ne mange plus. Les bains il n'en sera plus question, ils m'ont abîmé. Je me traîne encore mais je ne sais vraiment si je me traînerai longtemps. J’ai l’air aujourd’hui d’une personne qui sort d’un tombeau. Voyez vous je ne devrais pas vous dire toutes ces choses là, je vous les dis parce que vous voulez la vérité. Il vaudrait donc bien mieux ne pas vous écrire. Que j'avais raison dans un triste pressentiment lorsque je vous ai quitté ! Pourquoi suis-je partie ? Je sentais que je ne pouvais plus rester, et il me semblait en même temps que je ne pouvais plus revenir. Est-ce que je ne reviendrai pas ? Mon dieu que je suis triste et faible.

Mardi 8 heures
Vous voyez bien pourquoi vous n'avez pas eu ma lettre d’hier. Il n’y avait pas moyen de vous envoyer cette triste page. Et aujourd’hui je n'ai rien de mieux à vous dire. J’ai essayé de marcher comme de coutume, mais mes jambes se refusent . Si je pouvais manger je me soutiendrais, mais je ne puis rien prendre. J'ai du dégoût pour tout. votre lettre à fait l’événement et le plaisir de mes journées. J’ai mené Madame de la Redorte en calèche le soir ; je ne suis pas difficile, il me faut quelqu'un. La pluie nous a surpris. J’ai passé un moment chez Mad. de Nesselrode ; nous avons causé jusqu'à neuf heures. C’est l'heure où je vais me coucher. Je mène une bien triste vie. Je maigris de cela autant que du bains.
Vous ne me dites pas si vous avez vu Pozzo. Comment le trouvez-vous ? Malgré ce que je vous ai mandé l’aube jour et qui est vrai, je vois que le mariage à Darstadt se fera. Le grand duc est épris et a pleuré en se séparant de la petite princesse. Cela suffit, l’Empereur fera sur cela la volonté de son fils. Il sera absolu dans tout le reste mais dès qu'il s’agit d'inclination, de bonheur de ménage, il fléchit.
Adieu, quelle lettre ! Comment vous envoyer cela ? Ah que je voudrais vous en écrire de meilleures, me sentir un peu de force, un peu de courage, mais tout me manque. Ne m’abandonnez pas. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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212 Baden le 10 juillet 1839 9 heures

La mort de cette pauvre Lady Flora Hastings me parait un bien mauvais événement. Si vous causez avec Pozzo demandez lui ce qu'il pense de l’impression que cela fera sur l'opinion. En général Pozzo doit être curieux à questionner et à entendre. Je regrette de ne pas le voir. Vous me faites plaisir en m’annonçant Zéa. Mais il est bien sourd et je suis bien faible.
J'entends beaucoup dire que Bade est bien mauvais pour les personnes qui souffrent des nerfs, et maintenant je me souviens que je l'ai éprouvé moi-même les deux fois que j’y suis venue. Vous m’avez dit et même écrit je crois, que j'oubliais trop facilement tout ; vous avez raison, non pas pour tout, mais pour la plupart des choses qui me touchent. Je ne profite pas de l’expérience, il faut convenir que l’affaire de Bade est une pauvre bêtise de ma part, maintenant dites-moi où il faut que j’aille ! Et voyez un peu tous les inconvénients matériels et moraux qu'il y a pour moi à un déplacement. Je vous assure que j'en suis toute consternée et surement il faut prendre un parti car tous les jours je suis plus mal, & c’est visible. M. de Bacourt va prendre des renseignements sur M. Buss et vous les aurez dans peu de jours. Tout ce qu’il en sait c’est qu’il est professeur de l’université de Fribourg.
D’après les dernières nouvelles de Vienne, l’état du Sultan est désespéré ; cela va faire une grosse complication. Je vous remercie de vous promener aux Champs Elysées en pensant à moi. Je me trouve un si pitoyable objet que j’ai peine à comprendre qu'on y pense. Mon Dieu que je suis découragée ! Voilà le médecin qui sort de chez moi, et qui me conseille d’aller chercher les bains de mer. Mon pouls l'inquiète et il veut je crois se débarrasser d'un malade compromettant. Mais avec qui aller, où aller ?

5 heures
J’ai vu une lettre de Vienne dans laquelle il est dit que le Cabinet est consterné de la nouvelle de Constantinople. Le Prince de Metternich se flatte d’établir une conférence à Vienne sur les affaires de l’Orient. J"en serais fort étonnée. Voici votre lettre. Que vous êtes bon de m’écrire si assidûment que vous me faites plaisir. Je n'ai plus que ce plaisir. Je n’attends que cela, je n’aime que cela. Adieu dans ce moment je me sens un peu mieux. Vous voyez que j'ai hâte de vous le dire. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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213 Baden Jeudi 11 juillet 1839 à 9 heures

J’ai passé une bien mauvaise nuit ce qui m’affaiblit encore. Je reprends tout à fait ma nouvelle sur le mariage Darmstadt. Il se fera. Le grand duc est décidément épris. Il reviendra à Darmstatd peut être même avant la fin de l’année. Mon fils aîné sera nommé conseiller d’état, quand on est cela chez nous on ira à tout. Je suis charmée ; cela le figera dans la carrière. Il parait qu’il a du succès à Pétersbourg, & que l’Empereur et tout le reste veulent conserver un Lieven pour de hauts emplois. S'il le veut il ira loin et je crois qu'il voudra.

5 heures
Je me sens bien malade, j’ai de la peine à vous écrire, et puis je m'en vais vous en causer de la peine, vraiment je ne sais que dirait le médecin me prie de quitter Bade au moins pour quelques jours. Je n'y puis pas m’y décider parce que dans cet état de souffrance il est absurde de m’en aller courir seule, toute seule ! Je ne sais où. Ah c'est d’être seule qui est affreux ! Jamais je ne l’ai autant senti qu’à présent. Pardonnez-moi mes lettres, vous voyez que je n’ai pas ma tête à moi. Et si je ne vous écris pas. Vous me croirez morte. Je vous écris donc & je vous dis tout. Je ne mange plus depuis huit jours mes forces diminuent beaucoup. Je dors encore mal, mais je dois. Mon pouls est bien faible, ma mine affreuse, ma maigreur plus grande qu’a Paris ; vous savez tout. Mais vous ne saurez pas me dire ce que je dois faire. Retourner à Paris serait absurde, enfin tout est absurde. Adieu. Adieu. Je n'ai que vos lettres pour me soutenir.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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214 Baden Vendredi 12 juillet 1839, 1 heures

Préoccupez-vous beaucoup de ma santé c’est juste mais ne vous préoccupez plus de mon cœur. C'est une injure. Je vous prie, je vous prie, ne pensez plus à lui que pour votre plaisir, soyez sûr de mon cœur comme du vôtre. Soyez sûr que je vous dis vrai. Ma nuit a été mauvaise. J’ai essayé de dormir un peu ce matin, mais cela n'a point réussi. Tout cela vous prépare à un mot, et pas à une lettre. Le médecin cherche à me donner des forces. Il me fait manger beaucoup de racine de gingembre. Je n’ai rien de plus nouveau à vous dire que cela.

5 heures
Votre lettre d'avant hier m'arrive à l’instant. Merci, merci des nouvelles. J'en suis toujours très avide. J'ai toujours des forces pour cela. J'ai essayé de manger, cela ne va pas, je vais essayer de sortir en calèche, cela va toujours. Adieu. Adieu. mille fois.

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Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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215 Baden Samedi 13 juillet 1839, 1 heure

Je me sens un peu mieux aujourd’hui et je crains de vous le dire,car cela me porte malheur. J'aimerais bien mieux que vous me permissiez de ne vous parler jamais de ma santé. M. de la Redorte est arrivé, il est venu me voir. Il cause c.a.d. il raconte, et au fond pas grand chose. Voici la réponse de M. de Bacourt. Ces notions lui ont été fournies par M. de Blittersdorff, le Metternich de ce pays-ci. Des lettres de Constantinople du 25 juin disent que le sultan est dans un état désespéré. Il traînera un mois tout au plus.

5 heures
Voici votre N°214 bien tendre, bien bon, je le relirai souvent. Je vous en remercie. Vous voyez que je puis à peine vous écrire, cela me fatigue, le sang me porte à la tête, je ne suis pas bien. Mais ne vous inquiétez pas. Ecrivez-moi toujours et tout. Adieu. J’ai eu une lettre d'Alexandre, très insignifiante. Il me dit seulement qu’il est très occupé. Mais quand est-ce que quelqu'un prendra la peine de me dire ce qu'on fait ? Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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216 Baden le 14 juillet 1839, dimanche 1 heure

Que je vous dis peu en vous écrivant tous les jours, & que de choses j’aurais à vous dire ! Que de choses à répondre à votre lettre de jeudi. Et je le pourrai si j’avais un peu plus de force. Mais vous ne savez pas comme il m’en coûte d'écrire. Comme cela me fatigue ! J’ai passé une mauvaise nuit, je ne vaux rien aujourd’hui, je ne sais que vous dire. J'ai été à l'église je n’y manque jamais. Mad. de Talleyrand ne vous écrit pas probablement parce qu’elle n'a rien de bon à vous dire sur mon compte. Je la vois extrêmement peu. Elle vient tous les deux jours passer avec moi un quart d’heure, voilà tout. C'est à près pour moi comme si elle n’était pas à Baden. Le matin je vois Mad. de Nesselrode assez longtemps. Nous nous rencontrons dans l’allée et nous y restons assises pendant une heure ou plus même. Je vais quelques fois chez elle en rentrant de ma promenade le soir. Je viens quelque fois Mad. Wellesley en calèche. J’y mène aussi Mad. de la Redorte. Le reste du temps. Je me promène avec Marie et la petite Ellice. De une à 2 heures, M. de Malzaden ou quelque autre diplomate vient chez moi me conter les nouvelles. M. de Malzaden a de l'esprit.
Aujourd’hui nous épousons M. de Leuchtenberg, je ne cesse pas d’en être choquée. Vous ai-je dit que Matonchewitz est nommé pour Stockolm, dans son audience de congé l’Empereur lui a rendu ses bonnes grâces, cela me prouve qu’il n’est pas implacable. M. de la Redorte me dit que Thiers retourne à Paris avant la fin du mois. Il me dit aussi ce que vous m’aviez mandé qu'il s’était séparé du roi en très bons termes. Il ajoute que le Roi pense à remanier le ministère. Vous à l’intérieur, Thiers, les affaires étrangères. Le Maréchal la guerre. Que tout cela pourrait se faire bientôt. Y croyez-vous ?

5 heures
Voici votre lettre. Je ne veux pas que vous soyez inquiet. Je ne me porte pas bien, quelques fois je me sens bien mal, et Je vous le dis. Mais c’est une imagination. J’ai l’estomac abîmé, je ne mange pas. Je dors peu et mal, je maigris, tout cela est exact, mais cela ne me fera pas encore mourir. Je suis très impatiente du jugement des Pairs. Je vois dans un journal qu'on chante la Varsovienne dans la rue Rivoli. Cela ne me plaît pas du tout Adieu. Adieu à demain, car vous voulez tous les jours mes pauvres lettres. Dites-moi des nouvelles. Ce pauvre Pozzo, il me parait qu’il restera à Paris. Adieu dearest.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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217 Baden lundi le 15 juillet 1839, 2 heures

Le télégraphe nous a annoncé hier la condamnation de Barbès, et un peu de tumulte auprès de la Chambre des députés. Je suis impatiente de votre lettre tantôt ; ne vous occupez pas de me parler de ma santé parlez moi de la santé de Paris. Je suis un peu mieux aujourd'hui, et enfin j’ai pu écrire quelques lettres, car depuis assez de temps ce n’est qu’à vous que j’ai écrit. Cela me fatigue la tête. Le temps est à l'orage et j'en suis accablée. J’ai un peu dormi, et même j'ai un peu mangé, ce qui est bien nouveau.

9 heures
J’ai eu une longue visite d'un diplomate qui m’a montré les plus fraîches nouvelles de Constantinople du 28 juin. Le sultan n’avait plus que quelques jours à vivre. La guerre est engagée. J'ai lu tous les récits. Metternich compte sur des conférences. Moi j'en doute encore.

