Neptune et Amphitrite
Neptune et Amphitrite
Planche VIII, 1627, Neptune et Amphitrite, détail.
En 1610, l'édition lyonnaise de Cartari comporte le bois présenté ci-dessous, reprise pour la Mythologie de Conti en 1612. Dans l'édition padouane de 1615, le graveur a modifié plusieurs éléments. Daniel Rabel reprend ces détails à son compte en inversant la composition :
En effet, Neptune fait l'objet d'un long chapitre chez Cartari, au cours duquel plusieurs descriptions se succèdent. Nous donnons ci-dessous celles qui correspondent le mieux aux gravures.
"Les anciens l'ont aussi peint quelque fois avec une fourche en la main droite, soubs ses pieds, une grande coquille de mer, laquelle lui sert de chariot trainé par des chevaux, lesquels de la moitié en bas estoient des poissons, ainsi que le Poëte Stace Papinie les descrit." (Cartari, 1610, p. 313)
Le jeu des couleurs est évidemment perdu dans la figure :
"Par fois aussi ils l'ont vestu, luy mettant à l'entour un drapeau de couleur celeste, comme dit Phurnut, qui represente la couleur de la mer. Et Lucian en ses sacrifices le feint avoir les cheveux pareillement azurez, & noirs aussi, combien que Servie dit, qu'entre les anciens tous les Dieux de la mer estoient faits avec cheveux chenus & blancs, & vieux pour la pluspart, comme ainsi soit que leurs testes blanchissent pour cause de l'escume de la mer." (Cartari, 1610, p. 313-314)
"Le mesme Philostrate dit en apres de Neptune, qu’il va tranquille, & paisible par la mer sur une grande coquille, tiree par des Baleines, & par des cheuaux marins, & luy donne à la main la fourche à trois dents, laquelle aucuns dient, que signifient les trois goulphes de la mer Mediterranee qui viennent du grand Ocean ; & autres veulent qu’ils signifient les trois natures des eaux : car celles des fonctaines & rivieres sont douces, celles de la mer sont salees & ameres, mais aussi elles ne sont point agréables à la bouche. Davantage il luy baille une trompe retortillee faite d’une coquille de mer, laquelle portent aussi tousjours les Tritons." (Cartari, 1610, p. 314)
Dans le même chapitre, il est également question d'Amphitrite et du chariot tiré par 4 chevaux :
"On voit aussi une bonne partie de la compagnie de Neptune en un sien temple au pays de Corinthe, comme recite Pausanias. Car luy avec Amphitrite sa femme estoit sur un chariot, là où estoit aussi Palemon petit enfant, appuyé sur un Dauphin, & quatre chevaux tiroient le chariot, & aux costés d’iceux estoient deux Tritons. Au milieu de la base qui soustenoit le chariot, estoit engravée la mer, & Venus qui en sortoit dehors accompagnée de fort belles Nereides.
[…] Martian aux nopces de Philologie, veut que Neptune y soit, & le descrit tout nud, tout verdoyant, comme l’eau de la mer, avec une couronne blanche sur la teste, qui represente l’escume, laquelle font les ondes de mer estant agitees. [C]omme dit Ovide :
Et tout debout Neptune est evident,
Qui un rocher frape de son trident,
Dont un cheval fort superbe & adroit,
Cuidant ainsi avoir le meilleur droit,
D’imposer nom à la ville nouvelle.
En outre Neptune est dit vieillard à cause de l’escume de la mer, qui est semblable à poil blanc, ou plustot parce que beaucoup d’anciens, comme Thales le Milesien, ont dit l’eau estre principe de toutes choses."(Cartari, 1610, p. 328, 331)
Enfin, lorsqu'il évoque les Néréïdes telles que décrites par Platon, Cartari mentionne à nouveau Neptune, immense, et son chariot, tiré cette fois par des chevaux ailés :
"Quant aux Nereides, Platon escrit qu’elles estoient cent en nombre, assises chacune sur un Dauphin, quand il desseigne ce grand et merveilleux temple, lequel estoit par les Atlantiques consacré à ce Dieu [Neptune], qui demeuroit là sus un chariot, tenant avec la main les brides des chevaux aislés, & estoit si grand, qu’il touchoit de la teste le toict ou couvert du temple, combien qu’il fut fort haut." (Cartari, 1610, p. 328)
À gauche, la gravure de 1571 ; au centre, le bois de Cartari 1581-1610-Conti 1612 ; à droite, Cartari, 1615.
