Charybde et Scylla
Charybde et Scylla
Planche VIII, 1627, Charybde et Scylla, détail.
Les bois lyonnais ne comportent pas de figure pour la monstrueuse Scylla - pas plus que pour Charybde - l'inspiration de Rabel est bien venue de Padoue. Si l'on se fie au texte des Images des dieux, cette dernière peut être assimilée à la grotte que Rabel ajoute derrière Scylla.
Scylla, dans Cartari, 1615, p. 226.
Dans Les Images des dieux, Scylla est décrite à deux reprises. Si le premier portrait textuel est très différent de ce que l'on trouvera dans les gravures padouane et parisienne, le second correspond, sauf pour la forme des têtes que prennent ses membres inférieurs, que les artistes assimilent à des dragons.
"Maintenant retournons à Neptune, car combien qu’en la mer y ait des autres monstres maints & variables, & feints par les Poëtes, comme Homere feint Scylla, laquelle demeuroit en un antre ou caverne obscure & espouventable, & avec terrible hurlement faisoit retentir toute la mer, & ce monstre avoit douze pieds, & six cols, & autant de testes, & chasque bouche avoit trois rengs de dents, desquelles sembloit distiller continuellement poison mortelle, & hors de la dicte caverne elle presentoit souvent en la mer les testes espouventables, regardant si aucune navire passoit par là, pour faire miserable proye des passans, comme desja elle avoit fait des compagnons d’Ulysses, desquels elle print & devora si grand nombre, comme elle avoit de bouches. Et quand Virgile fait que Helenus monstre à Enée le chemin qu’il doit tenir pour passer seurement en Italie, il luy fait dire, qu’il se garde de deux monstres cruels & espouventables à quiconque passe le destroit de la Sicile, dont l’un est Charybdis, lequel engloutit & engoulffe miserablement les navires, les tirant quasi au plus profond, & par apres les rejecte estans chassés par les ondes furieuses qui les haussent quasi jusqu’au ciel. Les fables recitent que ceste cy fut une femme tres-avare, & ravissante, qui desroba les bœufs d’Hercule, à cause dequoy elle fut foudroyée par Jupiter, & estant jettée en la mer, devint un escueil, ou un rocher, qui a tousjours gardé son premier naturel d’estre ravissant. L’autre monstre est Scylla, qui demeure caché en une caverne horrible, met souvent la teste dehors pour voir si quelque navire passe, à celle fin d’en faire proye cruelle. Ce monstre a regard & visage de belle jeune femme, jusques sous la ceinture, puis les autres membres sont comme de loups & de chiens joints ensemble, avec queuës de Dauphins, qui sont retentir par tout là horribles hurlemens."
(Cartari, 1610, p. 325-326)
La Mythologie, de son côté, comporte un chapitre dédié à Scylla, où Charybde est également évoquée (VIII, 13) :
"Quant à Scylle fille de Phorcys, on dit qu’elle fut de tres-belle taille, & que Neptun coucha avec elle : ce qu’Amphitrite femme de Neptun ayant descouvert, empoisonna la fontaine où Scylle avoit accoustumé de s’aller baigner : dont devenuë furieuse elle se precipita dans la mer, & fut ainsi convertie en monstre marin. Les autres content que Scylle eut affaire auec Glauque, dequoy Circe jalouse & mal-contente, laquelle l’aymoit, empoisonna la fontaine où Scylle s’alloit ordinairement laver : & que par ce moyen elle fut depuis le haut de la teste jusques au nombril transformee en diverses figures. Scylle donc estonnee de sa difformité, se jetta dans la mer : de là veint la Fable, comme dit Zenodore Cyrenien. Voicy comme Isace descrit la forme de Scylle ; ayant six testes de chenille, de chien, de lion, de Gorgone, de baleine, & de femme. Les autres disent qu’elle avoit un air de visage de tres-belle femme jusques aux yeux ; mais que le dessus estoit tres-laid, comme aboutissant en six testes de chiens : le reste de son corps en forme de serpens. Homere au 12. de l’Odyssee dit qu’elle avoit six testes & douze pieds ; & que chasque teste avoit trois rangs de dents :
En ce destroit gouffreux son siege & domicile
Semblable à chiens hullans tient l’aboyante Scylle.
C’est une male peste & monstre dangereux.
Nul ne la sçauroit voir, fust-ce des bien-heureux,
Qu’il n’en soit espuré, que d’horreur il ne tremble.
Elle a deux fois six pieds ; elle conjoint ensemble
Six cols à longs tuyaux, & six testes sur eux,
Testes d’estrange mine & visages hideux.
Un triple rang de dents ses bouches gabionne,
Et d’engloutir quelqu’un sans cesse elle espionne.
Virgile au 3. de l’Æneide descrit autrement la forme d’icelle :
Mais dans profonds cachots une fosse renclot
La ravissante Scylle hors ses gueules tirante,
Et contre les rochers les vaisseaux attirante.
Par haut elle ressemble en forme un corps humain.
Et jusques au nombril une vierge au beau sein.
Par bas elle a le corps d’une balaine enorme,
Et au ventre de loups elle attache difforme
Des queuës de Daulphins.—
On dit davantage, qu’elle avoit des yeux flamboyans, & des cols si longs qu’elle pouvoit attirer à elle les vaisseaux mesme bien esloignez d’elle : aussi tous ceux qui en approchoient, faisoient naufrage ; & les chiens qu’elle avoit autour de ses parties honteuses devoroient les personnes, selon le tesmoignage de Virgile au Silene :
A quoy reciteray-ie ou la Scylle de Nise,
Ou bien celle qu’on bruit des monstres aboyans
Ceinte en l’eine escumeuse, és gouffres ondoyans,
Fiere avoir tourmenté les naufs Dulychiennes,
Et, las ! faict deschirer aux Rages gueules-chiennes
Les timides nauchers ?
Charybdis fut aussi une gloute & ravissante femme, laquelle ayant desrobé à Hercule quelques bestes à corne lors quil touchoit les aumailles de Gerion, fut foudroyee par Jupiter, & transformee en un goufre marin, (on l’appelle aujourd’huy Galofaro) scitué en un destroit de la coste de Scylle, à l’opposite de Scylle, de tres-dangereux accez, s’eslançant d’un abysme creux en l’air, & devorant tout ce qu’il rencontre, puis à certaines saisons le desgorgeant. Toutesfois les autres soustiennent que Hercule l’occit, & que Jupiter la transforma comme dessus.
[…] Les Poëtes disent que Scylle avoit des chiens à ses costez & eines qui devoroient les passans, d’autant que ces monstres sortant d’un lieu bas, à sçauoir de la concavité des rochers où ils estoient mussez, & s’eslançans en haut, sembloient issir comme hors de la poitrine de Scylle.
(Mythologie, 1627, p. 325-326 - lire la suite)
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