5 heures Voici votre lettre, vous me dites ce que je vous disais tout à l’heure. Je suis curieuse d’apprendre si Petersbourg voudra ce que veut le Prince Metternich vraiment, vraiment je suis mieux aujourd'hui vous savez que je vous dis toujours la vérité. Je regrette même de vous la dire trop ; car vous avez eu de tristes lettres. Tout mon mal vient de ce que j’ai écouté le médecin. Le lait d'ânesse m'a abîmé l'estomac, les bains m’ont affaiblie. Il ne me faut à moi jamais de remèdes. Mais ma vie réglée & l’esprit tranquille. Quand j’aurai cela j'irai mieux. Mais quand ? Voici un gros orage un temps bien lourd. Ecrivez-moi beaucoup, beaucoup. Qu’est-ce que dit Paris de la condamnation de Barbès ? Adieu. Adieu mille fois, adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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218 Baden Mardi le 16 juillet 1839, 10 heures

Je vous disais hier que le temps était à l’orage. Une heure après un gros nuage noir est descendu sur Bade mais plus particulièrement sur la salle de conversation qui touche à la maison que j'habite. La foudre est tombé dessus, le paratonnerre a écarté le danger mais tout le monde qui était à table dans ce moment a senti le choc électrique, deux dames sont tombées par terre de frayeur. J'étais à la fenêtre, relisant votre lettre. Le coup a été si fort qu'il m’a fait sauter & votre lettre m’est tombée de la main. Je n'ai jamais été si près de la foudre que hier. La nuit a été orageuse aussi & nous n’avons pas fini aujourd'hui.
Voilà donc le Sultan mort, je l’ai appris hier au soir. Le courrier venu de Constantinople traversait Bade le 15 ème jour. C'est vite. Tout peut arriver un bien comme un mal. C’est un moment curieux, mais ce qui m’étonnerait le plus serait que nous prissions part à une conférence à moins qu’elle ne se bornât à établir les nouveaux rapports entre les deux chefs barbares.

5 heures
Je viens de recevoir votre lettre, je viens aussi de recevoir un gros volume de mon frère, avec tout l’arrange ment de me fortune. Je vous manderai demain le détail. Il me parait qu’il n’est pas content de mes fils. La loi rien que la loi, comme elle m’accorde à peu près ce que j’ai à présent, je ne me plains pas, mais je ne suis pas bien orientée encore je vous dirai cela plus exactement demain. Adieu. Adieu. Adieu. J'étais mieux ce matin je ne me sens pas si bien dans ce moment. God bless you.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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219 Baden le 17 juillet 1839

Vous n'avez qu’un mot, un seul mot, Lady Carlisle vient d’arriver ; elle passe ici la journée, elle est venue pour moi ; je ne puis pas la quitter un seul instant. J’aurais tant de choses à vous dire sur votre lettre d’hier si parfaite, si touchante, si bonne, si douce. Et puis j’ai à vous parler de mes affaires, à vous envoyer copie de tout cela, à vous demander conseil, et je ne puis rien vous dire aujourd’hui. C'est bien ennuyeux. Ce qui l'est bien plus encore c’est que la malle de Paris n’est pas arrivée, qu’elle ne viendra pas. On dit un accident en route. C’est bien suspect. Je crois plutôt quelques malheurs à Paris et je tremble.
Voici vite l’extrait du projet d’arrangement rouble argent 7ème part de Kostroma 2507 roubles argent
7ème part de Courlande 2261
3ème part de Lituanie 548
                 
5316 rb ou 21000 francs
qui me seraient payés comme rente viagère garantie par mes fils mais sans hypothèques Pahlen me le conseille. De plus
1/4 d'arende de Courlande qui court encore 20 ans 1515
1/4 arende qui finit dans 3 ans 2500 rb
4015 ou 16000 francs

Le quart du Capital anglais qui serait je crois 25000 francs. Mon année de revenus de Courlande 15830 rb argent ou 62 000 francs. Il y aurait donc 37 000 francs de revenus et un capital de 312 000 francs. Voilà l'ensemble, cela me fera avec ce que j'ai aux environs de 75 000 francs. Cela est bien. Il n’y a que le droit rigoureusement le droit, et tant mieux. Je ne dois rien à personne. Adieu je suis bien fatiguée. Je suis bien inquiète, pas de malle de Paris c'est incroyable. Mon Dieu que je voudrai votre lettre. Qu’est-il arrivé ? Adieu. Adieu.
God bless and protect you.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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220 Baden jeudi le 18 juillet 1839, 2 heures

La poste de lundi de Paris n’est arrivé que tout à l'heure. C'est un accident arrivé à la voiture qui a causé ce retard. J'en ai été très alarmé. Mais voici votre lettre et je suis contente. Savez-vous que vos lettres sont bien prudentes. Vous me laissez beaucoup à deviner, et je ne connais au fond vos opinions sur rien. Ainsi pour parler du plus frais, trouvez-vous bon ou mauvais la commutation de la peine de Barbès ? Comment se porte le ministère ? Ces messieurs font-ils bon ménage ? Cela tiendra-t-il jusq'à la session ? Moi j’entends dire beaucoup que la gauche l'emporte, & que Thiers a des chances.
J'ai donné toute ma journée hier et ma matinée aujourd'hui à Lady Carlisle. C'est une bonne personne, un peu ennuyeuse. Elle vient de repartir. Sir John Couroy est arrivé à Bade. J’ai envie de le voir et de le faire parler, ce qui me réussit assez quand je veux. Voici ce que me dit mon frère : " Paul connait bien les lois. Il ne l’est occupé que de cela depuis son arrivée ici ; et parait très observateur des lois ! " " Voici la calcul de ce que la loi vous assigne. Cela a été discuté avec une précision scrupuleuse ! " Après avoir commenté les articles, mon frère trouvant que je suis riche, & que mes fils sont plus que riches, il poursuit : " Il serait inconvenant dans cette position de solliciter une pension du gouvernement. " Et me cite une grande dame dans ma situation qui l'a fait il y a quelques années et ajoute. " Cela a beaucoup déplu et elle a obtenu 10 000 rouble. Cette somme ne vous rendrait pas plus riche. " La question de déplaire ne me touche pas beaucoup, mais en effet je pense que je ne dirai plus un mot de cela, parce que cela m'ennuie. Ce n’est pas à moi à dire. Ces gens-là devraient faire ce qui est convenable sans que j’en parle. Il y a une chose que je regrette, c’est le plaisir de mettre dans l'embarras ou dans le tort. Voilà du mauvais cœur au fond la question n’est pas de savoir si j'ai besoin de cette pension ou non. Elle devait être donnée sans plus. Après cela savez-vous qu'il y a du plaisir à ne devoir rien à personne. J’aime mieux avoir à me venger d'une injustice. Il me semble que je vous parle un peu trop longuement de moi ; mais pour être franche j’ajouterai encore que j'ai hésité et que j'avais commencé une lettre à Orloff excessivement logique & bonne ; je l’ai laissée là. Mon frère fait des calculs très légers dans ce qu’il m'écrit et comme Pahlen part et que c'est mon frère qui va faire le reste, cela m’inquiète un peu. Ainsi il me parle de 400 mille francs da capital pour moi. Cela n'est pas possible. Ensuite il regarde comme éternels des revenus qui finissent dans 2 ans. Je serai obligée de relever tout cela, & de demander des explications, et puis on veut que je donne 355 paysans pour une rente de 9000 francs. Ils valent le double. Ensuite rien que la parole de mes fils comme garantie que la pension me serait payée. Ceci ne regarde que 21 000 fr par an, mais encore faudrait-il vérité. Enfin je prierai mon fière d’y faire attention et le style de sa lettre me prouve que cette observation ne l'étonnera pas. Mes fils auront à ce qu’ils me parait chacun 100 000 francs de rente. J'en suis bien aise. Ils n’ont pas besoin de moi, et de personne. Et cependant, s'ils avaient eu besoin de moi, j'aurais pu conserver des illusions ! Ah, tout est fini de ce côté !
Adieu, vous qui n'êtes pas une illusion, vous qui êtes ma seule vérité. Vérité que je chéris, que je désirais toute ma vie. Ecrivez-moi tous les jours. Vous allez être bien heureux au Val-Richer.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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221 Baden, Vendredi le 19 juillet, 1839 4 heures

Je n’ai pas eu un moment à moi depuis que je suis levée. Je m’occupe des réponses à mon frère. Je ne veux rien oublier afin que là on n'oublie rien, c’est long, c'est ennuyeux, mais c’est nécessaire. Et puis j’ai eu une longue visite de M. Humann. Il me plait. Il a l’esprit fort net, et il s’exprime bien. On m'a toujours dit que je sais faire causer les gens. En effet je l'ai beaucoup fait parler, et il n’y a pas une de ses opinions sur les choses et les personnes que je n'ai fait sortir de lui ce matin. Il n’applaudit pas trop à ce qui se passe à Paris. Il voudrait vous et Thiers aux affaires. Le 11 octobre lui parait le bon temps. Le seul bon temps depuis l’année 30.
J’ai passé une mauvaise nuit et comme il fait très chaud aujourd'hui je ne suis pas sortie comme santé je suis plutôt mieux que plus mal. Le médecin veut que je reprenne les bains cela me parait absurde. Il est parfaitement clair qu'ils m'ont fait du mal. Ils m'ont affaibli, ils m’ont fait maigrir. Il les veut froid maintenant, mais ai-je assez de forces pour tous ces essais ?

5 heures Voici votre n° 220. Je suis triste de penser que vous allez vous éloigner de moi, et il faut que je songe à toute la joie que vous m'aurez. (C'est mal tourné, c’est égal) pour me combler un peu. Dans ce moment vous êtes bien content, & moi je suis bien seule, toute seule avec un gros orage sur ma tête. L’allocution du Pape sur l'affaire des Évêques en Prusse est une pièce très remarquable. La brèche est sans remède. C'est à l’Autriche que le roi de Prusse doit cela. Elle se venge par Rome des traités de commerce. Adieu. Adieu, cet adieu vous arrive un jour plus tard, et moi comme je vais être retardée ! Que cela me déplaît. Il me semble que c'est aujourd'hui que nous nous séparons vraiment. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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222 Baden Samedi 20 juillet 1839, 3 heures

Une bien mauvaise nuit. Une bien mauvaise matinée, un mal de tête nerveux abominable, voilà de beaux éléments pour une lettre ! Celle qui m’est venue de vous hier est fort intéressante, je vous en remercie. Vraiment ici à Baden on est étonné de l’affaire Barbés, elle est peut être oubliée à Paris. Mais il me semble que l’effet n'y a pas été bon non plus, car les journaux ministériels se taisent, et les autres ont des articles abominables.

Dimanche 21 5 heures
Vous voyez que j'ai été bien peu capable d'écriture. J'ai souffert de maux de tête horribles. Je suis un peu mieux dans ce moment-ci. On me dit que cela tient au temps qui est à l'orage. C'est des bêtises. J'ai mal parce que je suis malade. J’ai reçu votre dernière lettre de Paris. Dites-moi pourquoi vous n’êtes pas retourné à Neuilly avant votre départ. Je vous remercie beaucoup d’avoir procuré la course du courrier à M. de Castillon.
Je sais de Berlin que la conférence de Vienne n’est pas aussi sûre que le dit M. de Metternich. Il est bien actif dans ce moment. Moi je le suis aussi on du moins j'essaye de l'être, demain j'envoie un gros volume à mon frère. J'aurais voulu vous consulter sur tout. J'ai eu ce matin une longue visite de Sir John Courey, il m’a tout raconté. Savez-vous qui est au fond de tout cela ? Léopold. Depuis l’année 35 il a brouillé la mère et la fille afin de gouverner celle-ci. L'instrument est Letzech. Il n’a réussi qu'à brouiller, mais non à gouverner.
Voyez quel griffonnage, il m’en coûte un peu d'écrire. Et quelle pauvre lettre ! Vous la recevrez bien mal. Il me semble qu’elle n’est là que pour faire acte d'existence. Vous n'en voulez que tous les deux jours vous avez raison, mes lettres sont trop bêtes. J'en ai reçu de Lord Grey ce matin. Il est très anti ministériel et parle des Chartistes avec le plus grand dédain. Il m’invite beaucoup à venir à Hewish, s’il était plus près J’irais. Adieu. Adieu. Que de choses j’ai à vous dire, à vous demander. Ah que nous sommes loin, & que le temps est long encore. Adieu mille fois et bien tendrement.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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223 Baden le 22 Juillet lundi

Ah quel ennui que des lettres d’affaires surtout quand on les comprend aussi mal que moi. Je suis sûre que vous m'auriez bien mieux enseigné ce que j'avais à dire et à décider. Mais vous êtes trop loin, c’est trop volumineux et je n'ai eu la force ni les yeux pour des copies. Ces deux jours d'écriture m'ont abîmé la vue. Les orages se succèdent ici. Nous ne connaissons que cela. Personne n’arrive, et quelques personnes partent ainsi je vais perdre M. de Malzahen. Il est obligé par les ordres de Werther de retourner à Vienne pour prendre part à des conférences sur l'Orient qui n’auront pas lieu à ce que je crois à moins que ce ne soit strictement pour régler les affaires entre le Sultan et le Pacha, et le tout sans bruit, sans éclat.

