L'Espagne, topos littéraire et musical de Carmen à Conchita
L'évocation de l'Espagne dans Conchita ne modifie pas la représentation littéraire et musical de ce pays établie depuis le milieu du XIXe siècle. Lorsque Georges Bizet compose Carmen, le pays est devenu un topos littéraire et cela depuis Prosper Mérimée et Gustave Doré dont les planches servent d'illustration au récit de Théophile Gautier en 1840 et d'Alexandre Dumas en 1846. Les librettistes Henry Meilhac et Ludovic Halévy vont puiser nombre de mots-clés du livret dans les titres mêmes des illustrations qui inspirent décors, dialogues et musiques. Ils créent ce que l'on peut appeler un "exotisme scientifique". Le public a ainsi l'impression de découvrir la vie espagnole dans sa réalité même si cette réalité est affaiblie comparée au livre contreversé de Mérimée.
En plaçant le personnage de Conchita dans la filiation de ceux de Carmen et de Concha, Riccardo Zandonai accentue cette vision antérieure, conventionnelle de l'Espagne, instaurée depuis Prosper Mérimée et Georges Bizet, perpétuée dans l'oeuvre de Pierre Louÿs. Ce modèle est conçu comme une référence pour ne pas dérouter le spectateur.
Le compositeur ne garde que des images récurrentes, pour ne pas dire des poncifs littéraires en réduisant à un décor les quelques expressions de la société espagnole décrite dans le livret de Henry Meilhac et Ludovic Halévy (la famille, l'armée, l'Eglise) qu'il inscrit dans une architecture typique reconnaissable dès l'Acte I scène I, avec l'évocation visuelle et sonore de la fabrique de cigares de Séville :
Conchita
Je dis à l'oreille du premier, doucement :
je suis folle de ta bouche :
prend ce havane : regarde, il est parfait!
pour mon plaisir je l'ai volé
La référence à l'Espagne se retrouve aussi dans l'insertion de noms de villes (Siviglia, Cadix, Avilla, Huelva, Murviedro), les interjections dialectales (Anda! Olé! Olà!), dans les mots et les noms de danse (un real, pesetas, soledad, il Manzanillo, il Banderillero, mozita, un cocido, Seguidiglia, Flamenco, Zarzuela) et dans les expressions espagnoles, dans l'Acte I, scène 1, Rufina chante une berceuse au querido :
Rufina
(poursuivant)
Buenas noches, mi chiquito
dans l'acte II, au Baile :
Tous
Anda! Anda! Olé!
(Conchita a terminé de danser)
Tous
Olé! guapa! olé! Chiquilla!