Archives Marguerite Audoux

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Lettre de Marguerite Audoux à Léon Werth

Auteur(s) : Audoux, Marguerite

DescriptionDemande de venir à l'Île-d'Yeu - Santé chancelante
Texte



[Carbonat, juillet 1912]

Mon cher vieux,

J'ai reçu la lettre de Régis et je savais déjà par Jeanne[1] que la partie de l'Île‑d'Yeu était ratée.
Si tu es décidé à venir à l'île malgré l'absence des Gignoux, je crois qu'il y aura moyen de s'arranger tout de même : ou nous resterons à Port‑Joinville, ou nous trouverons une femme à la Meule qui nous fera la popote. Chanvin est comme toi un homme de sport et je crois que vous vous entendrez bien ; Madeleine[2] est douce et silencieuse ; quant à Hélène[3], la mer est peut‑être le seul endroit où elle soit agréable à vivre et à voir.
D'autre part, rien ne te forcera de vivre de leur vie. Il n'y a pas d'endroit où il soit plus facile de s'isoler qu'à la Meule.
Moi, je me fais une fête d'y retourner, d'abord parce que c'est le seul endroit vraiment beau que j'ai vu jusqu'à présent, ensuite je suis atteinte depuis une quinzaine de jours d'une entérite qui me démolit, et je serais bien aise de ne vivre que de poisson frais et de légumes, ce que je ne pourrais pas faire dans un hôtel, à une table d'hôte.
Ainsi donc, mon vieux Werth, fais comme il te conviendra le mieux. Tu sais que je serais bien aise de t'avoir près de moi, mais si cela t'ennuie en quoi que ce soit, ne te crois pas obligé de venir. Nous nous retrouverons à paris après les vacances, mais si tu peux surmonter ton dégoût de H[élène] et ton appréhension des autres, viens. Je crois que tu ne le regretteras pas.
Dans tous les cas, moi je serai à Fromentine le 31 juillet à 6 heures du soir (18 H selon le nouvel horaire) et je prendrai le premier bateau en partance pour l'île.
Si tu ne t'y trouves pas, je penserai que tu as fichu le camp ailleurs, et je te souhaite bonnes vacances et bon travail.
Moi aussi je travaillerai, ou du moins j'ai l'intention de travailler, mais je suis bien mal en point en ce moment : coliques, vomissements, mal de tête, et lassitude physique et morale[4].
Mon pauvre amoureux[5] en est tout chaviré.
Le médecin d'ici dit que cela n'est rien et il me conseille la mer au plus vite.
Il a de l'esprit comme un ange, ce médecin, mais même s'il me défendait la mer, j'y partirais au grand galop.
Au revoir, mon cher vieux poilu. Il est inutile que tu me répondes car je ne sais si ta lettre m'arriverait ici.
Donc, rendez‑vous à Fromentine le 31, ou écris‑moi à La Meule à partir du premier août.
Encore une fois au revoir.
Je t'embrasse bien fort et te prie de dire à nos très chers amis que je pense souvent à eux et que je les embrasse bien affectueusement.

Marguerite



[1] Il s'agit de Jeanne et Régis Gignoux.

[2] La femme de Lucien Trautmann, vieil ami de Fargue et Chanvin (voir la lettre 185 d'août 1912 à Antonin Dusserre, chez qui Marguerite Audoux se trouve au moment où elle écrit)

[3] L'épouse de Charles Chanvin

[4] Conséquences évidentes de la longue et éprouvante indécision de Michel Yell. On sent dans la demande pressante faite à Werth de venir, et dans la tonalité générale de cette lettre, un reste de désarroi, dont Antonin Dusserre n'est qu'un baume insuffisant et éphémère.

[5] Antonin Dusserre

Lieu(x) évoqué(s)Carbonat, Île-d'Yeu

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Notice créée par Bernard-Marie Garreau Notice créée le 17/12/2017 Dernière modification le 20/05/2022