Mardi 8 heures
Voici deux grands jours passés sans lettre. Cela m’attriste. J’espère qu'aujourd'hui j’en aurai M. Hummann est venu hier encore il quitte Baden demain. Je lui ai trouvé hier moins d’esprit. Il me faut beaucoup pour se soutenir auprès de moi. J'aime la société des gens qui me font faire de nouvelles découvertes mais je suis bientôt ennuyée quand toute la dépense s’est fait le premier jour. Et deux représentations de la même pièce c’est trop. Voilà ce qui fait que je suis si peu accusable, et que Baden m’est odieux. Je n’aime que la Terrasse à midi et demi ! c’est toujours nouveau, toujours charmant.

5 heures
J'ai eu une lettre de Mad. de Flahaut de Londres dans laquelle elle me mande que la Duchesse de Kent menace de quitter l'Angleterre. le Duc de Willegton s’emploie pour l’en empêcher, mais on doute qu'il réussisse. Je suppose que Conroy attend ici le dénouement. Mad. de Flahaut me dit aussi que Lady Cowper allait épouser Lord Palmerston. J’attends qu’elle me le dise elle-même.
Voici votre 222. Je ne sais si je vous ai dit en détail mes affaires, dans ce que j’ai écrit hier à mon frère j’ai accepté le projet de rente payée par mes fils sans hypothèques ; 21 000 francs. J'ai demandé qu'on m'envoie le tableau des capitaux et de l’époque où j’aurai à les toucher... De même où et par quelle main je toucherai le revenu des arendes, l’une pour 20 ans des 6000 fr ; l’autre pour 2 de 10 000. J’ai prié qu'on procède de suite au partage du mobilier. J'ai fait observer que la loi m'adjuge une part égale à celle de mes fils dans le mobilier en Courlande enfin je n’ai rien négligé en fait d’interrogations ou d’instructions, mais tout cela va tomber au milieu des fêtes, des départs, des manœuvres. Ce sera miracle si on y pense.
Je viens de voir deux diplomates le comte Buol qui est venu ici de Stuttgart pour passer quelque jours avec moi. Et M. Desbrown ministre d'Angleterre à La Haye. Il vient de Londres, il est plus Tory que Whig. Il croit que Peel va arriver ici. L'autre Buol a beaucoup d’Esprit, et d’indépendance dans l’esprit. Il me plaît beaucoup. Le Prince Emile de Hesse est arrivé ce matin, je ne l’ai pas vu encore. Je suis plus souffrante aujourd'hui que je ne l'avais été ces derniers jours. Le médecin me trouve le pouls bien nerveux. Je n’ai pas de raison à donner pour cela. Adieu. Adieu. Je suis impatiente de votre prochaine lettre, et ce sera toujours ainsi. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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224 Baden le 25 juillet jeudi 1839 8h.

Voici encore votre N°222 vous m’avez envoyé vos lettres deux jours de suite comme je vous l’ai proposé ; et moi attendu que vous me redemandiez l’alternat je ne vous ai pas écrit avant hier. Il y a confusion dans le ménage, mais j’aime mieux ce que vous avez fait que ce que vous avez dit. Et peut-être me rendrez-vous ceci à l’inverse. Je vous écris par un orage effroyable. Il n’y a que cela à Bade. C'est insoutenable. Et je n’aime pas l'orage par dessus la solitude. J'ai cependant quelques petites distractions, mais bien petites. Le Prince Emile de Darmstadt, M. de Blittersdorff qui a de l'esprit et qui sait des nouvelles. Le prince de Montfort fils de Jérôme Bonaparte qui est bête ! Le comte Buol, très agréable. Le prince Emile regarde l’affaire du mariage comme décidée. Il m’a conté beaucoup de détails qui m'ont intéressés. Mon grand Duc était amoureux de l'Angleterre moins la petite Reine qu’il n’aime pas du tout, et il a raison.
Voici la Turquie en train de redevenir plus que jamais la grosse affaire de l'Europe. Outre la destruction de l’armée turque en Syrie, le Capitaine Pacha est parti avec sa flotte en dépit des ordres de Constantinople et attend à Rhodes comment les partis vont se dessiner en Turquie. c.a.d. qu'il donne à tous les autres Pachas l'exemple de l’indépendance. Dans cet état de choses la crise de l’Empire ottoman est imminente et nous ne tarderons pas à reparaître sur la scène. J'ai des lettres de Lady Cowper, de Lady Granville. J'ai peu de forces pour répondre. Je suis toujours fatiguée, sans jamais rien faire pour cela, car je marche fort peu. Mad. de Flahaut m’invite beaucoup à aller la trouver à Wisbade, elle y sera dans huit ou dix jours. Si Bade ne me plaît pas plus qu’il ne m’a plu jusqu'ici, il se peut que j'y aille. Et cependant je suis les déplacements. Tout est pour moi un effort.

5 heures. Voici votre lettre. Décidément tous les jours est une bonne invention et j'y reste pourvu que vous y restiez. Nous faisons un peu comme lorsqu'on marche ensemble. hors de mesure et que chacun de son côté cherche à la rattraper ? Je parie que maintenant vous allez être en défaut. Je me suis séparée de Malzahn aujourd'hui avec regret. Sans avoir beaucoup d'esprit, il en a et du jugement. Il connait bien les affaires. Cela me faisait une ressource. Il vaut mieux qu'Armin, vous l’aimeriez à Paris, et son extérieur est parfaitement bien. Il m’est venu aujourd'hui une nouvelle vieille connaissance le Prince Gustave de Muklembourg Schwerin oncle de la duchesse d’Orléans. C'est un ennuyeux, mais plein d’humilité et bon garçon je crois.
Je vous demande pardon de la mauvaise tournure de me première feuille. J'ai pris la feuille à rebours Il y a de grands commérages et de grands scandales à Bade. Et cette pauvre petite Madame Welleiley fort gentille et innocente petite femme est fort troublée d'un bien vilain article qui a paru dans les journaux Anglais sur son compte. Son mari n’a pas assez d’esprit pour traiter cela comme il convient, et je crains qu’il ne soit cause de plus de publicité qu’il n’est nécessaire. Les procès sont des bêtises.
Adieu Adieu. Voulez-vous avoir un mot de M. Royer Collard à propos de l’effet qu’a produit la commutation de la peine de Barbés " tout n’est pas perdu, quand la lâcheté révolte. " Je vous prie d'oublier que c’est moi qui vous ai dit cela. Adieu encore mille fois de tout mon cœur.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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225. Baden Vendredi 26 juillet 1839 9 heures

J’ai eu une fort mauvaise nuit au fond je ne crois pas qu’il m'arrive de jamais bien dormir ou bien manger à Baden. Je ne sais pas pourquoi j’y reste et j ne sais comment je ferai pour en partir si ma faiblesse augmente. Ensuite l'ennui, la crainte de voyager seule. Car c’est à présent que je vais être bien seule, pas même Marie. Je n’ai aucun projet quelconque ; j’attends. Je vois couler le temps. Je n'ai jamais été si indécise, si flottante qu'aujourd'hui. La seule chose fixe est Paris plutôt ou plus tard c.a. d. Septembre ou Novembre et plutôt le premier.
J’ai trouvé un mot dans votre avant dernière lettre qui m’a fait battre le cœur. Vous avez songé à venir à Baden ! Un seul instant cette idée ou ce désir vous est venu. Et moi je me suis dit. S'il venait, s'il pouvait venir, pourquoi ne pourrait-il pas venir ? Pendant quelques jours je revenais à cela sans cesse. C’est peut être dans le même temps que vous y rêviez aussi. Rêve, rêve, rien que rêve pour tout ce qui est bonheur !
Je suis fâchée de vous avoir remis vos lettres. Il y en a que j'aimerais tant à relire. Celles où vous me parlez de votre foi en Dieu ; de votre foi à l'éternité. Celles où vous me dites que je reverrai ce que j’ai tant aimé ! Ah comme j'y pense, quelle douceur de penser à cela d’y croire. Dites-moi bien d’y croire.
Il a plu hier tout le jour. Cela ne m’a pas empêchée de faire ma promenade. M. de Malzahn est encore venu trois fois prendre congé de moi, j’ai cru que cela irait jusqu'à l’année prochaine. Enfin il est bien parti. C’est dommage, je pouvais causer avec lui.

2 heures
Le médecin a voulu absolument que je recommençasse des bains ; je m’y prête encore plutôt par ennui que par conviction des bains presque froids, ils me plaisent comme sensation, mais nous verrons s'ils me conviennent.

5 heures
Merci de votre lettre 225. Je la reçois dans cet instant. Je viens d'en recevoir une aussi de Pahlen l’ambassadeur. Mon frère lui a dit que j’aurais 90 milles francs de rente avec ce que j'ai d'abord il ne sait pas ce que j’ai et je voudrais bien voir comment il arrivera à cette somme. Savez-vous ce qu’est mon frère, un peu hâbleur. Est-ce un mot dont on ne sert ? et puis c'est un homme qui se débarrasse des questions en brodant. C’est égal. Ce n'est pas ce qu’il a dit à Pahlen mais ce sera ce que moi je vous ai dit 75 mille. Adieu. Adieu.
Je vais à ma promenade du soir. Je vous remercie de vos lettres, elles me font tant de plaisir. Vous voyez que les nouvelles de l’Orient sont plus tôt sues à Baden que chez vous. On a tiré le canon, illuminé à Alexandrie. On dit que Méhémet Ali demande la régence.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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226 Baden le 27 juillet 1839 9 heures

Je vous écris après une laide et triste promenade car il pleut ; et avant mon bain qui ne sera pas agréable non plus. Le médecin veut que je poursuive. J'obéirai encore jusqu'à ce que cela me rende malade. J’ai écrit à M. Démion et je viens d'écrire à M. de Pogenpohl au sujet de l’appartement qu'occupe le capitaine Jennisson. C'est sans contredit ce qui me conviendrait le mieux. Mais il faut savoir d’abord, s'il part ; et puis si ce n’est pas trop cher. Je ne veux pas donner au delà de 10 mille francs. Mes causeries politiques ont cessé depuis le départ de M. de Malzahn mais les journaux allemands me tiennent assez au courant de ce qui se passe, et le ministre de ce pays-ci M. de Blittersdorff vient me montrer les rapports qu'on lui fait de Vienne. Il a à Vienne un agent fort intelligent que je connais depuis bien longtemps le général Fittenborn partisan dans notre armée l’année 12 et les suivantes.
Le 10 on se flattait à Constantinople que l’armée Turque pourrait s'y rallier et empêcher les progrès d'Ibrahim. Mais on y savait la trahison patente du Capitan Pacha qui avait rallié la flotte égyptienne à Rhodes. Voilà le fait grave 5 heures. Il a plu toute la matinée et depuis mon bain j'ai eu une succession de visites.
Voici votre lettre. Vous me paraissez croire qu'Ibrahim, et le Capitan Pacha vont remuer le monde, c’est possible Mais je crois que la diplomatie fera les derniers efforts pour empêcher cela. Votre cabinet est bien faible pour une semblable crise. Ou pour agir s'il faut agir ! Nous saurons bientôt ce que va devenir l’Empire ottoman. Adieu. Adieu, vos lettres courtes ou longues me font toujours un grand plaisir, mon seul plaisir. Il y a quinze jours que je n’ai rien reçu de mon fils Alexandre. Je l’avais prié de me dire comment se porte Paul rien que cela, est-ce peut être là ce qui l’empêche de me répondre ? Adieu. Adieu mille fois.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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227 Baden le 24 juillet 1839 dimanche 8 heures

Lorsque nous sommes ensemble, je m'entretiens avec vous de toute chose, je vous dis tout. Par lettres c'est bien difficile. Tous les sujets me paraissent trop minces. Ma vie est bien monotone, les personnes avec lesquelles je vis sont bien insignifiantes ; que voulez-vous que je vous dise ? Je pense bien plus au moment où je ne serai plus à Bade qu'à celui où je m’y trouve. Savez-vous bien que nous avons encore à passer quatre mois sans nous voir ! Vous m'avez dit que vous en reviendriez que pour le mois de décembre à Paris ! Que c'est long ! Songez-vous bien à cela ?