Daniel Rabel, à l'origine des dix planches de l'édition parisienne, n'a pas travaillé d'après le texte de la Mythologie. Un certain nombre de convergences s'observent néanmoins entre la figure et le texte de 1627, sur la base d'une source commune.
Dans la Mythologie comme chez Cartari, un chapitre est consacré au dieu de la mer. Il ne se trouve pas au Livre VIII, mais au livre II, où le mythographe évoque les principales divinités de l'Olympe. Conti y rapporte plusieurs descriptions de Neptune et Amphitrite. Il évoque notamment une "Amphitrite bleue" :
"Lucian és Sacrifices escrit, que Neptun avoit le poil noir, & les yeux bleus, comme dit Ciceron au 1. de la nature des Dieux : & les Poëtes le despeignent quelquesfois nud avec un Trident & une conque. Ceux qui l’introduisent habillé, luy donnent un habillement de couleur perse, comme dit Phurnut. Pausanias en l’Estat d’Arcadie, a laissé par escrit, que Neptun fut le premier escuier & autheur de l’art de chevalerie ; ce qui se prouve aussi par le tesmoignage de Pamphe, tres-ancien Poëte Grec. Il semble que Sophocle en son Oedipe vueille dire que Neptun ait le premier dressé les Chevaux à Athenes, là où depuis fut bastie l’Academie. Mais celuy qui a expliqué Apollonius, dit que Sesonchose, Roy d’Egypte, qui regna aprés Orus, fils d’Isis & d’Osiris, que d’autres nomment Sesostris, monta le premier à cheval, l’ayant accoustumé à porter selle & mords. Le mesme maintient aussi Dicearche au 2. livre de l’histoire d’Egypte ; ce que toutesfois quelques-uns attribuent à Orus. Pour cette cause les Poëtes representent Neptun porté sur un chariot par dessus la mer, tesmoin Apollonius au 4. livre :
La bleuë Amphitrite parmy le flot salé
Laschera de Neptun le chariot ailé.
Orphee en ses hymnes dit que ledit chariot estoit tiré par quatre Chevaux :
Son carrosse roüant, faict de bel artifice,
A quatre bons Roussins, dessus la superfice
De la plaine marine.—
Plus loin, Neptune est dit aux "cheveux azurés" :
"La coustume estoit de luy sacrifier un Taureau noir : comme tesmoigne Homere au 5. de l’Odyssee :
Qu’on immole à Neptun aux cheveux azurezDes Taureaux au poil-noir sur ses autels sacrez." (Mythologie, 1627, p. 162)
Dans ce chapitre toujours, la Mythologie explique ce que représente Amphitrite :
"Sa femme estoit Amphitrite, qui n’est autre chose que l’eau mesme, comme tesmoigne Eurypide au Cyclope :
Encor que rien je ne voye,
Je passe ce gay bravement
Et traverse remply de joye
Amphitrite fort seurement.
Puis la Mythologie revient sur les diverses apparences de Neptune afin de les expliquer :
"La forme que les Poëtes donnent à Neptun, qu’est-ce autre chose que la nature ou couleur de la mer ? car qui ne sçait que la couleur bleuë ou perse, est celle de l’eau marine ? Derechef, Neptun representé nud ne signifie autre chose que la nature des eaux douces. Car les eaux qui n’ont point de couleur ou qualité apparente, sont les plus saines. Quant au Trident que Neptun porte en guise de sceptre, il monstre sa triple puissance, c’est à sçavoir qu’il a moyen d’esmouvoir, de calmer, & de conserver la mer.
[…] Il est porté sur l’onde en un chariot ; suivy & accompagné de Tritons & monstres marins, pource que durant la tourmente, les ondes & flots bruyans d’une estrange facon, heurtans & chocquans le vaisseau l’emporterent comme s’il estoit monté sur des rouës.
On le voit, la Mythologie suit un tout autre dessein que les Images des dieux. Les éléments descriptifs n'en sont pas absents. Mais courts, allusifs, ils servent essentiellement de support au travail allégorique.
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