2 heures
J’ai été à l’église comme je ne manque jamais de le faire le dimanche. Nous avons eu un superbe sermon, trop beau, car j'en suis revenue en larmes. Je viens de recevoir une lettre de F. Pahlen de Courlande. Ce n’est que là qu'il a reçu la lettre dans laquelle je lui mandais que mes fils en retenait ma pension. Il me dit qu’il est très fâché de l’avoir ignoré pendant qu'il se trouvait encore à Pétersbourg et qu'il ne doute pas que mon frère y aura une ordre. Mais mon frère n'a jamais répondu à ce que je lui en avais dit vous voyez comme tout se fait légèrement ! Pourvu que cela finisse une bonne fois. Nesselrode écrit à sa femme que mon frère lui a assuré que j’aurais 90 mille francs de rente. Ce drôle de frère Il tranche dans le grand. J’accepte volontiers ses 90 milles francs. Mais je serai curieuse de voir comment il s’y prendra pour me les faire toucher.

5 heures
Vous avez fait ce que je craignais. Je n’ai point de lettres aujourd’hui. Vous voyez bien que si je vous imitais vous n'en auriez pas non plus de moi. Mais je ne vous écris que pour vous dire que vous avez tort et que je ne vous imiterai pas. En attendant voilà un triste dimanche et une forte migraine par dessus cela. Ah que tout m’attriste et m'ennuie ! Je voudrais bien être à l’hiver. Adieu. Je n’ai vraiment pas un mot à vous dire, j’ai eu une lettre du Roi de Hanovre très insignifiante. Ses affaires vont mal à ce qu'on me dit, mais lui ne me le dit pas. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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228 Baden 11 heures. Mardi 30 juillet 1839

Imaginez que c'est devant un notaire et deux témoins que je vous écris, et que c’est le seul moment que je trouve pour le faire.

9 heures.
Voyez, je n’en puis plus de fatigue. Pour un pauvre papier de 20 lignes, j’ai été tracassé tout hier et aujourd’hui. On me demande de nouveaux plein pouvoirs pour terminer. Mon frère m'écrit sur cela très simplement et très bien. Matonchewitz pas bien du tout. Il est comme disent les Anglais, lit by Paul. Celui qui parle à toujours l’avantage sur celui qui écrit. Cela m’a tracassée, et vous savez que je n’ai pas besoin de cela de plus. Mon fils Alexandre, une lettre insignifiante comme les autres. Mon frère me mande que mes fils sont pressés de finir et de reprendre leur service. j'imagine donc qu’aussi tôt l’arrivée de mon plein pouvoir tout sera arrangé. Je le saurai dans quatre semaines.
En attendant ma santé ne va pas mieux et ma correspondance avec vous bien mal. Il y a dans tout moi un découragement, une langueur que je ne puis pas vous décrire. Baden a été pour moi très mauvais et j’y reste je ne sais pourquoi ou plutôt je le sais, c’est que je ne sais où aller pour être mieux. Tout est mal pour moi. Il y a de ma faute sans doute et je me prends en grande aversion. Votre lettre hier m'a fait plaisir. Je n'ai rien à vous dire qui puisse vous intéresser. Vous voyez comme j’ai l’esprit occupé de désagréables affaires, c’est si aride, si vous étiez là pour m'aider ; me ranimer ah mon Dieu que je serais une autre personne. Adieu. Adieu et pardonnez-moi. Je suis si fatiguée, si abîmée. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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229 Baden jeudi le 1er août 1839

Vous m'avez écrit une lettre des plus intéressantes par les nouvelles que vous me donnez. Si ce que vous me dites sur l'Orient se confirme, si Méhémet Ali va non pas régner, mais gouverner à Constantinople ce sera certainement le dévouement le plus inattendu, le moins désiré par nous, qu'il soit possible de concevoir. Et si c’est M. de Metternich qui a tramé cela et sera son coup le plus habile. Mais je ne crois pas encore. Comment Méhémet irait-il se livrer, livrer sa tête à moins. d’être maître absolu du terrain, ce qu’il ne peut pas être. Tout cela est fort curieux à observer. Et j'en suis fort curieuse. Le projet électoral de la gauche me semble bien démocratique ! Je vous remercie beaucoup de toutes ces notions. Les premières surtout m’intéressent au plus haut degré. Continuez car aujourd’hui que j’ai perdu M. de Malzahn je suis peu informée à moins ce que vous me donnerez.
Ma nièce Meschersky est arrivée pour passer quelques jours avec moi. Il y a d’autres personnes venues aussi mais rien qui me plaise ou me convienne. En Anglais de peines de ménage bien frivoles. La petite Madame Wellesley se retire beaucoup de cela vu les journaux j'y gagne, car je le vois davantage et elle est gentille.

4 heures. Je vous envoie copie d’une partie de la lettre que j'ai reçu hier de notre consul général à Londres, auquel j'avais simplement demandé d’apprendre l’exact montant du capital. Cette réponse m'a beaucoup surprise. Je lui ai écrit de suite pour lui dire que je doutais beau coup que la loi anglaise pût s'appliquer dans ce cas ci à une étrangère et que je ne ferais aucune démarche jusqu’à ce que j'ai acquis la certitude la plus complète que je me trouve sous la régie de cette loi. Qu’en pensez-vous ? Cela me parait bien singulier ! Quelles seraient vos lois en France dans un cas pareil ? Imaginez que j'ai encore eu toute une matinée de notaires. Le premier plein pouvoir n’était pas suffisant ( celui d'avant hier) il a fallu tout recommencer. Je suis excédée de ces affaires. Que j'aime à vous entendre dire que vous êtes seul. Quel égoïsme ! mais cette affection est si égoïste. Il n'y en a qu’une qui ne le soit pas. Mes enfants ! J'étais heureuse de leur bonheur quand même il ne leur venait pas de moi. Mais vous, je veux qu’il vous manque quelque chose, et beaucoup. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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230 Baden Vendredi le 2 août 1839, 3 heures

Je m'occupe un peu de ma nièce, et cela m’a pris beaucoup de mon temps hier et ce matin. Sa fille est mal, le médecin craint pour elle l'hydropisie ou l’éthysie, et les parents sont bien alarmés. Je viens de revoir ici le gouverneur du petit grand duc Constantin l'amiral Luthe, vous ne sauriez concevoir comme j’ai été saisie à sa vue. Je le voyais à Pétersbourg tous les jours et il connaissait mieux que personne ce que j’ai perdu parce que ses enfants étaient fort souvent avec les enfants de l'Empereur. J’ai fondu en larmes en le voyant. Il retourne à son poste dans quelques semaines, je l'ai bien fait parler, il vit là dans l’intimité de l'Empereur & de l'Impératrice, et je m’intéresse toujours à cet intérieur. La foule augmente à Baden, je n’y ai gagné que ce que je vous nomme.
J’ai pris maintenant 7 bains froids, ils m’ôtent le sommeil. Je les abandonne. Ne croyez pas les gens qui vous disent que je ne veux pas faire ce qu'on me prescrit. Je fais, mais pas jusqu’au bout lorsque je vois que cela ne me convient pas. Tout ce qu'on a essayé pour moi à Bade est des bêtises. Je suis plus maigre et plus faible. Il est temps de finir, et je vous réponds que je ne suivrai plus que ma fantaisie. Ce qui me fâche est que vous serez fâché de me revoir comme vous m’avez quitté et même plus mal. Mais vous aimez mieux cela que de ne pas me revoir du tout, n’est-ce pas ? Et voilà ce que vous risqueriez si je suivais tout ce que m’ordonne le médecin. Savez-vous que j’ai le plus parfait mépris pour les médecins. Je n'en connais qu’un à Londres auquel je crois un peu.

5 heures Votre 229 vient de m’arriver et en même temps des visites que je mène en calèche. Il faut que je vous quitte. Adieu. Adieu. mille fois et une.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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231. Baden Samedi le 3 août 1839

Il me semble que vos nouvelles d’Orient ne se confirment pas. Je voudrais bien savoir le vrai de l’affaire du Capitaine Pacha. Dites-moi ce que vous saurez, mais il faut que cela vienne de source. Nous avons envoyé un complémentaire au nouveau Sultan, un comte Rzvonsky, que je connais beaucoup. Je le faisais venir le soir chez moi quand j'habitais Czarkoislo il me divertissait en débitant bien des mensonges, des contes de revenants surtout. Il pourra rapporter bien des contes sur l'Orient. Ibrahim poursuit ses triomphes. Des lettres de Constantinople du 20 annoncent sa marche sur Koniah, que va faire le divan ? à qui demandera-t-il secours ? Voici que la confusion commence. un courrier arrivé à Darmstadt porte le consentement de l’Empereur au mariage. On y enverra une ambassade pour la demande formelle. On continue en Allemagne à exprimer le plus grand étonnement de ce choix.
La princesse Meschersky va rester à Bade, j'en suis bien aise ; c’est une ressource lorsqu'il n’y a pas mieux.

5 heures.
Quelle lettre que ce N°230 et combien de fois je vais la relire ! Que je vous en remercie ! Je viens de recevoir une lettre de Bulner de Paris, il me dit que Khosrew Pacha le présent grand vizir est le seul homme habile et ferme en Turquie, qu’il est fort dévoué à la famille du Sultan mais qu'il pourrait bien la vendre aussi si on le payait cher. Méhémet Ali demande le renvoi du grand Vizir et l'hérédité de son gouvernement en Syrie, Egypte et ce troisième nom indéchiffrable. Bulwer croit à la nomination de l'Égyptien. Il connait bien tout cela il y a été longtemps. Le Sultan actuel is devoted to the ladies, a black dwarf and 2 monkeys. The Dwarf being the prime favorite.
Bulwer a écrit à Paul mais il n'a pas eu de réponse, et craint qu’il n’en aura pas. Vous dirai-je ce que je pense ? Si notre consul à Londres a raison, Paul en reviendra, et ce n’est que pour cela que j’aurai quelque plaisir a est accroissement inattendu de fortune. Au reste je n'y compte pas du tout et je fais tous mes calculs sur les lois russes. Il faut que je voie moi-même l'hôtel de la rue Bellechasse. Si je ne me trompe il est rebâti à neuf on n’y a pas habité encore, il y aurait du danger peut-être, je serai à Paris au commencement de septembre au plus tard et je choisirai. J’ai écrit pour l'appartement de Jennison. Je n’ai pas de réponse Adieu. Adieu, bien tendrement.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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232. Baden Dimanche le 4 août 1839

J'ai fait ma promenade du soir avec ma nièce et mon amiral. Nous avons été au vieux château. Le temps est redevenu charmant ; bien chaud, bien brillant. Quel dommage que je ne sache pas me bien porter ! L'occasion est si belle. Madame de Nesselrode est une étrange personne ! Son goût pour moi lui a passé. Je l'ennuie beaucoup. C’est visible alors je me plais le moins possible sur son chemin. Savez-vous que je suis toujours un peu étonnée de voir que j’inspire de l'ennui. Et puis entre nous soit dit, cela m'est arrivé rarement, et rien qu’avec des Russes.

2 heures
J'ai été à l'église avec ma nièce. Je me sens les nerfs bien agités, certainement l’air de Baden ne vaut rien pour les nerfs. En relisant votre lettre d’hier je vois qu'il s’agit de la rue Bellechasse, je ne m’y retrouve pas. Je croyais rue Las Cases. Bellechasse me parait ne pas avoir de midi, je me reprends, vous dites Bellechasse hier et vous disiez rue Lascases dans le N°227. Ayez la bonté de la faire visiter et de me dire les détails. Mais avant tout voyez si je ne disais pas vrai hier, et si elle n’est pas rebâti à neuf ? Dans ce cas j’en aurai peur. On ne me réponds pas pour la rue St Florentin. La situation est la meilleure de Paris, mais au fond l’appartement. a de petites proportions, pas un salon convenable. J’aime bien le plaisir de la journée mais je voudrais que cela réunisse l’agrément de la soirée. Enfin, je suis un peu difficile.

5 heures
Ecoutez un drôle de dialogue. Félix entre. Princesse je vous demande pardon mais c’est fini. Je m’en vais. Je vous prie de trouver un autre domestique. Qu’est-ce qui vous prend Félix ? Qu’est ce qui vous est arrivé ? Je suis très contente de vous, j’ai cru que vous étiez très content de moi. Oh certainement, je suis très pénétré de votre service. Mais c’est fini. C'est ma fantaisie, c’est ma volonté de partir. Enfin c’est tout à fait fini. Et voilà qui est fini. Imaginez mon désespoir, vous qui connaissez toute ma faiblesse pour Félix ! J’interroge le reste de mon household. Personne n’y comprends rien. Je crains qu’il ne soit devenu fou. Je reçois votre lettre dans cet instant. Je n'ai que le temps de vous le dire et de vous dire adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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233. Baden Lundi 5 août 1839

Montrond est arrivé hier, inquiet de trouver un lit et un dîner. Baden est si plein qu’il n'y a plus de logement. Son ami M. Benazet y pourvoira je suppose. Je l’ai vu hier soir en passant, mais ce matin à 7 heures il était chez moi. Il vient de Plombières. Il y a laissé M. Molé en espérances et sa belle santé. M. Cousin rempli d’éloges du roi et en grande assurance de l'entrée de Thiers. Lui Montrond croit que le Roi a envie de vous et de Thiers ensemble, mais probable ment le plus tard possible. Le gouvernement russe vient d’ordonner qu’il n’y aura plus que l’argent. En espèce qui aura cours chez nous. Dites-moi si cette mesure favorise les transactions à l’étranger, c.a.d. si c’est un bon moment pour faire passer mois argent en France ou en Angleterre. Je voudrais bien vous consulter sur divers choses mais vous êtes trop loin. On est toujours trop loin quand on n’est pas tout près.
Il faut que j’achève aujourd’hui mon roman de Félix. Après m’avoir fait la Déclaration d’hier il est allé se coucher, il n’a reparu que ce matin. Il était parfaitement ivre. Moi qui n’ai aucune connaissance de ces cas là, je croyais le pauvre homme fou. Pépin m’a éclairée. Le coupable est revenu en pénitent. J’ai dit de belles choses bien grave ment, sans rire, car ordinairement sa mine me fait rire, et tout est oublié, mais l’idée de perdre Félix avait gâté ma nuit. Et voilà comment j’ai toujours des soucis. Pardonnez-moi ma distraction des feuilles de cette lettre. Je ne suis pas ivre cependant. Il pleut ce matin ; hier il faisait superbe. J'ai eu hier une longue visite de Lady Chesterfield. Elle est un peu bête, un peu jolie, un peu ruiné. Je la connaissais fort peu en Angleterre, mais il est d'usage pour les Anglais de venir tout de suite chez moi, comme les vrais catholiques vont saluer les images dans les lieux saints

1 heures
Je viens de rencontrer un Rotschild s’en retournant à Paris que j'ai chargé d’arrêter pour moi le premier de l’hôtel Talleyrand. Si le prix n’est pas au dessus de 12 milles francs ou l’entresol pour 8 milles c.a.d. qu'il me rendra compte encore de tout cela et des arrangements à prendre. Au fond c’est la situation la plus agréable . Si le consul général de Londres a raison, le premier ne sera pas trop cher. Et s'il se trompe, j’ai de quoi fournir à l’entresol. Il me survient une affaire importante. Je n'ai que le temps de vous dire adieu. Demain vous serez ce que c’est.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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234 Baden le 6 août 1839

Hier en causant avec Mad. de Talleyand il m’est tout à coup venu à l’idée que si mon frère terminait l’arrangement avec mes fils sans consulter la loi anglaise. Je pourrais me trouver privée des bénéfices de cette loi. On m’a demandé en toute hâte les derniers pleins pouvoirs, je lui ai envoyé en toute hâte aussi sans avoir fait cette réflexion, au contraire, en pensant même qu'il valait mieux que ce ne fût pas par moi qu’on apprit cette disposition de la loi anglaise. L’Esprit m’est venu un peu tard, mais enfin il est venu. J’ai fait venir Bacourt et avec son secours j’ai écrit la lettre dont copie ci jointe que j'ai expédié sur le champ à mon frère. Voilà ce qui m'a pris mon temps, et mes forces. à 4 h. l'idée m’est venue, & à 6 heures ma lettre était à la poste. Voyons dites-moi maintenant ce qui va en suivre ? Si ma lettre arrive après le conclusion de l'acte, est-il possible de faire valoir une droite à la loi anglaise sans une contestation des plus pénibles avec mes fils ! Vous savez que mon frère a plein pouvoir de tout régler, il aura réglé 4ème part du Capital anglais comme des autres. Une fois signé par lui comment revenir sur cet acte ? Le peut-on ? Et Paul n’a-t-il pas le doit de dire : " ce qui est fait et fait, vous deviez y regarder plus tôt. " Moi, je crois et je suis sûre qu'il connaissait la loi anglaise, et je ne puis pas m’empêcher d' en expliquer par ce fait maintenant sa persistance à vouloir mes pleins pouvoirs. Que pensez-vous de tout cela ? Ma lettre à mon frère est-elle bien ? Dites-moi votre idée sur les conséquences dans le cas de la signature de l’acte avant que mon frère ne reçoive ma lettre d’hier. Il faut convenir que j’ai été bien simple ! J’ai un peu envie de vous demander aussi pourquoi vous ne m'avez pas dit de prendre des informations à Londres. Enfin il n’y a plus rien à faire Mais cela me tracasse, et vous savez comme cela me fait du mal d'être tracassée. Est-il possible que des chiffres m'occupent tellement ! Savez-vous que j’en ai quelque honte. Je vous remercie de votre lettre hier, je voudrais en être digne c.a.d. ; avoir la force d’y répondre. Mais vous voyez que je n’ai pas de forces. Il y a de la force dans mon cœur , il y a là dedans tout ce que vous pouvez aimer à y voir soyez en bien sûr, bien sûr. Mais venez voir à quel point je suis accablée, lasse ! Encore une mauvaise nuit, vraiment cela va bien mal. Toutes mes peines de printemps, toutes ces tracasseries, tout cela se dessine fortement sur mes traits, j'ai l'air bien faible, bien faible, & je le suis.

5 heures l’Empereur a écrit au grand duc de Darmstadt, et lui annoncer que son fils va venir passer l'hiver à Darmstadt. Le mariage est parfaitement décidé. Il ne peut pas être question que la Belgique entre dans l’association des douanes d’Allemagne. Il s’agit d’un traité de commerce avec la Belgique, mais il n'y a que les puissances allemandes que puissent être des Zolleverein. Adieu. Adieu.
Je suis impatiente de votre réponse à ce que je vous écris aujourd'hui. C'est une grande question que ceci, et mon idée est que je ne m’en tirerais pas sans procès, si je voulais maintenir mes droits après l’acte signé. Mais quelles seront nos relations avec mes fils qui qu’auraient dépouillé à bon escient ! Adieu, Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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235 Baden le 7 août 1839

Hier ne m’a pas apporté de lettre de vous. Sans doute c’est le dentiste de Caen qui me l'a enlevée en même temps que les dents de lait de vos filles. Nous avons eu bien froid hier. Ce n’est pas un bel été, et dans le moment je crois que nous sommes entrés en automne. Le prince Guillaume de Prusse fils du Roi, est arrivé hier. C'est le seul de ces princes qui ait de la tenue et un très bon esprit. Il vient de Darmstadt. Il est charmée de Notre future impératrice, mais il critique le choix pour tout ce qui n’est pas sa personne. Il m’a parlé avec peu de goût du mariage Leinchtemberg nous n'avons encore causé que de cela. M. de Jennison sera rappelé pour s’être mêlé de vouloir faire un mariage pour le prince royal avec la princesse Clémentine.

2 heures Le prince Guillaume est venu me faire une longue visite nous avons parlé de choses sérieuses. Il a un très bon esprit qui me plait. Il me semble que je vous l'ai déjà dit. Je me répète. Dites-moi quelles sont les mesures à prendre pour faire entrer en France mes effets. J'espère qu’ils pourront encore m'être expédiés par la présente navigation si le partage est fait. Je n’en ai pas la nouvelle mais je ne puis pas en douter. 5 heures Je reçois en même temps votre N°233 et la lettre de Caen.
Je remarque l’immense différence de l'éducation française et anglaise, à propos des dents de vos enfants. En Angleterre on ôte aux enfants quatre dents par séance, cela n'occupe ni les parents, ni les enfants Ils reviennent bien contents car on leur donne une guinée par dent c’est l'usage. Et tout se passe gaiement et sur tout facilement. Le fait est que les dentistes Anglais sont très habiles et que les vôtres font sans doute de cela une tragédie. Au reste vous devez savoir que ce n’est pas une souffrance pour les enfants. Et moi même en Angleterre. Je me souviens de m'être fait ôter mes dents à ma toilette et d’avoir paru à dîner chez le Roi une heure après sans me trouver un grand mérite à ce fait. Je crois que les sensations se mesurent sur les précédents. Nous sommes excessivement des singes. Ne pensez-vous pas cela un peu ? Quelle longue dissertation sur les dents. Est-ce que nous n’avons rien à nous dire. Voulez-vous encore une observation ? L'anglais en général est plus fort à la douleur qui tout autre nation. Vous seriez fort content d'observer les Anglais sous ce rapport à tous les âges. Leur éducation physique est admirable.
Adieu, Adieu. Voilà de ces lettres (ma lettre) qui me paraissent ne pas valoir la peine d'être envoyées, mais savez-vous pour quoi je l'envoie ? Uniquement pour ceci adieu. P.S. L'écho français dit que vous vouliez épouser Mad. de Stael parce qu’elle est riche, que vous aviez chargé M. de Broglie de votre procuration. Mais qu'il l’épouse pour son compte, & qu’en conséquence vous êtes brouillé avec lui.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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236 Baden Jeudi le 8 août 1839

Vous n’aurez qu’un mot aujourd’hui. Je suis encore pressée d'écritures. Le Prince Meschersky part demain soir pour Pétersbourg. Je le charge de beaucoup. de choses pour mon frère, pour mon banquier, pour Alexandre. Il peut encore m'être d’une grande utilité dans mes affaires si elles ne sont pas irrévocablement conclues. Vous ne sauriez concevoir tout ce qui peut encore se présenter de confusion d'ici à peu de semaines. Que n’êtes-vous là pour me conseiller ! Je cause beaucoup avec le Prince Guillaume, et sur toutes choses, excepté ma personne dont je ne parle pas. Nous nous trouvons d’accord surtout, dans ces cas-là vous savez qu'on trouve toujours du mérite à la personne avec qui on parle ! C’est drôle, mais nous sommes tous plein de vanité. On dit qu'il y a un tas de Polonais fort, remuant ici. Le Prince Jérôme de Montfort qui est un sot à de mauvaises histoires aussi. On a découvert une certaine lettre adressée à lui par quelques français mécontents. J’espère que ce pauvre petit sot ne va pas faire une seconde édition de Strasbourg.
J’ai vu une lettre de Vienne aujourd'hui qui dit que le Prince Metternich est extrêmement troublé des affaires d’Orient. Il y a des courriers quotidiens presque, entre Vienne & Londres. La déclaration de Méhémet Ali à la Turquie est bien insolemment respectueux. Cet homme doit avoir beaucoup d’esprit. " Je maintiendrai, et j’attendrai " !

5 heures Votre n° 235 est triste, triste pour moi, contre moi ; je ne sais mais il m’afflige, il y a même un mot en seul mot qui me blesse. Je suis bien inquiète, car je suis sûre que je vous ai dit souvent plus que cela, & vous m’avez pardonné. Pardonnez, pardonnez toujours, pardonnez tout, car je suis faible et malheureuse. Je n'ai que vous pour me soutenir. Soutenez-moi et pardonnez-moi tout. Ah si je pouvais vous voir ! Que de fois je profère ce stérile vœu. Adieu. L’Empereur reste à Pétersbourg. Les journaux disent des bêtises. Il ira à la revue de 160 000 hommes à Borodino voilà tout. Il y dépensera 20 millions en fêtes et tuera quelques chevaux de poste en courant. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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237 Baden le 9 août 1839 5 heures

J’ai passé ma matinée en écritures. Je leur ai même sacrifié mon sommeil de midi et ce n’est que dans ce moment-ci que je pense venir à vous. Montront m'a fait la désagréable surprise de partir ce matin. Il s’est fort ennuyé à Bade. Il dit que moi j’y faire des parties de dormir, que Mad. de Talleyrand qui a un très bon cuisinier s'enferme avec lui à double tour, qu'on mange horriblement ici, que pour voir les gens il faut se lever à 6 heures du matin, tandis que c'est alors ordinairement qu'on les quitte, qu’il y a trop de Princes, et puis qu’on lui vole son argent dans sa poche. C'est vrai, hier en plein salon on y a pris 16 Louis. Tout cela ensemble fait qu'il s'en est allé, il dit qu’il trouvera bien plus de connaissances au café de paris.
L’Autriche et la Prusse donnent raison au roi de Hanovre et lui accordent de retourner à la constitution de l'année 1819. La Diète va aller aux voix, et la majorité pour lui. Les états constitutionnels voteront contre. La lettre de M. St Marc Girardin dans le Journal du Débats du 6 est très bien faite. Je cause beaucoup avec le Prince Guillaume, et il me plait toujours davantage, des lettres de Constantinople du 23 juillet disent que les restes de l’armée Turque se sont débandés. Il n’y a plus de troupes dans l’Empire ottoman que 3 régiments à Constantinople !
Voici votre N°236. Je vous remercie de vos observations sur le Capital. Il me semble que mes interrogations à Bulkhausen sont si précises qui je ne puis pas m’être compromise. Voici la copie, dites-moi si je dois l'envoyer à mon frère. Il est clair que s'il n’y a que moi qui peux lever le Capital, qu'il m’appartient en entier ou qu’il ne m’en revient que le quart l’opération est toujours la même. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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238 Baden le 10 août Samedi 1 heure

Qu'il y a longtemps que nous ne nous sommes vus ! Savez-vous bien que c'est là ce qui m’empêche de me bien porter. Il me semble que si vous étiez auprès de moi je serais bien, tout à fait bien. Que de fois je m'en suis saisie de ce besoin, ce désir d’aller où vous êtes, de causer avec vous, de vous dire tout. Ce n’est qu’avec vous que je sais parler, ce n’est que vous que j'aime à entendre. Je n'ai que tristesse, et ennui là où vous n'êtes pas. Vous me manquez bien plus que moi je ne puis vous manquer. Soyez bien sûr de cela. Les Anglais disent ici que Lady Cowper sera à Wisbade demain. Elle ne m'en a pas dit un mot. Si elle venait en effet cela changerait un peu mes plaies. Je ne retournerai pas à Paris avant de l'avoir vue. Et puis ensuite l'Angleterre ne m'irait plus du tout, car sans elle il y aurait bien de l’isolement pour moi.

5 heures Voici votre lettre. Je suis bien aise de voir que nous admirons Méhémet Ali ensemble et pour la même chose, je crois vous avoir parlé de sa note aux consuls. Aujourd’hui on dit ici que les flottes anglo-françaises ont demandé l’entrée dans les Dardanelles et que le Divan la leur a refusé. Dans tous les cas l’Orient devient une très grosse affaire et qui a un aspect imposant dans son ensemble et dans ses détails. On dirait que l’Europe a disparu ; tout est aujourd’hui à Alexandrie et Constantinople. Le temps est un peu beau aujourd'hui. Nous avons eu froid tous ces jours passés. Je me promène également par le beau et par le mauvais temps, parce que je m'ennuie. Ah, que je m’ennuie. Vous ai-je dit que je lis la Révolution par Thiers ? Je suis au 6ème volume. Et bien, cela m’enchante. Ai-je le goût mauvais ? Adieu, je n'ai pas de nouvelle à vous dire ? Je me lève toujours à 6 heures. Je reste dehors jusqu'à 8. J'y retourne de 10 à 11. J'y retourne encore de 2 à 4. (dans l’intervalle j'ai déjeuné et dormi. J'ai fait ma toilette, & &) Je dîne à 4 heures. Je ressors à 5 1/2. Et je ne rentre que pour me coucher à 9 heures. Je mène toujours quelqu'un avec moi en calèche. Marie et la petite Ellice. ma nièce. Mad Welesley. Aujourd'hui Madame de la Redorte. A 9 1/2 je suis dans mon lit. Mais je ne dors pas.
Adieu. Adieu. Avez-vous bien envie aussi de me revoir ? Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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239 Baden Dimanche le 11 août 1839 9 heures

Je me sens aujourd’hui plus faible que de coutume. Mes nerfs sont dans un état pitoyable. J'ai bien besoin de vous pour me remettre, j’ai besoin de votre affection, de vos soins, de vos conseils, il me faut un appui. Je vous assure que je ne me conçois pas livrée encore pour bien des mois à mes seules ressources, c'est à dire à mes bien tristes pensées. Vous ne savez pas comme elles sont tristes ! Comme elles le deviennent tous les jours davantage. Les journaux confirment ce que vous me dites des nouveaux embarras ministériels. Mais je ne crois à rien. Ils iront comme ils ont été. Les Flahaut sont menacés de perdre leur seconde fille, elle crache le sang. C’est pour elle qu’ils viennent aux Eaux en Allemagne et qu’ils iront ensuite passer l'hiver en Italie.

1 heure. J’ai été à l’église. Toujours un superbe sermon. Le texte était votre lettre. Nous reverrons ceux que nous avons aimés, mais j'aime encore mieux votre lettre que ce superbe sermon. Vous avez raison. Je viens de recevoir une seconde lettre de Benkhausen qui explique tout, comme vous le dites.
J’ai l’administration et non la possession du Capital. J’écris de suite à mon frère, pour tout remettre à sa place. J'ai du regret d'avoir mal compris, pour dire la vérité c’est Mad. de Talleyrand et Bacourt qui me l’ont fait comprendre comme cela ; car vous savez bien que moi, je ne m'y entends pas. Mais il faut absolument que ce soit moi qui lève l’argent. Les droits en Angleterre emporteront 1000 £ ce qui réduit le Capital à 44800 £. Pouvez-vous me dire si dans le plein pouvoir que j’ai donné à Paris à mon frère, il est suffisamment autorisé à faire pour moi cette opération ? Je vous envoie copie de la lettre que je lui écris. Savez-vous bien que je me sens toute soulagée par cette lettre de Benkhausen ? C’est si vrai qu’étant fort malade ce matin me voilà mieux. Je suis débarrassée de ces richesses imaginaires qui m'étaient on ne peut plus désagréables.
Je viens de lire des rapports de Vienne. Vos Ambassadeurs, le vôtre, celui d'Angleterre et l’internonce sont de parfaites dupes. Le divan est entre les mains de M. de Bouteneff et c’est par lui que le divan négocie avec Méhémet Ali. Je vous dis ce qui dit la diplomatie à Vienne. Metternich est fort inquiet de ce que nous ne parlons pas. Ne vous ai-je pas toujours dit que c’était notre affaire et que nous n’entrerions pas en causerie sur cela. Adieu. Adieu mille fois, adieu. Je reçois dans ce moment une lettre de mon fils Alexandre du 31 juillet dans laquelle il me dit qu’on venait de recevoir les nouvelles de la défection du Capitan Pacha, & de la défaite de l'armée Turque, que comme cela amènera des complications graves que peuvent influer sur mes projets pour cet hiver, il se hâte de m’en donner avis !

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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240 Baden Lundi 12 août 1839

Je commence toujours ma matinée par un long tête à tête avec le Prince Guillaume. C’est des confidences de part et d’autre. Il me laisse toujours l’impression d'un homme qui a l’esprit très bien placé ; qui naturellement n'en a pas plus qu’il n’est convenable d'en avoir mais chez lequel la réflexion supplée à l'abondance ; qui ne ferait jamais de fautes, et qui aurait toujours le courage de continuer ce qu’il aurait une fois commencé. Je vous dis tout cela parce qu’il est destiné à devenir roi un jour. M. de Figuelmont ambassadeur d'Autriche à Pétersboug est arrivé très inopinément à Vienne. Dans ce moment c’est singulier. Et on en a été étonné, car quoiqu’il eut depuis quelques temps la permission de s’absenter de son poste l’idée n'était pas venu à M. de Metternich qu'il peut en profiter dans un moment si grave a envoyé quelqu’un à Constantinople pour seconder ou gouverner l’internonce dont on est très mécontent.
Vous avez mille fois raison, il me faut quelqu’un dans mon intérieur qui me donne des soins qui me débarrasse du détail de ma maison ; j’y ai beaucoup pensé,et savez-vous sur qui j’ai jeté les yeux ! Melle Henriette, qui était auprès de Pauline Périgord. C'est une excellente personne, et par mille considérations tout juste ce qu'il me faudrait. Je viens de lui faire proposer de venir vivre auprès de moi. Je la défraierai de tout. Je lui donnerai 1500 francs par an. Mad. deTalleyrand lui a écrit, mais je ne sais si elle mettra beaucoup de cœur à cette affaire Melle Henriette sait beaucoup ! Je viens donc de lui écrire moi-même je voudrais bien qu’elle acceptât. Quel confort ce serait pour moi ! Mais encore une fois malgré ce que Mad. de Talleyrand m'a promis, elle serait fort capable de tout faire pour l'en détourner.

2 heures. Dites-moi ce que vous pensez de cet Orient. A mes yeux la conduite du Cabinet de l’Occident est parfaitement embrouillée. Que voulez-vous ? Que veut l'Angleterre avec laquelle de ces deux cours M. de Metternich s'arrange-t-il ? Il est clair que nous ne nous arrangerons d'avance avec personne. Mais enfin qu’est-ce que tout ceci et qu’est-ce qui peut m'advenir ? Qu’est-ce que cet avis de mon fils, que mon séjour pourrait être dérangé pour l’hiver prochain ? Ah, cela par exemple, je ne vous le pardonnerais pas. Parlez-moi donc de tout cela. Tout ce qu'il y a de diplomates ici vient toujours me faire visite. Je suis un vieux diplomate aussi. En vérité je me trouve bien de l’exprimer pour toutes les choses qui ne me regardent pas, car pour celles qui me touchent je suis bien primitive n'est-ce pas ?

5 heures Je viens encore à vous pour vous remercier de votre 239. Je ne sais pas ce que je ferai. Probable ment quelque jours de Bade encore, et puis je crois Paris, mais tout cela dépendra de Lady Cowper, tout le monde me dit qu’elle arrive, il faudra bien qu'elle me le dise elle même, et puis nous nous arrangerons. Adieu. Adieu, Ah que l’automne sera long ! Vous ne me dites rien des affaires à propos Rotschild vient de m'écrire. Le premier est loué à un américain, & Jenisson ne pense pas encore à partir. Ainsi point de rue St Florentin. Demandez un peu ce que devient l’hôtel Crillon.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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241 Baden le 13 août 1839, 3 heures

C'est aujourd’hui que je suis vraiment malade. J’ai passé la nuit entière sans dormir avec des crampes continuelles dans les jambes, qui vont encore dans ce moment, et mes nerfs dans l'état le plus déplorable où ils aient jamais été. Le médecin ne sait plus que faire ; je veux partir car je mourrais ici. Mais il me trouve trop faible pour un voyage, et il ne me permettra jamais surtout de l’entreprendre seule. Je le sens bien aussi, moi, que je ne puis pas aller seule. Mais où trouver la créature charitable qui m’accom pagnerait qui me soignerait ! J'ai passé ma matinée à pleurer. Je sens mes forces décroître, tous les jours je serai moins capable de m'en aller et ici je meurs. Je ne sais pas vous dire autre chose aujourd’hui. Je n'ai qu'un vœu, c'est d'aller vers vous, de mourir près de vous. C'est si triste de n'avoir pas un coeur qui m'aime. Et vous m'aimez-vous ? J'en suis si sûre ! Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi vous ai-je quitté ?

5 heures Je viens de recevoir votre lettre. J'ai une pesanteur affreuse sur la tête, des étourdissements, des tremblements dans les jambes, et toujours froid. Vous ne savez pas comme je suis triste, comme je me trouve loin de vous, comme je me sens mal ! Il m'est impossible de vous dire autre chose aujourd'hui. Adieu, adieu. Je ne pense qu'à vous ; sans cesse ; tristement, tendrement, bien tendrement. Adieu, adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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242. Baden le 14 août 1839, 9 heures

J’ai dormi cette nuit, j’ai un peu plus de forces que je n’en avais hier, et j'ai envie de les employer à faire une tournée de deux heures dans la vallée de la [Morey] qu’on dit superbe. Cela me fera une petite distraction. Venez avec moi, ah mon Dieu, je vous appelle dans tous les instants. 4 heures Je reviens, et je suis très fatiguée. J’ai vu un pays superbe, un veux château restauré que le grand Duc vient habiter quelquefois. Il m’a semblé que nous habiterions très convenablement ce vieux château. Vous ne sauriez concevoir la beauté de la vue. La richesse de cette végétation ! Je me suis fait accompagner par le. comte Bual. C'est un homme de beaucoup d’esprit et avec lequel je cause de tout.

5 heures. Votre lettre est toujours attendue avec impatience et reçue avec un grand grand plaisir. J'ai eu tout à 1 heure la surprise d'une visite de M. de Stakelhey. Il vient de Turin. Il va à Amsterdam ; il se porte à merveille et trouve que je me porte très mal. Il m’a trouvé fort maigrie. Lady Cowper me mande qu’elle ne quitte pas l’Angleterre. Il n’y a que Mad. de Flahaut qui aille à Weibade. Il ne vaut pas la peine que j'y aille pour elle seule. Je cherche quelqu’un pour m'accompagner à Paris. Je cherche sans avoir espoir de trouver ce quelqu’un. Et décidément je n’irai pas seule. J’ai trop peur de mourir en route. Vous voyez que je suis un peu mieux aujourd’hui. Ah mon Dieu quelle mauvaise journée que celle d’hier ! Je n’ai point de nouvelle à vous dire, je ne sais rien de nouveau absolument rien. Adieu. Adieu.

J’aime tant vos lettres. Il n’y a que cela que j’aime à Bade ! Ah que je voudrais être partie. Je n’ai pas eu un jour de santé depuis que j’y suis. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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243. Bade le 15 août 1839, jeudi 10 heures.

Encore une mauvaise nuit, par conséquent une mauvaise journée. J’ai commencé par des larmes, je finirai par des larmes. Ah je suis bien malade ! Je cherche, on cherche pour moi quelqu’un, quelqu’âme charitable qui me mène et me protège jusqu’à Paris. Seule, je ne puis pas penser à partir, et le médecin ne le permettrait pas. Si vous saviez comme je me sens humiliée de cette dépendance où je suis de la charité d’autrui, de cette impossibilité morale physique, de me suffire à moi même. Qu’est-ce qui fait donc que tant d’autres personnes savent supporter les malheurs, savent endurer les contrariétés, l'isolement ? Des personnes qui me sont inférieures en esprit, en caractère ? Il faut que ce que J'en ai soit de bien mauvaise, soit tout le monde vaut mieux que moi ; tout le monde se tire de tout, moi je ne sais me tirer de rien. Je suis certainement un des plus misérables être de la création. Sans volonté, sans courage, sans ressources. Ah que j'ai de mépris et de pitié pour moi.

5 heures On m’a beaucoup entourée ce matin, je n’ai pas été seule un instant. C’est qu'on me voit bien malade. Savez-vous de qui je me loue le plus ? C’est de Madame de la Redorte. Vous ne sauriez croire comme cette petite femme à bon cœur et l’esprit intelligent. Mad. de Talleyrand vient d’écrire à Melle Henriette pour l'engager. à venir me trouver de suite. Si elle accepte, elle ne pourra cependant guère arriver ici avant 15 jours, et c’est bien long, bien long ! Car je suis bien malade. Votre lettre me dit un peu ce que je dois penser de la situation des puissances à l’égard de l'Orient, mais vous devriez. me dire aussi ce qu'on pense de nous de nos projets. En vérité c'est une bien grosse affaire. Je vous remercie de vouloir m’arranger l’affaire de mes effets. Je vais écrire à mon banquier pour qu'il m’en envoie une liste exacte. Je lui ai déjà dit de tout envoyer au Havre sous mon adresse aux soins de Messieurs de Rotschild. Adieu. Adieu. Je ne vous écrirez pas le mot qui m'a blessée, je vous le dirai. Adieu quel bonheur quand je pourrai dire; tout dire !

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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244 Bade Vendredi le 16 août 1839,

Je serai bien heureuse le jour où je ne vous écrirai plus, car je serai avec vous, où je serai morte. Jusque là j’aurai toujours à répéter le même refrain. Je me sens mal et très mal. Je veux partir, je cherche avec qui, je ne trouve pas, et cela me donne une agitation abominable. 5 heures Votre lettre est le seul bon moment de la journée. Quelle bonne invention que l’écriture et les postes. Je n’ai rien à vous dire, et j’ai des vertiges si forts que je ne vois pas bien ce que j'écris pardonnez-moi, ou plaignez-moi. Adieu, voyez quelle lettre, adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
245 Baden Samedi le 17 août 1839

Je ne puis que vous répéter la même chose, toujours la même chose. Mes nerfs sont dans un état abominable. On cherche, on espère trouver demain, après demain, dès que ce sera trouvé. Je pars. Je n’en puis plus. Je vais plus mal tous les jours. Ecrivez toujours à Bade jusqu’à nouvel avis. Les nouvelles de Constantinople du 1er août sont en contradiction complète avec ce que vous me mandez. Vous me dites " Nous n’interviendrons pas entre Musulmans." Et on mande de Constantinople que les 5 puissances se chargent des négociations entre le Pacha et le Sultan. Expliquez-moi cela. Tout est singulier dans cette affaire.
Je voudrais bien qu’elle m'occupât assez pour m’étourdir sur mes propres maux, mais ils sont là toujours là, et il faut que je quitte Bade si je ne veux pas mourir. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
246 Baden le 18 août 1839

Il m’est venu en idée que vous pourriez connaître peut être par Madame votre mère ou Madame de Meulan quelque brave personne qui fait pour moi ce que j’attends de Melle Henriette. Il est très possible qu’elle refuse. Elle aura pris des habitudes à Genève, elle a un sort indépendant. Il ne faut pas que je m’attache exclusivement à l’idée de l'avoir. Il faut me préparer encore à ce revers. Voyez un peu conseillez autour de vous. Vous savez parfaitement ce qu’il me faut. Une personne qui m'épargne tous les tracas, et tous les détails, qui sache me soigner, qui sort assez comme il faut pour rester avec moi quand je suis seule, qui sache prendre de l’autorité sur tout mon monde. Je vous assure que j'ai bien besoin de cela de tout cela, car mon intérieur m'excède. Je n’y suffis pas. Je ne puis pas encore vous annoncer mon départ. J’espère le pouvoir incessamment, on cherche encore. Il ne faut pas que je tarde car je m'affaiblis trop. Cet affaiblissement était lent d’abord, il devient plus rapide à présent.

4 heures. Il m’est arrivé des connaissances d'Angleterre et comme elles ne passent qu'un jour à Baden, je leur ai donné quelques heures de ma matinée pour leur faire voir les environs. C'est le Duc et la Duchesse de Beaufort, de fort aimables gens. Mon Prince de Prusse est malade depuis plusieurs jours ; il ne sort pas ; il est moins malade que moi qui sors. Ah quel état que celui de mes nerfs ! Adieu. Adieu, ma pauvre tête me fait mal. Adieu m'aimerez vous encore lorsque vous me reverrez si changée ? Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
247 Baden lundi le 19 août 1839

Tout ce que vous me dites sur Thiers c'est admirable de vérité. Quant à son ouvrage, il me parait que le révolutionnaire y perce partout. En dépit du soin qu'il prend de paraître impartial. Je n’ai lu encore que les 5 premiers volumes. Je me suis levée bien malade et bien faible. Toutes les personnes qui me voient sont d’accord avec mon médecin pour me renvoyer. Je pars donc certainement cette semaine ; je vous dirai demain le jour. Votre réponse à ceci ne me trouverait plus à Baden. Ecrivez-moi à Paris, hôtel de la Terrasse. Je ne sais encore qui m’accompagnera, mais je ne puis pas partir seule cela est évident. Mademoiselle Henriette refuse ; elle prétexte son indépendance, elle a raison, et moi j’ai tort d’avoir du malheur à tout ce que j’entreprends.

6 heures. Zéa n’a pas paru à Baden. Il est perdu. Je viens de recevoir une lettre de mon fils Alexandre. Il ne sait pas quand il pourra se tirer de Russie, il me dit en termes fort doux qu’ils attendent mes directions à mon frère pour pouvoir conclure. Une lettre du Roi de Hanovre insignifiante. Une autre de Bulwer spirituelle. Il va rester ministre à Paris, les Granville partent demain pour l'Angleterre. Une autre encore de Mad. Appony, ressemblant à Madame Appony ! La vôtre enfin c'est à dire d’abord. et j’ai raison des deux manières, car je commence par elle et puis je finis par elle. Demain je vous dirai le jour de mon départ. Adieu. Adieu. tendrement adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
248 Baden le 20 août mardi 1839.

Je vous annonce mon départ pour demain matin. Je suis plus mal d'heure en heure, cela ne va plus il faut me tirer d'ici. J'emmène la mère de Marie, ou son oncle car il me faut une protection. et du secours dans l’état où je suis, et l’un ou l’autre sera efficace. Je ne me presserai pas. Je vous écrirai de la route et je vous écrirai dès mon arrivée à Paris. Ne bougez pas jusqu’à ce qui je vous donne avis de le faire. Je ne puis presque pas me réjouir de l’idée de me rapprocher de vous, car je ne sais ce qui peut m'arriver en route. Je suis si faible. Tout le monde ici sera aise de mon départ ; je suis un triste spectacle.
Ah quelle mauvaise campagne j’ai fait là. M’aimerez-vous encore en me revoyant comme cela ? Je ne sais rien vous dire ! Je suis combattue entre la joie et crainte. Pourvu que j'arrive, adieu. Adieu.

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Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
249 Saverne Mercredi 21 août 1839 6 h. du soir

Je viens d'arriver, excédée, bien faible. C'est Madame de Mentzigen qui m’accompagne, c’est quelque chose, c'est mieux que d'être tout- à-fait seule. Voilà tout. Le prince de Prusse était à 7 heures du matin chez moi. je l’ai informé avec votre lettre qui est un chef d’oeuvre, sur la situation du moment. Il en a été très frappé. Adieu. J’ai à peine la force d'écrire, mais j'ai bien celle de penser, et de me réjouir de me retrouver en France. Oui je m’en réjouis beaucoup, beaucoup. Mais je suis si mal, si faible. Adieu. Adieu. J’espère arriver à Paris, dimanche. Mad. Metzingen y restera deux jours et puis elle s’en retournera. Je vous l'écrirai même de la route et dès mon arrivée à Paris, attendez cette lettre là. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
250 Paris hôtel de la Terrasse, Dimanche 25 août 1839
10 h du matin

Ah quel bonheur d'être arrivée, d'être encore vivante d'être si près de vous ! J’ai a peine des forces de reste. Le voyage m’a fatiguée extrêmement. Je vous assure que si vous m'aviez vue vous ne m’auriez pas permis d’écrire même. Adieu. J’arrivais, où me couchait, on me donnait à manger, et voilà tout. Je viens de voir mon médecin, il me trouve maigrie, mais pas si mal que je ne l'imagine moi-même. Il veut un peu de repos, et puis les bains mer, si je trouve quelqu'un qui m’accompagne. J’irais à Dieppe, ou à Douvres. Mais avant tout il faut que je me repose, car encore une fois, je suis morte de fatigue et de faiblesse. Dites-moi le moment où il vous sera le plus commode de venir me trouver. Dites-moi aussi, si Dieppe ne vous conviendrait peut-être pas mieux que Paris. Je ferai ce que vous voudrez. Si c'est hors de Paris vous vendrez chez moi, je vous arrangerai tout bien commodément, vous n'aurez à vous embarrasser de rien. Et mon Dieu que je serais heureuse !
J’ai trouvé ici les N°248, 249, et 253. Je vous remercie tendrement de tout, de tout. Je suis si faible, si faible, mais assez vivante encore pour vous envoyer le plus tendre adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
251. Paris lundi 26 août 1839 midi

C’est tout ce que je peux faire que de vous écrire deux mots. Jamais je ne me suis sentie si faible. Je ne sais que faire. Je me repose, je me repose beaucoup au point de n’avoir voulu voir encore personne. Et bien, je me sens plus mal. Je ne dors pas. Mes jambes me manquent. Ma tête s'en va. J’attendrai, avec impatience votre réponse à ma lettre d'hier. Je veux faire ce que vous voulez. Voulez-vous que nous nous voyions à Rouen, il me semble que c’est près de chez vous. Je ne veux rien moi qu’être un peu tranquille et vous voir. Si vous saviez quelle pauvreté que mes nerfs. Le médecin croit que la mer les remettra. Mais que de conditions il faut pour cela ! Il faut trouver quelqu'un qui m’accompagne. Il faut que là je trouve quelque ressource. Car seul vous savez bien que pour moi c’est mourir.
Et l’Orient, quelle bagarre ! Et le ministère Anglais quelle pauvre. situation ! Il me semble que tout le monde est malade comme moi. Adieu. Adieu. N'ayez pas de rhumatisme et ayez toujours pour moi la même affection, la même. Adieu. Adieu.
Lord Beauvale m'écrit de Vienne. "Je suis retenu ici pour ces affaires turques où nous ne ferons pas grand bien. L’avantage d'être cinq est d'empêcher les grosses sottises, mais pour faire quelque chose de bon s’est une machine trop compliquée. Il y a toujours des roues qui tournent en sens contraire. Comment voulez-vous que cela marche ? "

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
252 Paris Mardi 27 août 1839

Le médecin veut absolument l’essai au moins des bains de mer, et il veut que je m’y rende le plus tôt possible. Quel jour pourriez-vous venir à Rouen ? Delà je vous mènerais dans ma voiture à Dieppe. Vous resteriez avec moi, chez moi, quelques jours. Tout cela me parait si facile ! Répondez-moi. Il se peut que je parte déjà samedi ou dimanche. Je vous dirai cela. Ne pourrait-on pas ignorer que vous allez à Rouen ? Car je n'aimerais pas les journaux. Je ne dors pas, je ne mange pas, ah j'ai bien certainement une pauvre mine, n'espérez pas le contraire.
J’ai vu hier Appony & Médem. Je sais à peu près tout. Le premier est glorieux, et il perce dans les récits la petites satisfaction de nous croire un peu humiliés, ce que je ne relève pas du tout des paroles de Médem. Nous ne demandons pas mieux que de voir la querelle entre les deux Barbares terminée, et nous agirons avec les autres pour cela, mais rien que cela. Nous ne voulons pas que sur ce point la conférence s’établisse à Vienne. Nous la voulons à Constantinople. Hier il paraissait que les quatre la feraient à Vienne sans nous. Voilà ce qui n’ira pas à moins de se brouiller avec nous. Nous verrons. L'Angleterre et l’Autriche n’offrent à Méhémet Ali que l’hérédité de l'Egypte, quelle bêtise ! L'Angleterre veut qu'il rende la fiotte de suite. S'il refuse, qu'on rappelle les Consuls d’Alexandrie. S’il persiste encore dans son refus, que les flottes alliées s'emparent de Caudie. Je ne vois pas que vous puissiez vouloir tout cela. Encore une fois nous verrons.
Le Roi est parti fort tranquille sur la situation. Vous avez fait je vous en demande pardon, une bêtise en déclarant par hâte que vous entrerez dans les Dardanelles si nous entrions dans le Bosphore. Il est évident que c’est l'Angleterre qui vous a mis en avant ne voulant pas le dire elle-même. Nous avons répondu que dans ce cas nous rappellerions notre Ambassadeur de Constantinople regardant cela comme une rupture de notre traité par le Divan. Et puis la guerre. Vous voyez bien que vous ne la voulez pas et que ces propos là étaient fort inutiles. Vous vous êtes montrés satisfaits et même reconnaissants de notre réponse si franche, et vous y avez reconnu une nouvelle garantie de paix. Tout cela est drôle. Adieu, adieu. Je meurs de fatigue, marcher dans la chambre me fatigue ; mais adieu ne me fatigue pas encore.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
253 Paris, le 28 août 1839,

Je commence par vous dire que je ne suis pas tout-à-fait aussi faible aujourd'hui que je l’étais hier, que mon pouls est un peu plus régulier. Ceci me prouve qu'il faut me reposer, et que pendant quelques jours c'est là ce que je compte faire sans me préoccuper de ce que je deviendrai après. Attendez donc de mes nouvelles, ne faites pas de plan, et nous verrons dans quelques jours s'il s’agira de Dieppe ou de Paris.
Le Pacha refuse. Il est cependant, un peu soucieux de cette démarche collective, quoiqu’il ne se figure pas que nous puissions être tout-à- fait d’accord. Et il a bien raison. Il est impossible de l’être moins ; il a dit à notre consul, " prenez Constantinople, car vous finirez cependant par le prendre. "
J'ai bien besoin que votre M. de Valcourt m’aide à trouver une maison. Ecrivez- lui, ou à Génie. Personne ici ne m'aide vraiment. C’est que personne ne s’intéresse vraiment à moi, il n’y aurait que vous au monde qui seriez capable de prendre intérêt à moi. Je vous écris de courtes et pauvres lettres. Je n'ai pas la force de faire plus. Et aujourd’hui je suis obligée, d'écrire à quelques personnes à Baden. Adieu. Adieu. Je suis bien aise que Madame Rémusat soit retournée en Languedoc. Adieu mille fois.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
254 Paris, jeudi le 2 août 1839, 10 heures

Je ne puis rien vous dire aujourd'hui avant d'avoir vu mon médecin. Il me drogue, et décidera ensuite. Le très petite amélioration que j’éprouve me fait désirer de continuer, là où je ressens du mieux, et surtout là où je me repose. Je ne suis donc pas pressé, mais c’est la saison qui me presse. Ah ! Que de temps perdu à Bade !
Je commence à voir quelques personnes. Bulwer entre autres que j'aime beaucoup. J’ai vu aussi les Brignoles, et Pozzo, Ah mon Dieu quelle destruction ! Je vois aussi mon banquier, j’arrange un peu mes affaires quoique je ne connaisse pas encore au juste l’état de ma fortune. Et puis et avant tout, je cherche une maison. C’est presque aussi difficile pour moi que pour M. de Pahlen, et quel ennui. Mais au bout de tout cela si je la trouve ; pourrai-je l'habiter ? Resterons-nous en paix ? Savez- vous que j’ai de mauvais pressentiments. Il me semble qu'on a beaucoup gâté la situation. C'est bel et bon de dire, de répéter " nous voulons tous la paix." Nous ne la voudrons pas cependant à tout prix, et il me parait que nous nous préparons. M. de Metternich n’est pas hors d’affaires, mais on dit qu’il est hors de danger. Je vous ai dit que c'est un coup de sang qu'il a eu. Sa mort serait une vraie catastrophe dans ce moment.

Midi Le Médecin prétend toujours qu'il me faut les bains de mer, nous verrons, en tout cas je ne m'ébranlerai pas avant mardi. Vous en serez prévenu à temps. M. Démion sort de chez moi, il cherche une maison. Vous ne concevez pas la difficulté que je rencontre à cela, et je répugne tout-à-fait à prolonger mon bivouac à la Terrasse. Adieu. Adieu que nous aurons de chose à nous dire !

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
255 Paris, Vendredi 30 août 1839

Voici votre n° 258 qui me dérange ou qui m’arrange, je ne sais pas bien lequel. Vous venez mardi. C’est charmant. Mais je voulais. partir mardi c’est contrariant. Et bien je reste, je vous verrai ce jour-là à Paris au lieu de vous voir à Rouen. Le reste nous le combinerons, car j'espère bien que ce n’est pas pour m’échapper que vous venez ?
M. Molé est venu hier un moment, il reviendra aujourd'hui il a eu 10 jours de fièvre. J’ai vu maintenant toute la diplomatie. Elle attend votre réponse à la demande de l'Angleterre d'employer la force contre le Pacha. Nous verrons. Le Prince Metternich a eu la tête embarrassée pendant huit jours, c’est sa femme elle même qui l'écrit. Il est très faible, on ne veut pas qu'il s'occupe. le moment est bien choisi pour rester désœuvré ! On me dit que mon fils aîné a donné sa démission. Je n’ai pas de nouvelles de Pétersbourg. Adieu, adieu.
Vous ne dites pas si je dois encore vous écrire. Savez-vous que personne valait mieux, personne n’aurait parlé, mais vous avez décidé autrement, et je me range. Adieu. Je veux que vous sachiez comment vous me trouverez et pour cela voici comme on me trouve maigrie, hâlée, et l’air faible. préparez votre imagination à tout cela, et n'ayez par l’air trop étonné. Certainement je suis mieux car je ne me suis pas en train de mourir comme à Baden. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
256 Paris, Samedi le 1er août 1839

Mardi donc, et ici. Que je suis réjouie de vous voir ! Le savez-vous bien ? J'ai causé longuement avec M. Molé hier. Il trouve tout ce qui se passe pitoyable, et ne conçoit rien à la politique qu'on suit à l’égard de l’Orient, se traîner à la remorque de l'Angleterre ! Il a vu le Roi il y a 15 jours qui lui a fait de grands éloges de ses ministres, des capacités du Maréchal pour les Affaires Etrangères. M. Molé l’a félicité de sa satisfaction et il a trouvé drôle que ce soit à lui que le roi dise tout cela car il les a fait entendre même, qu’il n’avait jamais vu des Ministres qui lui convinssent autant. Chacun d'eux est jaloux de lui plaire, et de de lui faire tous les petits plaisirs possibles ! Appony. Brignoles, Médem, Bulwer. Voilà ce que je vois.
Avez-vous du mal à me dire du N° 61 rue de Lille occupé longtemps par Mme de St Priest ? C’est juste derrière le grand palais du quai d'Orsay. Je trouve cette maison complète. Tout juste ce qui me faut. Je cherche ses défauts parce que je ne veux rien conclure légèrement. On me dit qu'anciennement Madame de Boigne habitait ce rez de chaussée. Il est très convenable, vous viendrez me décider.
Le temps est triste aujourd’hui et je ne suis pas encore à mardi, ce qui fait que je ne suis pas gaie. Mad. de Mentzingen me quitte demain j'en suis très fâchée. Je n’ai rencontré personne que puisse me convenir aussi bien qu’elle. Adieu. Adieu. Vous voulez que je vous écrive encore demain. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
257 Paris Dimanche le 1er 7bre 1839

Je vous écris ce mot adressé à Lisieux comme vous me le de mandez pour vous dire que je vous attends à Paris, Mardi dans la journée. C’est bien. mais enfin je serai à la maison entre 4 et 5 heures pour vous attendre. Vous dînerez avec moi à 6 c'est mon heure. Je fais mieux de vous attendre à Paris puis que je ne veux rien terminer sans vous pour la maison et pour des affaires d’argent. Le médecin me chasse, jeudi. Je partirai nous partirons, ou Samedi au plus tard. Mais cela est encore subordonnée à bien des choses. Vous déciderez. J’ai tant à vous dire ; tant à vous demander. Mon frère a eu un accident grave. J’en suis inquiète. Rien de nouveau. Adieu. Adieu Adieu.
Mardi je serai bien contente ! Adieu. Ne pourriez-vous pas empêcher que vos journaux annoncent votre arrivée à Paris. Ce serait nulle fois mieux. Adieu.
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